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Understanding conflict. Building peace. Juillet 2012 Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit Leçons de la région des Grands Lacs en Afrique

Participation politique et renforcement du pouvoir ... · 5. Les femmes dans les processus électoraux : les élections présidentielles et législatives nationales et provinciales

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Understanding conflict. Building peace.

Juillet 2012

Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflitLeçons de la région des Grands Lacs en Afrique

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A propos d’International Alert International Alert est une organisation indépendante qui, depuis 26 ans, travaille dans le domaine de la consolidation de la paix. Nous travaillons avec les populations directement touchées par des conflits violents afin d’améliorer leurs perspectives de paix. Nous cherchons également à influencer les politiques et les méthodes de travail des gouvernements, des organisations internationales comme l’ONU et des entreprises multinationales afin de réduire le risque de conflit et de renforcer les perspectives de paix.

Nous sommes présents en Afrique, dans plusieurs régions d’Asie, dans le Caucase du Sud, au Proche-Orient et en Amérique latine, et nous avons récemment commencé à travailler au Royaume-Uni. Notre travail thématique se focalise sur plusieurs axes clés directement liés aux perspectives de paix et de sécurité : l’économie, le changement climatique, le genre, le rôle des institutions internationales, l’impact de l’aide au développement et l’effet de la bonne et de la mauvaise gouvernance.

Nous sommes l’une des ONG les plus importantes au monde dans le domaine de la consolidation de la paix, avec plus de 159 employés basés à Londres et dans nos 14 bureaux à travers le monde. Pour un complément d’information sur notre travail et les pays où nous sommes présents, veuillez visiter www.international-alert.org.

EASSIL’Initiative pour le progrès de la femme dans la sous-région de l’Afrique Orientale (EASSI) est une organisation non gouvernementale établie en 1996 pour faciliter le suivi systématique de la mise en œuvre du Programme d’action issu de la Quatrième Conférence des Nations Unies sur les femmes, qui s’est tenue en 1995 à Beijing, en Chine. L’élaboration du programme d’Action de Beijing a été précédée par l’adoption de la Plate-forme d’action africaine par la Cinquième Conférence régionale sur les femmes en novembre 1994 à Dakar, au Sénégal. EASSI regroupe des individus, des organisations non gouvernementales, des coalitions et des réseaux qui se sont engagés dans la promotion et l’avancement des femmes. L’organisation dont le siège est à Kampala, couvre huit pays : le Burundi, l’Ethiopie, le Kenya, l’Erythrée, le Rwanda, la Somalie, la Tanzanie et l’Ouganda.

La présente publication a été produite avec l’apport financier du ministère des Affaires étrangères de Norvège. Elle constitue la synthèse des résultats et recommandations d’un projet de recherche qui a été mené grâce à l’appui du ministère des Affaires étrangères de Norvège, de l’Agence suédoise de coopération internationale pour le développement (SIDA) et du Social Sciences Research Council (SSRC) à New York.

© International Alert 2012Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, déposée dans un système de recherche, ni transmise sous toute autre forme ou moyen – électronique, mécanique, photocopie, enregistrement ou autre – sans pleine attribution.

Mise en page : D. R. ink. www.d-r-ink.com

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Remerciements

Ce rapport constitue la synthèse des résultats et recommandations d’un projet de recherche régional sur la participation politique des femmes et le renforcement de leur pouvoir économique dans les pays qui sortent d’un conflit dans la région des Grands Lacs en Afrique. L’auteure de ce rapport est Ndeye Sow, Conseillère principale au Programme Afrique à International Alert. Elle est aussi la coordinatrice du projet de recherche qui a été mené au Burundi, au Rwanda, en Uganda et en République Démocratique du Congo.

Les quatre études de cas produites dans le cadre de cette recherche régionale ont été menées par les équipes de recherche suivantes :

Au Burundi : Dr Christophe Sebudandi, consultant indépendant et coordinateur de la recherche au Burundi; et Victoire Ndikumana, ancienne parlementaire et ancienne ministre pour la promotion de la femme. Cette dernière est ministre du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme depuis 2010.

Au Rwanda : Immaculée Mukankubito, consultante indépendante et coordinatrice de la recherche au Rwanda et Jeanne d’Arc Mihigo, consultante indépendante.

En Ouganda : Dr Josephine Ahikire, coordinatrice de la recherche en Ouganda, et Dr Aramanzan Madanda. Ils sont, respectivement, professeure associée et assistant à la School of Women and Gender Studies (Centre d’études sur les femmes et le genre) à l’université Makerere à Kampala. Christine Ampaire, agente de développement communautaire dans le gouvernement local du district de Mukono.

En République démocratique du Congo (RDC) : Catherine Odimba, enseignante et chercheure en sciences politiques et administratives à l’université de Kinshasa, coordinatrice de la recherche en RDC ; Dr Paul Robain Namegabe, professeur et doyen de la Faculté de droit à l’Université catholique de Bukavu (UCB) ; Julienne Baseke Nzabandora, assistante au département de sociologie à l’Université officielle de Bukavu.

Ce rapport a été révisé et édité par Benedict du Cassé consultant indépendant et Albertine Tshibilondi, Secrétaire générale du Centre d’études africaines et de recherches interculturelles (CEAF& RI).

La publication de ce rapport a été assurée par Chandani Thapa, directrice des communicationsstratégiques à International Alert.

Nous remercions très sincèrement le ministère des Affaires étrangères de Norvège, l’Agence suédoise de coopération internationale pour le développement (SIDA) et le Social Science Research Council (SSRC) à New York, pour le soutien financier qu’ils nous ont apporté pour mener à bien ce projet de recherche.

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Hommage à Jeanne d’Arc Mihigo

Jeanne d’Arc Mihigo, membre de l’équipe de recherche rwandaise et co-auteure du rapport de l’étude de cas sur le Rwanda, est décédée tragiquement le 8 juillet 2011 dans l’accident d’avion du vol Hewa Bora qui s’est écrasé en atterrissant à l’aéroport de Kisangani, en République démocratique du Congo. Elle avait 41 ans.

Née d’un père congolais et d’une mère rwandaise, Jeanne était profondément préoccupée par la grave crise que traversait la RDC depuis plus d’une décennie. En 2009, elle publiait, en anglais, un livre intitulé Rural development for conflict resolution. A case study of North Kivu, où elle examinait les relations entre le développement rural et les conflits dans les territoires de Masisi et de Rutshuru au Nord Kivu. Elle concluait que la restauration de l’autorité de l’Etat et la promotion de la bonne gouvernance, constituaient des éléments clés pour l’avènement d’une paix durable et de la prospérité en RDC, notamment à l’est du pays.

Nous retenons d’elle son immense professionnalisme, sa grande générosité et son engagement sans faille pour le retour de la paix et pour le respect des droits des femmes à l’est de la République démocratique du Congo.

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Table des matières

Résumé exécutif 6

1. Introduction 12

2. La participation des femmes à la table des négociations : les pourparlers de paix d’Arusha pour le Burundi et le Dialogue intercongolais de Sun City (RDC) 14

3. Bilan de la mise en œuvre d’un système de quota au Burundi : l’impact sur la représentation politique des femmes 20

4. Promouvoir l’égalité des sexes dans le processus de décentralisation et dans la gouvernance locale : l’exemple du Rwanda 26

5. Les femmes dans les processus électoraux : les élections présidentielles et législatives nationales et provinciales de 2006 en République démocratique du Congo 33

6. La dimension économique de la participation politique des femmes : le rôle des femmes dans l’édification d’une économie de paix dans le nord de l’Ouganda 38

7. Conclusion 44

8. Recommandations 47

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Table des sigles

ADDF Association pour la défense des droits des femmes ADEPAE Action pour le développement et la paix endogène ADR Alliance démocratique pour le renouveauAFEM-SK Association des femmes des médias du Sud KivuCAFCO Cadre permanent de concertation de la femme congolaiseCAFOB Collectif des associations et des organisations non gouvernementales féminines du

BurundiCEDEF Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmesCENI Commission électorale nationale indépendanteCNDD-FDD Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la

démocratieCNF Conseil national des femmesDIC Dialogue intercongolaisDYNAFEP Dynamique des femmes politiquesMIGEPROF Ministère du Genre et de la Promotion de la FamilleMINALOC Ministère de l’Administration locale et des Affaires sociales MINECOFIN Ministère des Finances et de la Planification économique NRA National Resistance Army (Armée nationale de résistance)PRDP Peace, Recovery and Development Plan (Plan de paix, de relèvement et de

développement)RALGA Rwandan Association of Local Government Authorities (Association rwandaise des

autorités locales)SACCO Savings and Credit Co-operative (Coopératives d’épargne et de crédit)SADC Southern African Development Community (Communauté de développement de l’Afrique

Australe)

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Résumé exécutif

L’un des résultats positifs des processus de paix et des transitions politiques dans la région des Grands Lacs en Afrique ces dix à quinze dernières années, a été la représentation et la participation accrues des femmes dans l’arène politique et dans la sphère publique. Cette avancée majeure pour les femmes a été obtenue essentiellement par l’adoption de systèmes de quotas et par la cooptation. Les constitutions adoptées par l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) durant les périodes de transition post-conflits qu’ils ont traversées, comprennent des dispositions introduisant des quotas d’au moins 30 % de représentation féminine dans les institutions de prise de décision. En RDC, la Constitution post-transition adoptée par référendum en décembre 2005 est allée plus loin en intégrant le principe d’une représentation paritaire. La reconstruction du nord de l’Ouganda à la suite de vingt années d’un conflit meurtrier, a aussi offert des opportunités aux femmes qui ont joué un rôle de premier plan dans la relance économique de la région.

Ce rapport constitue la synthèse des résultats d’une recherche régionale sur la participation politique et le renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays qui sortent d’un conflit dans la région des Grands Lacs en Afrique. La recherche qui s’est déroulée au Burundi, au Rwanda, en République démocratique du Congo et en Ouganda, a été menée conjointement par International Alert et EASSI, en collaboration étroite avec quelques-unes des principales organisations de femmes dans les quatre pays, ainsi qu’avec le Département des études sur les femmes et le genre de l’université Makerere, en Ouganda.

Structurée autour de quatre études de cas, cette recherche examine la nature et la qualité de la participation politique des femmes dans les quatre pays, afin de déterminer si la représentation accrue des femmes dans la prise de décision sur le plan national et au niveau de la gouvernance locale s’est traduit par l’adoption de politiques d’égalité des sexes et par le rehaussement du statut socio-économique des femmes à tous les niveaux de la société. Elle analyse également la dimension économique de la participation politique des femmes, en faisant le lien entre le renforcement de leur pouvoir économique et leur représentation dans l’arène politique.

Les études de cas sont focalisées sur les thèmes spécifiques suivants :

• Au Rwanda : la recherche analyse l’intégration d’une perspective genre dans le processus de décentralisation et son impact sur la participation des femmes au niveau de la gouvernance locale et sur le plan national. L’étude de cas sur le Rwanda, intitulée « Promouvoir l’égalité des sexes dans les processus de décentralisation et la gouvernance locale : leçons du Rwanda » est disponible sur le site web d’International Alert (http://www.international-alert.org/resources) ;

• Au Burundi : l’étude examine la participation des femmes dans le processus de paix d’Arusha ; et fait le bilan de cinq années d’application d’un système de quotas de 30 % de représentation féminine dans les institutions politiques de prise de décision. L’étude de cas intitulée : « A la conquête de la parole. La participation des femmes dans la transition démocratique au Burundi » peut être consultée sur le site web d’International Alert ;

• En Ouganda : l’étude de cas s’est attachée à examiner le rôle des femmes dans la relance de l’économie dans le nord de l’Ouganda après la guerre et à comprendre l’interaction entre le pouvoir économique renforcé des femmes et leur participation dans la vie politique et publique. L’étude des cas dont le titre est “Post-war economic opportunities in Northern Uganda : The implications for women’s political participation and empowerment’’ est disponible sur le site web d’International Alert ;

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• En RDC : la recherche fait le bilan de la participation des femmes dans le Dialogue intercongolais (DIC) et dans les élections générales de 2006. L’étude de cas intitulée « La participation des femmes dans les processus de paix et de prise de décision politique en République Démocratique du Congo » est disponible sur le site internet d’International Alert.

Les principaux résultats des quatre études de cas se résument comme suit :

Les femmes à la table des négociationsMalgré leur faible représentation aux processus de paix officiels d’Arusha pour le Burundi et du Dialogue intercongolais (DIC) à Sun City en Afrique du Sud, les femmes burundaises et congolaises sont quand même parvenues à faire inclure des dispositions favorables aux droits des femmes et au principe de l’égalité des sexes dans les textes de l’Accord d’Arusha pour le Burundi signé en 2000 et de l’Accord global et inclusif pour la RDC, signé à Pretoria en 2002. Cependant, la formulation du principe d’égalité est restée très générale dans le texte des deux accords notamment en ce qui concerne la représentation des femmes au sein des institutions politiques dirigeantes. Ceci explique en partie les difficultés et la lenteur dans la mise en œuvre de la plupart de ces dispositions. En RDC en particulier, le principe du quota de 30 % de représentation féminine qui avait été promis aux femmes congolaises à Sun City n’a jamais été mis en application. Les femmes congolaises ont par la suite réussi à faire inscrire le principe de parité dans la constitution post- transition adoptée en 2006 mais là aussi les mécanismes pour sa mise en application n’ont jamais été adoptés. Au Burundi, le quota de 30 % de représentation des femmes sera finalement intégré dans la Constitution post-transition promulguée en mars 2005, soit cinq ans après la signature de l’accord d’Arusha. Il faudra attendre encore quatre années supplémentaires avant que le quota de 30 % ne soit inscrit dans le Code électoral lors de sa réforme en 2009.

L’impact de la politique des quotasLa recherche sur le Burundi qui fait une évaluation de près de cinq années de mise en œuvre du quota de 30 % de représentation féminine dans les institutions politiques, conclut que malgré que les quotas aient accru de manière significative le nombre des femmes dans les instances de prise de décision y compris dans la gouvernance locale, ceci ne s’est pas traduit par une représentation féminine substantielle et efficace, ni par une réduction significative des inégalités entre les hommes et les femmes. Les femmes, en particulier celles vivant dans les zones rurales et les milieux péri- urbains, continuent d’être confrontées à des obstacles majeurs tels la pauvreté, le manque d’accès à la terre et à la propriété, l’analphabétisme et une lourde charge de travail domestique.

L’adoption d’un système de quota ne s’est pas accompagné d’une transformation des systèmes politiques et institutionnels qui demeurent profondément masculins et constituent un frein à la promotion de l’égalité des sexes. Les quotas ethniques et régionaux ont introduit dans le système politique des biais qui favorisent les replis identitaires et les allégeances politiques au sein de l’ensemble de la classe politique, y compris chez les politiciennes. Néanmoins, la représentation accrue des femmes dans les institutions étatiques serait en train d’avoir, progressivement, des effets positifs sur les transformations sociales au Burundi. Les femmes auraient une plus grande confiance en elles ce qui se traduirait, entre autres, par leur plus grand accès à la parole dans l’espace public. Il y aurait en outre, un plus grand respect social à leur égard.

Les défis de l’intégration de l’égalité des sexes dans les processus de décentralisationA l’instar du Burundi, la politique des quotas mise en œuvre par le gouvernement rwandais, a également permis une plus large représentation des femmes dans le processus de décentralisation dans lequel le Rwanda s’est engagé depuis le début des années 2000.

Cependant, le principe de l’égalité des sexes n’est pas encore effectivement intégré dans le processus de décentralisation qui n’a pas produit un espace qui aurait permis aux femmes d’avoir une influence sur les politiques formulées au niveau de la gouvernance locale. Elles continuent

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d’être sous représentées dans les positions clé en charge de la conception et de l’élaboration des politiques et des programmes. En outre, les entités décentralisées manquent de moyens techniques, matériels et financiers pour mettre en œuvre une politique d’égalité des sexes authentique. Le manque d’expertise en analyse de genre et en budgétisation sexospécifique du personnel technique et des conseillers locaux, est devenu l’un des principaux obstacles à l’intégration effective d’une perspective genre dans les processus de planification et de budgétisation.

Les femmes sont également marginalisées dans les espaces de participation citoyenne, conçus pour permettre aux populations de participer aux discussions sur les priorités de développement et la mise en œuvre des programmes. Néanmoins, des questions en rapport avec l’égalité des sexes sont abordées dans ces espaces, en particulier la lutte contre les violences faites aux femmes, le régime foncier et la planification familiale. La recherche conclut que le processus de décentralisation au Rwanda offre des possibilités pour réduire l’écart entre les sexes afin d’arriver à une plus grande égalité. Cependant, ceci est subordonné à un renforcement du pouvoir de prise de décision des entités locales et des communautés de base, afin qu’elles puissent s’approprier le processus de décentralisation.

La Représentation des femmes dans les processus électorauxEn RDC, les femmes ont pris une part active dans les élections présidentielles et législatives de 2006, les premières organisées dans le pays depuis près d’une trentaine d’années. Elles ont constitué la majorité du corps électoral, soit 64 %, lors des élections législatives. Cependant, très peu d’entre elles ont réussi à se faire élire : 8 % à l’Assemblée nationale et 8,6 % au Sénat. Les femmes ont été pénalisées par un système électoral perverti et par des biais dans la confection des listes électorales par les partis politiques. Elles ont aussi souffert de l’insuffisance de moyens financiers, de leur manque d’expérience politique et de pouvoir mobilisateur pour acquérir une base électorale conséquente.

La nature anti-démocratique et conservatrice des systèmes politiques et des institutions sociales et religieuses en RDC rend difficile l’application effective de la parité, pourtant inscrite dans la Constitution. Malgré l’adoption de certaines mesures en faveur d’une plus large participation des femmes dans l’espace politique et public, de nombreuses dispositions discriminatoires envers les femmes subsistent, en particulier dans le Code de la famille qui place les femmes sous la tutelle de leurs maris. Les normes et stéréotypes sexospécifiques qui structurent les rapports sociaux de sexe constituent les principaux obstacles à une représentation équitable des femmes dans la vie politique et publique.

Pouvoir économique et participation politiqueLa pauvreté et le manque de sécurité économique sont souvent considérés comme quelques-unes des entraves à la participation politique des femmes. Cependant, dans le nord de l’Ouganda, les avancées faites par les femmes sur le plan économique n’ont pas conduit à leur meilleur positionnement dans la sphère politique. En effet, les femmes ont joué un rôle central dans la relance de l’économie après la guerre et sont parvenues à accroître leurs revenus, mais pas à un niveau qui leur aurait permis de sortir du cycle de la survie économique et de la satisfaction des besoins primaires, pour parvenir à la sécurité économique.

En outre, les politiques de reconstruction et développement du nord de l’Ouganda n’ont pas pris en compte la contribution importante des femmes dans la construction d’une économie de paix. Malgré l’engagement d’institutionnaliser l’égalité des sexes pris par la plupart des agences de développement qui interviennent sur le terrain, les femmes continuent d’être considérées comme un groupe vulnérable et non comme des actrices économiques à part entière. Elles sont ainsi marginalisées dans les principaux plans de développement élaborés par le gouvernement central et les agences internationales de développement après la guerre. D’autre part, le niveau élevé de violence sexuelle envers les femmes et la manière dont la nature inégalitaire des rapports sociaux de sexe affecte le redressement économique sont très peu pris en compte dans les programmes de développement.

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9Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

Tout ceci explique en grande partie la faible participation des femmes dans l’arène politique, même si l’accroissement de leurs revenus a permis à beaucoup d’entre elles de jouer un rôle plus central dans la prise de décision au sein de la famille et d’avoir une mobilité et une influence accrues au sein des différentes structures dirigeantes des communautés de base.

Recommandations

Les quatre études de cas ont identifié un certain nombre de priorités et d’actions stratégiques pour renforcer la participation des femmes dans la vie politique et publique et pour reconnaître et soutenir leur rôle pivot dans la relance économique de la région.

