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Monsieur le Président, cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et, à vrai dire, je n’arrive pas à m’y résoudre tant je vous croyais averti de ce danger d’une rechute socialiste dans l’aveuglement national et l’alignement international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au point de s’en servir d’alibi pour justifier les injustices qu’elles commettent. Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui d’un militant dévoué à son parti, la SFIO, d’un dirigeant aux convictions démocratiques et sociales indéniables, qui finit par perdre politiquement son crédit et moralement son âme faute d’avoir compris le nouveau monde qui naissait sous ses yeux. C’était, dans les années 1950 du siècle passé, celui de l’émergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurs et impériaux, bref le temps de leurs libérations et des indépendances nationales. Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité. Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l'Égypte souveraine, aux côtés du jeune État d’Israël. Mollet n’était ni un imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres. Des autres qui, déjà, prenaient figure d’Arabes et de musulmans dans la diversité d’origines, la pluralité de cultures et la plasticité de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels s’invitaient de nouveau au banquet de l’Histoire, s’assumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et qui, selon le même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre qu’aujourd’hui encore, l’injustice européenne faite aux Juifs, ce crime contre l’humanité auquel ils n’eurent aucune part, se redouble d’une injustice durable faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement dans un État normal, aux frontières sûres et reconnues. Vous connaissez si bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà d’elle, pour toute la gauche de gouvernement, que vous l’aviez diagnostiquée vous-même, en 2006, dans Devoirs de vérité (Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été chèrement payée : vingt-cinq ans d’opposition, ce n’est pas rien ! » Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de l’extrême droite française éclipsée depuis la chute du nazisme et l’avènement d’institutions d’exception, celles d’un pouvoir personnel, celui du césarisme présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la SFIO, l’ancêtre de votre Parti socialiste d’aujourd’hui, « a perdu son âme dans la guerre d’Algérie ». Vous en étiez si conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au peuple algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se reproduise plus. » « Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous encore. Mais nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples : agissons-nous conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer nos principes ? Restons-nous fidèles à ce que nous sommes ? Ces questions doivent être posées à tout moment, au risque sinon d’oublier la leçon. » Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train d’oublier la leçon et, à votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes que vous avez accumulées face à cet énième épisode guerrier provoqué par

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  • Monsieur le Prsident, cher Franois Hollande, je naurais jamais pens que vous puissiez rester, unjour, dans lhistoire du socialisme franais, comme un nouveau Guy Mollet. Et, vrai dire, jenarrive pas my rsoudre tant je vous croyais averti de ce danger dune rechute socialiste danslaveuglement national et lalignement international, cette prtention de civilisations qui se croientsuprieures au point de sen servir dalibi pour justifier les injustices quelles commettent.

    Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui dunmilitant dvou son parti, la SFIO, dun dirigeant aux convictions dmocratiques et socialesindniables, qui finit par perdre politiquement son crdit et moralement son me faute davoircompris le nouveau monde qui naissait sous ses yeux. Ctait, dans les annes 1950 du sicle pass,celui de lmergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurset impriaux, bref le temps de leurs librations et des indpendances nationales.

    Guy Mollet, et la majorit de gauche qui le soutenait, lui opposrent, vous le savez, un dni deralit. Ils saccrochrent un monde dhier, dj perdu, ajoutant du malheur par leur enttement,aggravant linjustice par leur aveuglement. Cest ainsi quils prtendirent que lAlgrie devait toutprix rester la France, jusqu engager le contingent dans une sale guerre, jusqu autoriser lusagede la torture, jusqu violenter les liberts et museler les oppositions. Et cest avec la mmementalit coloniale quils engagrent notre pays dans une dsastreuse aventure guerrire Suezcontre l'gypte souveraine, aux cts du jeune tat dIsral.

