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« Si une personne condamnée à mort se trouve en état de démence, l’exécution est ajournée sur ordre du ministre de la Justice. » Code de procédure pénale du Japon, loi 131, article 479-1 Le Japon est l’un des deux seuls pays industrialisés, avec les États-Unis, à maintenir la peine de mort en droit et en pratique. L’application de ce châtiment est entourée du plus grand secret ; les prisonniers sont prévenus quelques instants seulement avant leur exécution et leurs proches n’en sont informés que lorsqu’elle a déjà eu lieu. Il est également arrivé que l’on exécute des prisonniers atteints de maladies mentales graves. Les normes internationales relatives aux droits humains disposent que la peine capitale ne doit pas être appliquée à certaines catégories de criminels, notamment les mineurs âgés de moins de dix-huit ans au moment du crime pour lequel ils ont été condamnés, les femmes enceintes, les personnes âgées et celles souffrant de graves trouves mentaux. Amnesty International invite les autorités japonaises à mettre en place de véritables garanties pour les condamnés à mort et à faire en sorte que les détenus souffrant de maladie mentale ne soient pas exécutés. Elle exhorte le gouvernement à améliorer les conditions de vie en milieu carcéral afin que les prisonniers ne subissent pas de dégradation de leur santé mentale ni ne développent de troubles mentaux graves. Établissement pénitentiaire de Tokyo, l’un des sept endroits au Japon où ont lieu des exécutions. PENDUS À UN FIL SANTÉ MENTALE ET PEINE CAPITALE AU JAPON « Parce qu’on écrit. Il n’y a pas d’affaire, mais l’innocent ressort. Je me suis entraîné clandestinement pendant dix ans. Spécialement. La sagesse magique a commencé à marcher, la machine s’est faite toute seule. Ça s’appelle la machine de Gakushûin […] Écrite, rien de plus qu’écrite. Ce n’est pas dans l’existence. C’est une question finie. Ce n’est pas réel. » RÉPONSE D’UN CONDAMNÉ À MORT À PROPOS DE L’AIDE QU’IL RECEVAIT DES AVOCATS © Amnesty International

Pendus à un fil. Santé mentale et peine capitale au Japon

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Le Japon est l'un des deux seuls pays industrialisés à maintenir la peine de mort en droit et en pratique. L'application de ce châtiment est entourée du plus grand secret ; les prisonniers ne sont prévenus de leur exécution que quelques instants avant.

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« Si une personne condamnée à mortse trouve en état de démence,l’exécution est ajournée sur ordre duministre de la Justice. »

Code de procédure pénale du Japon, loi 131,article 479-1

Le Japon est l’un des deux seuls paysindustrialisés, avec les États-Unis,à maintenir la peine de mort en droitet en pratique. L’application de cechâtiment est entourée du plus grandsecret ; les prisonniers sont prévenusquelques instants seulement avantleur exécution et leurs proches n’en

sont informés que lorsqu’elle a déjàeu lieu. Il est également arrivé quel’on exécute des prisonniers atteintsde maladies mentales graves.

Les normes internationales relativesaux droits humains disposent que lapeine capitale ne doit pas êtreappliquée à certaines catégories decriminels, notamment les mineursâgés de moins de dix-huit ans aumoment du crime pour lequel ils ontété condamnés, les femmesenceintes, les personnes âgées etcelles souffrant de graves trouvesmentaux. Amnesty International

invite les autorités japonaises àmettre en place de véritablesgaranties pour les condamnés à mortet à faire en sorte que les détenussouffrant de maladie mentale nesoient pas exécutés. Elle exhorte legouvernement à améliorer lesconditions de vie en milieu carcéralafin que les prisonniers ne subissentpas de dégradation de leur santémentale ni ne développent detroubles mentaux graves.

Établissement pénitentiaire de Tokyo,

l’un des sept endroits au Japon où ont

lieu des exécutions.

