Patrick SÜSKIND Le Parfum. Histoire d’un meurtrierlocipompeiani.free.fr/textes/le-parfum.pdfPatrick SÜSKIND Le Parfum. Histoire d’un meurtrier Le Livre de Poche n 6427 Premier

Patrick SÜSKIND

Le Parfum. Histoire d’un meurtrier

Le Livre de Poche n° 6427

Premier roman de Patrick Süskind, Le Parfum. Histoire d’un meurtrier (Das Parfum. Die Geschichte eines Mörders) a rencontré, dès sa publication à Zurich en Allemagne en 1985, un vif succès qui s’est confi rmé au fi l des traductions, notamment de la traduction française de Bernard Lortho-lary en 1986. Consécutivement à ce succès, Le Parfum a été adapté au cinéma en 2006 par Tom Tykwer, mais cette adap-tation du roman, très « pompier », paraît peu appropriée à un public adolescent.

Né en 1949 à Ambach am Starnberger See, en Bavière, Patrick Süskind a suivi une double formation d’histoire et de littérature à Munich, puis à Aix-en-Provence, ce qui explique son attachement pour la France et sa connaissance précise de l’histoire, de la géographie et de la culture françaises. Il poursuit une carrière de scénariste pour la télévision alle-mande, s’essaie au théâtre avec une pièce à un personnage, La Contrebasse, créée en 1981 à Munich et toujours jouée aujourd’hui. Depuis Le Parfum, il a publié d’autres petits

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romans, des nouvelles et, très récemment, en 2006, un essai, Sur l’amour et la mort, chez Fayard.

Le Parfum, roman de 280 pages, peut être proposé à de grands collégiens. Il conviendrait à de bons élèves de Qua-trième dans le cadre de la découverte du genre policier et surtout dans celui d’un approfondissement de leurs connais-sances des structures narratives complexes et de la société du XVIIIe siècle. Il conviendrait aussi à des élèves de Troisième dans le cadre de l’étude du roman, ici une biographie fi ctive qui pourrait être mise judicieusement en parallèle avec l’étude d’autobiographies, notamment celle(s) de Jean-Jacques Rous-seau, dont certains extraits sont abordés dans cette classe.

Dès le titre, la multiplicité des lectures possibles de l’œuvre se fait sentir. D’abord ce titre est immédiatement suivi d’un sous-titre qui, s’il ne le contredit pas, fait au moins oxymore. Le Parfum, groupe nominal constitué d’un substantif chargé d’une connotation positive et d’un article défi ni, présuppose l’unicité, l’exemplarité d’un « parfum », lors même que notre expérience quotidienne, par ailleurs souvent confi rmée par la lecture de l’œuvre, nous place dans un vaste univers d’odeurs agréables. « Le parfum » soulève donc immédiatement une interrogation sur sa propre nature : celle-ci semble par essence multiple, volatile et éphémère, mais, dans le roman, elle apparaît unique et rendue à l’éternité puisque fi xée dans les mots. Indissociable du titre, le sous-titre, Histoire d’un meurtrier, est chargé, quant à lui, d’une connotation négative à travers l’idée de meurtre qui engage une lecture « policière » de l’œuvre et met en avant à la fois la forme biographique du roman à travers le substantif « histoire » et l’ambiguïté de l’identité d’un meurtrier parmi d’autres, ambiguïté qui sera confi rmée dans l’incipit.

Le Parfum est, en effet, le récit fi ctif de la vie de Jean-Baptiste Grenouille, personnage doué d’un odorat hors du


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commun, qui emploie son existence à capturer « le royaume évanescent des odeurs » d’abord dans une perspective de col-lectionneur, puis pour réparer un manque, celui de sa propre « empreinte olfactive ». Ce manque initial, renforcé par le nom du héros, place Grenouille hors du champ humain, non-lieu où il se maintient volontairement. De fait, si l’on peut lire Le Parfum comme un roman de formation, il remet en question les codes du genre. Il s’agit bien d’un apprentissage, mais dans le sens technique du terme, auprès de différents maîtres que le personnage va se choisir en traversant Paris puis la France entière, pour apprendre à extraire les odeurs des choses et enrichir sa collection olfactive. Mais le roman n’est en aucun cas une initiation morale, le héros n’hésitant pas à commettre le pire, les meurtres d’une série de jeunes fi lles, afi n de fabriquer son « parfum » idéal. Les descriptions parfois crues, toujours minutieuses et très documentées, de la société de la France prérévolutionnaire et particulièrement du monde de l’artisanat du parfum, permettent au narra-teur d’ancrer son intrigue dans un univers réaliste, en même temps qu’elles l’autorisent à interroger les insuffi sances du langage qui ne parvient pas à dire, sinon par comparaisons, sinon par métaphores, la labilité des odeurs.