    Mollet ntait ni un imbcile ni un incomptent. Il tait simplement aveugle au monde et aux autres.Des autres qui, dj, prenaient figure dArabes et de musulmans dans la diversit dorigines, lapluralit de cultures et la plasticit de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels sinvitaient denouveau au banquet de lHistoire, sassumant comme tels, revendiquant leurs fierts, dsirant leursliberts. Et qui, selon le mme rflexe de dignit et de fraternit, ne peuvent admettrequaujourdhui encore, linjustice europenne faite aux Juifs, ce crime contre lhumanit auquel ilsneurent aucune part, se redouble dune injustice durable faite leurs frres palestiniens, par le dnide leur droit vivre librement dans un tat normal, aux frontires sres et reconnues.

    Vous connaissez si bien la suite, dsastreuse pour votre famille politique et, au-del delle, pourtoute la gauche de gouvernement, que vous laviez diagnostique vous-mme, en 2006, dansDevoirs de vrit (Stock). Une faute, disiez-vous, qui a t chrement paye : vingt-cinq ansdopposition, ce nest pas rien ! Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance cetteoccasion de lextrme droite franaise clipse depuis la chute du nazisme et lavnementdinstitutions dexception, celles dun pouvoir personnel, celui du csarisme prsidentiel. Vingt-cinqans de pnitence , insistiez-vous, parce que la SFIO, lanctre de votre Parti socialistedaujourdhui, a perdu son me dans la guerre dAlgrie .

    Vous en tiez si conscient que vous ajoutiez : Nous avons encore des excuses prsenter aupeuple algrien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a t ne se reproduise plus. Nous nesommes jamais srs davoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation,criviez-vous encore. Mais nous devons, chaque moment majeur, nous poser ces questionssimples : agissons-nous conformment nos valeurs ? Sommes-nous srs de ne pas altrer nosprincipes ? Restons-nous fidles ce que nous sommes ? Ces questions doivent tre poses toutmoment, au risque sinon doublier la leon.

    Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hlas, vous tes en train doublier la leonet, votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautesstupfiantes que vous avez accumules face cet nime pisode guerrier provoqu par

  • lenttement du pouvoir isralien ne pas reconnatre le fait palestinien. Jen dnombre au moinssept, et ce nest videmment pas un jeu, ft-il des sept erreurs, tant elles entranent la France dans laspirale dune guerre des mondes, des civilisations et des identits, une guerre sans issue, sinon cellede la mort et de la haine, de la dsolation et de linjustice, de linhumanit en somme, ce sombrechemin o lhumanit en vient se dtruire elle-mme.

    Les voici donc ces sept fautes o, en mme temps qu lextrieur, la guerre ruine la diplomatie, lapolitique intrieure en vient se rduire la police.

    UNE FAUTE POLITIQUE DOUBLE DUNE FAUTE INTELLECTUELLE

    1. Vous avez dabord commis une faute politique sidrante. Rompant avec la positiontraditionnellement quilibre de la France face au conflit isralo-palestinien, vous avez align notrepays sur la ligne doffensive outrance et de refus des compromis de la droite isralienne, laquellegouverne avec une extrme droite explicitement raciste, sans morale ni principe, sinon lastigmatisation des Palestiniens et la haine des Arabes.

    Votre position, celle de votre premier communiqu du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pourjustifier une riposte isralienne disproportionne dont la population civile de Gaza allait, une fois deplus, faire les frais. Purement ractive et en grande part improvise (lire ici larticle de LenagBredoux), elle fait fi de toute complexit, notamment celle du duo infernal que jouent Likoud etHamas, lun et lautre se lgitimant dans la ruine des efforts de paix (lire l larticle de FranoisBonnet).

    Surtout, elle est inquitante pour lavenir, face une situation internationale de plus en plusincertaine et confuse. la lettre, ce feu vert donn un tat dont la force militaire est sanscommune mesure avec celle de son adversaire revient lgitimer, rtroactivement, la sur-ractionamricaine aprs les attentats du 11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre dinvasioncontre lIrak. Bref, votre position tourne le dos ce que la France officielle, sous la prsidence deJacques Chirac, avait su construire et affirmer, dans lautonomie de sa diplomatie, face laveuglement nord-amricain.