PENDUS À UN FILSANTÉ MENTALE ET PEINE CAPITALEAU JAPON« Parce qu’on écrit. Il n’y a pas d’affaire, mais l’innocent ressort. Je me suis entraîné clandestinement pendant dixans. Spécialement. La sagesse magique a commencé à marcher, la machine s’est faite toute seule. Ça s’appelle lamachine de Gakushûin […] Écrite, rien de plus qu’écrite. Ce n’est pas dans l’existence. C’est une question finie.Ce n’est pas réel. »

RÉPONSE D’UN CONDAMNÉ À MORT À PROPOS DE L’AIDE QU’IL RECEVAIT DES AVOCATS

©Amnesty

International

IWAO HAKAMADA

Iwao Hakamada, un ancien boxeur né le 10 mars 1936, a été arrêté et poursuivi pour meurtre en 1966. Le 30 juin de cette année, ilaurait poignardé à mort le directeur de l’usine où il travaillait ainsi que trois autres membres de sa famille. Il a été arrêté, puisinterrogé pendant vingt jours par des policiers en l’absence d’un avocat. Le système des daiyo kangoku (« prisons de substitution »)permet de maintenir un suspect en détention pendant vingt-trois jours afin à des fins d’interrogatoire. Il n’y a pas de limite dedurée pour les séances d’interrogatoire, au cours desquelles les contacts entre un avocat et son client sont restreints. IwaoHakamada est passé en jugement le 11 septembre 1968. Il est revenu sur ses « aveux », affirmant que la police l’avait contraint àles signer, mai il a été déclaré coupable et condamné à mort. Par la suite, le recours qu’il a déposé devant la haute cour de Tokyo aété examiné et rejeté en 1976, de même que celui qu’il a formé devant la Cour suprême en 1980, et la peine capitale a été confirmée.

Dans les mois qui ont suivi la confirmation de sa peine, Iwao Hakamada a commencé à montrer des signes de grave perturbationdu raisonnement et du comportement. Ses échanges avec ses avocats sont devenus vains et les conversations qu’il avait avec sasœur aînée et les lettres qu’il lui écrivait étaient incohérentes. Il a continué à lui écrire ainsi jusqu’en avril 1991.

Iwao Hakamada avait droit au nombre très limité de visites autorisées aux condamnés à mort (à savoir sa sœur et troismembres d’un groupe de soutien). Cependant, en août 1994, il a refusé les visites. Sa sœur n’a pas pu le voir pendant douzeans. Depuis novembre 2006, il accepte sporadiquement de recevoir des visites.

Iwao Hakamada a été examiné au cours dedeux entretiens d’une heure, les 23 et25 octobre 2007, par un spécialiste en santémentale expert auprès des tribunaux qui aétabli qu’il souffrait d’« un handicap mentaldû principalement à son séjour prolongé dansle centre de détention ».

Un psychiatre indépendant l’a examiné le16 janvier 2008 et a conclu qu’il souffraitd’une réaction à la prison (également appeléepsychose carcérale) avec mégalomanie ettroubles du raisonnement, que son étatconstituait un « état de démence » tel queprévu par le Code de procédure pénale et qu’iln’était donc pas apte à être exécuté.

La dernière fois qu'il a été vu par desmembres du groupe de soutien, en avril 2009,Iwao Hakamada, actuellement âgé desoixante-treize ans, était en fauteuil roulant etparlait de manière confuse. Il est toujours àl’isolement dans une petite cellule du centrede détention de Tokyo, où il attend sonexécution par pendaison. Entre temps, sessympathisants ont demandé au tribunal qu’ilsoit rejugé, dans l’espoir qu’il soit déclaréinnocent du crime pour lequel, il y a quaranteet un ans, il a été condamné à mort.

Iwao Hakamada durant sa carrière de boxeur. Condamné à mort il y a quarante ans,

il se trouve actuellement dans le centre de détention de Tokyo.

