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..................................................................................................................................................................................................................... Pédaleur de force, pédaleur de charme FERDY KÜBLER ET HUGO KOBLET textes de Marco Blaser, Gian Paolo Ormezzano et Sergio Zavoli, avec une interview de Ferdy Kübler

Pédaleur de force, · En 1953, il revint, en champion absolu, au Giro d’Italie, désigné comme l’un des favoris à la victoire finale. Il arriva à Bolzano en maillot rose,

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Page 1: Pédaleur de force, · En 1953, il revint, en champion absolu, au Giro d’Italie, désigné comme l’un des favoris à la victoire finale. Il arriva à Bolzano en maillot rose,

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Pédaleur de force,pédaleur de charme

FERDY KÜBLER ET HUGO KOBLET

textes de Marco Blaser, Gian Paolo Ormezzano et Sergio Zavoli, avec une interview de Ferdy Kübler

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Je suis un enfant “des Places”. On dit quemes premiers cris se sont confondus avec lesnotes de L’ami Fritz de Mascagni que jouaitla Civica Filarmonica de Lugano dirigée parle mæstro Dassetto en Place de la Réforme.En effet, je suis né et j’ai grandi entre levieux quartier du Sassello, les rues Pessina,Soave, Petrarca, Luvini, le CrocicchioCortogna et la Mairie, une sorte deBuckingham communal où se serait un jourassis un autre George, doté lui aussi d’uneforte personnalité. Depuis tout petit, j’aihumé le parfum pénétrant de la torréfactiondu café des Conza. Des heures durant, j’aiattendu devant les portes du glacier artisanaldu “Leventinese”, profitant aussi des “fregüi”des pâtes restées invendues sur les élégantscomptoirs de la boulangerie Burri, aujour-d’hui siège de la Banca Popolare di Sondrio.Tel était mon quartier. La journée était ryth-mée par les rendez-vous avec les bulletins deRadio Monteceneri. Je suis moi aussi un filsdes “Radio Days” dépeints à Manhattan parWoody Allen, replacés, bien évidemment,dans le contexte de la réalité luganaise. Dansmes souvenirs restent, indélébiles, lesannonces faites par Mario Casanova le 1er

septembre 1939 lors de l’invasion de laPologne par l’armée du Troisième Reich, etdu débarquement des Alliés en Normandie.C’était le 6 juin 1944. L’arrivée des GI(comme on appelait les soldats américains)fut accompagnée par la musique jazz jouéepar l’orchestre de Glenn Miller, alors invitépermanent de la radio militaire anglo-améri-caine AFN.Lorsque le 8 mai 1945, un concert decloches sonna la fin de la guerre, le rêve dedevenir un homme de radio s’était déjà enra-ciné en moi. Les propositions que les clientsde l’établissement public de mes parents mesoumettaient afin que je me dirige vers lemonde bancaire, ne servirent à rien. La pers-pective de prendre l’affaire hôtelière fami-liale ne parvint pas non plus à étouffer monenthousiasme pour la communicationradiophonique. L’affaire était entendue. Lessuccès collectionnés par le sport helvétique,racontés par Vico Rigassi, Giuseppe Albertiniet Alberto Barberis, renforcèrent encoremon choix. En 1950, je me rendis à Locarno

pour applaudir Fritz Schaer, alors maillotrose du Giro, et saluer par la même occasionl’imprévisible victoire d’étape d’Hugo Kobletqui, premier étranger, remporterait ensuitela prestigieuse course par étapes italienne.En 51, je me rendis à Val Ganna aux mon-diaux de Varese. J’étais au premier rang pouraccueillir Ferdy Kübler, en maillot arc-en-ciel, sur ma Place. Deux ans plus tard, je par-ticipai à un concours “nouvelles voix” etc’est le 1er décembre 54 que je débutai aumicro de la mythique radio Monteceneri.Mon père me donna sa bénédiction, me sou-haitant bonne chance d’un ton plutôtsombre et peu convaincu: “Si ce que tu veuxvraiment, c’est faire le saltimbanque, alorslance-toi!”. Quelques mois plus tard, je fusenvoyé pour couvrir le Tour de Suisse entant que jeune “apprenti sorcier”, aux côtésd’Alberto Barberis et de Tiziano Colotti. Lecyclisme me passionna bien plus que lesautres disciplines. Les rapports humains, lasimplicité des coureurs, me fascinèrent. Devéritables et sincères amitiés naquirent, quirésistent encore à l’usure du temps. EmilioCroci Torti, lieutenant de Ferdy, me remet-tait chaque jour les bananes de son ravitaille-ment, contribuant ainsi à ma croissance.Remo Pianezzi, le fidèle coéquipier d’HugoKoblet, me confiait pour sa part les straté-gies de son équipe. Je me souviens que d’ins-tinct, j’étais plus enclin à me ranger, dans unpays divisé entre les partisans des deux K, ducôté des Küblériens, même s’il m’était plus

[III]

Pédaleur de force, pédaleur de charme

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A gauche:

Hugo Koblet au Tour

de France 1951, lors de

l’étape contre la montre

Aix-les-Bains Genève,

qu’il remporta en par-

courant les 97 kilo-

mètres en 2h39’45” à

la moyenne de 36,43

km/h, ce qui fit passer

son avance au classe-

ment général de 9’ à 22’

et lui permit de

s’adjuger la 38ème

édition de la course

française deux jours

avant la fin.

A droite:

le commentateur

radiophonique de RSI,

Vico Rigassi.

Des vies différentes, les mêmes grandes victoires par Marco Blaser*

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facile de dialoguer avec Hugo. Le superbeathlète zurichois, puissant et élégant, comp-tait déjà d’extraordinaires succès dans leGiro et le Tour. Mais au début de mon activi-té journalistique, son étoile était malheu-reusement en train de pâlir.

Hugo Koblet est né en 1925, au numéro 3 dela Hidelstrasse, située dans un grand quar-tier populaire de Zurich. Ses parentstenaient une petite boulangerie fort appré-ciée. Hugo, le plus jeune de la famille, étaitchargé de livrer le pain. Il se fit les musclesen parcourant chaque jour des dizaines dekilomètres, pour devenir très vite l’un desélèves remarqués du Vélo Club régional.C’est en 1943 qu’il remporta, en amateur, sapremière course. Cette victoire lui permit depasser professionnel et de s’adjuger en 47 lapremière étape du Tour de Suisse, entreZurich et Siebnen, distançant insolemmentKübler, Coppi, Bartali et autres championsreconnus. Il se distingua ensuite en tant querouleur, gagnant la considération des obser-vateurs les plus attentifs. Göpf Weilenmann,vainqueur en 49 de notre Giro, lui pronosti-qua un brillant avenir et le signala à LearcoGuerra qui avait décidé depuis peu dereprendre du collier à l’occasion du Girodell’Anno Santo. Koblet, le néophyte de l’exi-geante course par étapes, endossa à mi-cour-se le maillot rose que Schaer arborait depuisquelques jours. Le champion suisse s’impo-sa dans le cœur des passionnés de cyclismegrâce à son élégance innée et son impétueusepuissance athlétique. Les sympathiquesenvoyés de la “Gazzetta dello Sport” le bapti-sèrent l’ “Aigle blond”. Beau, fort, poli, ildevint donc le benjamin de la caravane rose.Avec son maillot de leader, sa volonté et soncourage se multiplièrent. La sortie de scène

de Fausto Coppi, victime d’une chute qui sesolda par une fracture du bassin, mit mêmeen difficulté Gino Bartali, son plus terriblerival, qui souhaitait rencontrer Pie XII enhabit de vainqueur. Mais Hugo, caressant lespédales avec détermination, ne laissa aucunespace au champion toscan et fut le premierétranger de l’histoire à franchir en vain-queur la ligne d’arrivée des Thermes deCaracalla. C’est donc lui qui fut reçu par leSaint-Père et les Gardes Suisses en fête. AChiasso, pour franchir la frontière, il endossale maillot rose. Cet après-midi là, nos écolesrestèrent fermées et les palais hissèrent legrand pavois. Nous apprîmes à apprécier sescoquetteries: se rafraîchir le visage et serecoiffer avec soin avant d’affronter, auterme de la course, le public et les photo-graphes. Il enchanta grands et petits, en fas-cinant surtout la gent féminine. Les journa-listes parisiens le qualifièrent de “pédaleurde charme”. Il atteignit sa consécration surles routes transalpines en 1951, année où ilremporta le Tour avec panache. S’ensuivitune longue série de victoires prestigieuses.En 1952, Koblet se rendit au Mexique. Sanaïveté et son incapacité à refuser les invita-tions l’entraînèrent dans une curieuse courseà handicap inventée par un groupe de singu-liers entrepreneurs. Ce fut une aventureenveloppée d’un épais mystère, qui changeasa vie. A son retour en Europe, ses amis etéquipiers remarquèrent que son séjourmexicain lui avait miné la santé. De sou-daines et curieuses douleurs rendaient sarespiration difficile en altitude. Lorsqu’ildépassait les 2000 mètres, sa gorge se ser-

[IV]

Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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En haut:

Koblet adolescent,

élégant et impeccable,

parmi ses camarades

d’école (détail d’une

photo de groupe).

En bas:

Hugo Koblet, avec sa

femme, faisant un tour

d’honneur lors des

Six Jours de Zurich, le

21 mars 1957, jour de

son 32ème anniversaire.

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rait, provoquant un essoufflement pénible.En 1953, il revint, en champion absolu, auGiro d’Italie, désigné comme l’un des favorisà la victoire finale. Il arriva à Bolzano enmaillot rose, derrière Coppi qui remportal’étape. Ce jour-là, Mario Ferretti, aux micro-phones de la RAI, débuta sa chronique par cesmots inoubliables: “Un homme seul aux com-mandes, son maillot est blanc et bleu, sonnom est Fausto Coppi…!”. On dit que cettevictoire faisait partie d’un accord entre lesdeux coureurs: “Je gagne l’étape aujourd’huiet demain, c’est toi qui gagnes le Giro!”. Maisle lendemain, dans les difficiles virages duStelvio, Koblet fit une crise et Coppi futcontraint par ses dirigeants de ne pas res-pecter le présumé accord en allant gagner àBormio puis, le lendemain, à remportercette édition mouvementée du Giro. Haut-Adige, l’air de la Valtellina avec le Stelvio etl’Engadina, avec le Bernina, eurent uneimportance particulière dans la carrière deHugo. Lors du Tour de France, le championhelvétique, qui savait pourtant souffrir, futgêné par son cœur et sa respiration. Sa car-rière se poursuivit ensuite par des hauts etdes bas. Généreux et gentleman, il secondaen 54 son lieutenant Carlo Clerici, qui rem-porta le Giro. Hugo se contenta de la deuxiè-me place. Par la suite, il se concentra sur lesclassiques, sur les défis sur piste, sur les SixJours, sur les courses contre la montre. Acette époque, il épousa l’avenant mannequinSonia Bruehl, oubliant malheureusementd’adapter son train de vie à ses gains, deve-nus moins importants. Le talent indiscutédu cyclisme mondial était en effet un piètregestionnaire. En quelques mois seulement,il dilapida la richesse qu’il avait gagnée. “Ilavait les mains trouées”, déclara un jourArmin von Büren, compagnon de nombreuxSix Jours. La fin de sa carrière sportive futdécrétée pendant le Tour de Romandie en58. L’ “Aigle blond” peinait à respirer mêmeà 1000 mètres d’altitude. Tout le mondeavait le cœur serré de voir un tel athlète, quiavait été capable de battre les plus grandschampions, en difficulté.Grâce à sa renommée, mais également à sadistinction naturelle, Hugo reçut une pro-position de l’AGIP d’Enrico Mattei. Il futinvité à se rendre au Venezuela en tant quereprésentant du “Chien à six pattesSupercortemaggiore”. Il s’établit donc à

Caracas avec Sonia où il résida deux ans. Ilrentra discrètement à Zurich en décembre60, quand AGIP décida de lui confier la sta-tion-essence du Vélodrome d’Oerlikon, alorsqu’un groupe de fidèles l’incitait à accepterle poste de commentateur de coursescyclistes pour Radio Beromünster. Timide,peu extraverti, il accepta cependant la pro-position, demandant quand même à êtresecondé par un collègue chroniqueur quil’interrogerait sur les aspects techniques dela course. Sepp Renggli, alors chef du servi-ce des sports de la Radio, accéda à la requêted’Hugo et m’offrit ce poste en 61. Je fis mesdébuts à ses côtés le 15 octobre, à Lugano,avec la chronique du contre la montre. Nousformâmes un duo pendant trois ans, et cou-vrîmes une quinzaine d’évènements. J’eus, àcette période, la chance de mieux connaîtreKoblet en tant qu’homme, un ami tourmen-té qui à certains moments se sentait vaincuet humilié. Il fut également abandonné parSonia, demeurée à Caracas, tandis que cer-tains proches sans scrupules profitèrent delui, faisant preuve d’un incompréhensiblecynisme. Durant nos déplacements et lesrepas précédent les rendez-vous des chro-niques, il me confessa à maintes reprises sondésarroi d’avoir dû passer de la bicyclette au

monde des affaires. A Caracas, il s’étaitdécouvert la passion du tennis et du ski nau-tique. Il remporta également quelques tour-nois amateurs. Mais ce ne furent que desfeux de paille. Il se souvenait en revanchevolontiers de ses rapports amicaux avecKübler, Bobet et Remo Pianezzi. Il aimait

