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panorama LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE Printemps 2013 Dans ce panorama, Coface souligne la radicale transformation des risques dans les pays émergents. Si le risque pays traditionnel (risque souverain, vulnérabilité externe) a sensiblement diminué, trois nouveaux risques apparaissent et sont à surveiller. • Le risque d’instabilité politique Ce risque a augmenté, les sociétés des pays émergents ayant désormais de nouvelles revendications et davantage les moyens de les exprimer. Ainsi, à l’aide d’une grille de lecture renouvelée du risque politique, Coface montre que les pays de la zone Afrique du Nord /Moyen-Orient restent toujours soumis à un risque élevé d’instabilité. Le Venezuela, la Russie, la Chine, le Nigeria et le Kazakhstan doivent faire face à des pressions importantes aux changements. • Le risque de protectionnisme rampant Ce protectionnisme (financier mais aussi sur le marché des biens) est le résultat des chocs exogènes subis par les pays émergents depuis 2008. Cela implique dans le futur de possibles délais de paiements pour les importateurs, mais aussi davantage de barrières à l’entrée pour les entre- prises étrangères qui souhaitent capter le dynamisme de la demande interne des économies émergentes. L’Argentine, la Russie et l’Inde, dans une moindre mesure, sont les pays à surveiller. • Le risque lié au crédit bancaire Le crédit bancaire a été très dynamique dans les pays émergents, au point de former de véritables bulles sur les marchés du crédit aux entreprises et aux ménages. Coface signale les pays où de telles bulles menacent. Des pays d’Asie émergente, certes portés aujourd’hui par une dynamique de croissance très favorable, ont des marchés du crédit à surveiller. Chili, Turquie, Russie et Venezuela affichent également des croissances excessives du crédit. LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 1 RESERVE Le présent document reflète l’opinion de la direction de la recherche économique de Coface, à la date de sa rédaction et en fonction des informations disponibles; il pourra être modifié à tout moment. Les informations, analyses et opinions qu’il contient ont été établies sur la base de multiples sources jugées fiables et sérieuses ; toutefois, Coface ne garantit en aucun cas l’exactitude, l’exhaustivité ou la réalité des données contenues dans le présent document. Les informations, analyses et opinions sont communiquées à titre d’information et ne constituent qu’un complément aux renseignements dont le lecteur dispose par ailleurs. Coface n’a aucune obligation de résultat mais une obligation de moyens et n’assumera aucune responsabilité pour les éventuelles pertes subies par le lecteur découlant de l’utilisation des informations, analyses et opinions contenues dans le présent document. Ce document ainsi que les analyses et opinions qui y sont exprimées appartiennent exclusivement à Coface ; le lecteur est autorisé à les consulter ou les reproduire à des fins d’utilisation interne uniquement sous réserve de porter la mention apparente de Coface et de ne pas altérer ou modifier les données. Toute utilisation, extraction, reproduction à des fins d’utilisation publique ou commerciale est interdite sans l’accord préalable de Coface. Le lecteur est invité à se reporter aux mentions légales présentes sur le site de Coface. SOMMAIRE /02 Les transformations du risque pays émergent, par Julien Marcilly et Yves Zlotowski /02 Des sociétés plus polarisées /06 Des économies plus protégées /10 Un crédit trop dynamique FOCUS /05 Les « printemps arabes » deux ans après : l’Afrique du Nord et le Proche et Moyen-Orient en effervescence de façon durable, par Pierre Paganelli /07 Effets des contrôles de capitaux : l’exemple du Brésil, par Axelle Fofana Panorama Risque Pays

Panorama risques 201303

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pano ramaLES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE

Printemps 2013

Dans ce panorama, Coface souligne la radicale transformation des risquesdans les pays émergents. Si le risque pays traditionnel (risque souverain, vulnérabilité externe) a sensiblement diminué, trois nouveaux risques apparaissent et sont à surveiller.

• Le risque d’instabilité politique

Ce risque a augmenté, les sociétés des pays émergents ayant désormaisde nouvelles revendications et davantage les moyens de les exprimer.Ainsi, à l’aide d’une grille de lecture renouvelée du risque politique,Coface montre que les pays de la zone Afrique du Nord/Moyen-Orientrestent toujours soumis à un risque élevé d’instabilité. Le Venezuela, la Russie, la Chine, le Nigeria et le Kazakhstan doivent faire face à despressions importantes aux changements.

• Le risque de protectionnisme rampant

Ce protectionnisme (financier mais aussi sur le marché des biens) est lerésultat des chocs exogènes subis par les pays émergents depuis 2008.Cela implique dans le futur de possibles délais de paiements pour lesimportateurs, mais aussi davantage de barrières à l’entrée pour les entre-prises étrangères qui souhaitent capter le dynamisme de la demandeinterne des économies émergentes. L’Argentine, la Russie et l’Inde, dansune moindre mesure, sont les pays à surveiller.

• Le risque lié au crédit bancaire

Le crédit bancaire a été très dynamique dans les pays émergents, au pointde former de véritables bulles sur les marchés du crédit aux entreprises et aux ménages. Coface signale les pays où de telles bulles menacent. Des pays d’Asie émergente, certes portés aujourd’hui par une dynamiquede croissance très favorable, ont des marchés du crédit à surveiller. Chili, Turquie, Russie et Venezuela affichent également des croissancesexcessives du crédit.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 1

RESERVELe présent document reflète l’opinion de la direction de la recherche économique de Coface, à la date de sa rédaction et en fonction des informations disponibles ; il pourra être modifié à tout moment. Les informations, analyses et opinions qu’il contient ont été établies sur la base de multiples sources jugées fiables et sérieuses ; toutefois, Cofacene garantit en aucun cas l’exactitude, l’exhaustivité ou la réalité des données contenues dans le présent document. Les informations, analyses et opinions sont communiquées à titred’information et ne constituent qu’un complément aux renseignements dont le lecteur dispose par ailleurs. Coface n’a aucune obligation de résultat mais une obligation de moyens etn’assumera aucune responsabilité pour les éventuelles pertes subies par le lecteur découlant de l’utilisation des informations, analyses et opinions contenues dans le présent document.Ce document ainsi que les analyses et opinions qui y sont exprimées appartiennent exclusivement à Coface ; le lecteur est autorisé à les consulter ou les reproduire à des fins d’utilisationinterne uniquement sous réserve de porter la mention apparente de Coface et de ne pas altérer ou modifier les données. Toute utilisation, extraction, reproduction à des fins d’utilisationpublique ou commerciale est interdite sans l’accord préalable de Coface. Le lecteur est invité à se reporter aux mentions légales présentes sur le site de Coface.

SOMMAIRE

/02 Les transformations du risque pays émergent,par Julien Marcilly et

Yves Zlotowski

/02 Des sociétés plus polarisées

/06 Des économies plus protégées

/10 Un crédit trop dynamique

FOCUS

/05 Les «printemps arabes»

deux ans après :

l’Afrique du Nord et le Proche et

Moyen-Orient en effervescence

de façon durable,

par Pierre Paganelli

/07 Effets des contrôles de capitaux :

l’exemple du Brésil,

par Axelle Fofana

Panorama

Risque Pays

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LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 2

La faillite de Lehman Brothers et ses conséquences sur leséconomies avancées ont radicalement changé l’évaluationdu risque pays. Les risques associés à la plupart des paysavancés ont nettement augmenté, notamment en raison del’explosion de leur dette publique et de la faiblesse de leurcroissance. À l’inverse, les pays émergents sont apparuscomme moins risqués : la dette publique y a poursuivi sadécrue malgré la crise, leur liquidité en devises est restée trèsconfortable et la croissance s’est révélée robuste. Les ten-dances de long terme le confirment : le taux de croissancepotentiel médian des économies émergentes a plus que doublé entre la période 1970-1989 et celle comprise entre1990 et 2007, passant de 1,5 à 3,5%. Dans le même temps,l’écart-type de la croissance du PIB a baissé de 4,25 à 3,25%.Dit autrement, les pays émergents ont désormais une crois-sance plus forte qu’auparavant, avec des fluctuations moinsmarquées.

Mais leurs fondamentaux solides n’ont pas empêché l’activitédes pays émergents d’être temporairement pénalisée par la récession des principales économies avancées en2008-2009. Cette dernière a eu des effets secondaires surleur croissance via différents canaux (commerce, investis-sements, banques).

