pdf radio

Embed Size (px)

Citation preview

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 1

Hors Srie n5 | Avril 2003

Radios communautaires en Afrique de lOuestGuide lintention des ONG et des bailleurs de fonds

Stphane Boulch

COTA asbl | 7, rue de la Rvolution | 1000 Bruxelles

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 3

Table des matiresQue contient ce guide ? Introduction Chapitre I - Remise en perspective historique et dfinitions I-1 I-2 1-3 La communication et le dveloppement : les deux faces dune mme pice ? La radio pour le dveloppement en Afrique : lvolution des pratiques avantages et enjeux attachs la radio 5 7 9 10 14 17 21 22 27 30 34 35 41 42 42 44 45 49 49 50 50 52 57 59 60 62 64 65 66 69 70 70 71 74 74 75 76 76 78

Chapitre II - La radio communautaire II-1 II-2 II-3 II-4 II-5 Quest-ce quune radio communautaire ? De limportance dune explication pralable des attendus et reprsentations Les fonctions de la radio communautaire Les programmes de la radio communautaire Les paradoxes de la varit du paysage radiophonique ONG et radios : sur la mme longueur donde ?

Chapitre III - Les phases de cration dune radio communautaire III-1 III-11 III-1-2 III-1-3 III-1-4 III-1-5 III-1-6 III-1-7 III-2 III-3 III-4 III-4-1 III-4-2 III-4-3 III-4-4 III-4-5 III-4-6 III-5 III-5-1 III-5-2 III-5-3 III-5-4 III-5-5 III-6 III-6-1 III-6-2 Identification et tude de faisabilit Ltude du milieu Ltude des partenariats potentiels Ltude de la concurrence Ltude qualitative des groupes bnficiaires Ltude de la lgislation Ltude technique Ltude financire Lappropriation de la radio par la communaut Lamnagement des locaux Lquipement Les technologies numriques Linformatique, lInternet et les autres NTIC Les piges du multimdia Lexigence de qualit Gestion et maintenance du matriel Lnergie Organisation et gestion de la radio Statuts et cahiers des charges Lassociation de la radio LAssemble Gnrale Le Conseil dadministration Les Comits excutifs La gestion des ressources humaines Le bnvolat Les rmunrations

Page 4 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

III-6-3 III-6-4 III-6-5 III-6-6 III-7 III-7-1 III-7-2 III-8 III-8-1 III-8-2 III-8-3 III-8-4 III-8-5 III-8-6 III-9 III-10 III-11 III-12 III-12-1 III-12-2 III-12-3 III-12-4 III-12-5 III-13

Les comptences Le recrutement Lvaluation du personnel Les femmes et la radio La formation Les besoins Loffre Lconomie de la radio communautaire Les subsides trangers Les aides publiques Les cotisations Contrats de partenariats Les services Les conomies dchelle La programmation Lintgration dans le tissu associatif et communautaire : des radios mutualistes Rseaux Evaluation de la radio Les critres Les donnes disponibles Les sondages daudience Les mthodes de diagnostic participatif : un nouveau souffle Systmes dcoute et de feedback La radio communautaire comme outil de diagnostic

79 81 82 83 84 85 87 90 90 92 93 95 95 101 101 102 103 105 106 108 110 111 112 114 119 120 121 125 126 128 131 133 135 143 144 145 145 146 146 147 148 149

CHAPITRE IV - identifier un partenaire parmi les radios communautaires IV-1 IV-2 Choisir un partenaire parmi les radios Investir dans un partenariat avec la radio

CHAPITRE V - la radio communautaire facilite les Synergies V-1 V-2 V-3 Un acteur transversal par nature La perle rare Des enjeux politiques

Lgendes des illustrations Annexes Bibliographie Gnrale Communication pour le dveloppement La radio en Afrique. Gnralits Les femmes et les mdias Lgislations et instances de rgulation La radio communautaire et rurale en Afrique NTIC Principaux Sites Internet Rcapitulatif des abrviations

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 5

Que contient ce guide ?Cet ouvrage entend offrir aux ONG et aux bailleurs de fonds des jalons danalyse, des lments mthodologiques et des rfrences susceptibles de les aider mieux connatre les radios communautaires, leur travail, les ralits et les dfis auxquels elles sont confrontes dans lAfrique de lOuest daujourdhui. Le premier chapitre replace lexpansion des radios communautaires dans la perspective de lvolution des conceptions de la communication pour le dveloppement lors de la deuxime moiti du 20me sicle. Cette expansion dcoule dune tendance accrue dans les stratgies dintervention faire prvaloir la participation des bnficiaires et leur appropriation des projets ou programmes de dveloppement. Elle sexplique galement par la volont de plus en plus affirme de la part des populations se doter doutils dinformation et de communication qui correspondent davantage leurs spcificits socioculturelles, conomiques ou politiques et leur permettent de mieux faire valoir leurs propres conceptions du dveloppement. Le deuxime chapitre tente une dfinition de la radio communautaire et veut montrer jusqu quel point son intervention peut faciliter la participation, lappropriation du dveloppement ou lexpression populaire. Contrairement la plupart des mdias, elle est davantage quun outil de communication et dinformation. De par sa nature, son statut social, politique et conomique, cest un acteur local part entire, capable de contribuer linstauration dune puissante dynamique de dveloppement. Elle contient les promesses dun vritable facilitateur de projet mais ses potentialits, trop souvent mconnues ou sous-estimes, sont difficiles valoriser par manque de comptences ou en raison des nombreuses contraintes auxquelles elle doit faire face. Le troisime chapitre propose dapprhender lampleur de ces difficults. Cest loccasion de rcapituler les phases de mise en uvre dune radio communautaire, den voquer les particularits, den rvler les piges, les vices comme les vertus, dattirer lattention sur les aspects qui selon nous semblent cruciaux pour optimaliser son intervention en faveur du dveloppement local. Cet inventaire ne permet pas seulement de prendre la mesure des besoins combler, des capacits renforcer (autant managriales que communicationnelles), il est aussi loccasion de rendre compte quel point les appuis offerts aux stations communautaires peuvent parfois tre inappropris ou sous-dimensionns par rapport ces besoins. La prsence dinstances et de cadres de concertation et de facilitation est primordiale pour dynamiser le dveloppement dune rgion ou dune localit. Saffirmer dans ce rle requiert un dploiement de comptences et de ressources que les radios ne possdent gure. Cest la raison pour laquelle les partenariats doivent tre encourags entre radios et ONG. Toutefois, si des collaborations plus frquentes et troites permettraient sans doute de mieux ajuster les aides et les diverses formes dappui en fonction des priorits des uns et des autres, la solution rsiderait dans une conception globale du dveloppement local. Une intgration vritable de la radio dans le tissu associatif et communautaire engendrerait une meilleure rpartition des responsabilits et des activits sur le terrain ; les cots et les efforts sen trouveraient allgs sils taient supports pour une conomie mutuelle. Aussi allons-nous jusqu plaider en faveur de la mutualisation des radios communautaires.

Page 6 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

Le quatrime chapitre insiste sur le fait que par elles-mmes les radios communautaires, moins de droger la loi ou certains de leurs principes essentiels, ne peuvent que rarement esprer acqurir les qualits qui constituent thoriquement leur plus-value sans appuis extrieurs. Cependant, le manque de comptences, de moyens ou les carences organisationnelles ne font pas delles de mauvais partenaires, mais plutt des outils incomplets et des acteurs affaiblis. Un partenariat entre ONG et radio ne peut se rsumer un simple change de services. Pour tre efficace et produire des effets durables, il doit sattacher cultiver les complmentarits entre intervenants et dans la mesure du possible viser au renforcement des comptences respectives des partenaires. Cest en quelque sorte un investissement. Le cinquime chapitre semploie dmontrer que la radio est un acteur transversal du dveloppement qui, sil a besoin pour subsister et travailler de la conjonction des forces et aptitudes locales, peut galement contribuer les rvler, les cultiver et les dynamiser. Si uvrer lamlioration des capacits organisationnelles locales est un bon levier pour des implantations ultrieures de mdias communautaires ou mutualistes, la rciproque est galement plausible : limplantation dun mdia communautaire peut contribuer lamlioration des capacits organisationnelles locales. Mais ce nest pas seulement en scellant linterdpendance entre des initiatives locales que la radio peut mriter sa rputation de facilitateur de dveloppement, cest aussi parce quen sa qualit dacteur transversal, elle est un rfrent et un alli prcieux pour la conduite des autres projets, pour crer des synergies entre les acteurs.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 7

IntroductionSi on considre demble le dveloppement comme tant la rsultante largement contingente dinteractions entre acteurs, plutt que comme lapport de techniques, de savoirs ou de finances, la communication prend une importance dterminante dans llaboration des stratgies de dveloppement. Une approche rellement concerte et approprie du dveloppement requiert que chaque acteur puisse avoir accs aux moyens et aux informations lui permettant de prendre une part active et quitable dans la conception et la ralisation des projets. Depuis longtemps dj, des panoplies doutils dinformation et de techniques de communication sont dployes afin de faciliter cet accs et on ne compte plus aujourdhui les initiatives ayant pour objectif lappropriation des mdias audiovisuels et informatiques par les populations elles-mmes. En Afrique, la tendance se caractrise en particulier depuis une quinzaine dannes par lmergence de centaines de stations de radio locales et communautaires. Outre quelles permettent effectivement aux populations de sinformer et que, selon la formule consacre, elles librent la parole des sans voix, ces stations sont censes appuyer les initiatives locales de dveloppement. Mais comment cela se peut-il ? Quelles sont la nature et la porte de cet appui ? La liste est longue des manuels techniques destins guider la cration et la gestion des radios communautaires, mais la littrature disponible se consacre peu ltude de la contribution effective de ces mdias aux autres initiatives locales de dveloppement. La capitalisation en la matire dpasse rarement le seuil de lanecdote et les critres sont peu nombreux qui permettent dapprcier le potentiel quils contiennent. Il en dcoule une certaine rticence dans le chef des bailleurs et des ONG locales ou trangres. Or, ces intervenants pourraient, dans de trs nombreux cas, tirer parti de la prsence de ces nouveaux mdias sur leur terrain daction. Car, ainsi que nous tcherons de le dmontrer dans les pages venir, ces stations sont bien plus que de simples outils pour la diffusion dinformations et de messages de sensibilisation. Toutefois, nombreuses sont les ONG qui rechignent les considrer aujourdhui comme des partenaires part entire. Vaincre ces rticences est prcisment lintention du prsent ouvrage. Nous esprons bien sr que les responsables et agents des stations communautaires trouveront dans ces pages matire enseignement ou rflexion, mais celles-ci sadressent davantage aux organisations susceptibles dappuyer une radio communautaire ou dintgrer ses services dans leurs activits. Notre objectif consiste donc dmontrer lintrt des fonctions possibles de la radio pouvant tre mises profit par les ONG et autres structures dappui au dveloppement, tout en suggrant au lecteur des rfrences et des lments danalyse propres lui faire apprcier ces applications, voire de les valuer. Toutes les tapes du montage dune station radio communautaire seront donc passes en revue afin den retirer les lments mthodologiques spcifiques et de mieux rendre compte des diffrents aspects contenus dans un tel projet, les contraintes et les nombreux pralables qui conditionnent son bon fonctionnement. Afin dtayer les informations obtenues dans le corpus de sources disponibles sur le sujet,