Pour laisser aux élèves le plaisir de découvrir ce texte riche, il semble plus intéressant de leur en proposer une lecture soli-taire préalable à la lecture plus détaillée qui sera faite en classe. Cette première lecture est un moyen de leur montrer l’impla-cable construction romanesque à l’œuvre dans Le Parfum et de naviguer avec eux plus librement par la suite dans l’espace du roman. Afi n, cependant, de faciliter la tâche de l’ensei-gnant, nous proposons d’abord un découpage du livre (objet et texte) en vue de son étude en classe, ainsi qu’une série de questions de préparation à donner aux élèves. Des synthèses terminent ce travail, qui pourront être insérées dans le cours,


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notamment la première sur la construction du roman, ou réélaborées avec les élèves à la fi n de l’étude en classe.

Textes et documents à exploiter en classe et questions de préparation

Il ne s’agit, bien sûr, que de propositions permettant soit de comprendre le fonctionnement des structures narratives à l’œuvre dans le roman, soit de préparer les futures synthèses, soit enfi n de s’interroger sur des questions de langue, parti-culièrement sensibles dans le roman (quoiqu’il s’agisse d’une traduction…).

QUESTIONNAIRE PRÉALABLE À LA LECTURE EN CLASSE

Objectifs– Vérifi er la lecture et la compréhension de l’œuvre.– Créer des pierres de touche pour préparer la lecture ulté-

rieure de textes.

1. Comment interprétez-vous le titre et le sous-titre de l’œuvre ?

2. Quel est le nom du héros ? Quel sens lui donnez-vous ?

3. Où et quand se déroule l’histoire ? Combien de temps dure-t-elle ?

4. Décrivez la naissance du héros (date, lieu, circons-tances). À quel autre épisode du roman cette naissance ren-voie-t-elle ?



5. Quelle faculté exceptionnelle caractérise le héros ? Com-ment l’exploite-t-il ?

6. Retracez les différentes étapes de l’apprentissage du héros. Selon vous, quel est le rôle de la première de ces étapes par rapport aux autres ?

7. Quel est le moment où le héros semble le plus heureux ? À votre avis, pour quelles raisons ?

8. Quel manque le héros se découvre-t-il à ce moment-là ? Qui s’en était aperçu en premier ?

9. Comment le héros décide-t-il de combler ce manque ? Quelles sont les conséquences de sa décision ?

10. Comment expliquez-vous la différence entre le com-portement des gens lors du procès du personnage et la réaction de la foule lors de ce qui aurait dû être son exécu-tion ?

DOCUMENT 1 EN CLASSE : ÉTUDE DU PARATEXTE DE L’ÉDITION DU LIVRE DE POCHE

(Les questions qui suivent peuvent être données en prépara-tion aux élèves.)

Objectifs– Entrer dans l’œuvre (1).– Comprendre la composition du livre en tant qu’objet.– Analyser les composantes de l’image.– Envisager des hypothèses de lecture.

La première de couverture– Pourquoi l’éditeur a-t-il choisi en guise d’illustration de

l’œuvre ce détail d’un tableau d’Antoine Watteau ? Quel écho cela a-t-il à l’intérieur du roman ?

– Qui est l’auteur ? Qu’est-ce qui, dans sa biographie et


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à la lecture de l’œuvre, peut paraître troublant ? En quoi sa formation et ses autres créations éclairent-elles l’œuvre ?

– Analyser précisément le titre. Pourquoi le sous-titre n’ap-paraît-il nulle part sur la couverture ? Qu’ajoute-t-il au titre ?

