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LIVRE II DE LA NATURE Paraphrase de la physique d'Aristote livre 2 chap II Après avoir ainsi indiqué les différents sens qu'on peut donner au mot de nature, il est bon de dire, en passant, en quoi l'étude des Mathématiques se distingue de l'étude de la Physique ; car les corps de la nature ont des surfaces, des dimensions solides, des lignes et des points qui forment l'objet propre des recherches mathématiques. Peut-être faudrait-il encore voir, en étendant le cercle, si l'Astronomie est distincte de la Physique, ou si elle n'en est qu'une branche et une dépendance ; car, si c'est au Physicien de savoir ce que sont le soleil ou la lune dans leur essence, on pourrait trouver étrange que le Physicien n'eût point aussi à connaître les phénomènes secondaires que ces grands corps présentent, surtout quand on peut remarquer que ceux qui s'occupent de l'étude de la nature traitent aussi de la figure du soleil et de la lune, et s'enquièrent, par exemple, si la terre et le monde sont sphériques ou ne le sont pas. Le mathématicien, quand il étudie les surfaces, les lignes et les points, ne les considère pas du tout par rapport aux corps réels et naturels, dont ce sont là les limites ; il ne considère pas davantage leurs propriétés, en tant qu'elles peuvent appartenir à des êtres réels et sensibles. Mais il abstrait ces notions, que la raison peut en effet très bien isoler du mouvement auquel les surfaces, les lignes et les points sont mêlés dans la réalité ; et cette abstraction, n'amenant aucune altération dans ces notions , n'est pas faite pour produire une erreur. Mais le système des Idées est bien moins acceptable, et ceux qui le soutiennent font, comme les Mathématiciens ; sans d'ailleurs s'en apercevoir, ils tirent leurs abstractions des choses naturelles, où elles sont beaucoup moins de mise que dans les mathématiques. On peut très aisément s'en convaincre eu regardant aux définitions mathématiques de ces choses, et en les comparant aux idées qu'on en tire. Ainsi, en mathématique, le pair et l'impair, le droit et le courbe, ou bien encore le nombre, la ligne, la figure peuvent fort bien se concevoir et exister sans le mouvement. Mais dans la nature, on ne peut comprendre la chair, les os, l'homme, sans le mouvement qui les produit. Toutes ces choses-là impliquent nécessairement dans leur définition l'idée de mouvement , comme le Camard implique nécessairement l'idée matérielle du nez, tandis que le courbe est une abstraction qui n'implique point l'idée d'une réalité. Les abstractions mathématiques peuvent donc bien plus aisément se justifier. Il en est de même encore des abstractions dont font usage les parties des mathématiques qui sont les plus rapprochées de la Physique, je veux dire l'Optique, l'Harmonie et l'Astronomie, qui, à certains égards, ont une méthode inverse de la Géométrie. Ainsi la Géométrie étudie la ligne, qui est bien physique ; mais elle ne l'étudie pas sous ce rapport, et elle la considère abstraitement, tandis que l'Optique considère cette ligne mathématique, non pas en tant que mathématique, mais en tant qu'elle joue un râle dans

Paraphrase de La Physique d'Aristote Livre 2 Chap 2

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La Physique est une sorte d'introduction épistémologique à l'ensemble des ouvrages d'Aristote de science naturelle (un des trois domaines des sciences théorétiques, avec les mathématiques et la philosophie première). Elle est ainsi une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général.La nature se caractérise pour Aristote principalement par le changement.L'influence de ce que Heidegger disait être « le livre fondamental de la philosophie occidentale » est considérable.

