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Document généré le 21 oct. 2018 08:08 Téoros Paris transformé en décor urbain : Les liaisons dangereuses entre tourisme et cinéma Georges-Henry Laffont et Lionel Prigent L’excellence des destinations Volume 30, numéro 1, 2011 URI : id.erudit.org/iderudit/1012114ar DOI : 10.7202/1012114ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Université du Québec à Montréal Découvrir la revue Citer cet article Laffont, G. & Prigent, L. (2011). Paris transformé en décor urbain : Les liaisons dangereuses entre tourisme et cinéma. Téoros, 30(1), 108–118. doi:10.7202/1012114ar Résumé de l'article Dans un mouvement de plus en plus suivi, de nombreuses agglomérations et régions françaises tendent à développer un secteur économique local consacré au cinéma et, dans le même temps, un tourisme inspiré de ce cinéma. Les lieux les plus représentatifs d’une ville deviennent ainsi des décors et des images diffusés sur grand écran. Paris s’est illustré dans ce phénomène depuis le début du XXe siècle. Cependant, l’exposition ainsi offerte renforce-t-elle l’attractivité touristique ? Ou bien l’industrie du film se saisit-elle des sites emblématiques pour créer l’émotion ? Ces questions symétriques conduisent à analyser les stratégies de développement économique dans un contexte local et à comprendre comment un lieu est utilisé (et mis en valeur) par le cinéma. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2011

Paris transformé en décor urbain : Les liaisons ... · Résumé de l'article ... (leos carax, 1991), le Paris du Da Vinci Code, mais aussi le département de la Seine-Saint-denis

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Document généré le 21 oct. 2018 08:08

Téoros

Paris transformé en décor urbain : Les liaisonsdangereuses entre tourisme et cinéma

Georges-Henry Laffont et Lionel Prigent

L’excellence des destinationsVolume 30, numéro 1, 2011

URI : id.erudit.org/iderudit/1012114arDOI : 10.7202/1012114ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)

Université du Québec à Montréal

Découvrir la revue

Citer cet article

Laffont, G. & Prigent, L. (2011). Paris transformé en décorurbain : Les liaisons dangereuses entre tourisme et cinéma.Téoros, 30(1), 108–118. doi:10.7202/1012114ar

Résumé de l'article

Dans un mouvement de plus en plus suivi, de nombreusesagglomérations et régions françaises tendent à développer unsecteur économique local consacré au cinéma et, dans lemême temps, un tourisme inspiré de ce cinéma. Les lieux lesplus représentatifs d’une ville deviennent ainsi des décors etdes images diffusés sur grand écran. Paris s’est illustré dans cephénomène depuis le début du XXe siècle. Cependant,l’exposition ainsi offerte renforce-t-elle l’attractivitétouristique ? Ou bien l’industrie du film se saisit-elle des sitesemblématiques pour créer l’émotion ? Ces questionssymétriques conduisent à analyser les stratégies dedéveloppement économique dans un contexte local et àcomprendre comment un lieu est utilisé (et mis en valeur) parle cinéma.

Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des servicesd'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vouspouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/]

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Universitéde Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pourmission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org

Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal,2011

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«Atmosphère,atmosphère,est-cequej’aiunegueuled’atmos-phère?»dansHôtel du Nord, larépliqued’Arlettya l’accentdu Paris populaire des années 1930. Elle marque l’histoireducinéma.Toutefois,c’estbienlecadredudramedeMarcelcarné(1938)quienrestelepersonnageprincipal:l’hôtelduNord, au bord du canal Saint-Martin. depuis, malgré quel-quesvicissitudes,l’hôtelacontinuéd’attirervisiteurs,badaudsetcinéphiles.Pour leprotégerd’uneopération immobilière,il a même été partiellement classé monument historique en1989.Reconvertienrestaurant,ilagardésafaçadeetsonlotdevisiteursavertis.grâceàlarenomméedufilm,ilestdevenula quintessence d’une ville, Paris, et d’une époque, l’entre-deux-guerres. Plusieurs décennies après, l’hôtel du Nordentretientcettelégendeauprèsdetouristesquionttenuàvoir,de leurs yeux, le théâtre qui a réuni Arletty et louis Jouvet(deuxacteursemblématiquesdel’âged’orducinémafrançaisdurantlapremièremoitiéduXXesiècle).

d’autresplaces,d’autres scènesparisiennes,ontémudesspectateursavantd’attirerdestouristes,avidesdefoulerquel-quesinstantsleslieuxparcourusparleurshérosdel’écran.Onpense à deux exemples récents : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain(Jean-PierreJeunet,2001)etThe Da Vinci Code(Ronhoward,2006).cesdeuxproductionsontinspirélesvoyagis-tesquiontorganisédesexcursionspourretournernonpassur

leslieuxdetournage,maisbiensurleslieuxdufilm,commes’ils’agissaitderetrouverl’atmosphèredugrandécran.Mêmesi, dans ces deux exemples, le phénomène s’est peu à peuérodé,ilgardesaplaceaucataloguedequelquesexcursionnis-tes.Alorsquecertainstouristessuiventlesconseilsdesguidesédités pour organiser leur voyage, d’autres puisent dans lessouvenirsetlesdécorsdeleursfilmsfétichesleuréducationauterritoire,enmuantl’espacedefictionenespaceréel.

cetteévolutionn’apaséchappéàdenombreusesvillesnimêmeàcertainesrégionsdontlesresponsables,élusetanima-teurséconomiquesenontfaituneorientationnouvelledeleurpolitique d’attractivité. le projet est somme toute logique :aprèsavoirvudisparaîtreleursactivitésindustriellesàlasuited’unerestructurationoud’undéménagementverslesespacespériphériques,nombredecollectivités locales,enparticulieren France, ont exprimé l’ambition de retrouver les caracté-ristiquesquiontfaitleurattractivité(aménitésculturellesetenvironnementales,cadredevie,patrimoine).Ellesontdonccherché à renouer avec une fonction touristique considéréecomme un vecteur de développement du territoire. danscecontexte, lecinéma,parsacapacitéàdiffuserdes images,constitueraitunmoyendecommunicationunique.Ilsembledoncnécessaired’analyserleliensupposéétablientreunlieu,sonexpressioncinématographiqueetletourisme.découverte

RÉSUMÉ : Dans  un mouvement  de  plus  en  plus  suivi,  de  nombreuses  agglomérations  et  régions  françaises  tendent  à développer un secteur économique local consacré au cinéma et, dans le même temps, un tourisme inspiré de ce cinéma. Les lieux les plus représentatifs d’une ville deviennent ainsi des décors et des images diffusés sur grand écran. Paris s’est illustré dans ce phénomène depuis le début du XXe siècle. Cependant, l’exposition ainsi offerte renforce-t-elle l’attractivité touristique ? Ou bien l’industrie du film se saisit-elle des sites emblématiques pour créer l’émotion ? Ces questions symétri-ques conduisent à analyser les stratégies de développement économique dans un contexte local et à comprendre comment un lieu est utilisé (et mis en valeur) par le cinéma.