La quatrième de couverture– Observer et commenter les textes présents : quelles indi-

cations donnent-ils sur l’œuvre ? Quelle est leur fonction ?

Travail d’écriture complémentaireSujet : Composez une nouvelle couverture pour le roman.

Vous justifi erez vos choix, notamment celui de l’illustration, dans une lettre adressée à l’éditeur.

(NB : Ce projet peut être initié dès ce moment de la séquence, mais il semble judicieux de laisser aux élèves le temps de s’imprégner du roman pour qu’ils élaborent un travail approfondi.)

TEXTE 1 EN CLASSE : ÉTUDE DE L’INCIPIT PAGE 5 (premier paragraphe)

Objectifs– Entrer dans le texte (2).– Dégager le projet romanesque de l’auteur.– Énoncer les particularités de l’incipit du Parfum (nar-

ration à la troisième personne par un narrateur fi ctivement historiographe ; présentation du personnage principal et de sa faculté olfactive prodigieuse ; ancrage de l’histoire dans la réalité historique de la France du XVIIIe siècle ; annonce de la fi n scélérate de Jean-Baptiste Grenouille).

(NB : Il paraît intéressant d’introduire ici la séance sur la composition du roman.)



TEXTE 2 EN CLASSE : LA NAISSANCE DE GRENOUILLE (chap. 1, p. 6 « Or c'est là » à p. 8 « en place de Grève »)

Objectif– Étudier une scène romanesque qui concentre toutes les

techniques (mise en place descriptive ; fl ash-back ; anticipa-tion ; sommaire ; dialogues ; accélération temporelle marquée par l’utilisation du présent de narration).

Préparation– Relire Le Parfum jusqu’au chapitre 5.– Qu’apprend-on d’essentiel sur le héros ?

TEXTE 3 EN CLASSE : L’ACCÈS À LA CONSCIENCE DU MONDE

(chap. 5, p. 28 « C’est par une belle journée de mars » à p. 30 « l’exigeait absolument »)

Objectifs– Distinguer le concret de l’abstrait à travers l’accession au

langage du héros.– Langue : s’initier aux fi gures de style (métaphores/

comparaisons).

Préparation– Relire Le Parfum jusqu’au chapitre 8.– Que montrent les déambulations du héros dans Paris ?

Comment préparent-elles son crime ?


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TEXTE 4 EN CLASSE : LE CRIME AUGURAL DE GRENOUILLE (chap. 8)

Objectif– Utiliser le schéma narratif à l’échelle d’une scène roma-

nesque.(Situation initiale : Grenouille au feu d’artifi ce pour l’anni-

versaire de l’accession au trône de Louis XV ; élément pertur-bateur : la découverte d’un parfum nouveau ; péripétie : quête du parfum, découverte de la jeune fi lle-source ; élément répa-rateur : meurtre de la jeune fi lle pour lui voler son parfum ; situation fi nale : découverte d’un principe esthétique olfactif qu’il faudra apprendre à reproduire).

Préparation– Relire et résumer les chapitres concernant les différents

apprentissages de Grenouille dans la première partie (Grimal/Baldini) du roman en vue de la préparation de la synthèse sur Le Parfum comme roman de formation.

TEXTE 5 EN CLASSE : FOLIE DE GRENOUILLE (chap. 26 et 27 – pp. 139 à 147)

Objectifs– Langue 1 : comprendre comment traduire les pensées

d’un personnage dans un roman à la troisième personne ; le principe du monologue indirect libre ; les marques de sub-jectivité.

– Langue 2 : étudier le fonctionnement de la phrase nomi-nale ; le nom et ses expansions (utiliser surtout le début du chap. 26).



Préparation– Relire les chapitres 30 à 34.– Faire des recherches sur l’esprit du Siècle des Lumières.– En quoi la personnalité et les recherches du marquis de

la Taillade-Espinasse vous paraissent-elles typiques de l’esprit du Siècle des Lumières ? Ce personnage est-il pris au sérieux dans le roman ? Pourquoi ?