    Depuis, vous avez tent de modrer cet alignement noconservateur par des communiqus invitant lapaisement, la retenue de la force isralienne et au soulagement des souffrances palestiniennes.Ce faisant, vous ajoutez lhypocrisie lincohrence. Car cest une fausse compassion que cellefonde sur une fausse symtrie entre les belligrants. Isral et Palestine ne sont pas ici galit.Non seulement en rapport de force militaire mais selon le droit international.

    En violation de rsolutions des Nations unies, Isral maintient depuis 1967 une situationdoccupation, de domination et de colonisation de territoires conquis lors de la guerre des Six Jours,et jamais rendus la souverainet pleine et entire dun tat palestinien en devenir. Cest cettesituation dinjustice prolonge qui provoque en retour des refus, rsistances et rvoltes, et cecidautant plus que le pouvoir palestinien issu du Fatah en Cisjordanie na pas russi faire plierlintransigeance isralienne, laquelle, du coup, lgitime les actions guerrires de son rival, leHamas, depuis quil sest impos Gaza.

    Historiquement, la diffrence entre progressistes et conservateurs, cest que les premiers cherchent rduire linjustice qui est lorigine dun dsordre tandis que les seconds sont rsolus linjusticepour faire cesser le dsordre. Hlas, Monsieur le Prsident, vous avez spontanment choisi lesecond camp, garant ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.

    2. Vous avez ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antismitisme et

  • antisionisme. Ce serait saveugler de nier quen France, la cause palestinienne a ses gars,antismites en effet, tout comme la cause isralienne y a ses extrmistes, professant un racisme anti-arabe ou antimusulman. Mais assimiler lensemble des manifestations de solidarit avec la Palestine une rsurgence de lantismitisme, cest se faire le relais docile de la propagande dtatisralienne.

    Mouvement nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec laccord des Nations unies,URSS comprise, sous le choc du gnocide nazi dont les Juifs europens furent les victimes.Accepter cette lgitimit historique de ltat dIsral, comme a fini par le faire sous lgide deYasser Arafat le mouvement national palestinien, nentrane pas que la politique de cet tat soit horsde la critique et de la contestation. tre antisioniste, en ce sens, cest refuser la guerre sans finquimplique laffirmation au Proche-Orient dun tat exclusivement juif, non seulement ferm toute autre composante mais de plus construit sur lexpulsion des Palestiniens de leur terre.

    Confondre antisionisme et antismitisme, cest installer un interdit politique au service duneoppression. Cest instrumentaliser le gnocide dont lEurope fut coupable envers les Juifs au servicede discriminations envers les Palestiniens dont, ds lors, nous devenons complices. Cest, de plus,enfermer les Juifs de France dans un soutien oblig la politique dun tat tranger, quels quesoient ses actes, selon la mme logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes de France soutenir lUnion sovitique, leur autre patrie, quels que soient ses crimes. Alors quvidemment, onpeut tre juif et antisioniste, juif et rsolument diasporique plutt quaveuglment nationaliste, toutcomme il y a des citoyens israliens, hlas trop minoritaires, opposs la colonisation et solidairesdes Palestiniens.

    Brandir cet argument comme la fait votre premier ministre aux crmonies commmoratives de larafle du Vl dHiv, symbole de la collaboration de ltat franais au gnocide commis par lesnazis, est aussi indigne que ridicule. Protester contre les violations rptes du droit internationalpar ltat dIsral, ce serait donc prparer la voie au crime contre lhumanit ! Exiger que justicesoit enfin rendue au peuple palestinien, pour quil puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc.,normalement, en paix et en scurit, ce serait en appeler de nouveau au massacre, ici mme !

    UNE ATTEINTE SCURITAIRE AUX LIBERTS FONDAMENTALES

    Que ce propos soit officiellement tenu, alors mme que les seuls massacres que nous avons sous lesyeux sont ceux qui frappent les civils de Gaza, montre combien cette quivalence entreantismitisme et antisionisme est brandie pour fabriquer de lindiffrence. Pour nous rendreaveugles et sourds. Lindiffrence, la pire des attitudes , disait Stphane Hessel dans Indignez-vous !, ce livre qui lui a valu tant de mpris des indiffrents de tous bords, notamment parce quil yaffirmait quaujourdhui, sa principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, laCisjordanie .