Mots-clés : Cinéma, tourisme, attractivité, Paris, développement local.

Paris transformé en décor urbainles liaisons dangereuses entre tourisme et cinéma

Georges-henry LAFFoNtDocteur en géographie Ea2219 Institut de Gé[email protected]

Lionel PRIGENtMaître de conférences en aménagement et urbanismeUniversité de Bretagne Occidentale, Institut de gé[email protected]

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surgrandécranouparcourueparlefluxdetouristes,lavillenes’est-ellepastransforméeenunludiquedécorurbain?

Artréaliste(oumimantlaréalité),lecinémaemploieunegrammairedesimagespoursuggérerl’émotion.lesdécorsdelavilleparticipentdecelangageparticulier.Qu’ilsfavorisentdesactivitésjointestellesqueletourismeestplusinattendu.le cinéma est-il bien cette vitrine exceptionnelle qui peutmagnifier l’image d’un territoire et séduire des milliers detouristes? les pratiques de visite qu’il peut favoriser sont-ellessignifiantesetrelèvent-ellesd’unprocessussimécaniquequ’il en est avidement espéré? En résumé, quel est l’impactdu cinéma sur le tourisme? Quelles sont les sources obser-vablesdecephénomène?Ilconvientd’interrogerlarelationentrelieux,d’unepart,tourismeetcinéma,d’autrepart.Nousn’abordons icique la transformationde lavilleenundécorurbain.l’exempledeParis,parcequ’ilreprésenteunetraditionhistoriquebiencommentée,seraparticulièrementévoqué.labibliographie récente publiée dans les revues d’économie etd’aménagementaenfinnourriladiscussionsurlesespoirsdescollectivitéslocalesquifondentsurlecinémaunepartdeleurdéveloppementéconomique.

l’analyse s’appuiera encore sur de nombreuses illustra-tions tiréesdesdocuments touristiquespubliéspar lescol-lectivitéslocales,maisaussidesarticlesdepressepubliéscesdernièresannées.

tourisme et cinéma : un élan contemporainVoirunfilmaucinémaestuneformeparticulièredeconsom-mationdeloisirquisesitueentrel’artet l’industrie(greffe,2010).Si laproductiondel’œuvreresteunactedecréation,unelargepartiedesaréalisationpuissadiffusionappartien-nentauregistreindustrielencesensqu’ellessontlargementreproductibles.c’estpourquoilesrecettesd’unfilmpeuvent

sechiffrerenmilliardsdedollars;etlesaudiences,enmillionsdespectateurs.lephénomèneentraînedésormais touteuneactivité complémentaire dite de marchandisage (merchandi-sing)composéedesaccessoiresetgadgetslesplusdiversdontleseulpointcommunestdefaireréférenceaufilm.danscepanier du consommateur admirateur, la visite touristiquedevaittrouveruneplace.

l’impact d’un film sur la fréquentation touristique n’estpas une nouveauté, mais le phénomène semble avoir prisde l’ampleur ces dernières années. S’il ne s’agissait que desituations inhabituelles, marginales et éphémères, elles nesusciteraientguèred’intérêt.Or,ellesseremarquentparleurprésence dans les catalogues des voyagistes, par l’affluencequ’ellessontsupposéesrenforceretparlatransformationduregardqu’ellesimposentsurleslieux.

l’exemple du Fabuleux destin d’Amélie Poulain est, à cepropos,bieninstructif.Alorsquelesattentatsdu11septem-bre2001onteuunimpactnégatifsurletourismemondial,lefilmde Jean-Pierre Jeuneta soutenu la fréquentationdeMontmartre.lessemainesetmoissuivantlasortiedufilmontvudesmilliersdetouristesdéambulersurlestracesdelagentillehéroïne,etdécouvrir l’originalitéet lapoésieduquartierpréservédelaButte.Si lesstatistiquesdefréquen-tationdemeurentassezdifficilesàévaluer,lesyndicatd’ini-tiatives et les commerçants ont enregistré des signes clairsd’uneplusgrandefréquentation.grâceaufilm,lesyndicatd’initiative s’était ainsi offert une campagne mondiale decommunication.

Quelques années plus tard, The Da Vinci Code a biendavantage développé le procédé. Peu après sa sortie sur lesécrans,pasmoinsde28excursionnistesontproposéun«daVincicodeTour»,avec,aucœurduvoyage, lelouvre(voirillustration1).

ILLUSTRATION 1 : Le Louvre et ses mystères, cadre principal de l’action

de The Da Vinci Code (photo : Georges-Henry Laffont).

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cenesontpasseulementlesacteursprivésdusecteurquiontnourridesinitiatives.laMaisondelaFrance(égalementappelé Franceguide, site officiel du ministère du Tourismefrançais) avait décidé en 2006 d’anticiper la sortie du filmen montant une opération de promotion : un site Internetaétéspécialementcrééainsiqu’unconcourslancédansplusde40pays.Pourlacirconstance,laMaisondelaFranceapus’associer avec ses homologues britannique et écossais. Eneffet,aprèslavisitedeParis,certainspassionnésontpoursuivile jeu de piste outre-Manche, en visitant le Temple church,à londres, la Vierge aux rochers de léonard de Vinci, à laNational gallery, ou Rosslyn chapel, près d’Edimbourg. lachapelleécossaiseavu lenombredesesvisiteursprogresserde50%,pouratteindre118000visiteursen2005(girardetlecomte, 2006). les acteurs du tourisme se sont égalementassociésauxtransporteurs,etenparticulieràEurostarquiainvesti10millionsd’eurosdanssacommunicationendeve-nantpartenairedufilm(girardetlecomte,2006).detellespratiquestendentàsemultiplier.

le comité régional de tourisme Paris Île-de-France,la cinémathèque et le Forum des images ont proposé un«Parcours cinéma» et, pour le promouvoir, ont édité unguide gratuit, en français et en anglais, composé de baladesparisiennessurlestracesdelieuxetdescènesrenduscélèbresparlegrandécran,etpubliéparlemagazineculturelUlysse demars-avril2008.lequartierrendumythiqueparLe fabuleux destin d’Amélie Poulain, le décor des Amants du Pont-Neuf (leoscarax,1991), leParisduDa Vinci Code,maisaussi ledépartement de la Seine-Saint-denis et les châteaux de larégionparisienneétaientauprogramme.

lesfruitsdecesinitiativesopportunesaiguisentlesappé-tits de nombreux acteurs locaux. l’impact attendu est telquedesvillesetdessiteshistoriquesontdécidédefavoriserl’accueildesproductionscinématographiquespourdévelop-per leur image. de nombreuses illustrations sont apparuesdans lemonde.Parexemple, l’Officedutourismeaustralienainvesti32millionsdedollarsdanslacampagnedepromo-tion du film Australia (Baz luhrmann, 2008). En grande-Bretagne,desvisitessontorganiséessurlessitesdegloucester,Alnwick ou Oxford qui ont servi aux tournages de la sagaHarry Potter (2001à2010); le châteaud’Eilandonan,dansles highlands, bénéficie également de la réputation acquiseaprès lasagaJames Bond(1962à2008)ouaprèsHighlander(Russell Mulcahy, 1986). la brochure touristique de 2008publiée par l’Office du tourisme écossais annonçait : «à ladécouverte du pays de Rob Roy» (Rob Roy, Michael caton-Jones,1995).Enfin,laNouvelle-zélandeaconnuunregaindevisiteurssansprécédentgrâceausuccèsplanétairedelatrilo-gieTheLord of the Rings(PeterJackson,2001,2002et2003).