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LIVRE II

DE LA NATURE

Paraphrase de la physique d'Aristote livre 2 chap II

Après avoir ainsi indiqué les différents sens qu'on peut donner au mot de nature, il est bon de dire, en passant, en quoi l'étude des Mathématiques se distingue de l'étude de la Physique ; car les corps de la nature ont des surfaces, des dimensions solides, des lignes et des points qui forment l'objet propre des recherches mathématiques. Peut-être faudrait-il encore voir, en étendant le cercle, si l'Astronomie est distincte de la Physique, ou si elle n'en est qu'une branche et une dépendance ; car, si c'est au Physicien de savoir ce que sont le soleil ou la lune dans leur essence, on pourrait trouver étrange que le Physicien n'eût point aussi à connaître les phénomènes secondaires que ces grands corps présentent, surtout quand on peut remarquer que ceux qui s'occupent de l'étude de la nature traitent aussi de la figure du soleil et de la lune, et s'enquièrent, par exemple, si la terre et le monde sont sphériques ou ne le sont pas. Le mathématicien, quand il étudie les surfaces, les lignes et les points, ne les considère pas du tout par rapport aux corps réels et naturels, dont ce sont là les limites ; il ne considère pas davantage leurs propriétés, en tant qu'elles peuvent appartenir à des êtres réels et sensibles. Mais il abstrait ces notions, que la raison peut en effet très bien isoler du mouvement auquel les surfaces, les lignes et les points sont mêlés dans la réalité ; et cette abstraction, n'amenant aucune altération dans ces notions , n'est pas faite pour produire une erreur.Mais le système des Idées est bien moins acceptable, et ceux qui le soutiennent font, comme les Mathématiciens ; sans d'ailleurs s'en apercevoir, ils tirent leurs abstractions des choses naturelles, où elles sont beaucoup moins de mise que dans les mathématiques. On peut très aisément s'en convaincre eu regardant aux définitions mathématiques de ces choses, et en les comparant aux idées qu'on en tire. Ainsi, en mathématique, le pair et l'impair, le droit et le courbe, ou bien encore le nombre, la ligne, la figure peuvent fort bien se concevoir et exister sans le mouvement. Mais dans la nature, on ne peut comprendre la chair, les os, l'homme, sans le mouvement qui les produit. Toutes ces choses-là impliquent nécessairement dans leur définition l'idée de mouvement , comme le Camard implique nécessairement l'idée matérielle du nez, tandis que le courbe est une abstraction qui n'implique point l'idée d'une réalité. Les abstractions mathématiques peuvent donc bien plus aisément se justifier. Il en est de même encore des abstractions dont font usage les parties des mathématiques qui sont les plus rapprochées de la Physique, je veux dire l'Optique, l'Harmonie et l'Astronomie, qui, à certains égards, ont une méthode inverse de la Géométrie. Ainsi la Géométrie étudie la ligne, qui est bien physique ; mais elle ne l'étudie pas sous ce rapport, et elle la considère abstraitement, tandis que l'Optique considère cette ligne mathématique, non pas en tant que mathématique, mais en tant qu'elle joue un râle dans certains phénomènes naturels de la vision.Quant au physicien, il ne considère pas les choses d'une manière abstraite, comme on le fait en mathématiques; il les considère dans leur réalité naturelle ; et le mot de Nature ayant les deux acceptions que nous avons dites, la forme et la matière, il faut étudier les choses de la nature, comme on le ferait si l'on voulait se rendre compte de cette qualité abstraite de Camus, laquelle suppose toujours la réalité matérielle d'un nez, puisqu'elle ne s'applique exclusivement qu'au nez. Les choses de ce genre ne peuvent exister sans matière, et pourtant elles ne sont pas purement matérielles. Mais si l'on reconnaît deux natures, on peut se demander de laquelle des cieux le physicien doit s'occuper; et si ce n'est pas leur résultat commun qu'il doit uniquement étudier. Or pour comprendre ce résultat, ne faut-il pas qu'il étudie aussi les deux éléments qui le composent ? Et par suite ne peut-on pas demander si la connaissance de ces deux natures est le fait d'une seule et même science, ou de sciences distinctes ? A ne regarder que les anciens philosophes, on pourrait croire que la Physique doit se borner à l'étude de la matière ; car Démocrite, Empédocle et les autres ont à peine effleuré la question de la forme et de l'essence. Mais si l'art, qui n'est qu'une imitation de la nature, s'occupe tout ensemble de la forme et de la matière, on peut dire qu'il appartient à une seule et même science d'étudier tout à la fois jusqu'à un certain point la matière et la forme des choses naturelles. Par exemple, si le médecin qui doit étudier la santé, étudie de plus le flegme et la bile dans lesquels la