Quelques-unes de ces recommandations sont reprises ci-dessous :

Au Burundi

• Constituer une base de données statistiques sur la participation politique des femmes et évaluer les progrès du Burundi dans la mise en application de ses engagements nationaux et internationaux pour l’égalité entre les sexes, notamment par le biais d’indicateurs connus comme l’Indice de développement et des inégalités entre les sexes en Afrique (IDISA)1. L’évaluation de l’IDISA peut se faire dans le cadre d’une collaboration entre le gouvernement, les organismes des Nations Unies et les organisations de la société civile ;

• Adopter le projet de loi garantissant le droit des femmes à la propriété foncière : que le gouvernement et le parlement adoptent le projet de loi portant réforme du code des successions, des libéralités et des régimes matrimoniaux en cours d’examen depuis 2002 ;

• Intégrer le principe de l’égalité des sexes de manière effective dans les politiques et programmes de développement nationaux : il faudrait s’assurer que la Vision 2025 et le nouveau cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et de consolidation de la paix intègrent l’approche genre de manière transversale. Il s’agit de :- Vulgariser la politique nationale genre adoptée en 2003 et la mettre en application, notamment

par la mise en place des structures prévues par la loi comme le Conseil national genre ;- Doter les structures de promotion de l’égalité des sexes de moyens humains, matériels et

financiers suffisants pour l’accomplissement efficace de leur mission ;- Garantir des conditions de sélection des candidates aux postes de responsabilité basés sur

le mérite et la représentativité, afin d’éliminer les objections à l’introduction de quotas pour les femmes ;

• Mettre en place des mécanismes permettant de relever le niveau d’instruction des femmes et des filles et de réduire le poids des charges domestiques : il faudrait réfléchir aux moyens de permettre aux femmes de dégager du temps libre, en marge des travaux ménagers et de certaines tâches quotidiennes tels que le puisage de l’eau et la collecte du bois de chauffe. Il faudrait envisager en outre, l’organisation d’une vaste campagne d’alphabétisation fonctionnelle qui comprendrait entre autres, des aspects sur l’éducation politique et civique, le code de la famille, la gestion des ressources, la limitation des naissances. Cette campagne toucherait aussi bien les femmes que les hommes ;

1 L’IDISA ou Indice de développement des inégalités entre les sexes en Afrique, est un outil qui permet de mesurer les inégalités de genre et d’évaluer la performance des gouvernements en Afrique pour les combler. Cet indice comporte deux parties, l’Indice de la Condition de la Femme (ICF) qui est une mesure quantitative et le Tableau de Bord de la Promotion de la Femme en Afrique (TBPFA) qui est qualitatif. Pour de plus amples informations sur l’IDISA, consulter le document suivant : Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA) : « Indice de Développement et des Inégalités entre les sexes en Afrique », Addis Abeba, Septembre 2004.

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• Développer et renforcer les alliances et les réseaux entre les femmes : en mettant en place une structure permanente de concertation entre les femmes politiques et celles de la société civile. A travers ce mécanisme, il s’agira de développer un programme commun mettant en avant les priorités des femmes et encourager les femmes élues et celles occupant des postes de responsabilité à y adhérer et à les mettre en application ;

• Encourager la participation politique des femmes à travers des actions ponctuelles concrètes : développer des partenariats entre les associations de femmes et des hommes sensibles à la problématique de l’égalité des sexes (politiciens, religieux, dirigeants de la société civile entre autres), en vue de renforcer le plaidoyer en faveur de la participation accrue des femmes à la vie politique et de la promotion de politiques en faveur de l’égalité des sexes ;

• Encourager le gouvernement à respecter ses engagements nationaux, régionaux et internationaux en faveur de l’égalité des sexes : l’appui de la communauté internationale est essentiel pour permettre au Burundi de respecter ses engagements en matière d’égalité des sexes. En ce sens, le respect de l’égalité des sexes devrait être un critère d’éligibilité aux programmes de coopération internationaux négociés avec le gouvernement du Burundi. La communauté internationale pourrait aussi soutenir le renforcement des capacités des femmes en matière de participation politique et participer au suivi des indicateurs d’égalité entre les sexes.

Au Rwanda

Au Gouvernement • Développer un programme de renforcement des capacités des entités décentralisées en matière

d’analyse de genre et de planification-budgétisation sexospécifique, en vue d’améliorer leur niveau de prise en compte dans les contrats de performance et dans les budgets. Les orientations en matière d’élaboration des contrats de performance devraient fournir des indicateurs genre spécifiques par rapport à chaque domaine faisant objet de planification ;

• Rendre disponible une personne ressource ayant une expertise en genre pour pouvoir accompagner les analyses au niveau de processus de décentralisation. Accompagner les districts dans l’élaboration d’une politique et d’une stratégie d’égalité des sexes, leur permettant de définir les rôles et responsabilités de différentes unités et acteurs ainsi que les stratégies d’intervention concernant les questions d’égalité ;

• Inclure dans les évaluations régulières du processus de décentralisation, l’analyse des obstacles auxquels font face les communautés dans les contrôle de l’action publique, notamment en matière de genre, pour permettre d’initier des stratégies d’accompagnement ; Renforcer les capacités des agents du ministère chargés des questions de genre au niveau des districts pour les rendre capables de soutenir et superviser l’intégration du genre dans les plans et budgets des entités décentralisées ;

• Elaborer un programme d’éducation et de sensibilisation continu des populations dans le domaine de l’égalité des sexes, en vue de réduire les résistances au changement et de soutenir les progrès accomplis. Le programme devrait aussi comprendre la sensibilisation des familles à renforcer l’éducation des filles jusqu’au niveau supérieur ;

• Accompagner le travail technique d’élaboration d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs permettant de mesurer les changements en matière d’égalité des sexes au niveau individuel, institutionnel et communautaire ;

• Soutenir des réflexions et analyses visant à identifier les stratégies et programmes permettant de réduire la surcharge de travail des femmes et d’accompagner les femmes qui siègent dans les organes de décision des entités décentralisées, en tenant compte des obstacles à leur participation. Ces analyses devraient influencer la planification et la budgétisation des actions de développement des entités décentralisées et du gouvernement central.

Au Conseil national des femmes (CNF) et aux organisations de la société civile• Appuyer les Conseils des femmes dans l’élaboration de leurs stratégies d’intervention pour

une meilleure prise en compte des questions d’égalité dans le processus de décentralisation ;

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11Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

• Susciter la création d’un réseau entre les femmes leaders au niveau des entités décentralisées, pour les aider à approfondir l’analyse des obstacles à la participation des femmes et mener un plaidoyer au niveau des instances de décision ;

• Redéfinir le rôle de agents du CNF au niveau des districts afin de permettre une complémentarité et synergie avec d’autres agents des districts, des secteurs et des cellules ;

• Développer des programmes de formation en leadership pour renforcer les capacités des femmes occupant des postes de décision ou ceux des candidates potentielles à ces postes.

A l’Association rwandaise des autorités locales (RALGA)• S’intéresser à des projets visant la promotion de l’égalité homme/femme dans la gouvernance

locale (comme le PAGOR) et capitaliser leurs acquis pour que d’autres districts en profitent ;• Susciter la création d’un réseau entre les femmes leaders au niveau des entités décentralisées

pour les aider à approfondir l’analyse des obstacles à la participation des femmes et faire le plaidoyer au niveau des Instances de décision.

En République démocratique du Congo

• Renforcer l’action des organisations féminines et de la société civile et mener une réflexion approfondie sur l’engagement politique des femmes de la société au niveau national ;

• Etablir des structures politiques inclusives et représentatives en renforçant la présence des femmes dans les institutions étatiques et coutumières, les partis politiques et les structures communautaires. Ceci implique l’adoption et la mise en œuvre effective de la loi sur la parité qui permettrait d’améliorer de manière significative l’accès des femmes à la sphère politique ;

• Favoriser la socialisation politique des femmes et transformer les comportements politiques des femmes et des hommes en intégrant le principe de l’égalité des sexes dans les programmes et activités des différents agents de socialisation en particulier : l’école, les médias et les institutions religieuses ;

• Faire le lien entre le local et le global en suscitant une dynamique qui rassemble les acteurs étatiques, les organisations de femmes, les communautés locales et l’ensemble de la société civile autour d’un idéal commun : le repositionnement politique des femmes dans un contexte de reconstruction nationale.

En Ouganda

• Faire de l’égalité des sexes un élément central dans la conception et la mise en œuvre des programmes de redressement économique du nord de l’Ouganda ;

• Assurer un développement institutionnel stratégique pour les femmes : ceci requiert de former un grand nombre de femmes sur la manière de soumissionner à des appels d’offre, et de créer des compagnies et des joint-ventures ;

• Sensibiliser les groupements féminins à la chose politique et former les femmes à participer de manière effective à différents niveaux de la prise de décision et à former des alliances et des coalitions entre les différents partis ;

• Reconstruire des masculinités positives en mobilisant les hommes et les garçons et en les faisant participer à des activités de prévention des violences faites aux femmes. Il y a également un besoin urgent de mobiliser les hommes pour les amener à recommencer à contribuer à l’entretien et à la maintenance de la famille.

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1. Introduction

Malgré leur nature dévastatrice, les conflits armés qui ont affecté la région des Grands Lacs pendant de longues années ont introduit une certaine fluidité dans l’ordre social traditionnel, ce qui a permis l’ouverture d’espaces pour l’expression et l’action politiques dont les femmes ont su tirer profit jusqu’à un certain point. Ils ont joué un rôle crucial de catalyseur dans l’émergence d’un mouvement associatif féminin dynamique à tous les niveaux de la société qui a su, à des moments critiques, surmonter les divisions ethniques et politiques pour s’unir autour de questions cruciales pour la promotion des droits politiques, économiques et sociaux des femmes. Les espaces d’expression et d’action politiques pour les femmes se sont élargis et renforcés avec leur engagement dans les processus de paix informels et les pourparlers de paix officiels. La participation active des femmes à la reconstruction post-conflit et dans les transitions politiques a contribué à ouvrir l’arène politique et économique à un nombre plus important de femmes.

Malgré ces avancées, les femmes continuent néanmoins à faire face à d’importants défis. Le sentiment général parmi certaines des principales organisations féminines de la région est que l’environnement politique, économique et culturel n’est pas toujours propice à une participation substantielle et efficace des femmes et à l’articulation des questions qui les concernent2. L’adoption des quotas n’a pas nécessairement résulté en la mise en œuvre de politiques sensibles à l’égalité des sexes, ni en changements du statut socio-économique des femmes à tous les niveaux de la société. La question de l’institutionnalisation des acquis et de la transformation des relations de pouvoir au sein des institutions et des systèmes politiques afin de les rendre plus réceptives aux questions d’égalité, se trouve au cœur de la problématique de la participation politique des femmes dans la région. Il en est de même des questions relatives à la culture et aux traditions qui ont un impact profond sur la participation des femmes, tandis que le manque d’accès et de contrôle des ressources et le manque de pouvoir économique comptent parmi les fondements de l’exclusion des femmes de l’arène politique.

Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre conceptuel selon lequel l’inclusion et la participation sont des facteurs inhérents à la paix, et qu’une plus grande inclusion rehausse la paix et la sécurité. En ce sens, la participation pleine et effective des femmes à la politique est une composante nécessaire des processus de paix et de reconstruction post-conflit. La recherche a adopté une notion de la participation politique qui va au-delà de la conception traditionnelle qui limite la politique à l’implication dans les processus formels, les institutions étatiques ou les processus électoraux. En effet, les processus politiques concernent également la politique informelle et les dynamiques liées à la vie quotidienne3. En ce sens, les mouvements sociaux, en particulier ceux dans lesquels les femmes sont impliquées, constituent une forme de participation politique au même titre que l’engagement dans les processus plus formels au sein des Etats. Certains analystes attirent aussi l’attention sur les relations qui imprègnent tous les niveaux de la vie sociale, y compris les relations de pouvoir au sein de la sphère privée, des ménages et de la famille4.

La recherche a pris en considération le fait que les femmes ne constituent pas une catégorie homogène, mais qu’elles ont des identités différenciées, façonnées par leur appartenance ethnique, politique et de classe, ainsi que par leur âge et leur statut social.

2 International Alert, EASSI : « Participation politique des femmes dans les pays sortant d’un conflit dans la région des Grands Lacs en Afrique ». Rapport de l’atelier de méthodologie, 2008.

3 Krook, M., L., Childs, S., “Women, gender and politics. A reader”, Oxford University press, 2010.4 Krook, M., Childs, S.: op. cit.

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13Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

Les objectifs du projet de recherche sont les suivants :

Objectif global :

• Améliorer l’efficacité de la contribution des femmes au retour de la paix et de la sécurité dans la région des Grands Lacs en Afrique.

Objectifs spécifiques :

• Examiner la nature de la participation politique des femmes et la manière dont elle contribue à rehausser la paix et la sécurité dans la région des Grands Lacs.

• Contribuer à la transformation des institutions politiques et sociales qui font obstacle à une participation efficace et de qualité des femmes.

• Soutenir l’échange d’expériences et d’analyses entre les femmes de la région pour une meilleure compréhension des positions et des rôles différenciés des hommes et des femmes dans la sphère politique.

La recherche sur le terrain et la rédaction des quatre études de cas ont été menées dans chaque pays par des équipes nationales de chercheurs, dont les capacités en méthodologie de recherche sexospécifique avaient été renforcées lors d’un atelier de méthodologie qui s’est tenu à Kampala en juin 2009. Cet atelier a été facilité par la Professeure Aminata Diaw de l’université Cheick Anta Diop de Dakar, au Sénégal et Dr.Josephine Ahikire, professeure associée au Centre d’études sur les femmes et le genre de l’université Makerere.

Les interrogations qui ont guidé cette recherche sont structurées autour des questions suivantes :

1. Les conflits offrent-t-ils des opportunités aux femmes ? Contribuent-ils à la création d’espaces d’expression et d’action ? Dans quelles circonstances ?

2. De quelle manière les conflits contribuent-ils à façonner les perceptions sur la participation des femmes en politique ?

3. Quelle est la nature et la qualité de la participation politique des femmes et quel est l’impact de leur représentation dans la prise de décision ?

4. Quelle est la nature de l’Etat et des systèmes politiques et institutionnels dans la région et comment ceci affecte-t-il la participation des femmes ?

5. Comment la participation des femmes s’articule-t-elle à des paramètres tels que l’identité, la culture et l’ethnicité ?

6. Existe-t-il un lien entre le renforcement du pouvoir économique des femmes et leur plus grande participation dans la sphère politique ?

Des questions complémentaires spécifiques à chaque pays ont été développées par les équipes nationales de recherche. La recherche a adopté une approche participative, sexospécifique et axée sur les processus. La collecte des données sur le terrain s’est effectuée à travers des groupes de discussions, des interviews approfondies avec des informateurs clés ainsi que l’administration de questionnaires.

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2. La participation des femmes à la table des négociations : les pourparlers de paix d’Arusha pour le Burundi et le Dialogue intercongolais de Sun City (RDC)5

Les processus de paix officiels, également connus sous le nom de « Track 1 Diplomacy » sont des mécanismes dont les femmes demeurent largement exclues. Le nombre de femmes ayant tenu un rôle officiel dans ces processus particulièrement dans les négociations de paix, est très bas à travers le monde. Une étude de l’UNIFEM portant sur 21 processus de paix officiels depuis la moitié des années 90, montre que les femmes ne constituent que 2,4 % des signataires des accords de paix émanant de ces processus. Pour 10 de ces 21 cas de processus de paix, la représentation des femmes dans les délégations officielles à la table des négociations s’élevait en moyenne à 5,9 %6. L’absence des femmes à la table des négociations persiste malgré l’adoption d’une législation internationale comprenant entre autres, la Plateforme de Beijing7 et la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies8, qui appellent à reconnaître le droit des femmes à être impliquées sur un pied d’égalité dans tous les aspects et à toutes les étapes des processus de consolidation de la paix et de la reconstruction post-conflit, et à intégrer une démarche sexospécifique dans ces processus.

Les études de cas sur le Burundi et la RDC examinent la participation des femmes dans les processus de paix dans ces deux pays, impliqués durant ces dix dernières années dans des négociations de paix qui ont mené à la signature d’accords de paix. Les négociations de paix pour le Burundi ont démarré en juin 1998 à Arusha en Tanzanie. Ces pourparlers qui ont duré plus de deux ans, ont abouti à la signature de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation le 28 août 2000. En RDC, le Dialogue intercongolais (DIC) de Sun City en Afrique du Sud, du 25 février au 12 avril 2002 était conçu comme un processus de réconciliation nationale pour négocier les termes d’un nouvel ordre politique. Le DIC s’est terminé par la signature à Pretoria en Afrique du Sud le 17 décembre 2002, de l’Accord global et inclusif qui a permis la mise en place d’un gouvernement de transition en juin 2003. Les femmes ont été largement exclues de ces processus qui ont constitué des étapes cruciales dans l’histoire politique récente de ces deux pays. Un très petit nombre d’entre elles a pu accéder à ces négociations et seulement à la suite d’un travail intense de lobbying.

Les deux études de cas analysent les stratégies adoptées par les femmes pour accéder à la table des négociations et l’impact de leur présence sur le processus de négociation, afin de déterminer si la présence des femmes a contribué à produire pour les deux pays des accords de paix sensibles à la question de l’égalité entre les sexes.

Les résultats de ces recherches sont présentés et analysés dans les sections qui suivent.

5 Ce chapitre constitue la synthèse analytique des études de cas suivantes : Ndikumana, V., Sebudandi, C. A la conquête de la parole. La participation des femmes dans la transition démocratique au Burundi, International Alert et EASSI, Londres, Kampala, 2012. Odimba, C., Namegabe, P.R., Baseke Nzabandora. La participation des femmes dans les processus de paix et la prise de décision politique en République Démocratique du Congo, International Alert et EASSI, Londres, Kampala, 2012.

6 UNIFEM: “Women’s participation in peace negotiations: connections between presence and influence”, April 2009.7 La question des femmes dans les conflits armés figure parmi les 12 domaines d’intervention identifiés dans la plateforme d’Action de

Beijing adoptée en 1995. La plateforme de Beijing souligne que les femmes sont très souvent absentes des négociations de paix et insiste sur la nécessité de les intégrer aux processus de règlement des conflits.

8 La résolution 1325 relative aux femmes, à la paix et à la sécurité adoptée le 31 octobre 2000 par le Conseil de sécurité des Nations Unies, urge les Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin de protéger les droits des femmes et des filles dans les conflits armés, d’impliquer davantage les femmes à tous les niveaux de la prise de décision et d’assurer une égalité entre les sexes dans toutes les opérations de promotion et de maintien de la paix.

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15Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

2.1 Seul un faible pourcentage de femmes a pu participer aux négociations de paix d’Arusha au Burundi et au Dialogue intercongolais en RDC

Les pourparlers de paix d’Arusha sur le Burundi, concernaient principalement les représentants des 17 partis politiques et mouvements armés agréés par le gouvernement burundais et l’Assemblée nationale. Les femmes et d’autres groupes de la société civile, ainsi que les confessions religieuses en sont restés largement exclus. Au premier tour des négociations d’Arusha en juin 1998, il n’y avait que deux femmes sur les 126 délégués. Comme souligné dans l’étude de cas :

…de fait, les négociations d’Arusha ont été perçues comme une privatisation de la question politique et de l’avenir du pays, par les seuls partis politiques9.

Le mouvement féminin a été la seule composante de la société s’étant mobilisée et organisée pour revendiquer le droit des femmes à participer aux pourparlers d’Arusha.

Les organisations de femmes ont utilisé les mécanismes de la législation internationale pour l’avancement des droits des femmes tels que la Plateforme de Beijing et la Convention sur l’élimination de toutes formes de discriminations envers les femmes (CEDEF) comme outils pour mener un plaidoyer intense en faveur de leur participation auprès de certains Chefs d’Etat de la région, en particulier auprès du président tanzanien Julius Nyerere, qui était également le médiateur officiel des pourparlers d’Arusha.

