LE DROIT DE RECOURS INDIVIDUEL DEVANT LA … de recours individuel devant la CEDH 3 des individus touchés par les décisions des tribunaux des États en guerre. La Cour Centro-Américaine

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  • LE DROIT DE RECOURS INDIVIDUEL DEVANT LA

    COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME

    Par Ireneu Cabral Barreto

    Loriginalit de la Cour europenne des droits de lhomme (CEDH) rside dans le droit dedernier recours accord aux individus un niveau supra-national, bas sur les droits de la personne. Aprsune prsentation des moyens de saisir la CEDH, lauteur se livre une tude de lvolution du droit delindividu de saisir la Cour directement, de 1983 jusquau droit de saisine complet qui existe aujourdhui.Bien que son systme procdural peu rigoureux prsente des avantages, la Cour fait prsentement face des difficults relevant de ses propres succs. Le nombre lev de requtes lempche de rpondre dans desdlais raisonnables et entrave son efficacit. Cherchant une solution, lauteur pse lopportunit desappuyer sur la participation des autorits tatiques pour filtrer les demandes la Cour. Cependant, lerecours individuel assure justement que ltat ne puisse pas dissuader ou dcourager lindividu de porter etdfendre sa cause devant la CEDH. Lauteur tudie ensuite le rle futur que la Cour devra jouer. Si elledevient une Cour constitutionnelle europenne, elle pourrait accrotre son efficacit en se limitant desquestions de principe donc rejetant tout recours individuel. Sans oublier que la Cour elle-mme a pris desmesures face ses problmes procduraux, une reforme plus rigoureuse oblige dcider quel modlepoursuivre et si le droit de recours individuel devrait tre maintenu. Lauteur propose des rformes, dontlamlioration du systme prsent par lintroduction dun mcanisme souple, indpendant et impartial auniveau interne pour juger de ladmissibilit des griefs avant que la requte ne soit introduite en Cour.Lexemple italien de la Loi Pinto et le recours espagnol damparo servent dinspiration pour un telrecours, bien que la CEDH ncessite une solution originale.

    The uniqueness of the European Court of Human Rights (ECHR) resides in its last resort rightto individual petition based on Human rights at a supra national level. After a presentation of the numerousprocedures available to seize the ECHR, the author studies the evolution of the right of the individual toseize the Court directly, from 1983 to the present complete right of individual petition. Although its laxprocedural system presents many advantages, the Court faces difficulties today due to its own success. Thehigh number of petitions prevents it from answering within a reasonable delay and impedes its efficiency.Looking for a solution, the author weighs the option of relying on state authorities to filter through thepetitions. However, the right to individual petition insures that the State cannot dissuade or discourageindividuals from entering and defending their cause before the ECHR. The author continues by studyingthe future role that the Court should play. If it becomes a European constitutional court, it could increase itsefficiency by limiting itself to questions in principle, so setting aside the right to individual petition.Although the Court has taken its own measures once faced with procedural difficulties, a more rigorousreform brings up the question of the future model for the Court and if the right to individual petition shouldbe maintained. The author suggests certain reforms, among them ameliorating the present system byintroducing a supple, independent and impartial mechanism at the national level to judge on theadmissibility of the cause before it is submitted to the Court. The Italian and Spanish examples of the PintoLaw and Amparo procedure are inspirations for such an action, although the ECHR demands its originalsolution.

    N.D.L.R.: Initialement, larticle du juge Barreto devait tre publi dans le volume14.2., dans la section rserve au Colloque de la SQDI. Cependant, suite unemalencontreuse erreur de notre part, larticle na pas t publi. Ainsi, on trouveraici larticle du juge Barreto tel quil aurait d tre publi. La rdaction de la R.Q.D.I.prie M. le juge Barreto daccepter ses plus sincres excuses.

    Ireneu Cabral Barreto (21/10/2002), Juge Cour europenne des droits de lhomme, Strasbourg.

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    I. La procdure de saisine devant la Cour europenne des

    droits de lhomme

    Le droit pour lindividu de saisir une instance internationale dune requtetendant dnoncer la violation des droits et liberts par ltat dfendeur constitue unexemple unique dans le droit des traits internationaux. Dans ce champ, il est possiblede diviser en deux les mthodes de contrle : les techniques non juridictionnelles etles techniques juridictionnelles.

    Les techniques non juridictionnelles, utilises dans le cadre des instrumentsuniversels des droits de la personne, sont de caractre non contraignant, respectant lasouverainet des tats. Dans la diversit de cette mthode, trs rpandue dans le cadredes Nations Unies, deux grands types de contrle sont envisageables : celui tabli lasuite de plaintes (Comit des droits de lhomme des Nations Unies) et le contrle surles rapports. On retrouve parfois, de mme, un mlange des deux. Toutefois, seulesles dcisions rendues en droit et dotes dune force juridiquement obligatoire offrentune garantie effective des droits de la personne.

    La protection juridictionnelle des droits de la personne suppose que lorganede jugement statue sur un cas despce par une dcision revtue de lautorit de lachose juge1. Seules les conventions amricaine et europenne sont dotes duncontrle juridictionnel de leurs dispositions et, de plus, la Convention europenne desdroits de lhomme (Convention) admet laccs direct de lindividu la Cour. Ce droitde ptition individuelle fait sortir le contrle du respect des droits de lhomme dudomaine de la politique intertatique.

    La possibilit pour un individu de mettre en cause ltat a fait lobjet dediscussions au moment de la cration de la Cour internationale de justice (CIJ) et delorgane prdcesseur, la Cour permanente de justice internationale (CPJI). Toutefois,la majorit du comit de juristes charg de libeller le statut de ces juridictions a refuscatgoriquement cette ide, en affirmant que les individus ntaient pas sujets du droitinternational, seule particularit des tats ; ce qui fut fortement critiqu par ladoctrine2.

    Cette critique tait fort pertinente, si on considre quil y avait dj lpoque des instruments de droit international qui consacraient la capacit delindividu intervenir dans la procdure, comme le montrent les quelques exemplessuivants. La Commission centrale pour la navigation du Rhin de 1816 tait un organecomptent pour recevoir les plaintes des individus sur des questions du systme denavigation du Rhin. Le projet de la cration de la Cour internationale des prises de19073 prvoyait une cour internationale pour recevoir les plaintes des tats neutres et

    1 Frdric Sudre, Droit international et europen des droits de lhomme, 4e d., Paris, Presses

    universitaires de France, 1997 la p. 288.2 Antnio A. Canado Trindade, El acceso directo del individuo a los Tribunales Internacionales de

    derechos humanos , Bilbao, Univerdidad de Deusto, 2001 la p. 31.3 Convention (XII) relative l'tablissement d'une Cour internationale de prises, 18 octobre 1907, Actes

    et Documents de la Deuxime Confrence internationale de la Paix, La Haye 15 juin - 18 octobre 1907,

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    des individus touchs par les dcisions des tribunaux des tats en guerre. La CourCentro-Amricaine de justice de 1907 1918, tablie par la Convention deWashington de dcembre 1907 pour rgler les disputes des tats de lAmriqueCentrale, a reu cinq requtes manant dindividus au cours de son existence. LaConvention sur la Haute Silsie de 1922 1937, pour rgler les questions desminorits allemandes et polonaises en Pologne et Allemagne, respectivement,possdait un systme de requtes des individus, sans oublier lexprience destribunaux arbitraux mixtes4.

    La possibilit pour un individu de saisir la Cour europenne des droits delhomme (Cour) a t voque en mai 1948, pendant le Congrs europen, et elle taitinscrite dans le projet de la Convention labore au cours de cette mme anne par lemouvement europen. Toutefois, elle a t rejete pendant la discussion sur le projetde convention, parce quon soutenait que les intrts de lindividu seraient toujoursdfendus, soit par la Commission europenne des droits de lhomme (Commission),soit par lun des tats parties.

    Malgr des hsitations, la Convention a consacr comme organes de contrlela Commission, avec une comptence pour recevoir et instruire les plaintes des tatset de lindividu, devenu sujet de droit international, et une Cour pour sanctionner lemanquement dun tat ses obligations vis--vis de la Convention, la demande dela Commission et des tats. Cest l que demeurent loriginalit et la force du systmeeuropen de protection des droits de la personne.

    Cependant, lindividu navait pas le droit de saisine de la Cour ; ce droit aseulement merg, en toute plnitude, avec lentre en vigueur du Protocole n 11, le1er novembre 1998. Ce protocole consacre le droit de lindividu de saisir la Courdirectement et sans restriction et accorde une parfaite galit aux parties, lindividu etltat, dans le cadre de la procdure devant la Cour. Toutefois, il na pas t faciledarriver jusqu ce niveau.

    Il est possible de discerner quatre tapes dans cette volution : la premirejusquau Rglement de la Cour, entr en vigueur le 1er janvier 1983 ; la deuxime,aprs cette date ; la troisime avec le Protocole n 9 ; la dernire avec leProtocole n 11.