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santé consiste ; et si de même, l'architecte s'occupe tout à la fois et de la matière et de la forme de la maison, de ses murailles et de ses bois, tous les autres arts faisant comme la médecine et l'architecture, on ne voit pas pourquoi il en serait autrement de la Physique ; et elle doit étudier à la fois les deux natures, la matière et la forme. Ajoutez que c'est à une seule et même science d'étudier la fin et le pourquoi des choses, ainsi que tous les phénomènes qui y concourent. Or, la nature est la fin et le pourquoi des choses ; car là où le mouvement n'étant point interrompu, il y a une fin à ce mouvement, cette fin est le terme dernier et le pourquoi de la chose qui a ce mouvement continu. Aussi l'exclamation du poète ne laisse-t-elle pas que d'être assez ridicule à propos de la mort d' un de ses personnages : " C'est la fin pour laquelle il avait été fait. "Comme s'il suffisait qu'un terme fût le dernier pour que ce fût la fin véritable à laquelle l'être tendait ; et comme si la fin ne devait pas toujours être le bien et le bien tout seul de l'être qui tend à cette fin !Pour bien se convaincre que la Physique doit tout ensemble étudier la matière et la forme, il n'y a qu'a regarder encore les procédés des arts. Tous les arts confectionnent de la matière ; mais les uns ne font que préparer des matériaux, et les autres les emploient du mieux qu'ils peuvent à notre usage. Aussi nous nous servons des choses comme si elles n'existaient qu'en vue de nous; car nous pouvons bien nous regarder comme une sorte de fin, et comme le pourquoi de toutes les choses que l'art fabrique pour notre utilité. D'ailleurs, le pourquoi peut s'entendre de deux façons, ainsi que nous l'avons expliqué dans nos livres intitulés : De la philosophie. Mais je continue, et je dis qu'il y a deux espèces d'arts qui commandent à la matière et qui en jugent : l'un, employant les choses, et l'autre, dirigeant l'industrie qui les façonne, comme un habile architecte dirige ses ouvriers. Ce n'est pas que celui qui emploie les choses et les juge selon qu'elles lui servent, ne joue aussi le rôle d'architecte dirigeant, puisqu'il demande les choses telles qu'il les lui faut ; mais il y a ici cette différence entre les deux arts, que l'un, celui qui juge l'usage, ne s'occupe que de la forme, tandis que l'autre, celui qui façonne les choses, ne s'occupe guère que de la matière. J'éclaircis ma pensée par un exemple : le pilote qui emploie le gouvernail sur le navire, sait quelle en doit être la forme et il la commande ; mais le constructeur sait de quel bois le gouvernail doit être fait, et quels sont les services et les manoeuvres qu'on en attend. Du reste une différence encore plus grande entre l'art et la nature, c'est que dans les produits de l'art, c'est nous qui façonnons la matière en vue de l'usage à laquelle nous la destinons ; mais dans les choses de la nature, la matière est toute faite.Enfin, ce qui prouve bien que la Physique doit tout ensemble étudier la forme et la matière, c'est que ce sont là des relatifs, puisque la matière varie avec la forme, et qu'à une forme différente correspond aussi une autre matière ; et une science ne peut connaître un des relatifs sans connaître aussi l'autre. Mais jusqu'à quel point le Physicien doit-il étudier la forme et l'essence des choses ? Ne doit-il les étudier qu'à un point de vue restreint, comme le médecin étudie la nature des nerfs en vue de la santé, et le fondeur, la nature de l'airain en vue de la statue qu'il doit fondre ? Doit-il aussi étudier les choses qui, bien que séparables au point de vue de la forme, n'en sont pas moins toujours mêlées à la nature, par exemple, l'âme humaine ? Puisque, comme on dit, c'est l'homme et le soleil qui engendrent l'homme. Mais je ne