Face à ce choc temporaire, les réactions des économies et desentreprises des pays émergents ont été aussi diverses quemultiples. Elles peuvent être résumées en un seul mot : résis-tance. Cette résistance a pris plusieurs formes. Sur le planpolitique, la montée du chômage et des inégalités résultantde la crise est un des déclencheurs des mouvements deprotestation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Sur leplan économique, cette résistance s’est d’abord caractériséepar la montée du protectionnisme sous diverses formes (protectionnisme commercial, contrôles de capitaux…). Elles’est aussi traduite par des mesures de relance conjoncturelled’envergure, principalement par le biais des politiques moné-taires. Or celles-ci ont eu pour effet une croissance excessivedu crédit dans plusieurs pays.

Ainsi, ces évolutions récentes soulignent que la nature desrisques a profondément changé dans les pays émergents : le risque pays classique (risque souverain, vulnérabilitéexterne) semble avoir diminué, mais de nouveaux risquessont apparus. Dans ce panorama, nous nous focalisons plusparticulièrement sur trois d’entre eux qui découlent en partiede la crise mondiale de 2008-2009 et pèsent aujourd’hui sur les pays émergents : le risque politique et social, le risqueprotectionniste et le risque de bulle de crédit.

Une logique nouvelle des tensions politiques dans les pays émergents

La vague des révolutions arabes a constitué un véritableséisme pour le risque pays traditionnel. En règle générale, lesruptures de nature politique sont mal anticipées tant par lesobservateurs privés que par les chercheurs académiques. Lesrégimes d’Hosni Moubarak en Égypte (président de 1981 à2011) ou de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie (chef d’Étattunisien de 1987 à 2011) étaient considérés comme stables. Lespériodes de successions seules étaient vues comme poten-tiellement problématiques. Des troubles pourraient provenirde l’évolution «endogène» du régime politique lui-même, maisnon de la pression «exogène» de la société.

La globalisation des protestations a également surpris. Par unjeu subtil d’imitation et de représentation, la révolution tuni-sienne a été suivie de soulèvements similaires : l’Égypte, laLibye, le Yémen ont été le théâtre de renversements de leursrégimes autoritaires. En outre, des manifestations ont étéconduites à Bahreïn, au Maroc et en Jordanie. Mais cette vaguedépasse le seul cadre des pays arabes : fin décembre 2012, àla faveur des élections législatives, des mouvements sansprécédents de contestation se sont développés en Russie.

L’Inde, en 2011 puis en 2012, a été secouée par des manifes-tations virulentes face à la corruption puis aux violences faitesaux femmes. L’Afrique du Sud a été, courant 2012, le théâtred’un mouvement social d’une rare violence dans les mines.Ces divers épisodes de tensions paraissent peu comparables.Toutefois, ces protestations – qu’elles se traduisent ou nonpar des révolutions – expriment une forme d’exaspération dessociétés face à des institutions mises en demeure de répon-dre de leurs actions. Depuis la révolution tunisienne, lessociétés des pays émergents ont exprimé leurs tensionslatentes. Qu’est-ce qui, dans ce domaine, a été ignoré ousous-estimé par la grille de lecture du risque pays ?

Des revendications politiques et institutionnelles

Les indicateurs traditionnels de nature économique et sociale(chômage, inégalités, inflation, PIB par habitant) restent desvariables clés. Toutefois, ils n’épuisent pas entièrement lalogique de «ces exaspérations». Il est intéressant de noter quela révolution égyptienne s’est déroulée après des années de

DES SOCIÉTÉS PLUS POLARISÉES(1)

(1) Cette partie a été rédigée avec la contribution de Guillaume Baqué.

Les transformations du risque pays émergentJulien Marcilly, Yves ZlotowskiRédaction achevée le 6 mars 2013

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croissance record pour l’Égypte(2) et que la Tunisie semblait unmodèle de réforme. Le FMI reconnaît dans un dossier récent(3)

que la stratégie de séparation entre les réformes économiqueset politiques n’a pas fonctionné. Sans système de « contrôle et d’équilibre» par la société, les réformes et la croissance ontaccru les inégalités et entretenu les frustrations. MarwanMuasher prend l’exemple des privatisations qui, dans unsystème de gouvernance défaillante, s’apparentent à une captation des actifs publics par l’élite proche du pouvoir. Autotal, des réformes d’ouverture économique défendues par lesinstitutions internationales peuvent avoir eu des conséquencesdévastatrices, quand elles ne se sont pas accompagnées deréformes politiques.

On constate d’ailleurs que les slogans des manifestants fontfréquemment référence à la gouvernance. La question de la corruption se trouve souvent citée (4). Le jeune vendeur de légumes tunisien Mohammed Bouazizi, qui s’est immolépar le feu à Sidi Bouzid en décembre 2010, s’était vu confisquersa balance et sa marchandise, car il était placé à un endroit interdit (la station de taxi devant le gouvernorat). L’impact dece geste a été immense, d’abord en raison de son caractèretragique et désespéré, mais aussi parce qu’il incarnait uneimpasse significative dont les citoyens ont fréquemmentfait l’expérience. En l’espèce, les barrières à l’entrée handi-capaient un petit entrepreneuriat synonyme de survie. La société est devenue incapable de laisser se développerdes initiatives (économiques ou politiques) essentielles. Lesblocages sont tels qu’ils ne peuvent être surmontés que parun acte de rupture.

Les populations des pays émergents exigent des réformespolitiques et institutionnelles leur permettant une plus grandeparticipation, tant politique qu’économique. C’est la démo-cratie telle que définie par Armatya Sen qui est revendiquée,c’est-à-dire une demande de participation, de délibération, deprise en compte d’aspirations nouvelles. Elle est donc pluslarge que la demande de scrutins électoraux formels et c’estpour cette raison que cette revendication survient égalementdans des pays qui ont des institutions démocratiques, à l’instarde l’Inde. Les blocages à la participation dans la vie politiqueou économique ne sont pas entravés seulement par l’absencede liberté d’expression. Ils sont aussi parfois le résultat derègles informelles moins visibles et devenues insupportables.Par exemple : absence de garantie des droits de propriété,corruption et harcèlement administratifs envahissants, bar-rières dressées à l’épanouissement socio-économique etpolitique des femmes, des jeunes, etc.

Des changements culturels profonds souvent ignorés

Si la revendication démocratique (au sens large) a été deplus en plus importante dans les pays émergents, c’estaussi parce que les sociétés ont davantage de moyens de la porter. La profondeur des sociétés civiles dans des systèmes politiques autoritaires a été sous estimée. Laprospérité économique joue un rôle moteur, en sortant les citoyens des logiques de survie. Cette évolution desbesoins est caractérisée par la fameuse pyramide du psycho-logue Abraham Maslow qui hiérarchise les besoins des indi-vidus, selon l’idée que ces besoins évoluent au fur et àmesure de leur satisfaction. Quand les besoins de survie sontsatisfaits, d’autres doivent l’être (sécurité, appartenance,estime, accomplissement, dans l’ordre défini par B. Maslow).

La montée de l’éducation des jeunes est également unmoteur essentiel des frustrations. La chercheuse FlorenceGaub dans sa synthèse sur les leçons à tirer des printempsarabes (5), donne un poids important à la frustration liée àl’arrivée de jeunes diplômés sur des marchés du travailincapables de les absorber : «bien que décrites commefortes, les institutions d’État tunisiennes furent finalementincapables de combler l’écart des anticipations (avec la réal-ité) que les réformes éducatives ont créées». Enfin, le rôledes femmes dans les sociétés arabes a profondément évoluéet nombre d’entre elles furent présentes dans les manifes-tations tant en Égypte qu’en Tunisie. Le démographePhilippe Fargues, spécialiste du monde arabe, note que dansla région MENA «si dans le passé un taux élevé de fertilitéétait lié aux mariages précoces et à la faible participation desfemmes dans l’économie […], le taux de fertilité des femmesest passé de 7 enfants par femme en 1960 à 2,9 en 2008» (6).La revendication démo-cratique touche donc également lethème du genre car des évolutions démographiques pro-fondes ont changé le rôle des femmes dans les sociétésarabes.