TEXTE 6 EN CLASSE : MÉTAMORPHOSE DE GRENOUILLE (chap. 30 – pp. 161 « C’était la première fois que quelqu’un disait […] à 162)

Objectif– Comprendre le fonctionnement du portrait à travers le

point de vue d’un personnage (Grenouille se redécouvrant lui-même).

Préparation– Relire le chapitre 40.– À votre avis, pourquoi Grenouille n’apparaît pas dans ce

chapitre ?

TEXTE 7 EN CLASSE : DES MEURTRES EN SÉRIE (chap. 40 – pp. 214 à 220)

Objectif– Distinguer des éléments appartenant au genre policier :

enquête, victime, suspects. Qui sont les enquêteurs (étude du pronom « on » en langue) ? Y a-t-il un vrai suspense ?


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Préparation– Relire le premier chapitre et la quatrième partie.– Comparer la scène fi nale et le début du roman : quelles

sont les ressemblances et les différences ?

TEXTE 8 EN CLASSE : FIN DE GRENOUILLE (chap. 51 – pp. 275 à 280)

Objectifs– Mettre au jour la structure circulaire du romain et la

construction en miroir.– Interpréter la fi n du roman.

Synthèses

LA CONSTRUCTION DU ROMAN

Schéma narratif du romanQuoique Le Parfum soit un roman quadripartite, on peut

facilement en dégager le schéma narratif.Le tableau qui suit peut être proposé aux élèves, soit en

guise d’accompagnement de leur lecture solitaire, soit en classe à la suite de l’étude du paratexte et de l’incipit. Dans les deux cas, il paraît judicieux de le leur faire remplir au moins partiellement afi n qu’ils manipulent le livre et mobilisent leur mémoire du texte.



Schéma narratif

Parties Chapitres Indications spatiales

Indications temporelles

Titres des grandes étapes du récit

Situation initiale

Première partie

1

Paris

17 juillet 1738

Naissance de Grenouille.

2 Un nourrisson sans odeur effraie Jeanne Bussi, sa nourrice.

3 Le Père Terrier et le nourrisson.

45

Jusqu’en 1747

Grenouille élevé par Mme Gaillard.

6 Vers 12-13 ans

Grenouille, apprenti tanneur chez Grimal.

7 Promenade olfac-tive dans Paris.

Élément pertur-bateur

8 1er septembre 1753

Premier meurtre de Grenouille qui découvre le principe esthé-tique dans l’odeur d’une jeune fi lle.

Péripéties 9*10*11*12*13*

Histoire de Baldini, parfumeur sans génie et vieillissant.

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Jusqu’au printemps de l’année 1756

Grenouille, apprenti parfumeur chez Baldini.

22* Nuit du départ de Grenouille

Fin de Baldini.


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Schéma narratif




Deuxième partie

23 Voyage vers le Midi

Grenouille, en chemin vers le Midi, s’écarte des hommes.

242526272829

Dans le Plomb du Cantal, volcan d’Auvergne

Sept ans Vie solitaire et végétative de Grenouille, dans son volcan, qui se gorge de sa mémoire olfactive.

30

31323334

De Pierrefort à Montpellier Montpellier

Quelques semaines

Rencontre de Grenouille et du marquis de la Taillade-Espinasse : sujet d’une expérience sur la « malignité des fl uides tellu-riques », Grenouille apprend à être un « monsieur ».

Troisième partie

35 Voyage et découverte de Grasse

Moins de sept jours

Découverte de Grasse et de Laure Richis, jeune fi lle au même parfum que la première victime de Grenouille.

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Grasse Grenouille, apprenti parfu-meur puis pre-mier compagnon, chez Mme Arnulfi avec Druot.



Schéma narratif




40* Région de Grasse

De mai à décembre 1765

Série de 24 meurtres de jeunes fi lles. Le meurtrier semble être arrêté… à Grenoble.

41*42*43*

Grasse, puis route vers l’île de Saint-Honorat

Entre janvier et mars 1766

Angoisse d’An-toine Richis qui voit en sa fi lle la prochaine victime et veut la protéger du meurtrier.

Élément réparateur

444546

La Napoule Une nuit de mars 1766

Assassinat de Laure Richis et détails du modus operandi de Grenouille.

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48

49

50

Grasse Le jour-même

Arrestation de Grenouille.