Au cours du deuxième tour des négociations du 20 au 29 juillet 1998, les femmes ont littéralement forcé la porte en arrivant à Arusha constituées en délégation, sans que celle-ci ait été au préalable officiellement agréée. Nyerere a, par la suite, apporté son soutien aux femmes en organisant des consultations sur la question de leur participation avec les chefs des délégations des différentes parties en négociation à Arusha. Le président sud-africain, Nelson Mandela, qui prendra la relève comme médiateur, à la suite du décès de Nyerere en octobre 1999, apportera un soutien identique aux femmes. Un statut d’observateur permanent sera finalement accordé à un groupe de sept femmes10 en janvier 2000, soit huit mois seulement avant la fin des négociations11. Les femmes n’auront constitué au total que 10 % des participants à la conférence.

En RDC, le Dialogue intercongolais de Sun City a été un peu plus inclusif et a impliqué outre le gouvernement et les mouvements armés, l’opposition politique non armée et la société civile. Comme pour le cas du Burundi cependant, l’inclusion des femmes au DIC n’a pas été chose aisée. Aucune femme n’avait participé aux négociations de Lusaka en Zambie en juillet 1999, qui avaient abouti à la signature d’un accord de cessez-le-feu entre les parties belligérantes. C’est aussi à la conférence de Lusaka qu’avaient été identifiées les différentes composantes qui feraient partie du DIC et qu’avaient été définis et adoptés les principes qui le guideraient. De même, seuls 9 % de femmes avaient assisté à la réunion du comité préparatoire du DIC à Gaborone, au Botswana, en août 2001. Ces femmes ont cependant joué un rôle important en écrivant une lettre ouverte aux délégués de la réunion de Gaborone, pour dénoncer la sous-représentation des femmes. Les signataires de cette lettre ouverte ont aussi utilisé la législation internationale en faveur des femmes en rappelant à la RDC qu’elle était signataire de la CEDEF et membre de la SADC12 qui a adopté un quota de 30 % de représentation féminine dans les organes de prise de décision, ainsi qu’en réitérant les clauses de la résolution 1325. Malgré ces efforts, la participation des femmes restera faible tout au long du processus. Elles ne seront que 16 % à Sun City et 13 % à la réunion de Pretoria, qui a abouti à la signature, le 17 décembre 2002, de l’Accord global et inclusif.

9 Ndikumana, V., Sebudandi, C. « A la conquête de la parole : La participation des femmes dans la transition démocratique au Burundi », op. cit. p. 12.

10 Ces femmes représentaient les diverses organisations de femmes de la société civile.11 L’Accord de paix d’Arusha a été signé le 28 août 2000.12 La RDC est devenue membre de la SADC en 1998.

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Cinq ans plus tard, les femmes congolaises feront face à la même exclusion lors de la Conférence sur la paix, la sécurité et le développement des provinces du Nord et Sud Kivu, qui s’est tenue à Goma, au Nord Kivu en janvier 2008. Selon le mode de sélection des participants à la conférence, les différentes composantes constituées du gouvernement, de la rébellion armée, des partis politiques et des organisations de la société civile, devaient chacune se faire représenter par une délégation composée de trois hommes et d’une femme. Ces critères de participation ont défavorisé les femmes qui n’ont représenté que 25 % des participants.

Les arguments en faveur d’une participation égale des femmes dans les négociations de paix, mettent en avant le fait que la nature des accords de paix a profondément changé durant ces vingt dernières années. Jusque dans les années 1990, en effet, ils étaient considérés avant tout comme des contrats entre les parties belligérantes pour mettre fin au conflit armé et à la violence. De nos jours, les accords de paix sont devenus de véritables « feuilles de route ». Ils marquent non seulement la cessation officielle des hostilités entre les parties belligérantes, mais aussi fournissent un cadre politique pour la définition, la négociation et l’adoption des termes et des priorités du processus de consolidation de la paix en matière de réconciliation, de reconstruction socio-économique, de réformes des institutions, des secteurs judiciaires et de sécurité entre autres. Les institutions internationales et les bailleurs de fonds qui financent les processus de consolidation de la paix font maintenant partie intégrante de ces discussions sur lesquelles ils ont une grande influence13.

Dans les situations post-conflit, lorsque de nouvelles institutions et structures législatives sont mises en place, il est impératif que les femmes soient présentes à la table des négociations de paix et qu’elles participent à la prise de décision après la guerre.

Noleen Heyzer, Directrice UNIFEM

La plupart des accords de paix négociés et signés dans ces conditions finissent par constituer la base sur laquelle les futures constitutions sont élaborées. Les constitutions adoptées au Burundi et en RDC sont basées respectivement sur l’Accord de paix d’Arusha et l’Accord global et inclusif. Pour cette raison, il est important que les femmes soient présentes à la table des négociations pour participer à la définition des priorités et s’assurer que les dispositions qui seront incluses dans l’accord et par la suite reprises dans la constitution, prennent en compte les besoins et les intérêts des femmes et intègrent le principe de l’égalité entre les sexes.

2.2 Les femmes se sont rassemblées pour définir et adopter un programme commun pour la paix

Dans les deux pays, les femmes se sont retrouvées dans des coalitions pour développer un programme commun afin d’influencer les négociations de paix et de s’assurer de l’inclusion d’une dimension sexospécifique dans les accords de paix. La Conférence pluripartite des femmes burundaises pour la paix qui s’est tenue à Arusha du 17 au 20 juillet 2000, a constitué un tournant décisif pour la participation des femmes burundaises au processus de paix. Cette conférence a rassemblé pour la toute première fois et à un mois à peine de la fin des négociations, plus de cinquante femmes représentant toutes les parties en négociation à Arusha.

Une série de recommandations a été formulée et présentée aux négociateurs pour leur inclusion dans l’accord de paix. Ces recommandations portaient entre autres sur les points suivants : inclusion du viol dans la liste des causes d’insécurité et de violence envers les femmes et sa classification comme crime contre l’humanité ; adoption d’un quota de 30 % de représentation féminine dans les institutions dirigeantes ; prise en compte de la vulnérabilité particulière des femmes et des enfants

13 Bell, C., O’Rourke, C.: “Peace agreements or pieces of paper? The impact of UNSRC 1325 on peace processes and their agreements”, ICLQ Vol. 59, October 2010, p. 941-980.

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17Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

dans l’élaboration des politiques de rapatriement des réfugiés et de la réinsertion des personnes déplacées et regroupées internes ; garantir les droits des femmes à la propriété foncière, à l’accès à la terre et à l’héritage.

La même démarche unitaire a été adoptée par les femmes congolaises qui se sont retrouvées à la conférence de Nairobi en février 2001, afin de développer un programme commun pour la paix à présenter au Dialogue intercongolais de Sun City. Cette conférence qui a réuni soixante-quatre femmes, s’est tenue à un moment où la RDC, alors en pleine guerre, était coupée en deux : la partie située à l’ouest du pays étant sous contrôle gouvernemental et la partie à l’est sous contrôle de la rébellion armée.

Face à l’impossibilité d’organiser cette réunion à l’intérieur du pays, les femmes ont pris la décision de se retrouver à Nairobi, au Kenya. A l’issue de la réunion, elles ont adopté le même type de revendications que les Burundaises, ce qui montre la similarité des problèmes que connaissent les femmes dans les pays en conflit de la région des Grands Lacs. Ces revendications, consignées dans deux documents importants, la Déclaration de Nairobi et le Plan d’action de Nairobi, se résument ainsi : l’arrêt immédiat des hostilités, le retrait des troupes étrangères du territoire congolais et la réunification du pays ; la création d’un ministère du « Genre » en charge des questions liées à la promotion des femmes et à l’égalité entre les sexes ; l’instauration d’un quota de 30 % de représentation féminine dans toutes les instances de prise de décision ; l’inclusion des principes contenus dans la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination envers les femmes (CEDEF) dans le préambule de la future Constitution dont se dotera la RDC.

2.3 La présence des femmes dans les négociations a-t-elle suffit pour produire des accords de paix ayant intégré le principe de l’égalité entre les sexes ?

Cette question revêt une importance particulière quand on sait que seuls 16 % des accords de paix signés entre janvier 1990 et janvier 2010 à travers le monde contiennent des références spécifiques aux femmes14. D’un autre côté, l’analyse de vingt processus de paix officiels menée par l’UNIFEM en 2009, montre que même lorsque les femmes ont participé aux processus de paix formels avec le statut d’observatrices et sans droit de parole, elles sont quand même parvenues à faire inclure des dispositions favorables aux femmes dans les accords de paix15. Parmi les vingt processus étudiés, ce fait s’est particulièrement vérifié dans le cas des négociations de paix en Ouganda, au Darfour, au Burundi, en RDC et au Libéria16.

Au Burundi et en RDC, les femmes ont développé des stratégies pour pouvoir influencer les discussions. C’est ainsi que le groupe de femmes observatrices aux négociations d’Arusha qui a travaillé de manière étroite avec les quelques femmes membres des délégations officielles à la conférence, a soumis à chaque fois des contributions écrites sur toutes les questions débattues et également sur les différentes moutures de l’accord17. La stratégie adoptée par les femmes congolaises a été de mettre sur pied à Sun City un Caucus des femmes regroupant les femmes qui participaient à la conférence en tant que membres des délégations officielles et les femmes émanant d’organisations de femmes de la société civile qui avaient été invitées en tant qu’expertes. Les deux groupes ont pu ainsi travailler ensemble au sein du Caucus pour influencer les débats et le contenu de l’accord.

Les textes de l’Accord de paix d’Arusha et de l’Accord global et inclusif énoncent tous deux le principe de corriger les déséquilibres en matière de participation entre les hommes et les femmes dans tous les secteurs de la vie publique. Cependant, la formulation de ce principe est restée très générale,

14 UNIFEM: “Women’s participation in peace negotiations: connections between presence and influence”, April 2009.15 UNIFEM, op. cit.16 UNIFEM, op. cit.17 Budomo, Y., Nzirorera, I. : « Evaluation de la participation des femmes au processus électoral au Burundi », Rapport d’évaluation, ONUB,

Unité Genre, Burundi, avril 2006.

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notamment en ce qui concerne les institutions politiques dirigeantes. Il n’est donc pas étonnant que la demande bien précise d’un quota de 30 % de représentation féminine dans les instances de prise de décision faite par les femmes dans les deux pays n’ait pas été acceptée. Dans le cas du Burundi, il est intéressant de noter que la plupart des propositions faites par les femmes pour une meilleure prise en compte de l’égalité homme-femme dans la réorganisation du système institutionnel burundais qui ont été rejetées, se retrouvaient dans le Protocole II de l’accord qui définissait les modalités de la période de transition et de partage du pouvoir entre les différentes parties en négociation. Le principe de l’égalité entre les sexes est énoncé de manière plus claire dans d’autres secteurs tels que l’administration publique et le système judiciaire. Les deux accords font également référence à la CEDEF et à son intégration dans la Constitution des deux pays, bien que la demande des femmes burundaises d’inscrire les actes de viols commis pendant la guerre comme crimes contre l’humanité et de les punir comme tels, ait été rejetée par les négociateurs à Arusha.

Néanmoins 60 % des propositions faites par les femmes burundaises ont été intégrées dans l’Accord de paix d’Arusha qui, avec l’accord de paix signé au Guatemala en 1996, est considéré comme l’un des accords de paix qui a le mieux réussi à prendre compte les questions liées à la promotion des femmes et à l’égalité des sexes18. En dehors de l’impact de la mobilisation des femmes elles-mêmes, il semblerait aussi que, dans les deux cas, ce succès serait à attribuer à l’influence exercée par les Nations Unies sur le cours des négociations et également au rôle joué par les médiateurs, en l’occurrence Nelson Mandela pour le Burundi, pour assurer l’inclusion d’une dimension genre dans les accords de paix négociés19.

La mise en application de certaines de ces dispositions s’est faite de manière progressive pendant les périodes de transition et post-transition. Au Burundi, malgré le rejet du quota de 30 % de représentation féminine, le principe d’une représentation plus équitable a quand même été appliqué dans la création des institutions de la transition. C’est ainsi qu’un pourcentage de 33 % de femmes a été intégré dans la Commission de suivi de la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Arusha, créée en novembre 2000. À la suite de l’établissement de l’Assemblée nationale de transition élargie aux partis politiques et mouvements armés ayant participé aux négociations ainsi qu’à des représentants de la société civile, il a été demandé aux nouveaux arrivants de présenter au moins une femme sur la liste des quatre députés auxquels ils avaient droit. Grâce à ce système de cooptation, le pourcentage des femmes parlementaires a pratiquement doublé passant de 9,8 % dans l’ancienne assemblée élue en 1993 à 18 % dans le nouveau. Le Sénat de transition dont la création avait été négociée durant les pourparlers de paix affichait un pourcentage de 19,23 % de femmes. Le quota de 30 % de représentation féminine sera finalement adopté dans la Constitution post-transition en 2004.

En RDC, par contre, seul un petit nombre des dispositions a été mis en œuvre, dont la création d’un ministère du Genre et de la Protection de la Famille établi en 2003. La Constitution post- transition, adoptée le 18 février 2006, constitue, cependant, une avancée majeure dans la mesure où elle garantit la parité homme-femme dans la représentation au sein des institutions nationales, provinciales et locales. La mise en application de la parité pose cependant des défis majeurs et les mécanismes pour permettre son institutionnalisation n’ont jamais été adoptés.

2.4 Les limites de la solidarité entre les femmes

La solidarité et l’unité affichées par les femmes pendant les processus de paix dans les deux pays n’ont pas survécu aux périodes de transition et post-transition. En réalité, comme le fait apparaître la recherche, les alliances nouées entre les femmes ont été fragiles tout au long de ces

18 Bell, C., O’Rourke. : “Peace agreements or pieces of paper? The impact of UNSCR 1325 on peace processes and their agreements”, ICLQ Vol. 59, October 2010, p. 941-980.

19 Bell, C. O’Rourke, C., op. cit.

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processus compte tenu de l’extrême polarisation politique, ethnique et sociale dont les femmes elles-mêmes étaient partie prenantes.

Au Burundi par exemple, le mouvement féminin a été profondément divisé quant à l’attitude à adopter vis-à-vis de l’embargo économique sur le pays, qui avait été imposé par les pays voisins regroupés au sein de l’Initiative régionale pour la paix au Burundi, à la suite du coup d’état qui a ramené Pierre Buyoya au pouvoir en juillet 1996. L’embargo était devenu une question éminemment politique qui avait profondément divisée la classe politique burundaise. À l’image de la classe politique, les clivages entre les femmes se sont opérés sur des bases politiques et ethniques.

Le dialogue qui avait été initié entre les femmes vivant à l’intérieur du pays et celles exilées souvent pour des raisons politiques, afin de développer un programme commun pour la paix, n’a pas toujours été chose aisée. La Conférence pluripartite des femmes burundaises dont nous avons parlé plus haut s’est tenue dans un climat tendu. Comme le souligne la recherche :

Il s’agissait d’un pari difficile étant donné l’hétérogénéité ethnique, politique et sociale des groupes de femmes représentés, même s’il a finalement pu être tenu. Il y a eu des divergences parfois profondes entre les femmes du fait des différences d’opinions politiques. Les femmes représentant les partis politiques ont eu tendance à s’aligner sur les positions de leurs formations politiques respectives. Il aura fallu beaucoup de patience, de savoir-faire et d’intelligence aux organisateurs de la conférence pour parvenir à initier un rapprochement entre les femmes et les amener à se mettre d’accord sur les questions les unissant20.

De même, le rapport fait ressortir le fait que les femmes n’ont pas toujours réussi à rester unies pendant la période de transition et de post-transition, ce qui a parfois constitué une entrave à leurs efforts pour faire mettre en œuvre les acquis de leur participation aux négociations de paix.

En RDC, le Caucus des femmes qui avait joué un rôle central en créant un espace dans lequel les déléguées officielles des différentes parties en conflit pouvaient se rencontrer en dehors des négociations formelles, n’a pas survécu à l’après Sun City. Le statut informel du Caucus avait favorisé de franches et ouvertes discussions entre les femmes des différentes composantes politiques durant les négociations à Sun City. Cependant, le climat extrêmement tendu et quelquefois hostile dans lequel se sont déroulés les pourparlers, a fini par éroder le sentiment de solidarité entre les déléguées, qui ont dû promouvoir la ligne politique de leurs partis politique au détriment du programme formulé par le plan d’action de Nairobi. Ces divisions se sont accentuées quand les femmes sont retournées en RDC à la fin de la conférence de Sun City. Miné par les luttes de leadership et d’influence entre les différentes tendances politiques en son sein, le Caucus a fini par se fracturer à la veille des élections présidentielles et législatives de 2006. D’autres structures ont vu le jour, contribuant ainsi à l’effritement du mouvement féminin et rendant difficile une mobilisation commune pour la gestion des acquis tirés de la participation des femmes au Dialogue intercongolais. La recherche sur la RDC fait le constat suivant :

En dépit d’expériences louables, les femmes ne sont pas parvenues à capitaliser sur les campagnes menées collectivement en faveur de la paix, et certaines structures de coordination mises en place au cours du processus de paix se sont disloquées, au moment même où leurs actions prenaient de l’essor21.

20 Ndikumana, V., Sebudandi, C. : « A la conquête de la parole. La participation des femmes dans la transition démocratique au Burundi », op. cit. p.15.

21 Odimba, C., Namegabe, PR, Baseke, J. La participation des femmes dans les processus de paix et la prise de décision politique en République Démocratique du Congo, op. cit. p. 32.

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3. Bilan de la mise en œuvre d’un système de quota au Burundi : l’impact sur la représentation politique des femmes22

Les quotas sont perçus comme un des mécanismes les plus rapides et les plus efficaces pour faire avancer la représentation des femmes à la prise de décision. Trois des quatre pays étudiés dans cette recherche ayant adopté des quotas pour promouvoir la représentation des femmes au sein des institutions étatiques se situent parmi les dix premiers pays africains comptant le plus de femmes dans leurs parlements. Le Burundi qui a fait une percée remarquable dans ce domaine ces dix dernières années, se retrouve en huitième position sur cette liste. L’Ouganda avec une plus longue tradition d’adoption des quotas est en sixième position. Quant au Rwanda qui affiche désormais le taux le plus élevé de femmes au Parlement au niveau mondial, il dépasse les pays nordiques qui constituaient jusque-là la référence dans ce domaine.

Une question qui demeure centrale dans le débat sur les quotas est celle de savoir si leur adoption permet d’aller au-delà de la représentation numérique, pour permettre aux femmes d’avoir une représentation politique substantielle et efficace. Une présence numérique accrue des femmes dans les institutions se traduit-elle nécessairement par l’adoption de législations et de politiques plus favorables aux femmes ?

L’étude de cas menée au Burundi, dresse un bilan de cinq années d’application d’un système de quota de 30 % de représentation féminine dans les institutions politiques et la gouvernance locale. Elle se demande si cette mesure a réellement permis une augmentation effective de la représentation des femmes à tous les niveaux et si les quotas ont eu un impact sur les conditions de l’avancement et de l’émancipation des femmes.

Les points saillants de cette recherche sont présentés dans les sections ci-dessous.

3.1 L’importance du nombre : les quotas ont permis d’accroître de manière significative la représentation des femmes dans les institutions politiques au niveau national et local

L’adoption d’un quota de 30 % de représentation féminine dans la Constitution de 2004 a uniquement concerné, dans un premier temps, la participation des femmes dans les institutions de prise de décision nationales. C’est ainsi que la présence des femmes à l’Assemblée nationale est passée de 20 % pendant la période de transition à 31,35 % à la suite de l’adoption des quotas et des élections générales de 2005. Le Sénat a vu le pourcentage de femmes passer de 19,23 % à 34,69 %. Il y a eu une progression totale de 1,6 % de représentation féminine dans les deux chambres à la suite des élections de 2010, avec un pourcentage de 32,1 % de femmes à l’Assemblée nationale et 46,3 % au Sénat. La représentation des femmes au sein du gouvernement est quant à elle passée à 42 %.