Les réseaux sociaux constituent enfin un instrument nou-veau d’expression des frustrations. Les accès Internet dansde nombreux pays émergents ont littéralement explosé. Orles réseaux sociaux jouent deux rôles. Ils constituent unmoyen de mobilisation rapide, peu onéreux et mal contrôlépar les autorités. Mais plus en amont, ils se sont apparentésà une expérience démocratique, permettant à beaucoupde jeunes d’exprimer une parole libre dans un mondecertes virtuel mais non hiérarchisé. Progressivement, l’écartentre les blocages de la société réelle et la liberté vécuesur la toile est devenu difficilement acceptable. On peutrappeler que l’activiste et opposant russe Alexey Navalnyis’est fait connaître, entre autres, grâce à son site «rosspil»qui proposait aux citoyens russes, dès la fin 2010, decomptabiliser les détournements de fonds par les admin-istrations lors des marchés publics, à partir de documentsparfaitement officiels.

Vers une refonte des indicateurs de risque politique

À partir de cette analyse rapide, les indicateurs du risquepolitique nous semblent relever de deux logiques : les pres-sions aux changements peuvent être mesurées par desvariables qui traduiront le degré d’intensité des frustrationséconomiques, sociales et politiques dans un pays donné.Les inégalités, l’ampleur du chômage, les libertés politiquesou la corruption constituent les moteurs multidimensionnelsde ces frustrations. Toutefois, l’existence de ces tensions,même si celles-ci sont de forte intensité, ne signifie pas queles ruptures surviennent. La capacité des sociétés à trans-former ces pressions en changement effectif relève d’unedynamique de développement d’instruments qui eux seulspermettent l’expression, la canalisation et la mobilisationdes mécontentements. Le développement de tels instru-ments de nature plutôt culturelle a joué un rôle clé dans lespays arabes. Il s’agit du niveau d’éducation, de la montéedes accès à Internet, de l’urbanisation, du taux de féconditéet du taux de participation des femmes. Ces évolutions culturelles mesurent dans notre analyse la capacité d’unesociété à transformer les frustrations en acte politique.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 3

(2) Entre 2006 et 2008, la croissance du PIB en Égypte a été de 7% en moyenne annuelle.Entre 1998 et 2008, le PIB par tête en dollar courant tunisien est passé de 2336 à 4345(source : FMI).(3) Voir notamment Muasher M. (2013), Freedom and Bread Go Together, dans le numérospécial consacré aux pays du Moyen-Orient « The Middle-East: Focus on the Future »,Finance & Development, March 2013. (4) Le thème de la corruption a été au centre des manifestations russes de décembre 2011et janvier 2012. La lutte contre la corruption a été à l’origine du mouvement conduit par le

militant Anna Hazare, dont le suivi par la population de la grève de la faim a provoqué demassives veillées au flambeau à Delhi durant l’année 2011.(5) F. Gaub (2012) «Lessons Learnt : Understanding instability : Lessons from the «ArabSpring», AHRC Policy Series n°9, Arts and Humanities Research Council, Report for the“History of British Intelligence and Security Research Project» décembre 2012. (6) Ph. Fargues (2008), Emerging Demographic patterns across de Mediterranean andtheir Implications for Migration through 2030, Migration Policy Institute, TransatlanticCouncil on Migration, novembre 2008.

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Dans le module « instruments» la proportion des jeunes etla participation des femmes ont des poids relatifs supérieursà 30%.

Le risque politique doit donc combiner les deux types demodules, comme le résume le tableau suivant. Chacun desdeux modules – pression aux changements et instrumentsdu changement – est composé respectivement de 6 et 7agrégats, dont le total de la pondération atteint 100%. Dansle module «pressions», le niveau de chômage, la corruptionet la liberté d’expression (« expression et responsabilité »)ont les poids relatifs les plus importants, soit supérieurs à20%.

Les graphiques combinent les deux modules : la pressionaux changements (en abscisse) et les instruments duchangement (en ordonnée). De nombreux pays d’Afriquesubsaharienne se situent dans la partie basse droite dutableau. De fortes pressions aux changements sont associéesà une relative faiblesse de présence des « instruments ».

On peut traduire ce résultat de la manière suivante : les frus-trations sont immenses, mais la capacité des sociétés àprovoquer des ruptures politiques est relativement limitée.On observe, en revanche, qu’une grande partie des pays dela zone Afrique du Nord / Moyen-Orient (Syrie, Iran, Liban,Jordanie, Algérie, Égypte, Tunisie, Arabie saoudite) se situedans la partie droite haute du graphique qui combine fortespressions aux changements et importance des instruments,ce qui s’est traduit par des changements politiques de grandeampleur, ou par des manifestations récurrentes comme en Jordanie. Un des enjeux majeurs est que les transitions poli-tiques soient maintenant capables de traiter les frustrationsqui les ont permises, ce qui est à la source de l’instabilité récur-rente de la Tunisie et ou de l’Égypte postrévolutionnaires.

Si on place 30 pays émergents sélectionnés par leur impor-tance, à nouveau la zone Afrique du Nord Moyen - Orientse distingue nettement des autres zones occupant la partiedroite haute du graphique. On notera que le Nigeria, leVenezuela, la Russie, le Kazakhstan et la Chine affichent despressions aux changements à un niveau au-dessus ou égalaux situations tunisiennes ou égyptiennes. Cette configu-ration appelle deux remarques :

• Dans des systèmes caractérisés par des transitions poli-tiques incertaines comme au Venezuela (un cas d’actua-lité dans le contexte du décès d’Hugo Chavez annoncédébut mars 2013), la polarisation peut s’exprimer demanière virulente à l’occasion des scrutins.

• La capacité des institutions d’État à répondre à des frus-trations élevées est variable et n’est pas prise en comptedans ce schéma. Des systèmes – démocratiques ou non –sont parfois susceptibles de se réformer sans ruptures. Àl’inverse, des régimes politiques qui subissent d’énormespressions aux changements et une mobilisation forte dela population peuvent choisir la voie de la répression radicale, comme en Iran ou en Syrie. Les régimes en placeprennent alors le risque que les ruptures soient encoreplus violentes et déstabilisatrices que les révolutionstunisiennes ou égyptiennes. La répression a, de fait, entraînéune guerre civile sanglante dans le cas syrien. Le « répit »que connaissent les troubles en Iran n’est probablementpas durable.

Suite page 6

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 4

PIB/habitant *Inflation *Chômage *GINI **Expression et responsabilité **Contrôle de la corruption **

Taux d’éducation dans le supérieur ** Taux d’alphabétisation des adultes ** Accès Internet ** Proportion des jeunes ** Taux de fécondité ** Taux d’urbanisation ** Taux de participation des femmes **

Pressions aux

changements

Instrumentsdu

changement

* Source : FMI** Source : Banque mondiale

70�—

60�—

50�—

40�—

30�—

20�—���

20� 30 40 50 60 70 80 90

Pressions

Instruments

Afrique�subsaharienne

Moyen-Orient�et�Afrique�du�Nord

Pays en italique : seulement 90% des agrégats composant l’indicateur synthétiques disponiblesSource :�Coface

70�—

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30 pays émergents(critère PIB 2011)

40 50 60 70 80

Pressions

Instruments

Pays en italique : seulement 90% des agrégats composant l’indicateur synthétiques disponiblesSource :�Coface

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Après deux années de turbulences politiques, sociales etéconomiques, la transition dans les États du mondearabe ayant connu des bouleversements – Tunisie etÉgypte notamment – reste problématique. En Syrie, larévolution « inachevée» a pris un tour dramatique en semuant en guerre civile. D'autres pays arabes font facedepuis 2011 à une contestation politique et sociale deplus faible intensité, comme la Jordanie, le Maroc ou l’Algérie.

Les islamistes conservateurs confrontés au difficileexercice du pouvoir en Tunisie et en Égypte

Dans ces deux pays, des élections démocratiques ontporté au pouvoir des partis islamistes conservateurs,auparavant illégaux, en raison notamment de leurmeilleure organisation et d’un maillage de la société parleurs réseaux d’entraide. Une polarisation croissanteentre les islamistes, qui font primer l’identité religieuse,et les laïcs nationalistes menace cependant la stabilité de ces pays. Ces deux pôles estiment en effet avoir unelégitimité démocratique et représenter l'esprit de larévolution. Les gouvernements mis en place sont inex-périmentés et ne bénéficient donc pas d’un consensuspolitique, alors qu’ils sont confrontés à des problèmesstructurels complexes et à de fortes attentes de la popu-lation.