Verdict le 15 avril 1766

Procès de Grenouille.

Exécution de Grenouille annulée. Orgie populaire.

« Grenouille Richis »

Situation fi nale

Quatrième partie

51 Retourà Paris

Arrivée le 25 juin 1767

Mort de Grenouille.

* chapitres dans lesquels Grenouille n’apparaît pas.

Les élèves peuvent tirer un certain nombre d’informations de ce tableau. Voici quelques pistes de réfl exion qui pourront être développées plus amplement au cours de la séquence.


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La temporalité dans le romanLe temps du récit, globalement chronologique, épouse exac-

tement celui de l’existence de Jean-Baptiste Grenouille. On a donc bel et bien affaire à une biographie.

Cependant, tous les moments de la vie du héros ne sont pas traités de la même façon et le narrateur propose un échantillon des différentes vitesses narratives, dont voici les plus fréquemment employées dans le roman.

Certains événements donnent lieu à des développements importants. En général, ce sont des moments de découverte par le lecteur ou le héros de quelque chose d’essentiel pour la suite de l’histoire, comme la scène entre la nourrice, Jeanne Bussi, et le Père Terrier, au chapitre 2, où l’on apprend, long-temps avant lui, l’absence d’odeur du héros, ou bien la pause descriptive itérative du chapitre 7 où Grenouille éprouve sa capacité à reconnaître et recueillir les odeurs lors de ses pro-menades olfactives dans Paris. La prégnance de ces pauses descriptives dans le roman s’explique à la fois par la solitude du héros et par sa faculté sensorielle prodigieuse.

Les développements importants concernent aussi des moments cruciaux qui fonctionnent en écho à l’intérieur du roman : ainsi des scènes de la naissance et de la mort du héros, de son premier meurtre et du dernier. Chaque fois on retrouve des éléments similaires, le lieu pour la naissance et la mort, la jeune fi lle au parfum parfait pour les meurtres ; chaque fois cependant quelque chose diffère : plus on avance dans le roman plus le héros gagne en compétence et/ou en pouvoir puisqu’il gagne l’amour des autres (il naît sans amour mais meurt par amour) et la technique. Cette structure en miroir asymétrique témoigne bien d’un roman de formation : elle montre les progrès réalisés par Grenouille dans le temps de sa vie.

À l’inverse, certains moments de la vie du héros sont



presque élidés : ainsi de l’ellipse centrale, puisqu’« il en était ainsi jour après jour, semaine après semaine, mois après mois » et qu’« il en fut ainsi sept ans durant » (p. 148), sept ans que le héros passe dans le volcan, heureux pourtant, loin des hommes et en la seule compagnie de ses souvenirs olfac-tifs. Mais il est bien connu que l’on n’a rien à dire sur les moments de bonheur !…

Une géographie réaliste ?Le découpage du roman semble commandé autant par la

formation du héros que par les lieux qu’il investit. Ces lieux sont très précisément nommés et décrits (Paris au chapitre 1 et au chapitre 7, Grasse au chapitre 35, par exemple), ce qui contribue à l’atmosphère réaliste du roman. En même temps, ils restent chargés d’une valeur symbolique forte.

Dans la première partie (chapitres 1 à 22, pp. 5 à 127), le lieu dominant est Paris. Le lecteur assiste aux enfances de Jean-Baptiste Grenouille, à la prise de conscience de son extraordinaire faculté de sentir dans la puante capitale et aux premières années de son apprentissage.

À l’« atmosphère toute poisseuse d’humanité » d’une capi-tale puante et grouillante, succède, dans la deuxième partie (chapitres 23 à 34, pp. 129 à 181), la rencontre de la nature, sentie comme une « libération », nature où le héros se recueille en lui-même, au fond d’un volcan des Cévennes, Le Plomb du Cantal. Diffi cile de ne pas songer ici à Rousseau et à son amour de la nature. C’est non seulement le centre du roman mais aussi l’étape centrale du voyage de Grenouille. Cepen-dant, ce lieu sans odeur où le héros peut se soûler avec bon-heur du souvenir de l’odeur des choses autrefois senties, est aussi le lieu où il découvre avec terreur que lui-même ne sent rien. La fi n de cette partie marque le retour de Grenouille dans le monde humain et son entrée dans l’artifi ce : grâce au


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marquis de la Taillade-Espinasse, il se fait homme du monde et se fabrique des odeurs humaines.