Par contraste, la représentation des femmes au niveau local, où le principe d’un quota de 30 % n’avait pas été adopté, est restée longtemps très basse oscillant entre 5 et 14 %. Cette situation a changé suite à la modification du Code électoral en septembre 2009 qui a permis pour la première fois, l’extension du quota de 30 % de représentation féminine aux conseils communaux, étendant ainsi au niveau local une disposition jusqu’alors nationale23. La réforme du Code électoral a

22 Ce chapitre constitue l’analyse synthétique de l’étude de cas suivante : Ndikumana, V., Sebudandi, C. A la conquête de la parole. La participation des femmes dans la transition démocratique au Burundi, op. cit.

23 Voir l’article 181 du Code électoral.

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21Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

permis l’élection de 35 % d’administratrices communales lors des élections communales de mai 2010. La législature précédente ne comptait que trois femmes. Le quota n’a par contre pas été étendu au niveau des conseils collinaires24, où le pourcentage de femmes reste faible malgré un léger accroissement, passant de 14 % à 17 % suite aux élections collinaires de septembre 2010.

3.2 La participation accrue des femmes au niveau des institutions gouvernementales, aurait servi de catalyseur de l’engagement des femmes au niveau des instances de prise de décisions locales

La recherche montre que l’adoption des quotas aux échelons supérieurs de prise de décision, aurait encouragé les organisations féminines à faire campagne pendant les élections de 2005 et 2010, pour que les femmes se portent candidates à tous les niveaux, particulièrement au niveau local. Ces campagnes ont connu un succès relatif et 14 % de femmes ont été élues dans les conseils collinaires en 2005. Ce chiffre monté à 17 % suite aux élections collinaires de septembre 2010, demeure extraordinairement bas quand on considère que la majorité de la population féminine vit sur les collines, le Burundi étant rural à plus de 80 %.

Néanmoins, une plus grande présence féminine aux échelons inférieurs de la prise de décision, a constitué un tournant important pour les femmes elles-mêmes mais également pour leurs communautés, dans la mesure où ceci a permis de bousculer certaines traditions. L’élection des femmes dans les conseils collinaires a en effet introduit une certaine fluidité dans les rôles sexospécifiques traditionnels, en permettant par exemple aux femmes d’exercer des tâches jusque- là exclusivement réservés aux Bashingantahe25. Ces tâches qui procurent une autorité morale et un prestige au sein de la communauté ont une forte valeur symbolique et incluent entre autres : convoquer et présider des réunions dans la communauté ; participer au règlement des litiges ou au bornage des propriétés à la suite de règlements de conflits fonciers.

Oui il y a eu un changement. Les femmes ne pouvaient pas arbitrer dans un litige mais depuis que nous sommes dans les institutions à la base, les gens s’adressent à nous et nous pouvons juger en compagnie des Bashingantahe hommes26.

N, M, N, conseillère collinaire, Gitega

La participation des femmes dans les conseils collinaires leur aurait aussi permis de s’attaquer à certains problèmes cruciaux notamment les violences faites aux femmes. La majorité des personnes interrogées estime que les conseillères collinaires jouent un rôle déterminant dans la réduction des violences domestiques, même si celles-ci demeurent importantes. Les femmes victimes savent qu’elles peuvent avoir recours à elles et les considèrent comme des personnes de confiance capables de les écouter et d’agir pour contribuer à réduire l’impunité dont jouissent les auteurs de violence.

L’influence et l’importance des femmes dans les conseils collinaires doivent cependant être relativisées, dans la mesure où ces dernières y sont largement sous-représentées. En 2010, les conseils collinaires d’au moins une colline sur trois ne comprenaient aucune femme. Le pourcentage des femmes occupant la fonction de chef de colline est dérisoire. On ne comptait que 136 femmes sur 2907 chefs de collines à la suite des élections collinaires de septembre 2010, soit un peu plus de 4 pour cent. Les conseils collinaires demeurent des institutions profondément masculines, dans un contexte rural ou les traditions, coutumes et pratiques discriminatoires envers les femmes restent vivaces.

24 Le Burundi est divisé en quatre entités administratives qui sont : la province, les communes, les zones, les collines et quartiers. Le rôle des conseillers collinaires consiste à suivre, pour le compte de la population, la gestion des affaires de la colline ou du quartier, à assurer l’arbitrage, la médiation, la conciliation ainsi que le règlement des conflits sociaux et de voisinage.

25 Bashingantahe : notables locaux, traditionnellement tous des hommes, investis par la population pour intervenir comme médiateurs ou conciliateurs dans le cadre des conflits familiaux ou de voisinage.

26 V. Ndikumana and C. Sebudandi (2012), op. cit., p. 29.

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Les violences sexuelles ainsi que des pratiques comme la polygamie (pourtant interdite par la loi) auxquelles certaines conseillères collinaires essaient de s’attaquer, demeurent largement répandues. Les conseillères collinaires ont une marge de manœuvre limitée et n’arrivent pas toujours à faire entendre leurs voix, ce qui aurait poussé un certain nombre d’entre elles à finir par démissionner de leurs postes. Les conditions socio-économiques précaires des femmes en milieu rural constituent un obstacle majeur à leur participation à la vie publique. Un taux d’analphabétisme élevé de 61,7 %27, le manque de temps dû à leur double rôle productif et reproductif ainsi que la pauvreté représentent autant de blocages pour les femmes. En outre, les élus locaux des collines ne sont pas payés, et ce manque de compensation financière serait un des facteurs qui empêcheraient de nombreuses femmes rurales de se présenter aux élections collinaires.

3.3 L’introduction des quotas et la présence accrue des femmes dans les instances dirigeantes ne se sont pas nécessairement traduites par leur participation effective à la prise de décision politique

S’il est largement admis que les quotas constituent la meilleure opportunité pour les femmes d’accéder à la politique, il est aussi reconnu qu’accroître le nombre de femmes dans les institutions dirigeantes ne suffit pas pour transformer les relations inégales entre les hommes et les femmes. Se pose alors la question de savoir de quelle manière les femmes peuvent travailler efficacement au sein des institutions dirigeantes et des structures de prise de décision afin d’y exercer une influence. La question de l’efficacité fait référence à la manière dont les femmes sont capables d’influencer les processus de prise de décision et de législation ainsi que la formulation des politiques qui sont importants pour l’égalité des sexes28.

Au Burundi, les femmes sont parvenues à faire adopter certaines dispositions importantes favorables à l’égalité entre les sexes. C’est ainsi que la réforme du Code pénal de 2009 donne une définition plus claire et plus précise du viol et des violences basées sur le genre et prévoie un alourdissement des peines contre ces crimes. Les femmes ont aussi obtenu l’inscription des violences conjugales au Code pénal.

L’insertion d’un quota de 30 % de représentation des femmes dans le Code électoral au moment de sa réforme en 2009, a constitué une étape importante dans la lutte des Burundaises. Nous avons vu plus haut l’impact bénéfique de cette mesure sur l’élection d’un nombre plus important de femmes au niveau local. Le Burundi a également adopté un système électoral à la proportionnelle, plus avantageux pour les femmes. L’article 127 du Code électoral stipule en effet que les listes électorales bloquées des partis politiques doivent compter au moins une femme pour quatre candidats. Ce meilleur positionnement des femmes sur les listes électorales leur a permis de réaliser un meilleur score lors des élections générales de 201029 ou plus de femmes furent élues et moins d’entre elles cooptées dans le but d’atteindre le pourcentage requis de 30 %, comme cela avait été le cas pour les élections de 2005. En effet, les femmes n’avaient obtenu que 23 % des suffrages aux législatives et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait dû procéder à la cooptation dans certaines circonscriptions pour relever le nombre de femmes élues à 30 % comme prévu par la loi. Il en a été de même au Sénat qui n’avait élu que 22 % de femmes et où huit femmes ont été cooptées pour atteindre les 30 %30.

Malgré ces avancées importantes, l’étude souligne que la présence d’un nombre plus important de femmes à l’Assemblée nationale, n’a pas contribué à introduire de manière systématique les

27 D’après le dernier recensement général de la population et de l’habitat organisé en 2008, le taux moyen d’analphabétisme au Burundi était de 57,5 % dont 61,7 % pour les femmes et 53,2 % pour les hommes.

28 Goetz, A.M., Hassim, S., Eds, « No shortcuts to power. African women in politics and policy making », Zed Books, London, 2003.29 Les élections générales de 2010 se sont étalées sur une période de 5 mois, de mai à septembre 2010. Elles ont concerné les élections

communales, présidentielles, législatives, sénatoriales et collinaires.30 Budomo, Y., Nzirorera, I. : « Evaluation de la participation des femmes au processus électoral au Burundi », op. cit.

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23Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

questions concernant les femmes et l’égalité des sexes dans le débat parlementaire. Les femmes parlementaires n’ont pas toujours la marge de man�uvre nécessaire pour faire adopter une législation favorable aux femmes.

En effet, l’adoption des quotas n’a pas été accompagnée d’une transformation des systèmes politiques et institutionnels qui continuent de marginaliser les femmes. L’accès des femmes à la hiérarchie au sein des partis politiques reste limité, le système de quotas n’y étant pas appliqué. Or il a été souligné que les quotas ne contribuent réellement à la représentation effective des femmes, que s’ils sont accompagnés de mesures assurant à ces dernières une légitimité politique et les moyens de concourir au même titre que les hommes aux instances dirigeantes au sein des partis politiques31. L’analyse des neufs partis politiques burundais les plus représentatifs32 montre que seuls trois d’entre eux ont un pourcentage de plus de 30 % de femmes dans leurs organes de décision. Parmi eux, l’Alliance démocratique pour le renouveau (ADR) créée et dirigée par une femme affiche le taux le plus élevé à 53,9 %33. Les six autres partis ont des taux de représentation féminine inférieurs à 10 % pour deux d’entre eux, et compris entre 10 et 20 % pour les quatre restants. Ce manque de représentation adéquat prive les femmes des réseaux nécessaires pour renforcer leur influence et leur pouvoir au sein des partis politiques et faire entendre leurs voix. Le discours dominant tenu par les partis politiques pour justifier cette faible représentation des femmes en leur sein, est centré sur les difficultés selon eux de trouver des femmes engagées, qualifiées et expérimentées, possédant une bonne maîtrise des enjeux politiques pour siéger dans les organes dirigeants. La politique demeure ainsi une affaire d’homme.

L’adhésion des femmes aux partis politiques est aussi relativement faible et l’impact d’une plus grande représentation des femmes dans les instances de prise de décision ne s’est pas réellement fait sentir à ce niveau. L’une des raisons avancées pour cette faible adhésion des femmes, surtout en milieu rural, est leur lourde charge de travail domestique. Il apparaît également que les femmes n’ont pas toujours la liberté de choix en ce qui concerne leur adhésion à un parti politique. Les hommes exerceraient un contrôle important sur les choix politiques de leurs épouses, et l’adhésion à un parti politique est souvent imposée par le mari. Selon l’enquête, les couples ont tendance à adhérer aux mêmes partis politiques et 69 % des femmes interrogées sont dans le même parti politique que leurs conjoints. Ceci affecte l’autonomie des femmes en matière de vote, celles-ci suivant en général les consignes de vote données par leurs maris.

Les femmes sont défavorisées par un système politique complexe en partie perverti par le poids des allégeances politiques et ethniques. En effet, les négociations d’Arusha ont accordé une place centrale à la question de l’exclusion et à la correction des déséquilibres ethniques et régionaux en matière de participation politique. Les femmes présentes aux négociations ont réussi à obtenir que le principe de la correction des inégalités entre les sexes en matière de représentation politique soit également pris en compte dans le texte final de l’accord. La mise en application de ces dispositions a conduit à l’adoption dans la constitution de deux types de quotas pour la représentation dans les institutions politiques : les quotas ethniques et les quotas genre. Cependant, comme le souligne le rapport : « La mise en application de ces dispositions est une tâche difficile dans la mesure où les responsables des nominations doivent prendre en compte de nombreux facteurs dans les critères de sélection : l’ethnie, la région, la problématique homme-femme. Les décideurs sont confrontés à un équilibre difficile entre ces variables »34.

31 Dé Diop, A., « Les quotas en Afrique Francophone : Des débuts modestes », in « Les femmes au parlement : Au-delà du nombre », International IDEA, 2002, p. 133-142.

32 L’analyse a porté sur 9 partis politiques comprenant des partis représentés au parlement, et des partis ayant une assise nationale solide.

33 Le parti politique ADR a été créé par Alice Nzomukunda, ancienne deuxième vice-présidente de la République et ancienne vice- présidente de l’Assemblée nationale. Elle a créé l’ADR à la suite de sa démission du Parlement en 2008.

34 Ndikumana, V., Sebudandi, C. : « A la conquête de la parole », op. cit., p. 41.

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Les femmes sont les premières à faire les frais de cet équilibrisme fragile, et le jeu des alliances politiques et ethniques entre les différentes composantes au pouvoir font que régulièrement, les places accordées aux femmes au Sénat ou au sein du gouvernement sont reprises et rétrocédées aux hommes de ces composantes. C’est dans ce contexte que l’ancienne vice-présidente de la République dut démissionner pour céder sa place à un homme en 2006. De même en 2007, la présidente de l’Assemblée nationale et la vice-présidente du Sénat furent démises de leur fonction et remplacées par des hommes. Des quatre femmes nommées gouverneur de province en 2004, il n’en restait plus que deux en 2010. À la suite du remaniement ministériel effectué en janvier 2009, le pourcentage de femmes au sein du gouvernement a baissé, passant de 35 % à 30,7 %. Il est remonté à la suite des élections générales de 2010, comme nous l’avons vu précédemment. Ces fluctuations constantes du nombre de femmes au pouvoir fragilisent leur travail et entravent la continuité de leur action.

Le système politique en place favorise les allégeances et les replis identitaires ethniques et politiques ce qui pousserait les politiciens, y compris les femmes à adopter des attitudes partisanes. L’enquête souligne que : « Les femmes parlementaires sont liées aux décisions de leurs partis, au détriment d’un soutien aux questions intéressant les femmes »35. Ceci est illustré par le fait que les femmes parlementaires ne sont pas arrivées à s’entendre sur la création d’une structure pluripartite unique et d’une plateforme minimale, au sein de laquelle elles se retrouveraient pour développer un programme commun pour influencer les politiques. Ainsi, il existe deux structures séparées de femmes parlementaires au sein de l’Assemblée nationale : l’Association des femmes parlementaires burundaises (AFEPABU) affiliée au Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) au pouvoir, et l’association Solidarité femmes parlementaires (SOFEPA) qui regroupe les femmes parlementaires de tous les autres partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. En outre, il est apparu clairement que les femmes élues au Parlement ne sont pas toutes engagées à promouvoir un programme pour les femmes et n’ont pas une compréhension commune des enjeux en matière de promotion des femmes et d’égalité des sexes. Lors des débats parlementaires sur le projet de loi relatif à la réforme du Code électoral par exemple, certaines femmes parlementaires ont hésité à soutenir des amendements en faveur de l’élargissement du quota de 30 % de représentation des femmes dans les conseils communaux.

La méfiance qui existe entre les organisations de femmes de la société civile et les femmes dans la prise de décision politique contribuerait à réduire la marge de manœuvre de ces dernières. Le rapport de recherche note que les liens entre les deux catégories de femmes sont informels, fragiles et épisodiques. La plupart des femmes en politique n’ont pas su développer des réseaux d’influence solides et constants au sein du mouvement des femmes de la société civile, pourtant nécessaire pour leur travail au Parlement. Il apparaît en effet que ce sont les fois où les deux catégories de femmes ont travaillé ensemble qu’elles ont pu faire des avancées en matière de promotion de l’égalité des sexes. Tel a été le cas concernant la collaboration entre les femmes parlementaires et l’Association pour la défense des droits des femmes (ADDF) lors de l’analyse du projet de réforme du Code pénal. Les amendements relatifs à la lutte contre les violences sexuelles faites par l’ADDF ont été défendus par les femmes parlementaires à l’Assemblée nationale et certains de ces amendements ont été intégrés au nouveau Code. Les deux groupes ont aussi collaboré à l’élaboration de la stratégie nationale pour une meilleure participation des femmes aux élections de 2010 ainsi qu’à la révision du Code des successions, des régimes matrimoniaux et des libéralités.

Au moment de l’élaboration de la Constitution de transition, une équipe de femmes juristes dont certaines politiciennes réunies au sein du CAFOB a travaillé discrètement sur la première mouture de la Constitution afin d’en faire l’analyse sous l’angle du genre et d’adresser des recommandationsà la commission en charge de la rédaction de la Constitution. Leurs recommandations visaient essentiellement l’adoption d’un quota pour la représentation des femmes dans la prise de décision, ainsi que la protection des droits fondamentaux des femmes par la Constitution36.

35 Ndikumana, V., Sebudandi, C. : “A la conquête de la parole”, op. cit., p. 40.36 Sabimbona, S. : « Le parcours de la femme burundaise dans les processus de paix », présentation faite à la formation en Genre et

transformation des conflits organisée par l’association Dushirehamwe, Bujumbura, 26 août, 2002.

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25Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

3.4 Vers une transformation lente mais progressive des mentalités et des attitudes envers la participation des femmes à la vie politique et publique ?

L’enquête d’opinion menée dans le cadre de la recherche au Burundi, montre que la majorité des personnes interrogées considère que la représentation accrue des femmes dans la vie politique, par le biais des quotas, serait en train de produire des transformations lentes mais néanmoins perceptibles au sein de la société burundaise. Selon elles, la présence de femmes au sein des plus hautes institutions politiques et dans les instances de décision au niveau local, aurait eu un effet psychologique significatif sur leur milieu social. 82 % des personnes interrogées pensent que l’augmentation de la représentation des femmes aurait introduit des changements positifs en matière de relation homme-femme et de statut social des femmes.

Un des changements les plus emblématiques cité par la majorité des personnes interrogées, serait un plus grand accès des femmes à la parole au sein de l’espace public, dans un contexte où le poids important de la tradition restreint la parole des femmes et les confine à la sphère privée. La perception est que le droit à la parole dont jouissent les femmes dans la sphère politique, aurait contribué à faciliter l’accès à la parole des femmes en général. Ce droit à la parole nouvellement acquis aurait fortement contribué à l’accroissement de la confiance en soi chez les femmes, notamment en matière de participation à la vie politique et publique. En outre, les femmes élues, plus particulièrement au niveau des conseils communaux et collinaires, tireraient une légitimité de leur mandat électif, ce qui contribuerait à renforcer leur statut social et leur autorité morale au sein de leurs communautés.

Malgré ces évolutions positives, il est important de faire la part des choses entre ces perceptions et la réalité de la condition et de la situation des femmes dans la société burundaise, compte tenus des défis majeurs auxquels elles continuent de faire face. Des recherches plus approfondies s’imposent pour pouvoir vraiment déterminer le rôle et la place des quotas au sein de tous les facteurs qui contribuent à une plus grande autonomisation des femmes au Burundi. Beaucoup de personnes interrogées ont souligné par exemple l’influence des associations féminines, notamment les associations génératrices de revenus, comme un des éléments importants qui a contribué à une plus grande autonomisation des femmes, notamment sur le plan économique. Les associations de femmes qui ont fleuri à tous les niveaux de la société burundaise à la suite de la crise politique de 1993 et la guerre civile qui a suivi, sont perçues comme des « creusets d’interaction, d’apprentissage de la démocratie et d’exercice de la parole »37. Elles auraient joué un rôle significatif dans l’éveil des femmes à la vie politique et citoyenne et le renforcement de leur autonomie.