[V]

Pédaleur de force, pédaleur de charme

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Tour de France 1951,

16 juillet: Koblet en

action lors de l’étape

qui le porte vers la

victoire, entre Brive

et Agen, après une

légendaire échappée

en solitaire de

136 kilomètres.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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me raconter les épisodes liés à sa victoire duGiro en 1950, la joie de Learco Guerra quin’aurait jamais pu imaginer arriver à Rome,accompagné du capitaine de son équipe, enhabit de vainqueur. Il me raconta que durantla cérémonie officielle sur la Place Saint-Pierre, Learco avait pleuré de joie. Il me dit:“On aurait dit un enfant désorienté d’avoirreçu trop de cadeaux de Noël”.Parmi les plus beaux moments de sa carriè-re, il citait le Tour de France et la chanced’avoir pu pratiquer le métier de ses rêves,en dépit de sa difficulté, voire parfois de sacruauté. Pour lui, chaque course était uneaventure, une nouvelle expérience qui le sti-mulait et l’amusait. Il aimait égalementvoyager, découvrir de nouveaux pays, visiterl’Europe et rencontrer toutes sortes de per-sonnes. En revanche, il est un épisode plustrouble qu’il n’aimait pas évoquer: l’affairedu Stelvio, en 53. Un jour, il me confia quece Giro avait mal commencé. Il soufflait unair de guerre sur deux roues. Chuchotantpresque, il ajouta: “J’ai perdu le Giro dansl’étape du Stelvio, avec arrivée à Bormio. J’aiété battu par Coppi, le plus grand championde tous les temps!”. Je tentai de le faire par-ler du présumé accord et de l’éventuelle tra-hison qui s’ensuivit. Il ne me répondit pas. Ilse mura au contraire dans un silence impé-nétrable. A cette époque, il est probable quedes forces capables de faire vaciller jusqu’àl’honnêteté et la cohérence d’un hommed’honneur tel que Coppi aient été mises enœuvre. Selon lui, le cyclisme des annéesSoixante était alors malheureusement enprofonde métamorphose. Il répétait souventque le cyclisme était parvenu à un tournantdécisif. Des exploits comme ceux réalisés parCoppi, Bartali, Magni, Kübler, Bobet nepourraient plus se reproduire. L’interventionde plus en plus massive des sponsors, à larecherche du succès immédiat capable depromouvoir la marque de leurs propres pro-duits et d’amortir les primes toujours plusélevées, conférait un pouvoir dangereux à lamédecine sportive de l’extrême. Il flottait,sans l’ombre d’un doute, un parfum dedopage et d’anabolisants, déjà en usage danscertains pays d’Europe de l’Est. Hugo mit unterme à sa carrière sans avoir jamais porté lemaillot arc-en-ciel. Ce manque s’expliquepar son approche garibaldienne, qui ne pla-nifiait pas les saisons de compétition. Il ne se

fixait jamais d’objectifs précis. Il regrettaiten revanche de ne pas avoir réussi à battre lerecord du monde de l’heure. Une premièretentative échoua tandis que la deuxième,prévue au Vigorelli de Milan, fut annulée àcause d’un de ses malaises imprévus. Un soir,je lui demandai à brûle-pourpoint d’évaluersa propre vie. Nous nous trouvions au restau-rant “Sanremo”, dans la Brunnenhofstrassede Zurich, où nous dégustions un émincé etdes röstis. Il me regarda avec surprise et medit: “Je n’ai manqué de rien. J’ai débuté entant que commis dans la boulangerie de mesparents. J’ai savouré la gloire, vu une grandepartie du monde, gagné beaucoup d’argent,rencontré beaucoup de monde et bien queprotestant, j’ai été reçu en privé par le PapePie XII. Ce soir, nous partageons un excel-lent dîner. Que pourrais-je demander deplus? Bien sûr, je suis certainement prochede la fin de mon parcours, mais n’anticiponsrien”. Cette phrase cachait des désillusionset des chagrins, et s’inscrivait dans unedépression probablement liée à son mysté-rieux déplacement au Mexique qui avaitdétérioré sa santé. Il le dit du reste à Arminvon Büren lorsque son partenaire de nom-breux Six Jours l’invita à gérer avec davantagede prudence le peu qui lui restait. Le fait qu’ilait renoncé à sa charge de Commissairetechnique de la Fédération demeura incom-préhensible. Il refusa à cause d’absurdes ten-sions qui régnaient entre les fonctionnairesqui selon lui, bloquaient toute initiative. Ilétait cependant toujours prêt à conseiller lesjeunes qui s’adressaient à lui en rappelantavec générosité que “la maison sur leZollikerberg est toujours ouverte”.

[VII]

Pédaleur de force, pédaleur de charme

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A gauche:

Koblet après sa victoire

au Grand Prix de Suisse

de 1950.

L’ “Aigle blond”, le

“Pédaleur de charme”

ou le “James Dean

du cyclisme” furent

quelques-uns des

surnoms que lui

valurent son élégance

et son charme.

A droite:

Koblet à bord de son

automobile, une

mythique Studebaker,

près de l’Hallenstadion

à Oerlikon. C’est dans

ce faubourg de Zurich

qu’il tint quelque temps

une station-service,

après s’être retiré de

la compétition en 1958.

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J’eus cependant l’impression que sa réservenaturelle s’était accentuée. Il m’apparut sou-vent confus, manquant de confiance en lui ettriste. Quelques semaines à peine après notredernier rendez-vous de travail, Hugo Koblet,au volant de sa berline, percuta de façoninexplicable un arbre en pleine campagne,quelque part sur la route entre le villaged’Esslingen et Mönchaltdorf. C’était le 2novembre 1964. Il rendit son dernier soufflequelques jours plus tard sans avoir vraimentrepris connaissance. Je lui rendis hommageavec Sepp Renggli, en présence des collèguesde la rédaction Bruno Galliker et MaxRuegger, en même temps que des milliers desupporters aux côtés d’athlètes suisses etétrangers, parmi lesquels je retrouvai Kübler,Clerici et Bobet, acteurs principaux, avecHugo, de quelques-uns des épisodes les plusintenses de l’héroïque cyclisme de la moitiédu siècle dernier. Ce jour-là, il manqua àFerdy Kübler le précieux point de référencequi l’avait accompagné tout au long de sacarrière de grand champion.

Ferdy, qui comptait six ans de plus queKoblet, est né et a grandi à Marthalen, dansle canton de Zurich, dans un milieu trèsmodeste. Son père, gardien à l’hôpital psy-chiatrique de Rheinau, percevait un salairemensuel de 140 francs, une somme quidevait suffire à entretenir les parents et leurscinq enfants. Ensemble, ils essayaient d’ar-rondir le maigre salaire. Pendant lesvacances scolaires, Ferdy allait donc tra-vailler dans une ferme proche. Avec beau-coup de bonne volonté, il s’occupait desvaches de l’aube jusqu’à neuf heures du soir,contre 20 francs par mois qu’il remettait entotalité à son père. Un jour, on lui offrit unevieille bicyclette pour aller faire les courses

d’une de ses voisines. Cet évènement mar-qua le début de sa relation avec le véloci-pède. Deux mois plus tard, il fut embauchépar l’ancien boulanger Schneebeli qui le char-gea de la distribution quotidienne d’une qua-rantaine de kilogrammes de pain destinésaux habitants du hameau de Pfannenstiel.Ces courses d’entraînement lui permirent dese forger des muscles. Avec ses économies etun petit crédit qu’il remboursait au rythmede cinq francs par mois, Ferdy s’acheta unebicyclette de course. Il participa alors àquelques courses pour débutants et obtint sapremière victoire sur le circuit de Glarona. Iln’avait pas encore 19 ans. En tant qu’ama-teur, il s’imposa au Locle en enthousiasmantVico Rigassi qui dans sa chronique en direct,pronostiqua un grand avenir à cet athlètezurichois vif et volontaire. Il passa profes-sionnel en 1940 et remporta tout de suite lecircuit de Lausanne. Ce furent des débutstrès prometteurs qui lui permirent de fuir lamisère. Ses multiples succès lui donnèrentl’oxygène nécessaire pour améliorer sa situa-tion économique précaire. Le spectre de lapauvreté l’avait accompagné durant les pre-mières années de sa vie, marquant indiscu-tablement sa jeunesse. Beaucoup se souvien-nent de lui comme d’un calculateur minu-tieux et aujourd’hui encore, d’aucuns affir-ment qu’il fait partie des épargnants les plusavisés, un penchant que les moins diplo-mates n’hésitèrent pas à qualifier de pingre-rie. Une rumeur devenue quasiment unelégende. En vérité, le principe de l’économielui fut inculqué par l’un de ses maîtres, l’in-domptable Paul Egli qui lui imposa commedisciplines fondamentales la ponctualité etl’épargne. Ferdy, désormais professionnel,s’installa à Adliswil, une commune que sespartisans rebaptisèrent “Kübliswil” aprèsses plus grands succès. Il loua un petitappartement pour 20 francs par mois, lamoitié de ce qu’il aurait payé à Zurich, laville voisine. A cette même période, en plei-ne guerre, il remporta la course Lausanne-Berne, une des trois étapes du Tour deSuisse 1941. Il s’adjugea ensuite l’édition del’année suivante. A l’instar de centaines demilliers de concitoyens, il fut appelé sous lesdrapeaux, et incorporé dans l’infanterie demontagne. En 1947, lorsque l’activité sporti-ve reprit, il s’aligna au départ du Tour deFrance en remportant la première étape,

[VIII]

Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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A droite:

Kübler, poussé par un

supporter passionné,

affronte les pentes du

col de la Furka dans la

3ème étape du Tour

de Suisse 1947 entre

Bellinzone et Sierre,

longue de 213 kilo-

mètres. Echappé soli-

taire juste après le

départ, Kübler gagna

avec un avantage de

3’32” sur Fausto Coppi.

En bas:

Ferdy Kübler fêté

par ses partisans

après sa victoire au

Championnat du Monde

de Varese. C’était le

2 septembre 1951 et

le Suisse l’emporta au

sprint sur les Italiens

Fiorenzo Magni et

Antonio Bevilacqua.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Paris-Lille, ainsi que le tronçon qui deStrasbourg, amena la caravane à Besançon.Ces années étaient celles du populaire JeanRobic, dit la “Tête de verre”, du TriestinGiordano Cottur et des frères Weilenmann.Cette année-là, Gino Bartali s’était imposédans le Tour de Suisse, tandis que les tifosiavaient assisté à la première confrontationentre les deux “K”, qui remportèrent chacunune étape. Koblet s’adjugea la premièreétape sur la ligne d’arrivée de Siebnen, tan-dis que Kübler remporta l’étape Bellinzone-Sierre. Ce fut là un des plus spectaculairesexploits de Ferdy qui, sorti du peloton toutde suite après le départ, arriva en premièreposition après une échappée en solitaire de213 kilomètres. La place d’honneur sur laligne d’arrivée valaisanne revint à Coppi, suividans l’ordre par Bartali, Depredhomme,Schaer et Dupont. Cet inoubliable sprint,incompréhensible du point de vue tactique,fit du bruit. Au microphone d’AlbertoBarberis, celui-ci déclara: “De temps entemps, il est utile de montrer que personnen’est imbattable. Il suffit de vouloir!”. Ce futle début de la série de duels spectaculairesentre les deux champions helvétiques et lelancement de l’extraordinaire saison du“Ferdy National”. Au cours des six annéesqui suivirent, celui-ci remporta à deuxautres reprises la course par étapes suisse(en 1948 et 1951), deux éditions de Liège-Bastogne-Liège et de la Flèche Wallonne,une fois Bordeaux-Paris, le Tour de France,

le titre mondial à Varese et Rome-Naples-Rome, avant de mettre un terme à sa carriè-re à l’automne 1956 sur une victoire dans leMilan-Turin. A trois reprises, il occupa lapremière place du prestigieux classement dutrophée “Desgrange-Colombo”. En 1957, ilparticipa encore à quelques réunions d’adieuoù étaient également conviés l’exceptionnelcoureur belge Rik van Steenbergen et l’astrenaissant René Strehler. Entré avec puissance dans l’histoire ducyclisme mondial, il en fut l’un des acteursmajeurs. Il se consacra ensuite à sa famille.Père de cinq fils, il est aujourd’hui un triplearrière-grand-père heureux. Dans sa retraiteagitée, il a su conserver la popularité qu’ilavait conquise sur les routes d’Europe. Avecune finesse insoupçonnée, il développa untalent inné pour les relations publiques.Grâce à son flair imbattable, il céda de nom-breuses années durant son profil si particu-lier à une compagnie d’assurance que beau-coup associent encore aujourd’hui à son nez.Il fut aussi une figure populaire du CréditSuisse, de Villars, de Bio-Strath et de Trident.En l’espace de cinquante ans, il participa àplus de 2000 séances de signatures auto-graphes en public. Il fut moniteur de skiavant de passer au golf à la soixantaine.Poussé par son épouse, l’avenante et cordialeChristina, il devint bientôt un grand habituédes “greens”, animé d’une passion qui, auxdires de certains, frise l’obsession. Il estaujourd’hui membre honoraire des clubs

A droite:

Au printemps 1946,

Kübler effectua sa

préparation physique à

Lugano, dans le gymnase

de George Miez,

gymnaste médaillé d’or

aux Jeux Olympiques de

1928 à Amsterdam et

de 1936 à Berlin.