La troisième partie (chapitres 35 à 50, pp. 183 à 273), qui constitue la partie proprement policière du roman, se passe tout entière à Grasse et dans sa région. Un nouvel élan naît de l’espoir de posséder le parfum parfait et de se faire aimer d’autrui. Mais c’est une déception qui attend le per-sonnage.

Dès lors, la quatrième partie (chapitre 51, pp. 275 à 280), beaucoup plus courte que les autres, met en scène le retour précipité de Jean-Baptiste Grenouille à Paris et sa fi n tragique en forme d’immolation.

La géographie du Parfum donne donc à voir une structure romanesque circulaire marquant la vanité de la vie de Gre-nouille : né à Paris, le héros revient y mourir. Mieux, il revient mourir tout près de l’endroit même où il était né, « le cime-tière des Innocents ». Ce lieu est lourd de symboles : d’une part, la proximité d’un cimetière comme lieu de naissance donne d’emblée à l’existence de Jean-Baptiste Grenouille une dimension morbide et mortifère ; d’autre part, l’on sait que les Innocents étaient initialement les enfants en bas âge mis à mort sur l’ordre d’Hérode. Or, Grenouille, à l’instar des quatre précédents enfants de sa mère, aurait dû, d’une certaine manière, être un Innocent et mourir à la naissance. Pourtant, s’opère là une substitution entre lui et sa mère puisque, contre toute attente, « la chose sous l’étal se met à crier », est sauvée et que c’est la mère qui meurt à la place de l’enfant, condamnée pour infanticide et décapitée en place de Grève. En réalité, de manière indirecte, la vie de Jean-Baptiste Grenouille commence donc par un meurtre, le pire de tous puisqu’il brise un tabou majeur : un matricide. Pas étonnant donc que sa mort vienne réparer ce crime augural : la « racaille » du cimetière des Innocents, en dévorant Gre-



nouille, brise un autre tabou majeur : celui du cannibalisme. À moins bien sûr de considérer ce festin comme le dernier grand œuvre de l’amoral Grenouille…

Le personnel romanesqueL’ensemble du tableau témoigne de la prépondérance du

personnage de Grenouille dans le roman : il est présent dans 41 chapitres sur 51. Le roman est donc centré sur lui.

S’il arrive au narrateur de le mettre seul en scène, il montre aussi son héros dans sa relation à autrui. Grenouille rencontre ainsi successivement d’autres personnages.

Ces personnages sont de quatre sortes.

• Il y a d’abord ceux qui viennent l’aider à vivre et/ou à par-faire sa formation en jouant, dans le schéma actantiel, le rôle d’adjuvants ; le narrateur ne se contente pas alors de traiter leurs relations avec Grenouille, il forclôt, la plupart du temps, leur destinée en racontant leur mort : c’est le cas pour la mère, Jeanne Bussi, Grimal, Baldini et le marquis de la Taillade-Espinasse. Chaque fois, le personnage se voit vieillir riche ou puissant, chaque fois le narrateur montre que la réalité trompe son attente et adopte un registre comique, que ren-force la récurrence de ces destins ; le tragique des situations est sapé et l’on peut parler d’ironie tragique pour la fi n de ces personnages. Mais le récit comique de ces destins parallèles allège le terrible récit de la vie du personnage central.

• À l’opposé, le groupe des opposants, en dehors d’Antoine Richis qui, d’ailleurs, devient adjuvant ensuite, ne possèdent pas d’identité ni d’histoire précises et stables.

• On peut considérer les « vingt-quatre et une » jeunes fi lles comme des personnages-objets de la quête de Grenouille : ce


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sont des victimes qui n’existent fi nalement qu’en tant que « choses odorantes ».

