Panerai Philippe - Analyse Urbaine

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  • Avertissement Ce livre trouve son origine dans une recherche effectue en 1975 sous le titre Principes d'Analyse urbaine. Une premire prsentation compltant le texte initial t publie en 1980 sous le titre lments d'Analyse Urbaine aux ditions des Archives d'Architecture Moderne Bruxelles. Elle a fait l'objet d'une dition espagnole Madrid, MA L , 1983 L'ide d'entreprendre une nouvelle prsentation des questions concernant l'analyse des villes dpasse le simple projet d'une rdition actualise. Si elle rpond au souhait de rendre disponible un large public, notamment tudiant, un ensemble de rflexions qui peuvent guider l'observation, elle tente surtout de rendre compte de la complexit de la ville moderne. La poursuite de ce travail au-del des premires bauches, nous a conduit en effet replacer les villes historiques dans leur cadre actuel et aborder l'chelle mtropolitaine et l'clatement des tissus qui caractrise l'urbanisation rcente. Le texte a t largement repris, l'ordre des chapitres a t modifi et des chapitres nouveaux ont t introduits afin de correspondre ce nouveau projet L'illustration a t galement largement rorganise. Ce travail n'aurait pu exister sans la participation d'un assez grand nombre de personnes. Mes remerciements vont d'abord aux tudiants et aux enseignants de l'cole d'Architecture de Versailles qui furent les tmoins, les complices ou parfois bu contradicteurs, de ce parcours. Parmi eux il faut citer en premier Jean Castex avec qui les observations de la forme urbaine ont t engages ds 1966, avant mme l'aventure de la recherche et de l'enseignement. Je tiens ensuite exprimer ma gratitude Jean-Charles De Paule et Marcelle Demorgon dont les contributions figurent dans cet ouvrage. Grce leur prsence au Laboratoire et l'cole, l'architecture et les formes urbaines n'ont pas t coupe d'une rflexion plus vaste sur les territoires et sur les habitants qui les faonnent Promenades, voyages et dbats communs sont pour beaucoup dans mes intrts actuels. Et galement aux chercheurs du L A D R H A U S dont les travaux ont aliment de manire continue la rflexion sur les villes : Sawsan Noweir avec qui a t dvelopp depuis 1980 un ensemble d'observations et d'analyses sur la ville du Caire

  • particulirement stimulantes ; Yves Roujon et Luc Vilan qui l'occasion des cours de morphologie et de monographies de villes du Certificat d'tudes approfondies Villes orientales ont permis d'tendre les investigations ; David Mangin avec qui s'est prcise la question des dcoupages ; Henri Bresler infatigable analyste du tissu parisien dont les remarques toujours stimulantes ont lanc la rflexion sur des pistes nouvelles ; Anne-Marie Chtelet qui a particip plusieurs recherches o son sens de l'histoire ml au got des villes a fourni de nouveaux clairages sur le XIX sicle ; Richard Sabatier dont les travaux sur l'chelle territoriale ont contribu largir le champs, ainsi que Raymonde Couery qui a assur pendant des annes le secrtariat de notre laboratoire. Franoise Divorne avec qui a t conduit pendant plusieurs annes un sminaire sur les villes aurait pu retrouver ici l'cho de nos discussions. Parmi les responsables et les chargs de mission de la recherche la Direction de l'architecture il faut citer Claude Soucy qui aprs avoir accord sa confiance des chercheurs dbutants nous a permis, plusieurs reprises, de prciser et de dvelopper notre rflexion et Catherine Bruant qui a suivi nos travaux avec comprhension avant de rejoindre le LADRHAUS. Une place doit tre faite aux collgues des diffrentes coles et instituts dont les travaux et les intrts recoupent les ntres et avec qui les changes ont t toujours fructueux. S'il est impossible de les citer tous, je tiens mentionner particulirement : Georges Adamski Montral, Abdallah Boucena Constantine, Joan Busquets Barcelone, Carlos Eduardo Comas Porto Alegre, Alfonso Corona Martinez Buenos Aires, Hani El Miniawi au Caire, Sylvia Ficher Brasilia, Vittorio Gregotti Milan, Carlo Magnani Venise, Marco Massa Florence, Fayal Ouaret Stif, Fernando Perez Oyarzum Santiago du Chili, Marcel Pesleux Bruxelles, Manuel de Sola-Morales Barcelone, Tomas Spreechmann Montevideo, Francis Strauven Hasselt, Anne Vernez-Moudon Seattle et Attila Yucel Istanbul. Leur rencontre a t dcisive pour dpasser une vision hexagonale des phnomnes urbains. Je tiens enfin remercier tout particulirement mes collgues en-seignants et les tudiants du DEA : Le projet architectural et urbain . Le milieu stimulant qui s'est cr Belleville autour de cet enseignement n'est pas tranger la reprise de ce travail. Que soient galement remercis Laurence Marchand et Evelyne Catteau qui ont assur le secrtariat ainsi que Hlne Fernandez qui en a coordonn l'iconographie en ralisant pour cela un grand nombre de dessins originaux. Ses remarques toujours judicieuses m'ont permis de prciser bien des aspects de cette rflexion. Philippe Panerai

  • Introduction Connatre une ville n'est pas simple, surtout quand elle est vaste et que chaque poque est venue dposer sans trop de prcaution sa marque sur celle des gnrations prcdentes. Il faut alors d'abord reconnatre des diffrences. Ici, un lotissement qui efface tout l'tat antrieur, l l'inscription dans le parcellaire d'une enceinte disparue ; ailleurs, la persistance des chemins antiques sur lesquels sont venus s'implanter des faubourgs, ou la marque d'une occupation rurale: village englob, maisons de campagne, terroirs de vignoble ou de potager. Sur ces tracs qui s'additionnent, se superposent, entrent en conflit, s'interrompent et resurgissent, le bti se renouvelle et s'tend au gr d'une lente densification qui procde par excroissance, surlvation, dcoupage des jardins et comblement des cours ; ou par substitutions mineures, parcelle par parcelle selon une spculation encore modeste ; ou encore par vastes oprations quand un pouvoir fort ou un profit important en fournit l'occasion, jusqu' ce que l'histoire de quelques gnrations d'habitants en transformant son tour ce qui tait nouveau vienne une fois de plus brouiller les cartes. L'urbanisation de cette seconde moiti de sicle change encore plus radicalement le paysage ; le volume des constructions, leur mode d'implantation, les techniques utilises marquent une rupture. Les urbanisations rcentes semblent chapper la logique des villes traditionnelles, et par l mme dfier les moyens d'analyse qui permettaient d'en rendre compte. Face cette complexit, un premier but que pourrait s'assigner l'analyse urbaine serait d'aider comprendre, pour le simple plaisir d'une dcouverte, d'une comparaison, d'un dessin, d'une promenade. Mais ce premier objectif indispensable - pour comprendre les villes il faut les considrer avec plaisir -, se mle vite une autre ambition : participer modestement l'laboration d'une connaissance en mlant, de manire impure, l'approche historique, la gographie, le travail cartographique, l'analyse architecturale> l'observation constructive et celle des modes de vie. En affirmant l'importance du dessin comme un moyen de comprendre et de rendre sensible. En insistant sur la ncessit d'une accumulation. Ces quelques considrations peuvent justifier l'entreprise de poursuivre un travail engag il y a vingt ans. En vingt ans bien des choses ont chang. La crise conomique s'est installe de manire durable et la crise urbaine a chang de nature. Alors que l'expansion tous crins menaait les centres anciens, que les rnovations urbaines rasaient des quartiers entiers, ce sont maintenant,

  • parce qu'elles sont le plus directement touches par la rcession, les banlieues qui s'embrasent et les priphries qui inquitent. Mais si la question de la ville s'est dplace, elle n'a rien perdu de son actualit et la mise jour des outils qui permettent de la comprendre reste une priorit. Connatre la forme des villes, reconstituer leur histoire, c'est aussi orienter une manire de projeter. Si ce travail n'tablit pas directement une relation au projet, il n'chappe pas aux interrogations qui depuis dix ans ont accompagn la rflexion et l'exprience du projet urbain, et il participe d'un point de vue polmique : dnoncer avec autant de vigueur l'ignorance de la table rase que celle du mimtisme bon compte. L'ouvrage a t rorganis afin de correspondre davantage son objet : fournir quelques lments et mthodes pour saisir la ville actuelle. Les deux premiers chapitres introduisent la notion des Territoires (Marcelle Demorgon) sur lesquels la ville s'tablit et se dveloppe et des Paysages urbains qui en rsultent. Ils insistent sur l'importance du travail de terrain et des visions grande chelle. Un chapitre consacr aux phnomnes de Croissances fait plus directement intervenir l'analyse des tats successifs de la forme urbaine et s'apparente l'tude de la morphogense. Les lments constitutifs sont ensuite appr-hends partir de deux points de vue : les Tissus urbains , chelle inter-mdiaire o se mlent voies, parcellaires et btiments, les Typologies o se noue le dbat entre savoir architectural et savoir urbain. Deux chapitres enfin tentent chacun leur manire une conclusion. C Espace de la ville, tracs et hirarchies constitue un essai de synthse o les lments prcdents sont replacs dans un cadre plus global qui dpasse les seuls aspects morphologiques tandis que la pratique de l'espace urbain (jean-Charles Depaule) apporte une ouverture sur l'usage de la ville par ses habitants.

