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ALTOS DE LA TORRE, RÉMINISCENCE D’UNE COMMUNAUTÉ OUBLIÉE ? PÉRIPHÉRIE, MÉMOIRE ET REPRÉSENTATION

PÉRIPHÉRIE, MÉMOIRE ET REPRÉSENTATION

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Altos de la Torre, réminiscence d'une communauté oubliée?

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PériPHérie, mémoire et rePrésentAtion

Altos de la torre : réminiscence d’une communauté oubliée ?

sous la direction d’Alessia de biase, Anne chatelut et Valérie Foucher-dufoix.

mémoire de master

ensAPb, mars 2012

Victor mArécHAl

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AVANT-PROPOS

INTRODUCTION

1. REPRÉSENTATIONS DE L’URBANISATION SPONTANÉE (de Paris à Medellin)

A. L’ÉCLATEMENT DES VILLES SUR LA CAMPAGNE ET VICE VERSA

a. Une nouvelle lecture de la ville : des enquêtes et des représentationsb. À la recherche des paysages émergents en périphérie c. Du drame (local) à la banalité (globale) : le « bidonville »

B. LA PÉRIPHÉRIE, UN “BLANC SUR LA CARTE” POUR UN AVENIR INCERTAIN

a. La représentation et les outils de lecture de l’ « incertitude urbaine » b. La ville en hésitation (consolidation ou disparition?)c. L’incertitude comme prétexte à la recherche et à la représentation

2. LE CAS D’ALTOS DE LA TORRE, UN OUBLI PARMI D’AUTRES ?

A. PÉRIURBANITÉ ou VILLE RURALISÉE? LA COMUNA 8 EN QUESTION

a. Medellin, le paradoxe du paysageb. Politiques périurbaines et planifications récentesc. Les limites physiques de la ville (construire sur un sol instable)

B. UN QUARTIER EN CONSTRUCTION/REPRÉSENTATION

a. La connaissance du risque naturel, malgré toutb. Problèmes de déconnexion et d’isolementc. Localisation des conflits sociaux internes

PlAn

OBJETS DÉPOSÉS DANS LE TERRITOIRE

PLAN DES OUBLIÉS D’ALTOS DE LA TORRE

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MIGRATIONS À MEDELLIN DEPUIS 20 ANS

POLITIQUES URBAINES ET DÉPLACEMENTS EN COLOMBIE

3. LA « MÉMOIRE RECYCLÉE » : L’HISTOIRE DES PAYSANS DEVENUS CITADINS

A. GUERRE ET MIGRATION, DE LA CAMPAGNE À LA VILLE

a. Chronologie de l’exode rural en Colombieb. La guerre pour la terre et la dépossession des paysansc. Une transposition du conflit en ville

B. ALTOS DE LA TORRE, MÉMOIRE D’UN TERRITOIRE PERDU

a. Los desplasados, nouveaux urbains?b. L’incidence du conflit sur les dynamiques migratoiresc. Le reyclage politico-médiatique de la périphérie de Medellin

4. L’IMAGE DE LA PÉRIPHÉRIE COMME TÉMOIN D’UNE ÉPOQUE (de Medellin à Paris)

A. UN LIEU DE TÉLÉSCOPAGE ET DE RÉALITÉS VARIÉES

a. De la réalité aux cartes : les variations dans le territoire b. Migration urbaine, perte identitaire et expropriation du tempsc. Vers une représentation des marges : méthodologie ou analyse spécifique?

B. LA REPRÉSENTATION PÉRIURBAINE, OUTIL DE MÉMOIRE

a. La périphérie : inconscient collectif et mémoire du temps présentb. Le rôle de la représentation dans la reconnaissance d’un quartierc. De la mémoire collective à un usage de la mémoire dans les marges.

CONCLUSIONBIBLIOGRAPHIE

LEXIQUE

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tous mes remerciements à :

Anne chatelut, Valérie Foucher-dufoix, Andrée mélo, charles maréchal, Pedro Passerini, maria clara trujillo Pérez, maria Fernanda serna, edgar Ignacio mazo Zapata.

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AVAnt-ProPos

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Ce travail d’enquête est né de l’une des nombreuses discussions que j’ai pu avoir avec l’architecte Edgar Ignacio Mazo Zapata dans sa maison de Bello, en péri-phérie de Medellín. Pendant les mois où je me formais à ses côtés, au cours de l’année 2011, nous avons souvent évoqué le manque d’intérêt des acteurs de la ville face à la question de l’habitat, dans le décor planté d’une Colombie en pleine croissance. Du fait de l’essor des concours d’architecture portés en avant par la municipalité de Medellín depuis le début des années 2000 qui a vu naître des grands projets d’équipement et d’espace public, on en oublierait presque la question non négligeable du mal-logement, pourtant visible de toutes parts. Celle-ci concerne la plus grande partie de la population colombienne, à l’origine d’une urbanisation périphérique trop rapide et en terrain périlleux. C’est dans l’esprit d’apporter un complément de réponse à ces préoccupations que ce mé-moire a été écrit.

J’avais déjà pu faire l’expérience de la question par moi-même, lors d’une de ces soirées de pluie torrentielle, lorsqu’une partie du quartier d’Itaguï dans lequel je me trouvais alors, avait été inondé, car étant situé à flanc de côteau, il récupérait ainsi les eaux en amont à chaque nouvelle intempérie. À cette expérience qui avait avivé ma curiosité sur le sujet, s’est ajouté un constat sidérant, lié à une nouvelle visite dans un de ces quartiers plus en hauteur de la ville, à Altos de la Torre. Ce dernier laissait place à un vide sur de nombreuses cartes officielles. Une “tache blanche” administrative en dehors de toute limite des périmètres urbains, comme un gigantesque point d’intérrogation dans le territoire. Et toutes les ques-tions que cela soulève, à commencer par la plus simple mais qui reste celle à l’origine de ce mémoire : pourquoi n’est-il pas encore représenté?

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Faire un travail de rédaction autour d’un sujet colombien depuis Paris n’aura finalement pas été, à ma grande surprise, tant pénalisant que cela. Au contraire, un nouvel élan a pu être donné aux recherches effectuées sur place, alors que le sujet se retrouvait confronté par coïncidence avec une vision de la ville de Medellín donnée alors en France au même moment et relayée par plusieurs journaux et expositions. C’est à partir de ce fait que l’image d’une périphérie assumée, donnée par la ville de Medellín elle-même, a pris naissance dans mon texte. À cela s’ajoutent un certain nombre de lectures en français sur le sujet colombien, montrant l’intérêt porté depuis longtemps par les chercheurs à cette relation transatlantique si particulière entre la France et la Colombie.

Le retour risqué dans le vif du sujet via les biblothèques parisiennes et la mise à distance forcée m’ont poussé à me débattre de là où j’étais pour alimenter le su-jet d’une actualité fraîchement téléscopée par les moyens de communication qui sont les nôtres. J’ai pu continuer, par la même occasion, à travailler et débattre avec plusieurs personnes sur place qui m’ont apporté leur précieux soutien, tout en apportant un point de vue omniscient, perçu depuis l’étranger, sur cette ville stupéfiante qu’est Medellín.

Tout compte fait, l’écriture d’une étude scientifique dans un cadre universitaire n’aura pas tout à fait eu raison de l’expérience personnelle qui en est l’origine, puisque le travail de “mémoire” est renvoyé ici au sens propre du terme : faire le récit de faits et d’évènements dont on a été le témoin et dont on veut se souvenir. Dans le cas présent, la raison qui explique ce projet de retour sur une expérience vécue pourrait presque tenir d’un engagement pour une communauté, comme un devoir de mémoire?

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introduction

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Si l’on devait sans cesse dessiner les aléas de la ville au travers de ses flux de cir-culation, de ses échanges entre ses occupants, de ses variations événementielles qui lui donnent vie au quotidien, il est évident qu’un certain nombre d’outils de représentation seraient alors devenus obsolètes au profit de ceux qui, plus récem-ment, auraient intégré la quatrième dimension. Mais à une toute autre échelle temporelle, lorsqu’il s’agit de saisir la ville qui se fabrique, aussi rapidement soit-elle, dans ses interstices les plus réduits et ses marges les moins reconnues, alors il nous faut prendre le recul nécessaire et les instruments de mesure adéquats. Et il semblerait que dans ce cas, la cartographie n’ait pas eu son dernier mot à dire en tant que support de multiples discours.

C’est dans la périphérie des grandes métropoles que se dessine “naturellement” la ville de demain, quand elle n’est pas fabriquée de toutes pièces par des direc-tives municipales. L’idée centrale est de comprendre ce processus de création urbaine et d’intégration sous-jacent aux notions de transformation de l’habitat informel au formel, du passage de l’illégal au légal, de l’éparpillement à la trame, de l’éphémère au pérenne. À la base de ces considérations, on trouve l’idée sui-vante: comment saisir la genèse d’un quartier émergent à travers l’acte de fon-dation lié à l’implantation de l’homme dans le paysage fût-ce de la façon la plus rudimentaire? Quels sont les facteurs qui décident de sa persistance ou non de nos jours.

En évoquant la périphérie des grandes métropoles, nous ne pouvons échapper au phénomène de bidonville dans des métropoles croissantes de pays émergents, et de fait notre sujet se trouve dôres et déjà dans un cadre social et géographique spécifique, faisant écho à la fois à un paysage périurbain défini, mais aussi à une

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série d’études plus ou moins récentes, montrant un réel intérêt depuis plusieurs générations déjà pour les « marges » en périphérie de la ville. Jusqu’à l’expérience contée plus haut de la découverte de ce quartier de Medellín qui n’est pas lisible sur une carte. De fait, nous nous posons la question de savoir si sa limite obéit réellement à des critères naturels, écologiques comme certains le prétendent aujourd’hui. À moins que ce ne soit pour des raisons politiques et économiques, voués à la pression foncière et à une ségrégation sociale?

Le récit est à l’image de l’enquête, fait de découvertes successives à différentes échelles, et justifie ainsi l’ordre peu conventionnel des chapitres. Au départ, il s’agit d’entrer dans le vif du sujet de la représentation de quartiers informels en cernant progressivement le champ d’étude de notre analyse colombienne. Celle-ci renvoit à un corpus d’études existantes dont un des points de départ n’est autre que l’école de Paris Belleville à ses débuts, en 1968, avant d’aboutir au cas latino-américain. En parallèle à cela sont définies des notion clés qui nous permettent de dériver de cas en cas, afin d’en arriver à notre sujet, pour illustrer notre propos et constater son absence de représentation officielle comme preuve d’inaction face à un problème qui ne paraît pas être isolé.

C’est à partir de ce moment-là que l’on se penchera sur l’histoire récente de la région et du pays, en amont des faits qui ont conduit à l’arrivée de communautés dans la périphérie de Medellín. Ce basculement d’une échelle à une autre et ce retour en arrière touchent alors à la question de la mémoire et de l’identité d’une population, plaçant ainsi le fond de carte historique après la monographie du quartier. Comme si la compréhension des faits n’intervenait qu’après le constat de la réalité, mais toujours indissociablement de l’autre. C’est alors que notre question initiale de savoir comment on pouvait représenter la périphérie est ren-versée, afin d’avancer une nouvelle lecture, en miroir : et si c’était la périphérie qui était une représentation elle-même de la société?