• Enfi n, il faudrait considérer le magma de la foule à part : c’est l’entité-personnage témoin de la progression sociale de Grenouille. Le chapitre 32, lors duquel Grenouille teste avec succès auprès du monde le parfum d’homme qu’il vient de créer, marque un tournant puisque auparavant le héros sus-citait au mieux l’indifférence au pire la répulsion (frisson des enfants, distance des adultes…). La foule s’avère versatile dans son rapport au héros puisque au cours du roman elle est tour à tour présentée comme indifférente, haineuse, à fuir, terrorisée, admirative et même amoureuse. C’est l’entité la plus instable en même temps que la plus révélatrice du caractère du héros qui apprend fi nalement à la manipuler. Elle représente les instincts et les pulsions inconscientes de l’homme, tout ce qu’il abhorre.

Dans tous les cas, le personnage central entretient des rela-tions de domination et d’intérêt avec les autres.

(NB : l’étude du personnel romanesque peut donner lieu à une séance à part entière, le schéma actantiel étant alors un outil fort pratique pour souligner la mégalomanie du person-nage (voir plus haut).)

LE PARFUM, UN ROMAN DE FORMATION ?

Jean-Baptiste Grenouille, un héros apprentiOn peut rapidement défi nir le roman de formation comme

un roman qui se situe à la croisée de la tradition picaresque et du roman éducatif : il « raconte l’apprentissage d’un jeune héros que guident différents mentors » qu’il rencontre au gré de ses voyages ; il « se présente aussi comme un roman de



la relation pédagogique, relation qui lui sert d’armature, le héros écoutant les conseils de ses maîtres avant de prendre à son tour des responsabilités tutélaires » (article « Roman de formation », Le Dictionnaire du Littéraire, PUF, 2002).

La dynamique du Parfum, évoquée précédemment, situe donc assez bien le roman dans ce cadre. Le héros est en devenir : très vite conscient de son odorat extraordinaire, il va chercher auprès de différents maîtres des techniques pour apprendre à perfectionner cette faculté. Passant de l’apprentissage nauséabond de la tannerie chez Grimal, il devient apprenti parfumeur d’abord chez Baldini à Paris, où il apprend les principes de la distillation, puis chez Mme Arnulfi à Grasse auprès de Druot, où il apprend à extraire les odeurs des choses. Chaque fois il s’enrichit d’un savoir technique. De même, avec le marquis, il prend des cours de maintien et apprend la maîtrise des us sociaux. On trouve donc bien des éléments du registre didactique dans l’œuvre.

La quête du héros évolue au cours du roman, selon ce qu’il apprend à faire, mais pas selon ce que ses maîtres lui conseillent de faire. Aucun précepte moral ne lui est jamais dispensé : il ne s’agit pas pour Grenouille de savoir comment vivre bien, mais d’abord d’enrichir sa collection mentale d’odeurs, puis de créer le parfum parfait qu’il pourra utiliser pour suppléer son absence d’odeur et dominer les hommes qui l’ont exclu. De fait, s’il y a bien une forme d’apprentis-sage ici, elle ne concerne qu’un domaine, très technique : celui des odeurs. Seule cette formation intéresse le héros. On voit bien que les codes du genre sont subvertis.

Un héros paria, impossible à former à la société des hommes

En fait, dès l’incipit en forme d’avant-propos – et même, dès le titre et son sous-titre –, le narrateur-biographe place


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son héros dans une fi liation scélérate puisque son nom est cité au milieu de la liste « d’autres scélérats de génie », dont l’exis-tence est avérée. Si cela confère au personnage une dimension historique, cela fi ge son caractère : dès le début, Grenouille est installé et même enfermé, à l’instar de ses pairs, dans l’amoralité ; dès le début, le lecteur sait ce qui va se passer. La notion de roman de formation est à la fois affi rmée et mise en question dans ce récit d’un « devenir meurtrier », dans cette généalogie criminelle. Si l’on excepte le meurtre indirect de sa mère, Jean-Baptiste Grenouille ne naît pas meurtrier. C’est son rapport au monde et à l’autre, qui, le distinguant et l’isolant du commun des mortels, d’abord par son nom, le conduit inéluctablement à franchir les barrières d’une morale qui lui échappe et à développer une folie mégalomane tra-duite en crimes.