  • Chapitre 1 Territoires Gographie traditionnelle et approche

    fonctionnaliste du tissu urbain Imaginons que nous procdions un interrogatoire m questionnant d'abord ceux, les plus nombreux sinon tous, qui ne possdent (et ne recherchent) aucune des cls habituellement utilises par les spcialistes et thoriciens de l'espace urbain ; ceux qui ne savent pas qu'un code et donc qu'une manire de dcoder l'espace puissent mme exister ; ceux qui ignorent tout des types et de la typologie. Que vont-ils rpondre si on leur demande ce qu'ils voient dans le territoire de la ville ? A quels objets vont-ils spontanment faire allusion ? Quels objets vont spontanment retenir leur regard ? Les notations qui reviennent le plus frquemment concernent les immeubles et les rues. Les immeubles sont perus comme hauts on au contraire petits> luxueux ou pauvres, colors ou non (les tours de La Dfense sont noires, telle devanture de caf est rouge). Les rues sont, elles, dcrites comme bruyantes ou calmes, vides de commerces ou au contraire bien quipes. Il y a (ou non) des cinmas et des cafs. Les rues sont notes comme ennuyeuses ou laides et sales, voquant la pauvret. On remarque peu ou pas du tout l'architecture, mais seulement l'immeuble exceptionnel (par sa taille, la coloration des matriaux) ou le chantier de construction, les creux dans la continuit de la forme btie. Dans la rue, la prsence ou l'absence d'arbres frappent galement l'oeil de l'innocent promeneur. En rsum, le trac, notion abstraite, est remplac par la rue, espace concret, total et vivant. L'architecture n'est perue, sauf exception, qu'en tant que volume. Quant au sol, support du btiment, sa prsence n'est absolument pas mentionne. On peut, mutatis mutandis, questionner de la mme manire les divers traits ou ouvrages fondamentaux de gographie urbaine. L, objets d'tude des spcialistes des lieux , des analystes de l'espace comme les gographes se plaisent tre dfinis, les villes y sont dcrites successivement travers leur situation, leur site, leurs fonctions> leur plan et leurs extensions. L'chelle de rfrence est rsolument macroscopique et si l'on peut dire, par cela mme dterritorialise. C'est d'abord la prise en compte de l'espace physique, vu vol d'oiseau, comme d'aprs un plan gigantesque. Les chapitres de la

  • Gographie gnrale consacrs la description des paysages et des habitats ruraux, et ceux concernant la gographie des villes sont trs clairants cet gard. La plus large part est accorde aux fonctions urbaines, les villes tant le plus souvent classes selon leur fonction dominante. Dans le Trait de gographie urbaine de J. Beaujeu-Garnier 2, le livre second est pr-cisment consacr la description et la classification des grandes fonc-tions urbaines : fonction militaire, fonction commerciale, fonction industrielle, fonction culturelle, fonction d'accueil et fonction adminis-trative et politique. Lorsqu'on aborde enfin la structure interne de la ville ou de l'agglomration, c'est chaque fois la totalit de l'organisme urbain qui est analys. Si dcoupage il y a, il est bas sur de grandes entits : villes et banlieues, centre ville et priphrie, etc. Ces observations valent galement pour Pierre Lavedan, historien, qui, dans son ouvrage Gographie des villes 3 descend pourtant un niveau de description plus molculaire, puisqu'il analyse, dans les chapitres iv et v, outre la rue, la place et les jardins publics, les espaces libres privs et la surface btie. Le parcellaire, grand absent de ce type d'ouvrages, n'a-t-il donc aucune existence pour le gographe ? Pour quelles raisons les tracs, si fondamentaux pour comprendre la formation de l'espace urbain, ne sont-ils ici considrs que comme une simple grille dcoupant l'espace ? ceci nous rpondrons que nous n'avons jusqu'alors considr que les ouvrages les plus gnraux et non tous les ouvrages de gographie parus sur la ville, ni tous les gographes ayant crit sur elle. Car il y a des exceptions 4. . Mais l'absence, dans ces ouvrages choisis en rfrence> de considrations prcises sur les tracs et les parcellaires comme ordonnant l'espace urbain, nous semble trs significative d'un tat d'esprit couramment rpandu chez les gographes et qui correspond une lecture de l'espace urbain trop dcolle de la ralit. Traditionnellement, l'objet de la gographie est de rechercher des types. Le type seul est probant et se raccorde en sries [...]. Ce sont ces sries qu'il faut tudier et non l'exception ; elles seules ont une valeur gographique. [...] De l l'ide de la gographie gnrale que tout fait terrestre appartient un type dont les exemples peuvent s'expliquer partout de la mme faon 5. travers toutes les formes urbaines extrmement diversifies du monde habit, le gographe doit tre capable de discerner des constantes : choix du site, contraintes imposes par celui-ci, rle des grands axes structurants, grandes fonctions urbaines et leur traduction spatiale. Cette lecture gographique de l'espace urbain s'opre une vaste chelle. C'est tout le territoire urbain que l'on embrasse et que l'on essaie d'expliciter. Le niveau d'analyse le plus couramment utilis reste ici le quartier. On est bien loin d'une rflexion thorique ou d'une analyse concrte du parcellaire et de la

  • typologie_ du bti qui s'y insre 6. Celui-ci n'est pris en compte que trs globalement. Ainsi dans l'Atlas de Paris et de la Rgion Parisienne, les problmes de parcellaire ne sont que brivement abords (pp. 74 8o du volume de commentaires) propos des types d'habitations. La carte qui s'y rattache insiste plus sur la datation des btiments. La typologie de l'habitat n'y est qu' peine esquisse. On distingue essentiellement deux types d'habitations : les maisons historiques, bourgeoises et htels particuliers, l'immeuble collectif. A contrario, implique par le projet, la dmarche de l'architecte s'inscrit tout naturellement dans le cadre de la parcelle. Alors que pour le gographe, le parcellaire n'est que le support d'un bti, lui-mme support des fonctions qui seront en fait seules prises en compte, pour l'architecte, la parcelle, le parcellaire sont objets d'tude en eux-mmes. Est-ce dire que le gographe ne se proccupera pas du parcellaire ? S'il doit dfinir la morphologie d'un quartier, il sera> un moment donn de sa dmarche, contraint de se rfrer au parcellaire. Mais celui-ci sera pris dans sa globalit : tel quartier sera caractris par une proportion importante de parcelles en lanires, tel autre par un parcellaire larges mailles. De toute faon, le regard du gographe sur le parcellaire ne fera que l'effleurer. Car la constante de la vision gographique traditionnelle reste fonde sur la restitution d'un dcoupage diffrenci de l'espace urbain une chelle toujours plus vaste que celle utilise par l'architecte. On peut schmatiquement dire que le gographe tablit un dcoupage molaire de l'espace> l'architecte un dcoupage molculaire. Pour un regard gographique territorialis sur

    l'espace urbain Cette sorte de dichotomie signale, ci-dessus, entre un regard gographique, qui serait globalisant, et un regard architectural, qui serait particularisant, n'est peut-tre qu'une vue de l'esprit. En fait, dans la pratique pdagogique, professionnelle ou mme personnelle, ces diffrences d'approche apparaissent plus dogmatiques que relles et tendent s'effacer. En particulier, le gographe une fois sur le terrain, comme l'architecte, se trouvera confront au problme du parcellaire comme au bti que celui-ci supporte. Les occasions d'tre sur le terrain sont multiples. Simples promeneurs dans la ville, nous sommes attirs par des signes divers : l une faade du XVIII sicle, ici une devanture tout en verre et acier, ailleurs une boulangerie l'ancienne, avec ses panneaux peints sous verre. Beaucoup de petits commerces un endroit, aucun d'autres. Plus loin, la dsertique faade d'un immeuble de bureaux tout neuf. Au loin ou tout proche, contigu, un alignement haussmannien. Sans compter les invitables collages : immeubles placards, immeubles hiatus, immeubles en crote ; ou bien les interstices, les espaces l'abri, qu'on devine plutt qu'on ne les voit, les espaces autres : vastes porches ouvrant sur des cours paves, ou simple porte

  • d'immeuble urbain donnant accs un long couloir et, au bout, un autre espace, une cour cerne de btiments bas colls de hauts murs pignons. Sage rangement de maisonnettes jardinet et grilles en fer alignes le long des sillons que forment ruelles et passages le long de buttes ou plus saisissant encore, trac telle une respiration diffrente dans un lot trs dense bti en hauteur. Le regard s'attarde quelque peu sur les faades, des signes secondaires apparaissent : le dtail d'une porte en fonte, les cariatides d'un fronton, de dlicates moulures soulignant les balcons d'un dernier tage ou un crpi qui s'caille, une rue qui s'vase, une placette triangulaire plante d'arbres, des marches le long d'un trottoir, l'infinie varit des motifs. Promeneur, le gographe s'interroge. Comment comprendre cette multiplicit d'images diffrentes ? Quels principes ont l'origine organis ces espaces ? Quels principes les dfont ? N'y a-t-il pas malgr tout des permanences dans la forme matrielle et les activits de la ville, dans l'utilisation qu'en font les habitants, les passants ? Ou tout n'est il que transitoire et fait de successifs effacements ? Le gographe en promenade peut rver. Il voit des rues en pente qui incitent les gravir ou les descendre ; il voit d'troites rues affluentes vers de vastes artres principales qui tmoignent par leur trac, leur cadre bti, d'un ordre urbain diffrent. Dj, il peut sentir qu'au moins quelque chose le rattache un pass lointain et ne peut tre totalement aboli de la mmoire de la ville, et que prcisment ce sont les accidents au sol. Il faut encore monter pour aller la butte Montmartre ou sur la montagne Sainte-Genevive ou Belleville. Plus curieusement, il monte encore et redescend en suivant la rue de la Lune et la rue Beauregard entre le boulevard Bonne-Nouvelle et la rue Poissonnire. La Seine, le chemin d'eau des origines est encore capable de noyer les voies sur berges, et ainsi, et seulement ainsi, manifester de manire vidente sa prsence. Les bateaux-mouches n'y suffisent plus. Bas, haut, montes, descentes, le fleuve... autant d'lments de permanence. Il reste aussi parfois les noms des rues> puisqu'on a oubli le nom des glises. Une rue de Montreuil, la place de l'Etoile> la rue Montor-gueil, la rue de la Couture-Sainte-Catherine, la rue de la Folie-Mricourt, une rue de Flandre, une rue de Meaux et les saints faubourgs... De mme agissent comme rvlateurs de lieux les noms des stations de mtro. Enseignant, le gographe pratique encore le terrain. Mais dans ce regard institutionnalis, la simple immersion de soi-mme dans une ambiance urbaine ressentie ne suffit plus. Il devient ncessaire de trouver quelques cls possibles d'explication communicables d'autres. A ce moment, la tentation est grande de commencer la saisie du territoire urbain travers tout un arsenal de documents multiples : donnes statistiques l'lot ou la parcelle, cartes historiques, cartes actuelles portant sur les cos, les hauteurs de btiments> l'ge du trac des mies, etc. On peut dire que, sur ce point en particulier, les gographes sont