37 Ndikumana, V., Sebudandi, C. A la conquête de la parole, op. cit.

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4. Promouvoir l’égalité des sexes dans le processus de décentralisation et dans la gouvernance locale : l’exemple du Rwanda38

Depuis l’année 2000, le gouvernement du Rwanda a progressivement adopté une politique nationale de décentralisation administrative, politique et financière. L’objectif global de la politique de décentralisation est de promouvoir une démocratie participative en renforçant les pouvoirs et capacités politiques des populations locales afin qu’elles puissent participer aux efforts de réduction de la pauvreté et de réconciliation nationale. La décentralisation est également perçue par les autorités rwandaises comme un mécanisme de mobilisation des énergies, des initiatives et des ressources afin de permettre la réalisation des objectifs de la Vision 202039 et de promouvoir un développement durable.

Le type de décentralisation adopté par le Rwanda implique un transfert de pouvoir aux paliers inférieurs de gouvernement et plus d’autonomie en matière de prise de décision et de gestion financière locale. La politique de décentralisation est menée à travers six types d’entités administratives et deux niveaux de gouvernement : central et local. Cette structure administrative est brièvement présentée dans le tableau ci-dessous.

Structure administrative de la décentralisation au RwandaNiveau Gouvernement central

Gouvernement central

Formule les politiques et fournit un appui aux gouvernements locaux en matière de renforcement des capacités (suivi évaluation des programmes) et dans le domaine financier.

Provinces Leur rôle est d’accorder la planification du développement des districts avec les politiques et programmes nationaux, ainsi que de superviser la mise en œuvre des politiques nationales dans les districts.

Niveau Gouvernement local : entités décentralisées

Districts Entités autonomes sur le plan administratif et financier qui sont les plaques tournantes de la politique de décentralisation. Les districts sont chargés, entre autres, de mettre en œuvre les politiques adoptées par le gouvernement central, d’élaborer et d’exécuter les programmes de développement et de fournir des services aux populations de l’ensemble des entités décentralisées. Ils sont également perçus comme des centres de développement socio-économique et de promotion de la démocratie participative.

Secteurs En charge de fournir différents services de base aux citoyens et aux districts. Les secteurs analysent les besoins des populations et élaborent des plans de développement de manière participative.

Cellules Entités de mobilisation et de développement où des services de base sont offerts. Elles sont les interfaces de coordination entre les secteurs et les villages.

Villages Niveau administratif où les citoyens participent directement à toutes les questions concernant leurs villages et exposent les différends interpersonnels. Ils sont aussi des unités de mobilisation des citoyens.

L’étude de cas sur le Rwanda, menée dans cinq districts répartis dans les quatre provinces du pays ainsi que la ville de Kigali40, analyse la mise en œuvre de la décentralisation, pour déterminer la manière dont le principe de l’égalité entre les sexes y est intégré. L’étude dégage également l’impact de la participation des femmes dans la gouvernance locale sur l’égalité homme-femme.

38 Ce chapitre constitue l’analyse synthétique de l’étude de cas suivante : Mikankubito, I., Mihigo, J.D. Promouvoir l’égalité des sexes dans les processus de décentralisation et la gouvernance locale: leçons du Rwanda, International Alert et EASSI, Londres, Kampala, 2012.

39 Plan national de développement du Rwanda.40 Ces districts et provinces sont les suivants : Rulingo (Province nord) ; Nyamagabe (Province sud) ; Gasabo (Ville de Kigali) ; Karongi

(Province Ouest) ; Gatsibo (Province Est).

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27Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

La décentralisation et la délégation de pouvoirs et de responsabilités du gouvernement central à des entités locales de gouvernement que cela implique est souvent perçue, par de nombreux praticiens dans le domaine du développement, comme offrant une opportunité pour l’avancement des droits des femmes et leur participation à la gouvernance locale. Il est avancé que la présence de femmes dans la gouvernance locale leur permet d’avoir un plus grand accès aux ressources et un meilleur contrôle de ces dernières. Cependant, pour que les femmes et les hommes puissent participer au processus de décentralisation sur un pied d’égalité, il est nécessaire d’aligner la politique et les stratégies de sa mise en œuvre sur l’objectif de l’égalité des sexes41. Il est aussi souligné qu’il est plus facile d’intégrer le genre dans la décentralisation si le pays en question a déjà une politique nationale d’égalité des sexes et des directives très claires d’application de cette politique, ce qui en faciliterait la transmission au niveau local.

Le Rwanda est crédité d’une solide politique nationale de promotion de l’égalité des sexes et de la participation des femmes à la prise de décision. Le rôle de premier plan qu’ont joué les femmes dans la reconstruction du pays à la suite de la guerre civile et du génocide de 1994, ainsi que les actions de plaidoyer soutenu mené par les organisations de femmes de la société civile pour des réformes visant l’amélioration du statut des femmes, ont constitué des facteurs déterminants dans la volonté politique du gouvernement de promouvoir une plus grande égalité entre les hommes et les femmes. Un arsenal juridique ainsi qu’un certain nombre de mécanismes institutionnels ont été établis progressivement depuis 1994, tels que le ministère du Genre et de la Protection de la Famille, le Comité national pour le suivi de la mise en œuvre de la Plateforme de Beijing, le Conseil national des femmes (CNF)42 et l’Observatoire du genre43. Le principe de l’égalité des sexes a été introduit dans la Vision 2020 adoptée en 200044 et un certain nombre de lois ont été révisées pour en éradiquer les dispositions discriminatoires envers les femmes. Parmi les plus importantes d’entre elles, on peut citer la loi sur les régimes matrimoniaux, les libéralités et les successions, qui permet au nombre important de veuves et orphelins du génocide d’hériter de leur conjoints et pères, ce qui n’était pas le cas auparavant45 ; ainsi que la loi sur la réforme foncière adoptée en 2005 qui accorde des droits égaux à la propriété foncière aux hommes et aux femmes. Il en est de même de la loi de 2008 sur les violences sexuelles qui précise les peines encourues par les auteurs et criminalise la violence domestique.

Les femmes qui ont activement participé à la rédaction de la Constitution de transition adoptée en 2001 ont réussi à y faire inscrire un quota d’au moins 30 % de représentation féminine à tous les niveaux de la prise de décision. Cette disposition a été reprise dans la Constitution post-transition de 2003 qui inclut en outre un certain nombre d’articles réaffirmant le droit des femmes à la citoyenneté pleine et entière. À l’heure actuelle, le Parlement rwandais affiche le taux de représentation féminine le plus élevé au monde, à 56 %.

Le gouvernement a affiché sa volonté de promouvoir le genre dans la politique de décentralisation et a adopté un certain nombre de mesures en ce sens. Malgré tout, la recherche a révélé que le processus de décentralisation au Rwanda n’a pas réellement produit un espace qui aurait permis aux femmes d’avoir une influence sur les politiques élaborées et mises en œuvre au niveau de la gouvernance locale. La prise en compte de l’égalité des sexes et de la représentation des femmes se heurte à d’énormes défis dont quelques-uns des plus importants sont présentés et analysés ci- dessous.

41 GTZ : « Décentralisation – Guide sur la prise en charge de la dimension genre », 2001.42 Le CNF, crée en 2003, est un forum de concertation des femmes rwandaises sur leur participation au développement du pays. Toutes les

rwandaises sont censées être membres du CNF et prendre part à ses activités dans leurs entités respectives.43 Etabli en 2008, l’Observatoire du genre a pour mandat de faire le suivi de la mise en œuvre de la politique nationale genre et de mesurer

les progrès réalisés dans le domaine de la promotion de l’égalité homme-femme.44 La Vision 2020 est un plan directeur du gouvernement rwandais qui vise, entre autres, à faire du Rwanda un Etat de droit avec une bonne

gouvernance, à promouvoir une économie prospère, à développer le secteur privé et à moderniser l’agriculture et l’élevage.45 A la suite de la guerre et du génocide de 1994, le nombre de femmes chefs de ménage était estimé à 34%, dont 29% de veuves.

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28 International Alert

4.1 La participation des femmes aux postes de prise de décision dans les entités décentralisées est limitée et inégale

Le quota de 30 % de représentation féminine à tous les niveaux de la prise de décision inscrit dans la Constitution de 2003, n’avait pas été automatiquement appliqué au niveau de la gouvernance locale où la participation des femmes est longtemps restée faible. Pour rectifier cette situation, une législation spécifique a été promulguée en 2006 stipulant que les femmes devraient constituer au moins 30 % des membres des conseils des districts, des cellules et des secteurs. Ces mesures ont effectivement contribué à accroître la participation des femmes qui s’élève dorénavant à plus de 30 % dans ces organes, notamment dans les conseils de district.

Cependant la représentation des femmes diminue de manière significative dans les échelons supérieurs de la gouvernance locale et les postes clés où les politiques et les programmes sont adoptés et mis en �uvre. Les cinq districts couverts par l’enquête ne comptaient aucune femme aux postes importants de maire et de secrétaire exécutif, malgré le fait que les femmes étaient représentées à plus de 40 % dans les bureaux des conseils de ces districts. De même, les dix secteurs enregistrés au sein de ces cinq districts, ne comprenaient aucune femme occupant les fonctions de secrétaire exécutive. Le seul niveau où les femmes occupaient des postes de décision dans ces cinq districts était à l’échelon le plus bas, avec un pourcentage de 17 % de femmes secrétaires exécutives au niveau des cellules.

Les préjugés sur les capacités des femmes à occuper des postes de direction demeurent enracinés au niveau des communautés locales et les femmes continuent d’être en majorité cantonnées à des postes qui constituent le prolongement de leurs rôles traditionnels et reflètent la division sexuelle du travail. Ainsi, 80 % des postes de vice-maire aux affaires sociales étaient occupés par des femmes dans les cinq districts concernés contre seulement 20 % pour les postes de vice-maire aux affaires économiques et à la planification46.

Selon l’enquête cette faible représentation des femmes dans les organes de prise de décision est aussi en partie liée au fait que le document de stratégie de la décentralisation n’a pas fait une analyse systématique de la situation et de la condition des femmes ainsi que des obstacles à leur participation en tant que citoyennes. Or, les discussions en focus group menées durant l’enquête de terrain ont mis en évidence des questions pratiques qui entravent la participation des femmes et les découragent à se présenter et à se faire élire à certains de ces postes. C’est le cas par exemple pour le poste de secrétaire exécutif de secteur qui requiert de longues heures de travail et des déplacements fréquents en moto. En outre, la plupart de ces postes exigent un changement du lieu de résidence et la majorité des femmes interrogées ont déclaré que peu d’hommes étaient disposés à déménager avec leurs épouses. Le manque de temps est aussi une contrainte importante. En effet, la plupart des fonctions aux échelons les plus bas de la gouvernance locale sont bénévoles et cela limite la participation des femmes qui ont déjà une charge de travail importante en raison de leurs rôles productif et reproductif. Elles sont tenues de participer aux activités d’une multitude de comités, ce qui exige un investissement considérable de leur temps.

4.2 L’intégration du genre dans la planification et la budgétisation des plans et programmes de développement des entités décentralisées restent faibles

L’une des justifications de la décentralisation avancées par les autorités rwandaises est de permettre aux populations de participer à la planification et à la gestion de leur propre développement. Les partisans de la décentralisation considèrent que le transfert de la planification du développement

46 Au niveau national, seulement 7 % des maires de district, 13 % des adjoints chargés des affaires économiques de district, 17 % des secrétaires exécutifs de district et 13 % des secrétaires exécutifs des secteurs sont des femmes.

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aux collectivités locales offre de grandes possibilités pour adapter les initiatives de développement aux besoins et aux intérêts des différents groupes et catégories sociales, en particulier les plus vulnérables. Il est aussi noté qu’une participation égale des hommes et des femmes dans les programmes de développement ne peut s’obtenir en élaborant des composantes féminines séparées dans les processus de décentralisation. Il faut au contraire que la totalité du processus soit axé de manière stratégique sur le principe de l’égalité des sexes47.

Les autorités en charge de la décentralisation au Rwanda semblent, en théorie, être en accord avec cet argument. En effet, le guide pour la planification des plans de développement des entités décentralisées spécifie la transversalité de la dimension genre et sa prise en compte à toutes les étapes du processus de planification. Malgré ces directives, la recherche souligne que la prise en compte du genre et l’intégration d’une analyse genre qui permettrait d’identifier les priorités pour chaque domaine d’intervention, sont très limitées dans les processus de planification. Il y a d’autre part une inadéquation entre les instructions et les responsabilités qui ont été données aux entités décentralisées dans ce domaine, et les moyens financiers et l’expertise technique mis à leur disposition pour leur permettre d’accomplir convenablement leur mission.

En effet, le personnel technique chargé de la planification au niveau des districts ainsi que les membres des organes consultatifs, ont très peu de capacité et d’expertise en matière d’intégration du genre dans la planification pour le développement. Le guide de planification qui exige des entités locales qu’elles intègrent le genre à toutes les étapes de la planification, ne fournit aucun outil ou référence précise sur la manière dont ceci devrait être fait. Les discussions en focus group avec le personnel technique et les membres des organes consultatifs dans les districts et secteurs sujets à des enquêtes, ont montré une faiblesse de la compréhension du concept de genre et de la transversalité de l’approche genre, qui sont réduits dans la plupart des cas à la seule notion de promotion des femmes et au renforcement des capacités des femmes par le biais des formations. L’approche genre est le plus souvent intégrée de manière sectorielle uniquement et non transversale. C’est ainsi que dans deux des districts où l’enquête a été menée, des éléments d’une analyse genre sont contenus dans les plans de développement pour le seul secteur de la santé, de la promotion familiale et de la protection des enfants. Les quelques districts qui ont réussi à intégrer de manière satisfaisante l’approche genre dans leurs plans de développement, sont ceux qui ont pu bénéficier d’une expertise technique externe fournie par les consultants travaillant dans des projets de développement financés par la coopération internationale mise en œuvre dans leurs zones48.

Les capacités techniques pour développer des indicateurs genre sont également réduites, alors que le processus de suivi-évaluation exige des entités décentralisées qu’elles soumettent des rapports sur les résultats de leurs actions contenant des indicateurs genre. L’étude souligne que les indicateurs produits ne portent généralement que sur les aspects quantitatifs tels que le nombre de femmes ou d’autres acteurs qui ont bénéficié des interventions. Un autre défi est lié au fait qu’il existe très peu d’expertise au niveau national en matière de définition d’indicateurs genre pour guider les districts dans leur planification. Les ministères de l’Education et de la Santé seraient les seuls à définir des indicateurs genre.

Concernant la planification budgétaire, le ministère des Finances exige des districts qu’ils adoptent une analyse budgétaire sexospécifique. Là encore, le personnel se heurte à des difficultés techniques qui l’empêchent d’établir des budgets intégrant les priorités en matière d’égalité des sexes. Le renforcement des capacités du personnel fait défaut. Dans chacun des districts touchés par l’enquête, seuls le directeur de la planification, la représentante du CNF et celui ou celle de la jeunesse ont bénéficié d’une brève formation en budgétisation genre. D’autre part, la forte rotation au sein du petit nombre de membres du personnel formés annihile les efforts de renforcement des

47 GTZ : Décentralisation: Guide sur la prise en compte de la dimension genre, 2001.48 A titre d’exemple, on peut citer le Programme d’appui à la gouvernance locale en milieu rural au Rwanda (PAGOR) financé par la

coopération canadienne, qui a appuyé le district de Nyamagabe dans la Province du sud en matière d’analyse de genre et de son intégration dans la planification, l’exécution et le suivi des projets.

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capacités. Dans trois des cinq districts visités les planificateurs formés avaient quitté le district. L’un des problèmes est le manque d’expertise en matière de budgétisation genre au niveau national. Un projet dénommé « Gender Budgeting » financé par l’ONU Femmes est localisé dans le département en charge de la budgétisation du ministère des Finances pour aider à mieux définir l’intégration du principe de l’égalité des sexes dans les processus de budgétisation. Quatre autres ministères ont également été choisis comme pilotes pour bénéficier de cette expertise. Cependant cette expertise n’est pas nécessairement transférée aux entités décentralisées.

Le contrôle citoyen de l’action publique reste encore trop faible pour influencer le processus de planification et de budgétisation en tenant compte de la dimension genre. Le Conseil national des femmes (CNF) ainsi que les organisations de la société civile de promotion de l’égalité des sexes opérant dans les unités décentralisées, manquent de capacités techniques et financières pour jouer le rôle de catalyseur en matière d’analyse de genre et de plaidoyer49.

Les discussions en focus group et les interviews ont révélé que les femmes ont très peu d’influence sur les processus de planification et de budgétisation, alors que ce sont des processus éminemment politiques au cours desquels les intérêts et priorités des différents groupes sociaux sont négociés50. Les femmes, faiblement représentées dans ce processus, sont ainsi mal placées pour affirmer et faire valoir leurs priorités. Il est ressorti des discussions que faute de formation adéquate le personnel féminin impliqué dans la planification et la budgétisation des plans et programmes de développement locaux n’a pas toujours une bonne appréciation des enjeux et de l’importance d’une prise en compte des questions sexospécifiques. Les femmes leaders siégeant dans les conseils des districts et des secteurs ne disposent pas de marge de manœuvre suffisante pour influencer les décisions qui y sont prises. Les personnes interrogées ont estimé que les femmes leaders pourraient avoir un plus grand pouvoir de négociation au sein des conseils s’il existait une collaboration plus étroite et un échange d’informations plus régulier entre elles et les antennes du Conseil national des femmes qui opèrent dans les communautés de base. En effet, ces antennes qui connaissent les besoins pratiques et les priorités des femmes avec qui elles travaillent étroitement, pourraient relayer ces informations aux femmes leaders, afin que celles-ci puissent s’assurer qu’ils sont pris en compte dans la planification et la budgétisation des plans de développement des districts.

La recherche note cependant que des organismes tels que l’Association rwandaise des gouvernements locaux ainsi que certaines organisations de la société civile et le CNF s’investissent de plus en plus pour renforcer les capacités du personnel technique et des élus des entités décentralisées pour une meilleure prise en compte de l’égalité des sexes. Il est aussi apparu que dans certains cas les femmes ont pu induire des changements ponctuels concernant des activités précises lors de l’approbation des plans et des budgets. Mais ces cas demeurent rares.

4.3 Les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans les espaces de participation citoyenne au niveau des cellules et des villages, mais elles y prennent moins la parole et participent peu aux discussions qui s’y mènent et aux décisions qui s’y prennentL’espace de participation citoyenne est un mécanisme qui a été établi à tous les échelons de l’administration locale afin de permettre aux populations de participer à la réflexion et aux choix des priorités de développement ainsi qu’à l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des programmes de développement dans leurs entités. La participation à ces espaces est individuelle

49 Mukankubito, I., Mihigo, JD. « Intégration du genre dans les processus de décentralisation : leçons du Rwanda », International Alert et EASSI, op. cit. , p. 30.

50 GTZ, op. cit.

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et directe dans les échelons inférieurs de l’administration locale, c’est-à-dire les secteurs, cellules et villages. Au niveau des échelons supérieurs des conseils de districts et secteurs, cette participation devient indirecte et se fait à travers des représentants élus. La recherche s’est interrogée sur le degré et la nature de la participation des femmes dans les espaces citoyens et sur leur influence sur les décisions qui y sont prises.

La majorité des personnes interrogées a émis des réserves sur la participation citoyenne indirecteà travers des représentants élus. Il a été souligné que ces derniers sont souvent coupés de leur base qu’ils consultent très peu faute de moyens matériels et financiers pour organiser des réunions. Par contraste, la participation citoyenne individuelle et directe dans les échelons inférieurs est considérée par plus de 90 % des répondants comme un meilleur mécanisme permettant une plus libre expression des populations concernées. Les réunions qui se tiennent au niveau des communautés de base regroupent des participants qui se connaissent, qui partagent le même environnement et qui font face à des problèmes communs. Les élus locaux sont issus de la communauté et continuent d’y vivre. Tout ceci créerait un climat de confiance propice à des consultations franches et ouvertes.