Dès le début, en effet, Jean-Baptiste Grenouille est un paria social. Bâtard, enfant sans père, il est tour à tour rejeté par différentes nourrices et par l’Église elle-même, mère de tous pourtant, en la personne du père Terrier. Il n’a pas d’odeur, il ne sent pas, et, par contrecoup, on ne le « sent » pas non plus, on n’éprouve rien, sinon de la répulsion pour ce nour-risson. C’est cette absence d’odeur qui va conditionner son rapport à l’autre. Comme par compensation, le héros va se découvrir pourvu d’un odorat hors du commun qu’il n’aura de cesse, nous l’avons dit, de perfectionner. Mais, jusqu’à ce qu’il se fabrique une collection d’odeurs humaines artifi cielles auprès du marquis de la Taillade-Espinasse, Grenouille restera à l’écart des hommes, sans contact tactile, charnel avec eux. Il est signifi catif à cet égard que Baldini refuse de le toucher alors que le marquis le prendra, parfumé, dans ses bras.

L’isolement social semble aller de pair avec l’incompétence langagière du héros : il est dans l’absence de communication et dans le refus des codes humains. Il parle peu et mal et



surtout ne comprend pas les notions abstraites à la source même de la morale qui permet de tisser et de policer le lien social (chapitre 5). Il en arrive très vite à mépriser le langage des hommes, incapables de nommer les nuances des odeurs, sinon par métaphores.

Cet isolement social le conduit aussi à ne pas considérer l’autre homme comme un alter ego : autrui n’est qu’une chose qui sent, la plupart du temps mauvais, et qu’il faut fuir. Au cours du roman, le sentiment d’exclusion de Grenouille va se renverser : exclu, c’est lui qui va exclure. Il fuit la société humaine et se réfugie, à l’instar de Rousseau, dans la nature. Il choisit le lieu le plus reculé, le plus inaccessible, un volcan, le Plomb du Cantal en Auvergne. C’est une étape épipha-nique pour le héros : ascète solitaire, il se vit, au cœur du roman, au cœur du volcan, au cœur de la grotte « théâtre de ces débordements » (p.139), comme un véritable dieu, maître de toutes les odeurs qu’il aura collectionnées, et partant maître d’un monde d’hallucinations. Le héros sombre dans une folie mégalomane, latente auparavant. Cet ermitage, à la fois tombeau et cavité utérine, est le lieu où Grenouille prend conscience de son manque et de sa puissance.

Il revient donc dans la société des hommes pour les dominer grâce à ce qui leur échappe, la puissance du parfum, et que, lui, Grenouille, maîtrise parfaitement. Il ne va avoir de cesse de se réaliser « grand Grenouille ». Par l’artifi ce et en faisant fi de toute morale lorsqu’il assassine les jeunes fi lles pour voler leur odeur, il y parvient. Ayant mis au point « le Parfum » parfait qui agit sur les hommes sans que ceux-ci ne s’en rendent compte, Grenouille va pouvoir vérifi er sa puissance. Mais il s’aperçoit avec dégoût de la vanité du pou-voir et de sa vie. Il rentre mourir à Paris. La vie du héros se nie donc elle-même et le fait qu’elle n’ait pas laissé de traces (chapitre 1) souligne cette négation… Si leçon il y a à tirer


Patrick Süskind86

de cet anti-roman de formation, c’est peut-être qu’il n’est de bonne formation en dehors de celles qui apprennent à vivre en société.

En défi nitive, histoire d’un nez à l’odorat hors du commun, histoire d’un monstre donc, Le Parfum déploie, dans l’espace de la France prérévolutionnaire, la quête de ce nez qui s’apprend, découvre toutes ses potentialités, les déve-loppe en se choisissant les bons maîtres. Mais réduit à ce fl air et ne cultivant que lui, le personnage fait fi de ce qui devrait faire de lui un homme. Le Parfum s’avère donc avant tout une interrogation sur la nature et la société humaines.

Dossier établi par Charlotte BERA.


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Patrick SÜSKIND Le Parfum. Histoire d’un meurtrierlocipompeiani.free.fr/textes/le-parfum.pdfPatrick SÜSKIND Le Parfum. Histoire d’un meurtrier Le Livre de Poche n 6427 Premier