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Amnesty International Septembre 2009 Index : ASA 22/006/2009

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©DR

LA PEINE DE MORTAU JAPON

Le recours à la peine capitale auJapon est une anomalie. Le taux decriminalité est faible par rapport àd’autres pays ayant un niveau dedéveloppement socio-économiquesimilaire. Le nombre decondamnations pour meurtre est peuélevé (70 % plus bas qu’il y a undemi siècle). Le taux d’emprisonnementest également relativement faible.Enfin, seul 1 % environ despersonnes déclarées coupables demeurtre ou d’un crime similaire sontcondamnées à la peine capitale.

Selon certaines informations, desdétenus ont été exécutés alors qu’ilssouffraient de troubles mentaux.C’est le cas de Hifumi Takezawa, néen 1937 et exécuté le 23 août 2007,en même temps que deux autrescondamnés. À la suite d'une attaquecérébrale, Hifumi Takezawa souffrait

de troubles mentaux qui le rendaientparanoïaque et agressif. D’après lesinformations recueillies lors de sonprocès, tant les médecins de ladéfense que ceux de l’accusationavaient établi un diagnostic demaladie mentale. Il a cependant étéjugé responsable de son crime,condamné à mort et exécuté.

Le Japon est le seul pays d’Asie quiferait preuve d’une sévéritécroissante en ce qui concerne à lafois la peine capitale et les peinesd’emprisonnement. Dans ce pays,la méthode d’exécution fixée par laloi est la pendaison.

DES LOIS CONTRE L’EXÉCUTIONDES PERSONNES SOUFFRANTDE MALADIE MENTALE

Les normes internationalesappelant les États à ne pas recourirà la peine capitale pour despersonnes souffrant de maladie

mentale comprennent deuxdéclarations du Conseiléconomique et social des Nationsunies ainsi que plusieursrésolutions de la Commission desdroits de l'homme. Le rapporteurspécial des Nations unies sur lesexécutions extrajudiciaires,sommaires ou arbitraires a confirmél’interdiction internationaled’exécuter des personnes souffrantde troubles mentaux.

Il est largement reconnu, en droitpénal et dans le droit internationalrelatif aux droits humains, quecertains facteurs doivent être prisen compte lorsqu'une personne estjugée, déclarée coupable etcondamnée pour un acte criminel.Parmi ces facteurs, certains sontconsidérés comme atténuants oumême disculpatoires, tels que lefait d’agir en légitime défense ousous l’influence d’une maladiementale grave.

DONNÉES SUR LA PEINE DE MORT : JAPON

Prisonniers dont la condamnation a été confirméepar la Cour suprême

97

Âge du plus jeune : 26 ansdu plus âgé : 85 ans

Nombre de prisonniers exécutés,période 1979-2008

91 (dont une femme)

Nombre de prisonniers malades mentaux exécutés information non disponible

Âge des prisonniers exécutés depuis 1979 le plus jeune : 32 ansle plus âgé : 77 ans

Intervalle entre la première condamnation etl’exécution

le plus court : 3 ansle plus long : 30 ans

Nombre de condamnés à mort souffrant demaladie mentale

information non disponible

Nombre de prisonniers innocentés et libérésdepuis 1979

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Nombre de prisonniers définitivement exemptésd’exécution en appel en raison de leur état desanté mentale

0

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Index : ASA 22/006/2009 Amnesty International Septembre 2009

PENDUS À UN FILSanté mentale et peine capitale au Japon

EXÉCUTION DE PERSONNESÂGÉESAu Japon, l’âge des détenus est pris encompte pour déterminer s’ils sontaptes ou non à être condamnés à lapeine de mort. La législation japonaiseest conforme aux normesinternationales qui interdisentl’exécution de personnes qui étaientâgées de moins de dix-huit ans aumoment du crime pour lequel ils ontété condamnés. Dans les faits, laplupart des prisonniers exécutés sontâgés. En trois ans, entre janvier 2006et janvier 2009, 32 hommes ont étéexécutés au Japon. Quinze avaientmoins de soixante ans et 17 avaientplus de soixante ans. Ce dernier groupecomptait cinq hommes de plus desoixante-dix ans, dont un de soixante-dix-sept ans et un autre desoixante-quinze ans qui a dû être menéà la chambre d’exécution en fauteuilroulant. Ils font partie des prisonniersles plus âgés au monde à avoir étéexécutés, tous pays confondus.