Page 8 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

il nous a sembl non seulement primordial de recueillir les tmoignages dacteurs investis dans des projets de radios communautaires, mais galement de visiter sur le terrain des projets en cours. Etant donn lampleur du champ couvrir, nous avons d nous limiter quelques cas rpartis entre le Sngal, le Mali, le Burkina Faso et le Bnin, les quatre pays francophones dAfrique Occidentale les plus rsolument et les plus anciennement engags dans la promotion des radios communautaires. La plupart des considrations dveloppes dans cet ouvrage sont surtout le reflet des situations en vigueur dans ces pays. Cest avec prudence quelles devront tre tendues aux contres voisines car les contextes (tat des infrastructures de tlcoms, prix des rseaux, tat des institutions, degrs de dcentralisation, lgislation sur la presse et les mdias, alphabtisation des populations, situation politique, etc.) sont trs disparates. Il ny a pas non plus de rponse gnrale par secteur dactivit. Chaque projet, dans chaque secteur dactivit, possde sa culture, ses besoins et ses contraintes propres. Que lon ne se mprenne pas sur les mobiles de notre travail. Les radios communautaires sont et doivent avant tout demeurer au service de la communaut dont elles sont issues. Elles ne sont pas l uniquement pour renforcer les capacits oprationnelles dONG ou dinstitutions qui souhaiteraient ventuellement les instrumentaliser. Nous estimons cependant que les unes comme les autres sont confrontes sur le terrain des difficults spcifiques quelles pourraient sentraider surmonter si elles taient en mesure de mieux se connatre. Nous souhaitons simplement proposer des pistes de rflexion susceptibles de faciliter leur collaboration sans que les unes ou les autres ne soient dtournes de leur vocation premire.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 9

Chapitre IRemise en perspective historique et dfinitions

Page 10 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

I-1 La communication et le dveloppement : les deux faces dune mme pice ?Colin Fraser et Sonia Restropo-Estrada dfinissent la communication pour le dveloppement comme une utilisation de processus de communication, de techniques et de mdias qui, en facilitant une bonne comprhension de leur situation et des options de changement qui soffrent eux, aide les gens rsoudre des conflits, chercher la concertation, planifier des actions de changement et de dveloppement durable, acqurir les savoirs et outils ncessaires pour modifier leurs conditions et la socit dans laquelle ils vivent, et enfin amliorer lefficacit de leurs institutions. Les deux consultants subdivisent la communication au dveloppement en trois volets : la communication sociale qui promeut le dialogue, la participation, la mobilisation, le consensus, etc ; la communication ducative qui contribue acqurir des connaissances et des outils ncessaires laction et la prise de dcision ; la communication institutionnelle qui cre un flux dinformations entre partenaires afin de faciliter leur concertation et leur coordination. Aujourdhui, certains parlent plus volontiers de communication pour le changement social. Dcharge de toute connotation dveloppementaliste pjorative, lexpression dsigne un processus de dialogue priv et public par lequel la population dfinit ce quelle est, ce quelle veut et comment lobtenir. Lvolution du concept de communication pour le dveloppement est troitement lie celle des modles de dveloppement. La premire cole se conformait au paradigme de la modernisation qui tenait le modle industriel occidental comme lexemple conomique vers lequel changements de valeurs et dattitudes devaient ncessairement tendre. Lorsqu la fin des annes 60 les agences de lONU se dotent de services de communication dans lintention de faciliter la mise en uvre de projets de dveloppement, les modles en pratique conoivent encore la communication comme un processus de masse, vertical et sens unique destin transmettre des connaissances issues des pays dvelopps vers les pays en dveloppement afin de guider ces derniers vers la modernisation. Dans ce schma, linformation est destine faire comprendre aux gens les objectifs de projets exognes, obtenir leur adhsion et les persuader du bien-fond de nouvelles pratiques sanitaires ou agricoles. Le dterminisme qui sous-tend cette conception suppose quune fois linformation diffuse, les gens doivent logiquement tre amens modifier leur comportement pour tendre vers lidal quon leur offre. Les communicateurs du dveloppement ne sont encore considrs que comme des producteurs censs fournir, la demande des agents spcialiss du dveloppement,1

1

Colin Fraser, Sonia Restropo-Estrada, Communication for Development. Human Change for Survival, I.B. Tauris, London- New York, 1998.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 11

un matriel propre diffuser plus efficacement les messages queux-mmes auront labors. A force dchecs pourtant, ces communicateurs parviendront peu peu faire admettre leurs commanditaires que ce type de communication, souvent trop technique et inadapt, ne tient pas assez compte des complexits du terrain et notamment de la disparit entre les publics, les modes de pense et les comportements. Par la suite, leur mission va davantage consister concevoir et planifier des stratgies de communication. Le besoin dorganiser et de systmatiser ces stratgies va inciter les communicateurs du dveloppement sinspirer du marketing commercial. La notion de marketing social va ds lors merger, dabord dans les domaines de la sensibilisation sanitaire et nutritionnelle. On part de lide qu lexemple de ce qui se ferait pour la campagne de promotion dun produit de consommation quelconque, il est possible didentifier un besoin socio-conomique et daider ensuite les gens le satisfaire pour leur propre profit (et non plus celui dune marque) laide dune opration de communication adquate. Depuis lors, la communication pour le dveloppement intgre des techniques de marketing tels que les principes : de la segmentation du public : les croyances, attitudes et comportements varient en fonction du sexe, de lenvironnement, de lducation, du statut social. Ces diffrences appellent des objectifs de dveloppement spcifiques et donc des approches communicationnelles diffrentes ; de la recherche qualitative : puisquil faut tre attentif concevoir des messages spcifiques chaque segment de la population, il importe au pralable de dterminer les perceptions, attitudes et motivations des segments viss sur un sujet particulier (ex : le focus groupe) ; du test pralable : avant la diffusion dun message, celui-ci doit tre test auprs dun chantillon reprsentatif du public vis. Les notions de monitoring, de feedback et dajustement sont galement empruntes au marketing publicitaire. Paralllement, dautres approches de la communication vont se dvelopper partir du moment o la thorie de la dpendance va commencer contester le bien-fond de la modernisation et faire saillir des conceptions socio-conomiques qui ne privilgient plus uniquement les valeurs matrielles. En 1970, le Brsilien Paolo Freire propose la mthodologie pdagogique de la conscientisation. Il prconise un processus dducation actif stimul, au sein de groupes rduits, par un facilitateur. La communication pour le dveloppement ne permet plus seulement lacquisition dun savoir ou dun outil. Elle stimule le potentiel de changement de la population en contribuant la prise de conscience et en participant sa politisation et son organisation. La tendance va dsormais privilgier des mdias de faible envergure et la valorisation de modes de communication indignes. Le dveloppement va davantage tre peru comme un processus endogne, issu des valeurs et perceptions et autant que possible des ressources propres de la socit. Il doit reposer sur des bases vritablement dmocratiques et requrir la participation de toutes les composantes de la socit. On reconnat galement quil induit des changements dans les

Page 12 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

relations sociales, les activits conomiques et les structures de pouvoir avant que les gens puissent influer sur les dcisions qui les concernent. La communication devient un concept cl du dveloppement. Elle contribue dsormais faciliter la participation. On accorde plus dattention aux besoins et intrts exprims par les groupes-cibles. Sensuit la volont dinverser le flux de circulation de linformation du bas vers le haut. Les stratgies de communication, dinformation et de formation sont de plus en plus bases sur les objectifs identifis par la consultation. Les piliers de la communication participative sont difis. A partir du milieu des annes 80, on assiste la multiplication de projets ayant pour objectif lappropriation des techniques et instruments de communication et dinformation par les communauts elles-mmes. On privilgie les mdias lgers, moins chers et plus facilement manipulables par les non-professionnels. Dabord expriments en Amrique latine et en Asie, les mdias communautaires stendent en Afrique au dbut des annes 90. Aujourdhui, ils ne contribuent plus uniquement aider les gens prendre conscience de leurs problmes et des possibilits dactions dont ils disposent. Au sein des communauts o ils ont t implants, ces mdias stimulent la mobilisation, la concertation et la collaboration entre acteurs de dveloppement prsents au niveau local. Ils favorisent thoriquement linstauration de flux horizontaux dinformation, interactifs, qui intgrent dans un va-et-vient permanent plusieurs, voire toutes les composantes de la communaut. Chacun est suppos tre tantt linitiateur, tantt le destinataire des messages. La communaut entire en est la bnficiaire. En dfinitive, on en arrive aujourdhui considrer que dans la communication pour le changement social, le processus est devenu plus important que le produit. Cest dans le processus de communication et de participation que le changement social commence apparatre . Toutefois, en dpit des progrs accomplis et des innombrables expriences tentes de par le monde, la communication pour le dveloppement est encore mal comprise et matrise. Malgr lintrt croissant quon lui porte, son rle mme est sous-estim ( la fin des annes 90, 2% seulement du total des sommes investies dans le dveloppement taient consacrs des infrastructures de communication et de formation mdiatique). La plupart des partenaires du Nord, quand ils optent pour une aide financire et la ralisation de projets, ninvestissent encore que trs peu de fonds dans la communication ou les mdias de masse. Rdiger Bliss estime que le minimum appropri serait compris entre 5 et 10% des budgets des projets. Communication et dveloppement ne peuvent pas faire de symbiose malgr la ncessit . Bon nombre de projets, mme sils se rclament dapproches participatives, restent cantonns des conceptions verticales de la communication dont la seule vocation consiste vhiculer des messages de sensibilisation et de vulgarisation et des communiqus vers une base passive. Les raisons en sont multiples : mconnaissance des principes participatifs, comptences insuffisantes, faible culture associative, rsistance des structures de pouvoir, rsistances idologiques, mauvaise gouvernance, manque de temps et de ressources, etc. La suite de cet ouvrage nous fournira maintes occasions de revenir sur ces problmes et sur les moyens expriments pour y remdier.3 2

2

Alfonso Gumucio-Dagron, Communication for Social Change : The New Communicator (http://www.comminit.com/streview/sld-5504.html)

Rdiger Bliss, Communiquer pour dvelopper. Contribution lvolution de la radio dans lhmisphre Sud, Deutsche Welle, Cologne, 1997, p. 22.

