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«L'installation-performance» du Sud-Africain Brett Baileys'attire les foudres d'opposants qui lui reprochent ce qu'ilentend précisément dénoncer : l'oppression des Noirs.

«Exhibit B»,l'antiracisme en actes

L'ESSENTIEL

LE CONTEXTEDes manifestants ontdemande la suspensiond'ExnibitB,performancesud-africaine surla représentation dessouffrances des Noirsdans l'Histoire

LENJEUSans censurer l'œuvre,comment donnerla parole aux«minorités visibles»dans une culturemajor i ta irementblanche'

Par ERIC LORET

CA est une œuvre qui révèle une

profonde fracture, un profond malentendu dans nossocietes Ou I on apprend

qu'il ne suffit plus de vouloir etre antiraciste pour l'être vraiment Que lanon représentation des minorités ethniques est un problème reel non pas lanon représentation en tant qu'objets,maîs en tant que sujets ayant «voix» auchapitre Et que le retour de manivellepeut être brutal

«DÉGRADANT». Montrée a Avignonen 2013 puis au GentQuatre a Pans, etailleurs dans le monde la piece performance Exhibit B, du Sud Africain BrettBailey, a ete annulée a Londres en beptembre, avant d'être perturbée au theatie Gerard Philipe (TCP) de Saint Denisla semaine dernière Une partie des représentations de jeudi a ete empêchéepar des manifestants, les suivantes sesont déroulées sous protection policièredurant le week end De quoi parle cettepièce7 «Exhibit B est une installationperformance en douze tableaux vivants quidénonce des actes commis, d'une part, enAfrique, pendant la période coloniale, et,d'autre part, aujourd'hui, en Europe, envers certains immigres africains Un panocculte de notre histoire, dont les construclions idéologiques racistes perdurent jusau 'a nos jours» indique le site du CentQuatre, qui accueille a nouveau la piecela semaine prochaineLes spectateurs déambulent dans ce quirappelle un zoo humain colonial, oudes acteurs noirs parfois nus, muets,les suivent du regard Des avant la reprise de l'installation au TCP, une petilion du collectif «Contre Exhibit B»avait circule, signée par plus de23 DOO personnes, demandant l'annulation des représentations «L'exposi

tion met en scene des Noirs enchaînes etdans différentes positions dégradantes[ ] Les figurants noirs sont embauchesdans chaque ville au l'exposition est presentee, et les spectateurs payent pour visiter un a un les Noirs, qui restent silencieux et immobiles f j Nous vouionsexprimer notre opposition indignée a cetevenement raciste »D'un cote, I absolue bonne foi de BrettBailey et de ceux qui soutiennent sontravail, qui ne sont pas des antiracistesmondains maîs des travailleurs cultureis et sociaux Bailey fait en outre valoir qu on ne peut juger de son installalion sûr documents, pmsqu'Lxhibit Bpropose une experience a vivre, celle de

«Les figurants noirs sont embauchesdans chaque ville où l'exposition estprésentée, et les spectateurs payentpour visiter un à un les Noirs, quirestent silencieux et immobiles.»Pétition du collectif «Contre Exhibit B»

la gene physique, ou celui qui est le plusdénude mis a l'os, n'est pas forcementI acteur noir De l'autre une vraie finstration, qui s est exprimée dans la rue,au prix de quèlques violences puisquedes manifestants se revendiquant de laBrigade anti negrophobie ont jeudi,brisé une vitre du théâtre, agressantverbalement et physiquement des spectateurs et des membres du personnelLa police est alors intervenue Deuxmanifestants ont ete interpellesCe désir d'interdire a d'abord choqueOn ne peut pas a la fois condamner lescathos intégristes empêchant les piecesmystiques de Castelluci ou vandahsantle PKS Christ de Serrano et accepterqu'un spectacle antiraciste soit interditpar d'autres antiracistes La reaetionsuivante a ete de dire ils n'ont pas compris Sauf qu'à suivre la polémique mar

quee du hashtag #Contrel3xhibitB sur lesreseaux sociaux on voit bfen que (a partquèlques excites appelât!^ foutre le feuau IGP) les manifestants,,au contraire,comprennent tres bien, portant despancartes «décolonisons les imaginaires»ou notant avec des accents bourdieusiens que «lutter contre le racisme, cen est pas regarder Exhibit B, manquesdonner ses privilèges de dominant»