  • imbattables ! Or nous pensons qu'il est absolument obligatoire d'vacuer, dm un premier temps, un tel type de dmarche. La carte n'est pas le ter-ritoire. Commenons donc d'abord par regarder l territoire. Regarder le territoire n'est qu'apparemment chose facile. Nous privilgierons d'abord l'approche la moins spcialise possible. Dambuler le long des rues, s'asseoir la terrasse d'un caf, rvenir dans les mmes lieux, s'imprgner d'une ambiance, sans autre souci apparent que se faire plaisir et de laisser le temps (mme court) oprer une certaine osmose entre nous, spectateur, et le spectacle de la rue. Tout naturellement, ce nous semble - et peut-tre cela sera-t-il toujours trop tt -, l'on passera de ce regard gratuit un regard investigateur. Avec la ncessit d'utiliser un premier outil de travail : un carnet et un crayon. Et l'on notera l'endroit o l'on se trouve bien sr, Meure, le jour, la couleur du ciel, ce que l'on voit encore et encore. Dans cette matire vue, tout doit tre not en vrac. C'est une commodit, le tri viendra aprs. Cela permet de mlanger dans les notations ce qui est de l'ordre du cadre bti et ce qui relve de son utilisation : prsence ou absence de passants, quels passants, quels types d'activits et leur insertion dans le tissu... On n'hsitera pas dessiner, quel que soit notre talent de dessinateur: le dtail d'une ferronnerie, le dcoupage d'une porte, les huis-series d'une fentre ou leur agencement au droit d'une faade, les dcors qui animent celle-ci, un porche, les feuillages entr'aperus d'un arbre cach, les dbordements d'une vigne vierge par-dessus un mur (mme Paris, cela existe), les nons d'un caf... On accoutumera notre main faire toutes sortes de dessins : des vues les plus loignes, panoramiques , ce que nous appellerons des dessins-silhouettes, aux vues les plus proches, le dessin-dtail. Il s'agit avant tout de nourrir notre regard, de donner de la substance aux choses observes. Ce travail effectu, alors seulement on peut se servir de l'appareil de prise de vues, notre deuxime outil de travail. La photographie compltera autrement, mais utilement - cela va plus vite de faire une photographie qu'un dessin - le stock d'informations que l'on dsire engranger propos du territoire tudi. L aussi, on ne se bornera pas prendre des vues d'ensemble (enfilade de faades, section de rue par exemple) mais aussi des photos de gros plan : elles restitueront la matire d'un mur, la dlicatesse d'une mouluration, une opposition de couleur, le jeu dcoratif des matriaux d'une faade, etc. Connaissance concrte du terrain, dessins, photos. Nous avons d'abord pris conscience de la chair. Reste connatre le squelette, ou autrement dit ce qui structure la portion de territoire tudi. Nous pouvons utiliser prsent tout le matriel cartographique et statistique disponible, qui va nous permettre de dcouvrir l'existence possible de liens entre ces indices et le reste non tudi du territoire urbain.

  • Le terme indice que nous employons n'est pas choisi au hasard : signe apparent qui met sur la trace de... dit le Grand Larousse encyclopdique. Les traces que nous rechercherons, ce sont ici celles laisses par un ordre urbain ancien presque totalement effac, celles d'un nouvel ordre urbain, si ostensiblement visible qu'il peut d'ailleurs oblitrer la lecture de la ville. Le fil directeur qui continue guider le gographe dans cette dmarche, c'est bien toujours de raccorder un ordre urbain d'ensemble les morceaux parpills qu'il peut observer ici et l. Ainsi les cartes petite chelle lui permettront de comprendre quel grand type de trac urbain appartient telle ou telle section d'une rue tudie. Il n'est pas inutile de savoir que l'avenue des Ternes n'est qu'une portion du grand axe ouest-est de la capitale qui, avec des accidents divers, unit l'ancien Est-Royal (intra-muros et extra-muros) la route de Saint-Germain-en-Laye. Au mme titre, l'avenue du Gnral Leclerc s'inscrit le long de l'axe nord-sud allant de l'Italie la mer du Nord ; que la rue d'Avron est une section de la route de Montreuil Paris. Il comprendra mieux la configuration de l'actuel carrefour de la Croix-Rouge s'il sait que celui-ci marque la porte d'entre du territoire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prs. Ayant ainsi situ spatialement, l'chelle de la ville entire, et pourquoi pas de l'agglomration et au-del, la trame viaire du territoire tudi, le gographe consultera les cartes historiques. Examines successivement en remontant toujours plus loin dans le temps 8, elles permettent de resituer un niveau plus fin le rle jou diverses reprises par telle ou telle section de la voie : rue axiale de village ou de bourg, hors des barrires de la ville, puis rue principale d'un faubourg s'allongeant depuis une poterne de l'enceinte, ou joignant deux portes de deux enceintes successives, enfin voie intra-urbaine de desserte. Les cartes historiques vont permettre galement de localiser les points de cristallisation de la cit : abbayes et leurs enclos, glises, palais, etc. Ce n'est qu'en dernier ressort que l'an consultera les cartes parcellaires. -L encore, plus que la saisie molculaire, parcelle aprs parcelle, ce sont leurs sries assembles qui deviennent clairantes, surtout si on a la chance de possder des parcellaires qui restituent (en couleurs) la hauteur des btiments... Non seulement la scansion parcellaire y est apprhendable, mais aussi les volumes contrasts de l'espace bti et des creux entre : cours, appentis, venelles, passages, etc. Apparaissent alors au sein d'un ensemble urbain des sous-ensembles bien diffrencis. Ainsi distingue-t-on nettement dans la partie nord-ouest du Marais une configuration diffrente des lots, la masse d'un parcellaire plus serr compris entre la rue au Maire, au nord, et la rue Michel-le-Comte au sud ; lots et parcellaire qui se distinguent nettement la fois de ceux de la partie contigu au sud et ceux sis de part et d'autre de l'axe de la rue des Francs-Bourgeois. C'est la trace reste inscrite au sol de l'ancien bourg Saint-Martin.

  • Centre et priphrie, ville et banlieue ou de la ncessit de revenir sur

    quelques ides encore reues On peut prsent lgitimement se demander o veut en venir le gographe. La rponse est simple> sinon les moyens pour y parvenir : il veut se situer au croisement de deux approches typologiques. Celle, classique, de la gographie traditionnelle, qui consiste dcouper grands pans l'espace urbain considr et qui ne prend pas assez en compte les diffrenciations une micro-chelle. Celle qu'il juge son gr trop formelle des architectes et qui, l'inverse de la prcdente, s'appuie trop troitement sur des donnes trs localises sans restituer vritablement les liens qui rattachent la portion d'espace tudie au reste du territoire urbain, sous ses aspects tant historiques que spatiaux. On pourrait galement dire que le gographe se sent mal l'aise ds qu'on parle typologie. Ou plutt, la typologie lui semble tre utile un moment donn de sa dmarche, quand il s'agit de reclasser les informations recueillies en vrac. Mais en aucun cas elle ne peut tre considre comme le stade terminal d'une dmarche. En effet, ce que nous redoutons par-dessus tout, c'est l'aspect strilisant, rducteur, que peut avoir un mode d'emploi quel qu'il soit, sauf bien sr quand il s'agit de mdicaments. Et encore. Mais il s'agit ici d'apprhender le tissu urbain et nous voyons trop dans notre pratique professionnelle les ravages oprs par l'application sans comprhension d'une pense sur l'espace, de thories sur l'urbanisme, de la description systmatique des pratiques spatiales, labores par d'autres spcialistes. Les tudiants, nos tudiants en architecture, risquent d'en tre les principales victimes. les entendre ne plus parler que du cach et du montr, du propre et du sale, d'espace de rejet ou d'espace de reprsen tation, d'espace semi-public ou semi-priv, de blocage visuel, un vertige nous saisit. Ce n'est pas cela que l'on voit, et ce que l'on voit, nous avons le devoir de l'noncer autrement, avec des mots de tous les jours, sans hsiter employer des qualificatifs, des images, utiliser des descriptions les plus simples possibles, ce qui ne veut pas dire les plus neutres possibles. Nous rcusons ici le principe de l'apocope intellectuelle. S'il y a un apprentissage ncessaire, c'est celui qui doit se faire travers notre propre vision individuelle, sans autre recours dans un premier temps. Cela ncessite du temps, de la patience, des yeux dessills, une attitude modeste, une grande rceptivit. Aprs avoir vu, alors peut-tre pourrons-nous commencer savoir. Cela nous viterait peut-tre de tomber dans un certain nombre de piges, ou plutt d'a priori, sur l'organisation urbaine. Nous en citerons deux exemples. II est commun de parler, en ce qui concerne la ville intramuros, de centre et de priphrie. Le centre serait le lieu exclusif de la centralit 9, ou tout le moins certaines parties du centre. Car il ne peut y avoir de centralit dans la partie historique du centre ville. La centralit n'existe alors que dans la partie

  • commerante et d'affaires, lorsque celle-ci est dcale spatialement de la partie historique de la cit. l'oppos, point de centralit dans la priphrie qui se caractrise essentiellement comme ngatif du centre ville. Pourtant, il suffit de parcourir Paris pour penser diffremment. Comme le disait un jeune Qubcois qui visitait la capitale : Paris, c'est partout un centre . Il y a bien dans Paris de multiples centres et diverses centralits. C'est ce que nous avons pu dmontrer dans une tude sur la structuration de l'espace parisien travers ses noyaux commerciaux. Il s'est agi d'abord d'tablir l'existence de noyaux commerciaux, puis de caractriser ceux-ci travers les types de commerce qui y ont t implants et les autres fonctions urbaines qui s'y localisaient. On s'est trs vite aperu, la suite d'une analyse en composantes principales qui avait pris en compte une quarantaine de paramtres, que l'on dbouchait en fait sur une hirarchie fonde sur un double aspect de la centralit : - Une centralit que nous avons appele locale, qui rsulte d'une organisation interne de l'espace et qui dborde assez peu du noyau lui-mme. Elle s'exprime entre autres travers une forte densit de population rsidentielle, l'importance des commerces courants, leur petite taille, etc. - Une centralit qualifie d'extra-locale, car tourne vers un ensemble de territoires et de populations dpassant largement le cadre strict du noyau. Elle est caractrise par la masse des activits et des emplois (surtout tertiaires), l'importance des commerces exceptionnels, leur plus grande taille, la faible densit rsidentielle, etc. L'ensemble des noyaux commerciaux de Paris (216) ont t reclasss en fonction de deux types de centralit : - Trois classes pour les noyaux centralit locale (centres de quartier commerces diversifis, centres de quartier dominante de commerces courants, noyau de proximit). - Trois classes pour les noyaux centralit extra-locale ( trs large rayonnement, rayonnement rgional, centres de secteur). - Une dernire classe mixte (centres de quartier vocation largie) o les deux types de centralit interfrent. Par ailleurs, l'examen de la localisation gographique des types de noyaux dans le territoire parisien en fait clairement apparatre une structuration de l'espace parisien. Structuration qui dborde largement le cadre restreint de l'aspect commercial et exprime en fait la structure urbaine de base issue de l'histoire : la rive droite renferme plus de 67 % du total des noyaux (145 sur 216). La moiti ouest de Paris totalise l'intrieur de l'ancienne enceinte des Fermiers-Gnraux plus de 75 % des noyaux centralit extra-locale (37 sur 49). Le propos n'est pas ici de dmontrer le bien-fond de la mthode utilise, ni mme sa pertinence, mais de souligner que les rsultats obtenus ont