Même à l’intérieur du pays, lamanière de considérer les facteursatténuants dus à l’état mental diffèreselon les tribunaux. Les affairesimpliquant des accusés souffrant demaladie mentale peuvent donner lieuà des verdicts tels que « noncoupable pour cause de démence »,« coupable mais atteint de démence »ou « coupable d’homicideinvolontaire [plutôt que de meurtre]pour cause de responsabilitéatténuée », entre autres. Lorsque laculpabilité est établie par le tribunal,la peine peut être allégée en raisonde l’état de santé mentale de l’accusé.

Au Japon, l’article 39 du Code pénalprécise que les actes découlant d'unétat de démence ou de responsabilitéatténuée ne sont pas sanctionnés oufont l'objet de peines plus légères. LeCode de procédure pénale prévoit que« si l’accusé est atteint d’aliénationmentale, le tribunal prononce lasuspension de la procédure pénalepour toute la durée de l’étatd’aliénation, après avis d’unreprésentant du ministère public et duconseil ». De plus, l’article 479 duCode de procédure pénale dispose :« Si une personne condamnée à mortse trouve en état de démence,l’exécution est ajournée sur ordre duministre de la Justice ». La législationprévoit donc une réduction de peinedans les affaires où l’accusé ou lapersonne déclarée coupable présentaitdes capacités amoindries au momentdu crime, durant la procédure judiciaireou au moment de l’exécution.

La loi japonaise met l’accent sur lebien-être mental des prisonniers :elle contient notamment desréférences explicites à l’obligationpour les autorités de protéger la« tranquillité d’esprit » des détenus.Un représentant du département duministère de la Justice chargé du

système pénitentiaire pour adultesétait cité dans un article de presseen 2004. Il aurait déclaré :« Nousvoulons maintenir la stabilité mentaledes personnes qui attendent d’êtreexécutées », et ajouté : « D’un pointde vue émotionnel, tout le mondesouhaite qu’elles affrontent leursderniers instants en paix ».

Il semble, pour AmnestyInternational, que cette remarqued’un criminologue est un résuméplus juste des interactions entre la loiet la pratique : « La loi dit que latranquillité d’esprit [du prisonnier]doit être protégée ; la ligne deconduite consiste à briser les esprits ».

ÉVALUATION DE LA CAPACITÉ ÀÊTRE JUGÉ

Les troubles mentaux peuventconduire à des infractions, ils

peuvent être parmi les facteurs d’uneinfraction mais ils peuvent aussi nepas être directement liés à laperpétration d’une infraction donnée.Il est de la responsabilité du systèmepénal de prendre en compte l’état desanté mentale de l’accusé ou de lapersonne reconnue coupable d’uncrime afin de répondre à la fois auxexigences de la justice et aux normesinternationales relatives aux droitshumains.

Dans ce domaine, la législationjaponaise prend en compte troisniveaux de capacité à être jugé. Lepremier est lié à la responsabilité dela personne devant ses actes, ourreessppoonnssaabbiilliittéé ppéénnaallee. Les avocatsinterrogés par Amnesty Internationalont expliqué qu’un juge ou unreprésentant du ministère publicpeuvent demander, au cours del’interrogatoire, un examen des

DÉFINITIONS

Maladie mentale : troubles du raisonnement, de l’humeur ou ducomportement susceptibles d’entraver la capacité de la personne à secomporter de manière rationnelle et en conformité avec la loi.