En Tunisie, le gouffre s’élargit entre islamistes et partis ouforces laïques, à la suite de l'assassinat de Chokri Belaïd,figure de l'opposition laïque début février 2013. Ce climatpolitique va retarder l'élaboration de la future constitu-tion et la tenue des élections législatives et présidentielle,vraisemblablement reportées de juin à fin 2013. De plus,les tensions sociales augmentent, en raison du taux dechômage toujours élevé, particulièrement celui desjeunes, et de fortes inégalités sociales et géographiques.Les islamo-conservateurs affichent un programmeéconomique libéral, mais éprouvent des difficultés àdéfinir et mettre en œuvre une politique économique. Ceclimat mine le processus de transition politique ainsi quele fragile équilibre économique et financier.

En Égypte, les larges pouvoirs que le président islamo-conservateur Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans,s’est arrogés provoquent d’importantes manifestationsdepuis fin 2012, avec une polarisation entre islamistes etnon islamistes. Les protestations sont également motivéespar l’approbation controversée, par référendum fin2012, d’une nouvelle constitution élaborée par uneassemblée dominée par les islamistes et contestée parl’opposition. L'incertitude subsistera au moins jusqu'auxnouvelles élections législatives, initialement prévues àpartir de fin avril 2013 mais suspendues à ce stade. Detelles élections, en raison entre autres de leur boycott par l'opposition, pourraient cimenter le contrôle dupouvoir par les islamistes, dans un sens plus autoritaire.

Par ailleurs, l’orientation de la politique économique estincertaine, ce qu’illustre notamment la difficulté desautorités à parvenir à un accord avec le FMI, et la situa-tion économique et financière qui s’aggrave.

Une situation de guerre civile en Syrie

La répression militaire de la contestation par le régimedu président Bachar al-Assad a conduit à la guerre civile.Dans ce contexte, l’isolement international de la Syries’est accru, le pays faisant l’objet de sanctions de la partdes États-Unis, de l'Union européenne, de la Turquie etde la Ligue arabe. Toutefois, le régime syrien est suscep-tible de pouvoir continuer de compter sur le soutiendiplomatique russe et chinois, ainsi que sur l’aideéconomique et militaire de l'Iran.

Malgré le contrôle accru de plusieurs zones du pays parl'armée syrienne libre et par des groupes djihadistes, cesforces disparates disposent de capacités militaires insuf-fisantes pour renverser rapidement le régime. Au planpolitique, la coalition nationale de l'opposition formée fin2012 ne suffit pas à atténuer les dissensions au sein de ladite opposition.

Par conséquent, le plus probable est une prolongation dela guerre civile en 2013, avec une partition de fait du pays.En définitive, le régime – dont le noyau dur est limité à laminorité alaouite (environ 12% de la population) – pourraitsuccomber à la montée en puissance de la rébellionarmée, à une révolte sociale liée à l’aggravation de la criseéconomique dans laquelle le pays est plongé, à des pres-sions extérieures, ou encore à une combinaison de tousces facteurs.

Dans les monarchies faiblement dotées de ressources énergétiques naturelles, des changementscosmétiques en Jordanie et en douceur au Maroc

En Jordanie, des manifestations se succèdent depuis 2011et le pouvoir reste confronté aux exigences divergentesdes loyalistes et des tribus d’une part, et de l'oppositiond’autre part, en particulier le Front d'action islamique,émanation des Frères musulmans, qui revendique unemonarchie constitutionnelle. S’y ajoutent les problèmesliés aux rapports jordano-palestiniens à l’intérieur du royaume (les palestiniens constituant plus de 60% de lapopulation totale). Par ailleurs, un regain de contestationest probable à cause des réductions des subventionsinduites par l’accord conclu avec le FMI en août 2012. Or, malgré une amorce de réformes, le roi Abdallah II – qui garde un assez large soutien dans la population etl’appui des forces armées – souhaite conserver l’essentieldu pouvoir. Dans ce contexte, la Jordanie est surexposéeà l’instabilité politique régionale, particulièrement enÉgypte et en Syrie, avec le risque que la chute du régimesyrien renforce l’opposition islamiste et fragilise un peuplus la monarchie hachémite.

Les «printemps arabes» deux ans après : l’Afrique du Nord et le Proche et Moyen-Orient en effervescence de façon durable

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 5

Pierre Paganelli

FOCUS

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Pierre Paganelli(suite)

Au Maroc, en réponse à une insatisfaction politique et sociale grandissante, à l’aune des révoltes dans lemonde arabe, une réforme constitutionnelle, initiée parle roi Mohammed VI mi-2011, vise un rééquilibrage de lamonarchie, en renforçant les pouvoirs du premier ministreet du Parlement. Elle ne modifie cependant pas l’essentieldes prérogatives du monarque chérifien, qui reste popu-laire. Une frange de la population se plaint néanmoins dela corruption et du clientélisme, des mouvements de con-testation mettant en cause, à ce titre, certains membresdu proche entourage du roi. Les élections législatives fin2011 se sont soldées par une majorité relative du parti(islamiste) de la justice et du développement, la nomi-nation de son dirigeant comme Premier ministre et la formation début 2012 d’une coalition gouvernementaleavec trois partis laïcs. Dans ce cadre, la mise en œuvrede la nouvelle constitution semble sur la bonne voie, mais la quête d’une plus grande justice sociale sera plusproblématique, impliquant ainsi un risque de tensions.

L'apparente « exception » algérienne

Les protestations populaires sont récurrentes en Algérie,sans présenter une réelle menace pour le régime. Aprèsle traumatisme de la guerre civile larvée des années 1990,la population aspire plus au calme qu’à une expérience

révolutionnaire, en dépit du mécontentement populaire.De plus, grâce à la manne des hydrocarbures, le pouvoira les moyens d’atténuer la contestation politique etsociale, en prenant, par exemple, depuis début 2011,diverses mesures comme la hausse des salaires dans lesecteur public ou l’augmentation des subventions. Dansce contexte, les élections législatives de mai 2012, mar-quées par un niveau élevé d’abstention, n’ont pas conduità la prééminence de partis islamistes, la coalition nationa-liste au pouvoir ayant conservé la majorité. La prochaineéchéance importante sera l’élection présidentielle d’avril2014, lors de laquelle le président Abdelaziz Bouteflikane devrait pas briguer un quatrième mandat. Or, aprèsl’éviction début 2013 des dirigeants des deux principauxpartis de la coalition gouvernementale, l’issue de sa suc-cession est imprévisible à ce stade. Par ailleurs, si la situa-tion sécuritaire s’est relativement améliorée, l’activisme degroupes islamistes radicaux et terroristes s’est intensifiéaux frontières sud du pays, comme en témoigne l’attaquedu complexe gazier d’In Amenas en janvier 2013.

Avant une éventuelle amélioration, la situation est sus-ceptible de se détériorer, notamment dans les paysprécurseurs du changement, Tunisie et Égypte. Aprèsdes décennies de régimes autoritaires, les processus detransition seront longs et l’émergence de systèmes poli-tiques stables dans les pays ayant connu un soulèvementprendra du temps.

Depuis la chute de Lehman Brothers, les pays émergentsont mis en place une série de contrôles de capitaux sansprécédent, pour pallier les chocs subis par les balances despaiements des économies émergentes après 2008. Lesdonnées disponibles de l’IFI (Institut de finance interna-tionale) indiquent que les flux de portefeuille (7) nets ontatteint le niveau de sortie record de 120,6 milliards de dol-lars en 2008. Deux années après, en 2010, les flux nets sontpositifs et affichent un record historique d’entrées nettesde 90,8 milliards de dollars. Cette volatilité des flux spécu-latifs est déstabilisante : les entrées massives provoquentde fortes appréciations des devises qui affectent la com-pétitivité des secteurs manufacturiers. Des sorties brutalessont périlleuses pour les entreprises ou les banquesexposées au risque de change. Les contrôles de capitauxmis en place sont donc le résultat de cette volatilité. Enoutre, les déterminants de cette volatilité sont exogènes auxpays émergents. Contrairement aux crises des années 1990,la dynamique des flux de capitaux est en effet le résultat de lacrise des subprimes et de la politique non-conventionnelle dela Fed (création de liquidités) et de la crise souveraine de lazone euro. Ces moteurs ont pour épicentre les pays avancés.