    Avec Edgar Morin, autre victime de cabales calomnieuses pour sa juste critique de laveuglementisralien, Stphane Hessel incarne cette gauche qui ne cde rien de ses principes et de ses valeurs,qui nhsite pas penser contre elle-mme et contre les siens et qui, surtout, refuse dtre prise aupige de lassignation oblige une origine ou une appartenance. Cette gauche libre, Monsieur lePrsident, vous laviez convie marcher vos cts, vous soutenir et dialoguer avec vous, pourrussir votre lection de 2012. Maintenant, hlas, vous lui tournez le dos, dsertant le chemindesprance trac par Hessel et Morin et, de ce fait, garant ceux qui vous ont fait confiance.

    3. Vous avez aussi commis une faute dmocratique en portant atteinte une libert fondamentale,celle de manifester. En dmocratie, et ce fut une longue lutte pour lobtenir, sexprimer par saplume, se runir dans une salle ou dfiler dans les rues pour dfendre ses opinions est un droit

  • fondamental. Un droit qui ne suppose pas dautorisation. Un droit qui nest pas conditionn au bonvouloir de ltat et de sa police. Un droit dont les abus ventuels sont sanctionns a posteriori, enaucun cas prsums a priori. Un droit qui, videmment, vaut pour les opinions, partis et colres quinous dplaisent ou nous drangent.

    Lhistoire des manifestations de rue est encombre de dsordres et de dbordements, de violenceso se disent des souffrances dlaisses et des colres humilies, des ressentiments parfois amers,dans la contestation dun monopole tatique de la seule violence lgitime. Il y en eut douvrires, depaysannes, dtudiantes Il y en eut, ces temps derniers, dans la foule des manifestationsbretonnes des Bonnets rouges, cologistes contre laroport de Notre-Dame-des-Landes,conservatrices contre le mariage pour tous. Il y eut mme une manifestation parisienne auxbanderoles et slogans racistes, homophobes, discriminatoires, celle du collectif Jour de colre enjanvier dernier (lire ici notre reportage).

    Sil existe une spcialit policire dite du maintien de lordre, cest pour nous apprendre vivreavec cette tension sociale qui, parfois, dborde et o sexpriment soudain, dans la confusion et laviolence, ceux qui se sentent dordinaire sans voix, oublis, mpriss ou ignors et qui ne sont pasforcment aimables ou honorables. Or voici quavec votre premier ministre, vous avez dcid, envisant explicitement la jeunesse des quartiers populaires, quun seul sujet justifiait linterdiction demanifester : la solidarit avec la Palestine, misrablement rduite par la propagandegouvernementale une libration de lantismitisme.

    Cette dcision sans prcdent, sinon latteinte au droit de runion porte fin 2013 par Manuel Valls,alors ministre de lintrieur, toujours au seul prtexte de lantismitisme (lire ici notre position lpoque), engage votre pouvoir sur le chemin dun tat dexception, o la scurit se dresse contrela libert. Actuellement en discussion au Parlement, lnime loi antiterroriste va dans la mmedirection (lire l larticle de Louise Fessard), en brandissant toujours le mme pouvantail pourrduire nos droits fondamentaux : celui dune menace terroriste dont lvidente ralit estsubrepticement tendue, de faon indistincte, aux ides exprimes et aux engagements choisis parnos compatriotes musulmans, dans leur diversit et leur pluralit, dorigine, de culture ou dereligion.

    Accepter la guerre des civilisations lextrieur, cest finir par importer la guerre lintrieur. Cesten venir criminaliser des opinions minoritaires, dissidentes ou drangeantes. Et cest ce choixirresponsable qua demble fait celui que vous avez, depuis, choisi comme premier ministre, endsignant la vindicte publique un ennemi intrieur , une cinquime colonne en quelque sortepeu ou prou identifie lislam. Et voici que hlas, votre tour, loin dapaiser la tension, vous vousgarez en cdant cette facilit scuritaire, de courte vue et de peu deffet.