des opérations similaires apparaissent désormais enFrance.dès1990,larégionRhône-AlpesacrééRhône-Alpes-cinéma, fonds régional de coproduction et de codiffusion.celui-ci est associé à Rhône-Alpes Studios, qui proposetroisplateauxdetournage,etàlacommissiondufilmRhône-Alpes,bureaud’accueilqui facilite la recherchededécorsetapporte une aide logistique. En valorisant la région commeplateaudetournageetendéveloppantl’activitécinématogra-phiquesontespérésunrayonnementetunepromotiondela

région.Entre10et15filmssontainsitournéschaqueannéedontLe hussard sur le toit(Rappeneau,1995)etLes enfants du marais(JeanBecker,1999).

EnAquitaine,lavilledeBordeauxaégalementmisenplaceune cellule pour attirer les producteurs de cinéma, et, poursapart,larégionacrééuneagenceAquitaineImagecinémadontleprojetestprécisésurlesiteInternetduconseilrégio-nal(anonyme,2010a):

Nonseulementils’agitdepromouvoirlarégionaqui-taine,sessites,sonpatrimoinehistorique,sesentrepri-sesetseshommes,maiségalementd’accueillirlemieuxpossible les professionnels qui viennent tourner danslarégion.lacommissionrégionaleduFilmestdotéede bases de données, d’un centre de documentationet d’une photothèque qui lui permettent d’interve-nirdefaçonefficacedanslesphasesdepré-repérages,constitutions d’équipes, questions logistiques, etc. lacommission propose gratuitement ses services auxprofessionnelsetmetàleurdispositionsesoutilsetsaconnaissancedelarégion.lemêmeobjectif a étédévolupar lemairedeParis,dès

2002,àlamissioncinémaParisfilm,dontlebudgetannuelestde10millionsd’euros(delanoë,2002):

J’aivouluenparticulierque soient favorisés les tour-nages et la production cinématographique et audio-visuelle, importantessourcesd’emplois,deretombéeséconomiques et aussi de rayonnement national etinternationalpourParis.uneplaquetted’information,unsiteInternetd’informa-

tionetd’assistanceauxproductionsetauxmetteursenscène,ainsiqu’uneéquipedehuitpersonnessontconsacrésàlamiseenvaleurcinématographiquedeParis.

Peu après (2004), la région Île-de-France a créé un éta-blissement public de coopération culturelle (EPcc) appelélacommissionduFilmd’Île-de-France.larégionBretagneafaitdemêmeen2005encréantunbureaud’accueildestour-nages (Films en Bretagne —Accueil de tournage). En tout,unequarantained’agencesrégionalesontvulejouraucoursdesannées2000(anonyme,2010b).Toutescesinitiativesontpourobjectifderenforcerl’attractivitéduterritoirepourlestournagesetdegagnerennotoriétédansl’espoird’accueillirde nouvelles activités et des touristes. Il existe même FilmFrance,uneagencenationalechargéedelapromotionauprèsdes cinéastes locauxet étrangers,quiorganisedesvisitesdelieuxsusceptiblesd’accueillirdestournages.En2008,sonpro-grammecomprenaitParis,Marseille,etlaPolynésiefrançaise.En 2010, les sites retenus étaient les châteaux de la loire etleschantiersnavalsdeSaint-Nazaire.leschoixétaientprécis,argumentés et malgré tout restaient risqués. la visite devaitpouvoirconvaincrelesscénaristesetlesproducteursd’inscrireleurhistoiredanslessitesproposéset,biensûr,delesréaliserdanscesdécorsoriginaux.

la cible principale de ces campagnes de séduction estl’industrie hollywoodienne. Jusqu’à une date récente, cettedernièrepouvaitêtreconsidéréecommelemodèledudistrictindustriel-culturelpuisque lesacteursdusecteurs’yregrou-paient(àhollywood)pourproduireunfluxcontinud’imagesdanslesmeilleuresconditionséconomiquespossibles(greffe,

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2010). cependant, ce regroupement a favorisé une concur-renceaccruequiaconduità inventerune formeadaptéedelamondialisationéconomiquelibérale.ladélocalisationdeslieux de production n’a pas seulement réduit les coûts deproduction. Elle a aussi pallié les risques d’échecs commer-ciauxsur l’espacenationalpar laconquêtedemarchésexté-rieurs,maisaussipar ladélocalisationdes lieuxdetournage(Kociemba, 2007). ce phénomène, qui atteint hollywood,estbienprésent,souventdepluslonguedate,danslesautrescinémas nationaux. Toutes ces industries du cinéma et lesanimateurséconomiquesdesterritoiresontdoncdesintérêtsconvergents,quiontété renforcéspar les incitationsfiscalesquelesgouvernementsontinstaurées.c’estunestratégiebiencomprise,commelesoulignecetextraitd’unrapportpourladirectiondutourisme:

Ilestsouventdifficile,pouruneoffretouristiquedon-née, d’accéder à la notoriété, faute de moyens. danslessituations,fréquentes,oùiln’existepasdeproduitpharecapablededrainer l’offrealentour, il enrésulteunpaysagetouristiquesouventflouetdilué,sansréellevisibilité.lafabricationd’imaginairesforts,deplusenplusimportantepourlavisibilitédel’offre,quecesoitviadesmoyenspublicitairesouautres(livres,cinéma,événementspeuventaussicontribueràcettevisibilité),estunenjeuquiimpliquesouventuntravaildeconcer-tation,decoordinationetdemiseencohérencedesesdifférentescomposantes(Bauer,2005).utiliser le cinéma pour renforcer la fréquentation tou-

ristique n’est donc pas seulement une démarche ponctuelleet presque accidentelle, mais une politique pensée et mêmethéorisée.cependant, lescritiquesnemanquentpas,etsou-lignent un mélange des objectifs et une instrumentalisationducinémaàdesfinsmercantiles(colleynetdevillez,2009;Kociemba, 2007). En témoigne la parution en 2007 d’unnumérocompletdelarevueVertigo (no29),revued’esthéti-queetd’histoireducinéma,danslequellesauteurss’inquié-taientdevoirun«cinémaauxiliairedelapolitiquetouristiquenationale» (Breschand, 2006). cependant, la convergencen’estpeut-êtrepasleseulfaitdestratégiesopportunistes,carcinémaet tourismeont,parbiendesaspects,uneapprochesemblabledesterritoires.

du décor au lieulorsqu’une œuvre cinématographique capte des lieux, ellelesréorganise,leurdonneunecohérenceetproduit,àpartird’unensemblediscontinu,uncontinuumsensible,unobjetfinietabouti.lecinémanemontrepasleréel,maisdesfrag-mentsquifontunenouvelle lecturedeceréel.delamêmefaçon,unsitetouristiquen’estpastoutleterritoire,maisunpointsouventisolédesonenvironnementetreliéàd’autrespointsdansunparcoursquipossèdesaproprecohérenceetraconte saproprehistoire. Il s’agitdonc,dans les deux cas,deproposerunelecturesensibleetpartielled’unespaceplusvaste et plus complexe. Pour résumer, les deux pratiquesconduisentàuneformed’enchantementdumonde(RéauetPoupeau,2007).Faut-ils’étonnerensuitequecesdeuxusages«ludiques»conduisentdesacteurslocauxàtenterd’entirerunerentabilité?