Dès lors, les contrôles de capitaux, d’une certaine manièrelégitimés, sont considérés comme une arme de protectionvis-à-vis de chocs dont les pays émergents ne sont pasresponsables.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 6

(7) Les flux de portefeuille correspondent aux achats par les non-résidents de titresobligataires ou d’actions (en faible proportion du capital total d’une entité). Ils sontpar définition volatils. (8) International Monetary Fund (2012), The Liberalization and Management of CapitalFlows: An Institutional View, novembre 14.

Flux de portefeuille entrants et solde courant dans les pays émergents

100�000

50�000

0

-50�000

-100�000

-150�000

5

4

3

2

1

0

-1

-2

Flux�de�portefeuille�entrants�(Mns�USD)

Solde�courant�(%�PIB)échelle�de�droite

Source :�IFI

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

e20

13 p

2014

p

Le recours croissant aux contrôles de capitaux

FOCUS

DES ÉCONOMIES PLUS PROTÉGÉES

Page 7: Panorama risques 201303

De fait, la doctrine des institutions financières internationalesa, parallèlement au retour en force des contrôles de capitaux,très sensiblement évolué. En novembre 2012, le FMl (8) (aprèsplusieurs essais infructueux car très critiqués par l’Inde et leBrésil qui considéraient ses positions comme insuffisammentfavorables aux contrôles de capitaux) a publié une « visioninstitutionnelle» équilibrée, qui reconnaît les bienfaits poten-tiels des contrôles. Ceux-ci ne sont plus considérés commeun expédient inefficace et provisoire. Leur pertinence estbien sûr discutée selon les cas, mais elle est vue comme étantreliée au degré de maturité des secteurs financiers qui peu-vent, s’ils sont encore fragiles, bénéficier de leur protection.En outre, le FMI insiste sur le fait que les réformes doiventaussi venir des pays exportateurs de capitaux spéculatifs. Au total, la doctrine remet en cause le caractère systéma-tiquement positif de l’ouverture financière.

Les mesures prises dans le sillage de la crise de 2008 englo-bent trois types de contrôles des capitaux qui répondent à des besoins différents. Le premier (comme la taxe brésilienne)est l’utilisation d’instruments de régulation de marchés quiagissent directement sur les flux de capitaux eux-mêmes viala taxation ou des mesures limitatives. Taxation qui vise princi-palement le taux de change et, à l’aune de cet objectif, son efficacité peut être discutée (cf. focus ci-dessous). Le secondtype de contrôle consiste à limiter la convertibilité. Il s’agit derestreindre les accès aux devises des résidents (ou inversementdes non-résidents à la monnaie nationale), ce qu’illustrent lesmesures mises en place en Argentine. Enfin, un troisièmegroupe de mesures se place plus nettement dans le champ dela réglementation prudentielle des banques. Ces mesures

tendent à limiter l’exposition des banques au risque de change(à l’instar de mesures prises en Corée du Sud). Dans le cascoréen (9), l’objectif est de protéger le système bancaire trèssensible à la volatilité du won.

La vague de contrôles de capitaux doit s’interpréter commeun recours au pragmatisme. Les autorités des pays émer-gents n’hésitent plus à utiliser des moyens hétérodoxes etne se contenteront plus d’interventions discrétionnaires sur le marché des changes. Une régulation plus ferme del’ouverture financière devient un outil pour lutter contre l’ap-préciation excessive des devises ou pour protéger le systèmefinancier. Cela signifie aussi concrètement des difficultés sup-plémentaires pour l’accès aux devises. De nombreux paysont durci la délivrance de licences d’importation ou ontrestreint l’accès aux devises des importateurs en 2011 et 2012(Chine, Argentine, Brésil). Ce recours croissant à des mesuresrestrictives – qui peut certes être justifié du point de vuemacroéconomique – est susceptible d’entraîner des délais de paiements plus importants pour les exportateurs. Plusglobalement, les contrôles de capitaux sonnent la fin d’uneidéologie qui donne l’avantage systématique à des solutionsde libéralisation des marchés. L’ouverture financière depuisla crise n’est plus considérée comme une panacée ni par lespays émergents ni par les institutions financières interna-tionales. Et la remise en question généralisée de l’ouverturesystématique des marchés de capitaux concerne égalementde plus en plus le marché des biens et services.

Axelle Fofana

Le réal brésilien s’est fortement apprécié entre fin 2008et juillet 2011, passant de 2,6 BRL pour 1 USD à 1,53.Cette appréciation résulte notamment d’une hausse tendancielle des entrées de capitaux au Brésil depuis leprintemps 2009, dans un contexte de liquidité mondialeabondante et de recherche par les investisseurs de

rendement. Les flux nets de capitaux sont ainsi passésde 3 milliards de dollars à près de 23 milliards (10) entre mars 2009 et janvier 2013 (voir graphique ci-dessous). Si le pays attire de nombreux investissements directsétrangers, la part des investissements de portefeuille,plus volatils, a aussi augmenté sur la période.

Effets des contrôles de capitaux : l’exemple du Brésil

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 7

(9) En novembre 2012, le passif externe du système bancaire sud-coréen représentait 187%de l’actif externe (source : FMI).

(10) Flux nets de capitaux exprimés en somme sur 3 mois.

Source :�Datastream

60

50

40

30

20

10

0

-10

-20

-30

-40

01-08 01-09 01-10 01-11 01-12 01-1301-07

Brésil : flux de capitaux (milliards USD)

Investissements�directs�étrangersAutres�investissements�et�produits�dérivés

Investissements�de�portefeuilleSolde�du�compte�financier

FOCUS

Page 8: Panorama risques 201303

Axelle Fofana(suite)

Afin de limiter l’appréciation du réal jugée nuisible à lacompétitivité du secteur manufacturier, les autoritésbrésiliennes ont mis en place à partir de 2008 plusieursmesures de contrôle des capitaux :

• Un impôt sur les opérations financières (IOF) de 1,5% surles investissements étrangers sur le marché obligatairelocal a été décidé en mars 2008. Supprimée en octobre2008, lorsque le taux de change était soumis à des pres-sions à la dépréciation, la taxe a ensuite été réinstauréeen octobre 2009 (2%) et a augmenté en octobre 2010(6%). Par ailleurs, une taxe de 2% a été perçue entreoctobre 2009 et décembre 2011 sur les investissementsétrangers en actions, afin de toucher l’ensemble des fluxde portefeuille. Ces mesures ont été supprimées fin 2011dans un contexte de forte dépréciation du réal avec leretour de l’aversion globale au risque.

• Les emprunts contractés à l’étranger ont également étésoumis à l’IOF. D’abord de 2%, la taxe sur les empruntsayant une maturité d’un an est passée à 6% en mars2011. Cette taxe a été étendue aux titres ayant desmaturités allant jusqu’à 2 ans en avril 2011, puis à desmaturités allant jusqu’à 5 ans en mars 2012. Le gouver-nement a alors réaffirmé sa volonté de freiner une sur-appréciation de la monnaie brésilienne, dans un contextede repli de l’aversion globale pour le risque.

Ces mesures de contrôle ont eu peu d’effets sur le tauxde change, mais ont tout de même amélioré la qualitédes flux entrants :

• La mise en place de contrôles sur les flux de portefeuilleen mars 2008, octobre 2009 et octobre 2010 n’a paspermis d’empêcher l’appréciation de la monnaie brési-lienne à moyen terme (voir graphique ci-dessous). D’aprèsJinjarak, Noy et Zheng (2012)(11), ce faible impact s’expliquepar le fait que la mise en place de contrôles de capitauxn’était pas considérée comme différente de la politiquemenée habituellement par le gouvernement et qu’elleétait donc largement anticipée par les investisseurs.