    Dans la premire phase, la Commission avait la possibilit, une fois unerequte dclare recevable, dmettre un avis sur le fond de laffaire, puis delenvoyer au Comit des ministres ou la Cour pour la dcision finale. Si elle sedcidait en faveur dune saisine de la Cour, ce qui tait en principe le cas pour lesaffaires plus complexes, la Commission ne se prsentait pas en tant que partielitigieuse. Donc, ladversaire rel de ltat, savoir lindividu, devait tre prsent

    La Haye, 1907, Vol.I, 668 (la Convention nest jamais entre en vigueur parce quelle na jamais tratifie).

    4 Stephan Parmentier, The Implementation of International Human Rights Norms : A Case Study of theIndividual Complaint Under the European Convention of Human Rights, thse de doctorat en droit,Universit de Leuven, 1997 aux pp. 155 et s.

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    pour que le principe du contradictoire soit assur et pour tre convaincu du respect duprincipe dune bonne administration de la justice5.

    Dans sa premire affaire devant la Cour, le Prsident de la Commission, M.Waldock, dclara : la Commission est tout fait dispose reconnatre, avec legouvernement, que lintention gnrale et leffet de larticle 44 sont de dnier unparticulier tout droit de comparatre devant la Cour en tant que partie en cause . Parcontre, larticle 44 ne pouvait tre interprt comme refusant au particulier tout rledans linstance devant la Cour ou tout contact avec celle-ci, appele trancherdfinitivement le cas qui le concerne 6.

    La Cour a admis que la Commission avait le droit de prsenter les mmoiresdu requrant, en soulignant que

    la Cour peut encore entendre le requrant en vertu de larticle 38 de sonRglement, et quelle a encore le droit, titre de mesure dinstruction, soitdinviter doffice la Commission, soit dautoriser celle-ci, sur sa demande, lui soumettre les observations du requrant concernant le rapport ou touteautre question dtermine ayant surgi au cours des dbats.7

    Dans larticle 29 1 du Rglement de 1950, la Cour admettait dj que lesdlgus de la Commission pouvaient, sils le souhaitaient, se faire assister par despersonnes de leur choix, notamment le requrant ou un reprsentant de celui-ci. LaCommission a utilis, pour la premire fois, cette possibilit dans laffaire De Wilde,Ooms et Versyp8. Les dlgus de la Commission se sont prsents laudience avecun avocat qui reprsentait le requrant pour les assister. Malgr lopposition dugouvernement belge, la Cour a admis l'intervention de l'avocat. Par la suite, cettepratique est devenue la rgle, accepte pacifiquement par les gouvernements.

    Toutefois, ce systme dassistance aux dlgus de la Commission faisaitdfaut au caractre contradictoire du procs, comme la Cour et la Commission lontsoulign dans leurs avis de 1974 sur le projet de programme court et moyen termedu Conseil de lEurope dans le domaine des droits de la personne. Dans leurs avis, lesorganes de la Convention soutenaient linstitution du droit du requrant laparticipation la procdure devant la Cour en tant que partie. En effet, le requrant ouson avocat se prsentait devant la Cour sous la tutelle de la Commission, ne pouvantpas dvelopper avec une totale autonomie la dfense de leurs thses sur laffaire. Delautre cot, la Commission elle-mme prouvait des difficults pour concilier sonrle dassistance la Cour en toute objectivit et impartialit, avec la positiondintermdiaire auprs du requrant et de la Cour.

    5 Franois Monconduit, La Commission europenne des Droits de lHomme, Leiden, A. W. Sijthoff-

    Leyde, 1965 la p. 512.6 Affaire Lawless c. Irlande (n1) (1960), 1 Cour Eur. D.H. (Sr.A) 512, no. de requte 00000332/57.7 Affaire Lawless c. Irlande (n1) (1960), 1 Cour Eur. D.H. (Sr.A) 16, no. de requte 00000332/57.8 Affaires De Wilde, Ooms, et Versyp ( Vagabondage ) c. Belgique (1970), 12 Cour Eur. D.H. (Sr.A)

    6, nos. de requtes 00002832/66, 00002835/66 et 00002899/66.

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    partir du 1er janvier 1983, avec le nouveau Rglement de la Cour, lerequrant a obtenu une position autonome dans la procdure, se prsentant en rapportdirect avec la Cour, sans le besoin de la mdiation de la Commission ; le Prsidentpouvait autoriser le requrant dfendre lui-mme sa position, si ncessaire parlintermdiaire dun avocat ou de toute autre personne accepte par le Prsident. Cettemodification faisait en sorte que lintervention de la Cour restait toujours cantonne la demande de la Commission et des tats ; lindividu avait cependant acquis un locusstandi qui donnait la procdure un caractre vraiment contradictoire. Il fallait tout demme, pour que le principe de lgalit des armes ft respect, donner lindividu ledroit de saisir la Cour.

    Le Protocole n 9, entr en vigueur le 1er octobre 1994, a ouvert au requrantindividuel ayant saisi la Commission le droit de saisir la Cour ; mais pas encore celuidobtenir de la Cour un examen au fond de son affaire. La saisine de la Cour taitmdiatise par lintervention dun comit, constitu au sein de la Cour, charg defiltrer les affaires et qui pouvait dcider, lunanimit, de ne pas dfrer laffaire laCour et de le transfrer au Comit des ministres.

    La structure tripartite de la Convention pour lexamen des affaires -Commission, Cour et Comits de ministres -, a t victime de son propre succs.

    Ce systme a commenc avoir des difficults rpondre dans un dlairaisonnable aux demandes des individus, ce qui a exig le passage de la Commission un organe semi-permanent. Mais louverture du Conseil de lEurope aux pays delEurope Centrale et Orientale demandait une rforme capable daccueillir un nombrecroissant de requtes et de leur donner une rponse en temps utile.

    Lide de la fusion de la Commission et de la Cour et de la cration dunorgane unique et permanent qui runissait les comptences des deux a t invoque auniveau politique pour la premire fois pendant la Confrence ministrielle de Vienne,en mars 1985.

    Aprs un long et difficile chemin, le Protocole n 11 a t adopt. Ceprotocole a institu la nouvelle Cour organe permanent9 et a accord lindividu ledroit de saisir directement la Cour et de jouir dans la procdure dun locus standidgalit avec ltat mis en cause. Devant la Cour, le requrant et les tats dfendeurssont placs dans une vraie procdure de parties, o les principes dgalit et ducontradictoire sont pleinement assurs.

    Une Partie contractante doit veiller ce que ses organes respectent laConvention. Larticle 1 de la Convention exige que les tats parties reconnaissent toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberts dfinis dans laConvention et ses protocoles. Toute violation de la Convention qui provient dupouvoir lgislatif, de lexcutif, du judiciaire ou des organes rgionaux ouadministratifs implique la responsabilit de la Partie contractante. La Convention 9 Le fait que cette rforme nait pas apport un remde aux difficults que le nombre croissant de

    requtes engendre au niveau du travail de la Cour contraint envisager une autre rforme . Et,parmi des innombrables mesures proposes, de fond et de forme, le droit de lindividu saisirdirectement la Cour et obtenir une dcision dans son affaire est aujourdhui mis en cause. Voir infra.

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    europenne des droits de lhomme prvoit que la responsabilit des tats pour laviolation des droits et liberts garantis est demande pour les autres tats parties(requtes intertatiques - article 33) et pour lindividu, victime de la violation (article34)10. Lobjet de notre analyse va se limiter aux requtes individuelles.

    Toute personne, y incluses les personnes morales, sur la juridiction dunePartie contractante, bnficie de la protection de la Convention, quelle en ait lanationalit, soit trangre ou apatride, et rside ou non sur son territoire. La notion de juridiction , mentionne dans larticle 1 de la Convention, ne se limite pas auterritoire des Parties contractantes ; leur responsabilit peut tre engage du faitdactes de leurs organes dployant des effets en dehors du territoire.

    Comme la Cour la soulign,

    compte tenu de lobjet et du but de la Convention, une Partie contractantepeut galement voir engager sa responsabilit lorsque, par suite duneaction militaire - lgale ou non -, elle exerce en pratique le contrle sur unezone situe en dehors de son territoire national.11

    Lobligation dassurer dans une telle rgion le respect des droits et liberts garantispar la Convention dcoule du fait de ce contrle, quil s'exerce directement, parlintermdiaire des forces armes de ltat concern ou par le biais duneadministration locale subordonne. Toutefois, la question de lextension et la portede ce contrle soulve des questions pineuses.