    4. Vous avez galement commis une faute rpublicaine en donnant une dimension religieuse audbat franais sur le conflit isralo-palestinien. Cest ainsi quaprs lavoir rduit des querellestrop loin dici pour tre importes , vous avez symboliquement limit votre geste dapaisement une rencontre avec les reprsentants des cultes. Aprs avoir rduit la diplomatie la guerre et lapolitique la police, ctait au tour de la confrontation des ides dtre rduite, par vous-mme, unconflit des religions. Au risque de lexacerber.

    L o des questions de principe sont en jeu, de justice et de droit, vous faites semblant de ne voirquexpression dappartenances et de croyances. La vrit, cest que vous prolongez lerreur tragiquefaite par la gauche de gouvernement depuis que les classes populaires issues de notre pass colonialfont valoir leurs droits lgalit. Il y a trente ans, la Marche pour lgalit et contre le racisme fut rabattue en Marche des Beurs , rduite lorigine suppose des marcheurs, tout comme lesgrves des ouvriers de lautomobile furent qualifies dislamistes parce quils demandaient, entre

  • autres revendications sociales, le simple droit dassumer leur religion en faisant leurs prires.

    Cette faon dessentialiser lautre, en lespce le musulman, en le rduisant une identit religieuseindistincte dsigne comme potentiellement trangre, voire menaante, revient refuser deladmettre comme tel. Comme un citoyen part entire, vraiment galit cest--dire la foissemblable et diffrent. Ayant les mmes droits et, parmi ceux-ci, celui de faire valoir sa diffrence.De demander quon ladmette et quon la respecte. Dobtenir en somme ce que, bien tardivement,sous le poids du crime dont les leurs furent victimes, nos compatriotes juifs ont obtenu : tre enfinaccepts comme franais et juifs. Lun et lautre. Lun avec lautre. Lun pas sans lautre.

    UN ANTIRACISME OUBLIEUX ET INFIDLE

    Si vous pensez spontanment religion quand sexpriment ici mme des insatisfactions et des colresen solidarit avec le monde arabe, univers o dominent la culture et la foi musulmanes, cestparadoxalement parce que vous ne vous tes pas rsolus cette vidence dune Francemulticulturelle. cette banalit dune France plurielle, vivant diversement ses appartenances et seshritages, qu linverse, votre crispation, o se mlent la peur et lignorance, enferme dans lecommunautarisme religieux. Pourtant, les musulmans de France font de la politique comme vous etmoi, en pensant par eux-mmes, en inventant par leur prsence au monde, ses injustices et sesurgences, un chemin de citoyennet qui est prcisment ce que lon nomme lacisation.

    Cest ainsi, Monsieur le Prsident, quau lieu dlever le dbat, vous en avez, hlas, attis lespassions. Car cette rduction des musulmans de France un islam lui-mme rduit, par le prismescuritaire, au terrorisme et lintgrisme est un cadeau fait aux radicalisations religieuses, dans unjeu de miroirs o lessentialisation xnophobe finit par justifier lessentialisation identitaire. Uneoccasion offerte aux gars en tous genres.

    5. Vous avez surtout commis une faute historique en isolant la lutte contre lantismitisme desautres vigilances antiracistes. Comme sil fallait la mettre part, la sacraliser et la diffrencier.Comme sil y avait une hirarchie dans le crime contre lhumanit, le crime europen de gnocidelemportant sur dautres crimes europens, esclavagistes ou coloniaux. Comme si le souvenir de ceseul crime monstrueux devait amoindrir lindignation, voire simplement la vigilance, vis--visdautres crimes, de guerre ceux-l, commis aujourdhui mme. Et ceci au nom de lorigine de ceuxqui les commettent, brandie la faon dune excuse absolutoire alors mme, vous le savez bien, quelorigine, la naissance ou lappartenance, quelles quelles soient, ne protgent de rien, etcertainement pas des folies humaines.