La présence des femmes est beaucoup plus forte que celle des hommes dans les espaces de participation citoyenne des cellules et des villages. Ceci s’explique par le fait que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans les zones rurales, dû à un exode rural important qui affecte les hommes en particulier. Malgré une forte présence physique dans les espaces citoyens à la base, les femmes s’y expriment moins que les hommes et participent ainsi très peu aux discussions qui s’y tiennent et aux décisions qui s’y prennent. L’une des raisons avancées pour expliquer le mutisme des femmes sont les traditions encore fortement ancrées en milieu rural, qui imposent aux femmes de garder le silence en présence des hommes. La situation est cependant différente dans les milieux urbains et semi-urbains où les femmes s’expriment en général plus librement dans les réunions. Il semblerait également que les femmes s’expriment plus dans les réunions des antennes locales du Conseil national des femmes, mais ces antennes n’ont pas toujours les moyens financiers nécessaires pour organiser les réunions et pour maintenir les liens avec les délégués du CNF au niveau des districts.

Les entretiens ont fait apparaître que les questions en rapport avec l’égalité des sexes les plus discutés dans les espaces de participation citoyenne des cinq districts de l’enquête sont la lutte contre les violences faites aux femmes et la planification familiale. La violence fondée sur le genre qui constitue encore un problème majeur, notamment en milieu rural, est ressorti comme une priorité qui figure dans les programmes de toutes les entités décentralisées et qui fait l’objet d’un suivi. Des comités ont été mis en place pour recenser et reporter les actes de violence aux autorités compétentes ainsi que pour l’assistance aux victimes. Cependant les moyens financiers limités et le manque d’expertise en conseil spécialisé en traumatisme, combiné au calendrier de travail chargé des autorités à la base, constituent des contraintes qui entravent une prise en charge effective des victimes.

La majorité des personnes interrogées estime que le processus de décentralisation a favorisé la participation des femmes et une plus grande acceptation de leur présence dans la prise de décision au niveau local. Le principal obstacle à l’expression des femmes dans les espaces de participation citoyenne serait selon les personnes interrogées dû avant tout au manque de confiance des femmes en elles-mêmes. Néanmoins, la recherche a fait ressortir clairement que l’égalité des sexes n’est pas encore effectivement intégrée dans le processus de décentralisation, malgré la volonté politique affichée du Gouvernement rwandais. Comme le souligne le rapport de recherche : « Les avancées faites jusqu’à ce jour sont davantage le résultat de la politique nationale et des mesures prises en faveur de la promotion de l’égalité des sexes au niveau national, que du fait de la sensibilité à l’égalité entre les sexes des élus et techniciens des gouvernements locaux »51.

51 Mukankubito, I., Muhigo, JD., : « Intégration du genre dans les processus de décentralisation : l’exemple du Rwanda », op. cit., p. 38.

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Selon certains analystes, un des défis posé par la décentralisation politique est de voir sous quelles conditions elle peut faire avancer la cause des femmes et créer une participation et un accès à des services et à des ressources différenciés selon les sexes52. Les processus de décentralisation ont des programmes politiques avec des priorités qui doivent être définies et négociées. En ce sens, pour s’assurer que les femmes sont incluses dans les processus de négociation comme actrices à part entière, il est nécessaire d’établir un dialogue social avec des règles et des acteurs bien définis, ainsi qu’une représentation et des processus de responsabilisation clairs et transparents53. Les processus de décentralisation peuvent être un outil pertinent pour une plus grande représentation des femmes, en particulier celles qui sont issues des milieux les plus défavorisés à condition qu’ils résultent d’un processus endogène et consultatif, né du besoin des populations de faire entendre leurs voix, et qu’ils soient soutenus par des politiques sociales et économiques qui promeuvent la démocratie, le développement local, la transparence et le dialogue communautaire54.

52 Mc Lean, M. : « Elaboration d’un programme de recherche sur les dimensions de genre et la décentralisation : document d’information pour le concours de recherche 2003 de la Section de l’égalité entre les sexes du CRDI », Section genre, CRDI, 2003.

53 UNIFEM et VADO/WAVE. « Rethinking gender, democracy and development: is decentralisation a tool for local effective political voice ? », Ferrare, Bologne, Modene, Mai 20-22 2001.

54 Ibid.

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33Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

5. Les femmes dans les processus électoraux : lesélections présidentielles et législatives nationales etprovinciales de 2006 en République démocratique duCongo55

En 2006, se sont tenues en RDC les premières élections présidentielles et législatives depuis plus de trente ans56. Ces élections ont marqué une étape importante dans la vie politique congolaise et les organisations de femmes y ont pris une part active. La libéralisation politique menée par le président Mobutu dans les années 1990 sous la pression de la communauté internationale, a favorisé l’émergence d’un mouvement féminin pour une plus grande participation des femmes à la vie publique. Cependant, le mouvement des femmes a réellement pris son essor durant la période de guerre et de grave crise économique que le pays a traversé à partir de 1996. C’est ainsi que 90 % des associations féminines des droits des femmes ont vu le jour entre 1998 et 2004.

L’étude de cas sur la RDC, qui a été menée dans la ville-province de Kinshasa et dans la province du Sud Kivu, analyse la participation des femmes congolaises aux élections de 2006 afin de déterminer si elles ont été l’occasion d’une participation accrue des femmes à la vie publique. Elle identifie et discute les déterminants socioculturels, politiques et économiques ainsi que les mécanismes de pérennisation de la participation politique des femmes. L’analyse s’est focalisée sur les points ci-dessous.

5.1 La participation active des femmes dans le processus électoral ne s’est pas traduite par l’accroissement de leur nombre dans les institutions politiques

Les femmes ont participé aux élections en tant qu’électrices, candidates et observatrices. Des organisations comme la Dynamique des femmes politiques (DYNAFEP) et le Cadre permanent de concertation de la femme congolaise (CAFCO) à Kinshasa, ainsi que le Caucus des femmes, l’Association des femmes des médias du Sud-Kivu (AFEM-SK), ont joué un rôle déterminant pour mobiliser le vote des femmes, promouvoir les candidatures féminines et recruter des observatrices du processus électoral. Un plaidoyer intense a été mené auprès des partis politiques et des autorités gouvernementales pour une plus grande inclusion des femmes sur les listes électorales et pour une réforme du Code électoral afin d’y inclure le principe de parité déjà inscrit dans la Constitution.

Ce travail intense de mobilisation n’a pas porté ses fruits, même si les femmes ont voté en plus grand nombre que les hommes sur l’ensemble du territoire national. En effet, elles ont constitué 64 % de l’électorat national lors des élections législatives. Dans la ville-province de Kinshasa et dans la province du Sud Kivu, elles ont composé 50,6 % et 54,5 % de l’électorat respectivement. En revanche, le pourcentage des femmes candidates a été particulièrement bas. Elles n’étaient que 12 % à se présenter aux élections présidentielles, 13,6 % aux législatives et 9 % au Sénat. Le pourcentage de femmes élues a été faible : 0 % à la présidentielle, 8,6 % à l’Assemblée nationale et 4,6 % au Sénat. Ces résultats constituent un recul par rapport à la période précédente où la représentation des femmes s’élevait à 12 % dans l’Assemblée nationale de transition lorsque les femmes avaient été cooptées par les partis politiques57. Les quatre femmes sur les trente-trois candidats à l’élection présidentielle, n’ont recueilli que 1,35 % des suffrages entre elles. Elles ont

55 Ce chapitre constitue l’analyse synthétique de l’étude de cas suivante : Odimba, C., Namegabe, P.R., Baseke Nzabandora, J. La participation des femmes dans les processus de paix et la prise de décision politique en République Démocratique du Congo, op. cit.

56 Signalons que des élections présidentielles et législatives nationales se sont tenues en novembre et décembre 2011. Les élections législatives provinciales pour élire des représentants aux parlements provinciaux seront organisées en 2013.

57 L’Assemblée nationale de transition a siégée de2003 à 2006. C’était une assemblée non élue composée de représentants des différents partis qui avaient participé au DIC à Sun City.

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été battues dans leur propre province d’origine par des candidats hommes non originaires de ces provinces. L’équipe gouvernementale mise sur pied après les élections et celles à succéder à la suite des quatre remaniements ministériels qu’il y eu entre 2006 et 2011, ont toutes affiché un faible taux de femmes avec une moyenne de 11,5 %.

Les résultats des élections législatives dans les parlements provinciaux sont encore plus bas. La représentation au sein des assemblées provinciales s’effectue à travers deux modes de scrutin : d’une part l’élection au suffrage universel direct ; et d’autre part, la cooptation au scrutin indirect par les députés provinciaux. Dans la province du Sud Kivu, seules deux femmes sur quatre- vingt-quatre candidats ont été élues au suffrage universel et une troisième a été cooptée. A l’issue des élections, l’Assemblée provinciale du Sud Kivu comptait 33 parlementaires dont 3 femmes. Parmi les facteurs explicatifs de cette faible performance des femmes, la recherche met en exergue l’existence de systèmes politiques et électoraux défavorables à la participation des femmes, auquel s’ajoutent l’inexpérience politique de ces dernières, leur manque de moyens financiers et de pouvoir mobilisateur pour constituer une base électorale importante et fiable.

Les élections se sont tenues sur fond de guerre et d’instabilité politique, notamment à l’est du pays. Selon l’étude, la campagne électorale fut menée sur un modèle de « campagne électorale transactionnelle » caractérisée par la manipulation ethnique, le clientélisme et l’achat des voix des électeurs, au détriment d’une articulation, par les différents candidats, de projets et programmes de société clairs et précis. Les femmes pourtant en majorité dans l’électorat, n’ont pas voté pour les femmes candidates et il est estimé qu’au niveau national, près de 78 % des votantes ont donné leur voix à des candidats hommes. Au Sud-Kivu, ce pourcentage était de 82 %. En milieu rural en particulier, les femmes ont voté en majorité en fonction de leur appartenance ethnique et des consignes de vote des hommes du groupe ethnique, du clan, de la communauté ou de la famille. Les réseaux qui avaient été établis par les organisations féminines pour mobiliser le vote des femmes en faveur des candidates n’ont pas réussi à servir de contrepoids. Il a été en outre reproché aux femmes d’être allées à l’élection en ordre dispersé, au lieu de se regrouper autour des candidatures de celles d’entre elles qui avaient le plus de chances de se faire élire.

5.2 Les déterminants de la participation des femmes à la vie politique et publique sont à la fois socio-économiques, institutionnels et culturels

L’étude fait apparaître le poids encore très lourd des coutumes et pratiques traditionnelles patriarcales, notamment chez les populations rurales qui, dans leur majorité, ne reconnaissent aucun rôle politique aux femmes. La nature inégale des rapports sociaux de sexe et la socialisation constituent le socle de la discrimination envers les femmes dans l’espace public. L’interdiction aux femmes de prendre la parole en public par la tradition, la persistance des mariages précoces qui met fin prématurément à la scolarisation des jeunes filles sont présentées comme autant de facteurs qui limitent la participation des femmes. Les institutions religieuses demeurent des bastions de conservatisme quant aux rôles des femmes dans l’espace public. Certes l’Église catholique a initié des activités d’éducation politique des femmes durant les élections de 2006, mais la plupart des Églises de réveil, nombreuses en RDC, ne se sont pas engagées dans ce sens et prônent la soumission des femmes qui sont interdites de parole dans leurs assemblées. Les Églises qui véhiculent auprès des fidèles une interprétation fondamentaliste des enseignements tirés de la Bible et une vision hiérarchique des rapports sociaux de sexe, sont des agents de socialisation très puissants en RDC où plus de 95 % de la population est chrétienne.

Le faible niveau d’instruction d’une grande majorité de femmes et l’analphabétisme ont constituéune entrave pour les femmes. Au plan national, le taux d’analphabétisme chez les femmes est de 40 %, comparé à 15 % chez les hommes. Ce taux varie selon le lieu de résidence et le milieu social. 58 % des femmes en milieu rural sont analphabètes contre 19 % en milieu urbain. La province de Kinshasa, la plus favorisée du pays, affiche des taux de scolarisation nettement plus

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élevés : 92 % pour les femmes et 96 % pour les hommes. Ces inégalités ont une incidence sur la représentation politique des femmes. En effet, l’examen des provinces d’origine des femmes élues à l’Assemblée nationale montre que la majorité d’entre elles, soit 17,2 %, sont originaires de la ville-province de Kinshasa qui, en dehors d’un taux de scolarisation féminine plus élevé, est aussi l’endroit où les efforts de promotion des femmes ont été les plus soutenus. La plupart des actions pour préparer les femmes à participer au processus électoral se sont concentrées à Kinshasa, au détriment des autres provinces et des zones rurales. La riche province minière du Katanga vient en seconde position avec un taux de 13 % d’originaires de cette province. Par contraste, seuls 3,1 % de femmes parlementaires sont originaires du Sud Kivu.

Comme dans le cas du Burundi voisin, les femmes ont été pénalisées par la nature anti-démocratique des systèmes politiques et électoraux. Les partis politiques, dans leur majorité, n’ont pas favorisé les candidatures des femmes. Le principe de parité inscrit dans la Constitution n’est pas reflété dans la Loi électorale et n’a pas été adopté par les partis politiques, notamment en ce qui concerne la composition de leurs listes électorales. Leurs représentants à l’Assemblée nationale avaient rejeté la proposition de l’adoption de listes électorales bloquées et zébrées58, plus propices à l’élection des femmes candidates que les listes ouvertes. D’autre part, l’adhésion des femmes aux partis politiques et leur participation aux instances dirigeantes reste faible. Au moment des élections de 2006, seules neuf femmes dirigeaient un parti politique sur les 267 que comptait le pays. Or ce sont les chefs des partis politiques qui se sont présentés aux élections et qui ont battu campagne. Beaucoup de femmes candidates ont adhéré à des partis politiques pendant que le processus électoral était déjà en cours et ceci sans préparation préalable. Cependant, la majorité des femmes candidates se sont présentées en tant qu’indépendantes, ce qui a réduit considérablement leurs chances d’être élues. 95,4 % des femmes élues à l’Assemblée nationale étaient issues des partis politiques, contre seulement 4,6 % de femmes candidates indépendantes.

L’enquête fait apparaître le faible niveau de politisation des femmes dont certaines perçoivent la participation des femmes à la vie politique comme une « déviance sociale »59. Sur les 147 femmes interrogées, 106 ont affirmé être favorables à une plus grande représentation des femmes dans l’arène politique mais estiment toutefois que les femmes qui s’engagent en politique deviennent moins disponibles et négligent leurs rôles d’épouses et de mères, s’opposant ainsi aux normes sociales du mariage. La politique devient donc ainsi à leurs yeux uniquement l’affaire des femmes qui acceptent de vivre en dehors des normes sociales établies.

Le faible niveau de politisation des femmes est apparu également dans leur connaissance et appropriation limitées des instruments juridiques nationaux et internationaux pour la promotion des droits des femmes et de l’égalité des sexes. Le texte juridique le plus connu est la Constitution de la RDC, en particulier l’article 14, qui institue le principe de la parité homme-femme dans la représentation dans les institutions nationales, provinciales et locales. La Constitution a été citée par plus de 90 % des 108 femmes leaders de la société civile et des politiciennes interrogées. Ce taux se réduit de manière significative concernant les instruments internationaux avec seulement 32,4 % des personnes interrogées ayant une connaissance de la CEDEF et de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies et 4,2 % de la résolution 1820. Les femmes ont néanmoins participé activement à l’élaboration de certaines dispositions juridiques nationales en faveur de l’égalité des sexes. C’est grâce à un travail collectif de mobilisation et plaidoyer intense entre les femmes de la société civile et les politiciennes que le principe de la parité a été inscrit dans la Constitution. Un important travail commun entre les deux groupes a également été accompli pour réviser le Code de la famille dont de nombreuses dispositions sont discriminatoires envers les femmes.

58 Le système de la liste électorale fermée et zébrée est un type de représentation proportionnelle où les électrices choisissent un parti et sa liste de candidats pour les représenter. Les listes fermées et zébrées sont particulièrement efficaces pour les femmes si les partis politiques les inscrivent soit assez haut sur les listes du parti soit en alternance avec les hommes dans un style de liste zébrée : c’est-à- dire qu’une rayure sur deux est une femme.

59 Odimba, C., Namegabe, PR., Baseke, J., : « La participation des femmes dans les processus de paix et la prise de décision politique en République démocratique du Congo », op. cit., p. 15.

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Le faible pouvoir économique d’une grande majorité de femmes congolaises a été cité comme un autre déterminant de leur participation politique. Sur 45 femmes influentes dans le domaine politique et social interviewées à Kinshasa, 39 ont avancé le manque d’une assise financière suffisante comme le paramètre le plus important dans la participation des femmes aux élections. La caution non remboursable exigée des candidats aux élections présidentielles par exemple, était de 50 000 dollars US. En outre, l’immensité du pays et l’enclavement de nombres de circonscriptions électorales ont pesé sur les coûts de la campagne électorale qui a exigé des moyens financiers considérables que la majorité des candidates ne possédaient pas. Ceci a contribué à réduire le pouvoir de mobilisation des femmes et a déconnecté les candidates de la base électrice.

5.3 Malgré quelques avancées, l’armature juridique et législative congolaise continue de renfermer de nombreuses lois et dispositions discriminatoires envers les femmes qui entravent leur participation à la vie publique

Un certain nombre de mesures ont été prises sur le plan juridique et institutionnel pour pérenniser la participation des femmes et le principe de l’égalité des sexes. Elles ont cependant eu très peu d’impact dans la pratique.

L’établissement en 2003 d’un ministère du Genre dont le principe de la création avait été inscrit dans l’Accord global et inclusif, avait satisfait à l’une des principales revendications des femmes durant les négociations de paix à Sun City. Il apparaît néanmoins que le travail de ce ministère s’avère difficile en raison des moyens financiers limités mis à sa disposition et d’un changement fréquent de personnel qui crée des ruptures et empêche une continuité dans les actions entreprises.

La Constitution de la Troisième République adoptée en février 2006, confirme dans son article 14 la parité homme-femme au sein des institutions nationales, provinciales et locales et garantit sa mise en œuvre dans lesdites institutions. Le projet de loi sur la parité a été adopté par l’Assemblée nationale, mais les mécanismes pour permettre son institutionnalisation n’ont jamais été mis en place. La parité n’est respectée ni dans les institutions électives, ni dans le gouvernement. Elle n’a pas non plus été prise en compte dans la composition de la Commission électorale indépendante (CENI) qui ne compte qu’une femme parmi ses sept membres. A la suite de l’adoption du projet de loi, la coordinatrice du CAFCO avait déclaré : « Le plus dur reste à faire puisque sa mise en œuvre reste largement tributaire de la volonté de l’homme, majoritaire dans toutes les institutions »60.

Les partis politiques représentés au Parlement continuent d’opposer une vive résistance à la réforme de la Loi électorale afin d’y intégrer la parité. Les organisations de femmes tentent en vain depuis 2006 de faire amender l’article 13 de la Loi électorale consacré à la composition des listes électorales. L’article 13 précise, en effet, que la non application de la parité homme-femme au moment de la composition des listes électorales ne constitue pas un motif de leur irrecevabilité. Les organisations de femmes mobilisées pour la mise en �uvre de la parité avancent l’argument selon lequel cet article constitue une violation de la Constitution, qui énonce le principe de parité en son article 14. Lors des débats parlementaires sur la réforme du Code électoral en 2011, les députés ont refusé de modifier l’article 13 de la Loi électorale arguant du fait que l’on ne pouvait bloquer la participation d’un parti politique au processus électoral au seul prétexte qu’il n’a pas aligné assez de femmes sur sa liste électorale.

60 Chaco, E.,”La loi sur la parité est- elle une avancée réelle pour les femmes?”, Inter Press Service News Agency (IPS), Kinshasa, 18 avril 2011.