Toutefois, de nouvelles taxes ont été décidées en mars2012 et le réal s’est déprécié de 10% contre le dollar aucours de l’année. L’instauration de ces taxes pourraitexpliquer en partie cette évolution. Cette affirmationreste cependant à nuancer. En effet, la banque centraleest également intervenue sur le marché des changes eta mené une politique monétaire plus souple. Par ailleurs,le Brésil a profité de la montée de l’aversion au risque àpartir de fin 2011 pour voir son taux de change se déprécier(2 BRL pour 1 USD fin 2012 contre 1,75 un an plus tôt).

• Des effets de report sur les IDE : la littérature récente aconclu que les taxes sur les investissements étrangers surles marchés locaux d’actions et d’obligations ont effec-tivement permis une moindre croissance des investisse-ments de portefeuille au Brésil. Elles ont engendré un effetde report sur les IDE qui ont atteint un pic historique deprès de 68 milliards de dollars en 2011 (12). Si ces effets dereport ont limité l’impact sur le taux de change desmesures de contrôle, cette modification de la nature descapitaux entrants se révèle aussi bénéfique : la mise enplace de ces contrôles a permis de décourager l’afflux decapitaux spéculatifs en faveur des IDE, source de finance-ment moins volatile et permettant au Brésil de compenserla faiblesse de son investissement domestique.

• Des effets de report sur les pays voisins : d’après laBanque de France (13), les contrôles de capitaux sont àl’origine d’effets de report sur les marchés financierslocaux des pays voisins. La hausse de la taxe sur les fluxde portefeuille en obligations par le Brésil expliqueraitainsi la totalité de la hausse des flux sur les obligationsmexicaines en octobre 2010. En effet, alors que la taxesur les investissements étrangers sur le marché obliga-taire brésilien passait de 2% à 6% en octobre 2010, lesflux entrants sur les obligations mexicaines passaientde 3,7 milliards de dollars en septembre à 5,1 milliardsde dollars en octobre. Les flux sur les obligationsbrésiliennes passaient de 4,2 à 2,2 milliards de dollarsdans le même temps. Une évolution similaire a pu êtreobservée au Chili, en Colombie et au Pérou.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 8

(11) Jinjarak, Noy and Zheng (2012), «Capital controls in Brazil: stemming a tide witha signal?», document de travail, School of economics and finance, Victoria, Universityof Wellington.(12) Flux nets d’IDE sur un an.

(13) Frederic Lambert, Julio Ramos-Tallada et Cyril Rebillard: «Capital controls andspillover effects: Evidence from Latin-American countries», document de travail dela Banque de France N° 357, décembre 2011.

2,6

2,5

2,4

2,3

2,2

2,1

2,0

-1,9

-1,8

-1,7

-1,6

-1,5

01-06 01-07 01-08 01-09 01-10 01-11 01-12 01-13

Évolution du taux de change du real face au dollar

Source :�Datastream

Instauration�ou�augmentation�de�la�taxesur�les�investissements�étrangers�en�obligations�locales�ou�en�actions

Retrait�de�taxe

FOCUS

Page 9: Panorama risques 201303

Le niveau de protectionnisme reste élevé

Le protectionnisme commercial représente également unrisque pesant sur les entreprises des pays émergents ainsique sur celles qui exportent vers ces pays. D’après l’OMC,l’instauration de mesures protectionnistes a nettementaugmenté dans le prolongement de la crise mondiale de2008-2009. Or, l’expérience de la grande dépression desannées 1930 montre que les mesures restreignant le com-merce ont tendance à devenir permanentes même si leurdurée de vie initiale devait être temporaire (voir Eichen-green et Irwin (14)). La période récente le confirme : si lenombre de nouvelles mesures a crû moins fortement en2012(15), le stock de mesures restrictives existantes continued’augmenter et touche désormais 4,4% des importationsdes pays du G20, selon l’OMC. D’après les estimationsindépendantes du Global Trade Alert (GTA (16)), l’effet desmesures prises depuis novembre 2008 est même nette-ment plus important et toucherait au moins 10% des impor-tations des pays du G20. Cette augmentation s’expliquepar le fait que seuls 21% des mesures mises en œuvre dansles pays du G20 depuis 2008 ont été supprimés.

L’Argentine et la Russie sont de loin les pays les plus protectionnistes

Le terme de protectionnisme regroupe des mesures trèsdiverses. Il correspond à l’ensemble des mesures qui visent à favoriser les producteurs nationaux ou à défavoriser les entreprises étrangères. Les types de mesures peuvent doncêtre très variés : mesures tarifaires (taxes) ou non (quotas,normes), directes (taxes) ou indirectes (subventions). Lesprincipales mesures prises dans les pays émergents au coursdes deux dernières années reflètent cette diversité. Il s’agit àla fois d’accès préférentiel aux marchés publics pour lesentreprises locales (Brésil, Inde, Afrique du Sud), de quotasd’importation (Argentine, Brésil, Russie) ou encore de taxessur des importations (Chine, Argentine). Elles n’ont pas étéseulement prises au niveau national : le Mercosur a, par exem-ple, autorisé ses pays membres à augmenter le tarif extérieurcommun pour 200 produits en 2012. Cette diversité de typesde mesures prises rend leur comptabilisation difficile. Parexemple, la Chine fait varier le niveau des remboursementsde TVA octroyés aux entreprises de certains secteurs d’ac-tivité afin d’influer sur leur profitabilité et favoriser leursexportations. Elle a ainsi modifié à 13 reprises le niveau de cesremboursements entre 2007 et 2010, si bien que 71% desexportations chinoises ont été affectées par ces changementsen 2010, contre seulement 4% en 2007. Or, il est difficile detenir compte de chaque changement du niveau de la TVAappliquée aux entreprises chinoises exportatrices.

C’est la raison pour laquelle il existe peu de recensementsexhaustifs des mesures protectionnistes prises dans lemonde. En dehors de l’OMC, le GTA fait figure d’exception : ildénombre l’ensemble des mesures prises depuis novembre2008 qui restreignent le commerce international ainsi quecelles qui le favorisent. En soustrayant des premières les secondes, nous en déduisons un «nombre net » de mesuresprotectionnistes existantes par pays (voir graphique ci-contre).Il ressort de ces données que l’Argentine et la Russie sont deloin les pays les plus protectionnistes (respectivement 180 et136 mesures). L’Inde complète le podium (91). À l’autre boutde l’échelle, le Mexique ou encore l’Afrique du Sud sont des

pays peu protectionnistes (21 mesures chacun seulement). La Turquie est également relativement ouverte au commerce.Le degré de protectionnisme de la Chine semble modéré (72).À titre de comparaison, les pays développés ont en moyenneplus de mesures protectionnistes (entre 90 et 115). Enfin, leBrésil est un cas à part : il semble peu protectionniste auregard de cet indicateur synthétique, mais il convient de noterqu’un nombre important de mesures favorisant le commercecompense en partie les nombreuses mesures restrictivesdécidées notamment en 2012. Par exemple, dans le secteurautomobile, le gouvernement brésilien a décidé d’augmenterde 30% une taxe sur les ventes de véhicules au contenu localinférieur à 65% pour faire face à l’augmentation du nombre de voitures importées. Il a aussi remis en cause l’accord delibre-échange automobile avec le Mexique et imposé des quo-tas. Un contenu local minimal de 65% a été imposé pour lesservices et les matériels pétroliers, au risque de renchérir lecoût d’équipements nécessaires à l’exploitation des nouveauxchamps en eau profonde. Le gouvernement brésilien a enfinadopté des exonérations fiscales pour les industries les plusconcurrencées par les importations telles que le textile.

Ces mesures font peser un risque sur les débouchés des entreprises

Les raisons du protectionnisme sont connues : il s’agit pourun pays de préserver l’emploi à court terme en protégeantun secteur d’activité fragilisé par le ralentissement de lademande mondiale et/ou une détérioration de sa compéti-tivité. C’est notamment le cas de beaucoup de pays émer-gents ayant connu un ralentissement de la croissance en2009 lié aux conséquences de la crise de Lehman Brothersainsi qu’une appréciation significative de leurs devises depuis2009. Outre ces facteurs externes, la montée actuelle duprotectionnisme trouve son origine dans les changementsde stratégies de croissances de pays émergents : aprèsavoir souffert de la contraction du commerce mondial en2009, des pays émergents ont décidé de favoriser l’essor desecteurs d’activité tournés vers leur demande interne. Danscette optique, les décisions protectionnistes visent à protégerces secteurs en développement.