Les différents chapitres de ce texte pourraient presque être lus indépendament, s’ils n’étaient pas intrinsèquement réunis par l’expérience de l’enquête. De Paris à Medellin dans un sens, celui de la découverte et de la compréhension d’un sujet polémique ; puis de Medellin à Paris comme un retour documenté sur la question et le constat de l’image que donne une ville d’elle-même à l’étranger, avec l’aide de la France... Cet aller/retour tentera de mettre en évidence la question de la représentation de ces “marges urbaines” en parallèle.

La tentation de trouver une et une seule méthode d’analyse de la périphérie, liée à la volonté raisonnée de trouver une solution à non pas une situation mais plu-sieurs, peut s’avérer dangereuse. Voilà pourquoi nous nous efforcerons d’abord d’étudier des faits à une certaine échelle avant de nous livrer à une comparaison d’un phénomène à une échelle plus large. Regarder en détail la manière d’habiter des métropoles d’aujourd’hui c’est questionner des histoires personnelles qui se mêlent avec des lieux au sein du grand laboratoire de fabrique de la ville qu’est la périphérie. La question de l’étude précise de cas, indissociables des sciences so-ciales, peut aller jusqu’à l’analyse objective de l’épaisseur mémorielle d’un quar-tier et de ses manières d’habiter faisant appel parfois à la reconstitution d’images

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mentales et à des représentations temporelles.

Nous procéderons de manière heuristique, suivant le cheminement de l’enquête et des représentations variées qu’il nous aura fallu faire selon les échelles variées abordées et les découvertes sous-jacentes qui sont liées au récit des habitants d’Altos de la Torre. Ces représentations sont partie prenante de ce mémoire et se situent dans le feuillet central, moment charnière dans le texte, annonçant le basculement d’une réalité à une autre, de la compréhension d’un fait local à un phénomène de plus grande ampleur.

Ce mémoire n’est pas tant une mise en perspective du phénomène d’urbanisation spontanée en Colombie avec l’histoire récente du pays que la mise en relation des trajectoires d’individus et de communautés avec celle de la ville dans l’espace et dans le temps. Et s’il ne répond pas entièrement pas aux espérances en matière de représentation et d’enquête soulevées dès maintenant, il aura au moins le mérite de constituer un fragment infime mais élémentaire parmi la mosaïque de dessins que pourrait rassembler un hypothétique Atlas de l’urbanisation informelle, déjà amorcé par d’autres dans d’autres métropoles.

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1.1.

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REPRÉSENTATIONS DE L’URBANISATION SPONTANNÉE (De Paris à Medellin)

Le phénomène n'est pas nouveau, et la question que nous nous posons d'emblée est de savoir si cette considération pour la périurbanité et ses moyens d'évaluation et d'analyse a réellement évolué depuis ses débuts ; si oui, selon quelles modalités? Enfin, nous essaierons de cerner quel type de marge pourrait nous permettre de mettre à jour cette question de la représentation de quartiers émergents et leur prise en compte par les municipalités. L'idée est de comprendre de quelle manière ces derniers sont intégrés par la ville ou non.

Cette première partie constitue une dérive de notions qui tendent vers un cadre spatial existant (celui de Medellín, présenté par la suite). Elle déploie en parallèle un panorama mondial d'études existantes sur le sujet, comme second personnage, pour appuyer le propos et aboutir à une région géographique dans laquelle cette question de transition paysagère est assez floue, dans la réalité comme sur les cartes, pour qu'on l'observe de plus près.

A. L'ÉCLATEMENT DES VILLES SUR LES CAMPAGNES ET VICE VERSA

Partons à la recherche de cette périphérie qui a tant de choses à nous apprendre sur la ville elle-même, mais aussi sur la campagne. Alors que le suburbain correspond aux secteurs morphologiquement contigus avec la ville-centre, le périurbain constitue l’espace des aires urbaines les plus extérieures, moins dense : c’est le second qui est au centre de notre recherche et qui permet de cerner une zone de flou commune à de nombreuses métropoles. Quels sont les terrains restants susceptibles d’être au cœur de toutes les polémiques politiques, des spéculations immobilières, d’attirer les hommes qui n’ont pas encore trouvé leur place dans les grandes métropoles? De faire réagir les municipalités qui tenteront de figer ces derniers espaces naturels pour limiter l’expansion urbaine? Ces terrains ont-ils déjà été représentés dans leur état actuel ou sont-ils à redécouvrir, à redessiner?

a. Une nouvelle lecture de la ville : des enquêtes et des représentations

Commençons au plus près géographiquement, bien que cela soit une question ancienne. Déjà, en 1968, Serge Santelli effectue un travail de relevé du bidonville de Nanterre, schémas et cartes à l’appui, dans le cadre d’un mémoire à la croisée de l’urbanisme et des sciences sociales, à l’Université Pédagogique #8 1. Alors que le bidonville semblait faire partie du paysage urbain, on ne pensait pas qu’une telle étude permettrait de révéler autant de strates de l’histoire des communautés

1. UP8 deviendra ensuite comme on le sait l’actuelle École d’Architecture de Paris-Belleville

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immigrées et de faire le lien entre « milieu émigrant et récepteur2 ». Cette avancée en terme de cartographie urbaine de l’éphémère a pris tout son sens quelques années plus tard, alors que le bidonville n’existait plus. Le caractère éphémère d’un phénomène déjà ancien continue de surprendre et souligne que l’implantation rapide de communautés humaines se fait généralement sur des terrains restants, en périphérie de grandes agglomérations. Mais ces terrains libres d’occupation sont-ils toujours exactement à la limite de la ville? Quelle est cette limite ? Ces terrains constituent ce qu’il « reste » de disponible. On parlera de terrains vacants, comme une portion terrestre où la présence humaine est quasiment nulle. À proximité des grandes métropoles, ce sont des terrains qui se font rares et sont surtout très convoités.

La périphérie des villes fascine d’autant plus que la transition urbaine est rapide (dans le temps), que la confrontation nature/architecture est violente (par juxtaposition), que l’on passe brutalement de l’urbanité (une trame) à la ruralité (des points). Ce sont des zones où l’on observe l’effritement de la structure et des textures de la ville et le déploiement, sur des centaines de mètres, de transitions urbaines habitables, tertiaires ou post-industrielles plus ou moins évidentes et lisibles, tant elles évoluent rapidement.

Cette oscillation entre ville et campagne constitue un paysage fait de délaissés urbains et/ou de réserves naturelles, bien souvent en périphérie. C’est ici qu’interviennent les enjeux politiques et immobiliers actuels car ils correspondent à des « terrains en attente d’affectation3 » ou à des projets qui ont été suspendus pour diverses raisons. Du côté rural, ces terrains restants s’étendent sur des superficies qui n’ont pas pu être travaillées par l’homme, soit parce qu’ils correspondent à des « reliefs accidentés », soit parce qu’ils ne sont pas compatibles avec les outils contemporains d’exploitation agricole. Le phénomène est donc d’autant plus fort que le relief est prononcé, ce qui nous laisserait penser que le sujet de notre recherche doit prendre en compte ce paysage vallonné, montagneux, accidenté même? Concernant la topographie, des chercheurs américains4 ont montré que ce n’était pas parce que l’espace disponible périurbain était sur des reliefs accidentés que cela freinait l’urbanisation spontanée, soulignant même les conditions physiques des habitants de Caracas (Venezuela) qui chaque jour montent l’équivalent d’immeubles de plusieurs étages, quand les conditions leur permettent de le faire, la région étant fréquemment touchée par des fortes pluies et donc des glissements de terrain.

Ce paysage transitoire fait de bidonvilles est encore tabou5 alors que paradoxalement il fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques, artistiques et bénéficie d’une certaine fascination, notamment par les architectes. Par « tabou », nous entendons que malgré cet intérêt grandissant d’un certain public, ce paysage est dans la plupart des cas laissé pour compte par les

2. Isabelle HERPIN et Serge SANTELLI, Bidonville à Nanterre, étude architecturale, Paris : Ministère des affaires culturelles, institut de l’environnement, 1973 3. Gilles Clément, Manifeste pour le Tiers-paysage, éd. Sujet Objet, mai 20044. Columbia University, Urban Planning Studio : Disaster-Resistant Caracas, 20015. Trésor de la langue française, « tabou : Qui ne peut être fait, prononcé, touché par crainte, par respect, par pudeur ». [ici, on parle d’une zone de non droits, d’économie informelle]

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Plans du bidonville de Nanterre, Serge Santelli, 1968.

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autorités publiques. Ce paysage est aussi indirectement lié à l’activité humaine et au peuplement. Elle peuvent même relever de l’habitat spontané, voire illégal. La saturation par le nombre d’habitats et l’impact de chacun dans son rayon d’action doivent être pris en compte. Le risque est que s’opposent deux visions radicales: l’une sociale, défendant corps et âme une occupation du sol par des communautés défavorisées ; l’autre écologique, figeant juridiquement dans le temps l’éventuelle flexibilité programmatique d’un terrain.

Peut-on réellement trancher et affirmer, comme le fait Gilles Clément, que « les enjeux du Tiers paysage se placent au-dessus (ou au-delà) des enjeux territoriaux » ? Le rapport des deux est-il à ce point manichéen pour qu’il n’y ait pas de définition possible d’un paysage de transition alternatif ? Dans sa définition, l’auteur pose ici les principes d’une vision du monde vivant au sens large, mais il semblerait plus juste, dans notre cas, de traiter pour l’instant d’un paysage de transition (à une autre échelle : zoom), celui où se rencontrent dans le temps présent et dans l’espace des communautés humaines avec une nature encore inexploitée et fragile. Peut-être est-ce le moment de préférer l’expression « tiers état du territoire » avancée par Sebastien Marot6, territoire se situant entre la ville et la campagne, dans un environnement commun et rapporté à notre existence ? 7

En synthèse des idées avancées plus haut, cette transition territoriale que nous tentons de définir se situe en terrain accidenté et est partiellement occupée par des communautés humaines fragilisées. Cette transition est en tension entre un paysage urbain et un autre, rural, issue des restes de l’un et/ou de l’autre, et est sujete à des considérations politiques parfois contradictoires : abandon ou spéculation? Nous étudierons ce territoire selon un axe particulier; comme lieu de vie quotidienne, lieu d’accueil de populations en transit et dont la trajectoire serait venu ici dériver et s’arrêter, pour un temps indéfini, par défaut ou dans le meilleur des cas par choix. En d’autres mots, notre sujet porte un site dont le programme n’a pas été prédéfini, qui n’a pas été modelé selon les attentes de l’homme et qui en plus, s’accommode de sa présence. C’est également en cela qu’il s’inscrit dans la lignée de la lecture d’une certaine périphérie définit par Sebastien Marot avec le suburbanisme.