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37Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

La sous-représentation des femmes dans les espaces politiques à l’issue des élections en RDC est liée à des questions de culture et de formation politique, un faible niveau d’instruction et d’autonomie financière, des normes sociales qui structurent les rapports sociaux de sexe et influencent la perception que les femmes elles-mêmes et les communautés auxquelles elles appartiennent ont de la participation des femmes à la vie politique en général61.

Les nombreuses résistances auxquelles se heurte la parité au sein de la société congolaise et les enjeux liés à sa mise en œuvre sont bien reflétés dans la position de ce prêtre catholique interrogé à Goma, au Nord Kivu, qui exprimait la crainte qu’une application de la parité risquait d’affaiblir l’institution familiale, « en créant une confusion entre l’égalité homme-femme au sein de la famille »62.

Le Code de la famille, le Code du travail et le Code pénal, contiennent de nombreuses dispositions discriminatoires envers les femmes. Le Code de la famille, en particulier, contient des dispositions qui placent de fait les femmes mariées sous la tutelle de leurs époux. Ainsi le Code consacre le mari comme chef de famille à qui la femme doit obéissance. Les femmes mariées continuent d’être soumises à l’autorisation maritale pour certains actes tels que l’ouverture d’un compte bancaire, la conclusion d’une transaction ou pour aller en justice en matière civile. Une révision du Code de la famille est, cependant, en cours depuis plusieurs années pour abroger certaines de ces dispositions qui violent les droits humains des femmes et renforcent l’inégalité des rapports sociaux de sexe. Comme le souligne le rapport, une réforme du droit congolais s’avère nécessaire, qui impliquerait l’harmonisation des lois nationales avec les instruments juridiques internationaux, l’abrogation des lois discriminatoires envers les femmes et l’élaboration de nouvelles lois intégrant de manière effective la dimension de l’égalité des sexes.

61 Odimba, C., Namegabe, PR., Baseke, J., : “La participation des femmes dans les processus de paix et la prise de décision politique en République démocratique du Congo”, op. cit., p. 51.

62 Chaco, E., op. cit.

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38 International Alert

6. La dimension économique de la participation politique des femmes : le rôle des femmes dans l’édification d’une économie de paix dans le nord de l’Ouganda63

La question du pouvoir économique est centrale dans l’analyse de la participation des femmes en politique. Le manque d’accès et de contrôle des ressources a été identifié comme un des obstacles majeurs à la participation politique des femmes et il est souvent affirmé qu’une plus grande autonomisation des femmes dans le domaine économique contribue à leur participation plus importante dans la sphère politique.

Cette recherche a été menée dans le nord de l’Ouganda qui, à partir des années 1980, a vécu un conflit sanglant qui a duré plus de 20 ans. Ce conflit a eu des conséquences économiques dévastatrices pour la région et a conduit à la destruction des infrastructures économiques et des pertes importantes en vies humaines. Malgré l’échec des négociations de paix engagées entre le Gouvernement et la rébellion armée en 2008, la guerre semble avoir cessé et une paix relative s’est installée. Le nord de l’Ouganda s’est depuis lors engagé dans un processus de reconstruction et de relance de son économie dans lequel les femmes ont joué un rôle de premier plan. La recherche s’est focalisée sur les districts de Gulu et de Lira situés respectivement dans les sous- régions de l’Acholi et de Lango. Elle examine les opportunités sur le plan économique que la période de l’après-guerre a pu fournir aux femmes et détermine leur impact sur le renforcement du pouvoir de ces dernières au sein des ménages, ainsi que sur leur participation politique au niveau communautaire et dans la gouvernance locale. Les points saillants de la recherche sont présentés et discutés dans les sections qui suivent.

6.1 La guerre a forcé les femmes à diversifier leurs activités économiques leur permettant ainsi de sortir du cadre étroit de l’économie domestique

La guerre qui a détruit une grande partie du tissu économique et social de la région a entraîné des changements importants dans la division sexuelle du travail et dans les activités économiques des femmes. Il existait avant la guerre une division sexuelle du travail relativement bien définie qui confinait les activités économiques des femmes dans le cadre étroit de l’économie domestique. En effet, dans les zones rurales où vivait la majorité des femmes, celles-ci étaient engagées essentiellement dans la production de cultures vivrières pour la consommation familiale, dans le cadre d’une économie de subsistance. Une petite partie de cette production était revendue sur les marchés locaux pour se procurer un peu d’argent pour acheter des produits de première nécessité tels que le sel, l’huile ou le savon. Les femmes vivant dans les centres urbains étaient plus engagées dans le petit commerce mais là aussi uniquement pour satisfaire les besoins de la famille. L’un des rares autres produits commercialisé par les femmes était la bière locale qu’elles fabriquaient elles- mêmes de manière artisanale. Les cultures de rente par contre, notamment la culture du coton et du tabac, qui procuraient l’essentiel des revenus monétaires des ménages, étaient complètement entre les mains des hommes. Bien que les femmes participassent comme main-d’�uvre familiale dans leur production, elles ne jouaient aucun rôle dans le processus de commercialisation des produits de rente contrôlé par les hommes.

63 Ce chapitre constitue l’analyse synthétique de l’étude de cas suivante : Ahikire, J., Mandana, A., Ampaire, C. Post war economic opportunities in Northern Uganda . The implications for women’s political participation and empowerment, International Alert and EASSI, Londres et Kampala, 2012.

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39Participation politique et renforcement du pouvoir économique des femmes dans les pays sortant d’un conflit

Les ravages causés par les longues années de guerre ont changé cet ordre traditionnel. En raison de l’insécurité une large partie de la population rurale a été forcée d’abandonner les activités agricoles pour trouver refuge dans les camps de personnes déplacées, provoquant ainsi une baisse drastique des capacités productives dans la région. La guerre et les longues années passées dans les camps ont introduit des changements importants dans la division sexuelle du travail et dans les rôles de genre. Beaucoup d’hommes sont morts pendant les combats ou ont quitté la région. La guerre a eu un effet démobilisateur sur les hommes qui ont perdu les ressources qui leur permettaient d’exercer le rôle de pourvoyeur de la famille qui leur est traditionnellement dévolu. Beaucoup ont sombré dans la dépression ou dans l’alcoolisme. Face à l’absence des hommes, les femmes ont dû assumer de nouvelles responsabilités et prendre entièrement à leur charge l’entretien de leurs familles. La guerre a produit un nombre important de veuves qui sont devenues de fait chefs de ménages. Cependant la recherche montre que même dans les ménages où les deux conjoints sont présents, les maris contribuent généralement très peu ou pas du tout aux dépenses familiales qui sont dans la plupart des cas entièrement assurées par les femmes. Les discussions en focus group et les entretiens individuels approfondis ont fait clairement apparaître que bien que les femmes aient elles aussi grandement souffert des affres de la guerre, elles se sont généralement mieux adaptées que les hommes aux nouvelles conditions et aux perturbations dans le mode de vie causées par le séjour prolongé dans les camps de personnes déplacées, où elles se sont retrouvées en majorité. La vie dans les camps, qui ont rapidement développé des caractéristiques de centres urbains soumis à la loi de l’offre et de la demande, a offert des opportunités que les femmes ont su exploiter en diversifiant leurs activités économiques, leur permettant ainsi de sortir du cadre étroit de l’économie domestique dans lequel elles étaient jusque-là confinées.

L’un des changements majeurs a été leur engagement progressif dans des activités qui leur ont procuré des revenus monétaires dont elles avaient besoin pour pouvoir assumer leurs nouveaux rôles de pourvoyeur de la famille. Elles ont commencé à se lancer dans la commercialisation des fruits et légumes, produits traditionnellement non commercialisés, mais en grande demande dans les camps. Elles ont continué à fabriquer et à vendre la bière locale qui est devenue une de leurs principales sources de revenus. Certaines se sont engagées dans la petite restauration avec l’ouverture de cantines, d’autres dans l’établissement de petits kiosques vendant des produits divers ou dans la fourniture de services aux chantiers de construction à l’intérieur des camps. Les systèmes de tontine mis en place dans les camps ont permis aux femmes de pouvoir bénéficier de petits crédits réinvestis dans leur commerce. Les conditions de vie difficiles à l’intérieur des camps ont contribué à l’émergence de nouveaux types d’activités commerciales relativement lucratifs comme la vente des produits de l’aide humanitaire (farine de maïs, haricots, huile ou ustensiles de cuisine) dans lesquelles les femmes se sont investies.

Considérées comme un groupe « vulnérable » par les agences humanitaires et les ONGs de développement travaillant dans les camps de réfugiés, les femmes ont obtenu un encadrement et une assistance particuliers de la part de ces organisations. Elles ont pu bénéficier de programmes d’activités génératrices de revenus pour améliorer leurs moyens d’existence, ainsi que de formations dans divers domaines y compris dans celui des droits des femmes, ce qui a contribué à une plus grande prise de conscience de leurs rôles dans l’espace public. Ainsi, malgré ses effets dévastateurs la guerre a offert des opportunités dont les femmes ont su se saisir. Les changements survenus dans leurs rôles traditionnels, leurs séjours prolongés dans les camps de personnes déplacées, leur plus grande visibilité dans la sphère économique, leur ont fait acquérir une plus grande prise de conscience de leurs rôles dans la sphère publique ainsi qu’un esprit d’entreprenariat. Ceci leur a permis de largement contribuer à la relance de l’économie de la région à la suite de plus de vingt ans de guerre.

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6.2 Les femmes ont su saisir les opportunités économiques offertes par la période d’après-guerre pour émerger comme des actrices économiques de premier plan

Avec le retour des populations déplacées dans les zones rurales, les femmes ont repris leurs activités agricoles dans des proportions pratiquement égales à celles de la période d’avant la guerre. Cependant la grande nouveauté est leur participation dans le secteur du commerce qui s’est considérablement accrue. Elles constituent la majorité des commerçants sur les marchés et ont transformé la nature du commerce dans la région en lançant la commercialisation des produits vivriers qui était inexistante avant la guerre où seules les cultures de rente comme le coton et le tabac étaient commercialisées. Elles contrôlent le commerce des produits vivriers en grande demande comme les céréales, les fruits et légumes auxquels s’ajoutent le poisson et les vêtements de seconde main. Elles se sont aussi investies dans le commerce transfrontalier et vont vendre leurs produits dans les pays voisins, notamment à Juba, au Soudan du Sud et en Tanzanie. Les femmes ont ajouté une autre dimension à leurs activités commerciales en opérant en joint- venture ce qui leur permet d’accroître la taille de leurs affaires, de réduire les coûts opérationnels, d’être en meilleure position pour la compétition pour les appels d’offre, ainsi que pour accéder au crédit. Comme le souligne un agent commercial interrogé à Gulu :

Le marché du poisson est contrôlé par les femmes à Gulu. Il y a trois groupes de femmes qui contrôlent le secteur et il est devenu impossible de le pénétrer64.

En dehors de cette percée dans le commerce des produits vivriers, les femmes ont renforcé leur présence dans d’autres secteurs dans lesquels elles avaient commencé à s’engager dans les camps, tels que ceux de la petite restauration et du service traiteur qu’elles contrôlent presque totalement. En outre, certaines d’entre elles ont bénéficié de quelques-unes des initiatives pour la reconstruction et le développement de la région lancées par des entreprises privées dans le secteur de l’agriculture commerciale. Dans le district de Lira par exemple, des agricultrices se sont constituées en groupements pour signer des contrats avec des entreprises huilières à qui elles fournissent des produits bruts pour la fabrication de certaines huiles végétales comme l’huile de tournesol ou de soja. Ces contrats sont particulièrement avantageux pour les femmes car les compagnies les soutiennent pour obtenir des parcelles de terre pour la culture des produits, leur fournissent les semences et les engrais ainsi qu’un appui technique. Ces entreprises aident aussi à l’écoulement de la production. Des initiatives similaires ont été lancées dans le district de Gulu pour la production du café et là également ce sont des groupements d’agricultrices qui dominent dans le secteur.

La recherche montre que des femmes soumissionnent pour des appels d’offres passés par le gouvernement local. Ceci est un phénomène tout à fait nouveau qui n’existait pas avant la guerre. Les femmes soumissionnent en général pour des contrats concernant la maintenance de routine des routes ou la gestion des marchés. C’est ainsi que dans le district de Gulu un nombre plus élevé de femmes que d’hommes a gagné des appels d’offre pour gérer des marchés durant l’année fiscale 2008-2009. De même, 78 % des prestataires pour la maintenance des voies de raccordement étaient des femmes. L’enquête note cependant que les femmes ne soumissionnent que pour de petits contrats de ce type car elles ne disposent pas du capital nécessaire pour concourir pour les appels d’offre plus substantiels.

Les femmes ont pourtant un engagement plus important dans le secteur financier qui s’est étendu de manière considérable. Avant la guerre il n’existait que deux banques commerciales à Gulu et quatre à Lira. Celles-ci sont passées à neuf à Gulu et dix à Lira après la guerre et beaucoup de femmes ont pu ouvrir des comptes dans les différentes banques de la place. Cependant il leur est

64 Ahikire, J.,Madanda, A., Ampaire, C., « Changing fortunes: Post-war economic opportunities and the implications for women’s political participation and empowerment in northern Uganda », op cit p.32. Citation traduite de l’anglais par l’auteure du présent rapport.

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difficile d’obtenir des crédits des grandes banques commerciales car elles n’arrivent pas à fournir les garanties nécessaires. Pour cette raison, les femmes se rabattent sur les institutions de micro- finance et des coopératives telles que les SACCOs qui sont spécialisées dans l’octroi de crédit et dans l’épargne. Les femmes constituent la majorité des membres des SACCOs qui ont fleuri après la guerre et sont devenues l’une des principales institutions pour l’octroi de crédits aux femmes.

Cette percée des femmes dans certains secteurs de l’économie a eu un impact considérable sur leurs familles et leurs communautés. Le rôle des femmes en tant que principal soutien de famille apparu pendant les années de guerre, s’est accru avec la fin du conflit. Les femmes qui ont la totale charge de l’entretien de leurs familles ne se retrouvent plus uniquement chez les nombreuses femmes veuves qui sont de fait chefs de famille, mais aussi de plus en plus chez des femmes mariées dont certaines ont fini par avoir des revenus plus élevés que leurs maris. Les entretiens approfondis et les discussions en focus group menés durant l’enquête, ont permis de souligner le fait que les femmes sont maintenant capable d’épargner et qu’elles ont davantage de moyens pour faire face à certaines dépenses liées à l’entretien de la famille, en particulier le paiement des frais de scolarité de leurs enfants.

6.3 Le renforcement du pouvoir économique des femmes n’a pas conduit à leur participation accrue dans la prise de décision politique

La recherche a voulu déterminer si une plus grande visibilité des femmes dans le secteur de l’économie a contribué au renforcement de leur pouvoir économique et si oui jusqu’à quel point. Elle a aussi essayé de dégager l’impact d’une plus grande autonomisation des femmes sur leur participation politique.

Il est apparu très clairement que le pouvoir économique accru des femmes et leur meilleur accès et contrôle des ressources ont introduit des changements importants dans la gestion des affaires familiales. 25 % des 200 femmes interrogées estiment qu’elles participent à toutes les décisions prises au niveau de la famille. Il est également ressorti que les femmes mènent une vie publique beaucoup plus active que pendant la période d’avant-guerre. Leur liberté de mouvement et d’action est grande et leur niveau de prise de conscience de leur droit à participer à la vie politique et économique élevé. 79 % d’entre elles ont indiqué qu’elles avaient voté lors des élections générales de 2006. Leur rôle au sein de la communauté s’est renforcé et nombre d’entre elles occupent des postes de leaders dans des structures communautaires telles que les organisations paysannes par exemple. Près de 50 % des femmes interrogées ont indiqué qu’elles avaient de l’influence dans leur milieu.

En dépit de ces avancées importantes, d’autres indicateurs montrent que le renforcement du pouvoir économique des femmes ne s’est pas traduit par une percée dans la sphère politique. Malgré l’importance accru de leurs rôles dans les structures communautaires, elles demeurent largement exclues des instances de prise de décision locale. Très peu de femmes sont membres du gouvernement local et leur pourcentage dans les assemblées locales n’excède pas le quota de 30 % de représentation féminine requis par la loi de 1997. Une analyse fine des raisons pour lesquelles les femmes ont du mal à traduire leur pouvoir économique renforcé en pouvoir politique, a fait ressortir un certain nombre de contraintes importantes. Il semble en effet qu’en dépit d’un accroissement substantiel de leurs revenus, le volume de leurs affaires et le niveau de leurs investissements est resté très bas par manque d’actifs financiers. Les rendements ne sont pas assez importants pour leur permettre de faire une percée. Seules 18 % des femmes interrogées avaient un revenu mensuel supérieur à 300 000 shillings ougandais ce qui correspond à environ 135 dollars américains. Les 2,5 % de femmes qui ont indiqué qu’elles avaient des revenus mensuels supérieurs à 900 000 Shillings, soit un peu plus de 380 dollars américains, vivaient toutes en milieu urbain. Il apparaît doncclairement que les femmes sont, dans leur grande majorité, toujours largement engagées dans la satisfaction de leurs besoins pratiques et de la survie de leurs familles.

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Le Nord de l’Ouganda demeure la région la plus démunie du pays avec un taux de pauvreté élevé, particulièrement dans les zones rurales où vit la majorité des femmes qui utilisent leurs revenus en priorité pour l’entretien de leurs familles et le paiement des frais de scolarité de leurs enfants et non pour le développement de réseaux d’influence nécessaires pour s’engager en politique. Divers programmes pour la reconstruction et le développement de la région ont été mis en place à la fin de la guerre par le gouvernement, les agences internationales de développement, le secteur privé et les organisations internationales non gouvernementales. Cependant la majorité de ces programmes marginalisent les femmes et ne tiennent pas compte du rôle de premier plan qu’elles jouent dans la relance de l’économie de la région. Les initiatives de développement sur le long terme mises en œuvre par le « Peace, Recovery, and Development Plan » (PRDP), programme phare du gouvernement ougandais pour le relèvement du nord de l’Ouganda, visent en premier lieu les hommes. Le PRDP n’a pas intégré les instruments nationaux et internationaux pour l’égalité des sexes tels que la Politique nationale genre de l’Ouganda, la CEDEF ou la Plateforme de Beijing. Les femmes continuent d’être considérées comme un groupe « vulnérable » dans ses programmes, ce qui limite l’ampleur et l’impact des initiatives qui leur sont consacrées.

Le poids des charges domestiques et le double rôle de productrices et de reproductrices que les femmes exercent leur laisse peu de temps pour s’engager en politique. En outre la plupart des programmes de développement pour les femmes mis en place par le gouvernement, les agences de développement internationales ou les ONG, exige que les femmes forment des groupements de bénéficiaires afin de recevoir un encadrement et de bénéficier de crédits, de semences ou de matériel aratoire. Pour profiter de ces services dont elles ont crucialement besoin, les femmes sont ainsi forcées de s’affilier à plusieurs groupes en même temps et de participer aux multiples activités qui y sont organisées, ce qui vient s’ajouter à leur lourde charge de travail. Cette collectivisation forcée non seulement limite le potentiel individuel mais contribue aussi à confiner les femmes dans une logique de survie et de satisfaction de leurs besoins primaires, au détriment d’un agenda transformationnel plus large qui leur permettrait de jouer un rôle d’actrices politiques dans la reconstruction de la région.

Les violences fondées sur le genre sont encore très répandues et constituent un frein à la participation politique des femmes. La recherche lie le niveau élevé des violences domestiques au retournement dans les relations et les dynamiques de pouvoir au sein des ménages, à la suite des changements survenus dans les rôles sexospécifiques. Beaucoup d’hommes ont réagi à la perte de leur rôle traditionnel de pourvoyeur et de protecteur de la famille et d’une partie de leur pouvoir dans la sphère familiale, en développant ce que la recherche a qualifié de « masculinité négative » qui se traduit par l’utilisation de la violence envers leurs conjointes. Des hommes interrogés dans le cadre de l’enquête ont estimé que le pouvoir des femmes a été renforcé au détriment de celui des hommes. L’un d’entre eux a déclaré : « C’est bien de renforcer le pouvoir des femmes, mais le problème est la manière dont elles perçoivent le pouvoir. Elles considèrent que les hommes ne servent à rien »65.