DÉNI. La comédienne Amandme Gay(que l'on voit dans, les reportages en hgne des anti Evhibit B) ou le sociologueEric Fassm ont assez vite publie destextes dans Slate et Mediapart permettant de comprendre que c'était peut

etre moins cette oeuvre particukere de Bailey en partieuller qui était perçuecomme une agression,qu'un déni societal generalde la parole «minoritaire»Gay rappelle ainsi que «lesexpériences de vie et le rapport a la question raciale,

dans une societe majoritairement blanche,sont extrêmement différents, que l'an soitnoir e ou blanc he La lutte face au pmilege blanc, qui inclut le monopole de la pamie sur l'histoire et la représentation desNoir e s, aussi Et ce, même lorsque lesdominants sont bien intentionnés »S'il n'est évidemment pas question decautionner quelque censure que ce soit,si Exhibit B doit pouvoir etre joue, il fautentendre cette manifestation d'exasperation et résister a la tentation de reduire les contradicteurs, souvent jeuneset eduques, par le mépris Cette blessure de l'incompréhension se ht parfaitement sur Internet, avec par exemplece tweet de @AudVoo postant ce lundi«Les gauchistes c'est chiant Rs f ont expres de voir #ContreExhibitB "On ditque les Blancs n 'ont pas le droit de parlerde racisme "»-••

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Devant le théâtre Gérard-Philips de Saint-Denis, vendredi. PHOTO MARTIN BUQËAU AFP

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REPERES EDIMBOURG, LONDRES, ET MAINTENANT SAINT-DENIS

Présentée sans polémique à Avignonen 2013 et à Poitiers en novembre, laperformance de Brett Bailey a cho-qué au Royaume-Uni, d'abord au festi-val de théâtre d'Edimbourg cet été,puis au Barbican Centre de Londresen septembre, où elle a été dépro-

grammée sous la pression. Elle seraaccueillie au CentQuatre à Paris du 7au 14 décembre. Fin novembre, Baileya présente à Montreuil et Marne-la-vallée une version du Macbeth deVerdi interprétée uniquement par desNoirs sans soulever de polémique.

«La polémique parle plusde ceux qui la portent etde la société dans laquelleelle se produit que de montravail.»Brett Bailey metteur en scèned'Exhibit B, sur le site de RFI

Les zoos humains, où l'on exhibe des reconstitu-tions de villages africains, furent un spectaclegoûté des expositions coloniales. De 1800 à 1958(le dernier en date s'est tenu à Bruxelles cetteannée-là), ils ont attiré plus d'un milliard de visi-teurs et concerné près de 35 DOO figurantsdans le monde. En 2O11, lexposition «Exhibitions,l'invention du sauvage» en retraçait la sagaau musée du Quai-Branly.

«On met le Noir encore une fois enposition dégradante, [on] reproduitle même phénomène au nom de l'artsous prétexte que ça fait culpabiliseret réflechir le Blanc sur sa positionde bourreau.»Lu sur Twitter