L’idée de « rejet » fait référence à quelque chose qui a déjà (au moins une fois) été consommé, digéré, transformé. La périphérie serait donc une fabrique de la ville à partir des “rejets urbains” de la ville à l’échelle de quartiers entiers (au même titre que l’écume sur une plage contient les résidus de la mer) ? Cette version implique ici que nous considérions les résidus matériels et les personnes reléguées par le système sur le même plan du refoulement tout d’abord, et de la revitalisation ensuite. La question que l’on se pose, alors est de savoir d’où proviennent précisément ces rejets, et en premier lieu s’ils ont pour origine la ville ou non ? 8

6. Sebastien Marot, L’art de la mémoire le territoire et l’architecture, Editions de La Villette, 20107. Dans la famille sémantique utilisant la notion de « tiers », nous mettons donc en perspective les notions associées au territoire : des doléances du « Tiers état », on passe à la notion de « Tiers monde », puis « Tiers paysage » et enfin « Tiers territoire ». “Qu’est-ce-que le Tiers État? Rien. Qu’est-t-il appelé à devenir? Tout.” (Abbé Sieyès, 1789)8. Par exemple, le bidonville de Nanterre est alors le territoire de rencontre de deux périphéries qui s’entrecroisent : celle

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À défaut d’avoir une réponse définitive, il faut donc passer en revue d’autres cas qui pourraient nous permettre de définir au mieux ce que nous pouvons comprendre par « rejet », et d’abord où ils se trouvent dans la plupart des cas. C’est procéder par tri selon un certain nombre de critères que l’on a définis plus tôt. Rejets périphérique, dans les “marges” de la ville9, dans les “zones” inoccupées et délaissées, accidentées, indésirables, en dehors du temps, de la loi et de l’époque... La périphérie raconte l’histoire de cette limite qui oscille entre passé et présent, modernité et tradition, urbanité et ruralité, de ce basculement entre une tentative de construction rapide (esquisse, schéma) et sa réalisation concrète (en dur), plus tard. Cette frontière urbaine progresse et régresse (à certains endroits, par moments) selon divers facteurs que nous synthétiserons par un seul facteur, faute de réponses satisfaisantes pour le moment: le facteur temps.

b. À la recherche d’un paysage émergent en périphérie

Qu’y-a-t-il à l’origine de la formation d’un quartier, aujourd’hui, dans la ville multipolaire ? L’idée de communautés humaines s’installant sur des terrains vacants et accidentés, en marge de la ville, nous paraît assez paradoxale pour que l’on se penche un moment sur cette action inespérée et les notions qu’elle interpelle. Comment saisir le moment de création d’un quartier dans une ville qui par essence est elle même en pleine expansion dans une société émergente ? À la notion d’émergence que l’on pourrait attribuer au paysage fait écho celle de fondation déjà ancrée dans le domaine de l’urbanisme.

Il est bien évidement question ici de construction, et donc à rattacher à la question des bidonvilles : on ne peut éviter la question de construction autonome, et de matérialité précaire. Des années après une recrudescence mondiale du phénomène des bidonvilles, l’architecte anglais et anarchiste John Turner est un des rares à prendre à l’envers ce qui est alors considéré comme un « problème », et à faire de l’auto-construction généralisée le point de départ d’une nouvelle vision de l’urbanisation rapide des métropoles en parallèle avec la demande croissante de logements. Nous sommes alors en 1974, quand Turner commence à publier une série d’articles qui prendront pour titre « Housing by people » (Habitat par et pour les gens), et qui met en avant l’intelligence des constructions autonomes effectuées par les communautés, notamment sur le sol péruvien10. En accord avec la Banque Mondiale et travaillant avec l’anthropologue William Mangin, il tentera de favoriser la construction de lotissements viabilisés et d’améliorer directement les bidonvilles in situ, ouvrant la voie à un certain abandon de la cause par l’État, du fait de l’autonomie théorique des solutions envisagées. Cette méthode trouve sa limite dans le fait qu’elle ne présente pas réellement de cas pratiques et de

de Paris et celle de l’Algérie

9. Ellen Brennan citée par Mike Davis dans Le pire des mondes possibles, La Découverte, 2006 : « la plupart des villes du tiers monde, manquent de données fiables et récentes sur les schémas de conversion des terrains, sur le nombre d’unités de logement (informelles et formelles) construites au cours de l’année précédente, sur les schémas d’aménagement d’infrastructures, les schémas de subdivisions, etc. » 10. Il faut “aider les pauvres à s’aider eux-mêmes” affrimera Turner en soutien à l’ONU.

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représentations qui permettraient de servir de manuel ou encore d’atlas, ne serait-ce qu’à une échelle locale. Une autre limite de cette idéologie peut être avancée dans le fait que l’aide extérieure des ONG peut être accompagnée d’un abandon de toute politique de soutien à la création de logements par l’État, comme ont pu l’avancer certains.

Désormais, l’ « architecture sans architecte11 » est devenue en quelque sorte le degré zéro de toute considération périurbaine et constitue une référence dans les écoles d’architecture. Peu d’études à ce jour ont permis de mettre en évidence les modalités de construction de quartiers émergents. Les cartographies produites par Stefano Marras12 et son équipe pour le bidonville de Kibera à Nairobi au Kenya en 2008 ont permis une nouvelle lecture du secteur, avec des cartes représentant les différents matériaux utilisés, mais surtout des considérations sociales, comme la répartition des familles monoparentales, le nombre d’enfants et d’écoles, etc. Il semblerait que la voie empruntée dans cette étude, croisant des informations urbaines et sociales, soit un bon outil de représentation de ces quartiers périphériques, sans être pour autant d’avant-garde. On regrette cependant que l’ensemble de ces représentations ne soit pas mis en relation avec la continuité/rupture de la trame urbaine et non plus avec le statut légal ou non des parcelles de chaque famille.

Sous-jacente à la problématique de ce mémoire, se construit une question concernant l’acte de fondation de la ville contemporaine. De quelle manière s’invente la ville de nos jours13 par rapport à ce que cela pouvait être il y a quelques années encore? L’idée est de saisir le basculement dans l’élaboration d’un quartier qui permet d’affirmer qu’il appartient désormais à la ville, qu’il est fait pour durer (construction), qu’il a un nom, qu’il est relié aux divers réseaux (fluides, transport), qu’il est reconnu juridiquement par la municipalité, qu’il est revendiqué et suscite la fierté de ses habitants. Comprendre la genèse et les premiers instants de sa transformation aujourd’hui nous en apprendrait sûrement un peu plus, nous autres architectes, sur la façon dont on fabrique la ville. Cependant, dans le cas particulier de la périphérie, nous sommes encore loin du renouveau architectural car trop contraint économiquement et peut-être d’avantage dans la figure quasi-littérale de la cellule de vie qui prolifère?

Des architectes et urbanistes de l’époque post-coloniale comme ceux du groupe CIAM d’Alger ont déjà analysé et trouvé des analogies avec la nature dans le bidonville, dans les années 1950 notamment par la « relation organique » du bâtiment avec le site, l’adaptation des espaces aux besoins changeants des habitants. Ils se sont alors appropriés le terme « proliférant », pour en faire un prisme de projet, réinventant ainsi une typologie modulaire selon une grille infinie. Mais le développement d’une ville sans urbanisme n’est t-il pas par essence « proliférant »? C’est ce qui a probablement donné l’idée à des groupes comme

11. Bernard Rudofsky, Architecture Without Architects, Museum of Modern Art, New York, 196412. Stefano Marras, Map Kibera Project, Kianda, Kibera, Nairobi, 200813. Michel Agier. L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Éditions des Archives Contemporaines, « Une pensée d’avance », 1999

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Répartition des familles monoparentales et densité d’enfants par habitat, dans le bidonville de Kibera à Nairobi au Kenya, 2008.

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Team 1014 d’utiliser ce même terme à la suite de l’analyse des bidonvilles d’Alger. La tentation de l’architecte depuis des siècles est par réflexe d’envisager une trame qui viendrait se développer sur le territoire et se construire progressivement, quitte à ce qu’elle se déforme avec la topographie. Notons qu’avant d’être une véritable « agglomération » au sens qu’on lui donne communément en urbanisme, cet ensemble d’habitats proliférants des zones périurbaines concernées est d’abord « conglomérat », un amas d’habitations réunis comme en une seule masse qui forme le bidonville. La notion d’agglomération d’éléments intervient dans un processus allant de la partie au tout. Au Maroc, l’équipe Team 10 réussit à faire le lien entre l’urbanisme spontané des grandes villes de la côte et les migrations venues du sud du pays.

Il est difficile de ne pas évoquer en parallèle à la question de « prolifération » (comprise dans le sens de développement cellulaire), la répercussion sur l’urbanisme spontanée du phénomène d’ invasion propre à l’Amérique Latine. Celui-ci fait état d’une rapidité d’implantation des populations dans l’action de création et de fondation de bidonvilles parfois en une seule nuit, sur des terrains non autorisés.15

Il s’agit là peut-être d’une des manière d’habiter les plus rudimentaires dans les métropoles d’aujourd’hui. On voit se développer et proliférer dans ces paysages restants des cellules d’habitat minimum (par leur taille et leur coût) qui finissent par dessiner un fragment de ville à part entière. La question de l’homme dans le paysage, seul dans ce blanc du territoire cartographié, renvoyé à son caractère fondamental (topographique, géologique et climatique) constitue un paysage émergent. En associant le paysage restant (naturel) avec le paysage émergent (artificiel), on retrouve les caractéristiques communes à l’ensemble des bidonvilles du monde entier, à savoir la forme la plus simple de l’habitat contemporain : se protéger des intempéries avec un toit et créer un enclos pour sa famille avec ce que l’on trouve autour de soi. « La maison est la raison d’être du bidonville » disait Serge Santelli dans le cas de Nanterre16. La rencontre de la cellule (architecture de la ville) et du noyau (la famille en sociologie) dans la ville d’aujourd’hui semble être le degré zéro de la question de l’habitat et de l’occupation spatiale d’un terrain vierge. Rarement nous avons vu de nos jours un tel rapprochement entre un habitat et celui qui y vit et le transforme. Celui-ci doit même être une des préoccupations premières de ses habitants.

La surface fragile de l’habitat traduit littéralement l’état intérieur et même la manière de vivre17. La question de dessiner « le blanc », que constituent certains quartiers spontanés renvoie directement à celle de la représentation d’habitats rudimentaires télescopés dans le paysage. C’est finalement l’étude de l’homme en interaction directe avec son environnement, dans la mesure où l’architecture est ici quasi inexistante.

14. Max Risselada et Dirk van den Heuvel, Team X, 1953-81, in search of a Utopia of the present, Nai, 200515. De définitions en définitions, nous avançons ici vers un contexte latino-américain et donc vers notre cas d’étude : « invasion », relief accidenté, communauté humaine oubliée, terrain délaissé, grande métropole, région rurale et agricole, marge de la marge.16. op. cit.17. Carlos Mesa, Superficies de contacto : adentro, en el espacio, Mesa Editores, 2010

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Carte des flux de migration vers les principales villes du Maroc, 1953.Carte des populations vivant en bidonville, 1953.