3

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 13

REFERENCES : Approches dapprentissage et de communication participatives pour grer le pluralisme (Ramirez R.), dans Unasylva. Revue Internationale des forts et des industries forestires, vol. 49 (1998/3, 194), FAO, p.43-51. Appui aux mdias africains. Les politiques des bailleurs de fonds (Fra D.), GRET, Paris, 2000. Communication and Development. A practical guide (Burke A.), Department for International Development. Social Development Division, Londres, March 1999. Communication for Development. Human Change for Survival (Fraser C., RestropoEstrada S.), I.B. Tauris, London - New York, 1998. Communication for social change. A position paper and conference report. January 1999, The Rockfeller Foundation, 1999. Communication for Social Change : The New Communicator (Gumucio Dagron Al.), (http://www.comminit.com/streview/sld-5504.html). Communication and social change. A summary of Theories, Policies and Experiences for Media Practitionners in the Third World (Kunczik M.), Friedrich-Ebert-Stifung, Bonn 1993 (4me dition). La communication durable (De Silva D.), dans Le troisime il, n 1, Utopie des rseaux, APRAD, Bruxelles, 1999, p. 3942. La communication : Instrument dappropriation du dveloppement (De Paolis M-R.), dans Ibid., p. 23-28. Communication participative pour le dveloppement (Beaufort D., Georges G.), dans Echos du COTA, septembre 1998, n 80, p. 15-17. Communication participative pour le dveloppement. Propositions pour un projet de recherche et de valorisation dexpriences dans le domaine de la communication pour un dveloppement participatif en Afrique, Amrique latine et en Asie, COTA, 1996. Communication pour le dveloppement rural. Instructions et directives lintention des planificateurs du dveloppement et des laborateurs de projets, FAO, Rome, 1998 (www.fao.org/docrep/t7974f00.htm). El modelo de interlocucin : un nuevo paradigmo de communicacin (Calvelo Rios JM.), dans SD Dimensions, dcembre 1998 (www.fao.org/sd/Spdirect/CDan0022.htm). Guide mthodologique des interventions dans la communication sociale en nutrition, FAO, 1993. Linformation pour le dveloppement agricole et rural des pays ACP : nouveaux acteurs, nouveaux mdia et thmes prioritaires. Rapport de synthse du sminaire du CTA, Paris, juin 2000. In Other Words The Cultural dimension of communication for development, CESO PAPERBACK n19, The Hagues 1994. Knowledge and information for food security in Africa : from traditional media to the Internet, dans SD dimensions, octobre 1998 (www.fao.org/sd/CDdirect/Cdan001 7.htm). Manuel de communication pour le dveloppement, PNUD, FAO, CESPA, Rome 1999. Mdiaforum, Special Edition, (mars-avril 2002), Give Quality. Managment and Evaluation. A Better Chance, CAMECO, 63 p. Participatory Communication for social change, ed. Jan Servaes, Thomas L. Jacobson, Shirley A. White, Sage Publication, New Delhi Toushand Oaks London, 1996 (4me d., 2002). Participatory Development Communication. A West African Agenda (Bessette G. and Vrajasunderam C.), CRDI, Ottawa, 1996.

Page 14 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

I-2 La radio pour le dveloppement en Afrique : lvolution des pratiquesLutilisation de la radio des fins de dveloppement est troitement lie lvolution conjointe des concepts de dveloppement et de communication. A la fin de la priode coloniale, la radio tait dj employe pour la sensibilisation. Le procd sinstitutionnalisera dans les annes 60, o ce mdia sera mobilis par les nouveaux Etats indpendants pour soutenir leur dveloppement conomique et social. La radio sera dabord mise profit comme outil de vulgarisation et dducation pour pallier le manque deffectifs des services dencadrement agricole et des ministres nationaux de lducation. Si, grce la radio agricole, les vulgarisateurs peuvent facilement atteindre une population disperse sur de vastes territoires, ils prennent vite conscience du fait quils nont par contre aucune ide de la faon dont leurs conseils sont perus par lauditoire. Le type de communication mis en uvre est alors strictement vertical et descendant. Par exemple, il naccorde aucune place lexpression des ruraux dont on exige quils intgrent des mthodes conues pour eux au Nord. Cest la raison pour laquelle, sinspirant des tribunes radiophoniques pratiques en Occident, lUNESCO et la FAO initieront des clubs dcoute collective. Runis dans ces clubs, les paysans suivaient les missions qui leur taient destines sous la supervision dun encadreur charg de retranscrire les commentaires et suggestions de lassemble afin den transmettre le rapport aux animateurs radio qui pouvaient alors rpondre aux questions qui leur taient adresses ou apporter des prcisions. Sans doute le systme fut-il jug trop contraignant par les membres des clubs. Celui-ci ne remporta quun succs mitig auprs du monde rural, mais il permit de mesurer quel point les missions qui lui taient proposes ne concidaient pas avec ses proccupations et ses besoins rels. La principale cause tait que les animateurs navaient quune connaissance limite des pratiques agricoles et des ralits rurales. Les administrations de radiodiffusion durent par consquent se rsoudre crer en leur sein des structures plus spcialises exclusivement destines la production et la programmation dmissions rurales.

La radio rurale (ducative) se voulait plus attentive aux attentes et spcificits de son auditoire : la diffusion se faisait en langue nationale ; la programmation des missions tenait compte de la disponibilit des paysans; chaque tranche dge avait son mission ; les

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 15

thmes traits se sont progressivement tendus tous les sujets lis au dveloppement du monde rural (agriculture bien sr, mais aussi sant, nutrition, levage, hygine, pche, pharmacope, etc.) ; enfin, contes et devinettes traditionnelles firent leur apparition, de mme que des jeux ou des interludes musicaux. Cependant, obtenir des feedback demeurait difficile, de mme que mobiliser des cadres suffisamment motivs. Dautant plus que largent manquait. En outre, les radios rurales tant intgres au sein des radios nationales, et par consquent trs dpendantes des Etats, le problme du dcalage entre les informations diffuses et les besoins rels des populations persistait ; en particulier parce quil tait difficile pour ces stations de rencontrer la grande diversit linguistique des auditeurs. Cette situation perdure aujourdhui. Malgr ces inconvnients, les radios rurales nationales sont toujours en activit. A partir des annes 80, certaines ont cependant commenc se dcentraliser travers des stations rgionales censes mieux prendre en compte les diversits gographiques et linguistiques. Paralllement, sous limpulsion dONG, dagences internationales et des sphres associatives en gnral, soucieuses de mieux intgrer la participation populaire leurs projets, des radios de proximit indpendantes des radiodiffusions nationales apparaissent. Pour augmenter linteractivit et assurer une meilleure implantation locale au mdia, la gestion en est confie la population qui assure elle-mme la production des missions ou bien y participe troitement. Les programmations tiennent mieux compte des particularits culturelles et linguistiques et dans ce sens elles les prservent. Le voisinage de ces stations, lopportunit de sy exprimer, den ctoyer les animateurs, permet aux populations dacqurir une certaine ducation aux mdias, de crer et dentretenir en leur sein une culture de linformation et du dbat, favorable lmancipation et la prise de conscience. Les radios communautaires, coopratives, associatives ou confessionnelles, rurales ou urbaines vont surtout prolifrer dans les annes 90 grce aux processus de dmocratisation et de libralisation des ondes qui prennent progressivement naissance cette priode. Des stations commerciales FM en profitent galement pour merger, dabord dans les villes principales puis peu peu, elles aussi se dcentralisent. Des chanes de diffusion prives voient galement le jour linitiative de nouveaux groupes de presse privs. Ces dynamiques sont surtout prononces en Afrique de lOuest et du Sud o on serait en train dassister une mutation des fonctions traditionnelles de la radio. Non contente de servir la sensibilisation, la vulgarisation et au divertissement, elle serait devenue un catalyseur didentit sociale et culturelle, une tribune dexpression, un outil de mobilisation, de dialogue et de concertation au sein des communauts et entre acteurs du dveloppement. Daucuns commencent lutiliser comme instrument dinvestigation du milieu. Toutefois, les radios publiques et commerciales se partagent la majorit de laudience.

Page 16 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

Les radios communautaires, mme si elles passent aujourdhui pour des moteurs du dveloppement, bien quelles soient mieux adaptes aux ralits africaines que les autres mdias, nen sont pas moins les plus fragiles, les moins professionnelles et les moins stables. Elles ne sauraient se passer du soutien dorganisations nationales et internationales .4

REFERENCES : LAfrique parle, lAfrique coute. Les radios en Afrique subsaharienne (Tudesq A-J.), Karthala, Paris, 2002. Communiquer pour dvelopper. Contribution lvolution de la radio dans lhmisphre Sud (Bliss R.), Deutsche Welle, Cologne, 1997, 140 p. Histoire et volution de la radio rurale en Afrique noire. Rles et usages (Ilboudo JP.), dans Atelier International sur la radio rurale (FAO)- Rome, 19-22 fvrier 2001. Les nouvelles technologies de linformation et de la communication au service de la radio rurale : nouveaux contenus, nouveaux partenariats, FAO, 2001 (http://fao.org/sd/2001/radio/index_fr.htm). La radio au service du monde rural des pays ACP. Rpertoire 1998, CTA (Centre technique de coopration agricole et rurale), GRET, Paris-Wageningen, 1999. La radio communautaire : dun instrument de sensibilisation, de vulgarisation agricole un instrument de dialogue et de concertation en Afrique (Da Matha, J-Ph.), dans Echos du COTA, n 95 (juin 2002), p. 7-10.

