P R O F I L Collection dirigée par Georges Décote

D ' U N E ΠU V R E SCIENCES HUMAINES

POUR COMPRENDRE LES MÉDIA

MAC LUHAN

p a r F r a n c i s B A L L E

Chargé d 'une Maîtrise de Conférences

à l 'Université de Droit, d 'Economie

et de Sc iences Socia les d e Paris

HATIER 8. RUE D'ASSAS - PARIS 6

© H a t i e r , P a r i s , 1 9 7 2

Toute représentation, traduction, adaptat ion ou reproduction, même partielle, par tous pro- cédés, en tous pays, faites sans autorisation préalable est illicite et exposerait le contre- venant à des poursuites judiciaires.

(Réf : loi du 11 mars 1957.)

« N o u s a p p r o c h o n s r a p i d e m e n t d e l a p h a s e

f i n a l e d e s p r o l o n g e m e n t s d e l ' h o m m e : l a

s i m u l a t i o n t e c h n o l o g i q u e d e l a c o n s c i e n c e . »

M a r s h a l l M a c L u h a n ,

P o u r c o m p r e n d r e l e s m é d i a , p . 1 9 .

« O n p e u t ê t r e a l l e r g i q u e a u s t y l e d e M a c

L u h a n , o n p e u t r e f u s e r c e r t a i n e s d e s e s a f f i r -

m a t i o n s . M a i s i l r e s t e q u e s o n œ u v r e e s t u n e

i n c o m p a r a b l e p r o v o c a t i o n à l a r é f l e x i o n . E l l e

n o u s m e t e n é t a t d ' a l e r t e d e v a n t l ' u n d e s

p r o b l è m e s m a j e u r s d e n o t r e c i v i l i s a t i o n :

c e l u i q u e p o s e n t l e s t e c h n i q u e s n o u v e l l e s e t

f u t u r e s d e l a c o m m u n i c a t i o n . »

J e a n C a z e n e u v e .

Introduction

ACTUALITÉ DE MAC LUHAN

En 1964, dans une Amérique qui n'est déjà plus totale- ment assurée de son bon droit, un professeur de l'univer- sité de Toronto devient le nouveau devin social : Marshall Mac Luhan vient de publier un ouvrage intitulé « Pour comprendre les média ». Certes, l'analyse du futur consti- tuait déjà depuis quelques années un exercice intellectuel à la mode : elle avait suscité la publication, dans les sociétés industrielles les plus avancées, de bon nombre d'articles ou de livres qui se flattaient de ressortir au domaine de la sociologie. Assurément, il s'agissait autant d'un effort, parfois sincère mais souvent déçu, de prévi- sion de l'avenir que d'un essai d'endoctrinement, non dépourvu du reste de subtilité. Mac Luhan renouvelle le genre : son livre principal, publié pour la première fois en 1964, atteint dès 1967 un record de vente en livre de poche. Deux livres plus anciens : The mechanical bride de 1951 et La galaxie Gutenberg en 1962 n'avaient pas encore assuré la célébrité à celui qui signait encore de son nom complet Herbert Marshall Mac Luhan.

De l'homme, on ne sait à vrai dire que peu de choses. Il est sans doute trop habile pour parler de lui-même et s'il se déclare « écrasé de modestie », ce n'est pas sans s'être comparé auparavant à Platon. On sait seulement qu'il est né à Edmonton, dans l'Alberta, en 1911 et qu'il fut longtemps professeur d'anglais au Canada. Converti au catholicisme au même âge que Claudel après avoir lu Ce qui ne va pas dans le monde de G.-K. Chesterton, il occupe de longues années un poste à l'Université catho- lique de Toronto. C'est dans cette ville du Nord qu'il s'intéressa, avec le concours de ses étudiants, aux tech-

niques modernes de diffusion et à leur incidence sur l'activité sociale en général. Son premier livre The mecha- nical bride passera inaperçu et n'atteste pas en effet une grande originalité de pensée par rapport à l'esprit de son temps. « La fiancée mécanique » deviendra le sous-titre du chapitre consacré à l'automobile dans Pour comprendre les média. Mac Luhan attendra donc une bonne quinzaine d'années pour figurer aux côtés de trois autres grands « M » dans les rayons des librairies américaines réservés à ceux qu'on appelle, outre- Atlantique, les radicaux. Les trois autres « M » sont également étrangers par leur formation à la culture américaine : il s'agit de Marx, de Mao Tsé-Toung et ... de Marcuse.