Enfin, certains pays émergents restreignent davantage lesexportations de leurs matières premières ou de produits agricoles afin de contenir les prix sur le marché local et ainsistimuler la consommation des ménages et réduire les coûts deproduction des entreprises. Les restrictions d’exportations (17)

de terres rares et de charbon en Chine, de coton en Inde ouencore de blé en Ukraine s’inscrivent dans cette logique.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 9

(14) Eichengreen B. et Irwin D. (2009) : «The Slide to Protectionism in the Great Depres-sion: Who Succumbed and Why?», National Bureau of Economic Research, document detravail N° 15142, juillet.(15) Les mesures restrictives mises en œuvre dans les pays du G20 entre mai et octobre2012 ont touché 0,4% des importations de la zone, contre 1,1% au cours des six mois précé-dents.

(16) Global Trade Alert est un fournisseur de données indépendant sur le commerce mondial ; il est piloté par le CEPR US (centre de recherche sur la politique économique).(17) Essentiellement taxes à l’exportation et quotas.

Le protectionnisme commercial est un risque pour les entreprises

Nombre de mesures protectionnistes par pays

200

160

120

80

40

0

Argentine

Russie

Inde

Hongrie

Pologne

Chine

Indonésie

Brésil

Kazakhstan

Afrique du Sud

Turquie

Mexique

Source :�GTA

Page 10: Panorama risques 201303

Mais si les raisons expliquant la prise de telles mesuressemblent évidentes, leurs effets sur la croissance du paysconcerné sont ambigus. D’un côté, elles peuvent être con-sidérées comme une étape nécessaire pour protéger tem-porairement les industries naissantes d’un pays endéveloppement. Mais de l’autre, elles ont des effets néga-tifs sur la croissance si elles consistent à protéger dessecteurs d’activités déclinants. Cela réduit en effet d’autantles ressources disponibles pour favoriser l’essor de secteursd’activité générant de la croissance à plus long terme.

Plus globalement, le protectionnisme est susceptible d’avoirun effet négatif sur les débouchés des entreprises exportantvers les pays qui mettent en œuvre de telles mesures. Maisau niveau mondial, les effets semblent pour l’heure limités :

l’OMC prévoit une croissance du commerce mondial en 2013de +4,5%, après +2,5% en 2012. C’est un niveau en ligne avecune croissance modérée du PIB qui confirme que les cyclesdu commerce coïncident avec ceux de la croissance. Toute-fois, dans le contexte de division internationale des processusde production, notamment dans le secteur manufacturier, unepoursuite de l’augmentation du stock de mesures protection-nistes aurait des effets néfastes sur le commerce mondial :des mesures protectionnistes sur un type de produit parti-culier sont susceptibles d’avoir des conséquences surl’ensemble d’une chaîne de production au niveau mondial etainsi pénaliser l’activité de toutes les entreprises participantà ce processus.

Le niveau d’endettement du secteur privé représente un autrerisque pesant sur des économies émergentes. Si l’attentionse focalise actuellement sur l’endettement public élevé dansla majorité des pays avancés, rappelons que les pays les plustouchés par les effets de cette crise mondiale avaient souventpour point commun d’avoir connu des situations de boom ducrédit au secteur privé au préalable (Islande, Irlande, Espagne,Ukraine, Pays baltes, États-Unis…).

Or, certains pays émergents connaissent à l’heure actuelledes croissances très soutenues du crédit aux entreprises et aux ménages. Même si les structures des économiesémergentes sont différentes de celles des économiesavancées, il existe un risque qu’un excès d’endettement desentreprises et des ménages ait des effets comparables surla croissance à moyen terme.

Les effets collatéraux des politiques monétairesexpansionnistes

Plusieurs raisons expliquent cette tendance à l’augmentationsoutenue de la croissance du crédit au secteur privé dansles pays émergents. Tout d’abord, les politiques monétairesont été en moyenne expansionnistes dans le monde émergentdepuis la crise de 2008-2009. Ces politiques ont favoriséune croissance soutenue du crédit bancaire. Certains paysqui avaient très significativement baissé leurs tauxdirecteurs fin 2008 et en 2009 ne les ont pas remontés,lorsque la forte reprise de l’activité et de l’inflation s’estmatérialisée en 2010 et 2011. Leurs taux directeurs restentdonc aujourd’hui à des niveaux très bas, comme par exempledans des pays asiatiques : Thaïlande, Philippines, Indonésieou Corée du Sud. Ensuite, d’autres pays avaient des tauxd’intérêt plus élevés jusqu’en 2011 et disposaient donc demarges de manœuvre monétaires mais les ont en grandepartie utilisées en 2012 (Brésil, Inde). Il en résulte des con-ditions monétaires en moyenne très accommodantes dansles pays émergents : les taux d’intérêt réels sont restésproches de zéro (et même épisodiquement en négatif) lorsde l’accélération marquée de l’activité en 2010 et 2011. Ilssont toujours à l’heure actuelle à un niveau relativementbas pour les pays émergents dans leur ensemble (voirgraphique ci-contre).

Outre ces politiques monétaires expansionnistes, les lacunesen matière de règles prudentielles de l’activité bancaire et lespolitiques visant à favoriser le développement du système financier ont aussi joué un rôle dans l’expansion récente ducrédit. Par exemple, il n’existait ni revenu minimum ni âge minimum pour détenir une carte bancaire en Indonésiejusqu’au 1er janvier 2013, tandis que le nombre de cartes parhabitant était illimité. Par ailleurs, il n’y avait aucun apport mini-mum à fournir pour obtenir un prêt immobilier jusqu’en 2012.

Les dangers associés aux bulles de crédit

Pointer du doigt les effets négatifs du crédit au secteur privésur l’activité est a priori contradictoire, dans la mesure oùcelui-ci est un instrument de financement des entreprises etdes ménages, et donc de l’investissement et de la consom-mation. Une accélération de la croissance du crédit doit ainsifavoriser une croissance plus soutenue de l’activité. Uneétude récente du FMI (18) le confirme : une augmentation duniveau de développement financier est associée à une moindrevolatilité de la croissance économique (mesurée par l’écart-type du taux de croissance du PIB). Toutefois cette étudesouligne également qu’au-delà d’un certain seuil, la corrélationentre développement financier et volatilité de la croissancedu PIB devient négative. Le seuil limite est atteint lorsque leratio du volume total de crédit au secteur privé sur le PIBexcède 100%.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 10

(18) Fonds Monétaire International : «Rapport mondial de stabilité financière», chapitre 4,octobre 2012.

Taux d’intérêt réel moyen pour 23 pays émergents*(taux directeur - inflation en %) Source :�Datastream

01-07 07-07 01-08 07-08 01-09 07-09 01-10 07-10 01-11 07-11 01-12 07-12

3,0

2,5

2,0

1,5

1,0

0,5

0,0

-0,5

-1,0

-1,5

-2,0

*�Chine,�Inde,�Indonésie,�Malaisie,�Philippines,�Corée�du�Sud,�île�de�Taïwan,�Thaïlande,�Brésil,�Colombie,Pérou,�Mexique,�République�tchèque,�Hongrie,�Pologne,�Russie,�Turquie,�Afrique�du�Sud,�Chili,�Uruguay,�Hong�Kong,�Israël,�Kazakhstan.�

UN CRÉDIT TROP DYNAMIQUE

Page 11: Panorama risques 201303

Mais il convient aussi de tenir compte de l’évolution de ce ratioafin d’évaluer les risques de bulle de crédit (19). En effet, si unpays voit sa croissance du crédit augmenter très rapidement,cela est susceptible de générer des risques accrus au sein dusecteur bancaire même si le niveau de l’encours total est rela-tivement faible. Par exemple, la croissance du crédit a étésupérieure à 30% par an en moyenne en Russie entre 2006 et 2011. Certes, cette forte croissance illustre en partie unprocessus de rattrapage financier, le ratio d’encours total decrédit sur PIB n’atteignant que 40% du PIB fin 2011. Mais ellepeut aussi engendrer une hausse des prêts non-performants,si cette hausse très soutenue et rapide des crédits accordésest synonyme de plus grande souplesse des banques dansl’octroi de crédits aux ménages et entreprises. Dit autrement,dans le cas où la croissance du crédit au secteur privé estsupérieure de manière durable à celle du PIB nominal, la différence entre les deux correspond à un excès de liquiditésqui n’est pas absorbé par le marché des biens. Il est doncinvesti dans des marchés d’actifs (financiers ou immobiliers) etsusceptible de favoriser la formation de bulles sur ces derniers.Pour tenir compte de cette évolution, le FMI(20) définit une bullede crédit comme une période pendant laquelle la croissance dece ratio excède significativement sa moyenne de long terme(21)

ou lorsqu’il augmente de plus de 20 points en un an.