4

Andr-Jean Tudesq, LAfrique parle, lAfrique coute. Les radios en Afrique subsaharienne, Karthala, Paris, 2002, p. 286-287.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 17

1-3 avantages et enjeux attachs la radioGardons-nous de considrer la radio comme la panace des moyens de communication pour le d v e l o p p e m e n t . To u t dpend des objectifs poursuivis et du contexte dans lequel on volue. Comme dautres, ce mdia possde ses avantages, ses inconvnients, implique des contraintes dutilisation spcifiques et ne peut par consquent convenir toutes les stratgies. Notre propos ici nest pas de comparer les techniques et outils disponibles . Nous estimons simplement qutant donn son importance, le phnomne des radios communautaires est une opportunit saisir. Il est incontestable en effet qu lheure o nous rdigeons ces pages, les socits africaines ont totalement intrioris la radio et lont assimile leur culture traditionnelle, alors que la tlvision, la presse crite et Internet ( des degrs dintgration divers) demeurent des agents dacculturation et de mondialisation, qui tendent dvaloriser sinon nier les valeurs culturelles locales . La population est friande de radio. Cest le seul mdia qui lheure actuelle est capable datteindre les zones rurales les plus recules. Le support audio convient trs bien pour des populations peu alphabtises qui de surcrot sont baignes dans une culture de loralit (En quelque sorte, la radio remplit une mission complmentaire celle du griot.) ; il peut tre facilement copi en de nombreux exemplaires pour de trs faibles cots et diffus dans les rseaux de proximit existants, soit sous forme de cassettes magntiques soit par lintermdiaire des metteurs locaux. Parmi les moyens permettant cette diffusion, la radio offre lavantage de pouvoir atteindre en mme temps des populations nombreuses, disperses sur des territoires tendus. Produire des missions ne ncessite pas en soi des moyens coteux. Les appareils disponibles sur le march ne sont pas trs chers et peuvent tre facilement et rapidement appropriables .7 6 5

Le Centre Technique de Coopration Agricole et Rurale ACP-UE (CTA) dresse une brve typologie des outils de communication et dinformation pour le dveloppement rural dans Linformation pour le dveloppement agricole et rural des pays ACP : nouveaux acteurs, nouveaux mdia et thmes prioritaires. Rapport de synthse du sminaire du CTA, Paris, juin 2000, p. 19-22.6

5

Ibid., p. 285. Nous ne tenterons toutefois pas non plus dencourager lusage exclusif de la radio au dtriment de ces autres mdias. A linstar de M. Tudesq, nous admettons tout de mme que le pluralisme rend lauditeur moins captif et concilie la conservation de la tradition et la volont de modernit et de changement (Idid.)

7

LONG Belge Graphoui est parvenue quiper une cellule de production sonore complte (en ce compris le matriel dinterview et un stock de fournitures) pour 500 000 francs belges soit prs de 12 400 . (Cf. Donner de la voix aux milieux ruraux. Le centre de production audio de Kolda (Sngal), dans Les Echos du Cota, n 86 (avril 2000), p. 16-20). Citons encore les cas des radios appuyes par le PNUD au Niger : le cot total

Page 18 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

Bien quautorisant des qualits de production quasi professionnelles, les techniques numriques sont facilement appropriables, mme par des nophytes. Dun point de vue pdagogique, cest un avantage indniable. Le ct impersonnel du microphone prsente lavantage dassouplir les contingences culturelles astreignant la libert dexpression. Plusieurs exemples dmontrent en effet, quune fois linhibition vaincue force dhabitude, les gens se confient volontiers au micro dun reporter. Dabord parce quavec un minimum de prcautions lanonymat du tmoin peut tre prserv, ensuite parce que le micro et le poste radio agissent comme des intermdiaires entre les interlocuteurs. Certains thmes dlicats ou jugs inconvenants pourront plus facilement tre amens au sein dune assemble comme des sujets de rflexion. Les questions des jeunes ou des femmes reporters seront moins considres par leurs ans et les hommes comme des impertinences ou des remises en question dans le cadre dune interview. En regard de ces avantages, on objectera principalement que si la production de matriel sonore est peu coteuse et techniquement trs abordable, la gestion dune station de radio, par contre, est onreuse et complexe, a fortiori lorsquelle est communautaire . De plus, linstar dautres mdias, la radio exige une manipulation dlicate car cest un instrument de pouvoir. Lorsque les communauts sollicitent son implantation, si elles ne sont pas entirement conscientes de ce que peut recouvrir ce pouvoir, elles savent au moins quelles dtiendront quelque chose que les autres nauront pas. Un village saura quil deviendra un ple dattraction pour ses voisins. Une organisation locale promouvant une radio pourra vite tre suspecte par les autres de vouloir tendre son influence sur la population. Si son implantation peut se faire en toute innocence, les communauts ne tardent pas faire lexprience des nombreux enjeux dinfluence quelle concentre. Il est courant que des autorits locales stant au dpart dsintresses du projet, veuillent ensuite tout mettre en uvre pour le contrler. Cela peut parfois dgnrer jusquau point o les gens en viennent aux mains comme cela est arriv dans un village sngalais de notre connaissance o le chef traditionnel stant rendu compte de lascendant des journalistes sur leurs concitoyens en est arriv vouloir les chasser.8

La radio possde donc un certain nombre davantages indubitables. Les tensions rencontres dans nos investigations autour de la matrise de ce mdia tmoignent de son intrt et de son influence. Une des principales responsabilits des dirigeants de stations communautaires consiste prcisment grer les enjeux de pouvoir, entraver leurs propres tentations, empcher les partis politiques, les associations et les ONG dinstrumentaliser le mdia.

En janvier 2000, le budget annuel dune radio rurale en Afrique de lOuest est estim 20.000 dollars US et lquipement 3.000. (Andr-Jean Tudesq, Op cit., p. 32)

8

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 19

REFERENCES : Linformation pour le dveloppement agricole et rural des pays ACP : nouveaux acteurs, nouveaux mdias et thmes prioritaires. Rapport de synthse du sminaire du CTA, Paris, juin 2000. Knowledge and information for food security in Africa : from traditional media to the Internet, dans SD dimensions, octobre 1998 (www.fao.org/sd/CDdirect/Cdan0017.htm). Quest-ce que la radio communautaire ? Un guide pratique, AMARC, PANOS Afrique du Sud, 1998.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 21

Chapitre IILa radio communautaireIl ne nous semble pas opportun de tenter demble une dfinition des radios communautaires, sachant quel point leurs attributs thoriques sont caducs dans la pratique. Aussi pensons-nous pralablement ncessaire de brivement nuancer les principes qui leur sont dordinaire (voire abusivement) attachs. Loin de vouloir les faire apparatre comme des utopies, nous souhaitons plutt montrer que le contexte dans lequel ces radios sont obliges de se dbattre, les lments qui constituent cette dfinition peuvent parfois savrer de vritables carcans sous lemprise desquels il peut leur tre difficile de spanouir, dacqurir une identit propre, de gagner en fiabilit auprs de partenaires potentiels qui gnralement les mconnaissent et les sous-estiment.

Page 22 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

II-1 Quest-ce quune radio communautaire ? De limportance dune explication pralable des attendus et reprsentationsSi les conceptions de la radio au service du dveloppement ont beaucoup volu durant ces quarante dernires annes, les distinctions thoriques tablies dans la rcapitulation historique que nous venons de faire au chapitre prcdent ne sont pas aussi nettes quil ny parat. Aujourdhui encore, quand ils ne se chevauchent pas, ces modles coexistent. Au surplus, les mdias africains, quelle que soit leur vocation, quils soient privs ou publics, commerciaux ou but non lucratif, relaient tous des messages de dveloppement. Les missions ducatives et culturelles occupent gnralement une place plus grande dans les programmes que dans les pays industrialiss. A ce titre, diffrents degrs et en vertu dintrts videmment varis, les mdias se sentent tous plus ou moins investis dune mission de service public. Dans certains pays, ils considrent de facto comme leur devoir de compenser les carences des services de lEtat en reprenant leur charge des missions de sensibilisation sur les institutions, la fiscalit, les textes juridiques et lgislatifs, lducation civique, etc. Au Mali ou au Sngal, les stations radio jouent mme un rle crucial dans les processus de dcentralisation, notamment par leur intervention dans le transfert des comptences . Au Mali, on a mme t jusqu concder officiellement dans certaines rgions des missions de service public des radios communautaires et prives. Le respect de cette mission, inscrite dans leur cahier des charges, serait devenu une condition incontournable lattribution dune frquence. Dans la droite ligne des renouveaux dmocratiques en marche dans la sous-rgion, en cohrence avec les vellits de dcentralisation, promettre au peuple de lui donner accs linformation, cest lui faire miroiter les attraits dune plus grande transparence et dun civisme plus clair. On prtend vouloir tablir un dialogue plus troit avec lui pour mieux prendre en compte ses aspirations. Telle est la substance des discours officiels relays par les mdias dEtat et qui justifient leurs efforts de dcentralisation. Efforts qui peuvent aussi tre motivs par un souci de comptitivit avec les mdias privs galement proccups dtendre et de diversifier leurs aires dinfluence. Le climat politique, le succs des mdias locaux, ont contribu faire des discours de proximit et de participation un gage de lgitimit, voire un argument promotionnel pour tous les mdias. Par extension, programmer de la musique ou des contes traditionnels, interviewer des quidams au march revt trs facilement des connotations militantes Cette convergence dintrts, ajoute la coexistence des modles, contribue en partie lentretien dune certaine confusion dans les statuts des diffrentes radios. Les pays ayant rsolu de libraliser linformation, ont pris soin de rglementer la presse et les mdias, mais les textes et typologies proposs, rcents pour la plupart et dj frquemment remanis, ne10 9

9

Ldition 2001 du festival Ondes de libert organise Bamako par lInstitut PANOS Afrique de LOuest et le ministre malien de la Communication avait prcisment pour thme Radio et dcentralisation. Un atelier de discussion tait notamment consacr au rle de la radio dans le transfert des comptences. Malheureusement, ni le ministre ni PANOS nont rendu public un compte-rendu de ces dbats. Gardons-nous bien de tout jugement trop tranch. La dmagogie nest pas forcment l o on lattend.