En bas:

Ferdy Kübler et Emilio

Croci Torti, son fidèle

coéquipier, se rendent

à moto jusqu’au départ

de Crans-Locarno, 6ème

étape du Tour de Suisse

1952. C’est Carlo

Clerici qui passa le

premier le Sempione,

mais le “Ferdy National”

le rejoignit dans la

descente avant de

franchir en vainqueur

la ligne d’arrivée.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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d’Ascona, de Montana-Crans, d’Untereng-stringen et de Kensington en Floride. Ilretourne volontiers dans le Sud des Alpes.Lorsque Emilio Croci Torti, son fidèle lieu-tenant, l’appelle, il répond “Présent!”.Aujourd’hui encore, Ferdy tient compte desconseils et des demandes de son anciencoéquipier, qui a trouvé dans l’art figuratifune nouvelle activité d’artiste-peintre inspiré.A diverses occasions, il participa aux joyeuxvernissages de ses expositions. Ses ren-contres avec Emilio ont été pendant desannées un banc d’essai de la vive et joyeusecamaraderie qui a caractérisé le monde ducyclisme de cette époque. Bartali, NinoDefilippis ou Ercole Baldini n’ont jamaisporté de gant de velours lorsqu’il s’agissaitde rappeler des épisodes évoquant les farceset plaisanteries qui sévissaient durant lescourses. “Mais est-ce qu’Astrua a finalementvu la montre que tu lui as promise pour telaisser gagner à Lugano?” demanda à brûle-pourpoint Gino à Ferdy, faisant référence àun pacte conclus quand, haletants, ilsaffrontaient les virages du Ceneri durant laphase finale d’un Tour du Tessin. Ce soir-là,sans se troubler, Ferdy sortit de son gilet uneSwatch en répliquant au “toscanaccio” que

ça faisait bien cent ans qu’il voulait la luiremettre, mais que des problèmes de douaneet des trous de mémoire dus à son grand âgel’avaient toujours privé du plaisir d’honorercette vieille dette. Les souvenirs, les bou-tades et des révélations amusantes pleinesd’humanité ont toujours constitué le cimentde ces cordiales retrouvailles. Ferdy estdésormais l’un des plus anciens personnagesdu cyclisme des années héroïques.Lors du défilé des vainqueurs du Tour deFrance, organisé à l’occasion du centenairede la couse par étapes transalpine, il fut ledernier à monter sur le podium, juste derriè-re Roger Walkoviac, 79 ans, maillot jaune en56. A 87 ans passés, il suit actuellement trèsassidûment un programme de rééducationphysique afin d’éliminer les dernièresséquelles de sa catastrophique chute dans lesescaliers de sa maison. Avec son enthousias-me légendaire, il a déjà réuni son grouped’amis pour porter un toast au nouveau livresur sa vie que l’éditeur Peter Schnyder, asso-cié à Martin et Hanspeter Born et au légen-daire chroniqueur des grands évènementssportifs de la deuxième moitié du siècle der-nier Sepp Renggli, lui ont consacré afin derevenir sur sa carrière magique et de fairerevivre les joies et les émotions que nousavons eu la chance de connaître dans lesannées Cinquante.

* Journaliste, alors Directeur de RTSI

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Pedaleur de force, pedaleur de charme

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Ferdy et Hugo à l’italienne

par Gian Paolo Ormezzano*

A gauche:

L’ultime grand duel entre Koblet

et Kübler eut lieu sur le Tour de

Suisse 1955. C’est le premier qui

s’adjugea la course ainsi que la

deuxième étape, entre Baden et

Delsberg. Kübler devança quant à

lui son rival dans la 5ème étape,

entre Sierre et Locarno.

Sur cette page:

Ferdy au chevet de Hugo, après

sa chute dans la descente au cours

de l’étape Pau-Luchon, la plus

classique des étapes pyrénéennes

du Tour. C’était le 19 juillet 1954.

Suite à cet accident, Koblet

accusera sur la ligne d’arrivée

un retard de plus de 26’ et

sera contraint le lendemain

d’abandonner la course.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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C’étaient les années où Peppino De Filippo,s’extirpant du rôle de faire-valoir, du restesublime, de Totò, dans un solo cinématogra-phique, se posait et posait, l’entourant d’unmystère solennel hautement napolitain, laquestion de savoir pourquoi les grandschampions cyclistes devaient avoir le nezlong. Il faisait là référence à Fausto Coppi,en vérité presque “pinocchiesque”, maisenglobait également dans cette quête exis-tentielle Gino Bartali, dont le nez était enréalité plus gros que long. Et de Suisse pro-venait le long nez de Ferdy Kübler, un cyclis-te qui était un long nez sur lequel on avaitcollé un corps posé sur une bicyclette, et quise classait second, puis troisième lors dedeux championnats du monde, s’adjugeait lemaillot jaune, puis arc-en-ciel dans lesannées 1950 et 1951, et rivalisait avec lesItaliens à des niveaux exceptionnellementélevés, aussi bien dans les défis de hautemontagne que dans les courses de vitesse,exploits forcenés d’un jour. Kübler étaitdevenu champion du monde justement enItalie, à Varese, et en battant au sprint deuxItaliens, Fiorenzo Magni, au nez en patate etAntonio Bevilacqua, dit “labròn” en Vénitienparce que sa lèvre inférieure pendait de sabouche vers la route, telle une cuillère desti-née à recueillir on ne sait quoi, peut-être del’air, peut-être sa fatigue qui s’échappaitdans un râle, peut-être les mouches.

L’arrivée de Ferdy Kübler et d’Hugo Koblet,premiers grands cyclistes suisses, dans lemonde du cyclisme italien - qui alors était laréférence, servait de paramètre, dictait lesaltitudes, conditionnait les dérailleurs,réglait les rapports (dérailleur, rapport:lexique cycliste spécifique appliqué à la vie degroupe) - fut extrêmement bien accueilliepar la tifoseria du Beau Pays. C’était la fin desannées quarante. Le fait qu’aucun Suissen’ait jusque là jamais remporté le Girod’Italie ou le Tour de France venait confirmerle caractère calme traditionnel, tandis que laclasse immédiatement perceptible des deuxcoureurs était au contraire la garantie dedéfis de haut niveau et même spectaculaires,compte tenu des caractéristiques cyclistes etsomatiques des deux acteurs (dont on parleraplus loin). Ne vous y trompez pas: dans lemonde de la bicyclette, les gens admirent lecyclisme avant les cyclistes. Et même le sup-porter le plus acharné de tel ou tel coureurne se place jamais contre “l’autre”, mais selimite plutôt à ne pas le soutenir. L’exactcontraire, en somme, de ce qui se passedans le sale monde du football: avec la dou-loureuse mais réelle sensation - encorevague à l’époque, aujourd’hui très forte -que désormais tout ce qui est différent dufoot est a priori une chose bonne et juste…Kübler et Koblet étaient présentés, entreautres, comme deux coureurs n’ayant pas à

Koblet et Kübler,

compagnons au sein

de l’équipe Tebag,

lors d’une échappée

à Wildegg, dans le

tronçon de “course

sur la voie ferrée” de la

Schlossberg Rundfahrt

de Lenzburg en 1948.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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supporter le poids de la célébrité de l’autre,comme tel avait été le cas, en revanche, deBartali et Coppi, ensemble dans le dernierGiro d’Italie (1940) d’avant-guerre. Ginocapitaine, Fausto coéquipier, Gino battu parsurprise par Fausto, tant et si bien que dès lareprise des courses, la rivalité entre les deuxcoureurs était devenue claire, nette, âcre,chacun devenant lourd, terrible et indispen-sable pour l’autre. Arrivés dans le cyclismede haut niveau pratiquement ensemble,Ferdy - du même âge que Coppi - six ans deplus qu’Hugo, à peu près le même écart quecelui entre Gino et Fausto. Tous les deuxavec une expérience précoce du cyclisme entant qu’apprentis boulangers. Tous les deuxZurichois, Ferdy de la campagne, né àMarthalen le 24 juillet 1919 et Hugo de laville, né le 21 mars 1925, tous deux dont lesparents avaient refusé les premiers coups depédales: le papa de Kübler, qui jusque làavait parfois la main leste, voulait le voirdevenir paysan et non cycliste, l’anxieusemaman de Koblet (son père étant mort alorsque le futur champion n’avait que neuf ans)l’avait mis très tôt au travail dans une bou-tique d’orfèvrerie, et c’est une providentiellefuronculose causée par des agents chi-miques qui “sauva” le garçon d’un destind’orfèvre tout tracé puisque celui-ci quitta lemonde des réactifs chimiques auxquels ilétait allergique pour rejoindre la boutiqued’un ancien cycliste, ce qui favorisa le déve-loppement de sa passion et l’aida à courir sespremières courses à l’âge de dix ans, à l’insude sa mère, portant une chemise au lieu dutraditionnel maillot de coureur. Lors de sapremière victoire, durant une course de côteprès d’Oerlikon, Koblet se vit remettre un platen argent, comme un signe de rappel de sontout premier travail. Kübler en revanche étaitpassé au cyclisme de compétition directementgrâce à son travail, des livraisons pour unboulanger directement aux courses, débuts“classiques” de nombreux coureurs (Coppi futgarçon cycliste dans une boucherie).Lorsque Koblet se fit une place au soleilparmi les professionnels, c’est-à-dire lors duMilan-San Remo de 1947 remporté parBartali, en finissant trente-quatrième maisquatrième étranger (et à cette époque, lamétéorologie était respectueuse des légendes,de sorte qu’une fois le Turchino gravi, lerugueux Piémont quitté pour redescendre

vers la mer de Ligurie, il n’y avait plus que lesoleil, toujours et quelles que soient les cir-constances, d’où le surnom de “course ausoleil” donné à cette classique), l’autre“kappa”, celle de Kübler, était déjà bien pré-sente dans le grand cyclisme. Ferdy étaitpassé professionnel durant l’année de Coppi,1940, la neutralité de la Suisse lui avait per-mis de poursuivre la compétition dans sonpays, avec à son actif en tant qu’amateur lessuccès dans le Tour du Léman (1938), dansle Grand Prix du Locle et dans le Circuit deBâle (1939). Sa première victoire en tant quecoureur sous contrat avait été remportéedans l’A Travers Lausanne, qu’il gagna par lasuite à quatre autres reprises: une coursecontre la montre, qui lui convenait commecelles sur le plat, dans les cols et même enmontée et comme - également - celles desfinisseurs, destinées à se conclure sur unsprint; parce que tout simplement, FerdyKübler savait tout faire, et bien le faire. Etmême sur piste: champion suisse de la cour-se poursuite en 1942, année où il remportaaussi le Tour de Suisse, qu’il s’adjugea entout trois fois, à l’instar de Koblet. Coureurcomplet même dans les “pierres”, en courseet hors course: furieux ou joyeux toujoursau moment juste, avec un fond farceur. Maisà tous les deux fut appliquée, dans leur pays,la dichotomie que certains considèrent vita-le ou pour le moins très importante pour lecyclisme, à savoir la règle du deux, ou sivous préférez du duel, selon laquelle lechampion est encore plus champion s’iltrouve chez lui, dans ses pieds ou dans sesroues, un autre champion avec le mêmepasseport et qu’il bat parfois ou parfois non.