Handicap intellectuel (ou arriération mentale) : état d’une personne dontles capacités mentales ne se sont pas développées au cours de l’enfanceet de l’adolescence et dont les facultés d’adaptation à une vieindépendante et à la prise de décision sont moins bonnes que celles dela moyenne de la population.

Atténuation de la responsabilité : expression de droit faisant référenceà l'opinion selon laquelle une personne atteinte de troubles mentauxpeut ne pas être tenue pour responsable d’un acte au même degréqu'une personne en pleine possession de ses facultés mentales.

Troubles de la personnalité (en particulier, personnalité antisociale oulimite) : il ne s’agit pas d’une maladie mentale pouvant être traitée àl’aide de médicaments ou d’une thérapie mais d’un trouble ducomportement caractérisé par une incapacité d’empathie et decompréhension envers les autres et par un mépris des conventionssociales et légales.

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capacités mentales de la personneaccusée d’un crime passible de lapeine capitale, tel un meurtre. Lesavocats de la défense ne sont pas endroit de demander cette évaluation.Si les capacités mentales de l’accusésont mises en question au momentdu procès, l’examen peut êtredemandé par un juge, unreprésentant du ministère public ouun avocat de la défense.

Le second niveau de capacité est liéà l’aptitude de l’accusé à ppaarrttiicciippeerr ààllaa pprrooccéédduurree jjuuddiicciiaaiirree. Au Japon,c’est ce que l’on appelle la ccaappaacciittéépprrooccéédduurraallee. Elle est déterminée parla capacité de la personne àcomprendre la nature des chefsd’inculpation, à communiquer demanière cohérente avec ses avocats,à participer à sa propre défense et àprendre des décisions rationnellesconcernant ses recours.

Le troisième niveau de capacitécorrespond à la notion d’aappttiittuuddee ààppuurrggeerr uunnee ppeeiinnee ou à être exécutéet est défini à l'article 479-1 du Codede procédure pénale. Cependant,deux fois seulement une juridiction asuspendu pour incapacité mentaleune condamnation à la peine capitaleprononcée par une juridiction

inférieure, à chaque fois pour desraisons d’incapacité procédurale.Aucune condamnation à mort n’a étécommuée (c'est-à-dire ramenée àune peine moins lourde) parce que lapersonne était inapte à être exécutéeaux termes de l’article 479.

CONDITIONS DE VIE DANS LEQUARTIER DES CONDAMNÉSÀ MORT

Au Japon, les conditions de vie descondamnés à mort sont éprouvanteset constituent une peine ou untraitement cruel, inhumain oudégradant. Les prisonniers ne sontpas autorisés à parler entre eux, cequi est assuré par un isolement trèsstrict. Les contacts avec le mondeextérieur sont limités à de rares visitesd'avocats, de parents ou d’autresvisiteurs autorisés, qui se déroulentsous surveillance. Ces visites peuventdurer de cinq à trente minutes, à ladiscrétion du directeur de la prison.Un gardien est toujours présent.

Les détenus sont autorisés à envoyertous les jours une lettre pouvantcompter jusqu’à sept pages. Enthéorie ils peuvent recevoir ducourrier de n'importe qui, mais dans

les faits les lettres de soutien de lapart du public ne leur sont pasremises. La correspondance estcensurée dans les deux sens.

Les condamnés à mort ne sont pasautorisés à regarder la télévision ni àentreprendre des projets ou desactivités personnels, mais ils peuventtravailler bénévolement. Ils ont droità trois livres soumis à l’approbationdes autorités. L'exercice physique estlimité à deux séances de trenteminutes par semaine hors descellules en été, et à trois séances parsemaine en hiver. Un agentpénitentiaire surveille ces périodesd’exercice physique, au coursdesquelles le détenu est seul. Lereste du temps, les prisonniers nesont pas autorisés à se déplacer dansleur cellule et doivent rester assis.