  • fait clater ce qu'avait de par trop dichotomique cette division de l'espace entre centre et priphrie. En fait, il s'agit plutt de pulsations dans le territoire de la rifle. l'image que donne un lectrocardiogramme des battements du coeur d' un patient est une succession de pics et d'-plats. Ainsi en est-il du tissu urbain. certains endroits, les noyaux sont comme des pics, des points forts dans lesquels se nouent des relations plus multiples qu'ailleurs, des systmes relationnels plus labors, et mme des configurations spatiales diffrentes, plus htrognes, donc plus conflictuelles et plus vivantes qu'ailleurs. Entre ces pics, un tissu plus homogne, des fonctions moins diversifies, au sein desquelles est dominante la fonction rsidentielle. On peut mme dire qu'au niveau du cadre bti et du parcellaire, les noyaux se distinguent du reste du tissu. C'est souvent dans leur primtre que l'on va rencontrer un parcellaire plus menu, des btiments plus bas. Souvent ax ou travers par les voies anciennes de la ville, le parcellaire d'origine s'y est en gnral mieux maintenu qu'ailleurs, tenu en quelque sorte par la permanence des activits qui s'y sont fixes (les types d'activits par contre peuvent eux changer), et plus gnralement par un effet de sdimentation historique qui les rend en quelque sorte plus attractifs . Le deuxime exemple, nous le choisirons dans l'habituel discours tenu sur la banlieue. Par rapport l'espace urbain intra-muros, la banlieue est qualifie de dstructure. C'est dire, qu' l'inverse, l'espace urbain intra-muros est, lui, structur. Il semble qu'il y ait l un glissement d'interprtation, une sorte de jugement implicitement positif vis--vis de la ville - cette dernire apprhende comme forme urbaine -, ngatif l'gard de la banlieue, considre comme amorphe. D'ailleurs la banlieue, comme les arrondissements priphriques de Paris, apparat dans bien des textes comme monstrueusement anormale : on parle de l'immense dsordre des banlieues t , de la banlieue comme masse de manoeuvre . C'est avec le mme mpris que sont dcrits tous les territoires qui n'appartiennent pas aux quartiers historiques de la capitale Finies les villes en crote, rpandues comme une maladie sur des dizaines de milliers d'hectares qui ne font qu'ajouter une paisseur et comme une moisissure au relief naturel. Certains vont admirer Paris depuis Montmartre et Chaillot avec les yeux du coeur ; mais mis part les monuments, les grandes ordonnances des pleins et des vides, et quelques quartiers harmonieux, le reste n'est qu'une crote amorphe, sans chaleur et sans esprit. Glissement d'interprtation, car l'on y confond forme urbaine et structure urbaine. Ce qui va primer dans le regard que l'on jette sur la ville, dans le fait que spontanment on la trouve volontiers structure (ou logiquement agence), c'est la densit et la continuit/ contigut de son cadre bti, diffrenci certes. Il y a les beaux quartiers (haussmanniens), les quartiers historiques (htels particuliers et maisons urbaines du XVIII sicle), les quartiers de faubourgs ou de villages qui s'grnent modestement - mais les maisons y restent jointives - le long des voies anciennes. La volumtrie semble ici rendre compte implicitement et elle seule d'une structuration.

  • Alors mme que le parcellaire n'y est plus du tout visible et que l'axe sur lequel il s'accroche n'y est plus peru gnralement dans sa dimension urbaine globale, mais au contraire comme simple tronon vertu locale. S'ajoute ces donnes, la forte expressivit des fonctions urbaines : Grands Magasins et autres vitrines commerciales, siges sociaux des banques, assurances et grandes socits. La prsence visible des grands quipements (gares, lyces, mairies, hpitaux, glises) donne encore plus de force cette vision structurante. Tout cet ensemble se traduisant travers une volumtrie encore plus ostentatoire. l'oppos, ce qui s'impose comme impression premire quand on chemine ou que l'on traverse la banlieue, c'est la vision de grands axes dcharns, alternativement fleuves en crue lorsque le jour les voitures les empruntent, ou au contraire vides asphalts la nuit. Sur ces axes principaux de banlieue, un cadre bti doublement discontinu. D'une part, discontinuit spatiale qui se traduit par une alternance de bti et de non bti, d'immeubles bas et d'immeubles hauts, d'alignements et de retraits. Cette discontinuit rend d'ailleurs encore plus visible le dcoupage parcellaire pratiquement oblitr dans la ville. Qu'il s'agisse d'un parcellaire rgulier perpendiculaire la voie, comme c'est le cas le plus frquent, ou, cas plus rare mais plus spectaculaire, d'un parcellaire en biseau par rapport la voie, rsultat de la surimposition d'une voie plus rcente sur un parcellaire lanir ancien. D'autre part, discontinuit fonctionnelle puisque s'y succdent dans un apparent dsordre : stations-services, garages, marchs de voitures d'occasion, supermarchs et hypermarchs, toutes sortes de discounts des boutiques, des pavillons, quelques immeubles urbains, des bars-tabacs, des terrains vagues, des usines et des entrepts, des jardins aussi. Ici et l une agence bancaire, un restaurant. Parfois une cole ou un bureau de poste, ou un commissariat. La liste n'est pas exhaustive de ces constructions le long de ces routes de banlieue. La varit mme des architectures de banlieue, la diversit des matriaux employs dans les constructions, le fait que les proprits sont souvent bordes de grilles, ou autres cltures, tout cela ajoute au caractre mouvant du tissu de banlieue, son potentiel d'innovation spontan d'adolescence. De la mme faon, le rapport entre hauteur du bti et largeur des voies (maisons basses et larges voies) rend encore plus modeste, plus fugitive et lgre, la sdimentation urbaine. C'est paradoxalement la succession des affiches et rclames gantes et colores jalonnant les grands itinraires routiers de banlieue, qui produisent une impression d'unit visuelle tout fait caractristique de ces grands axes. Sans oublier la ligne continue et galbe des hauts lampadaires de mtal, que l'oeil suit jusque dans le lointain. Lampadaires d'autant plus prsents qu'ils bordent souvent de larges trottoirs et semblent dpasser le fate des maisons.

  • C'est cette discontinuit, ces discontinuits, qui donnent aux grands axes de la banlieue ces allures de front pionnier, avec ce que Ma comporte de formes bauches, d'hsitations, d'indcisions, et les font tort qualifier de dstructures. La ville et son durcissement n'ont pas encore eu de prise. Tout et son contraire peut encore y arriver. C'est le lieu des possibles multiples. En un sens, c'est un souffle de libert qui y court. La banlieue meut. Ainsi, tracs et parcellaires sont-ils directement perceptibles dans le tissu de banlieue. Ainsi la structure mme de la banlieue est elle directement apparente. Elle est aussi clairement hirarchise : les grands axes, grandes voies de passage, seront les moins ossifis. moins que empruntant une route ancienne, ils soient jalonns par la traverse des anciens villages. Mais il suffit de les quitter, de bifurquer, et l'on se trouve aussitt soit dans les quartiers de lotissements issus de la grande mare du dbut du xx sicle, soit dans l'ancien coeur villageois, soit dans le quartier de la gare. Il nous faudra aller un peu plus loin pour trouver les grands ensembles contemporains. chaque fois, l'organisation spatiale et fonctionnelle est bien diffrencie de la prcdente, et trs clair le schma d'organisation. Dans l'ancien village, ce seront les petites maisons des paysans, vignerons, marachers ou artisans, qui les habitaient nagure, serres les unes contre les autres le long de la voie ancienne. Et quelques belles proprits. La mairie, l'cole, l'glise sont l, ainsi que le cortge des commerces quotidiens, plus ou moins nombreux selon le degr de vitalit du centre ancien, selon la prsence ou la proximit du quartier de la gare. Si celui-ci existe, il est en gnral dissoci du prcdent. Apparaissent alors le long de l'axe principal conduisant la gare, quelques grands immeubles urbains en pierre de taille ou en brique, des cafs et des restaurants, un ou deux htels, des villas bourgeoises et, en rangs serrs, des commerces plus exceptionnels. Les bureaux de La Poste s'y trouvent souvent implants. Quant aux quartiers de lotissements, leur physionomie est bien connue. Les pavillons de banlieue, par l'extrme diversit de leurs architectures, l'invention sans cesse renouvele des dcors des faades et des jardins, tmoignent peut-tre aujourd'hui, plus que tout autre difice construit pour et par l'homme, d'un extraordinaire ancrage. En ce sens, ils sont aussi riches de significations exprimes et invisibles que l'architecture vernaculaire. Ne sont-ils pas d'ailleurs eux aussi l'expression d'un vernaculaire qui serait suburbain ? Enfin, le quatrime et dernier paysage habit de la banlieue, c'est celui des grands ensembles. Construits la priphrie du pavillonnaire, le plus souvent sur les anciens plateaux craliers, ils y voisi nent parfois avec des morceaux, des lambeaux de campagne, champs cultivs, ou friches, en attente d'une future rocade ou autoroute, ou d'un nouvel ensemble. C'est l'ordre urbain global, d'tat, qui se traduit ici. C'est l'expression du grand courant volontariste et hyginiste d'organisation de l'espace. Les zi (zones industrielles) accompagnent les grands ensembles ; et les larges voies, le stade, les espaces verts et aussi, les commerces intgrs aux blocs d'immeubles, les suprettes, parfois un hypermarch. Pourtant on commence percevoir, mme ici, dans ces lieux o rien n'est pens en rapport l'histoire