Koblet se recoiffe à

l’arrivée d’une étape du

Tour 1951. Un geste

habituel qui faisait

partie de l’image et du

mythe du “Pédaleur

de charme”.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Et les deux se partagent les faveurs, font (oufaisaient, puisque désormais, il n’y en a plusque pour le foot dans le monde entier) battreles cœurs pour l’un ou pour l’autre au coursdes discussions au Bar des Sports, font l’ob-jet de railleries d’un côté à l’autre de la rue,où chacun attend son homme pour l’aperce-voir quelques secondes qui valent de l’or(comme le chante Paolo Conte: “je suis là, àattendre Bartali, piaffant dans mes san-dales”). La très célèbre neutralité suissesembla rejaillir sur les deux coureurs, tou-jours respectueux l’un envers l’autre, ne ten-tant jamais de s’éliminer mutuellement.Hors de Suisse, ils trouvèrent des routes suf-fisamment larges pour accomplir de belleschoses chacun de son côté. En Italie (lanation qui, répétons-le, dictait alors le cyclis-me au monde entier et s’était notammentpermise de réorganiser le Giro presqueimmédiatement après la fin de la guerre, en1946, dans les ruines encore fumantes alorsque la France, qui siégeait pourtant à la tabledes vainqueurs, avait attendu 1947 pourreprendre le Tour), en Italie disions-nous,Kübler fut vite comparé à Bartali, en tant quechampion qui mordait la route, montrait lesdents à ses adversaires, inventait la coursemètre après mètre, tandis qu’on assimilatout de suite Koblet à Coppi puisqu’ils parta-geaient une classe qui avait quelque chose demajestueux, s’adonnaient à des rites jamaisclinquants, fuyaient la foule en liesse, médi-taient sur les programmes, transformant lacourse en exercice de mathématique de l’ef-fort, accessible à une minorité seulement.Bartali et Kübler haranguaient la foule,Coppi et Koblet susurraient. Koblet fut entreautres rapidement associé à Coppi en raisondes ses problèmes de santé et de son mauvaissort: tous deux chancelants, comme on le ditessentiellement des femmes qui arriventmalgré tout à tirer une certaine fascinationde la maladie, et d’une certaine façon mar-qués par des maladies et des tristesses qui sesoldèrent dans les deux cas par une fin pré-coce et tragique.L’extraordinaire sympathie avec laquellel’Italie de cette époque suivit ces deuxcyclistes suisses, étrangers certes, mais défi-nitivement moins que les cyclistes belges oufrançais (“L’Etranger” du roman de Camusest davantage un inconnu qu’un étranger,pour tenter d’expliquer la valeur spéciale,

ici, de l’adjectif) probablement en raison decette partie d’Italie que la Suisse contient ethonore du point de vue linguistique, permità Koblet de devenir - sous les applaudisse-ments italiens en dépit du fait qu’il pêchepar iconoclastie en détruisant les idoleslocales - le premier étranger, en plus d’êtrele premier suisse, à remporter un Giro, cequi lui valut l’appellation d’“Aigle Blond”,laissant Bartali à la deuxième place à 5’12’’.Un Giro où Coppi, victime d’une fracture dubassin suite à une chute stupide entreVicenza et Bolzano, sortit de la course juste-ment le premier jour où le bel Hugo revêtitle maillot rose (à l’arrivée de cette étape“funeste” pour Fausto - comme on l’écrivitalors - premier Bartali, deuxième Koblet,troisième Kübler) mais où le vainqueurn’eût pas à pâtir de l’ombre du Grand Absenttant ses prestations techniques et athlé-tiques furent splendides, démontrant saclasse pure, avec son coup de pédale “decharme” plein de talent. Si l’on disait deCoppi (même si on l’écrivait peu) qu’une foisfranchie la ligne d’arrivée, celui-ci se four-rait deux doigts dans la gorge afin de vomiron ne sait quoi, de Koblet on parlait du soinextrême avec lequel il se redressait, se jetaitun peu d’eau de Cologne et surtout se coif-fait minutieusement. Et spécialement le der-nier jour, avec arrivée à Rome - c’étaitl’Année Sainte - devant le Pape, où Koblet leprotestant ou l’évangéliste se mit à genouxavec respect, à côté du pieux Bartali, face àPie XII; et il n’y avait pas de caméras, toutétait médiatisé à travers quelques photogra-phies et l’imagination de chroniqueurs radioet d’écrivains publics.Quelques jours seulement après le maillotrose de Koblet, Kübler devint à son tour pre-mier Suisse: en tant que vainqueur du Tourde France, mannequin (terme adapté à sonélégance naturelle) du maillot jaune à Paris.Et il y parvint dans une édition de la “gran-de boucle” où l’équipe italienne abandonnala course dans les Pyrénées, alors queFiorenzo Magni était maillot jaune et GinoBartali, vainqueur deux ans plus tôt, se trou-vait dans le classement, pour répondre à tra-vers un retentissant retrait aux excès sur laroute de la tifoseria française, qui qualifiaitde “suce-roues” les hommes de l’équipe vert-blanc-rouge. Kübler gagna haut la main,soutint que quoiqu’il fût advenu, il aurait

A droite:

Koblet rentre en

Suisse en triomphe

après sa victoire dans

le Giro d’Italie 1950.

A Zurich, sa ville natale,

une foule en délire

l’accueille le long de la

Bahnhofstrasse.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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couru et gagné contre n’importe qui, décla-ra que si les Italiens avaient participé à lacourse, il aurait eu plus de facilité à lacontrôler et personne, même en Italie, niMagni ni Bartali, n’osa parler de cadeau dusort à son égard. Le fait est que Koblet fasci-nait et que Kübler était sympathique, tout lemonde ayant parfaitement compris leurscaractéristiques humaines. Un an aprèsKübler, Koblet s’adjugea lui aussi son Tourde France, dominant de façon presque suave,légère, avec 22 minutes d’avance sur lesecond, Geminiani, un Français de Romagne(Bartali quatrième à presque une demi-heure, Coppi battu pour un coup de pompedans le Midi), se peignant toujours avec lamême coquetterie dès qu’il arrivait en vued’une ligne d’arrivée. Il gagna dans lesPyrénées et au contre-la-montre, il contrôladans les Alpes. Les deux uniques succèssuisses dans la “grande boucle” furent doncconsécutifs: on parla alors de dictature suis-se naissante, jusqu’en 1952, où Coppi réta-blit sa domination aussi bien sur le Giro quedans le Tour.En 1951, Kübler arriva même au titre mon-dial, conquis dans un fief du cyclisme italien,à deux pas de la Suisse cependant: circuit deVarese, sprint parfait du contrôleur au longnez de la course mené jusqu’à son terme,Magni et Bevilacqua battus comme on l’adéjà dit (Coppi était officiellement malade, enréalité l’équipe italienne ne lui convenaitpas), applaudissements pour tout le monde.La nuit de la veille, Kübler avait dormi chezun coéquipier et ami tessinois, Croci Torti,qui lui avait laissé son propre lit afin qu’il serepose dans les meilleures conditions. Il fautnoter qu’un autre Suisse avait décroché letitre mondial avant lui, Hans Knecht en1946, justement à Zurich, mais on avait alorsparlé de prix spécial du destin à un Inconnu,sur un circuit trop facile pour faire foi.Et toujours en 1953 Koblet, dominant dura-blement le Giro sur un Coppi qui semblaitéreinté dans son corps et dans son âme parune longue série d’incidents - en réalité, ildébutait également une longue et éprouvan-te histoire d’amour, avec celle qui devintplus tard la très célèbre Dame Blanche –ainsi que par la mort deux ans plus tôt deson frère Serse après une chute en course, lacause peut-être de son coup de pompe deMontpellier (tragique “imitation” de Bartali,

qui avait perdu son frère Giulio de la mêmemanière), Koblet disions-nous, fut plié sur leStelvio, à l’avant-dernière étape, par Coppiqui lui reprit le maillot rose au terme d’unejournée où survinrent des choses que per-sonne ne croyait encore possibles, lorsqueFausto rattrapa tant de coéquipiers occa-sionnels et pourtant si dévoués. La veille,Koblet avait porté sur la ligne d’arrivée sondouzième maillot rose, il souffrait d’unebronchite mais semblait invincible; Coppiqui n’était cependant qu’à 1’59’’ semblaitrésigné. Après le Stelvio, Coppi comptait1’29’’ d’avance au classement sur Koblet, deBormio à Milan - le dernier jour - le Super-Champion pédala avec une attention extrê-me, tandis que Koblet toussait. Troisième auclassement final, Pasqualino Fornara, pié-montais dit l’“Helvétique” pour ses quatrevictoires dans le Tour de Suisse. Borges par-lerait de jardin des destins croisés (et sou-vent croisés à Valtellina, Bormio et Sondrio,sur des lignes d’arrivée toujours impor-tantes): l’année suivante, Koblet lança versla victoire Carlo Clerici, d’origine italienneet fraîchement naturalisé suisse, dans son

Koblet et Coppi

affrontent ensemble les

pentes du Passo Sella,

dans la 19ème étape du

Giro d’Italie 1953 entre

Auronzo de Cadore

et Bolzano. Sur la ligne

d’arrivée, c’est l’Italien

qui gagnera.

Le lendemain, auteur

d’un exploit épique et

disputé sur le Stelvio, il

enlèvera ainsi le maillot

rose au Suisse.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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équipe sous la houlette d’un grand “ancien”d’Italie, Learco Guerra. Le plan ne fut certai-nement pas celui prévu, Clerici remporta lasixième étape grâce à une échappée surprise,voire surprenante qui lui donna une vingtai-ne de minutes d’avance sur les favoris.Koblet s’habitua généreusement au rôle de“coéquipier” de Clerici et marqua Coppi dontil attendait la réaction après une indigestiond’huîtres; Koblet devança Coppi de vingt-septsecondes d’une extrême importance psycho-logique dans la partie contre la montre du lacde Garde; à Milan, Clerici arriva avec vingt-cinq minutes d’avance sur Koblet, second, sedéfendant dans les montagnes et profitant dela “grève de la Bernina”: lorsque la montagnesuisse fut gravie par un gros grouped’hommes à la cadence d’un homme fatigué,pour réagir avec provocation aux accusationsde non-engagement, de “vitellonismo” (lefilm de Fellini était sorti) adressées à tous lesparticipants du Giro à l’exception de Clerici,et également pour réagir à la menace de prix“bloqués”. Le dernier sprint, au VélodromeVigorelli de Milan, avec premier le belge Rikvan Steenbergen champion du monde de ladiscipline, se disputa devant un public quisifflait si fort qu’on n’entendit même pas lacloche qui annonçait le dernier tour de lafarce.Mais maintenant, il est temps de rappeler, depréciser, en décrivant ce qu’était le cyclismeen ce temps-là. En Europe, ou pour le moinsen France, en Italie, en Belgique, en Suisseet en Espagne, il n’existait pas commeaujourd’hui un engouement populaire mas-sif pour le football ; car le cyclisme détenaitles plus gros pouvoirs psychologiques auprèsdes foules ; c’était le sport roi, pas encorepassé au crible par la télévision qui, par lasuite, l’a mis à nu et révélé également sousl’aspect des laideurs d’une fatigue cruelle etsale. Aucun acharnement qu’on qualifieraitaujourd’hui de médiatique, et pourtant unéternuement de Bartali, de Coppi, de Kübler,de Bobet le Français, de Koblet était plusimportant que le but d’un club de foot mêmecélèbre. Et donc la grève de la Bernina étaitune affaire internationale, qui secouait lesrèglements et les consciences. Une presseécrite encore dominée par les “chantres” ouleurs héritiers, en somme par ceux quiavaient inventé depuis le début du vingtièmesiècle (le premier Tour de France date de

1903, le premier Giro d’Italie de 1909) lesgestes des cyclistes, non visibles sur lesroutes poussiéreuses mais toujours décritsmême dans les détails, voire racontés, trans-formés en mythes et présentés comme deshéros rugissants ou comme d’admirablesboucs émissaires désespérés, une presseécrite avait ainsi créé pour les cyclistes et lecyclisme, entité emblématique du savoir-souffrir, un immense engouement populai-re, destiné à souffrir les coups du bien-être,qui suggérait l’automobile et désanctifiait lasueur simplement en l’appelant transpira-tion. Incidemment, il nous semble pouvoirdire que dans ces années là naissait, mêmedans le cyclisme, jusqu’alors sport d’amourpour ses “chantres” et leurs adeptes, uneétude scientifique, vulgarisée par un jour-nalisme qui commençait également à parlerde poids, de mesures, de type d’effort, etc.,et spécialement promue par Coppi, épou-vantail dès qu’il posait le pied à terre etapollinien lorsqu’il pédalait. En somme,l’amour se transformait en érotisme, pré-misse d’une dernière évolution, celle de lapornographie.

Parce que le sport actuel est véritablementun objet pornographique en raison de sa vul-garité, de ses excès et souvent d’une sophis-tication poussée et hypocrite de présentation(vulgarité sophistiquée, le sport vit égale-ment d’oxymorons), avec l’athlète mis à nuau-delà de n’importe quel strip-tease, l’athlèteen pancréas, l’athlète à cœur ouvert et scruté,et parce que les spectateurs sont incons-ciemment (ou non ?) un peu comme ceuxdes spectacles à lumières rouges: ils vontvoir faire par des spécialistes les chosesqu’ils voudraient eux aussi faire, les chosesqu’ils peuvent rarement faire.