Ils sont non seulement isolés les unsdes autres au sein de la prison mais,dans de nombreux cas, ils sontégalement rejetés ou reniés par leurfamille. Parfois, le prisonnier lui-même refuse les visites pour uneraison ou une autre, bien que dansces cas-là il soit difficile de s’assurerdu point de vue du détenu ou desraisons pour lesquelles il refuse les visites.

MISAO MATSUMOTO

Misao Matsumoto, né le 20 février 1965, a été déclaré coupable le 24 août 1993 de deux meurtres et de coups et blessuresayant entraîné la mort ainsi que de vol qualifié, perpétrés en décembre 1990 et juillet 1991, respectivement. Il avait souffertde troubles mentaux avant son arrestation et présentait des antécédents d’inhalation de vapeurs de solvants. Il a interjetéappel devant la haute cour de Tokyo en septembre 1994 mais sa demande a été rejetée. En 1998, il a présenté un recoursdevant la Cour suprême qui, le 1er décembre de la même année, a confirmé sa condamnation à la peine capitale.

Un co-accusé dans la même affaire avait témoigné que Misao Matsumoto n’était pas impliqué dans les meurtres et ce derniera déposé un recours en révision. Il exprime actuellement des pensées délirantes, disant qu'il est irradié par des rayonnementsmicro-ondes et qu’il a le sang violet. Il se plaint de maux de tête, ce pour quoi il a été examiné à l’aide d’un tomodensitomètre.D’après les résultats de ces examens, il ne présenterait aucun problème sous-jacent mais ses avocats ne parviennent pas àles consulter. L’équipe de juristes chargée de son cas a déposé un recours en révision tout en précisant que l’état de santémentale de ce prisonnier affecte sa capacité de comprendre la peine prononcée. Misao Matsumoto peut être exécuté à toutmoment bien qu’il ait entamé une procédure pour être jugé à nouveau.

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Schéma d’une chambre d’exécution, au centre de détention de Tokyo, tiré du quotidien Asahi Shimbun, 10 mars 2009.

Ce schéma s’appuie sur les souvenirs de Hosaka Nobuto, un membre de la Diète (le parlement japonais) qui a visité la

chambre d’exécution. Aucune information ou illustration officielle n’est disponible à ce sujet. En haut à droite de l’image se

situe la chambre d’exécution avec, sur la droite, un espace où l’aumônier de la prison rencontre le condamné. Dans une pièce

adjacente (en bas à gauche sur l’image) sont disposés trois boutons ; trois agents pressent ces boutons simultanément mais un

seul ouvre la trappe, déclenchant la pendaison. La zone réservée aux témoins se trouve à gauche de la chambre d’exécution.

Les représentants du ministère public constatent que le prisonnier a la corde autour du cou ; les rideaux sont ensuite tirés et le

condamné est exécuté. En-dessous de la chambre d’exécution, le corps est examiné par un médecin qui prononce le décès.

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© Asahi S

himbun

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TRANSPARENCE

Les prisonniers étant vulnérables auxviolations de leurs droits humains, ilest nécessaire de veiller d’une part àla stricte application de la règle dedroit et d’autre part à la transparenceet à l’obligation de rendre descomptes autour des procéduresmises en place dans les lieux dedétention. Il est possible d’instaurerun degré informel de transparenceen garantissant les visites d'amis, deparents et d’avocats. Cependant, lesrestrictions imposées à ces visites, ledegré d’isolement des détenus et lesdifficultés rencontrées par lesavocats pour obtenir desinformations ne favorisent pas latransparence des modes dedétention au Japon.

En 2006, le gouvernement a introduitun nouveau système de visitesdestiné à des comités d’inspectioncomposés de médecins, d’avocats etd’autres citoyens. La fonction de cescomités n’a pas encore étépleinement évaluée. AmnestyInternational estime qu’ilsreprésentent une avancée positivemais leurs pouvoirs sont limités et ilsne voient qu'un faible pourcentagede prisonniers. Les visites sanspréavis ou à un moment choisi parces comités sont généralementrefusées. La présence d’un médecinet d’un avocat au sein de cescomités doit être saluée ; toutefois,étant donné l’étendue des problèmesde santé mentale en milieu carcéral,l'intégration d’un spécialiste de lasanté mentale constituerait unprécieux atout supplémentaire.