10

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 23

parviennent pas (ou ne veulent pas) dmler les nombreux amalgames qui subsistent en pratique . Les rfrences dontologiques sont souvent mal adaptes ou purement et simplement galvaudes par manque de connaissance, lorsquelles ne sont pas tout bonnement mprises. Lorsque des statuts et des rglements prcis sont arrts, le fonctionnement rel des radios ne sy conforme pas ou ne peut pas sy conformer. A notre connaissance, les lois rgissant la libralisation des ondes naccordent aucune mention particulire la radiodiffusion communautaire. Nous aurons loccasion de revenir sur les consquences de ces insuffisances lgales et juridiques, mais on comprendra dores et dj que vouloir proposer une dfinition standard de la radio communautaire nest pas chose aise. Elle diffre dun pays lautre. De plus, le concept est souvent revisit au gr des volutions sociales et politiques. Outre quelle soit un mdia priv, on saccorde reconnatre une radio communautaire sa proprit et sa gestion, lesquelles doivent tre collectives. Les autres aspects gnralement retenus pour qualifier la radio communautaire font appel des notions plus subjectives et variables qui, bien que cruciales, demeurent peu explicites et prtent discussion et/ou sont frquemment battues en brche par la ralit et les autres vicissitudes du quotidien. Des notions concernent la communaut, lappartenance, la reprsentativit, la participation, la localisation, la nature des services rendus la communaut, la ruralit, le caractre non-lucratif, etc. La radio communautaire appartient une communaut donne. La conception dune communaut est trs variable. LAMARC la dfinit dans le contexte de la radio comme un groupe de personnes ou une collectivit partageant des caractristiques et/ou des intrts communs. Lappartenance cette communaut peut dpendre de critres gographiques, sociaux, linguistiques, ethniques, culturels, corporatistes, confessionnels, politiques, dge, de genre, etc. La rglementation de certains pays limite le type de communauts ayant droit une licence de radiodiffusion. Les partis politiques sont les plus souvent exclus (par extension les syndicats). Les confessions religieuses le sont parfois, comme au Niger. Dans les statuts que nous avons pu consulter, la rfrence la communaut est souvent floue. Les critres qui la dfinissent sont tacites, flexibles et rarement prciss. Dordinaire, la proprit lgale est confie une association (plus rarement une cooprative) charge de reprsenter cette communaut et de veiller la reprsentation quitable de toutes ou partie de ses composantes. Il arrive que la radio appartienne un promoteur particulier, une ONG, une association religieuse, une organisation de producteurs ou toute autre association ayant eu linitiative du projet et ayant cur de la mettre au service (plus rarement disposition) de la population.12 11

Des textes de lois sur la presse et linformation sont disponibles pour le Burkina Faso, le Mali, le Tchad, la Mauritanie, le Sngal et la Guine partir du site de lInstitut PANOS Afrique de lOuest (www.panos.sn/lois/loi.htm). Pour le Bnin uniquement : www.afrikinfo.com/lois/benin/loi/index.htm On peut encore se rfrer aux synthses ralises par la FAO : Rpublique Centrafricaine: Politique nationale de communication pour le dveloppement, FAO, Rome, 1998 Guine-Bissau : Stratgie nationale de communication pour le dveloppement, FAO, Rome, 1998 La situation de la communication pour le dveloppement au Burkina Faso, 2 Tomes (Politiques et stratgies de communication pour le dveloppement, n5), FAO et ministre de la Communication du Burkina Faso, Rome, 2001.12

11

lAssociation Mondiale des Radiodiffuseurs Communautaires.

Page 24 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

La radio communautaire est gre de faon reprsentative et dmocratique par cette communaut. En dpit de leurs prtentions ou des bienfaits quelles apportent ventuellement, ces radios ne sont pas toutes reprsentatives, loin sen faut Sans parler du fait que daucuns usurpent purement et simplement ce rle de reprsentation. Notons que la notion de reprsentativit peut revtir plusieurs degrs dacceptation : les composantes de la communaut peuvent trs bien dlguer leur participation uniquement en matire de proprit ; elles peuvent tre seulement impliques dans llection de ses reprsentants, celle des dirigeants et de gestionnaires, parfois dans llaboration des rglements internes et des stratgies de la station, dans la slection et le contenu de la programmation, dans la ralisation dmissions, dans la reprsentation de la station lextrieur rarement tout la fois. Aux yeux de beaucoup, ce serait dailleurs inconcevable. Il est vrai quen dpit des multiples mcanismes et structures expriments pour garantir la reprsentation maximale de la population, labsence de comptences, le manque de disponibilit, la faible conscientisation des populations, les antagonismes et les enjeux de pouvoirs peuvent relguer lidal au rang des principes. La radio communautaire est participative. La participation nest pas lapanage des radios dites communautaires. Il existe des radios publiques ou commerciales locales qui servent la communaut et sollicitent de temps autre sa participation. La plupart du temps, cette participation se limite des micro-trottoirs et autres sondages dopinion, des interventions lors de dbats radiodiffuss ou dans le cadre de jeux ou de spectacles, de brefs passages lantenne pour des ddicaces ou autres messages personnels. Mais nombre dagents de radios de proximit ne la conoivent pas autrement. La participation effective la conception, la production des missions se rencontre moins couramment. Les raisons sont encore une fois les mmes : manque de matriel, manque de comptences, manque de disponibilit, etc. Comme en matire de reprsentativit, le degr de participation dpendra de la volont des gestionnaires et employs de la radio. La participation nest pas une formule qui coule de source partout. Dans des structures sociales et organisationnelles hirarchises, le fait de faire participer les autres constitue une perte de pouvoir . La participation dpendra aussi du dsir de la population de sinvestir ou du fait quelle sen sentira apte ou digne. Pour les radios dbutantes, tout lenjeu des premiers mois consistera justement intresser la population aux activits quelles proposent, dmystifier la technique et les mdias ses yeux et la persuader quelle y a lgitimement accs. La radio rend des services la communaut. Nous aborderons plus loin les diffrents types de services rendus par les radios et ceux quelles seraient susceptibles de rendre. Pour le moment, gardons-nous de considrer que les radios communautaires soient les seules se soucier de rendre service la communaut. Mme sil est vrai quelles sont plus enclines que leurs consoeurs se proccuper de13

13

Rudiger Bliss, Op. cit., p. 11.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 25

missions ducatives, de dveloppement, si leur dontologie sattache davantage promouvoir la pluralit, la diversit culturelle, lexpression citoyenne et si leur vocation non-lucrative les dcharge en thorie de toute vnalit, elles nen ont pas lexclusivit. Toutes les radios communautaires ou assimiles ne sont pas militantes. Certaines assument essentiellement des fonctions de divertissement au mme titre que des stations FM commerciales, ce qui nest dailleurs pas un moindre service y compris en termes de bien-tre et de dveloppement. Certains responsables de radios associatives ou communautaires plaident en faveur de typologies plus restrictives dans lesquelles ces missions de dveloppement leur seraient exclusivement reconnues. Cest omettre que la prsence dautres mdias, sans doute moins indpendants ou moins dsintresss, est galement un gage de pluralit et de libert dexpression. Ils contribuent galement au dveloppement conomique et social des localits dans lesquelles ils simplantent. Plutt que de se poser en hrauts du dvouement communautaire, certains de ces responsables devraient se souvenir quun des rles de la radio communautaire devrait tre de fournir ses auditeurs les moyens de prendre du recul par rapport linformation, de dvelopper les capacits danalyse critique leur permettant de dpartager dans la diversit ce qui leur convient le mieux. La radio communautaire est dote de mcanismes permettant de rendre des comptes prcis et transparents ceux quelle est cense servir. Cette condition est fortement tributaire du degr de reprsentation et de participation admissible ou possible instaurer. Les statuts et les mcanismes de gestion quils prvoient sont ce titre dterminants. La radio communautaire est une radio locale. Cest souvent le cas. Mais, avec des metteurs et des relais suffisamment puissants, les signaux FM peuvent couvrir tout un pays. Sans aller jusque l, il est avr que de nombreuses stations essaient autant que possible daccrotre leur aire dmission. Il est courant que des radios ayant pour zone cible un territoire compris dans un rayon de quelques 20 ou 50 km disposent de capacits leur permettant dtre entendues parfois plus de 100 km. Bien que la plupart mettent en moyennes frquences, le signal dautres peut tre transmis par ondes courtes sur de plus larges territoires. Quelques-unes mettent dj par satellite et la lente progression dInternet dans les milieux ruraux est dores et dj en train dlargir les ambitions des diffuseurs communautaires. Notons cependant que dans certains pays, le rayon de couverture est un critre de catgorisation des mdias. Au Cameroun, un dcret du 3 avril 2000 stipule que toute radio ou entreprise audiovisuelle qui diffuse au-del de 100 km est une radio nationale ; une radio communautaire doit ncessairement circonscrire ses missions une communaut ou un village donn . Le caractre local de la radio communautaire lui est attribu par le fait que le contenu de ses missions rpond dabord des priorits locales et rpercute des informations issues de la localit . La Cte dIvoire conditionne la concession dune frquence lobligation de ne diffuser que des informations locales. Ailleurs cependant, de nombreuses radios communautaires aspirent aussi fournir leurs auditeurs des informations de dimension nationale et15 14

14

Paul Eric Nzogni, Le chemin de croix des animateurs, dans La voix du paysan, n 114 (juillet 2001), p. 23. Nous avons toutefois rencontr des radios communautaires rurales dont la programmation tait peu en rapport avec le contexte local.