Koblet et Kübler en

couple pendant les

Six Jours de Zurich en

1956, qui finirent à la

quatrième place.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Mais revenons aux deux K, étrangementjamais lyophilisés dans le sigle K2, qui en1954 identifiait la deuxième montagne dumonde, gravie pour la première fois par uneexpédition italienne. Kübler, qui était égale-ment moniteur de ski pour faire du sportpendant la saison hivernale, était un adeptede la vie saine, qu’il souhaitait avoir. Il a fêtéses quatre-vingt-sept ans, a connu deuxfemmes dans sa vie, assume parfaitement safonction d’ancien combattant; quand ilrentre au Tessin, il joue le jeu des souvenirs

avec Croci Torti, qui fut son compagnon depeine et est désormais un excellent peintre.Sa toute dernière victoire fut obtenue à tren-te-sept ans, dans le Milan-Turin. Il gagnaplus que Koblet (et ses déboires physiques),également des classiques comme Liège-Bastogne-Liège et la Flèche Wallonne.Comme Koblet, il fut un valeureux poursui-vant. Il a gagné beaucoup et dépensé beau-coup lui-même. Il fut ce que l’on peut appe-ler un grand personnage, et continue del’être. S’il pouvait revenir en arrière et for-muler un souhait, il demanderait le Girod’Italie.Koblet était délicat, une fleur de serre quandKübler faisait plutôt penser à une fleur d’al-page. En 1949, il se fractura une jambe, sesos étaient fragiles, presque autant que ceuxde Coppi. Durant le Tour 1953, alors qu’iltentait de revenir après le Giro que lui avaitsoufflé Coppi au dernier moment, il chuta etfut marqué physiquement mais aussi mora-lement: parce qu’il portait sur lui une sortede tristesse permanente (on dirait aujour-d’hui un perdant). Il cessa de courir à tren-te-trois ans, après avoir pratiqué la piste, ycompris neuf Six Jours, et il remporta sadernière victoire dans un critérium auTessin. Il était inquiet, éprouvait des

malaises étranges, il se rendit en Amériquedu Sud. Il plaisait aux femmes et en épousaune d’une grande beauté. Il perdit énormé-ment d’argent dans des affaires qui nel’étaient pas, il ouvrit une station-serviceprès du Vélodrome d’Oerlikon et devint ins-pecteur dans une entreprise pétrolière. Ils’essaya ensuite au métier de chroniqueurradio, puis à celui de technicien fédéral entant que sélectionneur des pistards suisses.Il mourût quatre ans après Coppi, en 1964,alors qu’il rencontrait des problèmes, unmariage sans enfant (Kübler est plusieursfois père et grand-père, et s’est marié deuxfois) qui ne fonctionnait pas, il alla se plan-ter contre un arbre en voiture; certainsdirent qu’il avait parcouru plusieurs fois àgrande vitesse cette ligne droite dans lesdeux sens, comme s’il cherchait quelquechose, qui ressemblait à un point final. Il futbeaucoup pleuré, au Tessin également: ilavait fait son service militaire à Bellinzone,dans l’infanterie de montagne, il y avait desamis cyclistes comme Emilio Croci Torti,Remo Pianezzi et Fausto Lurati, avec les-quels il posait sur la Place du Dôme(Cathédrale) de Lugano pour ces photos - lepédaleur à l’arrêt, donnant l’impression defaire du surplace - qui aujourd’hui noussemblent être véritablement d’époque.Kübler a toujours parlé en bien de Koblet,tout comme Koblet de Kübler. Ces deux-làont même fait équipe ensemble pendantquelque temps. Bartali et Coppi passèrenteux aussi une saison dans la même équipe,mais Coppi coéquipier dupa son capitaine ens’adjugeant le Giro sous son nez. Bartali atoujours été très lié avec Kübler, Coppi atoujours admiré Koblet, même quand leSuisse le battait. Bartali et Coppi jouèrentprobablement l’inimitié pour faire honneurau scénario du cyclisme des duels, Kübler etKoblet ne feignirent jamais l’amitié, ils laressentaient véritablement au plus profondde leur être.

* Journaliste et écrivain

Emilio Croci Torti, Ferdy

Kübler et Hugo Koblet

à Locarno à la fin des

années quarante.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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FICHE RÉSUMÉE DE KÜBLERNé le 24 juillet 1919 à Marthalen (Zurich), ilfait ses débuts chez les professionnels en1940, en remportant la course A TraversLausanne et le titre suisse de poursuite.L’année suivante, il conquiert les mêmestitres, ainsi que le record national de l’heureet la victoire dans l’étape de Berne d’un Tourde Suisse où il termine à la troisième place(et qu’il remportera l’année suivante).Après la guerre, Kübler rencontre le grandcyclisme français, italien et belge. Dans lepremier Tour de France d’après le conflit, en1947, il remporte deux étapes. En 1948, il seprépare chez lui en s’adjugeant le Tour deSuisse, le Tour de Romandie et le titre suissesur route. L’année d’après, il termine seconddu Mondial et du Tour de Lombardie, rem-portant également une étape du Tour deFrance qu’il est le premier Suisse à gagner en1950. En 1951, il remporte Rome-Naples-Rome, la Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège, le Tour de Romandie, le Tour de Suisseet devient champion du monde sur route.Son palmarès compte également trois succèsdans le Challenge Desgrange-Colombo, unesorte de classement mondial à points, quatrefois le Tour du Tessin, trois titres nationauxde poursuite et un en cyclo-cross.

FICHE RÉSUMÉE DE KOBLETNé le 21 mars 1925 à Zurich, il fait ses débutsprofessionnels en 1946 et remporte l’annéesuivante le Tour des Quatre-Cantons ainsiqu’une étape du Tour de Suisse. En 1948, ils’adjuge une difficile étape de montagne duTour de Suisse, de même qu’un succès d’éta-pe dans le Tour de Romandie. Nouvelle étapedu Tour de Romandie en 1949, puis arrêtprolongé à cause d’une fracture de la jambedue à une chute à l’entraînement. Victoiredans le Giro d’Italie 1950 avec deux étapes àson actif et victoire également dans le Tourde Suisse, qu’il remporte à nouveau en 1953et 1955. En 1951, victoire dans le Tour deFrance. Ensuite, une carrière interrompuepar plusieurs périodes d’inactivité dues à desproblèmes physiques. Au total, 197 victoiresdans sa carrière, dont la dernière en 1958dans le Critérium de Locarno.Koblet est mort dans la nuit du 5 au 6novembre 1964, au terme de soixante heuresd’agonie, des suites de blessures consécu-tives à un accident de la route où il a percu-té un arbre, sur une route à une vingtaine dekilomètres de Zurich.

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Pedaleur de force, pedaleur de charme

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Quatre-vingt sept années de sprint “impérial”

Marco Blaser rencontre Ferdy Kübler

A gauche:

Kübler dans le contre-la-montre

Genève-Lausanne, 3ème étape du

Tour de Romandie 1953.

Il franchira la ligne d’arrivée à

la 3ème place, derrière Koblet et

l’Italien Pasquale Fornara.

Au classement général, Kübler

terminera 7ème à 9’38” du

vainqueur Koblet.

Sur cette page:

Joie et fatigue se lisent sur le

visage de Kübler après sa victoire

dans le Grand Prix du Locle 1939.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Ma plus récente rencontre avec FerdyKübler remonte à l’automne dernier. Nousnous sommes vus à Regensdorf, un village-satellite de la périphérie zurichoise. Au barde l’hôtel, un projecteur multimédia affi-chait, sur un rythme rapide, une séried’images liées aux moments les plus mar-quants de la carrière sportive de cet athlètepopulaire. Il s’agissait d’un hommage voulupar l’éditeur Schnyder et par Christina, laseconde épouse inséparable de Ferdy, afin decélébrer la fin d’un cauchemar. Au cours del’été, le 27 juillet, trois jours après son anni-versaire, il avait chuté dans les escaliers, cequi lui avait occasionné de multiples lésionsinternes douloureuses. Un accident domes-tique classique qui le contraignit à unelongue série de soins et de séjours dans descentres de rééducation. “Je ne me souvienspas avoir jamais souffert autant. En plus, celam’est arrivé à 87 ans sonnants. Un appel àplus de prudence!”. C’est ce qu’il me dit dansun éclat de rire, me priant de ne pas abuserdes embrassades ou des tapes sur l’épaule.Ma passion pour Ferdy Kübler est née à la findes années Quarante. J’idéalisais ses foliesgaribaldiennes, ses exploits réalisés avec laforce d’un lion (son signe zodiacal) racontés

par les chroniqueurs de Radio Monteceneri:Vico Rigassi, Alberto Barberis et GiuseppeAlbertini. Combattant, lutteur doué d’unevolonté de fer, il me donna alors d’innom-brables journées de bonheur. Je fus fier de savictoire dans le Tour de France 1950 et deson sprint final en 1951 sur la ligne d’arrivéede Varese, qui lui permit de conquérir lemaillot arc-en-ciel. Parmi les championscyclistes, il y avait alors également Koblet,Bobet, Bartali, Coppi et Magni, mais je restaitoujours fidèle à mon choix. Je fus donc par-ticulièrement heureux de le rencontrer enpersonne aux Championnats du Monde deLugano en 53, remportés par Fausto Coppisur la ligne droite de l’aéroport d’Agno. Jem’étais proposé pour assister les chroni-queurs radio étrangers. Je fus affecté àl’équipe hollandaise dirigée par WoutPagano et réussis à convaincre Ferdy dem’accorder quelques minutes pour un directavec Hilversum. Je le retrouvai ensuite auTour de Suisse 1955. Grâce à un concoursréservé aux nouvelles voix, je fus embauchépar la RSI et intégré parmi les chroniqueursradio. Une amitié spontanée née avec EmilioCroci Torti, lieutenant du capitaine, me faci-lita l’accès au monde de l’équipe suisse.J’acquis alors la certitude que le lien qu’ilrevendiquait avec le Tessin était sincère etprofond.

Te sens-tu encore aujourd’hui très prochedes Tessinois?Oui. Le Tessin est ma seconde patrie.Pendant 27 ans, j’ai passé un mois devacances en famille à Lugano-Paradiso, àl’hôtel Beau-rivage d’Ivo Hunh, un ami fra-ternel. A cette période, j’ai approfondi denombreuses amitiés. Il suffit de rappeler lelien né en 1950 avec Emilio, lorsque nousluttions pour la victoire dans le Tour deFrance. C’est chez lui qu’à la veille de la vic-toire de Varese, j’ai mangé un savoureuxminestrone avant de dormir d’un sommeilprofond, probablement à l’origine de montitre de champion du monde. Le passage dela frontière à Stabio est également un souve-nir inoubliable, avec le voyage jusqu’àLugano et l’allégresse sur la Piazza dellaRiforma où des milliers de tifosi s’étaientréunis pour m’acclamer. Je n’ai jamais“séché” le Tour du Tessin, dont j’ai remportéquatre éditions.

Kübler avec Emilio

Croci Torti, au Tour de

France 1950.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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Ta victoire dans le Tour de France fut l’ex-ploit qui a changé ta vie. Paris t’a promu en“Première Division”. Combien as-tu gagnéalors?Le total des récompenses fut divisé à partségales entre tous les compagnons d’équipe.Chacun a reçu environ 5’000 francs. Aprèsl’apothéose du Parc des Princes, j’ai signéenviron quatre-vingt contrats qui ont large-ment compensé les fatigues subies dans lesAlpes et les Pyrénées. En tout état de cause,j’ai gagné beaucoup et je ne me plains pas,même si les sommes d’alors ne sont pascomparables aux prix et aux contrats d’au-jourd’hui. J’ai pu m’acheter un appartementà Zurich et améliorer le magasin de fleursouvert par Rösli, qui était alors mon épouse.Quelques semaines plus tard, l’équipe Tebagme proposa un contrat fixe avec un salairemensuel de 500 francs. Une manne. Je suisdonc satisfait également parce que j’ai putenir éloigné le spectre de la pauvreté quiavait marqué les périodes sombres de monenfance et de mon adolescence.

Quels sont les plus beaux moments dont tute souviens avec le plus d’intensité?Bien évidemment, le Tour. J’avais déjà 31 anset cela m’a permis de faire un bond considé-rable en termes de qualité. Ensuite, lemaillot arc-en-ciel que j’ai pu porter pen-dant une année entière et que j’ai fêté àLugano en raillant les dirigeants de la fédé-ration, capitaines du président Senn. Aprèsm’avoir ignoré pendant des mois, ce derniersortit subitement de sa torpeur légendairepour me convoquer à une joyeuse réception

prévue à Zurich. Je ne répondis pas à cetteinvitation, préférant porter un toast avec unverre de vin sur place, à Lugano. Sansoublier les moments magiques du week-enddes Ardennes, la longue et exténuante cour-se Bordeaux-Paris que j’ai remporté en 53demeure inoubliable. Départ à 1 heure dumatin avec arrivée prévue à 17 heures, après573 kilomètres de course, soit seize heuresde course sans pause. Tout de suite après ledépart, nous nous échappâmes à trois:Ockers, Van Est et moi-même. J’accomplistout tout seul et arrivai en première posi-tion. Une satisfaction intense qui me lia àtout jamais aux exquises bouteilles deBordeaux… suivies, dans l’ordre, par lesexcellents Merlot tessinois.

Tu as souvent gagné au sprint. Je me sou-viens de ton sprint irrésistible que certainsexperts qualifièrent d’“impérial”. Quel est lesecret de cette puissance que tu parvenais àexprimer à l’approche de l’arrivée?Je pense que je la dois en grande partie à undon naturel. Je suis presque toujours arrivésur la ligne droite précédant l’arrivée enayant conservé une certaine réserve. Uneforce psychologique se réveillait alors qui mepermettait de coordonner instinctivementtous mes muscles et de monopoliser, avecune puissance insoupçonnable retrouvée,toutes les énergies encore disponibles. Il estcertain que les duels avec Rik vanSteenbergen demeurent également inou-bliables. Les échappées de l’Espagnol Pobletm’impressionnaient aussi, tout comme cellesde Cipollini aujourd’hui.

Kübler affronte un

virage lors de la 6ème

étape, qu’il remporta, du

Tour de France 1950.

Il parcourut les 78 km

du contre-la-montre de

Dinard à St-Brieuc en

1h57’22”, en distançant

Fiorenzo Magni de 17”.