Souventexpriméesentermescommerciaux,lespolitiquestouristiques,rappellecousin(2007),articulentlarhétoriquedu «développement local» avec des politiques urbaineset patrimoniales. Associé à une dimension «culturelle»,le tourisme est alors paré de vertus : bon pour l’économiedes territoires, salvateur pour les sites en mal de visiteurs,respectueux des populations et de leur environnement,constructifpourlestouristes(cousin,2006).cescertitudes,bien difficiles à démontrer, n’en semblent pas moins faireune quasi-unanimité, en particulier en France. Volontiersprésentéecommelapremièredestinationtouristiquemon-diale,laFrances’estengagéedansunemiseenvaleurdesonterritoireetuneaugmentationdesonoffre.desétudesetdesrapports(Bayleethumeau,1992;lucchini,1998;Rizzardo,1990;Saez,1995),publiésàpartirdesannées1990,ontainsiconcluàlanécessitédevaloriserlepatrimoinedescommu-nesparletourismeculturel.

dutourismeaupatrimoineetdupatrimoineaucinéma,le lien qui se noue sert le développement local. l’économiedesterritoiressenourritdel’imaginaireettrouvedansl’imageportée sur l’écran le reflet des aspirations des touristes.cependant,ni tous lespatrimoinesni tous les sites touristi-quesnesauraienttrouverleurexpressioncinématographique.Seulsquelquessites,pourleurscaractéristiquesparticulières,sontmisenimage.Ilfautdonccomprendrecommentsechoi-situnlieudecinéma.

le cinéma est l’art d’exprimer une manière de l’être. cequi est filmé est le résultat d’un système socioculturel et del’imaginaire, le sensible (Morin, 1958). les représentationsde lieux au cinéma sont conjointement objectives (reflet duvécu),subjectives(cemêmereflettransfiguréparlecinéaste)et interactives (Elles nécessitent la réflexion, appellent à laréfutation ou à l’adhésion du spectateur.). En effet, un filmsecomposedetroisniveaux : informatif toutd’abord,car ilmetenimagetoutelaconnaissanceconféréeauxélémentsdufilm;symboliqueensuite,danslamesureoùunfilmvéhiculetoutunensembledesignesetvaleursliésauxthèmesabordés,auxauteursouencoreauréférentieldufilm; sensibleenfin,vuqu’ilconvoquelesémotionsdechaquespectateur(Barthes,1982).Pourtoutcela,lecinémaseparedustatutderapportindividueletcollectifaumonde,donc,delamanièredepro-duireetdepratiquerdeslieux.

d’un long métrage, doivent se dégager une spécificité,uneinventivitéetunpouvoirdesuggestionetdesurprise.lecinéma met en scène non seulement le réel, en enregistrantetenretranscrivantlemonde,leregardconcernéetsubjectifduréalisateur,maisaussi l’interprétationduspectateurdansla mesure où celui-ci est actif. c’est précisément par cetteparticipationques’inscriraitlesubjectifdel’individuetque,enretour,cedernierinvestiraitleslieuxduquotidiengrâceàl’imaginairequelecinémaarévéléouréactivé.l’artcinémato-graphiqueparticipeainsidesmodesd’expressionquifondentsurl’imaginaireuneimplicationaffectivedelavieensociété.Silecinémapermetderestituerleréel,ilsolliciteégalementl’universpersonnelduspectateuretlemetenmouvementparlechoixdes lieuxmisenscène.Ilexistedoncunimaginairespatialquineseréduitpasàlapratiquedeslieux.Parexem-ple,iln’estpasnécessaired’avoirvisitélosAngelespouravoir

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l’impression de connaître cette ville. Beaucoup ont pu s’enforgeruneimage,voireunecartementale,parl’additiondesréférencesapprisesauhasarddeslivres,desimages,desrepor-tages et des films. d’autres lieux, emblématiques, possèdentunemêmechargeaffective,qu’ilssoientfréquentésounon:lamontagnemarseillaise,lacathédraledeRouenetlaplagededeauville,pourn’enciterquequelques-uns.

«Endroit», «théâtre», «emplacement», «scène», sontquelques-uns des synonymes de «lieu» qui mettent enlumière une certaine difficulté à cerner ce terme usuel quiest à la fois concept géographique, défini comme étant làoù quelque chose se trouve ou se passe (lévy et lussault,2003).dansuncas,ilsedéfinitdemanièretopographique,cartésienne,objective.le lieu signifiealors topos (Aristote)danslamesureoùilrenvoieàunelocalisation.dansl’autre,il estconditionnéparcequi s’ypasseetceuxqui s’y trou-vent. le lieu renvoie à chôra (Platon), car il est chargé deprédicats. dès lors, approcher les lieux et, plus encore, lerapport qu’entretiennent les individus et les usages aveceux nécessitent d’intégrer cette construction binaire : unlieu porte une identité (topicité) transgressée par le senset par la valeur des expériences et représentations humai-nes (chôrésies) dont, toutefois, ni les unes ni les autres neparviennentàs’affranchirtotalement(Berque,2003).Ainsi,il existe une relation particulière entre un individu et unlieu,fréquentéounon,quel’onnommerapportaffectifaulieu.Ilrenvoieàuneimplicationémotionnelledansunlieudonné (hummon, 1992) ou encore à un lien cognitif ouémotionnelqu’unindividuétablitavecunespaceparticulier(low, 1992). l’ensemble des liens, multiples, répétitifs ouabsents,donneau lieuunevaleurparticulière,distinctedesa simple valeur utilitaire. ce rapport, différent du simpleattachement (giuliani,199;lowetAltman,1992), estune

modalité.Ilfigureunlienaffectifentreunepersonneetunobjet donné. Il est le résultat de l’interaction entre souve-nirs, mémoires, actes manqués ou non et projections, liéauxexpériencessurvenuesendeslieuxprécisouliéàl’idéequese font les individusdes lieux.cerapportvients’ima-ginerdans larêveriehumaine(Bachelard,1942).l’humainsereprésenteetprésentesymboliquement,parl’imaginaire,ses sentiments, ses rêvesetdésirs.Principeorganisateurdelaconduitehumaine,l’imaginaireestlerévélateurdestraitsmajeursdelapersonnalité(Freud,1900,r.1967;Jung,1950),mais aussi ciment de la société (Morin, 1973; castoriadis,1975).l’imaginairerévèlelaforce,individuelleetcollective,de création et de transformation du monde. ce sont ceslieux,investisetmagnifiésparlecinémaquecapitalisentlesvoyagistespourrenforcerleursactivités.