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c. Du drame (local) à la banalité (globale) : le « bidonville »

« Bidonville » est donc le terme commun générique en français (naît en Tunisie) qui désigne ces quartiers périphériques de grandes métropoles mondiales18. Il raconte par lui-même l’histoire d’un fait divers métropolitain qu’on a laissé se répéter et se généraliser un peu partout. Comment peut-on expliquer et accepter qu’un tel « urbanisme de la pauvreté » se développe en même temps à plusieurs endroits du monde, dans des régions culturelles et géographiques si différentes ? Le terme et la sémantique même du mot utilisé reflètent la banalisation d’un phénomène ; de la médiatisation à l’idée générale. À « bidonville », ville faite essentiellement de bidons, doit-on préférer le terme de baraquements? Y-a t-il des similitudes, d’un cas d’étude à un autre? Oui. Des différences ? Beaucoup, car si l’on fait abstraction de toute architecture auto-construite (aussi spatialement « pauvre » soit-elle), on en reste à étudier au cas par cas les cultures et les antécédents régionaux de chaque bidonville, faisant de chaque cas une spécificité locale.

Voilà donc pourquoi nous évacuons la question purement matérielle de l’ « auto-construction » maintenant. L’idée certes non négligeable d’une architecture sans architecte qui a toujours existé trouve aujourd’hui un regain d’intérêt. Le concept de bidonville ne nous intéresse pas par sa forme ni par sa matérialité, mais par la question que soulève son origine dans un territoire donné, et les modalités de sa subsistance ou au contraire de sa destruction, ou encore l’étude des comportements et de l’histoire de ses habitants. Concernant l’origine des habitants, différentes études ont été faites, donnant lieu à des représentations intéressantes qui font parfois se rencontrer plusieurs échelles d’analyses sur un même document. C’est le cas du travail effectué au sein du bidonville du Moulin Brulé par Colette Pétonnet19, qui présente de façon schématique la répartition des familles immigrées sur le site dont les légendes témoignent de leur origine.

À la notion d’ « habitat informel » (qui ne prend son sens réel qu’en économie comme on l’a vu) préférons pour le moment l’idée de « prolifération » ou d’ « invasion ». Cette dernière, qui fait essentiellement référence au cas de l’Amérique latine, qui va des parties à la totalité et soulève les questions de croissance urbaine et d’implantation territoriale qui en dérivent. Entre ruralité et urbanité, ce Tiers-territoire est rempli de contradictions, notamment par sa difficile reconnaissance et considération comme territoire à fort potentiel humain et écologique, les deux n’étant pas forcement distincts. Il semblerait que les réserves naturelles soient aujourd’hui bien plus protégées et surveillées de près administrativement qu’un territoire délaissé considéré comme cas isolé et dont les limites sont floues. Difficile parfois de savoir si un terrain restant a déjà été exploité ou non, et selon quelles conditions. Entre en jeu ici la façon de révéler les frontières et les zones de superpositions dans le découpage entre naturel/artificiel. Il semblerait en effet que la question de la représentation de ce type de territoire soulève des

18. Trésor de la langue française, « bidonville : Ensemble hétéroclite d’habitations de fortune construites à la périphérie de certaines grandes villes dans des zones réputées impropres à l’urbanisation et où vit une population sans ressources, difficile à intégrer dans la vie sociale normale »

19. Colette Pétonnet, On est tous dans le brouillard, Ethnologie des banlieues, Paris, Editions Galilée, 1979

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Répartition des communautés du bidonville de Moulin Brûlé par rapport à leur ville l‘origine au Portugal, 1979.

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questions dépassant le simple cadre de l’occupation physique des sols, mais touche également à des questions touchant à d’autres champs d’étude.

B. LA PÉRIPHÉRIE, UN « BLANC SUR LA CARTE » POUR UN AVENIR INCERTAIN

Le secteur informel et l’architecture qui lui est associée n’ont pas les garanties en terme de pérennité que peut avoir le secteur formel, bien plus en adéquation avec le fonctionnement officiel de la société. Malgré son caractère éphémère dans certains cas, les dernières décennies ont permis de mettre en lumière sa compréhension. Sa représentation qui repose sur cette même incertitude quant à l’existence de ces quartiers est tout aussi fragile et n’engage à rien dans un futur proche. Voilà pourquoi la périphérie la plus éloignée laisse parfois place à des zones de « blanc » et que la limite du périmètre urbain peut être floue.

Quelle pourrait être une définition de la limite extrême de la fin de la ville contemporaine? Cette limite est-elle toujours la même, physiquement et sémantiquement, que celle que l’on aurait pu étudier il y a encore moins de dix ans selon les mêmes codes de représentation ? De quelle manière un quartier non reconnu, éphémère et probablement voué à disparaître est-il référencé graphiquement par les autorités municipales, aujourd’hui, si on considére l’ensemble des moyens de représentations quasi instantanés dont nous disposons à ce jour ?

a. La représentation et les outils de lecture de l’ “incertitude urbaine”

Faisant écho au plan de Rome par Nolli20 où l’on perçoit une continuité assumée entre les cours intérieures privées et l’espace public, le plan de la Medina de Tunis21 de Serge Santelli dessiné en 1992 aborde la question du rapport plein/vide avec un dessin des courts et des espaces intérieurs et privés permettant de lire ce qui est a priori invisible, dans une ressemblance étrange avec ce qui pourrait être un plan d’urbanisation informelle. Il explique d’un point de vue typologique l’articulation sédimentaire des habitations entre elles, révélant une réalité complexe et non planifiée. À ceci près qu’il manquerait presque la dimension anthropologique et mémorielle ; on verra plus tard quelles sont ses modalités qui remplacent ce blanc continu des espaces vides. Notons par ailleurs qu’il s’agit là d’un quartier historique d’une ville ancienne et non périphérique.

Partons du fait que certaines cartes de grandes métropoles en extension ne montrent pas toujours clairement la continuité de la ville, dans son extrême limite. Cela traduit une hésitation concernant les dernières mises à jour, comme si le risque de dessiner les quartiers spontanés les plus récents devait être confirmé d’abord administrativement : nous sommes face à une incertitude géopolitique. On dessine sur chaque nouvelle carte de nouvelles informations, plus encore que

20. daté de 1736-174821. Serge Santelli, Medinas : L’architecture traditionnelle en Tunisie, Dar Ashraf ed., 1992

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Plan de la Medina de Tunis, Serge Santeli, 1992.Plan de Rome, Nolli, 1748.

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sur celles d’avant : de nouveaux éléments d’infrastructure, de nouveaux édifices. Pourquoi pas des quartiers entiers, qu’ils soient spontanés ou non? Pourquoi sommes-nous si réticents à dessiner des éléments qui peut-être disparaîtront mais sont le reflet d’une époque ? L’idée est de trouver un moyen de représenter la réalité en croisant les domaines et les techniques afin de sortir des registres déjà connus car ce type de périurbanisation requiert de nouveaux moyens, mieux adaptés. Comparer dans le temps relève d’un travail d’enquête, à la recherche d’éléments existants ou disparus. Que voit-on (topographie, réseaux, pleins, vides) ? Que ne voit-on pas (transformation, intérieurs, comportements, flux) ?

Le blanc sur les cartes, laissé par l’urbanisation trop rapide des villes, se dessine avec tous les instruments qui sont en notre possession, en croisant les médias et les sciences. Plus que jamais à notre époque, nous sommes en mesure de saisir le territoire dans sa totalité. Ces représentations se font en tenant compte d’éventuelles traces du passé comme indicateurs de l’origine de communautés. C’est tout le problème de la lisibilité et de la visibilité qui peut être lié à la complexité historique de l’urbanisation spontanée bien que récente. Il s’agit alors de révéler les épaisseurs. Les couples indissociables de verbes d’action associés à un préfixe « montrer et dé-montrer », « connaître et re-connaître », et enfin « présenter et re-présenter », illustrent déjà l’idée de temporalité et de processus de lecture puis de relecture d’un fait urbain encore inconnu.

Dans ce travail d’enquête, la question du point de vue, des niveaux d’analyse et de l’échelle semble également essentielle afin de cerner la croissance des villes. Dans son film documentaire « Lagos »22, Rem Koolhaas, a été l’un des plus habile à tisser un lien quasi-direct entre la situation de l’immense métropole vue de l’intérieur à l’échelle d’un piéton et une « vue d’oiseau » plus générale, les mêmes scènes urbaines étant filmées de façon simultanée, l’une avec une caméra en immersion dans les marchés et les embouteillages de la ville, l’autre depuis des éléments d’infrastructure regardant la ville en plongée. Au final, l’intérêt est de voir la même scène depuis deux points de vue différents. On comprend donc l’idée essentielle de croiser non seulement les échelles et les sources dans le processus d’analyse du paysage urbain en construction :

« Le Tiers paysage est sans échelle (…) Les instruments d’appréciation du Tiers paysage vont du satellite au microscope (…) L’analyse à partir des microscopes donne, en particulier, l’énoncé des êtres les plus simples vivant au sein d’un écosystème (…) Tous les instruments intermédiaires permettent l’inventaire des habitats, puis des habitants. » 23

Comprenons ici que l’incertitude que suscite la périphérie des métropoles en expansion est l’occasion d’une nouvelle lecture de la ville, via des outils qui mettent en avant de nouvelles représentations, dans le but d’une meilleure compréhension des populations et de leur environnement en pleine construction. Les bases de ce travail sont pluridisciplinaires et il semblerait qu’il n’y ait pas une méthode, mais plusieurs, au même titre qu’il n’y a pas une périphérie, mais des périphéries.

22. Rem Koolhaas, Bregtje v, Lagos Wide and Close, interactive journey into an explodind city, 200623. Gilles Clément, Manifeste pour le Tiers-paysage, éd. Sujet Objet, mai 2004

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Lagos, proche et loin, 2006.

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b. La ville en hésitation (consolidation ou disparition?)

De la question « comment dessiner la périphérie ?», qui relève de l’adaptation de nos outils contemporains appliqués à un cas d’étude pour en tirer des pistes de lecture, nous basculons dans une question d’une toute autre dimension : « comment SE dessine la périphérie ? Comment évolue-t-elle, seule ? ». Du premier instant lié à l’invasion d’un terrain, qui pourrait constituer un premier « schéma » de ville, au moment où les habitations sont reconnues, s’officialisent et se « solidifient », que se passe-t-il ? La probabilité d’une consolidation ou d’une disparition d’un quartier induit une temporalité qui peut s’étaler sur un intervalle allant de quelques semaines à plusieurs années. Concernant les invasions, la réponse est d’ailleurs radicale : elles peuvent être chassées par les autorités dès le lendemain de la tentative de construction, ou rester des mois sans que rien ne se passe. Parfois, c’est une véritable course d’endurance qui se profile, les constructions pouvant avoir lieu plusieurs nuits de suite pour qu’au matin, les autorités les détruisent inlassablement. L’expérience péruvienne de l’architecte Georges Candilis relate la véritable bataille qui dura plusieurs jours pour la construction de la nouvelle Pamplona après une invasion, coûtant la vie de plusieurs personnes, avant que le gouvernement ne décide de se retirer de l’affaire24.