    Ce faisant, votre premier ministre et vous-mme navez pas seulement encourag une dtestableconcurrence des victimes, au lieu des causes communes quil faudrait initier et promouvoir. Vousavez aussi tmoign dun antiracisme fort oublieux et trs infidle. Car il ne suffit pas de sesouvenir du crime commis contre les juifs. Encore faut-il avoir appris et savoir transmettre la leonlgue par lengrenage qui y a conduit : cette lente accoutumance la dsignation de boucsmissaires, essentialiss, caricaturs et calomnis dans un brouet idologique dignorance et dedfiance qui fit le lit des perscutions.

    Or comment ne pas voir quaujourdhui, dans lordinaire de notre socit, ce sont dabord noscompatriotes dorigine, de culture ou de croyance musulmane qui occupent cette place peu enviable? Et comment ne pas comprendre qu trop rester indiffrents ou insensibles leur sort, ce lotquotidien de petites discriminations et de grandes dtestations, nous habituons notre socit toutentire des exclusions en chane, tant le racisme fonctionne la manire dune poupe gigogne,des Arabes aux Roms, des Juifs aux Noirs, et ainsi de suite jusquaux homosexuels et autresprtendus dviants ?

  • Ne sattarder qu la rsurgence de lantismitisme, cest dresser une barrire immensment fragileface au racisme renaissant. Le Front national deviendrait-il soudain frquentable parce quil aurait,selon les mots de son vice-prsident, fait sauter le verrou idologique de lantismitisme afin de librer le reste ? Lennemi de lextrme droite, confiait Mediapart la chercheuse qui a recueillicette confidence de Louis Aliot, nest plus le Juif mais le Franais musulman (lire ici notreentretien avec Valrie Igounet).

    De fait, la Commission nationale consultative des droits de lHomme (CNCDH), dont vous nepouvez ignorer les minutieux et rigoureux travaux, constate, de rapport en rapport annuels, unemonte constante de lintolrance antimusulmane et de la polarisation contre lislam (lire nosarticles ici et l). Dans celui de 2013, on pouvait lire ceci, sous la plume des sociologues etpolitologues quelle avait sollicits : Si on compare notre poque celle de lavant-guerre, onpourrait dire quaujourdhui le musulman, suivi de prs par le Maghrbin, a remplac le juif dansles reprsentations et la construction dun bouc missaire.

    Lantiracisme consquent est celui qui affronte cette ralit tout en restant vigilant surlantismitisme. Ce nest certainement pas celui qui, linverse, pour lignorer ou la relativiser,brandit la manire dun tendard la seule lutte contre lantismitisme. Cette faute, hlas, Monsieurle Prsident, est impardonnable car non seulement elle distille le venin dune hirarchie parmi lesvictimes du racisme, mais de plus elle conforte les moins considres dentre elles dans unsentiment dabandon qui nourrit leur rvolte, sinon leur dsespoir. Qui, elles aussi, les gare.

    6. Vous avez par-dessus tout commis une faute sociale en transformant la jeunesse des quartierspopulaires en classe dangereuse. Votre premier ministre na pas hsit faire cet amalgame grossierlors de son discours du Vl dHiv, dsignant la rprobation nationale ces quartiers populaires o se rpand lantismitisme auprs dune jeunesse souvent sans repres, sans conscience delHistoire et qui cache sa haine du Juif derrire un antisionisme de faade et derrire la haine deltat dIsral .

    Mais qui la abandonne, cette jeunesse, ces dmons ? Qui sinon ceux qui lont dlaisse ouignore, stigmatise quand elle revendique en public sa religion musulmane, humilie quand ellevoit se poursuivre des contrles policiers au facis, discrimine quand elle ne peut progresserprofessionnellement et socialement en raison de son apparence, de son origine ou de sa croyance ?Qui sinon ceux-l mmes qui, aujourdhui, nous gouvernent, vous, Monsieur le Prsident et,surtout, votre premier ministre qui rinvente cet pouvantail habituel des conservatismes questlquivalence entre classes populaires et classes dangereuses ?