lecinémapeutalorsadopterdeuxpostures : soit l’his-toire est située dans un cadre reconnaissable, une grandeattraction touristique qui apporte une référence, un échosupplémentaireaufilm,etquipeutcontribueràsonsuccès;soitlesscénaristesontretenuunlieuparcequ’ilsertprécisé-mentunehistoire.danscederniercas,lesuccèsencouragelesacteursduterritoireàsaisirl’opportunitépourvaloriserleurimage.cefutlecaspourMontmartreavecLe fabuleux destin d’Amélie Poulain ou plus récemment pour le Nord,avec Bienvenue chez les Ch’tis (dany Boon, 2008). le phé-nomène est marquant, mais il demeure éphémère, tout aumoins s’il n’est pas renforcé par l’accumulation de stratesantérieures de significations (comme pour Montmartre).Il est toujours possible, bien entendu, d’envisager d’autrespostures. Tout récemment, le succès d’attractions dans lesparcs à thèmes a conduit les studios à exploiter le conceptaucinéma(Pirates of the Caribbean).cependant,cettepra-tique mercantile, d’une part, est un produit intégré d’une

ILLUSTRATION 2 : Le café des 2 Moulins à Montmartre, où travaille Amélie Poulain (photo : Georges-Henry Laffont).

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mêmeentreprise(disneyouuniversal)quis’appuiesuruneexpérienceludique;d’autrepart,ellen’aplusbesoindulieucommemédiateuretpeutreproduire lemêmeprogrammedans tous lesparcs.la relationestplus complexequand ils’agitd’unterritoireouvert.

cen’estdoncpastantlelieuquifaitsensquesonévoca-tion.commeungrandvoyageur,lecinéphiledoitreconnaîtreenunregardladestinationpourlaquelleilembarqueet,par-fois,ildoitenanticiperl’idée.Telleunecartepostale,chaqueplanfonctionneàlamanièred’unemétonymiedelieux.dansunfilmdeJames Bondparexemple,lavueducorcovado,delatourEiffeloudubusàimpérialsuffitàdonnerauspectateurlesindicationsutilespoursuivrelefildel’histoire:l’endroit(topos)oùilsetrouveetcequi(chorésie)estcensés’ydérou-ler. Nulle autre contrainte n’est requise dans la narration.Pluslesspectateurssontnombreux,pluslamagieopère!lesimagesdel’EmpireStateBuilding,deschutesd’IguaçuoudelaMurailledechineopèrentcommedescodesconnusdetousettransportenttoutelasalledansunseulmouvement.

cette géographie de l’imaginaire ouvre la voie à uneautre…plussentimentale.leslieuxquechacunvoitsurgrandécran sont potentiellement visibles. On objectera qu’il y aaujourd’huideslieuxcinématographiquestotalementinven-tésetréalisésparordinateur,maisceux-cin’entretiennentplusdeliensauterritoireréelsemblablesàceuxquisonticiévo-qués.chacunychercherairrémédiablementlespersonnagesdecinémaquiysontassociés:KingKongdevraêtreaccrochéàl’EmpireStateBuilding,MastroiannietEkbergpataugerontdanslafontainedeTrévise.

les nombreux spectateurs, mués en touristes, partentensuiteàlarecherchedesscènesquilesontfaitrêver.Mêmesilaréalitéesttrèsdifférentedelaprojectioncinématographi-que,leslieuxgardentunepartdel’émotionrecherchée,parfois

grâceauxartificesquipermettent«l’authentification»:lecaféduFabuleux destin d’Amélie Poulainarboreparexempledesmessagesderemerciementécritssurdesaffiches.Montmartren’yestplustoutàfait lemêmebienqu’ilexistâtauparavant(voirillustrations2et3).

S’il sait participer à la production d’un imaginaire, lecinéma n’est donc pas le plus souvent l’inventeur des lieux,mais un utilisateur particulier d’un contenu préexistant. Ilsuffit, pour s’en convaincre, de s’éloigner un peu des patri-moinesclassiques.AprèsCamping (FabienOnteniente,2006),comédiefrançaisequisedérouledanslebassind’Arcachon,denombreuxvacanciersontréclamél’emplacementE17,occupéparundescouplesvedettesdufilm.Enrevanche,cetemplace-mentn’aexistéquepourlafiction.Iladisparuàlafindutour-nage.Ilyadoncdufauxdansladémarcheducinéaste,maisaussi du vrai, qui a été immédiatement perçu. Qu’importeaufondsil’emplacementE17n’existepas,l’impactatoutdemêmeétépositifpourlarégion.Enrevanche,labanlieuepari-sienne,pourtantdevenueunecatégorie«archétypale»,n’apassuscitédesursautdefréquentationnotable,delabanlieueplai-sirdesbordsdemarne(Casque d’Or,JacquesBecker,1952)auquartierpopulairedesusinesetdesfaubourgs(La belle équipe,Julienduvivier,1936),desfortificationsdes«Apaches»(Porte des lilas, René clair, 1957) aux grands ensembles des villesnouvelles(Le Pacha, georgeslautner,1968),etce,jusqu’auxcités en ébullition (La Haine, Mathieu Kassovitz, 1995). letourismesedéveloppesur labasedes images-histoiresvéhi-culéesparlecinéma.cependant,lechoixcinématographiques’appuiesurlesmythesportésparcesmêmesimages.OnnechoisitpasParisparhasard.c’estpourquoila«banlieue»nepeut susciter la même adhésion, parce que l’expression esttropfloue,désigneunterritoireindistinctetnemobilisepaslesmêmesémotions.

ILLUSTRATION 3 : Au marché de la Butte

à Montmartre, qui devient l’épicerie Colignon dans Le

fabuleux destin d’Amélie Poulain (photo : Georges-Henry Laffont).

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Finalement, lecinémaoffreunegéographiesentimentalequi dessine ses itinéraires dans l’espace, ponctués par desterritoiresplusoumoinsmarquants.lapratiquedéveloppéeparcetteactivitéartistiqueetindustrielleressembleàcellequechacun peut faire au gré de ses usages, retenant telle place,évitanttelleautre,danslatramecontinueduquotidien.cesitinérairessontcumulatifsetrecomposésaugrédesscénarios.Toutefois, la géographie produite, elle, n’est pas continue. Ilfautuneécriturefragmentéepourlarestituer:pointsdepas-sage,dechutes,demouvementsdanslesrues,leplussouventsanslienphysiqueentreeux.deplus,leurénoncéestcomplétéparunensemblededétailsquiaccompagnent lanarration :desscènes,desbruits,desvoix,desarrière-plansquisecombi-nent.l’imagecinématographiqueinspireuneidée(devilleoude campagne) en accumulant quelques signaux susceptiblesde mobiliser un imaginaire. les exemples relatifs à Paris lemontrentparticulièrement:cen’estpasun«vrai»Parisquiestpensé,maisunereprésentationquidoitsollicitertrèsvitel’imaginaireduspectateur.Ilnes’agitpastantdefaireunpor-traitdelavillequededéroulerunehistoire.

quand cinéma et tourisme créent un Paris imaginaireVillecapitale,aucentrede lavieartistiqueauXIXe siècleetpendant une partie du siècle suivant, Paris devait être leberceaunaturelducinéma,artnaissant.dès1882,Reynaudattirait les foules parisiennes avec ses dessins animés et ses«pantomimes lumineuses». la première séance publiquedeprojectiond’unfilmdes frèreslumièreeut lieuen1895,boulevard des capucines. Après les premiers balbutiementsqui apprivoisaient le mouvement, la vitesse et la lumièrechangeantede lavillemodernedansunereproductiongriseetsyncopée, lapuissancenarratives’estpeuàpeuimposée :leromanesquesupplantaledocumentaire,etlecinémagagnasonstatutd’artpopulaire.