De l’implantation rapide d’un quartier à sa consolidation, le cheminement peut être long et compliqué, et la probabilité d’une disparition subite est toujours présente. Le passage de constructions fragiles à constructions solides renvoit presque littéralement à une transition entre une économie informelle à formelle dans en périphérie. Cette hésitation se traduit à une toute autre échelle dans le rapport ville/campagne régi par un contexte économique spécifique. Le philosophe et sociologue Guy Debord suggère un changement de statut et de définition dans le rapport ville-campagne, déjà hésitant dans les années 60 dans le contexte occidental, mais dont les vérités sont toujours valables de nos jours dans d’autres cas : « L’histoire économique, qui s’est tout entière développée autour de l’opposition ville-campagne, est parvenue à un stade de succès qui annule à la fois les deux termes. La paralysie actuelle du développement historique total, au profit de la seule poursuite du mouvement indépendant de l’économie, fait du moment où commencent à disparaître la ville et la campagne, non le dépassement de leur scission, mais leur effondrement simultané. L’usure réciproque de la ville et de la campagne, produit de la défaillance du mouvement historique par lequel la réalité urbaine existante devrait être surmontée, apparaît dans ce mélange éclectique de leurs éléments décomposés, qui recouvre les zones les plus avancées dans l’industrialisation. (...) L’histoire universelle est née dans les villes, et elle est devenue majeure au moment de la victoire décisive de la ville sur la campagne. Marx considère comme un des plus grands mérites révolutionnaires de la bourgeoisie ce fait qu’« elle a soumis la campagne à la ville », dont l’air émancipe. Mais si l’histoire de la ville est l’histoire de la liberté, elle a été aussi celle de la tyrannie, de l’administration étatique qui contrôle la campagne et la ville même. La ville n’a pu être encore que le terrain de lutte de la liberté historique, et non sa possession. La ville est le milieu de l’histoire parce qu’elle est à la fois concentration du pouvoir social, qui rend possible l’entreprise historique, et conscience du passé. La tendance présente à la liquidation de la ville ne fait donc qu’exprimer d’une

24. Georges Candilis, Bâtir la Vie, éd. Stock, 1977

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Ugo La Pietra, Récupération et réinvention, Les degrés de liberté, 1969-75.Affiche, Paris, manifestations estudiantines de 1968.

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autre manière le retard d’une subordination de l’économie à la conscience historique, d’une unification de la société ressaisissant les pouvoirs qui se sont détachés d’elle. »25

L’auteur entend par là que la campagne, soumise économiquement et socialement à la ville, est vouée à disparaître, et que l’incertitude sur son devenir concerne également les populations rurales puisque celle-ci est liée à un profond changement du cycle de vie, non plus agraire mais désormais réglé sur un rythme urbain plus industriel ou tertiaire.

« La campagne montre justement le fait contraire, l’isolement et la séparation (Idéologie allemande). L’urbanisme qui détruit les villes reconstitue une pseudo-campagne, dans laquelle sont perdus aussi bien les rapports naturels de la campagne ancienne que les rapports sociaux directs et directement mis en question de la ville historique. »26

L’expression « pseudo-campagne » convient bien à la configuration actuelle de la périurbanité, dont l’histoire récente n’a toujours pas été révélée, le deuil de la vie rurale de nombreuse communautés n’a toujours pas été fait et la régularisation des sols ne sont pas à jour. La question est plus que jamais d’actualité dans certains pays émergents et des leçons sont toujours à tirer de l’enseignement du passé.

c. L’incertitude comme prétexte à la recherche et à la représentation

La périphérie non répertoriée est celle du doute et de la polémique, elle n’est pas scientifique mais politique et nous reviendrons sur ce point. L’incertitude n’est-elle pas source de représentations erronées ou partielles? Nous voilà obligés d’effectuer une nouvelle lecture du territoire, cette fois-ci confronté à des phénomènes liés à l’accélération de l’activité humaine et aux « délaissés » urbains et sociaux qu’il produit. Dans ce dernier cas, ce blanc « trouble » peut-il aussi être la conséquence d’un oubli volontaire ? Un blanc laissé dans l’attente d’un choix politique ou tout simplement comme une « négation » de la réalité ? À l’heure où il est possible de scruter, cartographier et mettre à jour aisément les représentations du territoire, ces hypothèses sont-elles vérifiables ? Ici le caractère exploratoire des représentations prend toute son importance dans ce genre de recherche en terrain inconnu. L’analyse du sujet sur le terrain, au cas par cas, peut donner de nouvelles interprétations et ouvrir la voie a des politiques plus humaines quant à l’avenir des marges urbaines.

Doit-il y avoir une véritable pression foncière ou un quelconque projet urbain dans une marge urbaine pour que les autorités municipales mettent à jour les données et les représentations des limites administratives des zone urbaine ? Ces limites sont-elles considérées de façon périodique ? La question soulevée ici renvoie à l’idée de recensement des quartiers sur le terrain, et à une nouvelle approche de la périphérie, qui n’est pas forcement bureaucratique. L’exemple donné précédement du plan à Caracas de l’aménagement d’escaliers dans un

25. Guy Debord, La Société du Spectacle, Buchet/Chastel, 196726. Ibid.

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Chemin construit et relevé du terrain à La Vega, Caracas, 2010.

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endroit marginalisé de la ville est à l’origine de cette question27 ? La mise à jour de ces plans est un véritable défi dans des quartiers à évolution très rapide.

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L’éclatement des villes sur les campagnes d’un point de vue morphologique est en réalité un phénomène bien plus complexe lorsqu’on prend en considération, comme dans le cas des invasions en Amérique Latine, que ce sont des populations venues de l’extérieur des villes qui alimentent celles-ci en périphérie et inversent donc le vecteur de croissance urbaine que l’on croyait être de l’intérieur vers l’extérieur, comme cela a pu l’être à une toute autre époque. C’est ici que la dimension temporelle et l’étude d’un phénomène à plusieurs moments prend toute son importance. Dans son best-seller Planet of Slum28, Mike Davis énumérait les bidonvilles, d’un continent à l’autre, sans réellement s’attarder sur un cas précis. Catastrophiste à sa manière, il avait au moins le mérite de rendre publics un certain nombre de faits, et de soulever quelques questions, notamment qu’« aucun auteur n’ait produit de synthèse sur la géographie changeante des implantations des pauvres dans aucune ville du tiers monde durant toute la période d’après guerre. » La question sous-jacente est celle du changement spatiotemporel, de l’évolution récente de ces quartiers où qu’ils soient, et plus juste encore, celle de leur devenir. C’est donc à l’intérieur de ce type de paysage que nous trouverons sûrement des réponses à nos questions ou tout du moins de nouvelles pistes de recherche. Il ne s’agit bien évidement pas de déterminer dans quel bidonville la vie humaine se trouve confrontée à la situation la plus difficile à surmonter, mais plutôt de faire le portrait d’un de ces quartiers émergents : un parmi tant d’autres, dont l’intérêt réside dans par sa triste “banalité” (évoquée plus haut), probablement dans une de ces grandes métropoles d’un pays émergent? Concernant l’étude d’un cas précis, Michel Agier dans l’Invention de la ville29 part du principe qu’un « ensemble d’exemples singuliers, pris sur le vif, représente aujourd’hui la meilleure option de la description urbaine. Puisqu’il s’agit, non d’offrir un panorama quantitatif et ingénument réaliste de toutes les villes, mais des pratiques citadines. »

27. http://www.u-tt.com: Urban Think Tank, projet d’escaliers Caracas, 2007-201028. op. cit.29. op. cit.

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2.2.

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LE CAS D’ALTOS DE LA TORRE, UN OUBLI PARMI D’AUTRES ?

Altos de la Torre correspond à tous les critères de la périphérie que nous avons tenté de cerner un peu plus haut. Il se situe dans le contexte latino-américain de « l’invasion » par une communauté d’un endroit non occupé de la périphérie de la ville (relief accidenté, terrain délaissé, oublié, grande métropole, proximité rurale et agricole). Il fera le sujet d’une étude de cas que l’on peut situer à plusieurs échelles interconnectées : Altos de la Torre (secteur) / Comuna 8 (arrondissement) / Medellín (commune) / Valle de Aburra (agglomération) / Antioquia (région) / Colombia (pays).

Le quartier présente donc des caractéristiques spécifiques reliées directement à notre problématique. À ceci près que c’est un bidonville comme les autres, tragique par la banalité d’un phénomène qui paraît inévitable (l’est-il réellement?) : celui de l’urbanisation spontanée de la périphérie des métropoles en développement. Medellín est située à plus de 1400 mètres d’altitude, encadrée par les sierras de la cordillère centrale des Andes. C’est la deuxième ville de Colombie avec 2.34 millions d’habitants en 2010. Alors que la Colombie compte parmi les plus grands méga-bidonvilles du monde, comme El Sur, Ciudad Bolivar à Bogota (2.0 millions d’habitants) et Aguas Blancas à Cali (0.5 millions), le choix du sujet (qui exclut d’emblée la taille) est celui d’un échantillon révélateur d’une situation déjà généralisée à l’échelle de la ville, mais saisi aux premiers moments encore de son existence car datant de moins d’une dizaine d’années.

L’intérêt d’une monographie de ce quartier ne réside pas véritablement dans son approche typo-morphologique qu’il nous faudra tout de même aborder pour cadrer le sujet. Nous aborderons surtout les questions touchant aux influences régionales et les raisons qui ont amené à ce type de développement urbain en périphérie de Medellin, à savoir: la vie paysanne dans les Andes et le contexte géopolitique des années 50 jusqu’à aujourd’hui.

Si cette enquête de terrain n’est pas si novatrice, elle aura au moins le mérite de constituer un partie aussi petite soit-elle mais élémentaire dans la mosaïque de dessins et d’analyses que pourrait rassembler un hypothétique Atlas de l’urbanisation spontanée, déjà amorcé par d’autres chercheurs dans d’autres métropoles, comme on a pu le voir auparavant.

A. PÉRIURBANITÉ ou VILLE RURALISÉE? LA COMUNA 8 EN QUESTION

Ce que l’on voit...

Altos de la Torre est un fragment infime d’une partie elle-même réduite et à peine recensée de l’agglomération de Medellín : La Comuna 8, quartier périphérique la ville, dit « barrio popular » (quartier populaire) ou encore, bien que l’expression soit d’une certaine époque, « tugurio » (bidonville). Dire que le quartier est déjà

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connu de tous et des services municipaux serait déjà prendre un risque tant les subdivisions et les noms qu’il prend au fil des années sont nombreux et mouvants, et le difficile processus de reconnaissance semble ralenti. Voilà déjà peut-être le premier signe de la ville en train de se faire et de se défaire : ses changements de noms. Avec quelle nomenclature sera-t-il un jour reconnu comme quartier officiel, à part entière de l’agglomération de Medellín ?

a. Medellín, le paradoxe du paysage

La transition urbaine que nous étudions est tout d’abord marquée par une opposition très forte, soulignée par un constat visuel (vue à 500 m) dans un sens et dans un autre : on peut repérer le secteur à vue d’oeil depuis le centre ville; on peut voir le centre-ville depuis le secteur, en hauteur. On remarque ici déjà l’importance de l’impact visuel d’un phénomène (urbanisation spontanée) dans l’image que donne une ville dans son aspect global.