    Laffaire Bankovic et autres contre 17 tats parties la Convention et aussimembres de lOTAN en est un bon exemple12. Dans cette affaire, la Cour a d tudierles griefs des victimes ou des familles des victimes des frappes ariennes effectuespar les forces de lOTAN sur le territoire de la RFY, dans le contexte de la crise duKosovo. Le 23 avril 1999, un peu aprs deux heures du matin, lun des btiments dela Radio-Televizije Srbije ( RTS ) de la rue Takovska Belgrade fut touch par unmissile tir dun avion de lOTAN, provoquant leffondrement de deux des quatretages de limmeuble et dtruisant la rgie centrale. Le bombardement fit seize mortset seize blesss graves. Dans sa dcision dirrecevabilit, la Cour a prcis, toutdabord, que la comptence juridictionnelle dun tat est principalement territoriale.

    Si le droit international nexclut pas un exercice extra-territorial de sajuridiction par un tat, les lments ordinairement cits pour fonder pareil exercice(nationalit, pavillon, relations diplomatiques et consulaires, effet, protection,personnalit passive et universalit, notamment) sont en rgle gnrale dfinis etlimits par les droits territoriaux souverains des autres tats concerns. Ainsi, parexemple, la possibilit pour un tat dexercer sa juridiction sur ses propres 10 Dans le cadre du Conseil de lEurope, la Convention prvoit un contrle du Secrtaire gnral sur des

    rapports prsents sa demande par les tats (article 52). La Charte sociale prvoit aussi un systmede contrle sur des rapports et depuis peu sur des plaintes, et le Comit pour la Prvention contre laTorture travaille sur des rapports prpars par ses membres suite des missions denqute.

    11 Affaire Loizidou c. Turquie (exceptions prliminaires) (1995), 310 Cour Eur. D.H. (Sr.A) 23, no. derequte 00015318/89.

    12 Affaire Bankovic et autres c. Belgique et seize autres tats contractants (2001), 12 Cour Eur. D.H (Sr.A)., 123 I.L.R. 94, 41 I.L.M. 517.

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    ressortissants ltranger est subordonne la comptence territoriale de cet tat etdes autres.

    Un tat ne peut concrtement exercer sa juridiction sur le territoire dunautre tat sans le consentement, linvitation ou lacquiescement de ce dernier, moinsque le premier ne soit un tat occupant, auquel cas on peut considrer quil exerce sajuridiction sur ce territoire, du moins certains gards. Larticle 1 de la Conventiondoit passer pour reflter cette conception ordinaire et essentiellement territoriale de lajuridiction des tats, les autres titres de juridiction tant exceptionnels et ncessitantchaque fois une justification spciale, fonction des circonstances de lespce.

    La Cour a trouv une confirmation claire de cette conception essentiellementterritoriale de la juridiction des tats dans les travaux prparatoires de la Convention,lesquels rvlent que si le Comit dexperts intergouvernemental remplaa les termes rsidant sur leur territoire par les mots relevant de leur juridiction , ctait afindtendre lapplication de la Convention aux personnes qui, sans rsider au sensjuridique du terme sur le territoire dun tat, se trouvent nanmoins sur le territoire decelui-ci.

    En rsum, il ressort de la jurisprudence que la Cour nadmetquexceptionnellement quun tat contractant se livre un exercice extra-territorial desa comptence : elle ne la fait jusquici que lorsque ltat dfendeur, au travers lecontrle effectif exerc par lui sur un territoire extrieur ses frontires et sur seshabitants par suite dune occupation militaire ou en vertu du consentement, delinvitation ou de lacquiescement du gouvernement local, assumait lensemble oucertains des pouvoirs publics relevant normalement des prrogatives de celui-ci.

    La Cour a dclar la requte irrecevable, en concluant que la Convention estun trait multilatral oprant, sous rserve de son article 56, dans un contexteessentiellement rgional, et plus particulirement dans lespace juridique des tatscontractants, dont il est clair que la RFY ne relve pas. Elle na donc pas vocation sappliquer partout dans le monde, mme lgard du comportement des tatscontractants. Aussi la Cour na-t-elle jusquici invoqu lintrt dviter de laisser deslacunes ou des solutions de continuit dans la protection des droits de la personnepour tablir la juridiction dun tat contractant que dans des cas o, neussent t lescirconstances spciales rencontres, le territoire concern aurait normalement tcouvert par la Convention13.

    13 Les requrants ont invoqu dautres dcisions de la Cour, sagissant de la responsabilit des tats pour

    des faits survenus hors de leur territoire: Issa, Omer, Ibrahim, Murty Khan, Muran et Omer c. Turquie(2000), Cour Eur. D.H., no. de requte 00031821/96 (dcision sur ladmissibilit de la premire sectionde la CEDH); calan c. Turquie (2000), Cour Eur. D.H., requte no. 00046221/99 (dcision derecevabilit partielle de la premire section de la CEDH). La Cour a dclar les requtes recevables parrapport des actions des agents turcs en dehors du territoire turc ; toutefois, dans ces affaires, legouvernement na pas soulev au stade de la recevabilit la question de la juridiction et aucunedcision na encore t prise quant au fond. Xhavara et quinze autres c. lItalie et lAlbanie (2001),Cour Eur. D.H., no. de requte 00039473/98 (dcision dirrecevabilit de la quatrime section de laCEDH) : Le 28 mars 1997, un bateau albanais qui transportait des Albanais dsirant entrerclandestinement en Italie, sombra dans la Mditerrane, 35 milles marins de la cte, suite unecollision avec un navire de guerre italien - la question de la juridiction na pas t souleve ; en

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    Dans des cas de transfert de juridiction dun tat vers une organisationinternationale ou de la reconnaissance dimmunits, la Cour a soulign que lapossibilit dun tat, sans rserve ou sans contrle des organes de la Convention, desoustraire la comptence des tribunaux toute une srie dactions civiles oudexonrer de toute responsabilit civile de larges groupes ou catgories de personnesne se concilierait pas avec la prminence du droit dans une socit dmocratique niavec le principe fondamental qui sous-tend larticle 6 114. Et, donc, la protection desdroits fondamentaux peut sen trouver affecte. La Convention n'exclut pas letransfert de comptences des organisations internationales, une fois que les droitsgarantis par la Convention continuent d'tre reconnus ; mais dans cette hypothse,pareil transfert ne fait donc pas disparatre la responsabilit des tats membres.

    Dans laffaire Matthews15, la Cour a tudi limpossibilit pour les habitantsde Gibraltar de participer aux lections au Parlement europen. En vertu de larticle 1de la Convention, le Royaume-Uni doit reconnatre Gibraltar les droits consacrsdans la Convention et ses protocoles, et notamment le droit de participer auxlections au Parlement europen (article 3 du Protocole n 1), devenu un corpslgislatif , aprs le Trait de Maastricht, qui a renforc ses pouvoirs dans leprocessus lgislatif communautaire. La Cour a conclu que la responsabilit duRoyaume-Uni rsulte du fait que, postrieurement au moment o l'article 3 duProtocole n 1 est devenu applicable Gibraltar, cet tat a assum, par la voie duninstrument international, la dcision du Conseil 76/87 du 20 septembre 1976 et uneannexe lActe de 1976, des obligations ayant eu pour effet de modifier sa situationau regard de la Convention, notamment celle dorganiser Gibraltar des lectionspour les corps lgislatifs , y inclus le Parlement europen.

    Il faut souligner que, si la requte ne peut pas tre dirige contre unparticulier, la responsabilit de ltat peut nanmoins tre mise en cause du fait delomission par ltat de la protection des droits garantis par la Convention, mme lencontre de laction de particuliers. Prenons lexemple de la violation de larticle 2de la Convention : cet article exige que les autorits mnent une enqute effective etapprofondie sur lattentat la vie dune personne, enqute pour identifier et punir lesresponsables. Si, devant un attentat la vie dun individu commis mme par unparticulier, ltat ne prend pas les mesures adquates pour identifier les responsableset les punir, sa responsabilit pourrait tre engage sous langle de larticle 2.

    Toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou groupede particuliers relevant de la juridiction dune Partie contractante et qui se prtendvictime dune violation des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles peut

    plus, un accord entre lItalie et lAlbanie qui rglait la question existait. Ilascu, Lesco, Ivantoc etPetrov-Popa c. Moldova et la fdration de Russie (2001), Cour Eur. D.H., no. de requte 48787/91(dcision de recevabilit de la grande Chambre CEDH invoque par les requrants dans laffaireBankovic) - portant notamment sur des allgations aux termes desquelles les forces russes contrlaientune partie du territoire de la Moldavie -, la Cour a laiss cette question pour tre tranchedfinitivement lors de lexamen au fond de la cause.

    14 Affaire McElhinney c. Irlande (2001), 11 Cour Eur. D.H., no. de requte 00031253/96 au para. 24.15 Affaire Matthews c. Royaume-Uni (1999), 1 Cour Eur. D.H. (Sr.A) 309, no. de requte 00024833/94.