  • lointaine ou proche du territoire communal, un dbut d'organisation, de sdimentation. Peut-tre est-ce d au fait que depuis vingt ans se sont succd, construits en juxtaposition, plusieurs sries de grands ensembles. L oeil peroit tout naturellement et simultanment les tapes ou stratifications successives. Dire que la banlieue est dstructure, c'est ne pas prendre en compte tous ces lments, c'est s'tre priv de la regarder, c'est avoir refus de considrer son existence. En conclusion, nous serions tents de dire que toute typologie n'est valable qu' condition d'tre dtruite. Ce qui nous conduit naturellement ne pas dfinir des lments d'analyse typologique sur les tracs et les parcellaires. Non pas que nous soyons opposs au bien-fond de telles analyses. Mais la diversit, la multiplicit, la constante volution des objets sur lesquels nous travaillons sont telles, que nous croyons la ncessit d'outils et d'approches multiples et que nous refusons tout systme d'analyse unique, fut-il raffin. Car la gographie humaine est une gographie de la vie, on ne saurait trop le rpter. Nous dcrivons et nous classons des objets matriels la surface de la terre : des maisons, des usines, des hameaux, des villes. Il faut que nous les dcrivions. Mais ce sont des formes vides et de vaines apparences aussi longtemps que nous n'aurons pas saisi la force qui les a cres, les ressorts de cette volont qui assemble ces maisons, ou les disperse, leur imprime la disposition que nous leur voyons, amne leurs changements. [ ... ] L'abus des classifications est cet gard infiniment dangereux. Sans doute les classements ont leur utilit, et nous ne nous ferons pas faute d'y recourir, d'en modifier d'anciens, d'en suggrer de nouveaux. Mais nous ne les regarderons jamais autrement que comme des instruments provisoires, sans leur confrer de valeur absolue. Une mditation de la vie : le sens du respect de la vie dans ce qu'elle a de changeant et d'imprvisible sont des dispositions ncessaires qui veut tre gographe 11. Par ailleurs, nous sommes quelque peu gns d'avoir utiliser des grilles d'analyse urbaine - avec ce que cela comporte de risques d'enfermement - rigoureuses certes, mais qui s'appuient, s'argu mentent et se nourrissent d'un vocabulaire qui, lui, reste encore trop flou. Les exemples en sont lgion et nous obligent nous rfrer sans cesse aux dfinitions extraites de grands dictionnaires et encyclopdies ; puis nous en dgager et fonder notre propre terminologie. Que de troubles intellectuels quant au choix du terme utiliser : sera-ce morphologie, ou forme urbaine, ou structure urbaine ? Que dire des axes structurants, des ples de croissance, des pntrantes, etc. ? En fait, c'est bien parce que la complexit de l'organisme urbain est telle qu'il devient impossible de le faire passer sans le distordre un tant soit peu, au travers d'un tamis smantique convenable. Enfin, les catgories de lecture de l'espace communment utilises des fins instrumentales, et bien qu'elles se parent d'une vture fonctionnaliste - ce qui dj est passablement rducteur - sont de sur

  • crot teintes de morale. II faut s'en dgager. Car en fait, ce vocabulaire porteur d'une morale implicite (le mot blocage, par exemple, dans blocage visuel ), lorsqu'il est utilis en dehors de la recherche fondamentale, risque de conforter des pratiques dont les buts vritables, ou les rsultats, sont l'oppos de ce qui est nonc. Mais peut-tre pourrait-on en dire autant de toute forme de vocabulaire ? A propos des tracs et des parcellaires que nous avons en quelque sorte choisi d'abandonner, nous nous contenterons de raffirmer seulement quelques principes leur gard. La parcelle, le trac, ne peuvent se dfinir l'un part de l'autre. C'est leur totalit qui doit tre considre. II n'y a ni support, ni support, mais des interrelations multiples qui ne sont en fait dissocies que lors d'interventions d'ordre spculatif. Tracs et parcelles ne doivent pas seulement tre regards, saisis, analyss dans leur seule dimension morphologique. Ils forment avec ceux qui les empruntent, y construisent, utilisent les btiments, une tram vivante. C'est pourquoi nous prfrons, une dmarche ordonne et classificatrice, les incertitudes et les perturbations d'un flot d'informations contradictoires, les motions mal analyses ou difficiles analyser, les interstices de clart, trop d'aveuglantes certitudes. Laissons-nous emporter, tre malmens par ces courants crateurs. Sachons trouver du plaisir tre ignorants.

  • Chapitre 2 Paysages urbains Du nous deux Paris N de Rastignac aux observations de Roland Barthes sur la tour Eiffel l, la contemplation de la ville comme un spectacle, comme un paysage qui s'tend nos pieds, possde une longue tradition. Tradition que les plans en relief, les perspectives cavalires et les vues vol d'oiseau, les panoramas et les cartes postales, les couvercles de botes et les globes enneigs alimentent en favorisant la diffusion d'images. Ainsi mme sans y avoir t, chacun connat la vue de Rome depuis la Trinit des Monts, d'Istanbul depuis la tour de Galata, de Barcelone depuis Monjuic, ou de Rio du haut du Corcovado (que l'on confond souvent d'ailleurs avec le pain de sucre). La vue est globale et l'observateur extrieur au spectacle. L'analyse pittoresque procde d'un autre point de vue ; l'observateur est dans la ville qui se prsente lui comme une suite de tableaux. La ville n'est plus apprhende partir d'un point fixe : le centre idal des schmas de la Renaissance ou le belvdre des promenades du XIX sicle, mais en introduisant le dplacement. Cette manire de voir a une histoire. Alain Corbin nous rappelle comment la dcouverte du paysage des ctes qui s'opre en Angleterre partir du XVIII sicle va de pair avec les dbuts de la gologie. La sensibilit nouvelle se marque dans les descriptions d'itinraires, les croquis, les notations, les collections, le got pour la peinture marine. La recherche des prospect views associes la promenade, la journe idale, gnre une nouvelle mcanique du regard z . Et depuis un sicle, le regard que nous portons sur les villes est faonn par les reprsentations que nous en donnent le cinma et la photographie, c'est--dire l'association de l'image et du parcours, de l'image et du temps. Aux instants suspendus de la peinture de la Renaissance ou du noclassicisme o des couples mythiques sont saisis dans un instantan ternel, aux scnes calmes de la vie quotidienne, aux poses organises et aux processions lentes ont succd d'autres rythmes et d'autres chelles. L'image du mouvement depuis la dcomposition photographique du cheval au galop (Muybridge, 1878) jusqu' l'arrive du train en gare de La Ciotat (Lumire, 1895), puis l'image en mouvement avec les premiers travellings de Lumire sur les canaux de Venise (1896). L'mergence de cette manire de voir rendue possible par les progrs techniques va de pair avec le dveloppement de la vitesse : chemin de fer, avion, automobile et avec l'extension/explosion des agglomrations. La peinture depuis Le nu descendant un escalier (Duchamp) qui semble bien constituer la version cultive de La marche de l'homme (Marey, 1887, dcomposition photographique), la littrature ou le cinma rendent bien compte de cette ralit nouvelle. Ils en rendent compte de

  • deux manires : par le nouveau point de vue qu'ils donnent des centres anciens et par les paysages nouveaux qu'ils dcouvrent. Nous ne pouvons plus penser Paris sans Renoir, Carn ou Bertolucci, New York sans Woody Allen, Rome sans Fellini, Le Caire sans Chahine. Mais le cinma nous a aussi rvl ces tranges entre-deux o la ville se dilue dans le territoire, depuis Mamma Roma jusqu' Easy Rider ou Bagdad Caf, de jean Vigo Wim Wenders. Cette apprhension de la ville partir du mouvement a mme trouv un dbut de lgitimation dans les sciences humaines 3. Plus prs de l'architecture, et si l'on ne remonte pas aux considrations de l'abb Laugier sur les promenades et les entres de villes 4, on peut voir dans l'analyse de l'Acropole d'Athnes que fait Auguste Choisy une remarquable introduction du mouvement et du paysage qui en rsulte : Ainsi se sont succd trois tableaux correspondant trois points de vue principaux A, B et C. Et dans chacun d'eux un seul monument a domin 5. La question semble dans ce dbut de sicle passionner les auteurs. Raymond Unwin analyse les tableaux urbains de la petite ville allemande de Buttstedt en se rfrant Camillo Sitte 6. Celui-ci ds 1889 a tudi les variations des paysages dans la succession des places qui caractrisent les villes mdivales. On remarquera d'ailleurs que dans l'dition franaise traduite et complte par Camille Martin, les vues de villes ont t redessines selon le mme graphisme alors que les ditions allemandes antrieures mlangeaient gravures, dessins et photographies. L'impression d'homognit qui en ressort favorise les comparaisons et la constitution d'une sorte de lexique du pittoresque . Choisy except, ces architectes ont en commun de relier dans une oprationnalit immdiate l'analyse et le projet. Hritiers de Ruskin et de Pugin ils voient dans l'enlaidissement des villes et dans l'uniformisation du paysage urbain le symptme d'un mal social qu'il faut corriger. Et l'introduction du pittoresque dans le projet se pare de vertus thrapeutiques. Largement dveloppe dans les cits-jardins la mise en scne du pittoresque urbain n'est pas exclue des ralisations du mouvement moderne. Bruno Taut ou Ernst May y recourent dans la composition de leur siedlungen en s'appuyant sur l'amnagement des jardins. Puis insensiblement le paysage urbain se dissout dans l'espace vert, domaine du paysagiste. Les architectes n'en parlent plus. Il faut attendre les annes soixante, la crise des CIAM et les premires remises en question des plans masses hrits de la Charte d'Athnes pour renouer le fil. Bacon notammeat rintroduit l'ide d'une composition lie au cheminement 7. Cheminement, le mot fait fureur, il voque aussi bien les rues pitonnes des centres anciens avec leurs petits pavs de bon got, que les alles paysagres des grands ensembles. Il suppose une socit libre et heureuse.

  • Mais c'est Kevin Lynch qui avec son premier livre paru en 1960 The Image of the City, refonde la lgitimit de l'analyse visuelle. Inquiet des changements rapides que connaissent les villes amricaines et de h perte d'identit qu'ils entranent, il s'interroge partir de trois exemples : Boston, Jersey City et Los Angeles. Influenc par Gyorgy Kepes et travers lui par l'exprience du Bauhaus et les thories allemandes de l'analyse de la forme g, Lynch propose d'identifier dans la ville des lments qui se combinent pour former l'image globale et il s'interroge sur les qualits de lisibilit, #identit et de mmorisation de cette image par les citoyens. L'analyse n'est pas exempte de proccupations lies au projet et un chapitre est consacr des recommandations pour le dessin de la ville ou de ses lments.

    Les lments du paysage urbain Une fois leve l'ambigut due la confusion entre les moyens spcifiques des analystes (architectes, urbanistes) et la perception de la ville par ses habitants, c'est encore l'ouvrage de Kevin Lynch qui fournit le meilleur outil pour une analyse globale, le meilleur parce que simple. Nous reprendrons ici assez librement ce qui concerne l'identification des lments marquants du paysage urbain. Les parcours (paths) : le terme nous semble prfrable celui de cheminement souvent utilis et gnralement connot dans un sens la fois favorable et pittoresque 9. Or le parcours n'est pas seulement la succession de pripties touristiques qui assaillent le promeneur entre la place Saint-Marc et le pont du Rialto, c'est dans des espaces plus ordonnancs ou plus banals, telle portion de rue ou de boulevard qui forme un itinraire important. Leur identification permet une premire approche du paysage urbain qu'il est intressant de comparer ce que nous rvle l'tude de la croissance. On observera ce propos que les parcours principaux empruntent souvent les voies les plus anciennement traces.