15

Page 26 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

internationale. Les mdias concurrents commerciaux ou publics vocation nationale ont parfois tendance leur contester ce droit afin de prserver leurs parts de march. La radio communautaire est une radio rurale. Lamalgame est frquent. Les typologies officielles le commettent parfois. Si les mdias de proximit sont plus souvent situs dans les zones rurales recules, beaucoup se sont implants dans les villes et leurs banlieues. Notons au passage que des radios rurales sont parfois intgres dans les villes comme par exemple la radio rurale de Kaye lOuest du Mali. La radio communautaire est un service but non-lucratif. Avec la proprit et la gestion collectives, ce critre est sans aucun doute un des plus distinctifs de la radio communautaire. Repris par toutes les rglementations, il ne souffre thoriquement aucune drogation. Les radios prives rurales et locales assimiles des radios communautaires ne peuvent gnrer de revenus commerciaux. Les surplus doivent tre reverss au projet . La publicit commerciale leur est interdite. Or, en ralit, toutes sont obliges de recourir des pratiques commerciales plus ou moins camoufles pour survivre. Au grand dam des socits commerciales, les gouvernements du Mali et du Sngal sont relativement tolrants. Le Burkina Faso est plus pointilleux dans lapplication du rglement, en particulier lorsquil sagit de publicits concernant des marques dalcool ou de cigarettes. Les contrevenants courent le risque quon leur retire leur licence. Il est arriv ailleurs que pour des raisons de facilits administratives ou fiscales, des radios vocation communautaire soient enregistres comme commerciales. Lobligation de ne pas exercer de services commerciaux est aussi une garantie dindpendance lgard des annonceurs. Elle maintient les radios dans leur vocation communautaire. Mais la rgle de la concurrence, la faible proportion de clients potentiels dans certaines rgions, le poids des charges auxquelles elles doivent faire face, font que cette dpendance existe bel et bien et que les radios sont de toute faon obliges de se dtourner de leurs missions sociales.16

La radio communautaire qui rpond tous ces critres nexiste pas. Sil serait absurde dexiger quelle sy soumette inconditionnellement, il le serait tout autant de les ddaigner. Ils sont la somme des jalons qui, conjugus en fonction dun contexte donn, concourent au respect du seul lment dterminant sa spcificit : une finalit la fois sociale et collective.

LAMARC utilise une formule trs approprie pour dfinir cette finalit : lobjectif de la radio communautaire nest pas de faire quelque chose pour la communaut mais plutt de donner loccasion la communaut de faire quelque chose pour elle-mme commencer simplement par se doter dune radio.

16

Dans les pays francophones, le droit lgislatif tire ses fondements de la loi franaise dite loi de 1901 relative aux ASBL.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 27

Une radio communautaire est bien plus quun mdia. Cest une association prive, tablie par une communaut ou en son nom, dote dun outil audio de communication et dinformation destin promouvoir et favoriser lapplication de valeurs sociales, conomiques et culturelles dtermines collectivement et juges utiles pour toute cette communaut afin de se donner les moyens daccomplir des choses par elle-mme dans lobservance de ces valeurs collectives.

Les compromis dargent, de pouvoir ou dautres natures, sont subsidiaires. Ils peuvent tre considrs comme des moyens comme les autres condition quils ne corrompent pas le dispositif mis en place.

II-2 Les fonctions de la radio communautaireLa suite nous donnera plusieurs fois loccasion de revenir sur certaines fonctions spcifiques aux radios communautaires. Pour lheure, nous souhaitons surtout complter la dfinition de la radio communautaire en insistant sur la multiplicit des rles qui peuvent lui tre attribus. La facult de divertissement de la radio ne doit pas tre ddaigne. Elle est un facteur de bien-tre, en particulier dans les zones recules o les mdias conventionnels ne peuvent accder et o les infrastructures de divertissement font dfaut. La musique, les sketches, les contes, les jeux, peuvent tre chargs dautres intentions et servir propager des messages ou illustrer un propos. Ils sont aussi un moyen de captiver lattention de lauditeur, lui permettre de se relcher dans le cadre dune mission au contenu trop pesant. Les missions de divertissement sont moins -et dans la plupart des cas, pas du toutsoumises des impratifs commerciaux. Elles encouragent par consquent la diversit et peuvent contribuer promouvoir et (re)valoriser la cration et lidentit culturelle locales. Dautant plus quelles servent parfois de canaux des langues dont le rayon dexpression ne dpasse gure la localit. Dans certaines rgions rurales, ces radios sont les seuls mdias dinformation. Ailleurs, ils peuvent offrir une alternative celle dispense par les chanes dominantes, non seulement parce quils peuvent poser un autre regard sur lactualit (rgionale, nationale et internationale) et/ou rpercuter une information locale nglige par les autres ou base sur les besoins concrets de leur auditoire. Beaucoup perptuent les fonctions de sensibilisation et de vulgarisation

Page 28 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

traditionnellement dvolues la radio depuis des dcennies . La proximit du mdia, la possibilit de simpliquer dans sa gestion comme dans son fonctionnement, offrent lopportunit dtendre la fonction ducative au domaine spcifique de lducation aux mdias et daiguiser de la sorte le sens critique de la population. La radio est encore une interface lintroduction de nouvelles technologies. Les stations communautaires peuvent galement tre appeles pallier les carences des infrastructures de tlcommunication. En labsence de tlphone, elles servent changer des nouvelles, fixer des rendez-vous, etc. Elles offrent lavantage de pouvoir adresser des communiqus ou des comptes rendus un grand nombre de personnes la fois. Elles sont utilises comme tribunes dexpression, de dbats et de concertation. Par extension, elles se rvlent tre de bons outils de mobilisation pour susciter, par exemple, la solidarit entre villageois ou recruter des bras pour des travaux dintrt commun. En permettant tout cela, les radios participent au maintien ou la restauration de la cohsion des communauts au cur desquelles elles sont implantes . Les tudes font dfaut sur la question, mais des radios ont mme entrepris de diffuser leurs programmes sur lInternet dans lintention de maintenir les relations entre les migrs et leur communaut dorigine. Autre service et non des moindres : la radio peut tout simplement aider certaines ONG concevoir et concrtiser leurs stratgies de communication. Sans entrer ici dans les dtails, on peroit facilement la multitude de services que ces diver-ses fonctions, mises profit isolment, ensemble ou combines dautres technologies et mthodologies, peuvent rendre un organisme dappui au dveloppement ds lors que celui-ci entreprend de catalyser et coordonner la mobilisation sociale autour dun projet, de rsoudre ou dattnuer des conflits, damliorer la participation des bnficiaires, didentifier les acteurs et autres ressources locales, de collecter les savoirs locaux, de recueillir les avis et opinions, de renforcer des sances danimation, de favoriser lintroduction de techniques et conceptions nouvelles, etc. A priori, dautres mdias que les radios communautaires pourraient remplir plusieurs de ces rles. Ce qui nous incite privilgier leur mise contribution au dtriment des autres mdias, cest que lacte de cration et dorganisation de la radio communautaire appelle lui-mme la mise au point de dispositifs de mobilisation, de concertation, de responsabilisation et de formation. Lintrt initial dun projet de radio communautaire rside dans le fait quil offre davantage quun moyen de crer du contenu : il offre aussi la population le soin de participer ce contenu, de le matriser et encore davantage, lopportunit dchanger.Le festival Ondes de Libert 2001 a par exemple t loccasion dapprcier combien certains Etats dAfrique de lOuest se reposaient moindre frais sur les mdias communautaires dans les processus de dcentralisation dans lesquels ils se sont lancs. Ce sont les radios qui assurent la sensibilisation, lducation civique que les appareils tatiques sont incapables dapporter aux gens ; ce sont elles qui accompagnent les transferts de pouvoirs, relaient les communiqus du pouvoir central, apportent les messages de prvention sanitaire, se substituent aux programmes nationaux dalphabtisation, amnent les gens sinscrire sur les listes dEtat civil et sacquitter des taxes et impts dont ils sont redevables, etc. autant de missions qui incombent normalement lEtat et pour lesquelles les radios ne reoivent pas davantage de matriel (ressources documentaires surtout) ou de formation adapts sur les sujets traits Certaines ONG ou structures dappui ont un comportement similaire. Nous avons mme rencontr une commune rurale malienne o le fait de capter ou non la radio locale tait considr par les gens comme un gage dappartenance la commune. Des villages alentour rclamaient dtre intgrs la commune pour pouvoir rclamer le droit den profiter, dautres qui recevaient ses missions mais appartenaient dautres circonscriptions se considraient comme des ressortissants de la commune18 17

17

18

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 29

En somme, la fonction distinctive majeure de la radio communautaire, et ce par quoi elle se dtache du paysage mdiatique , est que par tous ses aspects, elle peut contribuer instaurer une dynamique propice au dveloppement. On remarquera encore quelle est bien davantage quun simple outil multiples usages : elle est un acteur de dveloppement local, parce que : ses fonctions la situent au centre de dbats, de processus de concertation et de mdiation ; mme lorsquon la cantonne tacitement dans le rle de tmoin passif, elle participe bel et bien ces rencontres ; elle est invariablement amene oprer des choix et des jugements dans ses stratgies, dans linformation quelle dispense, dans les partenaires quelle approche ; elle doit en outre inciter les gens sintresser ses activits ou dautres projets, et endosser par-l mme un rle dinfluence. En ralit, rares sont ceux qui tirent profit des multiples fonctions des nouvelles formules radiophoniques en Afrique. Faute de moyens, de comptences suffisantes, les initiatives qui exprimentent sont peu nombreuses. Les multiples destinations de la radio que nous venons dnumrer sont en bonne partie perceptibles dans des cas isols, inspirs dexemples fragments, de tentatives esquisses mais jamais compltement abouties. Les intentions en sont frquemment exprimes dans les objectifs gnraux des radios naissantes, mais la pratique ne dpasse pas toujours le degr de la dclaration dintention. La perception de cette mutation de la pratique radiophonique laquelle nous faisions allusion au terme du premier chapitre doit tre mitige car, circonscrite quelques cas, elle stend difficilement. Pour autant que notre maigre exprience et la littrature dont nous disposons nous permettent den juger, les multiples applications offertes par la radio sont encore sous-estimes, autant par les ONG que par les agents de ces radios eux-mmes.19

19

Comme les autres mdias, les radios communautaires crent aussi des emplois, amnent de nouvelles comptences, favorisent lmergence de nouveaux marchs.