Paris est devenue la ville du «réalisme poétique» portépar une poignée de dialoguistes comme Achard, Audiard,Jeanson,guitry etPrévert, etde réalisateurs telsquecarné,lautner,Renoir,Autant-lara,etc.leurœuvreadonnéuneviecinématographiqueaumondedeParis,avecuneprédilectionmarquéepourlesfortifications,lesquartierslouchesetlesban-lieuesnaissantes,lieuxreconstituésenstudiopourengarderle caractère et l’ambiance malgré les lourdes contingencestechniques.danslesannées1960,lanouvellevagueaannoncéle retour d’une approche plus naturelle, d’une fraîcheur etd’une personnification (À bout de souffle, Jean-luc godard,1960;Une femme est une femme,Jean-lucgodard,1961).lestournagesextérieursredécouvrirentuneplusgrandediversitédespaysages.Filmsdegenreoufilmsd’auteurs,lesnouvellesproductionsontinventédesnouveauxdécorsentremystèressouterrains(Subway,lucBesson,1985)etmystèresbibliques(The Da Vinci Code).

Après avoir connu les premières productions, l’agglo-mérationparisiennedevaitdoncêtre témoinde l’évolutionde l’art cinématographique dans son interprétation de laville:studiodecinémaàcielouvertouvillagepourtouris-tesdans lesproductionsaméricainesde l’été,mais toujoursville mystère, à l’inquiétante étrangeté dans les films de

Polanski(Frantic, 1988)oudeBuñuel(Belle de jour,1967, et Le fantôme de la liberté,1974),oubienencoredansM. Klein(Josephlosey,1976).Enfin,godard(Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution,1965)ouFerreri(Touche pas à la femme blanche, 1974)onttousdétournédesfragmentsdelavillepourlaquestionnersursesbouleversementsarchitec-turaux,urbainsetsociétaux.Sicesœuvresn’ontpassuscitéuneattractionaussidirectequelesproductionsplusrécentes,elles ont tout de même laissé leur empreinte et contribuéà nourrir cet imaginaire évoqué plus haut qui fait du Parisd’aujourd’huiunterritoired’aventurestantpourlescinéastesquepourlestouristes.

Situerl’actiondansunlieudéterminéetreconnaissablefaitdoncpartiedesrecettesusuellesdesmetteursenscène,quiytrouventunartificepourmieuxancrerleurrécitdansleréeletuncontextequ’ilneleurestplusnécessairededécrire.loindesdescriptionsquasimentcliniquesdesromanciersnaturalistes,l’usagecinématographiquedeslieuxpeutnes’appuyerquesurlasuggestion.unplanprésentantunpaysageconnusuffitpourévoquerunterritoireetsurtoutpourmobiliserlessouvenirsetlesreprésentationsquifournissent,àl’histoireracontée,uncadre,unfond,enplusdudécor.Planterledécorpermetainsidecréeruneatmosphèrecaractéristiquedelaville.Enintro-ductiondeSi Paris nous était conté(1956),guitryrappelaitlalistedesemblèmesdelacapitalefrançaise: latourEiffel, leschamps-Élysées, l’ArcdeTriomphe,Notre-dameouencorele Sacré-cœur, à Montmartre. Quelques-uns sont d’ailleursdevenuscommedeséchantillonsdeParis.Ainsi,latourEiffeln’est-ellepluslevestigedel’expositionuniversellede1889nimêmelamarquetriomphaledelaRévolutionindustrielle.Elleest l’imagedeParispourunpublicquidoitcomprendreendeuxplansoùsesituel’actiond’unfilm.Entreautres,avantRush Hour 3 (BrettRatner,2007),denombreux réalisateursonteurecoursaumêmedispositif,parexemplepourA View to a Kill(Johnglen,1985), Superman 2(Richardlester,1980), G. I. Joe : The Rise of Cobra(StephenSommers,2009).cen’estpas une coïncidence si elle accueille chaque année plus desixmillionsdevisiteurs.leschamps-Élysées,quioffrentdesperspectivesséduisantesaucinéaste,etNotre-dame,peut-êtreplus investiepar la littératurequepar le cinéma,appartien-nentàlamêmecatégoriedesattractionsàlafoiscinématogra-phiquesettouristiques(Armaggedon, MaichaelBay,1998; Van Helsing, StephenSommers,2004).

dans un autre registre, Montmartre et le Sacré-cœurapparaissentdavantagechargésdesens.ceslieuxcristallisentl’idéed’unevilled’artistes, libertine,grouillanteetcréatrice.Sonâged’orestpassé,mais lamagieopèretoujours,qu’ellesoitrecrééeenstudio(An American in Paris, VincentMinnelli,1951; French Cancan, Jean Renoir, 1954; Moulin rouge, Bazluhrmann,2001)ouqu’ellesoittransfigurée,demanièrefuyante, fantomatique mais terriblement présente (Le fabu-leux destin d’Amélie Poulain).

le cinéma propose un voyage d’autant plus confortablequ’il peut ouvrir l’horizon dans l’imaginaire sans imposerl’effort physique du déplacement. une visite rêvée est alorspossibledanslafluiditédesimages,etlesvillesenontconsti-tué depuis longtemps les décors. Paris a ainsi noué un lienparticulier avec le cinéma, conduisant l’officede tourismeà

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proposerdescircuitsdevisitesurlestracesdequelquessuccèscinématographiquesrécents.AprèsLes amants du Pont-Neuf,Le fabuleux destin d’Amélie PoulainetThe Da Vinci Codeen2008, chaque saison touristique fait l’objet d’une nouvelleprogrammation.Pourl’été2010,était«àl’affiche»unesériedeproductions françaisescommeGainsbourg (vie héroïque),(Joann Sfar, 2010), Le petit Nicolas (laurent Tirard, 2010),L’armée du crime (Robert guédiguian, 2009), Musée haut, musée bas(Jean-MichelRibes,2008),Paris(cédricKaplisch,2008), La Môme (Olivier dahan, 2007) ou bien encore Les aventures extraordinaire d’Adèle Blanc-Sec(lucBesson,2010).lesproductionsinternationalesnesontpasoubliéesetlecata-logueproposedoncCheri (StephenFrears,2009),Rush Hour3(Brett Ratner, 2007) dont les affiches arborent une explicitetourEiffel(voirillustration4),Ratatouille(BradBird,2007),The Devil Wears Prada(davidFrankel,2006),etunparcoursplusconfidentielintitulé«Paris,jet’aime».