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    saisir la Cour dune requte contre la mme Partie16. Il suffit que la personne seconsidre victime pour acqurir le droit de se plaindre, mme si plus tard on arrive une conclusion contraire. La Cour examine si le requrant, en supposant que laviolation existe, peut tre considr victime, et lui reconnat la lgitimit pourprsenter sa requte. En principe, la violation doit exister et tre toujours actuelle.

    La notion de victime doit tre interprte indpendamment des notions dudroit interne concernant, par exemple, lintrt ou la qualit pour agir ; mme lemanque de capacit pour agir au niveau interne ne touche pas la possibilit pour lavictime elle-mme de prsenter la requte. Peut se prtendre victime dune violationde la Convention, en rgle gnrale, celui qui montre quil est directement etpersonnellement affect par lacte ou lomission quil critique, abstraction faite detout prjudice. Mais il y a des exceptions. Dabord, celles qui relvent de la notion devictime potentielle ou ventuelle.

    La Convention doit tre applique de manire rendre efficace le systmedes requtes individuelles ; ainsi, peut se prtendre victime dune violation celui quiest sur le point de subir une violation du fait dune Haute Partie contractante. Dans cecontexte, il a t admis que la seule existence dune lgislation pouvait suffire pourque le requrant soit considr comme victime, sil en subit ou risque den subirdirectement les effets, mme en labsence de tout acte individuel dapplication. Il at admis comme victime dune violation au droit du respect de sa vie prive, unefemme qui, sans allguer quelle tait enceinte, se plaignait de la lgislationprohibitive en matire dinterruption volontaire de grossesse. De la mme manire, ona considr comme discriminatoire une lgislation qui incrimine lhomosexualit danscertaines conditions. En outre, et cela arrive frquemment dans le champ de laprotection des droits des trangers, le seul fait dimminence de la violation peutsuffire acqurir la qualit de victime.

    Selon une jurisprudence constante, l'extradition ou l'expulsion d'unepersonne vers un pays o elle risque de subir des mauvais traitements, dj dcidemais non encore excute, peut engager la responsabilit de ltat en cause au titre delarticle 3 de la Convention.

    Un autre exemple, qui relve de la notion de victime indirecte, a permis auxorganes de la Convention de considrer comme victime dune violation toutepersonne ayant subi un prjudice en raison dune violation des droits dun tiers ou

    16 Voir Convention amricaine des droits de lhomme, art. 44 ; Charte africaine des droits de lhomme et

    des peuples, art. 55 et 56, qui nexigent pas la qualit de victime pour la prsentation dune plante laCommission interamricaine des droits de lhomme et la Commission africaine des droits delhomme et des peuples. Cette possibilit est dun trs grand intrt quand la victime se trouve danslimpossibilit de prsenter elle-mme la requte. Mais, il faut le dire, les organes de la Convention ontadmis des requtes prsentes par des tiers au nom des victimes tant dans limpossibilit de le faire,une fois que, rtablies en leur capacit, les victimes ont confirm la plainte. Dans le systmeinteramricain, seuls les tats et la Commission peuvent saisir la Cour interamricaine. Mais le locusstandi de la victime devant la Cour interamricaine a gagn beaucoup de poids dans les derniresannes ; ainsi les reprsentants de la victime sont intgrs dans la Dlgation de la Commission commeassistants ; dans certaines affaires, la victime est devenue linterlocuteur privilgi de la Cour. VoirTrindade, supra note 2 la p. 50.

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    ayant un intrt personnel valable ce quil soit mis fin la violation. Lapplicationde la notion de victime indirecte est soumise deux conditions. En premier lieu, ildoit y avoir prsence dune victime directe, effective ou potentielle, dune violationde la Convention. En second lieu, il doit exister un lien troit et personnel entre lavictime directe et la victime indirecte.

    Dans les affaires o il y a un rapport particulier et personnel de la victimeindirecte avec la victime, normalement des liens familiaux, mais ce nest pasexclusivement le cas, la jurisprudence admet la prsentation de la requte pour ceuxqui peuvent invoquer que la violation leur a caus un prjudice ou quils ont un intrtpersonnel pour mettre une fin la violation. Les parents et les frres peuvent seprsenter comme des victimes affectes par la mort dun proche. De plus, lorsquedeux personnes ont vcu ensemble pendant une longue priode, lune peut seconsidrer victime quant aux faits qui ont dclench la mort de lautre.

    Trois autres notes peuvent encore tre faites sur ce point. Dabord, si larequrante est une personne morale, elle doit se prtendre victime en tant que telle dela violation allgue ; elle ne peut pas porter plainte pour des violations ayant tsubies par ses adhrents, moins davoir reu un mandat exprs pour cela.Deuximement, pour quun requrant puisse se prtendre victime dune violation, ilfaut non seulement quil ait la qualit de victime au moment de lintroduction de larequte, mais aussi que celle-ci subsiste au cours de la procdure. Si les autoritsnationales ont reconnu explicitement ou en substance la violation allgue, puis lontrpar, le requrant ne peut plus se prtendre victime dune violation de laConvention. Par exemple, laccus reconnu innocent ne peut pas se prtendre victimede violations de la Convention relatives lquit de la procdure pnale. Finalement,si la victime dune violation est dcde aprs avoir prsent sa requte, les hritiers,sils le veulent, peuvent poursuivre la procdure devant la Cour, indpendamment dela nature de la violation en cause.

    La Cour se trouve limite ratione materiae, car elle est seulementcomptente pour examiner les requtes sur des droits et liberts inscrites dans laConvention et ses protocoles. Le requrant nest pas oblig de mentionner, dans sarequte, les articles de la Convention quil estime viols; la Cour tudie doffice, auregard de la Convention, la situation incrimine par le requrant. Danslaccomplissement de cette tche, il lui est notamment loisible de donner aux faits dela cause, tels quelle les considre comme tablis, une qualification juridiquediffrente de celle que leur attribue lintress.

    Daprs un principe gnral consacr larticle 28 de la Convention deVienne sur les droits des traits17, la comptence de la Cour, ratione temporis, soitpour connatre des requtes, est dfinie partir du dpt de linstrument deratification de la Convention. Le Protocole n 11 a mis fin au besoin de reconnatreexpressment le droit de porter plainte et la dclaration dacceptation de la

    17 Convention de Vienne sur le droit des traits, 23 mai 1969, 1155 R.T.N.U. 354, 8 I.L.M. 679 (entre

    en vigueur : 27 janvier 1980) [Convention de Vienne].

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 11

    juridiction de la Cour. Par consquent, la comptence de la Cour devient obligatoiredu fait de la ratification de la Convention.

    La Cour est assurment comptente ratione loci pour connatre des faits qui,constituant une violation de la Convention, ont t commis sur les territoires o ellesapplique (voir article 56 de la Convention de Vienne, clause coloniale)18. Maiscette rgle gnrale doit tre considre au regard de larticle 1 de la Convention quigarantit la protection tous ceux qui se trouvent sous la juridiction de ltat (voir supra).

    Les tats ne peuvent pas entraver lexercice du droit pour lindividu deporter et dfendre effectivement sa cause devant la Cour. Pour que le mcanisme derecours individuel soit efficace, il est de la plus haute importance que les requrants,dclars ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que lesautorits les pressent en aucune manire de retirer ou modifier leurs griefs. Par lesmots presser en aucune manire , il faut entendre non seulement la coercitiondirecte et les actes flagrants dintimidation des requrants, mais aussi les actes oucontacts indirects de mauvais aloi tendant dissuader ou dcourager ceux-ci de seprvaloir du recours quoffre la Convention. Dans certaines affaires, ltat a rencontrles requrants et les a fait interroger par les autorits au sujet de leur requte.

    Dans son arrt Akdivar et autres19, la Cour a rappel que pour que lemcanisme de recours individuel instaur l'article 25 (soit lactuel article 34) de laConvention soit efficace, il est de la plus haute importance que les requrants,dclars ou potentiels, soient libres de communiquer avec les organes de laConvention, sans que les autorits les pressent en aucune manire de retirer oumodifier leurs griefs. Nonobstant le maintien par les requrants de leur requte laCommission, la Cour a considr qu'une telle attitude des autorits constitue dans lechef des intresss une entrave contraire l'article 34.

    Un des problmes lis lexercice du droit de recours individuel est celuirelatif la correspondance que le requrant dtenu entretient avec le greffe de laCour, qui tait examin sous langle de lancien article 25 (soit lactuel article 34) dela Convention par la Commission. Toutefois, depuis larrt Campbell20, lexamen delingrence dans la correspondance des requrants avec les organes de la Conventiona subi une volution. Cest sous langle de larticle 8 de la Convention que la Cour aestim que la correspondance entre les dtenus et les organes de la Convention nedevait pas tre ouverte par les autorits pnitentiaires.