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ÉDITORIAL

Par LAURENT JOFFRIN

Bonnesquestions

Interdire un spectacle ?La chose est grave et il fauty songer le moins possible.On doit avoir, pour s'yrésoudre, un motif légalincontestable, commele racisme, l'antisémitismeou l'incitation à la haine,ce qui fut le cas pour lesspectacles de Dieudonné.Exhibit B, performanceantiraciste destinée àdénoncer les zoos humainset leurs prolongementscontemporains, ne tombeen rien sous cetteaccusation. Le spectacleest maladroit ? Il montrede manière trop réaliste cequ'il dénonce ? Peut-être.Mais si la maladresse estun chef d'interdiction,la censure a devant elle unchamp immense. Faut-ill'y introduire ? Etrangeconception de la liberté-Certains protestatairesposent de bormesquestions, par exemplela sous-représentation desauteurs et des metteurs en

scène noirs dans le mondedu théâtre ou de l'artcontemporain. Ou encorela nécessité de montrerque les Noirs ne furent pasles victimes passivesde leur malheur, mais quede grands personnages- Toussaint Louverturepar exemple - furent lesprotagonistes d'unerévolte héroïque contrel'oppression. Il est enrevanche un raisonnementinadmissible : contesterl'auteur de la performanceparce qu'il est blanc.Les Noirs seraient-ils seulshabilités à parler de lacondition noire ? Doit-onconfondre question socialeet question raciale ?Ce serait essentialiser lavie en société sur une baseraciale, c'est-à-dire, enfinde compte, nier l'unitéprofonde du genrehumain. Doit-on rappelerque ce sophisme est l'armeintellectuelle principaleutilisée par les racistes ?

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Toute la carrière du Sud-Africainest marquée par l'histoire coloniale.

Brett Bailey,metteur en scènede «Patiente»Brett Bailey avait 23 ans

quand Nelson Mandela estsorti de prison, en fe

\ ner 1990 Comme beaucoup dejeunes Blancs de sa generation, iln'a vécu l'apartheid que de lom,maîs il reste marqué par l'histoirecoloniale et post coloniale de soncontinent Une histoire autour delaquelle il a construit tout son travai! de metteur en scene, de dramaturge et de plasticien a la tetede sa compagnie Third World BunRight {«la fete et la bagarre dutiers monde») basée au Cap Sonobsession «Les chambres sombresde notre imaginaire collectif, franteespar défausses représentationssilencieuses et dei, configurationstordues de /'attente», écrit ilAcéré, \pres ses etudes des artsde la performance a I academieDasArts, a Amsterdam, il s'est faitremarquer chez lui pour ses piecesiconoclastes, centrées sur la provocation et l'interaction avec lepublic Parmi elles, Jjw Zombt, produne en 1998 au Cap et a Harare(Zimbabwe) basée sur un fait divers une chasse aux sorcières quia mené en 1996 a I assassinat dedouze femmes en Afrique du Sud,accusées d'être responsables d'unaccident de voiture qui a cause lamort de douze garçons Uneœuvre saluée par le romancier Zakes Mda, un Sud Africain noir,comme «un travail de genie»Reconnu et ovationne a l'international, cet artiste de 47 ans, barbetaillée en pointe et regard acéréderrière ses \erres fumes a ete lecommissaire du festival Infectingthe City, au Cap, de 2008 a 2011 IIpasse désormais l'essentiel de sontemps a monter ses spectaclesautour du monde Parmi ses dermeres œuvres figure Exhibit A, levolet précédant Evhibit B qui sefocalisait sur l'histoire de la Namible, ancienne colonie allemandeou le massacre du peuple hereroentre 1904 et 1911, fut le premier génocide du XXe siecleAujourd'hui, Brett Bailey se voitreprocher en Europe d'être unAfrikaner, alors qu'il porte unnom anglophone Et d'incarner un