uneanalysedecesparcoursinstruitd’ailleurssurlesima-ginaires qui sont évoqués. les sites retenus pour les succèsaméricainssonttrès«archétypés»:latourEiffel(Rush Hour 3, Ratatouille),laSeine,laplacedelaconcorde(The Devil Wears Prada), les fontaines du Trocadéro, le Paris médiéval. Plusrécemment,dansInception(2010),christopherNolansesertduParishaussmannienpourfigurer l’architecturecomplexedesrêvesque lesprotagonistesdoiventconstruirepourfairenaîtreuneidéeàleursvictimes.destinésàuneaudienceinter-nationale, ces productions présentent un Paris identifiableenquelquesplanssurdesmonumentsoudesplacesillustres,facilementreconnaissables.

à l’inverse, une grande partie des films français situentleuractiondansdeslieuxmoinsconnus,quin’enprésententpasmoinsunintérêt:itinérairesintimesdesendroitsquo-tidiens d’un artiste (Gainsbourg (vie héroïque), La Môme),

redécouvertedesparcsetjardins...unenotableexceptionestParis,decédricKaplisch,quicomposeunevillefolkloriqueillustréepar lePalais-Royal, laSorbonneet lecimetièreduPère-lachaise. Paris est, de ce point de vue, une ressourceinépuisabledepuisl’inventionducinéma.lavilleaaccueillien 2009 près de 800 tournages sur 4 000 sites et poursuitdoncuneaventuredéjàanciennedanslaquellel’imaginairequ’il inspire est investi par l’économie, le tourisme et lecinéma(anonyme,2010c).

Au final, lorsque le spectateur devient touriste, il doitencore mobiliser son imaginaire pour visiter la ville. Sonexpérienceluiestalorsutile:sesprécédentesvisites,seslec-tures,maisaussilesimagesquesoncinémaluiamontrées.ce n’est pas non plus un «vrai» Paris qui est visité, maisquelquesmorceauxchoisis(certainsdiraientunbest-of)quisontéparpilléssurunterritoireetqu’ilfautrejoindreparunmoyendetransport.

Promouvoir le territoire et le tourisme urbain par le cinéma : un principe circulaire ?Puisqueletourismeestdevenuundesnouveauxsecteursdelamondialisation,ils’agitdetrouverlesargumentsd’uneattrac-tivitéquidoitsanscesseserenouveler.PartoutenFrance,lesmanifestations culturelles sont de plus en plus nombreusespourattirerunepopulationsanscessecroissante.lescontenusvontdelamiseenscèned’unopéraauMont-Saint-Michelauprogrammeproposéparlavilleretenuecommecapitaleeuro-péennedelaculture,initiativelancéeen1985parleconseildesministresde l’unioneuropéennedont lebutestderap-procherlescitoyenseuropéens(anonyme,2010d).

laqualitédevieetl’imagedemarquesontdevenuesdescritèresessentielsdedifférenciationentrelesvilles,etlesprati-quesculturellesetlepatrimoinedisponibleontuneinfluence

ILLUSTRATION 4 : La tour Eiffel ou l’emblème

de Paris aussi bien en matière touristique que

cinématographique (photo : Georges-Henry Laffont).

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déterminante (lucchini, 2002). dans ce contexte, l’expo-sition permise par un film de cinéma est devenue un atoutsupplémentaire.Encorefaut-ilrempliruneconditionquiesttoujoursincertaine: lesuccès.Pourquelefilmdevienneuninstrument de promotion pour le territoire, il doit, commetoute marchandise, rencontrer une demande («trouver sonpublic»).Or,cetteconditionnedépendpasduterritoire,maisdebiend’autresparamètresplusoumoinsbienmaîtrisésparlesstudios.Accueillirdavantagedetournagesaugmentedoncmécaniquement les chances d’une bonne exposition, tantgrâceaufilmlui-mêmequegrâceauxcampagnesdepromo-tionquil’entourent.Puisquelesméthodescommercialesdesstudiosconduisentaujourd’huiàcompléterlesuccèsensalleparunensembledeproduitsdérivés,peut-êtrefaut-ilimagi-nerqueletourisme(dansuneformeunpeuparticulière)yatrouvésaplace.

Bienentendulecinémafaitd’unlieu,unobjetde«mar-keting» dontlareprésentationestcenséeéveilleruneémotionchez le spectateur, mais il sert aussi plus ou moins les inté-rêtsdesacteurs économiquesdésireuxde«patrimonialiser»quelquechoseetd’entirerunprofit.Encesens,laproductioncinématographiquecontribueà faireconnaîtreunterritoire,à lui donner un sens comme destination touristique, de lamême manière qu’un festival ou toute autre manifestationculturelle(Barthonet al.,2002).Elleparticiped’unestratégieplus générale. En effet, pour être compétitive, une politiqued’attractivitédoitpouvoircréerde lavaleurajoutée.l’enjeuestdevaloriserunavantagecomparatif auprèsdes touristesetdemobilisertouslesacteursdutourismeenfaveurdecetobjectifparl’adaptationdynamiquedel’offreàcettedemandeparticulière(Buhalis,2000;cracolicietNijkamp,2005).

de nature essentiellement qualitative, cette dimensiondépenddesacteursenprésence,deleurcapacitéàdifférencieretàcréerdesproduitstouristiquesoriginauxourenouvelés,delafiabilitédesinfrastructures,delaqualitédesressourceshumaines, de la politique des pouvoirs publics (protectiondesressourcespatrimonialesetnaturelles,parexemple).Elleimpliquedoncunecoopérationétroiteentrelesacteursprivésetpublics(Fabry,2009).lecinémadevientalorsunvéritableproduitéconomique,unemarchandise,uncommercevendusurcatalogue,mêmesilatransformationdelaconsommationcinématographique en une forme de bien de luxe tente decachercela : lesfilmsdeNoël, lesfilmsd’été, lesfilmsde laSaint-Valentin, lesfilmspourenfants,pourados,pourgays,etc.la segmentationdumarchépermet simultanémentunemultiplication des lieux (adaptés à chaque créneau) et unemultiplicationdesexpositions.

dansuntelcontexte,touslesterritoiresnesontpaségaux.Plusgénéralement,lesrecherchesactuellesrappellentlaspéci-ficitédessituationsobservéesdansdifférentesagglomérations,quiconduisentcesdernièresàélaborerdesstratégiesdevalo-risationculturelleetpatrimoniale(Fagnoni,2004).lerecoursaucinémaestunedesinitiativesoriginalesdequelquesterri-toiresparticulièrementdotés.Ilyadoncuneréflexioncircu-lairequisemetenplaceetquipeutconduireàdemauvaisesinterprétations. En effet, il n’y a pas de modèle certain quipermetteundéveloppementdutourismesurlaseulebasedel’imagevéhiculéeparunfilm.Siquelquesexceptionspeuvent