ÉTHIQUE MÉDICALE

Le sort ultime des condamnés àmort représente une très fortepression sur le personnel médicaldu point de vue éthique. Laprestation de soins aux personnes

détenues dans les prisonsjaponaises a lieu alors que lesprisonniers sont dans l'incapacitéd'en faire la demande et dans unenvironnement où le consentementéclairé ne peut pas toujours êtregaranti. Le manque de capacitéd’action des prisonniers estconfirmé chaque jour.

L’impossibilité pour les médecins derésoudre bon nombre des problèmesexistentiels des prisonniers et desproblèmes médicaux qui y sont liésest à mettre en relation avec lasituation des détenus. Ces derniersvivent dans un système hautementsusceptible d'engendrer du stress etdes maladies. D’autre part, lesmédecins travaillant en milieu carcéralne disposent pas d’une véritableindépendance clinique puisquecertaines recommandationsauxquelles peuvent se référer lesmédecins de la société civile ne sontpas applicables en prison. Ils sont deplus confrontés à un grave dilemmeissu de leur double loyauté : lesmédecins doivent se conformer auxexigences de leur employeur, ledirecteur de la prison etl’administration pénitentiaire, et dansle même temps octroyer des soins auxprisonniers en fonction des besoins deces derniers et en tenant compte desprincipes de l'éthique médicale. Biensouvent, ces obligations sontincompatibles.

La pratique de la psychiatrie entreégalement en conflit avec l'éthiquedans le contexte des examensmédicolégaux portant sur la capacitédu détenu à être exécuté. Dans lamesure où déclarer un prisonniermentalement capable (ou depratiquer un examen pouvant aiderun juge à établir cette capacité)pourrait hâter sa mort, d’importantesquestions déontologiques se posent.Pour parvenir à une position éthique,il faut avant tout comprendre quiréalise cette évaluation. L’Association

mondiale de psychiatrie a invité lespsychiatres à ne pas procéder à desexamens visant à établir si uncondamné est apte à être exécuté.Cependant, certains psychiatresfournissent des évaluations de santémentale, persuadés qu’ils contribuentau processus judiciaire et peut-être àla cassation de la condamnation àmort d’un prisonnier incapable.

En 2002, la Société japonaise depsychiatrie et de neurologie a adoptéune position temporaire contre laparticipation des psychiatres dans leprocessus d'application de la peinecapitale ; elle s’est par la suiteengagée en ce sens de manièredéfinitive. Parmi les éléments de cetteligne de conduite on peut citerl’interdiction pour les psychiatresexerçant dans le cadre de procédurescorrectionnelles de participer à desévaluations médicolégales de la santémentale des prisonniers et pour tousles psychiatres d’évaluer l’aptituded’un prisonnier à être exécuté, ainsique l’interdiction de soigner lescondamnés à mort en vue de lesrendre aptes à être exécutés.

RÉFORMES LÉGISLATIVES

Une nouvelle loi entrée en vigueur enmai 2009 prévoit que les affairesconcernant des crimes graves serontjugées par un collège de trois jugessiégeant avec six magistrats nonprofessionnels ; on parle de saiban-in seido, ou « système de quasi-jury ».Les déclarations de culpabilité ainsique les sentences devront êtredécidées à la majorité, qui devracompter au moins un jugeprofessionnel. Il reste encore à voirquelles seront les conséquences dece nouveau système sur le rôle deséléments liés à la santé mentaledans les affaires susceptibles dedéboucher sur une condamnationà mort et, plus généralement, surl’application de cette peine.