  • Deux remarques: - Les parcours, du moins leurs parties fortement identifies, ne sont pas forcment continus et raccords les uns aux autres ; des zones floues subsistent, qui rvlent souvent des ruptures historiques dans l'urbanisation. ------ Bien qu'il soit possible de hirarchiser des parcours, il semble prfrable de ne retenir que ceux qui s'imposent avec une certaine vidence (par contraste avec les autres voies) et prsentent une dfinition continue sur une bonne distance. Les noeuds (nodes) : ce sont des points stratgiques dans le paysage urbain, soit convergence ou rencontre de plusieurs parcours, soit points de rupture ou points singuliers du tissu. Comme celle des parcours, leur identification ne recoupe pas obligatoirement la reconnaissance d'lments morphologiques simples, d'espaces clairement dfinis ; elle ne se confond pas non plus avec le reprage d'un lieu dfini exclusivement partir de critres d'usages ou de donnes symboliques. On mesure bien l toute la difficult de l'approche visuelle qui relve la fois d'une analyse objective des formes et des dispositions, et d'une perception dans laquelle le vcu social n'est jamais absent. Le secteur (district) : c'est une partie du territoire urbain identifi globalement. Un secteur peut correspondre une zone homogne du point de vue morphologique (constitu par une variation sur un type ou sur des types voisins) ou, au contraire, une zone htrogne. Il peut prsenter une ou plusieurs limites nettes (bordures identifies) ou se terminer par des franges diffuses. Il peut englober des parcours et des noeuds ou se situer l'cart. II peut, au plan de la pratique urbaine, recouvrir la notion de quartier ou proposer un dcoupage totalement diffrent. C'est pourquoi la traduction qui est propose le plus souvent de district par quartier nous semble tre une source de confusion. Notons enfin que, dans une ville, seuls certains secteurs sont nettement identifis, entre eux subsistent des flous, des lacunes, des vides.

    Les limites (edges) : ce sont les bordures caractrises des secteurs, marquant visuellement leur achvement. Elles peuvent tre constitues par une coupure dans le tissu : boulevard, parc> canal, viaduc, voie ferre ; par un changement typologique dans le bti ; par une rupture du relief, etc. Souvent, les limites se confondent avec les barrires de croissance (anciennes ou actuelles), ce qui est logique dans la mesure o celles ci ont t des lments marquants dans la formation du tissu. Les repres (landmarks) : ce sont gnralement des lments construits, btiments exceptionnels, monuments ou partie de monuments, dous d'une forme particulire qui facilite leur identification. Mais une place, un carrefour, un square, un pont, un chteau d'eau ou une montagne constituent aussi des repres. Ils peuvent jalonner un parcours, marquer un noeud, caractriser un secteur, ou aussi bien tre isols l'cart des zones identifies. Ils peuvent galement se combiner entre eux dans un systme monumental ou pittoresque. Cette premire classification a t complte et dtaille ultrieurement par Kevin Lynch dans The View from the Road Avec

  • l'introduction de la vitesse et la prise en compte du paysage suburbain des grandes villes amricaines, Lynch inaugure ici une srie de rflexions qui, curieusement sont restes longtemps sans cho. La dernire partie de ce chapitre tente d'amorcer un prolongement en appliquant l'analyse visuelle la grande chelle des agglomrations actuelles. Nous voudrions insister sur l'aspect trs relatif de ces catgories, redire que l'analyse visuelle reste lie des perceptions qui varient avec l'analyste, souligner le danger qui consiste (souvent dans les dbuts) inventer des lments ou en exagrer l'importance. Analyse squentielle L'identification des lments qui constituent le paysage ne se conoit, c'est l'intrt de cette approche, que dans une analyse directe, sur le terrain. La ville y est apprhende de l'intrieur par une succession de dplacements. Cette faon de procder, o la ville n'est plus seulement une vision panoramique, vol d'oiseau ou en plan avec un point de vue proche de l'infini, ne nat pas avec Lynch ; elle est lie au dveloppement des nouveaux modes de transport (la vitesse, on l'a vu, incite porter un nouveau regard sur l'espace), et surtout elle emprunte largement aux nouvelles formes de reprsentation de l'espace qui naissent avec les dcouvertes scientifiques. la fois unit smantique et dcoupage technique, la notion de

    squence visuelle est directement issue du cinma. Applique l'architecture et la ville, l'analyse squentielle permet d'tudier les modifications du champ visuel d'un parcours. Elle rinterprte en l'appliquant l'espace urbain les outils d'analyse proposs par les historiens de l'architecture marqus par la Gestalt, notamment le couple parcours/but et le concept de succession spatiale (Raumfolge) emprunts Dagobert Frey 11. Pour un observateur progressant selon une direction dtermine, un parcours, ou quelque trajet que l'on aura dcid d'tudier, peut se dcouper en un certain nombre de squences, chacune constitue par une succession de plans dans lesquels le champ visuel est dtermin d'une faon constante ou subit des modifications minimes. Chaque plan est susceptible d'tre caractris. Le passage d'un plan l'autre peut tre dcrit. Bien qu'attach presque exclusivement l'tude des paysages urbains pittoresques antrieurs ou trangers l'urbanisme baroque, l'ouvrage d'Ivor De Wolfe, The Italian Townscape 12, fournit un point de dpart intressant pour l'analyse des diffrents plans d'une squence, condition de le complter afin de pouvoir rendre compte des paysages divers qui composent la ville moderne.

  • L'ide consiste isoler et reconnatre dans une squence des tableaux qui sont, si l'on veut, des dispositions schmatiques et codifies du paysage, et les nommer. On pourra partir de donnes assez gnrales : - symtrie/dissymtrie - dfinition latrale/dfinition centrale - ouverture/fermeture - convexit/concavit puis prciser la dfinition des parois latrales : - dcoupage vertical ou horizontal, crans profils, ondulations - relation entre les deux faces - dfrence/indiffrence/comptition tudier leur rle dans l'acheminement vers le point de fuite et au-del : - rtrcissement, tranglement ou effet de coulisses - mise en valeur franche ou drobe - dflexion ou renvoi - bornage enfin, chercher caractriser la clture frontale du champ visuel : - diaphragme et cadrage. Pour dfinir plus prcisment les plans , on pourra complter cette approche en adaptant une partie des outils proposs dans The Views from the Road. Une fois caractriss les diffrents plans, la question qui se pose est celle de leur enchanement, c'est--dire de la cons-titution des squences. Le passage d'un plan l'autre peut se faire de manire continue et progressive, avec superposition de deux plans dans une partie du parcours. II peut, au contraire, tre une succession de ruptures entra nant une modification complte du champ visuel en l'espace d'un dplacement (donc d'un temps) minime que l'on considrera comme nul. On concevra bien que ce que nous sommes accoutums considrer comme pittoresque est d l'accumulation de plans diffrents avec des ruptures assez fortes sur une distance relativement courte, tandis que les effets monumentaux procdent davantage de successions assez lentes (outre les caractristiques de symtrie, d'axialit et de bornage propres certaines poques). Si le dcoupage en plans et leur enchanement sont relativement aiss dcrire, leur regroupement dans des units plus importantes, les squences, doit tre considr comme une commodit pour l'analyse d'un parcours et ne peut faire l'objet d'indications aussi prcises. Cependant, quelques considrations peuvent clairer la notion de squences et aider les construire.

  • On peut regrouper une suite de plans lis au mme objet; les repres et les monuments jouent alors un rle primordial et la squence se dfinit partir d'eux: squence d'approche, squence d'accs. Il faut noter galement l'importance que peuvent prendre des repres trs loigns. On peut aussi regrouper les plans en fonction de leur parent et introduire des coupures au moment o l'on passe d'une famille de plans une autre ; la prsence d'indice ou d'un repre mineur favorise parfois la dtermination de la coupure. Le passage d'une squence la suivante peut se faire pro-gressivement par quelques plans qui appartiennent aux deux squences et offrent une zone de superposition. Il peut se faire plus brutalement par un seul plan commun, bref, jouant le rle de disjoncteur. Parfois, la succession des plans s'acclre ou se ralentit et contribue la mise en valeur des espaces ou des lments situs en fin de squence. Quand ces pripties du champ visuel s'accompagnent de dclivits et de mouvements de terrain qui modifient le rythme de la progression, il se produit un vritable suspens , une mise en scne sollicitant plusieurs sens. Telle est par exemple l'approche de nombreuses glises de plerinage (Conques, Vzelay) o tout est mis en oeuvre pour frapper l'imagination (il faudrait faire intervenir galement ici les squences l'intrieur de l'difice> apprcier le rle de la lumire et les modifications de l'clairage, noter les sensations de fracheur et les sonorits, etc.). Au contraire, la progression peut se faire sans pittoresque , l'issue de la squence tant connue de loin et mise en scne dans une lente progression o les modifications du champ visuel amplifient les effets monumentaux (Versailles, Saint-Pierre de Rome). Une dernire remarque s'impose. Le dcoupage en plans et en squences opr selon une direction n'est le plus souvent pas rversible. La comparaison des dcoupages obtenus partir d'un mme parcours effectu dans les deux sens (aller et retour) met en vidence les lments importants, ceux qui jouent un rle dans les deux cas, et permet de saisir la subtilit de certaines configurations. Du pittoresque urbain l'chelle mtropolitaine Retrouver la pratique du terrain, identifier les lments du paysage et les organiser en squences, associer l'observation directe, le croquis, la photographie, la vido, le schma et l'analyse cartographique constitue une manire d'apprhender la ville. Ce n'est pas seulement une affirmation du visible mais une lecture de diffrents points de vue qui fait intervenir le mouvement de l'observateur. Ce mouvement n'est pas dissociable aujourd'hui des modes de transport rapide qui se sont dvelopps dans les villes ni des territoires que ces nouveaux modes ont engendrs. Pourtant l'architecture et l'analyse urbaine donnent l'impression de buter sur une grande difficult pour s'en saisir. Malgr les tentatives du Bauhaus et les propos autour de l'espace-

    temps 13, l'architecture reste encore dans le bon got du centre ville et des ensembles identifis (grands ensembles, rnovations, villes nouvelles) mme si