être trouvées, en règle générale, construire un tourisme surcettebaseestpeut-êtreillusoire,et,àcoupsûr,éphémère:le«ch’tisTour»adrainé19000visiteursen2008.Qu’enest-ilaujourd’hui?leplussouvent,lecinéman’estdoncpasinven-teurd’unenouvelleformedetourisme:iloriente,conforteetsynthétiseun«produit»enunenouvelleexpressionquidoits’appuyersuruncontenupréexistant.

dans un contexte de plus grande concurrence, et alorsque les produits dominants ont également perdu de leurnouveauté, les parcours cinéma sont une manière nouvellede découvrir des destinations touristiques : soit en attirantun public nouveau, plus pressé et plus consommateur, quivadoncadopteruneimagethématiqueduterritoire;soitens’adressant à un public plus «classique» qui va trouver uneoccasiond’unenouvellevisite,augmentéedel’interprétationducinéma.

BontjeetMusterd(2009)montrentquelesmétropolesquiontunelonguetraditiondans lecommerce, lacultureet lesservicesauxentreprisess’adaptentplusrapidementàl’écono-miecréativeémergenteque lesrégionsurbainesquidoiventreconstruireleurtissuéconomiqueaprèsunelonguepériodede spécialisation dans la production de masse. le modèledonnéenréférencepourlespolitiquesdedéveloppementestladynamiqueobservéeàNewYorkoulosAngeles.Parcontre,rappellent liefooghe (2010), qu’y a-t-il de commun entreunemétropolemultimillionnaireetdesvillesplusmodestesqui cherchent à devenir des «villes créatives»? une formede développement inégal lié à l’économie créative est doncrepérable à l’échelle de la hiérarchie urbaine (hamdouch etd’Ovidio,2009).

lamêmeinégalitéestobservéeenfaveurdesterritoiresquiontdéjàunfortimpactdansletourismemondial.cesdernierssontpluslargementbénéficiairesdesnouveauxéchanges.cesontsouventlesmêmesterritoiresquicumulentlesmeilleursatouts.dansununiverssaturédemessagesetd’images,ilesttoujoursplusfaciled’identifierlespatrimoinesconnusetdeles mettre en valeur : la tour Eiffel, par son unicité, pourraresterunsymboledeParisetrepérerParisdanslesdeuxcas,tourismeetcinéma.lespositionsacquisessontdoncdifficilesà renverser.Bien sûr, ilpeut existerdes situationsoriginalespourlesquelleslecinémaapuinventeretsouteniruneattrac-tivité touristique. un exemple est sans doute la petite villede locronan, en Bretagne, qui a reconstitué et restauré sonvillageduXVe siècleaprèsqueRomanPolanskiyait tournéTess (1979).lesrecettesapportéesparcefilmontpermisdansunpremiertempsd’enfouirleslignesélectriquesetdemodi-fierunpaysageexceptionnel.lacommuneaaccueillid’autrestournageset lesactivités touristiquesse sontrenforcées : lescommerces, l’artisanat et même les pèlerinages appelés lesgrandesTroméniesontregagnéuncertainsuccès.

Quelquesréussitesnepeuventfaireoublierque,end’autrescirconstances, iln’yaurapasde relationmécaniquedurableentreuneproductioncinématographiqueetsonimpacttou-ristique.Surtout,cetteproductionnesauraitàelleseuleamor-cerlefluxdestouristes.Rapportaumondeetaulieusetrouveabsentet,aufinal,cequel’onvendetcequel’onrecherche,cen’estplusl’expériencedulieu,maisl’expérienceenelle-mêmequin’estqu’uneconsommationéphémère.

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Georges-henry LAFFoNt et Lionel PRIGENt : Paris transformé en décor urbain

conclusionS’agit-ildesavoirsilavilles’esttransforméeendécorurbaindansuneviséepromotionnelle?Reprendrel’exempledeParisdoitfournirunéclairage:lacapitalen’apasperdudesonacti-vité.Elleproduitenrevancheunmatériau(unematièrepre-mière)quipeutserviràdeuxactivitésludiquesquiontatteintunematuritéindustrielle(tantlecinémaqueletourisme).deplus,parcequ’ilsrecourentàquelquesprocédéscommuns,cesdeuxsecteurséconomiquestendentparfoisàserejoindre.

le cinéma peut avoir un impact sur le développementlocal,d’unepartparunsoutienà la fréquentation touristi-que,d’autrepartparlespolitiquesd’attractivitéquemènentdeplusenplusd’acteurséconomiques locaux.de lamêmemanière, le tourisme agit sur le territoire, en renforçant lanotoriété de quelques lieux qui peuvent dès lors constituerdes références cinématographiques, et en améliorant lesinfrastructuresd’accueilduterritoire.Entoutcas,larelationaux lieux est incontournable mais, derrière cette apparentecontinuité, il apparaît des situations très différentes. Soit lecinémas’appuiesurunlieucélèbreet,danscecas, larépu-tation participe au succès (la pratique touristique est déjàancrée et le film ne peut qu’accroître la notoriété et déve-lopper une forme supplémentaire de visite, modernisée etthématisée.);soitlecinéma«invente»unnouveaulieu,etlephénomène peut alors cristalliser (souvent pour un temps)une attractivité plus forte. cependant, ce phénomène n’estpas l’apanageducinéma. Il s’appuie sur lesmécanismesdevalorisationduterritoirepropresàl’économieculturellequiontpermisàBilbaodetirerprofitdesonmuséeguggenheimouàMetzdeconnaîtrelesuccèsleplusrécentaprèsl’inau-guration de son centre Pompidou. les réussites sont nom-breuses et parfois spectaculaires, mais de tels projets dedéveloppementterritorialsontnéanmoinsdifficilesàtrans-formerenmodèlereproductible,carilsreposent,paressence,surleursingularité.lesdémarchesquitendentàl’imitationsontdoncloindegarantirlaréussite.Ellesdiluentleseffetsde ces opportunités et renvoient à la nécessité de créer desformesoriginalesd’attractivitéquidistinguentdavantageleslieux (donc les territoires!). le recours à la présence d’uneindustriecinématographique,lieuxdetournage,studios,etc.ne peut échapper à cette logique, tant en termes d’activitésindustriellesqu’entermesd’attractivitéstouristiques.

laconclusiongardedoncunepartdepessimisme:l’ana-lyste est d’une certaine manière condamné à la prévisionrétrospective en étudiant les conditions particulères qui ontmenéauxréussitesouauxéchecs.Ilyacependantunepartd’optimisme :finalement, s’iln’yapasderelationsmécani-ques, ledéveloppement localgardeuneplaceà l’initiativeetàl’invention,cequiestpeut-êtrelameilleurefaçondeluttercontreunebanalisationetunemonotoniedesterritoires.lesacteursducinémaetdutourismel’ont-ilsbiencompris?

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