rapport de domination qui estvécu a Londres et Pans, deux anciennes métropoles coloniales,comme insupportable un Blancqui manipule des corps noirspour partager avec le public sapropre culpabilité Un artiste quiprend le risque, pour mettre sonpublic mal a I aise, de reproduirece qu'il dénonce«Lames». «Depuis 2001 explique t il en tant que metteur enscene blanc d Afrique du Sud, jevoyage régulièrement en Europeavec des equipes d'artistes noirs,dans le but de présenter des œuvresdans les festivals et de divertir unpublic majoritairement blanc Dansmon travel! j'ai toujours eu pourobjectif défaire exploser les stereotypes raciaux ou culturels, et non deles renforcer Maîs)e suis conscientdu fait que je rn in.sc.rus dani, cetlehistoire, dans ces antécédents dezoos humains et de ces "spectaclesexotiques' qui étaient organisespour présenter les peuples colonisescomme des êtres essentiellement dif/erents voire inférieurs mentant leslames de l'impérialisme europeen »Controversée depuis trois mois,son «installation performance»Exhibit B a ete montrée dans biendes villes, y compris en Afrique duSud en 2012, au festival de Orahamstown L'accueil y a ete plutôtfavorable, maîs la polémique commenée a monter aussi dans sonpa} s Les journalistes noirs semontrent moins tendres que leursconfrères blancs dans leur couverture des mouvements de protestanon contre Exhibit B a Londres eta ParisSigne qu il y a encore de la placepour la complexité au pays de Nelson Mandela en septembre, l'hebdomadatre de reference The Mail £Guardian, majoritairement détenupar Trcvor Ncube, un patron depresse noir originaire du Zimbabvve, se gardait de prendre positionet expliquait par le détail en quoiBailey se sentait «remis en question,en tant que Sud A/hcam blanc, dont,son droit a traiter du racisme de sapropre maniere creative»

SABINE CESSOU

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Survivalof the Rttest, tableau d'Ex/ubit B P-IOTO SOFIE KNI JFF £> Fîseher's Cabinet

POUR LE BOYCOTT PO B. K. LOMAMI, AUTEURE D'UN TEXTE FUSTIGEANT «L'INSTALLATION-PERFORMANCE» DE BRETT BAILEY;

« "Exhibit B" est une exhibition du privilègeblanc, qui le confirme, le renforce»

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of Curiosities, également mis en scène dans le cadre d'Exkibit B. PHOTO A3A NIEUWENDLK

Po (Pauline) B. K. Lomami, 25 ans, estnée et vit en Belgique : «J'ai plusieursannées de militantisme féministe, queer et

noir sw le terrain et sur la Toile, dans et en de-hors du cadre associatif. » Ses textes #Boycott-HumanZoo I et JJ, coécrits avec «Mrs Roots»,sont devenus des symboles intellectuels dela contestation 2.0 contre Exhibit B.Pourquoi ce texte ?C'est une réaction à un ras-le-bol général.Après Londres, lorsque nous avons appris quel'installation prendrait place à Paris ensuite,ça a été le torrent qui a fait déborder le vase.J'ai écrit pour analyser et résister.Que pensez-vous des événements dè Saint-Denis?J'ai vu et on m'a raconté les mobilisations,les panneaux, les CRS, les humiliations, le

sang sur le trottoir, les spectateurs et les res-ponsables de l'autre côté de la barrière. J'aivu et lu le mépris et la condescendance dansles médias, où l'on qualifie les opposant(e)sà Exhibit B d'intégristes, de puritains, de sec-taires et même de concierges de la penséeavec la conviction qu' Exhibit B est créatif,progressiste et innovateur et que les oppo-sant(e)s ne comprennent rien à l'art. J'ai vule public préférer la mise en scène du théâtreà ce qui se passe dans la rue sous leurs yeux.Que reprochez-vous à Exhibit B?Pour comprendre pourquoi nous dénonçonscette installation, il faut cesser de penser leracisme comme une simple question d'inten-tion. On est dans un contexte étouffant où ilest difficile de discuter réellement de racismeet, quand cela arrive, il n'est pas possible de