  • s'y mlent manirisme postmoderne et provocation high-tech. Et les remarques polmiques de Venturi partir du strip de Las Vegas ont davantage confort un nouveau formalisme que suscit un rel intrt pour le paysage des grandes routes l'approche des agglomrations. Pourtant, l'analyse urbaine ne peut plus aujourd'hui se cantonner dans les centres anciens et les tissus constitus et faire l'conomie d'une rflexion sur la grande chelle mtropolitaine ; et avec la difficult qui consiste apprhender des territoires trop vastes pour que les mthodes traditionnelles puissent y tre appliques confortablement. Comment en effet saisir des entits qui nous chappent ? Comment rendre compte de cette succession de zones pavillonnaires, d'enclaves industrielles, de friches et de grands ensembles, d'changeurs et d'hypermarchs qui constituent les priphries des grandes villes ? Il faut s'accoutumer des visions fragmentaires, perdre l'illusion de tout voir, accepter l'embouteillage et l'impossibilit de s'arrter. Mmoriser ce que l'on n'a gure eu le temps que d'entrevoir. Reprer et retrouver, lire les cartes routires, savoir s'arrter, procder par chantillons sans perdre une vision globale. La mthode est inconfortable, loin des corpus bien dlimits et des rfrences assures. Quelques pistes pourtant peuvent tre indiques. Le reprage des grands axes routiers Souvent tablis avant l'urbanisation et hritiers des chemins et des grandes routes anciennes (en France les routes royales), ils structurent de fait les priphries. Depuis Lynch et Venturi peu de travaux sont venus apporter de nouveaux lments cette approche 14 hormis les interrogations qui, partir des problmatiques de projet, tentent une saisie pralable l'action. La lecture du paysage peut ici s'organiser en trois niveaux successifs : - Le paysage immdiat, celui qui constitue la voie et ses bordures analys partir des variations du champ visuel (Lynch), des lments symboliques (Venturi), des concentrations d'activits (Demorgon). L'analyse peut mler des observations intuitives : se laisser guider par ce qui frappe, et des observations systmatiques par exemple un tat des lieux chaque kilomtre dans un sens puis dans l'autre, un reprage de tous les carrefours, une notation prcise des bordures (Sarrazin). - Le territoire peru ; parfois limit la voie elle-mme, btie ou plante, impermable au regard, le paysage de la route fait intervenir d'autres moments des lments lointains, btis ou non, parmi lesquels se dtachent des repres : villages, monuments, collines ou lignes de crte, bosquets isols, chteaux d'eau, lignes de haute tension, usines ou grands ensembles qui s'incorporent au spectacle immdiat tout en renvoyant un ailleurs. - Le territoire historiquement constitu, en croisant l'approche visuelle et connaissance concrte du terrain qu'elle procure avec une lecture/ interprtation des donnes historiques, cartographiques en

  • premier lieu. Il s'agit alors non plus seulement de s'intresser telle ou telle route qui structure une partie de l'agglomration mais de s'interroger sur la manire dont celle-ci s'organise en systme et de retrouver dans les occupations actuelles les traces et les consquences de l'histoire. Coupures et infrastructures techniques Dans les centres anciens on a gnralement pris le temps et la prcaution d'urbaniser les grandes infrastructures techniques: Beaucoup sont enterres (gouts, mtro, rseaux divers), certaines sont incorpo res au bti qui les dissimule dans les profondeurs du tissu (on pense aux voies ferres), quelques-unes ont acquis un statut de monument (les aqueducs romains) ou combinent efficacit technique et embellissement (canaux, rservoirs, fontaines). Dans les priphries, elles ressortent avec une violence vidente, crant des effets de coupure. Cette violence provient de la confrontation non ngocie de deux chelles : celle territoriale des infrastruc tures, celle locale du bti courant. Le reprage des premires, la comprhension de leur logique (une voie ferre, un canal, une conduite, obissent des contraintes gomtriques qui ne s'embarrassent gure des dispositions parcellaires et du maillage des chemins existants) sont un des moyens de saisir le jeu souvent conflictuel entre les diffrentes chelles qui se superposent dans les banlieues et marquent d'une manire ngative leur dpendance vis--vis des centres. Rapports l'infrastructure qu'ils supportent et qui, elle aussi, organise le territoire, un pont, un talus ou un tunnel qui apparaissent comme des coupures dans le paysage prennent alors un autre sens et deviennent des lments-clefs pour la comprhension du territoire. Enclos, enclaves et isolats La superposition des chelles dans les priphries des villes se traduit galement par la soustraction de grandes parties du territoire sous forme d'enclos souvent inaccessibles et qui s'organisent de manire autonome. Gares de triage, aroports, camps militaires, ports, grandes usines occupent des terrains vastes parfois aussi ou plus tendus que le centre lui-mme. Si le fait n'est pas nouveau (que l'on pense aux couvents et aux domaines aristocratiques autour des villes anciennes, aux premires usines avec la rvolution industrielle) les dimensions le sont et leur ampleur nous dsaronne car ces enclaves apparaissent comme des isolats o toutes les mthodes de lecture prouves chouent. Et d'abord parce que l'accs et la circulation y sont contrls : il est impossible de circuler pied dans un aroport ou une grande usine ou d'en faire le tour en voiture. Leurs limites mmes sont difficiles cerner autrement que par . fragments et seulement dans quelques cas favorables. Mais aussi parce que leur distribution interne obit une logique particulire gnralement organise partir d'un seul point de vue li une contrainte technique ou fonctionnelle dominante.

  • La cartographie s'impose alors comme un des seuls moyens d'apprhender le territoire : une cartographie slective qui mette en vidence des dimensions et des positions, qui suscite des comparaisons, qui rvle des tracs, qui dvoile des permanences. Que l'aroport de Turin s'inscrive dans le carroyage de la centuriation romaine nous montre la persistance des tracs qui ont faonn le paysage 15 Le site et l'tendue L'analyse urbaine oublie souvent la gographie (voir Chapitre 1). Celle-ci pourtant prexiste et se maintient sous l'urbanisation. Les moyens de l'apprhender sont multiples, le paysage en est un. Dcrire et dessiner ce que l'on voit en utilisant le croquis panoramique tel qu'on l'enseignait autrefois dans les coles militaires constitue une premire manire d'approcher un territoire, d'y reconnatre des points singuliers, d'y lire des ensembles, d'y retrouver des limites. Il faut d'abord choisir son point de vue - ce qui suppose une premire intelligence du site, une apprhension du relief et un dcalage par rapport aux visions radioconcentriques que nous projetons inconsciemment du centre vers les priphries. Que les HLM d'pinay-sur-Seine prennent autant d'importance que les tours de La Dfense dans le paysage de la plaine de Montesson 16, nous offre une autre lecture du nord-ouest parisien. Sauf site particulirement montueux, la vision depuis un point haut (minence naturelle ou immeuble) demeure limite. La vue vol d'oiseau reste un rve peine combl par les visions fugitives que donnent l'avion ou l'hlicoptre, et l'exception des quelques rares privilgis, le ballon captif ou le dirigeable ne constituent pas un outil de travail. La photographie arienne en plan ou en vue oblique, la mise en perspective des fonds (cartes ou photos), les images informatiques et les vues de satellites, permettent de pallier cette difficult et de disposer d'lments offrant une vision globale. Un travail d'analyse peut alors sur cette base effectuer les lectures, les slections et les manifestations ncessaires. La mthode, on le voit, est impure et ne se dcrit pas aisment. Elle ne procde gure par les catgories convenues de la recherche, fait une part dterminante au terrain, laisse place l'intuition et suppose un travail graphique important. Les sources en matire d'analyse urbaine sont tout autant les lieux eux-mmes que les ouvrages ou les archives. Le dessin : croquis sur place, reprage sur les cartes, interprtation des tracs, compte autant que l'criture. L'organisation efficace du matriel iconographique suppose une forme de rigueur.

  • Chapitre 3 Croissances La notion de croissance emprunte largement aux tudes italiennes engages par Saverio Muratori et dveloppe par G. Caniggia. Elle renoue avec la tradition d'une lecture organique ou biologique de la ville dont on trouve dj les lments chez Marcel Pote ou Gaston Bardet, voire chez Patrick Gueddes ou Raymond Unwin. Elle doit galement aux rflexions menes dans des domaines autres que l'urbanisme ou l'architecture sur les questions de structure et de grammaire gnrative de la forme telles que l'on peut les lire chez D'Arcy Thompson 1. Croissance et dveloppement Par croissance on entend ici l'ensemble des phnomnes d'extension et de densification des agglomrations saisis d'un point de vue morphologique, c'est--dire partir de leur inscription matrielle dans le territoire. Et on rservera le terme de dveloppement pour rendre compte de l'accroissement de leur potentiel conomique ou de l'augmentation de leur rle institutionnel. En bonne logique la croissance semblerait devoir accompagner le dveloppement conomique : la prosprit d'Amsterdam explique le plan des trois canaux, l'afflux de population et l'accroissement du rle portuaire de New York, dtermine l'extension de Manhattan au XIX sicle. Mais l'histoire locale, la structure du pouvoir et les conflits politiques engendrent d'autres cas de figures. Interdite de croissance depuis 1715, la ville de Barcelone n'en continue pas moins se dvelopper au prix d'une densification extrme qui l'amnera accueillir une population de 160 000 habitants sur le mme territoire qui n'en contenait que 40 000. Cette situation explique d'ailleurs en partie l'ambition du plan de Ildefonso Cerda quand en 1859 Madrid autorise enfin la dmolition de l'enceinte et libre une ville sous- pression depuis un sicle et demi. l'inverse l'afflux de populations pauvres dans les grandes mtropoles d'Afrique, d'Asie ou d'Amrique latine suscite une croissance incontrle, informelle voire illgale que n'accompagne aucun dveloppement conomique et qui contribue mme parfois l'aggravation d'une situation dj difficile. Enfin les relations entre croissance et dveloppement sont complexes. Si une certaine prosprit, ou tout du moins des ressources, sont ncessaires pour accompagner, orienter, diriger ou matriser la croissance urbaine, il faut aussi une volont politique forte et inscrite dans la dure.

  • Cette volont peut exister dans des priodes de rcession ou de stagnation conomique et utiliser les projets d'extension ou d'amnagement urbain comme moteur de la relance et anticipation du redmarrage. Ainsi dans le cas du plan d'Ernst May pour Francfort, l'extension de la ville et la construction des cits satellites sont rendues possibles par la stabilisation du mark et la fin de la crise de l'aprs-guerre. Mais de plus - et en mobilisant des capitaux trangers - cette action participe la relance de l'conomie. Les grands travaux de l'Italie fasciste - des nouvelles villes du littoral adriatique l'EUR ou ceux de la Tennessy Valley Authority pour enrayer la crise de 1929 participent de la mme logique. Outils d'analyse Les outils proposs - croissance spontane, croissance dirige, ple, ligne de croissance, barrire, borne, etc. -, sont invitablement marqus par l'exprience inconsciente que nous avons d'un certain type de ville que l'on pourrait appeler la ville europenne radioconcentrique. Et une histoire commune Milan, Vienne, Paris ou Francfort pourrait s'crire. Les traces romaines : routes et fragments btis, le resserrement mdival dans l'enceinte domine par la cathdrale, le dbordement des faubourgs qui conduit la cration d'une nouvelle enceinte, les grands tracs classico-baroques et la nouvelle relation au territoire, la grosstadt qui consolide la ville au XIX sicle en mme temps que le chemin de fer et l'industrie provoquent un premier clatement. Et puis au dbut de notre sicle> le temps des urbanistes avec les dbats autour du logement social, des quipements municipaux, des transports urbains. La rupture du mouvement moderne plus thorique que relle jusqu'aux annes cinquante. lots ouverts/lots ferms, HBM et cits-jardins. La monte de la banlieue avec ses pavillons que l'on appelle souvent aujourd'hui de manire errone les pavillonnaires en empruntant le terme aux sociologues qui parlaient, eux, des habitants et non des maisons. Un petit air Front populaire assez vite balay par les pouvoirs autoritaires. Puis la reconstruction, puis les autoroutes et les grands en-sembles et l'amnagement du territoire avant la confirmation des mtropoles et l'admission de leur complexit. Le schma est assez facile, il s'applique galement aux villes moyennes qui connaissent les mmes phnomnes en rduction ou avec retard, il s'adapte aux gographies particulires : Amsterdam semi-ra-dioconcentrique et sur l'eau, Lyon un peu coinc dans son site, Gnes sur son port. Mais il laisse de ct trop de villes pour tre gnralis. N'en dplaise Lon Krier LA ville europenne n'existe pas. Londres ou Madrid ont eu une autre histoire. Venise a peu de points communs avec Birmingham. Des cultures et des histoires locales ont produit des traditions trs diverses. Le site, les formes de la croissance ou l'chelle du bti rapprochent davantage Istanbul et Lisbonne, Barcelone et Alexandrie, que Turin et Milan.