CONCLUSION

Au Japon, les procédures menant àla déclaration de culpabilité et à lacondamnation à mort sont marquéespar un certain nombre d’élémentsinacceptables qui sont encontradiction avec les textes de loimettant l’accent sur le bien-être et latranquillité d’esprit des détenus : i) le maintien d’un suspect en gardeà vue jusqu’à vingt-trois jours dansune cellule de la police après sonarrestation selon le système desdaiyo kangoku, pratique critiquée à

de nombreuses reprises par lesNations unies ; ii) le fait que lestribunaux s’appuient beaucoup surdes « aveux », ce qui a été plusieursfois dénoncé comme peu fiablelorsqu’il est question de personnessouffrant de maladie mentale, detroubles de la personnalité ou dehandicap intellectuel ; iii) l’absencede procédure d’appel obligatoiredans les affaires donnant lieu à unecondamnation à mort ; iv) leprocessus de fait d’« extinctionsociale » des détenus à traversl’isolement et l’absence de contacts ;

v) les conditions de vie éprouvantesauxquelles ils sont soumis, danscertains cas pendant des dizainesd'années ; vi) le manque de respectdes droits des prisonniers souffrantde maladie mentale ; vii) le manquede transparence et d’obligation derendre des comptes ; et viii) le faitque les autorités n’ont pas réponduaux demandes de rectification desaspects considérés comme cruels,inhumains ou dégradants dansl'application de la peine capitaleformulées par le Comité des droits del'homme des Nations unies.

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Amnesty International est un mouvement mondial regroupant 2,2 millions depersonnes dans plus de 150 pays et territoires qui luttent pour mettre fin auxatteintes graves aux droits humains.

La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir detous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dansd’autres textes internationaux relatifs aux droits humains.

Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, AmnestyInternational est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, detoute puissance économique et de toute croyance religieuse.

Septembre 2009Index : ASA 22/006/2009

© ÉFAI

Amnesty InternationalSecrétariat international Peter Benenson House1 Easton StreetLondres WC1X 0DWRoyaume-Uni

www.amnesty.org

RECOMMANDATIONS

Amnesty International invite legouvernement japonais à :

� réexaminer toutes lesrecommandations émises par leComité des droits de l’homme desNations unies afin que les pratiquesdes prisons japonaises soient misesen conformité avec les normesinternationales relatives aux droitshumains ;

� mettre en place une procédurede révision immédiate etindépendante des affaires pourlesquelles il existe des élémentsplausibles indiquant que desprisonniers pourraient souffrir detroubles mentaux et entrer dans lecadre prévu par l'article 479 duCode de procédure pénale – elleinclurait les personnes sainesd’esprit au moment du ou descrime(s) pour le(s)quel(s) elles ontété condamnées, mais dont lasanté mentale s’est dégradé durantleur séjour en prison ;

� faire en sorte que la peinecapitale ne soit pas appliquée si lapersonne condamnée souffre detroubles mentaux ou d'un handicapdiminuant notablement sonaptitude à prendre des décisionsrelatives à ses recours, àcommuniquer avec son avocat ou àappréhender la raison pour laquelleelle a été condamnée à mort ;

� veiller à ce que les détenusbénéficient tous d’un bilanmédical en bonne et due formeavant leur procès ;

� garantir aux avocats le droit des’adresser directement auxmédecins responsables des soinsmédicaux des condamnés à mortpour demander et recevoir desinformations sur ces derniers ;

� garantir aux avocats desprisonniers la possibilité – dans lalimite du raisonnable – dedemander un bilan médicolégal

tout au long de l’enquête, duprocès et de la procédure d’appel,avec le même droit decommuniquer avec l’accusé et deconsulter son dossier que celui dumédecin expert désigné par leprocureur ou le juge ;

� mettre fin au risque que lesprisonniers dont la demande derévision est en instance soientexécutés avant que leur recours aitété examiné ;

� mettre un terme à la pratiqueconsistant à ne pas communiquerla date de l'exécution bien enavance au condamné ou à safamille ;

� cesser de placersystématiquement les condamnésà mort à l'isolement.