S'il fait partie des prophètes ou des maîtres à penser de la génération contestataire, Mac Luhan a également su consolider sa réputation d'historien et de savant. Il connaît apparemment la terminologie technique qui aide à définir la nature des média; ses références à l'histoire sont sinon toujours convaincantes, du moins souvent brillantes. Et surtout il porte sur l'époque présente un diagnostic qu'en langage psychanalytique on dirait « sécurisant ». Parfois même, ses incursions dans une utopie qui n'avoue pas son nom lui permettent de mieux interpeller le présent et de donner l'assurance que nous tenons souvent pour des maladies ce qui constitue autant de signes de promesse d'un futur conforme à nos rêves. Ou aux siens. Le comble de sa gloire fut sans doute atteint lorsque Sidney Finkelstein publia en 1968 : Sens and nonsense of Mac Luhan. La question devint en français : Mac Luhan prophète ou imposteur? Si ses intuitions, qui sont nombreuses, sont autant de brèches offertes à une sociologie des média parfois décevante et plus souvent irritante, elles se prêtent assurément, par une sorte d'affinité avec l'esprit du temps, à la transfiguration idéologique et au durcisse- ment en dogme. Mais le pire n'est jamais certain.

1 « Pour comprendre les média » :

compte rendu analytique

PREMIÈRE PARTIE

Le lecteur qui, pour la première fois, découvre Mac Luhan à travers l'introduction de Pour comprendre les média est d'abord impressionné par la diversité, l'éclec- tisme, voire l'audace des métaphores que l'auteur utilise pour désigner notre temps. Mais il se trouve très vite sur un terrain connu : celui de l'analyse ou de la prévision du futur. On sait que, pour répondre au besoin de connaître le destin collectif, l'observateur, et tout parti- culièrement le sociologue, risque d'être conduit, parfois contre son gré, à assumer les fonctions de devin social. Mac Luhan ne s'y trompe pas qui, d'entrée de jeu, sait prendre en considération cette attente. Mais il fait plus, et dès la première page de son introduction, il nous avertit que son « livre » est « neuf aux trois quarts ». L'inquiétude de son éditeur qui considérait qu'un ouvrage ne devrait jamais contenir plus de « dix pour cent de matériaux nouveaux » reflète les résistances que notre temps oppose aux révélations concernant l'avenir ou, à tout le moins, aux matériaux nouveaux dont la connaissance nous permettrait d'en précipiter l'avène- ment. Et cette attitude n'est pas la seule qui illustre aux yeux de Mac Luhan le désarroi de l'homme occi- dental. Celui-ci ne s'est pas encore accoutumé en effet aux nouvelles technologies dont il dispose; il continue de vivre avec des modes de pensée et des modes d'action qui correspondent à une étape aujourd'hui dépassée

à Mac Luhan sa trop grande complaisance à l'égard d'une télévision et d'une radio livrées, aux États- Unis tout au moins, aux seuls intérêts privés.

• Raymond ROSENIHAL, Mac Luhan pro and co, Éd. Funk and Vagnals, 1968. Traduction française : Pour ou contre Mac Luhan, par P.-Y. Petillon et G. Durand (Seuil, Paris, 1969).

Cet ouvrage reprend une série d'articles parus à pro- pos de Mac Luhan. D'un côté, il y a ses partisans, ceux qui célèbrent en lui « le prophète de l'âge élec- tronique ». De l'autre, il y a ses détracteurs, ceux qui dénoncent son manque d'exigence et de rigueur ainsi que son non-conformisme facile. A la fin de l'ouvrage, Mac Luhan répond aux uns et aux autres.

• Jean CAZENEUVE, Les pouvoirs de la télévision (Galli- mard, 1970).

Avant de faire la synthèse de plusieurs enquêtes sur les effets de la télévision, notamment lors des cam- pagnes électorales, Jean Cazeneuve analyse chacune des vues prospectives de Mac Luhan. Il tente d'expli- quer la portée de chacune de ses intuitions et les consi- dère comme autant d' « hypothèses de travail » utiles à une sociologie plus scientifique.

• Alain BOURDIN, Mac Luhan (Éditions universitaires, 1970).

Étude perspicace de la contribution de Mac Luhan à la sociologie de communication de masse.

Imprimé en France I M P R I M E R I E F I R M I N - D I D O T . - P A R I S - M E S N I L I V R Y 9 2 2 0

D é p ô t l é g a l 2 t r i m e s t r e 1 9 7 2 .

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