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parler de races, de leur construction sociale,comme si le racisme tombait de nulle part.Dans ce même contexte, la parole est invisi-bilisée ou refusée aux personnesnoires qui tentent depuis trèslongtemps de parler de racisme,de négrophobie et de colonialisme, de faire valoir leur position,comprise comme partielle et nonobjective. Il y a donc d'une part cecontexte et la démarche de Baileyqui apparaît avec son installationde corps noirs sans parole, dans une situationd'objectification choisie par ce metteur enscène et sans représentation de l'autre partie :les personnes blanches qui mettent les per-sonnes noires dans cette position. On est enprésence d'une reproduction de mécanismesque nous connaissons au quotidien. D'ail-leurs, l'absence de personnes blanches desinstallations n'est pas anodine ni étonnante,et fait directement écho à ce refussystématique de questionnement et de repré-sentation dè l'identité blanche, sa construc-tion sociale et son pouvoir colonial. Exhibit Best une exhibition du privilège blanc, qui leconfirme, le renforce. On a fini par faire dela négritude un objet d'art en libre servicetandis que la question blanche reste taboue,empêchant une réelle discussion sur le ra-cisme. C'est comme si les corps et mémoiresnoirs étaient naturellement à dispositionpour satisfaire besoins, curiosités, émotions.Le fait d'être touche prime sur la violence duprocédé pour les Noir(e)s. Qu'est-ce quecette installation est censée apporter aux

Noir(e)s? S'en soucie-t on? Ou est-ce ré-serve à un public privilégié ?Pensez-vous qu'il faut interdire Exhibit B?

J'appelle au boycott, pour ne cau-tionner ni par la présence ni parl'argent. J'invite chacun(e) à bienregarder ce qui se passe ; qui a laparole, qui est du bon côté de labarrière et qui prétend en mêmetemps prêcher l'antiracisme. J'in-vite à se demander si les chosessont vraiment en train de changer

ou si on déguise la répétition en faux progres-sisme. J'invite à lire et écouter parce que lesopposant(e)s parlent et écrivent clairement,contrairement à ce qu'on fait croire.Quel genre d'art pourrait être propre à ques-tionner vraiment ces constructions sociales ?Je pense que la démarche est indissociable ducontenu, que l'émetteur est indissociable dumessage. On pourrait commencer par visibi-liser les productions existantes et en cours

qui n'ont pas voix au chapitre. La narrationdu racisme et du colonialisme ou simplementdes Noir(e)s est préférée lorsqu'elle est pro-duite par une position blanche. Pire, il n'estpas rare de voir des travaux et analyses (artis-tiques ou autres) simplement répétés ou co-piés par des personnes blanches qui reçoiventattention et intérêt. Les tribunes sont sélecti-ves, invisibilisant l'analyse et la résistancenoires. U «antiracisme» intentionnel, bien-veillant, paternaliste voire condescendant sedéfinit dans ce cadre bien précis. Il nous dé-possède. Il est toujours aussi difficile de fairecomprendre que l'accès et la parole sur dessujets traitant de la souffrance, la mémoire,l'identité noires ne peuvent se faire sans lesNoirs ou en gardant le pouvoir de la mise enscène. Il faut commencer par revoir la dé-marche, les choix, le regard. Nos alliés tra-vaillent ces questions et sont du mauvais côtéde la barrière, soutenant les manifestantes.

Recueilli par ÉRIC LORET

«LE CORPS NOIR EST CHARGE D'HISTOIRE»

Elise Mballa Moka, romancière etdirectrice du festival de danse et depercussions Abok i Ngoma de Yaoundé(Cameroun) : «Le corps noir et lareprésentation du corps noir est charged'histoire. Ce/a ne donne pas envie de rireou même de traiter la chose au 3e degré.Ce n'est pas que nous voulons oublier,comment ce/a serait-il possible ?Les colonisateurs comme nous-mêmes

n'avons pas encore réussi à exorciser cetteviolence, collectivement. Si je vois cetteperformance-installation, surexposée dansles médias et dont j'ai eu donc connaissance,je vais penser: "Ça y est, ça recommence.'"Si /artiste opérait de la même façonen montrant des images de la Shoah avecdes figurants, ce/a choquerait. Il f out savoirmanipuler les images, savoir jusqu'où c'estsupportable.» Recueilli par M.-C.V.