Page 30 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

II-3 Les programmes de la radio communautaireLaction de dveloppement de la radio communautaire se concrtise par lmulation quelle cre dans son environnement. Elle devrait ltre galement par son intercession en tant quacteur/interlocuteur part entire dans les dbats, voire les processus dcisionnaires de la communaut. Mais cest videmment par le biais de sa grille de programmes quelle agit avant tout. Sa composition est fortement tributaire des connaissances des radiodiffuseurs, des moyens techniques et financiers dont ils disposent. Parmi les genres de programmes les plus couramment proposs on retrouve videmment les classiques de la radiodiffusion : journaux parls, flashs dinformation, tranches musicales, jeux, interviews, dbats, magazines, documentaires, dramatiques et campagnes de sensibilisation ou de publicit. Adapts la radio de proximit, ces genres ont acquis des formes spcifiques. Il nexiste pas, notre connaissance, de typologie des genres propres la radio communautaire. Ses programmateurs sinspirent gnralement des types dmissions issus de la radio rurale. En presque 25 ans dactivit, le CIERRO, Centre Africain dEtudes en Radio Rurale de Ouagadougou (rcemment rebaptis Centre de formation de lURTNA) , aura fortement contribu llaboration de ces modles et leur enseignement. Si tous les radioteurs communautaires nont pas t forms cette cole, beaucoup sy rfrent dans leur tche quotidienne. Outre les genres classiques, on distingue principalement : Les microprogrammes. Trs proche du spot publicitaire auquel il emprunte sa mthodologie, le microprogramme est un genre caractristique de la radio rurale africaine depuis la fin des annes 60. Cest un message de sensibilisation bref et rptitif cens agir sur les mentalits et inspirer des changements de comportement. Il peut revtir plusieurs formes. Il est diffus en langue indigne et consiste tantt en un slogan, un conseil, tantt en un tmoignage, une dmonstration, un sketch, un proverbe, un conte ou toutes autres formes de rcits puises le plus souvent dans la culture locale. Il peut tre accompagn dune musique ayant autant que possible un rapport avec le contenu du message. Les annonces radiophoniques. Elles sont une forme rudimentaire de microprogramme, en ce sens quelles se contentent dnoncer sobrement un message sans se proccuper de lillustrer (mme si un fond sonore peut parfois laccompagner). Egalement inspires de lcran publicitaire, ces annonces rptes et trs courtes sont utilises lors de campagnes de sensibilisation afin dinciter une action ou de convaincre dune ide. Les jeux publics (ou missions de varits). Ce sont des missions de divertissement ralises sur le terrain et qui appellent la participation de toutes les composantes20

20

Le CIERRO tait dj le centre de formation de lUnion des Radiodiffusions et Tlvisions Nationales Africaines.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 31

sociales dune localit. Elles dpassent rarement une heure dantenne. Elles sont diffuses aussi bien lintention des participants que des localits voisines. Leur objectif premier consiste sensibiliser la population sur une problmatique donne et susciter le dbat et la rflexion collective. Un ou plusieurs animateurs coordonnent le spectacle, lequel fournit galement loccasion de laisser sexprimer les conteurs, chanteurs, musiciens et danseurs locaux. A ce titre, lmission publique promeut les spcificits culturelles de la localit auprs de ses voisins. Ces missions peuvent comporter plusieurs preuves. La FAO et le centre de formation de lURTNA en prconisent trois : Lnigme. Lanimateur pose une question la cantonade sous la supervision dun jury comptent. Lhomme le plus persuasif. Cest en quelque sorte un jeu de rle lors duquel un ou plusieurs candidats sont mis en situation de devoir convaincre quelquun dadopter un comportement donn en relation avec le thme de lnigme. Lhommage chant ou le pome. Les candidats chantent les louanges du bon comportement, de lutilit dun thme donn. A linstar de la Fondation pour le dveloppement communautaire, fonde Sapon (Burkina Faso) avec lappui de Save The Children, de nombreuses organisations impliques par exemple dans la sensibilisation sanitaire, utilisent ces jeux publics pour valuer limpact de leurs campagnes sur le public. Un panel pouvant regrouper plusieurs dizaines de villageois est soumis une srie de questions de plus en plus prcises concernant par exemple le VIH. Un jury a pour fonction de dpartager les candidats jusqu ce quil nen reste plus que quelques-uns. Au terme du jeu, cest galement au jury quil incombe dexpliquer aux spectateurs (et aux auditeurs) en quoi consistaient les bonnes rponses, ce quils auraient souhait entendre. Tout en permettant dapprofondir et corriger la sensibilisation et de ltendre une plus large chelle, lexercice permet destimer le pourcentage de public touch et de se faire une ide du degr dassimilation dune information dans un village choisi. Autres concours radiophoniques. Les gens y participent par tlphone, par courrier ou se dplacent jusqu la radio. Ces jeux sont souvent loccasion pour un spcialiste de venir rappeler ou prciser des aspects particuliers dune question de dveloppement. Les avis et communiqus. Certainement le genre le plus pratiqu. Moyennant une somme dtermine, les gens, les associations, les administrations de la zone dmission commandent la radio la diffusion dune annonce : un dcs, une naissance, un mariage, une fte, un vol, la convocation une runion, des travaux dintrt public, la rentre des classes, etc. Les dbats ou tables rondes. Ils sont la fois un spectacle, un moyen dinformation et une tribune dexpression sur toutes sortes de sujets. Au panel runi peuvent se joindre les auditeurs dsireux de se manifester quand ils le peuvent par tlphone, par courrier (dans une mission suivante) ; des dbats peuvent tre organiss en public. Dans certaines communes sngalaises ou maliennes, ils ont t loccasion de confronter des lus avec leurs lecteurs. Avec un panel soigneusement slectionn et une mdiation

Page 32 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

adquate, certaines tables rondes peuvent tre assimiles des focus group et utilises pour lidentification dune problmatique, llaboration dun bilan, la prparation dun projet, etc. Les dramatiques et feuilletons radiophoniques. Chers et lourds grer, ils sont le plus souvent rduits des sketches de courte dure intgrs dautres types dmissions. Certaines quipes parviennent tout de mme dgager les moyens et les comptences suffisantes pour consacrer une grille horaire part entire des fictions de longue dure, parfois dcoupes en pisodes, en sassociant notamment avec des associations culturelles et des troupes de thtre locales. Par consquent, ces missions sont aussi un moyen dexpression de la culture locale et constituent une plate-forme de cration pour les artistes du terroir. Distrayantes, elles sont aussi un puissant moyen de sensibilisation qui peut servir de base des dbats, des jeux, et autres genres danimation radiophonique ou non. Les genres de fiction ont plus dimpact sur les comportements que linformation pure parce que le public est plus motionnellement touch. Les magazines. Ils sont constitus dlments divers emprunts aux diffrents genres. Leur fonction est la fois dinformer, de sensibiliser, dduquer et de distraire. Ils traitent dun sujet donn articul en plusieurs thmes dclins en diverses squences. Lanimateur a la charge dassurer les transitions entre les squences et de veiller maintenir lmission sur le thme choisi. Les magazines peuvent tre destins un public restreint ou une catgorie sociale particulire. Les auditeurs ont parfois la possibilit de ragir. Chaque mission doit imprativement tre conue avec des finalits clairement dfinies. Le contenu, la conception et le type dmission doivent tre adapts aux objectifs. Cela facilitera grandement par la suite lnonc des termes de rfrence pour lvaluation ultrieure des programmes. A chacun de ces genres correspond un investissement particulier en temps, en moyens humains, techniques et financiers. Leur schmatisation et leur enseignement sous des formes strotypes aident les responsables de stations mieux grer ces moyens de mme que le temps dantenne dont ils disposent ( chaque modle correspond une dure dmission). Les agents de radios peuvent rapidement tre forms aux rudiments de la radiodiffusion et, dans une certaine mesure, trouvent un modle thorique permettant de mieux jauger la qualit technique et esthtique de leurs prestations. Malheureusement, la standardisation a aussi pour effet de freiner la crativit. Ces modles sont rarement remis en cause et parfois appliqus systmatiquement alors quils mriteraient dtre amliors et adapts en fonction des objectifs poursuivis, des contextes ou des besoins de lenvironnement. Leur application scrupuleuse contribue en partie au maintien de la radio dans ses usages culs.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 33

La norme fixant lavance les finalits contenues dans chaque genre, les implications en termes dappui au dveloppement qui ne sont pas prvues sont souvent ignores. Si les agents de radios les mconnaissent, cest parce que leur formation ne les y prpare pas assez.

Le pluralisme radiophonique, bien que souhaitable, a galement pu apporter sa part de prjudices. La concurrence a pour consquence fcheuse dinciter les animateurs radio simiter les uns les autres. Quand un programme a du succs sur une frquence, les autres sempressent de proposer la mme chose, en allant mme parfois jusqu imiter la voix de lanimateur prcurseur. Le programme perd de sa consistance. Il nest plus considr en fonction des finalits sociales quil peut atteindre, mais parce quil permet de conqurir le public et quune radio professionnelle, digne de ce nom doit ncessairement pouvoir linscrire dans sa grille. Il faut enfin reconnatre nouveau que les potentiels de la radio sont insuffisamment explors et que les ONG et autres structures dappui au dveloppement ont trop longtemps nglig dtudier le parti quelles pouvaient en tirer.

Page 34 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

II-4 Les paradoxes de la varit du paysage radiophoniqueLa varit des rles attribuables la radio rend cette exploration difficile mener. Parce que la demande et les besoins au sein dune communaut sont multiples, parce que la radio communautaire doit, pour crdibiliser sa reprsentativit et pour assurer sa subsistance, sassurer ladhsion du plus grand nombre, parce quelle doit encore dans une certaine mesure satisfaire les attentes de ses partenaires financiers, elle doit ncessairement assumer de front plusieurs des fonctions brivement numres ci-dessus. Cest aussi une question defficience : cest par la varit du ton, par lalternance de programmes informationnels et de divertissement, par la vulgarisation, par loffre de services varis que la radio parviendra fidliser son auditoire et maintenir aiguises son attention et sa ractivit. Lavantage est contrebalanc par le fait quil devient difficile didentifier les effets dun programme ou dune application particulire de la radio par rapport aux autres, de mme quil est difficile de distinguer linfluence isole dun mdia de celle des autres mdias et des nombreuses autres influences auxquelles sont soumis les groupes dj trs htrognes dauditeurs.