Le paradoxe du paysage réside dans le contraste offert par la vue sur la ville, stupéfiante depuis les hauteurs, et la présence de quartiers pauvres depuis ces points hauts. Le constat est pratiquement le même dans l’ensemble de la vallée d’Aburra qui accueille l’agglomération de Medellín : celui d’une vue panoramique aboutissant sur le constat inévitable d’une urbanisation périphérique grimpante partout autour, sur les montagnes (alors qu’au centre s’élèvent des tours de 50m de haut). Le constat est déroutant quand on s’aperçoit qu’en Antioquia et de façon plus générale en Colombie, nombreux sont ceux qui, dans les classes supérieures ont des maisons secondaires offrant ce genre de panorama. Évidement, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi manichéennes que cette confrontation visuelle contrastée, et l’on s’apercevra qu’une transition urbaine s’opère d’un état à un autre de façon plus ou moins continue.

La vue des quartiers pauvres accrochés aux montagnes fait l’effet d’un décor permanent à 360 degrés, dans le grand spectacle urbain qu’est la ville de Medellín. La capitale d’Antioquia est une de ces villes de la cordillère des Andes qui a cette particularité d’offrir une vue sur les montagnes environnantes dès lors que l’on est dans un endroit dégagé de toute construction, dans le creux de la vallée d’Aburra qui constitue son territoire depuis quelques siècles. Il est alors impossible d’échapper à un certain nombre d’éléments du paysage, tant la distance d’appréciation du relief environnant est proche. La configuration de la ville est à échelle humaine : un fleuve bordé par deux voies rapides et un métro ; un centre ville bordant ces éléments de part et d’autre ; deux versants montagneux formant la vallée et accueillant des quartiers plus ou moins récemment reliés à la ville. Un peu partout sur la montagne, on voit de part et d’autre se développer ce type d’urbanisation spontané. Le constat visuel30, croisé aux données chiffrées générales est révélateur : la plupart des constructions de la ville sont faites de cette manière et 70% de la ville se situe ainsi en zone rurale (alors que 90% de la

30. El mundo.com, 21 nov 2011 : « Les pots de peintures qui ont en novembre dernier recouvert environ 80 maisons du quartier ont permis d’augmenter leur visibilité depuis le centre ville, et par la même occasion la prise de conscience depuis le grand paysage. »

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Vue de la Comuna 8 depuis le centre ville.Vue du centre ville depuis la Comuna 8.

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population vit dans le centre urbain).

Altos de la Torre est une des dernières invasions du secteur. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est perché très haut dans la montagne, au point le plus éloigné du centre, et, de fait, difficilement accessible, faisant de cela son principal caractéristique. Son principal problème aussi. Alors que la question de l’accessibilité et du transport est sans doute la donnée principale de la ville contemporaine. Ici, pas de métrocable comme dans la Comuna 13 ou dans la 1 (bien que l’ouverture d’une nouvelle ligne soit prévue encore plus à l’est dans le corridor de Santa Elena, d’ici quelques années, mais de toute façon trop loin du secteur d’Altos). Il faut d’abord se rendre à la station San Antonio dans le centre en métro (10 minutes); on prend ensuite un bus qui traverse Buenos Aires puis Los Angeles (noms de quartiers déjà périphériques) pour nous emmener au bout de la Carrera 51 (20 minutes) ; de là, il faudra marcher (15 minutes) en pente raide pour arriver, en haut d’un flan de colline, à la tour électrique qui lui a donné son nom : Altos de la Torre (les hauteurs de la tour ou la tour haute). Les véhicules ne peuvent pas entrer dans le secteur très étroit et principalement constitué de sentiers et d’escaliers dans sa partie interne. Relevons ici que cette version-là de la périphérie présente des caractéristiques « andines » : forte déclivité (15-30°), sol instable, climat tropical. Le temps du déplacement et l’organisation de l’activité humaine sont régulés par le paysage, donnée première qui, comme nous allons le voir, est omniprésent dans la vie des communautés.

Il s’agit là d’un territoire en mutation. À l’origine, l’urbanisation de Medellín s’est développée le long du fleuve, portant le nom de rio Medellin. Par la suite, à l’est comme à l’ouest, la ville est partie à l’assaut de la montagne, s’installant chaque fois encore plus sur des terrains instables et en altitude, augmentant ainsi les risques de détérioration des sols. Un tel constat (à peu de choses près celui de l’Atelier Parisien d’Urbanisme qui s’occupe du plan BIO 2030) serait quelque peu réducteur si on n’explique pas quelles sont les modalités socio-politiques d’une telle urbanisation, ce que nous verrons par la suite.De toute évidence, cette partie de la ville communiquant avec la vallée de Santa Helena à l’est de la ville est également assez proche du centre ville et constitue ainsi dans un futur proche un “lieu de consolidation de l’identité culturelle de la vallée et de développement de la dimension internationale”, selon les mots de l’APUR. En d’autres termes sa proximité du centre ville fait de la Comuna 8 un secteur à fort potentiel et intérêt politique. Il n’empêche que sa situation précaire et son éloignement, surtout liés à la forte déclivité de la montagne sur ce versant-là de la vallée en fait actuellement une zone de concentration de la pauvreté. La Comuna 8 se situe actuellement dans un corridor écologique en bordure sub-urbaine.

Un second paradoxe dérive directement du premier constat purement visuel : pourquoi le quartier est-il visible à l’oeil nu depuis le centre ville mais n’est-il pas représenté sur la carte ? L’absence de représentation ne fait pas le poids face à l’évidence du paysage. C’est également le constat frappant d’un blanc sur la

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Disparition d”Altos de la Torre sur la carte de la ville, 2006.

Apparition du quart-ier en photo aéri-enne.

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carte de la ville de Medellín31 qui est à l’origine de cette recherche et de la question de la représentation de ce type de quartier en arrière fond de notre exposé. Un blanc pour l’instant, comme celui d’un oubli ? Volontaire ou involontaire ? Nous balayons immédiatement l’explication qui serait celle de l’oubli accidentel, improbable, dû au dessinateur, et nous en profitons pour approfondir notre recherche sur d’éventuelles raisons politiques liées à cet oubli. Chaque année, de nouveaux mots sont intégrés aux dictionnaires de chaque langue partout dans le monde, de même que les cartes urbaines sont remises à jour. Admettons qu’il existe un certain délai entre le repérage d’un quartier et sa représentation dans un document officiel. À ceci près que cela fait maintenant près de dix ans qu’Altos de la Torre est accroché au versant-est de la vallée.

b. Politiques périurbaines et planifications récentes

D’un constat visuel omniprésent, nous passons à une réalité, chiffres à l’appui, d’une politique confrontée au phénomène croissant de l’urbanisation sans limites et ce, depuis des années déjà. Ces limites physiques n’ont eu de cesse de bouger à Medellín, dans un paysage périphérique déjà instable en sous-sol mais également rendu fragile par les décisions politiques. Medellín constitue l’une des plus grandes zones urbaine de développement informel en Colombie, incluant à la fois les lotissements dits « pirates » (vente ou location non officielle d’une parcelle non reliée aux services publics) mais aussi les invasions (appropriation spontanée de terrain), principalement périphérique à la ville. Cet ensemble commence depuis quelques années à empiéter sur la « ceinture verte », ensemble de terrains naturels et de parcs écologiques qui sont présents tout autour de la ville sur la montagne. Ces terrains périphériques sont quelquefois classés comme « zones à risque », ce qui constitue le fond du problème.

Rappelons tout d’abord de manière générale quelles sont les modalités de l’urbanisation formelles et informelles en Colombie ces dernières décennies :

« Les années 50-70 : la solution formelle :En consonance avec les programmes post-guerre européens et nord américains, ont commencé dans les années 50 des programmes de production d’habitats de moyenne et haute densité qui se sont consolidés dans les années 70. Les projets multi-familiaux en hauteur surgirent comme la solution pour la demande d’habitats urbains, lesquels reflètent les idées modernes sur la production standard d’habitats et de provision d’un « minimum existentiel » pour les citoyens. (…) Les organismes internationaux de finance préoccupés par la stabilité politique des régions latino-américaines souscrivent avec enthousiasme à ces programmes, qui engendrèrent de sérieux déficits et de gestion pour le secteur public qui n’était pas préparé à assumer la production directe d’habitations. Pour sa part, le développement non planifié des villes se généralisa dans les périphéries urbaines selon deux modalités : les invasions de terrains et la subdivision et vente irrégulière de terre rurales. L’ « urbanisation pirate » - laquelle n’affecte pas la propriété privée mais l’administration urbaine- s’est convertie en mécanisme efficace de création d’habitat au milieu d’un contexte accru de dispositifs de contrôle et exempt d’alternatives en réponse à

31. medellin.gov, Mapa GIS de Medellin, 2011 ; APUR, prévision du plan BIO 2030, 2007 ; Departemento Administrativo de Planeacion, Alcadia de Medellin, Mapa del Municipio de Medellin, 2006

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la demande croissante de logements urbains.

Les années 70 : la solution informelle :À la fin des années 70, les politiques publiques mises en place pour contenir la demande de logement se révèlent incapables de contrer l’essor illégal de surface construite, avec lequel la participation du secteur informel en prévision opportune de logement a continué de s’étendre. L’urbanisation illégale et la construction auto-gérée devinrent objet d’étude et de recherche. Surgit alors une nouvelle compréhension du phénomène selon laquelle le secteur informel n’est plus un problème mais « la solution ». (…) Avec la publication de son livre « La liberté de construire32», le chercheur John Turner revendique les procédés de construction autonomes comme manière logique et rationnelle de freiner le problème de logement face aux gouvernements incapables de faire face à une demande croissante (5% dans les années 70). Avec cette nouvelle vision se développent des studios sur l’habitat informel dans les centres de recherche avec lesquels commence un long chemin vers une réflexion autonome sur la dynamique urbaine en Amérique latine (le Centre de Planification et d’urbanisme fondé à l’Université des Andes à la fin des années 70 fut le premier centre d’études urbaines colombien).