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CONTRE LA CENSURE AGNES TRICOIRE, DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME:

«Les mêmes moyens obscurantistesque l'extrême droite catholique»A

gnès Tricoire est avocate et repré-sentante de la Ligue des droits del'homme et de l'Observatoire de la

liberté de création.Comment en êtes-vous venue à prendre ladéfense d'Exhibit B?Nous avons été informés de la polémiquedès l'épisode de l'annulation au Barbican deLondres. L'Observatoire de la liberté decréation fait partie d'une structure interna-tionale, Artsfex, qui réunit des structuresqui, comme nous, luttent contre la censuresous toutes ses formes. Dans le mêmetemps, j'ai saisi la LOH, dont je fais partie,le Mrap et la Liera, et nous avons, aprèsavoir assisté à une présentation de l'œuvrele 5 novembre, décidé de soutenir le théâtreGérard-Philipe car il était évident que lapièce n'avait aucune intention raciste. Bienau contraire, il s'agit de montrer ce que lesNoirs ont subi, et subissent encore aujour-d'hui quand ils sont traités comme desmoins qu'humains. La pièce n'aborde passeulement les questions mémorielles, maisla façon dont les politiques migratoires ré-duisent les femmes et les hommes à des nu-méros, à des «objets trouvés». Dans le der-nier tableau, Brett Bailey montre un hommebâillonné sur un sièg? d'avion. Un carteldonne le nom de tous ceux qui sont mortsétouffés lors d'expulsions. Il nous a pamfondamental, à nous, organisations antira-cistes, qu'une oeuvre d'art puisse évoquerces sujets autrement que ne le ferait uncours, un livre d'histoire ou un discours po-litique. Le racisme, notamment contre les

Noirs, est un fléau contemporain. Sagnolpeut tenir des propos indignes contre lesNoirs, la FFF l'absout et critique ceux quis'en offusquent. Il faut que le dis-cours change, que les comporte-ments évoluent et que les discriminations verbales, le sentimentde supériorité soient mis à mal.Vous êtes devenue médiatrice despublics. Comment se sont pas-sées les représentations du TCP ?C'est très violent d'aller voirune pièce dans une telle atmosphère, d'entrer dans le théâtre sous les injures des ma-nifestants traitant indifféremment Noirset Blancs de racistes... Nous avons recueillibeaucoup d'émotions, des questions, maisaussi des critiques fortes. Nous avons accompagne deux classes de première, l'unele jeudi, qui est entrée dans l'installationquèlques minutes après que la porte duthéâtre a volé en éclat sous les coups desmanifestants soi-disant non violents. Nousavons, pendant qu'ils voyaient le specta-cle, parlementé avec les représentants dela Brigade anti-négrophobie qui se félici-tait de la peur infligée au personnel duthéâtre. Les jeunes, en sortant, étaient trèsémus et avaient besoin de parler. Ce qu'ilsnous disent, ces jeunes presque tous issusde l'immigration, c'est leur incompréhen-sion des slogans de la manifestation car,pour eux, l'œuvre est utile, ils ne ressen-tent aucun mépris envers eux ou leurs an-cêtres, ils ressentent de façon très forte lescontradictions dans lesquelles les regards

des comédiens les mettent. Ils admirentleur dignité. Ils reçoivent cinq sur cinq lamise en scène de Brett Bailey, qui consiste