    UNE JEUNESSE DES QUARTIERS POPULAIRES STIGMATISE

    Cette jeunesse na-t-elle pas, elle aussi, des idaux, des principes et des valeurs ? Nest-elle pas,autant que vous et moi, concerne par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple,comment pouvez-vous ne pas prendre en compte cette part didal, ft-il ensuite dvoy, qui pousseun jeune de nos villes partir combattre en Syrie contre un rgime dictatorial et criminel que vous-mme, Franois Hollande, avez imprudemment appel punir il y a tout juste un an ? Est-ce sicompliqu de savoir distinguer ce qui est de lordre de lidalisme juvnile et ce qui relve de lamenace terroriste, au lieu de tout criminaliser en bloc en dsignant indistinctement des djihadistes ?Le pire, cest qu force daveuglement, cette politique de la peur que, hlas, votre pouvoir assume son tour, alimente sa prophtie autoralisatrice. Invitablement, elle suscite parmi ses cibles leurpropre distance, leurs refus et rvoltes, leur rsistance en somme, un entre soi de fiert ou de colrepour faire face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. On finit parcrer un danger, en criant chaque matin quil existe. force de montrer au peuple un pouvantail,

  • on cre le monstre rel : ces lignes prmonitoires sont dmile Zola, en 1896, au seuil de sonentre dans la mle dreyfusarde, dans un article du Figaro intitul Pour les Juifs .

    Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre la place de lautre et qui, ducoup, comprennent les rvoltes, dsirs de revanche et volont de rsister, que nourrit un trop lourdfardeau dhumiliations avec son cortge de ressentiments. Monsieur le Prsident, je ne msestimeaucunement les risques et dangers pour notre pays de ce choc en retour. Mais je vous fais reprochede les avoir aliments plutt que de savoir les conjurer. De les avoir nourris, hlas, en mettant distance cette jeunesse des quartiers populaires laquelle, durant votre campagne lectorale, vousaviez tant promis au point den faire, disiez-vous, votre priorit. Et, du coup, en prenant le risque delabandonner dventuels garements.

    7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en empruntant le chemin dune guerre desmondes, lextrieur comme lintrieur. En cette anne 2014, de centenaire du basculement delEurope dans la barbarie guerrire, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y rflchir deux fois. Cet engrenage est fatal qui transforme lautre, aussi semblable soit-il, en tranger et,finalement, en barbare et cest bien ce qui nous est arriv sur ce continent dans une foliedestructrice qui a entran le monde entier au bord de labme.

    Jean Jaurs, dont nous allons tous nous souvenir le 31 juillet prochain, au jour anniversaire de sonassassinat en 1914, fut vaincu dans linstant, ses camarades socialistes basculant dans lUnionsacre alors que son cadavre ntait pas encore froid. Tout comme dautres socialistes, allemandsceux-l, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassins en 1919 sur ordre de leurs ancienscamarades de parti, transforms en nationalistes et militaristes acharns. Mais aujourdhui,connaissant la suite de lhistoire, nous savons quils avaient raison, ces justes momentanmentvaincus qui refusaient laveuglement des identits affoles et apeures.

    Vous vous souvenez, bien sr, de la clbre prophtie de Jaurs, en 1895, la Chambre desdputs : Cette socit violente et chaotique, mme quand elle veut la paix, mme quand elle est ltat dapparent repos, porte en elle la guerre comme la nue dormante porte lorage. Aujourdhuique les ingalits provoques par un capitalisme financier avide et rapace ont retrouv la mmeintensit qu cette poque, ce sont les mmes orages quil vous appartient de repousser, la placequi est la vtre.

    Vous ny arriverez pas en continuant sur la voie funeste que vous avez emprunte ces derniressemaines, aprs avoir dj embarqu la France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisquesans stratgie politique (lire ici larticle de Franois Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant lesouci du monde, de ses fragilits et de ses dsquilibres, de ses injustices et de ses humanits, quianime celles et ceux que le sort fait au peuple palestinien concerne au plus haut point.

    Monsieur le Prsident, cher Franois Hollande, vous avez eu raison daffirmer quil ne fallait pas importer en France le conflit isralo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer enguerre avec elle-mme. Mais, hlas, vous avez vous-mme donn le mauvais exemple en important,par vos fautes, linjustice, lignorance et lindiffrence qui en sont le ressort.