    18 La situation au 16 octobre 2002 concernant lextension de la Convention des territoires dont un tat

    assure les relations internationales tait la suivante : France pour les territoires doutre-mer; Pays-Bas pour Antilles nerlandaises et Aruba ; Royaume-Uni pour Anguilla, Bermudes, les Caman, lesMalouines, le de Man, Gibraltar, Bailliage de Guernesey, Bailliage de Jersey, Montserrat, Ste Hlne,Dpendances de Ste Hlne, les de Gorgie mridionale et les Sandwich mridionales.

    19 Affaire Akdivar et autres c. Turquie (1996), 4 Cour Eur. D.H. 1192 (Sr. A), no. de requte00021893/93.

    20 Affaire Campbell c. Royaume-Uni (1992), 233 Cour Eur. D.H. (Sr.A), no. de requte 00013590/88.

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    Et il ne faut pas oublier que les tats doivent fournir aussi toutes les facilitsncessaires, notamment pour les missions denqute, pour permettre un examensrieux et effectif des requtes par la Cour21.

    Larticle 35 de la Convention fixe les conditions de recevabilit des requtes,conditions qui sont examines ex officio par la Cour : lpuisement des voies derecours internes et le dlai de six mois partir de la date de la dcision dfinitive pourlintroduction de la requte.

    La rgle dpuisement des voies de recours internes repose sur lide que,avant quun tribunal international ne soit saisi de laffaire, ltat rendu responsabledoit se voir donner loccasion de redresser le dommage allgu laide des moyensdont il dispose, dans le cadre national, en vertu de son propre systme juridique.

    De plus, lexpression voies de recours internes contenue dans larticle 35de la Convention implique quil convient de mettre en uvre toutes les voies derecours, diffrents niveaux, telles que lappel auprs dune cour dappel, le pourvoiultrieur devant une cour suprme, si possible, le recours constitutionnel, et mme desrecours administratifs, susceptibles daboutir un rsultat satisfaisant au regard delobjet de la requte.

    Il faut que les recours soient efficaces, suffisants et accessibles. Le recoursdoit notamment tre accessible, cest--dire que lintress doit tre en mesure dedclencher lui-mme la procdure de recours. Le recours doit tre capable de porterremde directement, et non pas simplement indirectement, la situation critique. Enoutre, un recours doit exister avec un degr suffisant de certitude pour tre considrcomme efficace. Toutefois, cette rgle nexige pas en principe lexercice de recoursextraordinaires, ce qui laisse la question portant sur la prcision de la notion elle-mme ouverte. Pour avoir puis les voies de recours internes, lintress doit avoirfait valoir au moins en substance, devant les instances nationales, dans les dlais etformes prvus au droit interne, les griefs qu'il veut soumettre la Cour, mme sil nefait pas de rfrence la Convention. Les voies de recours internes nont pas tpuises lorsque le recours a t rejet par suite dune informalit commise parlauteur du recours.

    Lorsquune requte a t communique, la Cour ne la rejette pas pour non-puisement des voies de recours internes, moins que le gouvernement nait invoquce motif dans ses observations.Ltat peut renoncer invoquer ces exceptions ; et sille veut, il doit le faire jusqu la dcision sur la recevabilit. Larticle 35 prvoit unerpartition de la charge de la preuve. Il incombe au gouvernement excipant du non-puisement de convaincre la Cour que le recours tait effectif et disponible tant enthorie qu'en pratique, l'poque des faits. Ce recours tant donc accessible, il taitsusceptible doffrir au requrant le redressement de ses griefs et prsentait desperspectives raisonnables de succs. Cependant, une fois cela dmontr, il revient aurequrant dtablir que le recours voqu par le gouvernement a en fait t employou, pour une raison quelconque, ntait ni adquat ni effectif compte tenu des faits de 21 Voir Convention europenne des droits de lhomme, 4 novembre 1950, Eur. T.S. 5, art. 38 1 a)

    [Convention].

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 13

    la cause ou encore que certaines circonstances particulires le dispensaient delutiliser. Lun de ces lments peut tre la passivit totale des autorits nationalesface des allgations srieuses selon lesquelles des agents de ltat ont commis desfautes ou caus un prjudice, par exemple lorsquelles nouvrent aucune enqute oune proposent aucune aide. Dans ces conditions, lon peut dire que la charge de lapreuve se dplace nouveau, et quil incombe ltat dfendeur de montrer quellesmesures il a pris, eu gard lampleur et la gravit des faits dnoncs.

    La Cour a soulign quelle doit appliquer cette rgle en tenant dmentcompte du contexte : le mcanisme de sauvegarde des droits de la personne que lesParties contractantes ont convenu d'instaurer. Elle a ainsi reconnu que larticle 35 doits'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. De plus, elle aadmis que la rgle de lpuisement des voies de recours internes ne saccommode pasdune application automatique et ne revt pas un caractre absolu ; en contrlant lerespect de lpuisement ou non des voies de recours internes, il faut avoir gard auxcirconstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte demanire raliste, non seulement des recours prvus en thorie dans le systmejuridique de la Partie contractante concerne, mais galement du contexte juridique etpolitique dans lequel ils se situent, ainsi que de la situation personnelle desrequrants. La souplesse et le ralisme ont amen les organes de la Convention lanon-application de cette rgle quand il existe une pratique administrative (dvoilepar la rptition de faits illicites au regard de la Convention et la tolrance leurendroit de la part des autorits de ltat) ou une jurisprudence bien tablie. Si unerequte est rejete pour non-puisement des recours internes, le requrant peutlintroduire nouveau une fois quil les a puiss.

    La requte doit tre introduite dans le dlai de six mois partir de la date dela dcision interne dfinitive. Le dlai de six mois a un double but : assurer la scuritjuridique et donner lintress un dlai de rflexion suffisant pour apprcierlopportunit dintroduire une requte la Cour et pour en dfinir le contenu. Plusprcisment, le dlai de six mois court partir de la date laquelle lavocat durequrant ou celui-ci a eu ou devrait avoir connaissance de la dcision rendant effectiflpuisement des recours internes. Si la dcision est prise en audience publique, enprsence du requrant ou de son avocat, cest, en principe, partir de la date delaudience que le dlai commence courir.

    Toutefois, lorsquen vertu du droit interne, la dcision doit tre signifie parcrit au requrant ou son avocat, le dlai de six mois est calcul partir de la date dela signification, que le tribunal ait ou non donn prcdemment lecture, en tout ou enpartie, de la dcision en question. Et, si les motifs dune dcision sont ncessairespour lintroduction dun recours, le dlai de six mois est habituellement compt, non partir de la notification du seul dispositif dune dcision, mais du prononc ultrieurde lintgralit des motifs. Sagissant dun grief tir de labsence de recours judiciaireou sil ny a pas de recours puiser, le dlai de six mois court partir de la fin de laviolation ; sil sagit dune situation continue, il court partir de la fin de celle-ci.

    En rgle gnrale, la requte est rpute introduite la date de la premirecommunication (lettre, fax, tlgramme, voir par tlphone ou courriel, confirmer

  • (2002) 15.2 Revue qubcoise de droit international14

    ultrieurement par crit) du requrant exposant - mme sommairement - lobjet de larequte. La date retenir est celle de la prsentation de la communication la Courou celle mentionne par la poste sur lenveloppe. Toutefois, lorsquun laps de tempssubstantiel sest coul avant que le requrant ne soumette dautres informationsconcernant son projet dintroduction dune requte, la Cour examine les circonstancesparticulires de laffaire pour dcider quelle date sera considre comme la datedintroduction de la requte.

    Larticle 35 2 et 3 nonce dautres exceptions la recevabilit de larequte :

    a) si elle est anonyme ;b) si la mme requte a t soumise une autre instance internationale

    denqute ou de rglement ;c) si elle est incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses

    protocoles ;d) si elle est manifestement mal fonde ou abusive.

    Si une requte a dj t porte devant une autre instance internationale,notamment le Comit des droits de lhomme des Nations Unies, elle sera rejete, moins que des faits nouveaux se soient produits. Une requte est manifestement malfonde lorsquil nest pas possible de dtecter une quelconque apparence de violationde lun des droits ou liberts inscrits la Convention. La dfinition dune requteabusive doit tre faite au cas par cas. Une requte prtendument dpourvue defondement juridique solide et introduite des fins de propagande politique ne peuttre rejete pour abus du droit de recours, moins quelle ne se fonde manifestementsur une fausse dclaration des faits22. Une requte ne peut tre rejete comme tantabusive que si elle se fonde manifestement sur des faits errons en vue dinduire laCour en erreur23.

    Si toutes les conditions numres ci-dessus sont runies, la Cour dclare larequte recevable.

    Toutefois, tout moment de la procdure, la Cour peut dcider de rayer unerequte du rle lorsque les circonstances permettent de conclure : a) que le requrantnentend plus la maintenir ; ou b) que litige a t rsolu ; ou c) que, pour tout autremotif dont la Cour constate lexistence, il ne se justifie plus de poursuivre lexamende la requte24.