Les années 80 : la mimesis du procédé informel :Sentant de manière évidente la difficulté à contenir la croissance de l’urbanisme non planifié dans les pays en développement, une innovation radicale a été mise en place, qui prétendait imiter la logique présente de l’urbanisation non planifiée avec une inversion initiale réduite : les programmes de « lots de service » proposent une provision massive de terrains et de services afin de corriger les déficiences en infrastructures basiques caractéristiques des « solutions informelles ». Ce changement de conception pousse les organismes internationaux de finance à reconnaître la persistance et la croissance de l’informel et ainsi est créée la notion de technologie appropriée comme contrepoids de l’industrialisation propre au secteur formel de l’économie. La vente d’une terre urbaine « relativement organisée » dans laquelle une unité basique offre le point d’appropriation « formelle » depuis lequel se fait une consolidation de l’habitat par processus d’auto-gestion propose l’application de standards urbains basiques. Cette idée s’est implantée dans quelques régions du monde comme un urbanisme progressif alternatif à l’ordre classique du développement urbain, prédisposé à l’appropriation d’un lieu, et dans lequel l’habitat et les services urbains restent un complément du programme initial. Le processus allant de l’avant, l’endroit est intégré par les gens qui s’organisent et gèrent leur situation en tentant de compléter les déficiences du quartier et de consolider les habitations. (…) Ce modèle a été reconnu rapidement par l’organisation communautaire comme un principe fondamental pour construire une ville même s’il doit être complété par un accompagnement technique de consolidations de ces aires avec le danger d’être considérées comme « tugurios instantaneos » (bidonvilles instantanés), un schéma accéléré de construction urbaine et un espace domestique de basse qualité. (…) À partir de ces politiques de « lots avec services » ce sont d’autre impacts politiques indirects qui vont décider du sort des quartiers. La vision selon laquelle « faire seulement du logement » empêche la croissance urbaine est ainsi dépassée. Le manque de logements est reconnu comme en partie responsable des problèmes de pauvreté, d’administration publique inefficace et d’absence de participation et de gestion équitable du sol urbain. Reconnaître la complexité des problèmes est un fait. Réduire la valeur de l’architecture qui est une solution au problème du logement, revient à diminuer la capacité de comprendre et d’appuyer le processus de « production sociale » de l’espace domestique. De fait, cette situation met en difficulté la réponse aux risques environnementaux, aux interventions urbaines »33

32. John Turner, Freedom to Build: Dweller Control of the Housing Process, New York: Macmillan, 197233. Rodrigo Rubio Vollert, Ciudades urgentes intervención en áreas urbanas de crecimiento rápido Grupo de

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Voici maintenant ce qui pourrait constituer une chronologie accélérée des relations entre les autorités municipales avec sa périphérie :

Medellin est associée à une image de modernité et de prospérité économique et son développement est finalement assez récent, remontant au siècle passé. Les premiers aménagements urbains se basent sur des principes hygiéniques à l’européenne, mais progressivement la trame urbaine initiale (nord-sud, est-ouest, commune aux villes américaines) se développe jusqu’à ce qu’on en perde toute lisibilité. (1950)

Une notion importante fait son apparition en 1905 dans le paysage de la Vallée d’Aburra, celui de « périmètre urbain », qui sépare de façon distincte l’aire urbaine de l’aire rurale. Cette limite administrative n’a de cesse d’être déplacée, toujours plus vers l’extérieur de la ville, et de fait sera reconsidérée successivement en 1912, 1916, 1921, 1928, 1934 et 1945, (puis 1963)34. Ce périmètre restrictif a en réalité pour but de faire augmenter la valeur foncière à l’intérieur de la limite indiquée, en diminuant la disponibilité d’implantation. Il n’empêchera pas cependant l’urbanisation spontanée de grimper sur les terrains les plus accidentés de la Vallée, aujourd’hui encore. Peut-on dire que le marché informel se situe essentiellement au delà du périmètre urbain ? Il est clair que les marges périphériques sont les terrains les plus convoités par les familles les plus en difficulté, pas toujours à même de posséder un terrain. Les locations pirates sont donc très répandues dans ce type de secteur, et jusqu’aux années 50 sont tout à fait tolérées. Cependant, en 1947 apparaît un plan régulateur qui tente de redéfinir l’agglomération de Medellín par secteurs d’activités, mettant la ville au goût du fameux « zoning » que l’on connaît un peu partout dans le monde. Dans le cas présent, il permet aussi de limiter l’apparition de risques naturels liés à la croissance incontrôlée de la ville sur les versants escarpés dûs à l’écoulement des eaux usées vers la ville et la détérioration des versants auparavant boisés. Ce plan directeur veut remettre à l’ordre du jour le plan initial de la ville, bien que la réalité urbaine ne corresponde pas du tout à la ville planifiée.

En 1960, l’éradication des bidonvilles est décidée par la municipalité, avec pour but d’éliminer la criminalité et la soi-disant menace sanitaire et sociale. Au final, ce sont principalement ceux qui étaient trop proches du centre-ville qui tomberont. À ces décisions radicales s’ajoute une série de sanctions pénales envers les lotisseurs clandestins, ne faisant que renforcer de plus belle, en contrepartie, le phénomène des invasions. On observe alors dans le paysage des politiques urbaines un passage de l’éradication à la réhabilitation de quartiers entiers (et donc de l’informel au formel). En parallèle est créé en 1964 un service de gestion des services publics35 qui commence à connecter certains quartiers encore marginalisés.

Investigación en Gestión y Diseño de Vivienda, Departemento de Arquitectura, Universidad de los Andes, 200634. López-Peláez Juanita et González Luis Fernando, Marginalité et inclusion urbaine à Medellin (Colombie) : un regard historique à partir des instruments de planification, Autrepart, 2008/3 n° 47, p. 187-207.35. Celui-ci est attaché à l’EPM (Entreprise de services publics de Medellin) qui gère la distribution d’énergie dans la ville.

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Recul du périmètre urbain de Medellín entre 1928 et 1999.

Délimitation en-tre Llanaditas et la zone classée écologique de San-ta Helena. Entre les deux se trouve Al-tos de la Torre.

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Le Plan Pilote de 1980 se veut être une nouvelle étape des politiques urbaines, permettant l’instauration d’une nouvelle aire métropolitaine, avec notamment l’élaboration d’une « Cordon vert » périphérique ayant une réelle ambition de réserve alimentaire périphérique. C’est le manque de ressources financières et également de réelles compétences en agriculture qui feront en partie avorter le projet.

Faute de moyens mais toujours dans l’idée de ralentir et de stopper l’extension périurbaine, la municipalité met au point un décret municipal en 1985 définissant des « zones à haut risque potentiel de désastres », « urbaines ou rurales » dans lesquelles elle s’interdit elle-même d’intervenir pour ce qui devait être de l’ordre de travaux d’infrastructure, d’extension de services publics, ou encore de régularisations parcellaires. S’ajoute à cela, sous des prétextes environnementaux, la décision d’expulser et de reloger dans des logements sociaux tous les habitants de ces zones à risques, l’idée étant de reboiser ces zones végétales fragilisées et de les classer « zones de protection écologique ».

Parallèlement à l’élaboration de la nouvelle Constitution Colombienne de 1991, on voit apparaître à Medellín un Plan d’aménagement du territoire (POT) qui met en avant des objectifs environnementaux basés sur la prévention des risques socio-naturels, une première en la matière. Encore une fois les coûts liés à l’extension des canalisations d’eau et d’assainissement dus à la forte déclivité sont trop élevés et compromettent l’accessibilité de nombreux quartiers périphériques aux services publics.

Suite à plusieurs glissements de terrains et inondations faisant de nombreuses victimes36, les années 90 marquent un retour à une politique plus réaliste. Le Primed (Programme intégral d’amélioration des quartiers sous-intégrés) marque un renouveau allant dans le sens d’une relation plus forte entre les organismes communautaires et la municipalité, avec notamment une planification participative. On note aussi une volonté de légalisation des titres de propriété couplée à l’anticipation des risques géologiques. Cependant, mis à part le fait que les zones à haut risques (ZHRNR) soient réévaluées à la baisse, les autres mesures tardent à être mises en place et le début des années 2000 est marqué par de nombreuses invasions liées à l’augmentation des déplacement forcés.

En 2006, le POT (Plan de Ordenamiento Territorial37) est réactualisé, permettant ainsi à la municipalité de revaloriser certaines zones à risques (après réalisation d’études des sols) et de mettre en place une « primauté de l’espace public sur le particulier » : « Article 12 : Les principaux composants du modèle ou projets de la ville sont :- une zone rurale à haute production environnementale, couplée à une fonction écologique équilibrée pour la municipalité et l’aire métropolitaine (…) articulée avec l’aire urbaine. -Des bords de protection ou ceintures vertes de contention, respectant la pression qu’exerce l’expansion urbaine sur les extrémités supérieures des versants est et ouest (…).

36. AMVA, base de données DesInventar, mai 2007 : mort de 917 personnes et 31 637 sinistrés37. Municipio de Medellín, Acuerdo 46-Plan de Ordenamiento Territorial para el Municipio de Medellín, 2006

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Plan et section des zones protégées dans le BIO 2030 : la Comuna 8 est resteinte par un parque écologique en amont.

consolidation transition protection

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-Établir des relations spatiales effectives entre les zones urbaines et rurales grâce à la bonne intégration des éléments naturels et agricoles au paysage, l’espace public et le patrimoine culturel. -Freiner la croissance des bords de la ville qui présentent de hauts risques naturels pour le développement. -Revitaliser le quartier comme une unité basique, ouverte, perméable et dotée d’espace public. »38

Il semblerait que le tout récent PUI (Proyectos urbanos integrales39) de 2010 reprenne les caractéristiques principales du Primed40. Ce dernier revoit à l’ordre du jour les priorités de son schéma directeur, reléguant au second plan la question de la réhabilitation de logement et la régularisation parcellaire. On note d’ores et déjà très peu de projets urbains intégraux mettant en avant le logement social (secteur nord-est) ou des politiques de relogement des habitants dans les mêmes quartiers, alors qu’ont déjà été démolies près de 300 habitations, dispersées des dizaines de familles depuis le début des PUI.

Dans le panorama des récentes planifications on a commencé par des interventions urbaines ponctuelles qui ont progressivement laissé place à des interventions urbanistiques. Il est clair que ces politiques récentes ne peuvent pas éviter certains dégâts collatéraux liés aux projets de grande ampleur comme peuvent l’être le métrocable ou les PUI dont la proximité fait augmenter les prix des loyers, faisant ainsi fuir les plus pauvres (ceci est le résultat du passage de l’informel au formel).

« Ces politiques révèlent les limites des pouvoirs locaux longtemps nourris par l’espoir de résoudre trop rapidement les problèmes d’informalité. »41

La question que nous nous posons et à laquelle nous n’avons pas encore su trouver de réponses est de savoir si une réelle planification existe et va être effectuée en ce qui concerne Altos de la Torre, et surtout selon quelles modalités, en tenant compte de quels critères. Nous savons que le peu d’aménagements effectués aurait été fait in situ, bien que non prévu à l’origine, lors des premiers travaux de canalisation :

« Ont été construits des escaliers, passages, gardes corps corridors et autres structures de la zone dans laquelle a eu lieu l’intervention, chaque fois en cherchant à améliorer ou laisser intactes les infrastructures qui ont été rencontrées au passage »

L’absence de planification dans ce secteur était jusqu’à maintenant à l’ordre du jour. Quel sera le rôle des représentations dans la transformation, si elle a lieu ? Ce qui est certain c’est qu’Altos de la Torre n’apparaît pas dans le PUI du plan Bio 2030 (APUR). Doit-on en déduire que la prochaine échéance concernant ce secteur n’aura pas lieu avant une vingtaine d’années ou doit-on espérer qu’il y

38. Alcadia de Medellin – acuerdo municipas #46, Plan de ordenamiento territorial – Municipio Medellin, 2006, p.2, p.739. EDU, Acadia de Medellin, voir http://proyectosurbanosintegrales.blogspot.com/p/que-es-el-pui.html

40. Municipio de Medellin, Programa integral de mejoramiento de barrios informales de Medellin – Primed,1992-200141. López-Peláez Juanita et González Luis Fernando, op. cit., p. 187-207

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Colonies précaires en bordure urbaine et zone d’intervention et de protection en milieu urbano-rural (bio 2030).