Cette année-là, il

s’adjugera la “grande

boucle” avec 9’30

d’avance sur le Belge

Stan Ockers.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Comme chacun de nous, tu as vécu aussi desmoments difficiles. Quels furent les épisodesles plus éprouvants?Le plus récent est certainement ma chute decet été. Dans le passé lointain, ce fut égale-ment une chute catastrophique à Davos, oùje me suis fracturé la cloison nasale, détrui-sant ainsi, fort heureusement provisoire-ment, mon symbole le plus cher, mon nez,auquel je dois, outre sa fonction aérodyna-mique, d’importants contrats de sponsoringtel que celui conclu pendant plusieursannées avec l’Assicurazione Nazionale. Lesautres moments difficiles, je les ai tousoubliés. Certes, la sensation de malaise etd’impuissance qui m’a mis K.O. sur le MontVentoux en 55 n’a jamais disparu. Ce n’estpas la côte la plus difficile. Il y en a de pires.Le problème réside cependant dans l’absenceabsolue de végétation, dans le paysage aridequi bloque la respiration. J’étais en duo avecRaphaël Geminiani. Nous avons attaqué lamontée avec une hardiesse indéniable sousun soleil au zénith alors que l’air dans l’inté-rieur de la Provence dépassait 40 degrés. Aun certain moment, j’ai manqué d’oxygène.J’ai commencé à zigzaguer, puis j’ai dûmettre pied à terre. Je me souviens d’unesouffrance indescriptible. Ce fut le momentle plus douloureux.

D’une certaine manière, cet épisode marquale début de ta phase descendante. Cette étapedemeure en outre liée à une singulière prisede bec avec Raphaël qui t’aurait averti que leVentoux n’était pas un sommet comme lesautres. Il paraît que tu n’aurais pas acceptéce conseil, répliquant à ce compagnond’échappée que si le Ventoux n’était pas unsommet comme les autres, Ferdy non plusn’était pas un athlète comme les autres…Une histoire complètement inventée pardeux journalistes de choc d’un quotidienpopulaire français qui cherchaient à me dis-créditer. Geminiani lui-même l’a confirméau microphone de Briquet, le légendairereporter français. Plusieurs histoires m’ontété attribuées au fil des années. J’ai malheu-reusement dû apprendre à vivre avec ce typede perversion journalistique.

Les commérages n’ont en revanche jamaiségratigné ta relation avec Emilio Croci Torti.Emilio a été un coéquipier de grandeconfiance, indispensable à mes yeux. Noussommes à jamais liés par une forte amitié.En différentes circonstances, il a égalementsu gérer certaines polémiques insidieuses.Emilio m’a donné beaucoup. J’espère avoirréussi à lui faire comprendre combien il aété précieux pour moi, aussi bien durant ma

Tour de France,

18 juillet 1955,

11ème étape entre

Marseille et Avignon:

Kübler est victime

d’une crise en gravis-

sant le Mont Ventoux.

Il franchira la ligne

d’arrivée en 42ème

position, accusant un

retard de 26’19”, et se

retirera de la course.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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carrière sportive qu’après. Quand il gagnal’étape finale du Tour de Suisse en 52, arri-vant seul au vélodrome d’Oerlikon, je fusheureux comme si c’était moi qui avaisgagné. Je me souviens lui avoir dit au termede l’étape Arosa-Zurich: allez, vas-y! Il arrivapremier et gagna même un porcelet qu’ilréussit à vendre au vélodrome, peu de tempsaprès le tour d’honneur, pour 350 francs. Jen’oublierai pas non plus l’excellent rapportque j’ai entretenu avec Bartali. C’est lui quim’a recommandé auprès de Fritz Dietrich del’équipe Tebag, provoquant ainsi mon divor-ce d’avec Cilo. J’ai souvent rencontré Bartaligrâce aux généreuses initiatives d’Emilio.Dietrich fut également mon conseiller finan-cier après la fin de ma carrière. Il fut un per-sonnage important, surtout dans ma vied’après le sport, que j’ai su affronter sansmanager ni agent!

Les envoyés ont souvent donné libre cours àleur fantaisie en amplifiant ou en inventantdes conflits avec Koblet. Je n’ai cependantjamais eu pour ma part l’impression quevous ayez été ennemis.Hugo et moi avons été rivaux, mais pas enne-mis. Nous avions des caractères et des per-sonnalités différentes. Lui citadin, élégant,fréquentant le tout-Zurich, habitué de la jet-set, adoré par les femmes et plutôt panierpercé. Pour ma part, je suis né à la campagne,où j’ai vécu dans des conditions relativementpauvres. Avec mes six ans de plus que lui, jele considérais comme un petit frère et je n’aijamais été jaloux de ses exploits. Nous avonsété de bons camarades et nous avions de l’es-time l’un pour l’autre. Je dois mêmeadmettre que sans Hugo, je ne serais jamaisdevenu le “Ferdy National”. Grâce à lui, j’aidéveloppé cette énergie qui m’a porté à plusde 150 reprises sur la plus haute marche dupodium. Je dois beaucoup à Hugo, et sa fintragique m’a profondément peiné.

Après avoir mis un terme à ta carrière profes-sionnelle, tu t’es consacré à d’autres sports.Selon quels critères as-tu effectué ces choix?Jusqu’à mon 75ème anniversaire, je faisaispresque tous les jours une quarantaine dekilomètres à vélo. Ensuite, le trafic et le peude considération dont les automobilistes fontpreuve à l’égard des cyclistes, conjugués aumanque de pistes cyclables, m’ont convaincude raccrocher la bicyclette. Entre cinquanteet soixante ans, j’ai été moniteur de ski. Etc’est sur les pistes de ski de Davos que j’aiconnu Christine, mon épouse actuelle, à quije dois ma reconversion dans le golf.

Vous êtes très liés et admirés pour cela, voiremême parfois un peu enviés.Je suis heureux de vivre avec elle. Elle m’ai-de, me comprend, me supporte et cuisinedivinement bien. Malheureusement, sur lesterrains de golf, elle me bat presque tou-jours. Elle s’occupe même de ma paperasseet c’est ensemble que nous traitons l’abon-dant courrier que je reçois.

Je sais que tu reçois toujours de nombreuseslettres et demandes de dédicaces, et que tuconserves ta belle écriture grâce auxréponses personnalisées.Oui, et j’en suis fier. C’est mon père qui m’ainculqué l’importance et le plaisir d’avoirune belle écriture. Et du fait, c’est une acti-vité qui ne me pèse pas. Un journaliste alle-mand a fait un singulier calcul pour décou-vrir combien d’autographes j’avais distri-bués durant toutes ces années. Il est arrivé àun million et demi de signatures. Il a proba-blement raison.

Au fil des années, tu as rencontré de nom-breuses personnalités. Lesquelles t’ont laisséun souvenir particulier, une empreinte?Sans aucun doute, le Général Henri Guisan.Il a fait son service actif durant la DeuxièmeGuerre mondiale et lorsque j’ai remporté le

A droite:

Kübler et sa femme

Christina à l’occasion

des festivités données

pour son quatre-

vingtième anniversaire,

le 24 juillet 1999.

En bas:

Kübler, de légende du

cyclisme à moniteur de

ski pour un groupe de

jeunes gens à Lenk.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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Tour de Suisse en 1948, alors qu’il était déjàà la retraite, il est venu me serrer la main.Un geste qui m’a ému. J’ai eu l’occasion derencontrer de nombreuses figures du mondepolitique international et national, mais éga-lement des personnalités du secteur desaffaires et bien évidemment beaucoup dejournalistes. J’entretiens encore des rapports

sporadiques avec un grand nombre. Parmiles rencontres les plus singulières, je me sou-viens de la visite que me rendit la champion-ne du monde d’accordéon Yvette Horner. APau, elle est venue dans la chambre d’hôtelque je partageais avec Emilio afin de mejouer un petit concert que j’ai énormémentapprécié. Les rires avec le clown Grock et lesconversations avec le Sherpa Tensing, quiavait vaincu l’Everest, sont égalementmémorables. J’ai également bien connu BudSpencer et Achille Compagnoni. Nous avonsdîné avec eux à l’initiative de Bartali etd’Emilio Croci Torti. Enfin, j’aimerais évo-quer l’indomptable entrepreneur Andy Rihs,de Phonac.

Je sais que Rihs est un de tes admirateurs.Acteur du monde des entreprises actuel, ilest malheureusement impliqué dans lestristes affaires de dopage. Comment juges-tuces pages douloureuses qui jettent le discré-dit sur le monde du cyclisme. Vous, àl’époque, comment vous comportiez-vous?Je trouve courageuse la décision de Rihs quien a terminé avec le cyclisme en dissolvantl’équipe qui comprenait une vingtaine decoureurs et plus de 70 employés tels que desmasseurs, mécaniciens, médecins, adminis-trateurs. Le dopage est malheureusementune plaie qui pénalise le sport en général etle cyclisme en particulier, également parcequ’il est plus vulnérable que les autres disci-

plines. Le comportement de trop nombreuxathlètes est irresponsable. Le scandaleux flé-chissement trouva ses origines dans laseconde moitié des années soixante et coûtala vie, justement dans les virages du MontVentoux, à Tom Simpson. Des simples pas-tilles, on passa bien vite aux injections et àtoutes sortes de stimulants jusqu’à en arri-ver à l’Epo. Une évolution tragique, absurde,autodestructrice également parce qu’elleimplique, au-delà des professionnels, lesjeunes, les “poulains” et les amateurs.Bartali disait qu’on gagnait une course endormant bien. J’ai toujours suivi ses conseilsen ajoutant des entraînements très stricts eten buvant des litres de jus d’orange pouravoir la réserve de vitamines indispensable.J’espère quoiqu’il en soit que l’on réussira àclore cette mauvaise passe pour revenir à uncyclisme propre. Il est probable que l’ondevra courir davantage. Emilio dit souventqu’il a fait au moins quatre ou cinq fois letour du monde à vélo. J’ai moi-même par-couru l’équateur entre sept et huit fois. Anotre époque, la saison commençait à la mi-mars avec Milan-San Remo pour se terminerfin octobre par le Tour de Lombardie, sansparler des Six Jours, des réunions hivernalesou des défis de cyclo-cross. Aujourd’hui,c’est en revanche à qui se concentrera surun rendez-vous spécifique de la saison etpour émerger à ce moment-là, il se permettout, sans scrupules! Si nous voulons sauverle cyclisme, il faut intervenir avec fermeté.Le geste de Rihs est donc particulièrementcourageux et significatif. J’espère qu’il nerestera pas le seul et unique. N’oublions pasque la médecine sportive a malheureuse-ment relégué le cyclisme au rôle de patient àl’agonie.

A l’instar de l’indestructible “Ferdy National”,j’espère que l’avenir nous offrira cette renais-sance lumineuse et tant attendue du cyclis-me. Je serais heureux de pouvoir retrouverFerdy Kübler aux mondiaux sur la route deMendrisio en 2009 et de porter un toast aveclui à son quatre-vingt-dixième anniversaire,désormais proche.

A gauche:

Un geste de cama-

raderie entre Kübler

et Koblet, au Tour de

Suisse 1955.

Sur cette page:

Emilio Croci Torti,

Ferdy Kübler, Gino

Bartali et Achille

Compagnoni au

vernissage d’une

exposition de Croci

Torti en 1994.

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Pedaleur de force, pedaleur de charme

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Fragments de réalité, de mémoire et d’imagination

par Sergio Zavoli*

A gauche:

Cyclistes et arbres en file indienne

le long de la piste.

Sur cette page et les suivantes:

Cyclisme “bucolique” d’un temps

lointain.

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Ferdy Kübler et Hugo Koblet

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Une grande Banque, caractérisée par sa ten-dance civique à partager, dans le cadre de lacommunauté, les raisons de l’identité cultu-relle et sociale du territoire, a jeté un regardtout sauf fortuit et distrait, sur un aspect dela vie collective définitivement entré dans lescoutumes modernes: je veux parler du sport,et en particulier d’une discipline parmi lesplus populaires, le cyclisme, un petit mondemythique dont l’histoire est arrivée jusqu’ànous malgré une grave série d’incidents deparcours qui ici et là, en ont défiguré l’ima-ge. Il est naturel que, voulant prendrecomme représentants de la partie légendaireet sans tache de cette histoire deux athlètesde la Confédération Helvétique, le choix sesoit porté sur deux champions, Kübler etKoblet, qui ont représenté leur patrie defaçon exemplaire.Je les ai connus tous les deux lorsque com-mença le record de Bartali et Coppi. Mais lepremier de mes nombreux Tours d’Italie (en1954) vit la victoire, contre tous les pronos-tics, justement d’un coureur suisse, Clerici,un inconnu qui en une seule étape - rem-portée avec une avance astronomique,compte tenu du peu de crédit que lui avaitaccordé le “serpent multicolore”, c’est-à-direle peloton dans le langage des initiés - prit latête du classement pour ne plus la lâcherjusqu’à Milan.Kübler et Koblet pouvaient être comparés àBartali et Coppi: le premier, plus robuste,obstiné et généreux, ressemblait au cham-pion toscan; le second, plus élégant, énigma-tique, moderne, rappelait le champion pié-montais. A la différence que Kübler passaitplus en force quand Koblet se servait davan-tage de sa tête, exactement comme leurshomologues italiens, tant et si bien queseule leur façon de se tenir sur la bicyclettedistinguait les deux paires: puissance pour lapremière, style pour l’autre. Koblet avaitcertaines manies, comme Anquetil: parexemple, il se recoiffait souvent, faisaitattention à sa façon de se comporter dans sesrapports avec les collègues, les journalistes,les tifosi, avait épousé une fille aimable, quiavait l’habitude du monde; tandis queKübler rappelait Nencini, plus expéditif,direct et transparent dans ce qu’il faisait.C’était encore, vous l’aurez compris, uncyclisme “à visage humain”, et pas seule-ment du point de vue esthétique. On ne peut