    Si le requrant ne maintient plus la requte, soit parce quil la retireexpressment, soit car son comportement nous permet de dduire quil ne manifestepas dintrt la continuation de la procdure, la Cour raye la requte du rle. Il en vade mme si le litige est rsolu au niveau interne, avec lobtention pour la victimedune rparation, normalement dans le cadre dun rglement amiable. Les autresmotifs de radiation sont multiples ; on pourrait donner lexemple exceptionnel de

    22 Aksoy c. Turkey (1994), 79A Comm. Eur. D.H.D.R. 60.23 Assenov c. Bulgaria (1996), 86A Comm. Eur. D.H.D.R. 54.24 Convention, supra note 21, art. 37 1.

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 15

    larrt Akman du 26 juin 200125, o la Cour a conclu que le gouvernement avaitadopt des mesures qui, mme si elles navaient pas t acceptes par lautre partie,devaient tre considres comme suffisamment rparatrices de la violation.

    Une fois la requte dclare recevable, la Cour, sans prjudice dun ventuelrglement amiable, poursuit lexamen contradictoire de laffaire avec lesreprsentants des parties, si besoin, en audience publique. la fin, la Cour dclare,dans un arrt motiv, sil y a ou non violation de la Convention et, le cas chant, ellepeut accorder la partie lse une satisfaction quitable.

    II. La ncessaire rforme du systme

    Ce systme fort raffin, que le Protocole n 11 offre tous ceux qui sontsous la juridiction des tats parties la Convention, est en crise. Ce qui constitue sonsuccs, soit la simplicit de laccs de lindividu la Cour - une simple lettre critedans une des langues dun des tats parties la Convention suffisant pour dclencherla procdure - a aussi t la cause principale des difficults auxquelles la Cour setrouve confronte. La situation actuelle de surcharge de travail de la Cour est lie une croissance exponentielle du nombre de requtes individuelles qui y sontintroduites. Pour lanne 2002, 35 000 requtes sont attendues. la fin du mois dejuin 2002, les requtes pendantes slevaient 26 000 ; on attend le chiffre de 33 000pour les requtes pendantes la fin de 2002. Et au-del des chiffres, la nature desaffaires prsentes la Cour reflte le changement de la composition du Conseil delEurope, o de nombreux tats sont en transition sur plusieurs points, notamment auniveau de leur ordre judiciaire, ou souffrent de problmes structuraux qui ne trouventpas de solutions faciles.

    Tout cela va lencontre de lefficacit du travail de la Cour et il seraimpossible de sauver la situation sans changer la pratique et le systme en vigueur. Ilest vident quil y a une limite quant au nombre daffaires que la Cour pourraittrancher dans des dlais raisonnables. La Cour suprme des tats-Unis dAmriquerend 80 90 arrts par an, la Cour suprme du Canada 120, et la Courconstitutionnelle allemande, de 30 40. La Cour de justice de lUnion europenne aprononc 240 jugements en 2001. La Cour a rendu presque 900 arrts au cours delanne 2001, et adopt plus de 9 000 dcisions dirrecevabilit des requtes. Et si laplupart des affaires sont simples ou rptitives, elles ne sont pas sans accaparer letemps de la Cour, alors que le travail des juges et du greffe pourrait et devrait treconsacr aux affaires soulevant des questions srieuses. Des travaux de rflexion sonten cours au Conseil de lEurope afin de trouver des solutions ce problme etdenvisager des rformes court et moyen termes.

    La question qui se pose est de savoir quel rle devra jouer la Cour. Pourcertains, lavenir du systme ne saurait reposer sur un redressement individuel ; ilfaudrait avant tout donner la Cour le rle dune vraie Cour constitutionnelleeuropenne, la possibilit de concentrer ses efforts sur les dcisions de principe 25 Affaire Akman c. Turquie (2001), 6 Cour Eur. D.H., requte no. 00037453/97.

  • (2002) 15.2 Revue qubcoise de droit international16

    qui feront progresser les droits de lhomme dans les tats membres de la Convention,et arriver la construction de lordre public europen. Dautres tendent plutt soutenir que lide centrale devra toujours demeurer la mme : quelle(s) que soi(en)tla rforme ou les rformes, elles devront respecter la substance du droit de recoursindividuel. Mais prserver un systme de recours individuel ouvert 800 000 millionsde personnes de 44 pays membres de la Convention et maintenir lefficacit du travailde la Cour reprsente nos yeux une vritable quadrature du cercle.

    Si on veut sauver la Cour et viter quelle soit submerge dans la paperassede milliers de requtes, il faut agir vite et efficacement. La Cour elle-mme nest pasreste inactive devant ce flau. Elle a introduit un systme plus souple dans la phasedenregistrement des requtes, en rduisant notamment au minimum les contacts entrele greffe et le requrant, cette phase. Lindividu qui manifeste lintention deprsenter une requte nest pas dissuad de le faire, mme si apparemment la requtene prsente aucune possibilit de succs, ce qui devrait pargner du temps au greffe.La requte qui ne mrite pas de plus ample examen sera par la suite rejete par unedcision de Comit. Toutefois, les dcisions de Comit sont mentionnes dans unprocs-verbal et lirrecevabilit de la requte est communique dans une lettre aurequrant, avec une indication succincte des motifs. Les requtes rptitives simplesou clones qui ne posent pas de questions srieuses seront, en principe,communiques en groupe et examines sous une forme abrge, tant donn que lesdcisions sur la recevabilit et le fond sont prises dans une seule dcision, comme lepermet larticle 29 3 de la Convention. La Cour, qui est toujours en qute desolutions permettant damliorer ses mthodes de travail pour le rendre plus souple etaugmenter sa productivit, maintient en permanence des comits composs de jugeset de membres du greffe pour tudier et proposer des mesures visant ce but.

    Au Conseil de lEurope, au moins depuis la Confrence ministrielle deRome, les 3 et 4 novembre 2000, la situation de la Cour est devenue lobjet deproccupations tous les niveaux et de tous les cts. Des mesures pour rformer lesystme existant la Cour, moyen et/ou long terme, sont envisages. Le groupedvaluation que le Comit des ministres du Conseil de lEurope a institu en luidonnant pour mandat de formuler des propositions sur les moyens possibles demaintenir lefficacit de la Cour26, dans son rapport du 27 septembre 2001, a fait deuxrecommandations principales : premirement, il a prconis un protocole laConvention qui confrerait la Cour le pouvoir de refuser dexaminer en dtail lesrequtes ne posant aucune question substantielle au regard de la Convention ;deuximement, la ralisation dune tude de faisabilit [...] concernant la cration ausein de la Cour dune division nouvelle qui serait charge de lexamen pralable desrequtes . De lautre cot, au niveau des experts du Conseil de lEurope, un groupede rflexion et le Comit directeur des droits de lhomme ont consacr beaucoupdefforts la situation de la Cour et plusieurs mesures ont t avances.

    Dans un sminaire du Conseil de lEurope, tenu les 9 et 10 septembre 2001,une fois de plus, toutes ces mesures et dautres ont fait lobjet de discussions. Ces 26 Dcision des Dlgus des Ministres du Conseil de lEurope donnant mandat au groupe dvaluation

    de formuler des propositions sur les moyens de maintenir lefficacit de la Cour, 7 fvrier 2001.

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 17

    mesures peuvent, grosso modo, tre divises en deux groupes. En premier lieu, cellesqui touchent au travail et la structure de la Cour :

    - cration dune cinquime section de la Cour;- admission des juges auxiliaires qui prteraient leurs concours aux

    juges nationaux de la Cour;- rejet par la Cour des affaires non substantielles ;- tablissement de procdures acceptes par les tats et selon lesquelles

    lauteur de la requte dclare recevable et manifestement bien fondepourrait obtenir rparation auprs dune instance nationale dsigne cet effet;

    - possibilit pour la Cour de renvoyer aux tribunaux internes certainesaffaires dont elle aurait t saisie. Cela pourrait concerner les affairesdans lesquelles les faits nauraient pas encore t tablis de maniresuffisante ou dans lesquelles les tribunaux internes nauraient pasappliqu des normes conformes aux principes de la Convention27;

    - instauration dun renvoi prjudiciel des juridictions nationales laCour : largissement de la comptence de la Cour en matire davisconsultatifs . La procdure davis consultatifs serait pareille celleprvue dans le cadre du droit de lUnion europenne, o les juridictionsnationales se verraient confrer la possibilit de suspendre linstance encours pour solliciter de la Cour un avis consultatif.

    En second lieu, celles qui sont davantage externes la Cour, notamment :- instauration de cours rgionales des droits de lhomme;- filtrage au niveau national : institution des commissions nationales de

    filtrage.