Il semblerait donc que les changements qui sont intervenus dans la division sexuelle du travail et dans les rôles sexospécifiques n’ont ni fondamentalement changé les soubassements idéologiques et institutionnels des rapports sociaux de sexe, ni conduit à une réorganisation de ces relations dans une perspective plus égalitaire. Le regain de violence domestique observé dans la période post-conflit prouve au contraire que si les rôles de genre peuvent effectivement changer en période de conflit, les identités de genre sont par contre beaucoup plus difficiles à transformer. Selon certains analystes, en période de conflit, les identités de genre ne sont pas tant transformées que contrecarrées, ce qui veut dire que les hommes qui, en raison de circonstances sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle, sont incapables de vivre leur identité de genre et leur masculinité d’une manière qu’ils jugent satisfaisante, ont tendance à recourir à la violence en raison des frustrations que cette situation génère66.

65 Ahikire, J., Madanda, A., Ampaire, C., « Changing fortune: Post-war economic opportunities and the implications for women’s political participation and empowerment in northern Uganda », op. cit., p. 46.

66 El Bashar, J., “Power, agency and identity: turning vicious circles into virtuous ones”, in Yanacopulos, H., and Hanlon, J., Eds “Civil war, civil peace”, James Currey, Oxford, 2006.

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Un autre type de violence est celui qui imprègne la vie politique ougandaise (notamment au moment des périodes électorales) et tendrait à décourager les femmes de s’engager en politique. Bien qu’une grande majorité de femmes vote, un nombre beaucoup moins important se présente à des postes électifs en particulier pour le compte d’un parti de l’opposition. La violence est devenue partie intégrante de la culture politique dans le pays et serait un des facteurs déterminants de la faible participation politique non seulement des femmes mais aussi de la population en général.

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7. Conclusion

Une des questions au cœur de ce projet de recherche était de savoir si les périodes de conflit et de crise sociale qu’ont traversées les quatre pays de la région des Grands Lacs, avaient offert des opportunités pour une plus grande participation des femmes à la vie politique et publique. Cette question est particulièrement importante car selon certains analystes les conflits violents ou les crises sociales profondes créent de nouvelles dynamiques qui sont potentiellement porteuses de transformations sociales. Ils contribuent à l’émergence d’espaces politiques qui peuvent mener à des changements dans les relations sociales, y compris les rapports sociaux de sexe, dans les périodes post-conflits67. Les transformations qui interviennent dans les rapports sociaux de sexe et dans la division sexuelle du travail en période de conflit, favorisent des changements dans la situation des femmes et peuvent aider à initier un débat sur les politiques relatives à l’égalité des sexes68.

Dans les quatre pays étudiés, la guerre et les périodes de transition politique ont favorisé l’émergence d’organisations féminines pour la paix et la promotion des droits des femmes à tous les niveaux de la société. Le mouvement féminin a joué un rôle central dans l’adoption par les États, de politiques pour une plus grande égalité entre les sexes. Les négociations de paix d’Arusha et de Sun City ont constitué des espaces dans lesquels, bien qu’elles aient été exclues des débats sur le règlement politique des conflits dans leurs pays, les femmes burundaises et congolaises sont néanmoins parvenues à négocier le principe de leur représentation accrue dans la prise de décision politique après la guerre. L’adoption de quotas a joué un rôle central dans l’accroissement significatif du nombre de femmes dans les instances de prise de décision, y compris dans la gouvernance locale.

Dans le nord de l’Ouganda les femmes ont su tirer profit des changements dans la division sexuelle du travail et dans les rôles sexospécifiques induits par plus de vingt années de conflit, pour occuper une position plus centrale au sein de l’économie monétaire dans la région. Cependant, ces changements significatifs n’ont eu aucune influence sur les politiques gouvernementales de développement et de reconstruction du nord de l’Ouganda, qui continuent d’exclure les femmes. Le pouvoir économique renforcé des femmes ne s’est pas non plus traduit en leur plus grande participation dans la prise de décision politique. D’autre part, l’exemple du nord de l’Ouganda montre que si la division sexuelle du travail peut en effet être réorganisée, il est par contre plus difficile d’arriver à une transformation idéologique et structurelle radicale, ce qui rend beaucoup plus difficile la transformation profonde et durable de la nature des rapports sociaux de sexe. Ceci pose le problème plus large de la consolidation et de la pérennisation des acquis des femmes. Dans quelles circonstances les gains réalisés par les femmes peuvent-ils être consolidés69 ?

La recherche soulève une autre question de fond étroitement liée à la première, qui est celle de la nature et de la qualité de la participation politique des femmes et de l’impact de leur représentation au sein des institutions de prise de décision. En effet le bilan de près de cinq années de mise en œuvre d’un système de quotas dans les institutions de prise de décision au Burundi et l’analyse de l’impact de l’intégration du genre dans le processus de décentralisation au Rwanda, montre que malgré la présence accrue des femmes dans les organes dirigeants grâce aux quotas, l’influence qu’elles y exercent demeure minime. Elles ne sont pas toujours capables d’influencer la formulation des politiques qui sont importantes pour atteindre l’égalité des sexes. Ceci remet en question l’assertion selon laquelle accroître le nombre de femmes à des postes de prise de décision

67 Pankhurst, D.: « The « sex war » and other wars: towards a feminist approach to peace building », in Afshar, H. and Eade, D. (eds.): Development, women and war, Oxfam GB, 2004, p. 8-42.

68 Pankhurst, D.: « Women and politics in Africa: The case of Uganda ». In Ross, K, ed. , Women, politics and change, Oxford, Oxford University Press, 2002.

69 El Bushra, J. “Women building peace: Sharing know-how”, International Alert, 2003.

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leur permet d’influencer les politiques et de réduire les inégalités entre les sexes sur le plan social et économique70. Car s’il est vrai que la représentation accrue des femmes dans les instances de prise de décision est absolument essentielle, elle ne suffit pas à elle seule à modifier les politiques publiques et les modèles d’allocation des ressources. Se pose ainsi le problème de la qualité de la participation des femmes et du type de représentation politique à même de permettre d’atteindre une plus grande égalité dans les rapports homme-femme.

La participation politique est un processus genré et le défi auquel les femmes sont confrontées est de savoir comment transformer les institutions et les systèmes politiques et économiques qui demeurent profondément masculins par nature. L’institutionnalisation des acquis afin de changer le statut socio-économique des femmes, constitue un autre défi majeur. Les quotas et autres mécanismes de promotion des femmes ont été établis dans des contextes d’inégalité structurelle et systémique. L’idéologie, les valeurs et les normes qui soutiennent les systèmes politiques, institutionnels et sociaux évoluent très lentement, tandis que les législations, les pratiques culturelles discriminatoires et les préjugés envers les femmes sont persistants. Ceci est une des raisons pour lesquelles nombre de politiques d’égalité des sexes qui ont été adoptées ont du mal à être mis en application.

Le manque d’expertise technique en matière d’intégration d’une perspective genre dans les politiques et les programmes et de moyens financiers sont d’autres raisons qui expliquent les manquements dans la mise en œuvre des politiques. Le Rwanda qui figure parmi les pays les plus avancés en matière de promotion de l’égalité des sexes en Afrique, manque cruellement d’expertise technique en matière de budgétisation genre par exemple, ce qui constitue un frein pour une application effective du genre dans le processus de décentralisation. Les budgets et ressources alloués à la promotion des femmes restent maigres. Les budgets des ministères en charge des questions de genre au Burundi et en RDC, constituent moins de 1 % du budget national. Au Burundi, le ministère en charge du genre a deux autres fonctions, la solidarité nationale et les droits de la personne humaine71, ce qui potentiellement représente trois ministères amalgamés en un. Les mécanismes de promotion des femmes et de l’égalité des sexes sont régulièrement affectés par les coupes budgétaires. Lors de la réforme de l’administration imposée au gouvernement rwandais par la Banque mondiale en 2006, le ministère chargé du genre, de la famille et des affaires sociales a été considérablement réduit, son personnel passant de soixante-quinze à cinq personnes. Il consiste depuis lors en une unité restreinte logé au bureau du vice-président, avec un rôle limité d’élaboration des politiques et de la coordination de leur mise en œuvre.

Certains acteurs locaux attribuent aussi les difficultés de mise en œuvre des politiques d’égalité des sexes au manque de volonté politique des gouvernements en place. Ce manque de volonté politique pourrait être en partie lié au fait que l’intégration du principe de l’égalité des sexes dans les politiques n’est pas toujours une initiative endogène. Il deviendrait de plus en plus une des conditionnalités de l’aide internationale au développement, notamment pour les pays sortant de conflit. Selon certains analystes, la représentation des femmes émergerait comme une des conditions internationales dans le souci de promouvoir une gouvernance démocratique globale. Les quotas seraient ainsi adoptés dans les pays post-conflits dû à l’influence directe de la communauté internationale et au besoin des pays concernés d’avoir accès à l’assistance au développement, aux investissements étrangers et d’acquérir une bonne réputation et une légitimité sur le plan international72. Néanmoins, comme il a été souligné, les institutions internationales auraient tendance à promouvoir essentiellement les aspects « techniques » de la gouvernance locale et seraient moins inclines à aborder les questions qui touchent les relations de pouvoir qui excluent les femmes73.

70 Hassim, S., “The virtuous circle of representation; Women in African parliaments”, in Bauer, G., and Britton, H., eds: Women in African parliaments, Lynne Reiner Publishers, 2006.

71 Le titre exact du ministère est le suivant : ministère de la Solidarité Nationale, des Droits de la Personne Humaine et du Genre.72 Bush Sunn, S: “International politics and the spread of quotas for women in legislatures”, International Organization 65, Winter 2011,

p. 103-107.73 Castillejo, C., “Building a state that works for women: integrating gender into post-conflict state building”. Working paper no 107, FRIDE.

March 2011.

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L’environnement politique et sécuritaire n’est pas toujours propice à une participation effective des femmes dans la vie politique et publique. En effet, on assiste dans les quatre pays étudiés dans ce projet de recherche, à un verrouillage croissant des espaces politiques, caractérisé par des restrictions dans la liberté de presse, l’interdiction des organisations de défense des droits humains, ainsi que des assassinats et exécutions extra judiciaires d’opposants politiques et leaders d’opinion. Les élections qui se sont tenues dans les quatre pays ces deux à trois dernières années, ont toutes été émaillées de violence et entachées de fraude. Les espaces politiques se réduisent d’autant plus que les contextes sécuritaires se dégradent, notamment au Burundi où l’on craint la résurgence d’une nouvelle rébellion armée et à l’est de la RDC qui continue de constituer l’épicentre des conflits dans la sous-région. Le manque de liberté politique limite sérieusement les capacités d’influence des femmes et pose le problème de la représentation dans des États autoritaires. Des politiques authentiques et durables d’égalité des sexes ne peuvent être mises en œuvre que dans des contextes d’ouverture démocratique.

Néanmoins, la représentation et la participation accrues des femmes dans les quatre pays étudiés auraient conduit à une plus grande acceptation des femmes occupant des positions d’autorité dans l’arène politique et dans la sphère économique. L’évolution lente mais progressive des mentalités en ce sens, telle que relevée par les études de cas sur le Burundi et le Rwanda, est certainement l’un des impacts les plus significatifs relevés par l’étude.

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8. Recommandations

Au Burundi

• Constituer une base de données statistiques sur la participation politique des femmes et évaluer les progrès du Burundi dans la mise en application de ses engagements nationaux et internationaux pour l’égalité entre les sexes, notamment par le biais d’indicateurs connus comme l’Indice de développement et des inégalités entre les sexes en Afrique (IDISA). L’évaluation de l’IDISA peut se faire dans le cadre d’une collaboration entre le gouvernement, les organismes des Nations Unies et les organisations de la société civile ;

• Adopter le projet de loi garantissant le droit des femmes à la propriété foncière : que le gouvernement et le parlement adoptent le projet de loi portant réforme du code des successions, des libéralités et des régimes matrimoniaux en cours d’examen depuis 2002 ;

• Intégrer le principe de l’égalité des sexes de manière effective dans les politiques et programmes de développement nationaux : il faudrait s’assurer que la Vision 2025 et le nouveau cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et de consolidation de la paix intègrent l’approche genre de manière transversale. Il s’agit de :- Vulgariser la politique nationale genre adoptée en 2003 et la mettre en application, notamment

par la mise en place des structures prévues par la loi comme le Conseil national genre ;- Doter les structures de promotion de l’égalité des sexes de moyens humains, matériels et

financiers suffisants pour l’accomplissement efficace de leur mission ;- Garantir des conditions de sélection des candidates aux postes de responsabilité basés sur

le mérite et la représentativité, afin d’éliminer les objections à l’introduction de quotas pour les femmes ;

• Mettre en place des mécanismes permettant de relever le niveau d’instruction des femmes et des filles et de réduire le poids des charges domestiques : il faudrait réfléchir aux moyens de permettre aux femmes de dégager du temps libre, en marge des travaux ménagers et de certaines tâches quotidiennes tels que le puisage de l’eau et la collecte du bois de chauffe. Il faudrait envisager en outre, l’organisation d’une vaste campagne d’alphabétisation fonctionnelle qui comprendrait entre autres, des aspects sur l’éducation politique et civique, le code de la famille, la gestion des ressources, la limitation des naissances. Cette campagne toucherait aussi bien les femmes que les hommes ;

• Développer et renforcer les alliances et les réseaux entre les femmes : en mettant en place une structure permanente de concertation entre les femmes politiques et celles de la société civile. A travers ce mécanisme, il s’agira de développer un programme commun mettant en avant les priorités des femmes et encourager les femmes élues et celles occupant des postes de responsabilité à y adhérer et à les mettre en application ;

• Encourager la participation politique des femmes à travers des actions ponctuelles concrètes : développer des partenariats entre les associations de femmes et des hommes sensibles à la problématique de l’égalité des sexes (politiciens, religieux, dirigeants de la société civile entre autres), en vue de renforcer le plaidoyer en faveur de la participation accrue des femmes à la vie politique et de la promotion de politiques en faveur de l’égalité des sexes ;

• Encourager le gouvernement à respecter ses engagements nationaux, régionaux et internationaux en faveur de l’égalité des sexes : l’appui de la communauté internationale est essentiel pour permettre au Burundi de respecter ses engagements en matière d’égalité des sexes. En ce sens, le respect de l’égalité des sexes devrait être un critère d’éligibilité aux programmes de coopération internationaux négociés avec le gouvernement du Burundi. La communauté internationale pourrait aussi soutenir le renforcement des capacités des femmes en matière de participation politique et participer au suivi des indicateurs d’égalité entre les sexes.

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Au Rwanda

Au ministère de l’Administration locale et des Affaires sociales (MINALOC) et auministère des Finances et de la Planification économique (MINECOFIN)

• Développer un programme de renforcement des capacités des entités décentralisées en matière d’analyse de genre et de planification-budgétisation sexospécifique, en vue d’améliorer leur niveau de prise en compte dans les contrats de performance et dans les budgets. Les orientations en matière d’élaboration des contrats de performance devraient fournir des indicateurs genre spécifiques par rapport à chaque domaine faisant objet de planification ;

• Rendre disponible une personne ressource ayant une expertise en genre pour pouvoir accompagner les analyses au niveau de processus de décentralisation ;

• Accompagner les districts dans l’élaboration d’une politique et d’une stratégie d’égalité des sexes, leur permettant de définir les rôles et responsabilités de différentes unités et acteurs ainsi que les stratégies d’intervention concernant les questions d’égalité ;

• Inclure dans les évaluations régulières du processus de décentralisation, l’analyse des obstacles auxquels font face les communautés dans les contrôle de l’action publique, notamment en matière de genre, pour permettre d’initier des stratégies d’accompagnement.

Au ministère du Genre et de la Promotion de la Famille (MIGEPROF)• Renforcer les capacités des agents du ministère chargés des questions de genre au niveau des

districts pour les rendre capables de soutenir et superviser l’intégration du genre dans les plans et budgets des entités décentralisées ;

• Elaborer un programme d’éducation et de sensibilisation continu des populations dans le domaine de l’égalité des sexes, en vue de réduire les résistances au changement et de soutenir les progrès accomplis. Le programme devrait aussi comprendre la sensibilisation des familles à renforcer l’éducation des filles jusqu’au niveau supérieur ;

• Accompagner le travail technique d’élaboration d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs permettant de mesurer les changements en matière d’égalité des sexes au niveau individuel, institutionnel et communautaire ;

• Soutenir des réflexions et analyses visant à identifier les stratégies et programmes permettant de réduire la surcharge de travail des femmes et d’accompagner les femmes qui siègent dans les organes de décision des entités décentralisées, en tenant compte des obstacles à leur participation. Ces analyses devraient influencer la planification et la budgétisation des actions de développement des entités décentralisées et du gouvernement central.

Au Conseil National des Femmes (CNF) et aux organisations de la société civile• Appuyer les Conseils des femmes dans l’élaboration de leurs stratégies d’intervention pour

une meilleure prise en compte des questions d’égalité dans le processus de décentralisation ;• Susciter la création d’un réseau entre les femmes leaders au niveau des entités décentralisées,

pour les aider à approfondir l’analyse des obstacles à la participation des femmes et mener un plaidoyer au niveau des instances de décision ;

• Redéfinir le rôle de agents du CNF au niveau des districts afin de permettre une complémentarité et synergie avec d’autres agents des districts, des secteurs et des cellules ;

• Développer des programmes de formation en leadership pour renforcer les capacités des femmes occupant des postes de décision ou ceux des candidates potentielles à ces postes.

A l’Association rwandaise des autorités locales (RALGA)• S’intéresser à des projets visant la promotion de l’égalité homme/femme dans la gouvernance

locale (comme le PAGOR) et capitaliser leurs acquis pour que d’autres districts en profitent ;• Susciter la création d’un réseau entre les femmes leaders au niveau des entités décentralisées

pour les aider à approfondir l’analyse des obstacles à la participation des femmes et faire le plaidoyer au niveau des Instances de décision.

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En République démocratique du Congo

• Renforcer l’action des organisations féminines et de la société civile et mener une réflexion approfondie sur l’engagement politique des femmes de la société au niveau national ;

• Etablir des structures politiques inclusives et représentatives en renforçant la présence des femmes dans les institutions étatiques et coutumières, les partis politiques et les structures communautaires. Ceci implique l’adoption et la mise en œuvre effective de la loi sur la parité qui permettrait d’améliorer de manière significative l’accès des femmes à la sphère politique ;

• Favoriser la socialisation politique des femmes et transformer les comportements politiques des femmes et des hommes en intégrant le principe de l’égalité des sexes dans les différents agents de socialisation en particulier l’école, les médias et la religion ;

• Faire le lien entre le local et le global en suscitant une dynamique qui rassemble les acteurs étatiques, les organisations de femmes, les communautés locales et l’ensemble de la société civile autour d’un idéal commun : le repositionnement politique des femmes dans un contexte de reconstruction nationale.

En Ouganda

• Faire de l’égalité des sexes un élément central dans la conception et la mise en œuvre des programmes de redressement économique du nord de l’Ouganda ;

• Assurer un développement institutionnel stratégique pour les femmes : ceci requiert de former un grand nombre de femmes sur la manière de soumissionner à des appels d’offre, et de créer des compagnies et des joint-ventures ;

• Sensibiliser les groupements féminins à la chose politique et former les femmes à participer de manière effective à différents niveaux de la prise de décision et à forger des alliances et des coalitions entre les différents partis ;

• Reconstruire des masculinités positives en mobilisant les hommes et les garçons et en les faisant participer à des activités de prévention des violences faites aux femmes. Il y a également un besoin urgent de mobiliser les hommes pour les amener à recommencer à contribuer à l’entretien et à la maintenance de la famille.

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