pas dire qu’il fonctionnait “au pain et àl’eau”, même en ce temps là, mais il parais-sait plus innocent, et en grande partie l’était.Lorsque ce fut la fin de la génération deCoppi et Bartali, puis de Gimondi et Merckx,je conclus mon ultime saison de suiveursans que s’éteigne un amour né sur les bancsde l’école, le jour fatidique où, pour la pre-mière fois, on nous amena voir le Giro pas-ser. Nous prîmes place au bout du pont deTiberio avec deux heures d’avance. Nousavions compris que sur les plaques déta-chées en pierre romaine, les rayons légers dela bicyclette de course, si les coureurs neralentissent pas, cassent. En effet, à peine sefût-il engagé sur le pont blanc et voûté quele Giro se mit en file indienne, comme surun sentier; et ce fut ainsi que, progressantlentement, prudent, il nous permit de profi-ter du spectacle le plus longtemps possible.De l’éblouissante apparition, pointaientd’abord les têtes, puis les épaules, suivies desbras et enfin du coureur tout entier avec sestuyaux croisés sur la poitrine qui lui don-naient un air de martyr. Et quand le pelotonpassa devant nous, nous le regardâmes ensilence, foudroyés, presque comme si nousavions assisté à l’arrivée de Constantin auPont Milvio, les troupes précédées par uneexplosion d’enseignes, de bannières et dedrapeaux. Sur toute cette peine ne manquaitque la croix. Cazzulani passa une fois entête, si fier d’inaugurer la file; avec ce nom

d’ouvrier, et illuminé par les routes d’Italie,voilà à quoi ressemblait le monument pourle coureur; et nous, habitués à ce privilège,une fois l’évènement terminé, nous espé-rions revivre ce charme l’année suivante, sijamais le Giro devait repasser le long de laconsulaire, à travers le pont, un jour d’écoleet de soleil.

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Pédaleur de force, pédaleur de charme

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Le Giro, en somme, avait quelque chose dereligieux. Son apparition me reconduisit àce que j’avais vu dans la Chiesa dei Servi,dans un ex-voto: les nuages traversés par desrayons de soleil, le miraculé touché en plei-ne poitrine par un dard lumineux, et desanges à couronne, les yeux renversés, dansune lumière céleste.Les coureurs, debout sur le guidon pour nepas peser sur les roues, profitant de l’allure,tiraient de leurs besaces le repas préparé parles mécaniciens et les masseurs. Une fois lepont passé, la voie s’ouvrait aux jeux de lacourse: soudain, devant tout le monde, sur-gissait un coureur et le Giro ressentaitcomme un frémissement qui en un instant,le bouleversait. C’était le moment où lescoureurs se débarrassaient de ce qui étaitresté dans les grandes poches de leurmaillot; je me souviens que finissaient ainsidans les fossés les bananes, que leurs enfantsne voyaient jamais, même à Noël. Les cou-reurs plus âgés, volontairement, ne lesjetaient que lorsqu’ils apercevaient un grou-pe d’enfants, créant sur le bord de la route devives et bruyantes cohues.Chacun de nous avait une mission fonda-mentale pour l’avenir de la course: jeter del’eau sur les visages desséchés des coureurs,leur annoncer au moyen d’une pancarte, lenombre de kilomètres restant à parcourir,agiter un drapeau rose, la couleur de l’en-gouement, au moment où il passerait,tendre comme un pétale, premier au classe-ment. Pour ma part, je devais surveiller leschiens - afin qu’ils ne traversent pas la route- et je me sentais le garant de la sécuritégénérale, et tout particulièrement, je leconfesse, de celle des champions que j’ai-mais le plus. L’envie de les saluer était telleque dans l’angoisse de les voir, je finissaispar fusionner le tout dans une seule vaguede couleurs, sans queue ni tête.Quand la caravane était entièrement passéeet qu’au loin sur la route, disparaissait letout dernier side-car avec trois énergumènesà bord - grosses lunettes jaunes et cache-poussière blanc - payés pour avertir que der-rière, il n’y avait plus rien, on restait là ensilence, incapables de s’en aller. Etait-il pos-sible qu’il n’y ait plus rien à attendre, à voir,à crier? Que tout soit fini en un éclair?Alors, une fois la course disparue, nousrepartions paresseusement sur la route. Les

chiens, sortis des fossés, s’unissaient à laconfuse dispersion de leurs maîtres: c’étaitbel et bien terminé, on pouvait repartir, versune solitude qui semblait définitive.J’en entends certains qui protestent, maisj’insiste: le cyclisme n’est pas véritablementun sport! Ou s’il l’est, il a une nature si vagueque le plus apte à en parler semble être celuiqui sait en tirer des métaphores, en définiti-ve celui qui le dénature, peut-être par amour,

en en faisant quelque chose d’irréel.Nietzsche disait que “les faits n’existent pas,si ce n’est à travers leurs interprétations”:c’est peut-être une idée qui s’applique auGiro d’Italie! A la belle époque, j’en auraistiré un débat sur le plateau du Processo alla

tappa, où j’en aurais dit et entendu de toutesles couleurs. De cette scène, d’autre part,fusaient des séries d’hypothèses qui avaienttoutes en commun “le maximum de possibi-lité poétique permise au corps humain”,comme Alfredo Oriani, exagérant volontaire-ment, appelait la bicyclette.Le Processo, alors, avait comme accusés,disait-on, des hommes et des comporte-ments, des erreurs et des habitudes qui reflé-taient peu ou rien ce qui est arrivé progressi-vement par la suite. Au point de devoir pen-ser, aujourd’hui, que le terme sport, lorsqu’ilne désigne pas une activité personnelledésintéressée - de l’amateur en somme - maisl’ensemble des disciplines professionnellesrécupérées, administrées et contrôlées pardes organismes institutionnels juridique-ment reconnus, revêt des significations non-conformes à l’éthique olympique. Je suisdonc persuadé que le sport, tôt ou tard, nedevra concerner que les activités amateurs,et non plus toutes.Le lecteur se demandera si celui qui avanceune proposition aussi radicale, en l’occurrence

Vers le Grand Prix de

la Montagne parmi la

foule.

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le soussigné, a les “sens en éveil”, commel’écrivent les médecins dans leurs bulletins,ce qui signifie plus vulgairement, avoir ounon la berlue. Reste qu’un mot né et grandidans le monde anglo-saxon, pour entrerensuite durablement dans le système decommunication et dans le répertoire cultu-rel, civil, social, éducatif de la moitié de laplanète, après un siècle et demi, est à ce pointprécipité par la hauteur de son archétypepour me pousser à croire qu’il faudrait enreconsidérer le sens. Il me prend la volontéde prononcer cette sorte de phrase au nomd’un tribunal éthique qui, sans avoir un siègeinstitutionnel - si ce n’est dans la consciencede l’humanité sportive - juge au nom d’undélit que, j’en demande pardon au droitcodifié, je qualifierais d’appropriation indue.Avec la circonstance aggravante du retentis-sement du mauvais exemple, qui a polluél’esprit institutionnel d’une activité humai-ne importante du point de vue civil, pédago-gique et spirituel; jusqu’à corrompre l’orga-nisme à but non lucratif par excellence, lesJeux Olympiques, toujours plus enclins àprendre une dimension paraprofessionnelleoù le “no-profit” a laissé place - que dis-je, agrand ouvert les portes - aux règles du mar-ché, de surcroît en ajoutant l’erreur la plussournoise et inavouable: le dopage. A Turin,lors de la grandiose, raffinée et difficilementégalable cérémonie d’ouverture des Jeuxd’hiver, les plus hautes instances du sportolympique ont pour la première fois intro-duit dans leurs discours, officiellement, le

mot “drogue”! Je me demande pourquoi,après les scandales survenus justement àl’ombre des cinq anneaux - les “muscles gon-flés” par les anabolisants des athlètesd’Extrême-Orient et d’Europe de l’Est, lestransvasements sanguins et l’usage de l’éry-thropoïétine chez les cyclistes européens, lescent additifs pharmacologiques fournis parles alambics de la science et les mille mix-tures introduites à la va-vite par les sorciers -on a continué à prononcer le mot sport,n’importe où, comme si, face à la contamina-tion et à la corruption qui règnent désormais,il soit normal de sauter à pieds joints dans detels abîmes d’indignité, du reste recherchée,poursuivie, condamnée publiquement, avecun air courroucé et un flux de moralisme àfaire pâlir Tomàs de Torquemada, dont onconnaît l’inflexibilité. Et même, comme lephénix, ce mot de cinq lettres, une pourchaque anneau olympique, est ressuscitéchaque fois de ses cendres en recommençantà occuper ce qui désormais semble lui reve-nir, de droit, de tous les points de vue: juri-dique, social, politique, économique, cultu-rel, éducatif, etc. Et vraisemblablement, sauftsunami bouleversant, cela continuera ainsi,ou pire, l’athlète étant de plus en plus dis-tant de l’homme, par rapport à l’époque oùle sport était encore “une école de la vie” etque ce qui comptait - pour reprendre la trèscélèbre devise de De Coubertin - n’était pasde gagner, mais bien de participer. Même lesathlètes des pays pauvres n’y croient plus -les seuls qui continuent à exprimer le “sport

Les tournants…

la montée.

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nu et cru”, comme l’appelait mon ami GianniBrera, spécialiste de la morphologie sportive,c’est-à-dire du geste athlétique et de son rap-port avec le corps et j’ajouterais, avec l’esprit- à commencer par les Africains, les cham-pions pieds-nus, agiles et véloces comme desguépards, fondistes comme les gnous etenfin mythiques comme le héros duMarathon ou le porte-flambeau d’Olympie -,que l’on peut encore rencontrer dans lescourses solitaires sur les hauts plateaux duKenya; et je me souviens ici de l’EthiopienAbebe Bikila, la chronique olympique la plusappréciée de l’année 1960, dans ce luxuriantcoucher de soleil romain: une race qui s’estéteinte avec la naissance de la suprématietélévisuelle, qui marqua le début de la conta-mination et de la tolérance, en plus d’ajouterdes vains espoirs, et des cibles, à la collectiond’échantillons des uns et des autres.Peu utiles furent les découvertes de Lascaux- en France, mais également en Afrique et enAustralie - de graffitis reproduisant les céré-monies rituelles d’il y a 30000 ans, qui repré-

sentaient les “jeux” avec des bras et desjambes uniquement; ou bien en Libye, lareprésentation des hommes prêts à tirer àl’arc, une épreuve où on l’emportait en fonc-tion de la survie, ou la pêche, en Egypte avecles Pharaons qui n’étaient pas seulementspectateurs, mais aussi arbitres, parcequ’alors arbitrer signifiait se porter garantd’une lutte symbolisant en soi le caractèresacré de la vie. Rapidement, vous verrez,même les disciplines du go-kart et du para-pente deviendront olympiques; il y en a déjàqui ont eu l’idée téméraire de donner unedignité sportive à la course à reculons, etpourquoi pas même au tir à la fronde, auboomerang, à la sarbacane, qui sait!Nous ne serons pas si aveugles pour nouspriver de la beauté sans tache que nous offrel’authentique spectacle olympique, en com-mençant par l’athlétisme, et de la mêmefaçon nous ne renoncerons pas au théâtreprofessionnel - football, cyclisme, automobi-le, motocyclisme, basket, etc.– qui possèdetout ce qu’il y a de plus populaire que peut

Souplesse avant la

bagarre.