    Ce nest pas le moment de prendre position sur lensemble des mesures, lesunes ayant plus de mrite que les autres, toutes avances dans le but de soulager letravail de la Cour. Mais avant tout, il faut dcider quel modle poursuivre et si le droitde recours individuel doit tre maintenu. mon avis, si le droit de recours est liminde lordre juridique europen, ce sera un pas et un gros pas en arrire dans laprotection des droits de lhomme en Europe. LEurope a besoin de ce droit de recoursplac lextrieur des pays et qui reprsente le dernier espoir pour ceux qui ont tvictimes des violations des droits et garanties fondamentaux. Lindividu et lesautorits doivent savoir quil y a une Cour, place lextrieur du systme, avec lacapacit de sanctionner dune faon exemplaire ce type de violations. Mais on a ledroit de sinterroger : devant le nombre de recours qui, aujourdhui, arrivent laCour, comment concilier le rle de dernier espoir pour lindividu et la fonctionstructurelle de lordre juridique europen que la Cour devrait aussi jouer ?

    Les rponses, telles que vues ci-dessus, sont multiples ; mais, avant ou enmme temps que la rforme de la rforme ne se poursuive, il faut puiser lespossibilits que le systme actuel propose. Dans le cadre du systme actuel, il faut

    27 Florence Benot-Rohmer, Les possibilits de nouvelles formes dinteraction entre la Cour europenne

    et les juridictions nationales, Sminaire Renforcer linteraction entre la Cour europenne des Droitsde lHomme et les juridictions nationales , Strasbourg, 9-10 septembre 2002.

  • (2002) 15.2 Revue qubcoise de droit international18

    rduire dramatiquement le nombre de requtes qui arrivent la Cour. Pour y arriver,le caractre subsidiaire du mcanisme de contrle de la Convention doit treapprofondi dans toutes les directions.

    Le caractre subsidiaire du systme de protection europen suppose quilappartient aux tats et notamment aux tribunaux internes de sanctionner les violationsdes droits et liberts garantis dans la Convention. L aussi, la Cour peut apporter plusde poids la marge dapprciation des tats et, quand il sagit dexaminer sil y a ounon une violation de la Convention, elle doit rduire la porte de la notion darbitraire appliquer aux dcisions internes. En outre, lapplication de laConvention par les juridictions nationales est un pas dcisif. Si les magistratsconnaissaient la Convention et surtout sils taient obligs dappliquer la Conventionmme lencontre de la lgislation interne, un grand nombre de violations des droitsde lhomme seraient rpares au niveau interne. Pour cela, la diffusion de laConvention parmi les juristes europens devient primordiale. Par ailleurs, il fautconvaincre ceux qui ont pour tche dappliquer la loi que la Convention est aussi uneloi interne, place en guise de rgle gnrale un niveau suprieur par rapport auxnormes ordinaires.

    Et surtout, il faut rappeler que larticle 13 de la Convention prvoitlexistence dun recours effectif devant une instance nationale en cas de violation desdroits et liberts garantis par la Convention. Une rduction du contentieux portdevant la Cour passe par lamlioration des systmes internes des recours effectifspour la protection des droits de lhomme. cet gard, larticle 13, qui exige unrecours effectif pour dnoncer les manquements la Convention, joue un rle crucial.La Cour la raffirm rcemment :

    conformment lobjet et au but sous-jacents la Convention, tels quilsse dgagent de larticle 1 de celle-ci, chaque tat contractant doit assurerdans son ordre juridique interne la jouissance des droits et libertsgarantis. Il est fondamental pour le mcanisme de protection tabli par laConvention que les systmes nationaux eux-mmes permettent de redresserles violations commises, la Cour exerant son contrle dans le respect duprincipe de subsidiarit. 28

    Le caractre subsidiaire du systme de Strasbourg doit tre amlior avec lerenforcement des moyens au niveau interne pour redresser les violations de laConvention. Dans larrt Kudla du 26 octobre 2000, la Cour avait prcis :

    En vertu de larticle 1 (qui dispose : Les Hautes Parties contractantesreconnaissent toute personne relevant de leur juridiction les droits etliberts dfinis au titre I de la prsente Convention), ce sont les autoritsnationales qui sont responsables au premier chef de la mise en uvre et dela sanction des droits et liberts garantis. Le mcanisme de plainte devantla Cour revt donc un caractre subsidiaire par rapport aux systmes

    28 Affaire Z et autres c. Royaume-Uni (2001), 5 Cour Eur. D.H. no. de requte 00029392/95 au para. 103.

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 19

    nationaux de sauvegarde des droits de lhomme. Cette subsidiaritsexprime dans les articles 13 et 35 1 de la Convention. 29

    La finalit de larticle 35 1, qui nonce la rgle de lpuisement des voiesde recours internes, est de mnager aux tats contractants loccasion de prvenir oude redresser les violations allgues contre eux avant que la Cour nen soit saisie30. Largle de larticle 35 1 se fonde sur lhypothse, incorpore dans larticle 13 (aveclequel elle prsente dtroites affinits), que lordre interne offre un recours effectifquant la violation allgue (ibidem). Ainsi, en nonant de manire explicitelobligation pour les tats de protger les droits de lhomme en premier lieu au seinde leur propre ordre juridique, larticle 13 tablit au profit des justiciables unegarantie supplmentaire de jouissance effective des droits en question. Tel quil sedgage des travaux prparatoires,

    lobjet de larticle 13 est de fournir un moyen au travers duquel lesjusticiables puissent obtenir, au niveau national, le redressement desviolations de leurs droits garantis par la Convention, avant davoir mettreen uvre le mcanisme international de plainte devant la Cour. 31

    Il est vrai que dans certains tats, il existe des procdures spciales pour lesviolations des droits de lhomme, comme le recours damparo en Espagne oule recours constitutionnel en Allemagne et que, dans les pays qui pratiquentlexception dinconstitutionnalit, le taux de requtes portes devant la Cour estproportionnellement moins important que dans les tats qui ne connaissent pas cetype de systme. Toutefois, dans la plupart des tats parties la Convention, unmoyen spcifique la disponibilit de ceux qui pensent tre victimes de violation desdroits et garanties inscrits la Convention soit nexiste pas, soit est un moyen trsrigide, trs lent et parfois trs coteux. Et surtout, ces moyens sont, en rgle gnrale,dpourvus de la possibilit de proposer des solutions de conciliation ; aujourdhui, lerglement pacifique des conflits entre ltat et les citoyens occupe une place de plusen plus importante.

    Ce que nous proposons, dune faon gnrale, est la cration dun moyenspcifique pour les griefs relatifs aux droits de lhomme au niveau interne. Cela serait,dailleurs, conforme la philosophie de la marge dapprciation, cest--dire lathorie selon laquelle cest au premier chef aux juridictions nationales quil appartientde rgler les questions de violations des droits de lhomme32. Linstitution dunmcanisme souple au niveau interne, indpendant et impartial vis--vis des parties,capable dexaminer les requtes que les individus envisagent de soumettre notre 29 Affaire Kudla c. Pologne (2000), 11 Cour Eur. D.H no. de requte 00030210/96 au para. 152.30 Voir lAffaire Selmouni c. France (1999), 5 Cour Eur. D.H. 149, requte no. 00025803/94 au para. 74.31 Recueil des travaux prparatoires de la Convention europenne des droits de lhomme, vol. II, aux pp.

    485 et 490, et vol. III, la p. 651.32 Aalt-Willem Heringa, Les moyens actuels dinteraction : leur potentiel et leurs limites , Sminaire

    Renforcer linteraction entre la Cour europenne des Droits de lHomme et les juridictionsnationales , Strasbourg, 9-10 septembre 2002.

  • (2002) 15.2 Revue qubcoise de droit international20

    Cour et de proposer des solutions de redressement, y compris notamment despropositions de conciliation et darbitrage dans la recherche dun compromis ou dunesolution acceptable, pourrait constituer pour la Cour un moyen lui permettant de sevoir dbarrasse de la masse des affaires qui lui arrivent, mais o aucune questionjuridique importante ne se pose. De surcrot, dans les cas o aucun doute de laviolation ne subsiste et o il ne reste que le problme de la fixation dune satisfactionquitable, la phase du rglement amiable au niveau interne pargnerait la Cour pasmal defforts et de travail.

    Lide dun moyen spcifique puiser avant que la requte ne soitintroduite devant la Cour nest pas tout fait une nouveaut.

    Devant la masse des requtes qui provenaient de lItalie et qui un momentdonn a atteint le chiffre de 13 000 affaires pendantes et concernant la dure de laprocdure, il fallait ragir. Afin de rendre effectif au niveau interne le principede la dure raisonnable , dsormais inscrit dans la constitution, le parlement italiena adopt, le 24 mars 2001, la loi dite Pinto, qui, dans ses parties pertinentes, se litcomme suit :

    Article 2 (Droit une satisfaction quitable) :

    Toute personne ayant subi un prjudice patrimonial ou nonpatrimonial suite la violation de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des liberts fondamentales, ratifie par la loi 4 aot 1955, n848, en matire de dlai raisonnable conformment larticle 6 1 de laConvention, a droit une satisfaction quitable.