  • Il faut donc pour commencer se dpartir de ce schma et de quelques ides reues. Les outils alors sont assez gnraux pour s'appliquer toutes les villes, ils ne sont en somme que la manire de commencer les observer tout en reconnaissant quelques logiques rcurrentes. L'tude des villes en effet a ceci de fascinant que malgr leurs diffrences et l'identit de chacune, les phnomnes urbains s'y retrouvent. Apparente contradiction ou plutt lecture dialectique qui oscille sans cesse entre l'universel et le particulier, la rgle et l'exception, la rptition et la singularit. Des premiers travaux principalement centrs sur l'exemple franais et qui mlaient l'observation des villes celle des bourgs et des villages, rsultrent une srie d'hypothses, confortes au plan thorique par les recherches italiennes. L'enseignement et la recherche ont apport rgulirement depuis une vrification et un affinement des notions en mme temps qu'un largissement des exemples hors de la sphre franaise et occidentale. Et il nous a sembl l'usage que les outils proposs pouvaient aussi s'appliquer des villes comme le Caire, So Paulo ou Santiago et en permettre une bonne comprhension. L'tude des croissances nous semble importante pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'elle offre une apprhension globale de l'agglomration dans une perspective dynamique. A des priodes de stabilit o s'affirme la cohsion interne de la ville succdent des moments de ruptures marqus par des extensions importantes, de brusques avances sur le territoire. Dans cette perspective, l'tat actuel n'est qu'un instant prcaire de l'volution. Et l'tude de la croissance refuse la conception de ville-muse, d'oeuvre finie, fixe et fige (conception qui n'est pas seulement celle des monuments historiques mais aussi le point de vue du mouvement moderne toujours soucieux d'tablir l'ordre et de prvenir les dbordements). Ensuite parce qu'en rvlant les points fixes des transformations antrieures, elle dsigne des logiques profondment inscrites dans les territoires qui clairent les enjeux des amnagements actuels. Commencer l'analyse d'une ville ou d'une agglomration par l'tude de sa croissance apparat donc comme un des moyens de la saisir globalement, les tudes plus dtailles engages par la suite venant prendre leur sens dans cette vision globale. C'est le point de vue d'Aymonino qui note : La forme urbaine est un processus continu (...] et, s'il est possible de la dcrire ou de la caractriser une priode prcise, on ne peut ngliger, pour la comprendre, l'tude des priodes antrieures qui ont conditionn son dveloppement et l'ont littralement forme . Mode de croissance Par mode de croissance, nous tenterons de caractriser globalement les phnomnes en distinguant: - des croissances continues ; - des croissances discontinues. Il s'agit ici de continuit spatiale.

  • Ces distinctions, que l'on jugera peut-tre arbitraires, reprsentent davantage un essai pralable, une tentative pour ordonner l'analyse, un outil commode, qu'une classification dfinitive. Elles nous ont sembl l'exprience plus utiles que les mtaphores habituelles d'urbanisation en tache d'huile, par grappe, etc., parce qu'elles cernent de plus prs les mcanismes mmes de la croissance, le processus de l'extension dont la forme finale n'est que le rsultat. Si les modalits pratiques diffrent selon l'ampleur des agglomrations et la manire dont est conduite l'analyse : telle croissance discontinue dans son dtail pouvant tre assimile dans une vision plus large une croissance continue, l'extension du territoire urbanis s'effectue selon deux grands modes : la croissance continue ou la croissance discontinue. La croissance continue se caractrise par le fait qu' chaque stade du dveloppement, les extensions se font en prolongement direct des parties dj construites. L'agglomration se prsente comme un tout dont le centre ancien constitue le ple principal. Longtemps la succession des diffrentes enceintes - murailles romaines, remparts mdivaux, fortifications de la Renaissance, octrois et enceintes militaires -, a jou un rle primordial. En dfinissant une limite prcise entre un intrieur et un extrieur relevant de statuts diffrents, ces limites ont favoris une densification importante avec pour consquence la formation d'un noyau fortement structur tel que les faubourgs, les hameaux ou les anciens villages englobs dans la ville ont fini par lui tre assimils et par devenir les centres de nouveaux quartiers en contrepoint du centre initial. L'exemple de Paris est particulirement clairant. Les anciens villages extrieurs l'enceinte des Fermiers gnraux, mais inclus dans celle de Thiers : la Chapelle, la Villette, Belleville, Mnilmontant, Charonne, etc., ont la fois gard leur identit (du moins jusqu'aux destructions rcentes) mais se sont agglomrs la ville rorganise par Haussmann. une chelle plus modeste, le dveloppement organique des bourgs et des villages illustre cette croissance continue qui, pour n'tre pas limite par une enceinte, s'est faite, au moins jusqu'en 1914, par additions successives maintenant la cohsion de l'ensemble. Les routes et les chemins qui mnent au village ont jou un rle de support, les extensions sont venues tout naturellement s'ajouter au moyen original sans discontinuit. Le mme processus s'applique des villes importantes qui malgr leur taille semblent davantage rgies par la logique du chemin que par celle du lotissement ou par le contrle du plan d'ensemble. Tel est le cas des villes brsiliennes tires le long des routes qui se faufilent entre les collines et finissent par former des agglomrations de plusieurs millions d'habitants dont la forme globale chappe la description et ne se laisse pas enfermer dans un schma connu et mmorisable. Ainsi Rio dont les extensions successives au gr de l'amnagement des plages et des beaux quartiers forment une cit linaire o se succdent des noyaux bien identifis : Gloria, Flamengo, Botafogo, Leme, Copacabana, Ipanema, Leblon, auxquels rpondent vers l'intrieur de la baie ou dans les valles qui remontent vers les mornes d'autres dveloppements

  • linaires o se pressent quartiers populaires et petits centres d'activits pour s'achever par les favelas les plus recules. La croissance discontinue se prsente comme une occupation plus ouverte du territoire mnageant des coupures vgtales ou agricoles entre les parties anciennes et les extensions, et par l sanctionne l'clatement de la ville. Thorise par Ebenezer Howard et Raymond Unwin en Angleterre, Ernst May en Allemagne, avec le principe des cits satellites 3 elle peut apparatre comme une tentative de s'opposer la croissance continue des banlieues rsidentielles qui se dveloppent dans la seconde moiti du XXI sicle et dont l'ampleur inquite. Mais y regarder de plus prs, le phnomne n'est pas nouveau et la notion de croissance discontinue est utile pour rendre compte de la constitution de villes plus anciennes. Venise, par exemple, a d'abord essaim sur de nombreux petits lots avant de se souder dans la forme qui est la sienne (le cas particulier d'une croissance sur l'eau ne change rien au problme; Amsterdam, place dans des conditions gographiques similaires, offre un des exemples les plus clairs d'une croissance radioconcentrique continue). Londres, prive d'enceinte depuis le XVII sicle, sans centre unique, offre l'image d'une fdration de bourgs et de faubourgs, encore facilement identifiables dans le continuum urbain : Hampstead, Hammersmith, Chelsea, Clapham, Dulwich, etc., aujourd'hui runis par l'tendue des lotissements suburbains mais longtemps distants du bourg voisin. Enfin Bath forme, avec l'tagement de ses crescents, un archtype de cette ville par fragments qui rompt consciemment avec la tradition d'une croissance continue.

    lments rgulateurs Si certaines villes s'tendent au hasard des disponibilits foncires, avec parfois pour consquence des quartiers faiblement raccords, d'autres voient leurs extensions ordonnes par des dispositions physiques qui semblent les guider. L'examen du processus de croissance ordonne, c'est--dire dans lequel la ville prsente chaque stade de son volution une structure claire et intelligible, passe par le reprage d'un certain nombre d'lments que nous avons appels lments rgulateurs. On peut constater autour de ces lments des dispositions semblables qui se retrouvent d'une ville l'autre et se rptent comme si des lois mcaniques ou morphologiques rgissaient ces phnomnes. D'o la tentative de les noncer d'une manire gnrale afin de faciliter leur identification avant de s'engager plus en dtail dans l'histoire propre de chaque ville. Physiquement la croissance des villes apparat rgle par le jeu de deux sortes d'lments : ceux qui en ordonnent l'extension (lignes et ples) et ceux qui la contiennent (barrires et bornes).

  • Ligne de croissance C'est le support d'une croissance qui s'effectue selon une direction ; l'exemple le plus simple est la route le long de laquelle crot l'agglomration et qui devient rue ou avenue. Mais beaucoup d'autres lignes peuvent jouer le mme rle : rivire, canal, voie ferre, autoroute, axe mo-numental, etc. Les lignes de croissance peuvent tre naturelles , nous entendrons par l inscrites dans le site avant l'urbanisation (voir le rle des anciens chemins et du trac d'un parcellaire rural dans la forme ultrieure des agglomrations, mais aussi celui des alles et des avenues organisant hors la ville le paysage des villas et des chteaux classiques), ou artificielles , c'est--dire projetes et ralises au dbut d'une phase d'extension, en relation avec celle-ci. Dans les deux cas ces lignes sont inscrites dans un territoire. Elles en rvlent la gographie (nature du sol, zones inondables... ), elles tirent partie du relief - et les grandes lignes de croissance des agglo mrations contredisent rarement sans raison les grandes orientations du site. Elles portent la marque de son histoire faonne par les usages anciens : agriculture, implantations monastiques ou seigneuriales, exploitations minires ou industrielles. Elles sont enfin situes dans un rseau et ne se comprennent qu' l'intrieur de celui-ci. La croissance en effet n'est pas seulement due au dveloppement intrinsque de l'agglomration mais aux tensions qui s'oprent l'intrieur d'un rseau de villes