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exprimer l’esprit de compétition individuelet “d’équipe”; nous ne nous laisserons pasnon plus envoûter par l’irruption de l’argentet des drogues - avec leurs pièges - pour évi-ter que la moitié du monde ne déserte! Ilrestera cependant l’humus qui tire sa sèvedes pages de Pindaro - vainement tournéesen dérision par Aristophane - que l’onretrouve dans l’Histoire des Olympiades deStefano Jacomuzzi, qu’un arbitre au-dessusde tout soupçon, Claudio Magris, nousrecommande au nom de l’incorruptibilitéqui a survécu.Dans mon expérience sportive, acquise dansune discipline comme le cyclisme, scandali-sant la moitié du Giro, j’écrivis que lerecours au dopage des plus infâmes lui enle-vait la dignité d’un sport. Pour justifiercette phrase, je m’inspirai des paroles d’unpoète amoureux de la bicyclette, AlfonsoGatto, mais terrorisé à la seule idée d’ymonter. Un jour, touché par la beauté duGiro, il dit: “Et maintenant je tomberai, jetomberai jusqu’au dernier jour de ma vie enrêvant que je vole!”.Le tournant le plus dur, je le confesse, futcelui de voir comparer les indignités du foot-ball et du cyclisme. Là, je me suis rebellé.L’idée d’assimiler deux mondes si profondé-ment différents, à tous les niveaux, m’a toutd’abord indigné, avant que je ne doive accep-ter beaucoup de choses, tout en voulantconserver au cyclisme le record de la peineet du sacrifice, de la constance et de la dévo-tion. La façon même de se battre et degagner est complètement différente. Alorsque dans le foot, il est normal de penserqu’un résultat peut dépendre du strabismed’un juge de ligne ou d’un arbitre, la victoiredu coureur cycliste est on ne peut plussimple à authentifier: sur une ligne blanche,fixée par la ligne d’arrivée, la victoire dépendde la roue qui la franchit en premier, duchronomètre, du sprint final, mais égale-ment de l’échappée, de la montée et de ladescente, de l’incident mécanique et despièges de la route, du gel et de la canicule, dela faim et de la soif. Un pacte tacite de crédi-bilité et de confiance lie les “géants de laroute” à leur public. Mais si l’on suspecteque le succès est dû à une fiole, à la phlébo,à la transfusion, le pacte court à sa perte,l’épique part à la dérive, l’éthique en fumée.Un monde très aimé, en somme, est taillé en

pièces. Ce n’est pas comme si il n’y avait paseu, ici et là, de raisons de s’alarmer, d’allu-sions, de demi-vérités et même de scandalescomme celui qui a touché un grand cham-pion ovationné, Marco Pantani, mais nous necroyons pas que la loi contre le dopage, vou-lue selon les dires de tous, ait servi d’arme dedissuasion. Pas du tout ou bien très peu.Ainsi vont les choses, c’est-à-dire qu’une fois

le couvercle de la grande marmite soulevé, ily a le risque de ne trouver plus rien: ni à pré-venir, ni à réprimer. Dans l’intérêt surtoutdes coureurs dits “propres”, victimes d’unsystème qui a perdu la boussole, il faudrabien, tôt ou tard, remettre tout à zéro etrecommencer du début: à commencer parles enfants que je vois le dimanche matin enfile sur le bord de la route, serrés dans leurmaillot, et que j’aurais envie d’embrasser,tout comme leurs bicyclettes, plus légères etsilencieuses dans l’air. Il faudra ensuite qu’une fois devenus ath-lètes, ceux-ci s’engagent à respecter un codeéthique; en outre, les techniciens, médecins,dirigeants et autres journalistes devront euxaussi suivre des obligations précises. On nes’attend pas à ce que les intérêts considé-rables en jeu actuellement se convertissentspontanément à la morale sportive, maisqu’ils soient incités, ou contraints, à enaccepter les règles, si ce n’est par crainte dedétruire leur machine à profit. Sera-t-il en-core possible de conjuguer cyclisme et trans-parence? Est-ce une utopie? Sommes-nousallés trop loin pour pouvoir faire marchearrière et tout recommencer différemment?Et pourtant, un écrivain spécialiste du sport,Eduardo Galeano, a dit: “L’utopie est commel’horizon, inatteignable, mais elle permet decontinuer à avancer”.

Bicyclettes et tifosi se

pressant pour assister

au passage du champion.

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Je suis tellement imprégné du souvenir ducyclisme de mes années et si marqué par lafaçon dont nous le vivions, qu’il suffit d’unsoubresaut pour réveiller une jeunesseenfouie on ne sait où. Et je ne crois pas êtrele seul à penser ainsi. Je me souviens, parexemple, que chacun de nous racontait unecourse qu’il faisait sienne, différente de celledes autres. Déjà à cette époque, je pensaisqu’on ne pouvait pas résumer le cyclisme àun simple aspect technique. Au moins troisécrivains et un poète avaient pensé à dédierà Coppi quelque chose qui allait au-delà del’intérêt sportif, cet “on ne sait quoi” d’ex-traordinaire que suscitait le champion: jeveux parler ici de Buzzati, Vergani, Mosca etGatto. Mes quatre compagnons d’aventure,chroniqueurs par amour, me signalèrent un

roman entre le réel et l’imaginaire, dont lehéros était un personnage à la fois réel etmythique. Cela pourra sembler excessif, etcependant il furent des années - je m’adresseici aux plus jeunes - où Coppi habitait véri-tablement dans l’imaginaire des gens, jus-qu’à laisser croire qu’il ne s’agissait plusd’un coureur, même exceptionnel, maisd’une apparition extraordinaire dans lepanorama, pour ainsi dire, des possibilitéshumaines. Si l’on ajoutait ensuite l’énigmede sa mélancolie et de sa malchance - et unevague pâleur au fond de son âme - on obte-nait le portrait d’un homme parfait pour leroman. Du reste, c’est tout un peuple quiadhérait à la beauté de ces Giri. Y compris lesintellectuels qui souvent, faisaient la grimacequand il s’agissait de sport, parmi lesquelsPratolini, Bernari et Pasolini, à l’origine demots incendiaires contre le snobisme de ceuxqui feignaient d’ignorer que Coppi, à samanière, était un héros bien plus littéraireque certains autres personnages imaginaires.

Dites-moi si par exemple le scénario oùBuzzati place l’image victorieuse du cham-pion dans le Giro 1949 n’a pas un caractèrefabuleux: “Et il se retrouva à dévaler la routegraveleuse au milieu du bois. Et le bois étaitdevenu noir. Et noirs les nuages, tout effran-gés en dessous. Des Dolomites, ça et là,quelques roches sauvages, dans le brouillard.Quelque chose lui piqua le visage et lescuisses. De la grêle. Tempête dans les mon-tagnes. Peu à peu, la scène et la batailledevinrent puissantes. Les sévères sapinsfuyaient sur les côtés, tout inclinés en raisonde la vitesse…”.Onze ans plus tard, le 2 janvier 1960, le“grand héron”, comme l’appelait Vergani,mourut. L’incomparable suiveur téléphonad’un seul jet au Corriere: “Fausto gagnaitsans jamais sourire, ne croyant pas totale-ment en lui-même. Il semblait souvent pen-sif, étrangement et fixement à l’écoute d’unevoix intérieure qui lui murmurerait desparoles incompréhensibles, et que la cla-meur des applaudissements de millions despectateurs ne parvint jamais à couvrir. Lamalchance, la guigne, tristes compagnes desanciennes courses sur route, a rompu le filde sa vie trop fragile, tout comme un faiblesouffle de vent rompt le fil d’une toile d’arai-gnée couverte de givre; là, sur les haieshivernales de son village campagnard”. Ilavait la fougue d’un grand créateurd’images, aurait dit un puriste, qui véhicu-lait à la fois le succès et la tristesse, l’écritureet la légende, le lecteur et une clé nouvellepour entrer dans le monde de la bicyclette decourse.Plus tard, on découvrit que c’est FaustoCoppi que Malaparte avait à l’esprit quand ildisait du vélocipède: “cette œuvre d’art, cejoyau de l’esprit”. Et Brera lui-même - ceserait aujourd’hui Mura - fit en course desportraits extrêmement vivants du champion“blanc et bleu” avec la virtuosité des sui-veurs, qui ne réussissaient pas toujours àéviter la répétition, l’emphase, ou dirons-nous, une prose un peu alambiquée. Mais lelangage qui convenait le mieux au cyclismen’était-il pas un mélange de réalité et de fic-tion? Le maître de cette alchimie fut juste-ment Orio Vergani, qui écrivait ses récits dansl’automobile du journal, le carnet sur lesgenoux et le stylo dans la bouche, regardant àtravers la glace pour chercher un adjectif.

Le mur… le pavé.

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Puis, à la fin de l’étape, il faisait dicter l’articlepar un jeune collaborateur, Walter Breveglieri- un excellent photographe de Bologne dis-paru depuis quelques années - le seul de lacaravane capable de s’en tirer avec cette écri-ture tout en saccades, griffonnages, nœuds,pattes, qui se déroulait sur le côté droit de lafeuille en une colonne bancale, de plus enplus fine, jusqu’à se réduire à une ligne dedeux ou trois mots. Un jour, à Montpellier,Breveglieri prit le téléphone et lut: “Mais quiest donc cet enfant brun arrivé tout seul surla ligne d’arrivée?”. Le sténographe duCorriere protesta: “Et c’est à moi que tu ledemandes? On peut savoir qui a gagné?”.Breveglieri, patient, recommença à dicter:“Mais qui est donc cet enfant brun…”. Acette époque, celui qui écrivait à propos dusport pouvait rester dans le vague; et c’estmême la grâce de l’imprécision, disaitFellini, qui confère aux reportages cette qua-lité narrative captivante. Il est aussi vrai quepour divaguer sans nuire aux faits et au lec-teur, il fallait s’appeler Vergani, ou bien luiressembler, et donc être capable d’avoir l’ins-piration, la culture et l’humanité nécessaires,en accueillant la réalité dans l’imaginaire etvice versa, en fonction du pli pris par l’évène-ment ou l’humeur. Breveglieri en parla pen-dant des années, frisant probablement ladévotion. Un autre reportage - rappelait-il -avait ce problématique incipit: “Je dois vousparler du vainqueur de l’étape ou des vins deBourgogne?”.Mais ensuite sortaient de sa plume d’extra-

ordinaires récits qui virevoltaient et se per-daient dans des fuites et des rappels inces-sants, où le fait était toujours au centre, sou-verain. C’est ainsi que même ceux quin’avaient jamais aimé le sport commencè-rent à le lire, et que ceux qui, bien qu’ama-teurs de cyclisme, n’avaient jamais pensé àécrire à son sujet commencèrent à s’enoccuper.Maintenant que le cyclisme a disparu demon métier, Enrico Ghezzi me l’a rendu; etnul ne sait combien d’émotions ont étécomme déterrées. Les bandes des archivestélévisuelles nous montrent ce qui est sortide nos mémoires, pour ne pas dire de petits,presque invisibles suicides de la mémoire.Dans un énorme coffret contenant des mil-lions de bandes, il n’existe pas un seul,désormais diaphane, souvenir commun: cequi renaît d’une fois à l’autre, c’est la possi-bilité de le replacer dans le passé de chacun.Il m’est arrivé, il y a un certain temps, derevoir un Processo alla tappa, vieux de plusde trente ans, dont le “grand âge” forçait unpeu l’indulgence et pour ma part, égalementla sympathie. De ce blanc et noir un peuvieillot - avec la croyance naïve qu’il vibraitencore à l’intérieur - il ne transparaissaitaucune contradiction, pas même esthétique.Il ne s’agissait, bien sûr, que d’un “frag-ment”, c’est-à-dire moins qu’une pièce àpart entiêre, mais en même temps, pour uneraison mystérieuse, il allait se reconnecteravec une sorte de “besoin” survivant, intaris-sable, harmonieux de ces images, et donc de

En route pour la

victoire.

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cette époque et de ces histoires.Je vis ce programme vers trois heures dumatin, l’horaire attribué à Ghezzi pour ses“incursions d’auteur”. Une chose destinéeaux noctambules, aux perturbés, aux insom-niaques. Il s’agissait d’un Processo consacréau dopage.Je me souviens avoir pensé, en éteignant letéléviseur: “S’il est encore temps, cyclisme,sauve-toi. Sous peine, dans quelque temps,de n’être plus un sport, sauve-toi! Regarde lefootball!”.Et maintenant, un grand merci à la BancaPopolare di Sondrio (SUISSE) pour nousavoir ramenés à la lointaine humanité des“pédaleurs”, des “géants de la route”, commel’écrivit Eugenio Montale, grand poète éga-lement du hasard. Celui-ci avait cependantété précédé, sur l’innocence, par un toutaussi grand collègue français, StéphaneMallarmé: “L’incrédulité n’a pas de génie!”,cria-t-il sous l’effet d’un Chably grand cru àun groupe de pessimistes, de ceux que chezmoi en Romagne, on appelle les “nonistes”.Parce qu’ils répondent toujours et dans tousles cas, “non”. Mais peut-on vivre en se res-pectant si l’on ne croit pas que nous seronscapables de “faire renaître” - nous aussi -“toutes les choses?”.

* Journaliste et écrivain, alors Président de la RAI

Les légendes et la recherche des citations pour les images théma-

tiques qui accompagnent le Rapport d'Exercice sont le fruit du tra-

vail de Pier Carlo Della Ferrera.

Nos remerciements à Monsieur Emilio Croci Torti pour la docu-

mentation photographique qu’il nous a fournie.

Les textes n’engagent pas la Banca Popolare du Sondrio (SUISSE)

et reflètent la pensée de l’auteur.

Sources et références photographiques:

Archive photographique RTSI, p. III.

Emilio Croci Torti, p. X, XX, XXIV, XXIX, XXXI.

Photo-net, p. I, VI, XII, XVIII, XXI en haut, XXVIII

Ferdy Kübler, p. VIII, XXIII, XXVII en bas, XXXII, XXXVI

L'Equipe/EQ Images, p. II, V, XIII, XV, XXV, XXVI, XXXVII, XXXVIII

RDB, p. IV en bas, XIV, XVII, XIX, XXVII en haut

Hans Riniker, p. IV en haut

Walter Scheiwiller, p. VII, IX, XI, XXI en bas, XXII, XXX, XXXIII,

XXXIV, XXXV

La Banca Popolare di Sondrio (SUISSE) reste à la disposition des

détenteurs des droits des images dont les propriétaires n'ont pas

été identifiés ou retrouvés, dans le but de remplir les obligations

prévues par la règlementation en vigueur.

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En couverture:

Dino BUZZATI,

Non tramonterà mai

La fiaba della bicicletta

(L’histoire de la bicyclette

ne se terminera jamais),

dans “Corriere della Sera”,

14 juin 1949

Détail de l’affiche “Cycles Météore”

Artiste: Georges Faivre

PROJET ET COORDINATION

SDB, Chiasso