à établir une relation indivi-duelle entre chaque spectateuret chaque comédien.Voyez-vous une parenté entreceux qui veulent interdire Exhi-bit B et ceux qui veulent interdireCastellucci ou Serrano ?Oui, l'extrême gauche, pour desraisons différentes, se met à uti-

liser les mêmes moyens obscurantistes quel'extrême droite catholique. L'initiateur dela pétition dit qu'en tant qu'historien, il n'apas besoin de voir l'œuvre. Il sait. Bams lacompare à Mein Kampf. Le point communavec la rhétorique d'extrême droite, c'estde dénier à l'art son statut de représenta-tion, de l'assimiler à du discours littéral,voire à un programme politique, et de refu-ser d'en prendre connaissance par soi-même. Les manifestants ont fait part d'unepeur de la contamination, de la reproduc-tion de schémas discriminants, parce quedans la vie réelle, ils sont fréquemmentl'objet de discriminations insupportables.Il est vrai que les Noirs sont sous-représen-tés dans nombre de disciplines et assignésà résidence culturelle. C'est la faute de no-tre société : la discrimination, un jour, sepaie. Ce que nous contestons, c'est qu'aulieu de demander des comptes au pouvoirpolitique, on s'attaque a un objet symboli-que qui dénonce le même mal.

Recueilli par É.LO.

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Entre la LDH ou le Mrapet les chantres de la causenoire, le divorce est acte.

Deuxmilitantismesface à face

L a mobilisation contre ExhibitB ade nouveau mis en lumière la rup-ture entre les organisations anti-

racistes traditionnelles (Liera, Mrap,LDH) et de nombreux militants de lacause noire. Franco est le porte parolede la Brigade anti-négrophobie, dont lesmembres ont occupé, quatre jours du-rant, le parvis du théâtre Gérard-Phi-lipe avec ceux des Indigènes de la Répu-blique ou d'Ausar. «On a prononcé undivorce net et précis avec les organisationsantiracistes de façade», dit il. Pour lui,le spectacle de Brett Bailey «ne montrele Noir que dans une position humiliante»,une «mécanique clairement raciste, cons-ciente ou inconsciente». La comédienneAmandine Gay dénonce «une vision mi-sérabiliste». Surtout, elle regrette le peud'intérêt montre par la direction duthéâtre à l'égard des manifestants:«Cela fait deux ou trois mois qu 'on écritsw îe sujet, une pétition a reçu 20 DOO si-gnatures. Et pourtant, le pouvoir blanc re-fuse de voir ce qui se passe dans la rue etd'entendre les Noirs. Tout ce qu'on nousrépond, c'est qu'on ne comprend rien àl'art.» Louis-Georges Trn, président duConseil représentatif des associationsnoires (Cran), abonde: «Des propos ontmis de I "huile sur le feu, notamment quandChristophe Girard [maire PS du IVe ar-rondissement de Paris, ndlr] a parléd'obscurantisme. C'est une vision pater-naliste et colonialiste. »

En face, Mrap, LDH et Liera ont dénoncéla manifestation «devenue violente» etappelé la préfecture à protéger le théâtreet les spectateurs. Dans un communi-qué distinct, le Mrap est allé plus loin enfustigeant «Z'attitudepour fe moins irres-ponsable de certains initiateurs de la ma-nifestation», estimant qu'ils avaient per-mis à des «groupuscules, dont le discoursressemble à la rhétorique développée parTribu K, organisation mcialiste, antisémitevioiente dissoute en 2006, de se remettreen scène». Une accusation que ne sup-porte pas Amandine Gay : «On nous de-mande toujours de montrer patte blanche.Pourquoi devrait-on rassurer sur le faitqu'il n'y apas de racistes et d'antisémitesdans nos rangs ? Je n'en sais rien et jem'en fous!»Parmi les opposants, le débat sur uneéventuelle interdiction n'est pas tran-che. Franco y est favorable : «Le chan-tage affectif sur la liberté d'expression, onne prend phts. L'esclavage, c'est un crimecontre i'humanité. On ne peut pas laisserpasser. » Louis-Georges Tin y est poursa part opposé, «parce que Bailey n 'estpas Zemmour et qu'Un 'est pas animé demauvaises intentions», ll espère néan-moins que d'autres spectacles sur des«figures noires combattantes» serontprochainement mis en scène. Une pro-position que plusieurs institutions cul-turelles ont accueillie favorablement.

SYLVAIN MOUILLARD