Gardons toutefois à l’esprit que toutes les bulles de crédit n’en-gendrent pas de crises financières, bien au contraire : la partdes épisodes de bulles de crédit ayant débouché sur une crisedans un délai de 3 ans est d’un tiers, d’après le FMI. La proba-bilité que les pays en question connaissent au moins une période prolongée de croissance du PIB en dessous de leurpotentiel au cours des 6 années consécutives à la fin du boomde crédit est, quant à elle, de 60%. Lors de cette période, lechoc négatif sur la croissance est en moyenne de 2,2 pointspar an. Cela confirme que les périodes de bulles de créditengendrent un surendettement de certains secteurs d’activitéet donc un ajustement de ces derniers lorsque la croissanceralentit, même dans le cas où une crise est évitée. Ces ajuste-ments s’expliquent souvent par un durcissement des condi-tions de crédit des banques à la suite d’une crise ou d’unepériode de ralentissement marqué de l’activité : ayant subi despertes liées à des défauts d’entreprises et de ménages, celles-ci restreignent le crédit au secteur privé et limitent ainsi lescapacités d’investissement de ces derniers.

Diagnostiquer les bulles de crédit

Afin d’identifier les risques de bulle de crédit, nous noussommes donc intéressés à la fois au niveau initial du ratiode crédit au secteur privé sur PIB et à son évolution. Nousavons estimé que les pays susceptibles de subir les effetsnégatifs liés à un boom du crédit sont ceux caractériséspar un ratio supérieur à 100% et / ou une évolution de cedernier d’au moins 10 points au cours de l’année passée (22).

Ces critères ont le mérite de permettre de réaliser unclassement synthétique des pays émergents en fonctiondu risque de bulle de crédit. Mais la limite de cette analysetient à la non prise en compte de critères plus qualitatifs.En effet, outre le niveau d’encours et leur croissance, lacomposition de ces prêts a une incidence sur les risquesassociés à l’expansion du crédit. Par exemple, les pays pourlesquels la part des crédits au secteur privé libellés endevise étrangère est élevée sont plus vulnérables en cas debulle de crédit. La Turquie en est un exemple significatif.

De la même manière, des règles prudentielles déficientes(comme en Russie) sont aussi susceptibles d’aggraver lesrisques relatifs à une forte croissance du crédit.

Une combinaison du niveau de l’encours de créditet de sa dynamique

D’abord, la très large majorité des pays émergents a un ratioinférieur au niveau de 100% évoqué précédemment, si bienque la croissance du crédit au secteur privé y joue un rôlepositif sur l’activité. Mais certains sont au-dessus ou trèsproches de ce seuil. L’Estonie en fait par exemple partie.

Ensuite, en observant l’évolution du ratio de crédit au secteurprivé sur PIB pour l’ensemble des pays émergents, nous con-cluons que plusieurs pays sont aujourd’hui dans une situationde boom du crédit tel que nous le définissons, ou en sonttrès proches. Ils font donc face à un risque significatif de crisefinancière ou de croissance durablement plus faible à moyenterme. Il s’agit notamment du Chili (+15 points entre mi-2011et mi-2012), de la Russie (+10 points), de la Turquie, duVenezuela ou encore du Cambodge (+9 points chacun).Plusieurs pays d’Amérique centrale sont également à risqued’après ce critère (comme le Guatemala, ou le Honduras).

Enfin, les pays les plus à risque sont ceux remplissant ces deux critères : le crédit au secteur privé sur PIB est àun niveau élevé et augmente rapidement. Ils sont donc lesplus susceptibles de subir une crise ou au moins une périodede croissance plus faible. De nombreux pays asiatiquesentrent dans cette catégorie ou en sont très proches :Chine, Malaisie, Corée, Thaïlande, Singapour et Vietnam. LeLiban et le Guatemala en font aussi partie (voir graphiquepage 12).

L’ouverture du compte de capital est un facteuraggravant

Outre le niveau et la croissance du ratio de crédit au secteurprivé/PIB, d’autres indicateurs sont à prendre en comptepour juger de la vulnérabilité d’un pays face à un excès decrédit aux entreprises et aux ménages. En particulier, lespays ayant un compte de capital très ouvert ont plus derisque de souffrir d’une crise financière en cas de bulle decrédit. En effet, les flux de capitaux sont susceptibles delimiter les effets d’éventuelles mesures de resserrementmonétaire décidées par les banques centrales. Ainsi, dansle cas où les banques centrales de ces pays décident deresserrer leur politique monétaire pour limiter la croissancedu crédit, ces flux de capitaux en limiteront les effets.L’augmentation des investissements étrangers, notammentsur les marchés obligataires locaux, assouplit les conditionsde financement des entreprises et des ménages. Ces fluxde capitaux limitent donc les canaux de transmission de lapolitique monétaire : les taux longs ont baissé en 2010 enMalaise, en Corée du Sud ou encore au Brésil alors mêmeque les banques centrales de ces pays augmentaient leurstaux d’intérêt directeurs.

Dans ce contexte, la faible ouverture de la Chine aux capi-taux étrangers est un facteur qui atténue le risque lié à laforte croissance du crédit au secteur privé au cours desdernières années. À l’inverse, la Malaisie, la Corée du Sudou la Thaïlande apparaissent comme des pays plus vul-nérables au regard de ce critère. L’île de Taïwan se trouvedans une position intermédiaire.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 11

(19) Voir par exemple BNP Paribas : «Country Risk Overview», Direction de la RechercheEconomique, février 2012.(20) Fonds Monétaire International : « Policies for Macrofinancial Stability: How to dealwith Credit Booms», Staff Discussion Note 12/06, juin 2012.

(21) Différence entre la croissance réalisée et la croissance moyenne de long termesupérieure à 1,5 écart-type et croissance du ratio de crédit au secteur privé sur PIBsupérieure à 10 points. (22) Année allant de mi-2011 à mi-2012.

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Les pays les plus risqués sont en Asie

En résumé, l’existence de bulles de crédit ne signifie pasqu’une crise est imminente dans les pays qui la subissent,mais cela implique qu’un risque d’ajustement marqué de la croissance (via une crise ou de manière plus graduelle)y est probable à moyen terme. Plusieurs pays asiatiquessemblent être particulièrement exposés à ce risque. Viennentensuite le Chili, la Russie, la Turquie et l’Afrique du Sud.

La résilience de la croissance ainsi que l’amélioration desfondamentaux souverains et externes ne signifient pas quele risque pays a disparu dans les pays émergents. Cetteétude met en évidence la montée de nouveaux risques qui doivent être surveillés avec attention en 2013 et 2014.Afin de suivre ces risques transformés, Coface met l’accentsur de nouveaux indicateurs. En particulier, son diagnosticpolitique et social souligne le caractère persistant du risqued’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Notreindicateur synthétique de bulle de crédit fait ressortir lespays asiatiques. Enfin, le risque protectionniste est égale-ment à surveiller dans le monde émergent, notamment enArgentine et en Russie.

LES PUBLICATIONS ÉCONOMIQUES DE COFACE 12

Crédit au secteur privé sur PIB (en %)

Augmentation sur un an du

ratio de crédit au secteur

privé sur PIB (en pp)

Singapour

Chine

Vietnam

Corée

Liban

Chili

RussieTurquieCambodge

Venezuela

Mexique

Indonésie

Afrique�du�Sud

Brésil

Inde

Taïwan

Thaïlande

Malaisie

25%

20%

15%

10%

5%

0%

-5%

-10%

0% 20% 40% 60% 80% 100% 120% 140% 160%

Pays émergents : niveau et croissance du ratio de crédit au secteur privé sur PIB (2012)

Source :�FMI