Qui veut se servir de la radio pour atteindre un objectif donn, doit ncessairement laccepter dans sa multiplicit et envisager sa contribution dans une stratgie de communication plus large que la simple mise en ondes.

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 35

Comme beaucoup dautres, un important organisme de coopration au dveloppement actif dans la rgion de Mopti (Mali) laura appris ses dpens. Pendant presque dix ans, il a tent en vain dimpliquer la population (en particulier les femmes) de sa zone dintervention dans la gestion de primtres irrigus crs pour relancer le marachage dans la rgion. Faute dune information suffisante et adquate, les digues et les pompes ne sont pas entretenues et les gens y cultivent essentiellement du riz. En 1999, lorganisme de coopration en vient penser quune radio parviendrait compenser le manque danimateurs sur le terrain et lui permettrait de se rapprocher de la population afin de mieux linformer et de lui permettre galement dexprimer ses besoins. Une nouvelle fois, cest un chec. Le projet de radio na t conu que par rapport aux objectifs du programme de primtres irrigus en omettant de sintresser son environnement socio-conomique. Les publics de la rgion ntant pas concerns directement par ce programme se sont dsintresss du mdia qui a rapidement t confront de graves difficults financires. Les bnficiaires directs du programme se sont lasss dune programmation ressassant sans cesse les mmes sujets.

II-5 ONG et radios : sur la mme longueur donde ?Il serait abusif de prtendre que les ONG se dsintressent des mdias africains et en particulier des mdias vocation communautaire. Nombreux sont les appuis accords ces derniers dans le cadre dinterventions publiques, bi et multilatrales ou encore linitiative de fondations, dassociations prives, politiques ou confessionnelles, sous forme de financements, de fourniture de matriel, dassistance technique, de formation, etc . Quels que soient les divers mobiles politiques, religieux, socio-conomiques ou culturels qui motivent ces aides, les objectifs assigns par exemple limplantation dune radio communautaire sont souvent multiples. Lattrait de la radio consiste justement en ce quelle permet linstallation dun systme de communication la confluence des multiples besoins dune zone gographique dtermine ou dune communaut. Les enjeux sont ce point nombreux et interdpendants quil est parfois difficile de les identifier clairement. On entretient abusivement limpression que limplantation dune radio, la mise disposition et la multiplication de moyens de communication dans certaines rgions qui en manquent, pour autant quils soient bien grs, engendreront immanquablement des espaces dmocratiques dinformation, dexpression et de dbats, permettront de catalyser et de22

21

21

Ce texte a dj t publi sous une forme lgrement diffrente dans les Echos du Cota, n 95 (juin 2002), p. 3-6. Consulter louvrage dirig par Daniel Fra, Appui aux mdias africains. Les politiques des bailleurs de fonds, GRET, Paris, 2000.

22

Page 36 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

coordonner la mobilisation sociale autour de problmes de dveloppement, de faciliter la collecte des savoirs locaux (ex : en matire de gestion des ressources naturelles), dappuyer lappropriation de certaines techniques ou mthodologies agricoles, sanitaires, financires ou autres (autant pour la population que pour les collectivits et organisations porteuses de projet), de dsenclaver des rgions isoles, dassurer la cohsion sociale, politique, conomique ou culturelle au sein dune communaut, etc. La cration du mdia apparat souvent comme un objectif en soi pour de nombreux promoteurs de projets ou bailleurs qui parfois confondent finalits et moyens. Pass le stade des formations, de laccompagnement technique, institutionnel et financier, rares sont ceux qui se proccupent de dterminer prcisment par quelles applications concrtes ce mdia contribuera au dveloppement local ou quels besoins prcis des autres projets de dveloppement existant dans la rgion il parviendra rpondre. Il nest pas rare que lappui qui lui est accord soit circonscrit aux matires journalistiques (quand ils ne sont pas carrment calqus sur des modles de mdias classiques). Certaines conceptions de la communication et du travail journalistique seront privilgies au dtriment des autres. Nombre danimateurs de radios communautaires, familiariss avec les techniques journalistiques de base sont absolument trangers toute autre forme doutil danimation communautaire. Quant aux animateurs dONG, lorsquils ont lopportunit de mettre profit les services dune unit de production sonore ou dune radio, ils ne savent pas du tout quoi en faire, faute davoir reu une formation suffisante en matire de reportage et dinterview ou une simple ducation mdiatique en gnral. Lappui au mdia est trop spcialis. Les rpercussions sur la facult des radios subvenir leurs besoins ou remplir leurs missions sont assez voisines. Pour les quelques projets que nous avons rencontrs, quand un bailleur tranger intervenait (quel que soit son statut), laide la cration dune radio communautaire tait focalise sur la ncessit dappuyer un programme trs particulier, sans que ne soient envisages dautres applications sur le plan local. Des radios sont ainsi installes dont laction est strictement circonscrite la zone dintervention du projet quelles sont censes appuyer. Si la radio nest cre quautour dun projet et dun programme unique, les fonds et le matriel allous ne couvriront videmment que ce qui a t prvu. La formation dispense aux animateurs sera limite ce que les promoteurs du projet considrent comme le strict ncessaire. Le matriel nest pas forcment adapt pour dautres activits que celles prvues initialement. Matriel et formations sont fournis sans quon ne tienne compte de lvolution des techniques, des comptences et des besoins. En corollaire, laide ne se prolonge que rarement au-del des dlais prvus pour la ralisation du programme ou projet que la radio est cense appuyer. Partant du principe que si les radios veulent sortir du champ qui leur est initialement imparti, elles doivent sassurer une certaine autonomie financire, les investissements ne semblent pas forcment penss sur le long terme. Or, un choix judicieux du matriel (notamment ds lorigine suffisamment polyvalent et endurant), des formations du personnel (concernant des matires annexes celle du projet ou qui outrepassent les simples comptences techniques : outils danalyse, gestion financire, techniques de concertation, gestion du pouvoir, couplage des techniques danimation communautaires avec les mthodes journalistiques, etc.), des modalits de gestion, une prise en compte des implications sur un plus large prisme que celui du projet de dpart donneraient la radio une base plus solide pour asseoir cette autonomie. Aussi, trs souvent, on rechigne sur les frais de fonctionnement. Or, pour

Radios communautaires en Afrique de lOuest | Page 37

trouver des fonds, proposer des partenariats, passer de village en village (des villages souvent trs loigns les uns des autres), acheter des cassettes, des piles, des moyens de dplacement, et pour toute une srie dautres charges, la radio doit se dbrouiller pour trouver des ressources et des moyens dintresser le personnel.

Rares sont les aides qui sintressent effectivement aux moyens de prenniser la station mise en place.

Peu dONG entreprennent de se coordonner avec les radios en place et rares sont celles qui prennent la peine de se demander quels pourraient tre leurs apports mutuels. De nombreux responsables de stations dplorent le fait que les radios ne soient mises contribution que pour mettre en valeur les activits conues par les ONG ou pour divulguer des messages sans que les agents de ces radios naient t pralablement consults, sans que ne soient budgtiss leur juste valeur les frais de reportage, de production ou de diffusion. Certaines ONG semblent ne pas vouloir admettre que la collaboration avec les radios de proximit ait un cot rel et que celui-ci ne peut pas systmatiquement tre fix au rabais. Daprs nos observations, bon nombre dautres acteurs de dveloppement semblent persister cantonner lintgration du mdia la diffusion dinformations et de messages ou la vulgarisation. Outre que cela rvle une conception limite de la communication (qui la considre comme une relation verticale qui entretient une certaine hirarchie entre lmetteur de linformation et son rcepteur), cest surtout une flagrante mconnaissance du potentiel et de limpact des radios de proximit qui transparat ici. La collaboration entre radios et ONG (ou toute autre structure dappui au dveloppement) en ptit ncessairement. Il arrive bien entendu quelles travaillent parfois ensemble, mais rarement sur le long terme. De nombreux responsables de radios continuent dplorer dtre insuffisamment consults lorsque les ONG laborent leurs stratgies de communication. Ils souhaiteraient tre mis contribution ds le dpart et non pas uniquement pour leur servir de relais ou produire les missions quelles auront pralablement conues et sans pouvoir exprimer de point de vue critique. Ces mmes responsables de regretter aussi que leurs contributions soient rarement budgtises leur juste valeur. Il subsisterait selon eux, dans le chef des ONG, un a priori hrit de lpoque o la radio tait un monopole dEtat, selon lequel un message destination communautaire, donc public, doit tre gratuit. Les radios ne mendient pas les faveurs des partenaires : elles offrent un savoir-faire et des techniques que ces partenaires ne matrisent pas. En vertu de ce rflexe, lorsquelles admettent quun service de la radio communautaire doit tre rmunr, beaucoup estimeraient quil devrait ltre moins que ceux des mdias commerciaux. Pour les agents de radios, il nest pourtant pas question de voir leurs tarifs saligner sur leurs concurrents privs, mais au moins de faire valoir la plus-value que reprsente le recours un mdia communautaire : respect des particularits dialectales, connaissance approfondie du milieu et des besoins, plus grande facilit de discussion avec les communauts auxquelles elles appartiennent que nimporte quelle agence de communication urbaine. Quand une ONG nest pas dispose ou ne peut tout simplement pas payer (comme cest plus souvent le cas pour des ONG locales) , des radios communautaires investies dune mission23

Pour la dfense des ONG du Nord, il faut admettre quelles prouvent encore souvent des difficults faire valoir auprs de leurs propres bailleurs la pertinence de sacrifier des dpenses communicationnelles.

23

Page 38 | Radios communautaires en Afrique de lOuest

de dveloppement se sentent le devoir de relayer quand mme leurs messages. Il y va de leur crdibilit et du respect de leur vocation. Les rticences des ONG intgrer les radios peuvent ponctuellement revtir dautres explications : Il est arriv que des radios aient dnonc les inconvnients inhrents la prsence dans certaines zones de multitudes dONG, uvrant dans les mmes domaines, montant les mmes projets aux mmes endroits. Partant de ce constat, ces radios ont commenc vouloir sensibiliser les populations sur la nc