    En constatant la violation, le juge prend en compte la complexitde laffaire et, eu gard celle-ci, le comportement des parties et du jugecharg de la procdure, ainsi que le comportement de toute autoritappele participer ou contribuer son rglement.

    Le juge dtermine le montant du prjudice conformment larticle 2056 du Code civil, en respectant les dispositions suivantes :

    - seul le prjudice qui peut se rapporter la priode excdant ledlai raisonnable indiqu lalina 1 peut tre pris en compte ;

    - le prjudice non patrimonial est rpar non seulement par lepaiement dune somme dargent, mais aussi par le biais deformes adquates de publicit du constat de violation.

    Article 3 (Procdure) :

    La demande de satisfaction quitable doit tre dpose devant lacour dappel o sige le juge comptent selon larticle 11 du Code deprocdure pnale, juger dans les affaires concernant les magistrats duressort o la procdure - dont on allgue la violation - sest conclue ousest teinte, quant aux instances sur le fond ou est pendante.

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 21

    La demande est introduite par un recours dpos au greffe de lacour dappel, par un avocat ayant un mandat spcifique et contenant tousles lments prvus par larticle 125 du Code de procdure civile.

    Le recours est introduit lencontre du ministre de justice silsagit de procdures devant le juge ordinaire, du ministre de la dfense silsagit de procdures devant le juge militaire, du ministre des finances silsagit de procdures devant les commissions fiscales. Dans tous les autrescas, le recours est introduit lencontre du prsident du Conseil desministres.

    La cour dappel statue conformment aux articles 737 et suivantsdu code de procdure civile. Le recours, ainsi que la dcision de fixationdes dbats devant la chambre comptente, est notifi, par les soins durequrant, ladministration dfenderesse domicilie auprs du Bureau desavocats de ltat [Avvocatura dello Stato]. Un dlai dau moins quinzejours doit exister entre la date de la notification et celle des dbats devantla chambre.

    Les parties peuvent demander que la Cour ordonne la productionde tout ou dune partie des actes et des documents de la procdure, au sujetde laquelle on allgue la violation vise larticle 2, et elles ont le droitdtre entendues, avec leurs avocats, devant la chambre du Conseil si ellesse prsentent. Les parties peuvent dposer des mmoires et des documentsjusqu cinq jours avant la date laquelle sont prvus les dbats devant lachambre ou jusqu lchance du dlai accord par la cour dappel suite la demande des parties.

    La cour prononce, dans les quatre mois suivant le dpt durecours, une dcision contre laquelle il est possible de se pourvoir encassation. La dcision est immdiatement excutoire.

    Le paiement des indemnits aux ayants droit a lieu, dans la limitedes ressources disponibles, compter du 1er janvier 2002.

    Article 4 (Dlai et conditions concernant lintroduction dune requte) :

    La demande de satisfaction quitable peut tre prsente au coursde la procdure au titre de laquelle on allgue la violation ou, sous peine dedchance, dans un dlai de six mois partir de la date laquelle ladcision, qui conclut ladite procdure, est devenue dfinitive.

    La Cour a observ, en tudiant la Loi Pinto33, quelle vise, entre autres, rendre effectif au niveau interne le principe de la dure raisonnable , inscrit dans laconstitution italienne aprs la rforme de larticle 111. Par ailleurs, le droit de chacun voir sa cause entendue dans un dlai raisonnable ne peut tre que moins effectif silnexiste aucune possibilit de saisir dabord une autorit nationale des griefs tirs dela Convention. En ce qui concerne lefficacit de ce remde, la Cour souligne que le

    33 Voir, parmi dautres, Brusco c. Italie (2001), Cour Eur. D.H., no. de requte 00069089.

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    juge national est appel, dans lvaluation du caractre raisonnable de la dure duneprocdure, appliquer les principes dgags par la jurisprudence de la Cour, savoirla complexit de laffaire, le comportement du requrant et celui des autoritscomptentes. Et la Cour a conclu que la voie de recours introduite par la Loi Pintosinscrit dans la logique consistant permettre aux organes de ltat dfendeur deredresser les manquements lexigence du dlai raisonnable et de rduire, parconsquent, le nombre de requtes que la Cour sera appele traiter.

    Un autre moyen spcifique existe, depuis longtemps, dans lordre juridiqueespagnol, pour les violations du dlai raisonnable . Dans le systme juridiqueespagnol, tel quvoqu plus haut, toute personne estimant que la procdure civile oupnale la concernant souffre de dlais excessifs peut, aprs s'tre plainte auprs de lajuridiction charge de l'affaire et au cas o sa demande ne serait pas suivie d'effets,saisir le Tribunal constitutionnel d'un recours damparo sur le fondement del'article 24 2 de la Constitution. En plus, et cest l la singularit du systme, lesarticles 292 et suivants de la Loi organique du pouvoir judiciaire offrent la possibilitde formuler une demande en rparation auprs du ministre de la justice pourfonctionnement anormal de la justice, une fois que la procdure interne est termine.Selon la jurisprudence des juridictions administratives espagnoles existant en lamatire, la dure draisonnable de la procdure est assimile un fonctionnementanormal de l'administration de justice. Par ailleurs, la dcision du ministre de lajustice peut faire lobjet d'un recours contentieux devant les juridictionsadministratives. En consquence, cette voie dexercice de droits prsente un degrsuffisant d'accessibilit et d'effectivit pour les justiciables et ds lors, constitue unrecours qui doit tre exerc avant de venir Strasbourg34.

    Les moyens spcifiques qui existent aujourdhui en Italie et en Espagne sontde nature diffrente, lun tant judiciaire, lautre administratif. Et si le moyen quiexiste en Espagne a fait ses preuves - les requtes contre lEspagne pour la violationdu dlai raisonnable sont trs rares -, le moyen introduit par la Loi Pinto auraencore besoin de temps pour faire son chemin. Ces moyens ne sappliquent quauxviolations du dlai de procdure, et le doute de leur efficacit pour sanctionnerdautres types de violations savre justifi.

    Il se peut que, pour certains types de violations, lexistence dun organe defiltrage au niveau interne ne se rvle pas efficace. Mais nous envisageons dabord lamasse daffaires rptitives ou clones et les affaires manifestement bien fondeso existe une jurisprudence bien tablie et o ce qui reste dterminer est le quantum de la satisfaction quitable. Dans ce type daffaires, lorgane internepourrait, la lumire de la jurisprudence de la Cour, vrifier si les conditions dunconstat de violation sont runies et, dans laffirmative, proposer aux parties unrglement amiable ou, si le rglement nest pas possible, dterminer lui-mme lemontant que ltat devrait payer. Nous pensons aussi aux affaires manifestement malfondes, aux affaires dites de Comit. Les affaires de Comit ne donnent pasbeaucoup de travail aux juges, mais elles en donnent bien davantage aux membres du 34 Voir Gonzalez Marin c. lEspagne (1999), 7 Cour Eur. D.H. (Sr. A) 431, requtes nos. 00024846/94,

    00034165/96 et 00034173/96; Prieto Rodriguez c. Espagne (1993), 75 Comm. Eur. D.H.D.R. 128.

  • Droit de recours individuel devant la CEDH 23

    greffe. Les dossiers des affaires de Comit, en rgle gnrale, sont garnis dedocuments parfois manuscrits quil faut lire attentivement pour arriver comprendrequel est le grief et sa consistance. Si lorgane national de filtrage avait aussi pourtche dtudier tous ces dossiers et de conclure lirrecevabilit de la requte,beaucoup de travail serait pargn la Cour. Il est vrai que, pour maintenir lacohrence dun systme de droit de recours individuel, les dcisions de lorgane defiltrage ne pourront avoir force de chose juge et que lindividu comme ltatcontinueront avoir le droit de saisir la Cour ; mais pas mal de travail sera t laCour.

    Le modle que nous envisageons aura certainement ses inconvnients etpersonne ne peut assurer quil va rsoudre les arrirs de la Cour dune maniresatisfaisante. Mais la solution propose nen empche pas dautres visant soulager letravail de la Cour ; au contraire, elle est compatible avec presque toutes celles ayantt proposes. Toutes les mesures visant donner la Cour la possibilit depoursuivre son rle de gardien de lordre juridique europen mritent dtreaccueillies condition quelles ne portent pas prjudice lautre rle tout aussiessentiel de la Cour : constituer la dernire porte laquelle frappent ceux qui ont tvictimes de violations des droits de lhomme et qui nont pas obtenu au niveau internela rparation adquate. Nous gardons lesprance lgitime que tout cela devienneralit dans un bref dlai parce que la situation est, sans aucun doute, urgente. Il fautagir vite si on veut sauver ce qui constitue le joyau de la couronne du systmejuridique europen, systme si convoit dans le monde. Il serait pnible dadmettreque, quand le reste du monde des droits de lhomme trouve son inspiration dans lemodle europen, lEurope proclame son incapacit le soutenir.

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