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aura d’autres alternatives à ce schéma directeur exclusif ? c. Les limites physiques de la ville (construire sur un sol instable42)

Il est clair que cette transition urbaine est encore floue dans son rapport à la pérennité des constructions. La représentation des limites de ce Tiers-territoire ne peut pas traduire leur épaisseur biologique de façon objective, mais elle peut tout de même l’évoquer. Saisir la transition urbaine, le moment de basculement d’un état à un autre, relève d’une démarche quasi archéologique, paradoxalement d’autant plus enfouie que son histoire est récente. Relever les strates, entrer par des portes, rencontrer des gens, faire parler les murs (et les objets) et soulever les tabous s’avèreront révélateurs d’un monde à part, riche d’enseignements.

Du constat inévitable et visuel de l’implantation de ce quartier dans le grand paysage (il est au centre-est, sur une colline dénommée pan de sucar, au dessus du quartier de Buenos Aires), on va vers une confusion et une perte des repères sur le terrain (chemins escarpés, ruelles, pas de signalétique, topographie accidentée), le seul repère devenu possible étant le positionnement approximatif par rapport aux tours lointaines du centre-ville. La transition physique de la trame urbaine habituellement assez claire (orientée est-ouest et nord-sud) se perd une fois qu’on parvient dans les hauteurs, où l’éparpillement urbain en petits lots d’habitations fait écho aux noms de chaque lieu-dit.

Le blanc qui remplace les invasions les plus récentes sur le plan de la ville n’est pour le moment pas mis officiellement à jour : on peut constater que la réalité construite du nouveau secteur prend le dessus sur la planification urbaine. C’est ainsi que la lecture du territoire se complexifie. S’intéresser seulement à la partie seulement constituée d’habitations « légères » (tôle, bois) serait réducteur d’une situation a priori plus complexe. L’étude qui suit se base sur la transition des quartiers situés plus en aval de la Comuna 8 (Llanaditas, traduction littérale: « les bandelettes »), consolidés structurellement au cours des dernières années, dessinés sur la carte municipale, avec ceux d’Altos de la Torre, situés plus haut, beaucoup plus récents, rapidement construits et n’apparaissant pas sur les plans.La tentative de capter une transition périphérique, mais aussi peut-être par la même occasion, un moment architectural et urbain dans le temps, est étroitement liée aux questions de pérennité de la construction, de droit et de politiques territoriales, que nous allons regarder de près.

Du solide...

Les premiers habitants de ce quartier (comuna 8) viennent en général de la région d’Antioquia, à cause des violences qui les ont forcés à quitter leurs terres ou encore à cause de leur proximité avec les municipalités de l’est comme Guarne ou Marinilla. (Nous verrons plus tard quelles sont les raisons précises de leur venue à Medellín). Ces anciens paysans commencèrent à acheter ces terres en

42. Précisions : Notre secteur d’étude, Altos de la Torre, constitue un des endroits les plus récents dans l’urbanisation du secteur, et c’est aussi une des invasions les plus précaires. Afin de comprendre sa formation, nous devons le considérer par rapport aux quartiers qui le précèdent, à savoir Llanaditas, situé en aval et les secteurs de Los Angeles et Buenos Aires qui sont encore plus bas. De part et d’autre, on trouvera d’autres quartiers dont les noms sont localisables sur la carte de la Comuna 8.

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Topographie escar-pée depuis le cen-tre ville (bas) et la fin du périmètre urbain (haut), seule et avec les cours d’eaux puis avec la trame urbaine actuelle.

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amont à l’est de la ville depuis 1960 environ, les invasions à proprement parler étant ultérieures. Dans les années 90, la dynamique de peuplement de la zone engendra une typologie constructive de type « rural », surtout pour les maisons les plus anciennes, de murs en pierres, d’un seul plancher, couloir à l’avant et, dans quelques cas, avec une cuisine extérieure. Cette forme d’urbanisation a changé quand les constructions anciennes, alors limitées par l’ancien chemin de Cieza, ont vu peu à peu venir s’ériger des constructions faites de matériaux comme le bois par exemple. Puis est venue une seconde génération de maisons qui se sont construites, atteignant cette fois la montagne, faites de matériaux divers mais conservant toutefois des éléments traditionnels comme un potager43.

… à l’éphémère.

Cette ambiance de village est surtout présente dans le dernier secteur construit à la limite de la maille urbaine, sous la carrera (rue est-ouest) 21 et entre les calle (rues nord-sud) 58 et 59c. La carrera 21, qui change de nomenclature en calle 65, plus en amont, est la colonne vertébrale des différents secteurs pour ceux qui prennent ensuite les escaliers et les sentiers. Cette voie tourne au nord de Llanaditas, à droite, continuant de manière accidentée ce qui fut l’ancien chemin de Cieza, jusqu’à la partie la plus haute, incluant el Cerro Pan de Azucar y la Laguna de Guarne (par la gauche on accède au quartier Golondrinas). Quand la pente se fait plus forte, le système constructif est différent, les matériaux basiques sont le bois et apparaissent alors des pilotis (parfois en colonnes de briques) et des toits en bandes de zinc, souvent tenus par des pierres. De plus les gens qui pratiquent l’auto-construction ont recours à l’aide payante d’artisans, communément appelés « maestro » en Colombie. Les constructions les plus récentes, préfabriquées, sont situées dans la partie basse du quartier, avec l’aide de la Fondation Golondrinas (et Un Techo para mi pais44 pour la partie haute), formant ainsi Altos de la Villa et une autre appelée Villa Mercedes. Plus tard sont venues d’autres solutions d’habitations, construites par Comfama. Formée en périphérie de la ville, Llanaditas souffre de la multiplication des colonies qui aujourd’hui s’identifient comme de véritables secteurs du quartier : Los Tubos, Las Letras, Altos de la Villa et Villa Mercedes (désormais réunis), ou encore d’autres apparus plus récemment comme El Faro, la Canada, Limoncito, Camboya et La Loma. Notons ici que la fragilité des matériaux prédispose aux risques d’incendies : cette partie de ville éphémère est hautement inflammable. Voilà pourquoi un certain nombre de gazinières sont à l’extérieur des habitations.

Au problème de la construction d’habitations peu résistantes, vient s’ajouter celui des risques naturels liés à l’implantation urbaine sur des terrains fragiles, augmentant par la même occasion l’instabilité des sols ou tout du moins fragilisant les strates superficielles. De toute évidence, La Comuna 8 est probablement l’une des zones dans laquelle il y a eu le plus de glissements de terrain ces dernières années, avec le nord de la ville également. On l’a vu plus haut, l’absence à proprement parler de « fondation » et l’organisation autonome des éléments de structures dans son rapport direct au sol conforte la fragilité du système urbain

43. http://www.comuna8.org, 15 septembre 201144. http://www.untechoparamipais.org/colombia/sitio/

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Inondations et glissements de terrain à Medellín entre 2004 et 2010.Couches superficielles et de l’érosion dans le corridor de Santa Helena, 1994.

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dans son ensemble. L’effet « château de cartes » entre les habitations en cas d’éboulement est quasiment inévitable45. Cette absence d’ancrage au sol est directement dûe à la rapidité d’action dans le processus d’invasion du terrain (parfois nocturne afin d’éviter le contrôle policier), contradictoire à l’acte habituel de fondation d’une communauté. Du nom « Llanaditas », du quartier plus en aval, on en déduit la traduction « bandelette », étroitement lié à la configuration du sol en terrasses. Cette modification partielle de la topographie s’explique de deux manières. Premièrement, elle permet l’obtention d’un sol plat, bien qu’il soit toujours de terre, afin d’édifier les constructions. Il permet aussi aux habitants, ceux d’Altos de la Torre, en partie haute, d’avoir un petit espace à cultiver et de faire perdurer en quelque sorte leurs habitudes rurales d’autonomie alimentaire. À moins que cela ne soit lié à la contrainte de l’éloignement du centre ville et des premiers commerces. Altos de la Torre se trouve au-delà de la limite du périmètre urbain, qui s’arrête en contrebas du secteur, au niveau de Llanaditas. Il fait donc la transition au niveau des usages du sol entre la zone urbaine de commerce et d’habitations et une zone de pâturage où l’on trouve également quelques bosquets de pins ou des petites zones de culture de café.

Le géologue Michel Hermelin souligne qu’autrefois, la Vallée d’Aburra était totalement recouverte de végétation mais qu’après plusieurs siècle d’exploitations agricole par l’homme, puis d’urbanisation rapide que l’on connaît aujourd’hui, celle-ci a en grande partie disparu. D’où les politiques actuelles de préservation de la “ceinture verte”. Les raisons de la fragilité des sols de la Vallée sont géologiques mais aussi climatiques.

“70% de la Vallée serait constituée de couches dépôts superficiels en pente, et l’on sait que la plupart des habitants de Medellin vivent dans ces zones.” 46

En ce qui concerne la composition des couches superficielles des sols sur lesquels Altos de la Torre s’est installée, celle-ci est coincée entre une colline isolée (Pan de sucar) au sud, dont la partie basse est une couronne active de glissements de terrain, alors qu’en contrebas on trouve des dépôts fluviaux avec des gravats, liés aux résidus des trois ruisseaux non drainés qui traversent le secteur et contribuent à la fragilité des sols lorsqu’ils débordent en cas de fortes pluies. Plus en bas encore (au niveau de la Comuna 10, lorsque le sol redevient plat), on retrouve encore des dépôts alluviaux, signes de la grande fragilité de la zone, classée en « dégradation active ». Voici la première révision à la baisse d’une considération du site qui serait purement visuelle et idyllique si l’on en croit le panorama offert sur la ville : les attentes humaines en matière de logement d’urgence sont prêtes à déroger aux limites naturelles et physiques pourvu qu’il y ait de l’espace disponible. Cette considération infra-terrestre des formations superficielles n’est possible que par le travail « la main dans la terre » des géologues. L’intérêt de ce type de vision stratifiée est de confronter brutalement l’épaisseur de la ville avec celle des formations superficielles afin

45. Mike Davis, op. cit. : « les bidonvilles naissent avec une mauvaise géologie. » Il est donc tout à fait logique de procéder à une étude condensée de la stabilité des sols.46. Conférence de Michel Hermelin, Transformacion geologica de los Andes y el Valle de Aburra - Géologicas, territorios en transformacion, EAFIT, 22 fevrier 2012

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d’obtenir des représentations exprimant toute l’ampleur d’une telle urbanisation dite « spontanée ». (carte des sols + topographie et de la ville dur/fragile). Difficile alors de ne pas superposer une (éventuelle) carte des climats et intempéries sur celle des sols et de voir alors que la couche intermédiaire créée par l’homme se comporte plus ou moins bien selon son emplacement.

B. UN QUARTIER EN CONSTRUCTION / REPRÉSENTATION

Ce que l’on ne voit pas...

Cette partie de la monographie du quartier d’Altos de la Torre traite de ce que l’on ne voit pas directement. Il s’agit pour l’instant de restituer le fonctionnement et les problèmes internes à l’échelle du quartier au travers d’un ensemble épars d’informations chiffrées et historiques, déjà publiées ou issues d’enquêtes diverses. Certaines données statistiques n’ont pas toujours été représentées alors qu’elles ont leur importance dans le processus de révélation d’un lieu. Au- delà des représentations conventionnelles liées à la compréhension d’un lieu, interviennent d’autres systèmes révélateurs d’éléments clés pourtant invisibles à l’oeil nu. Il serait intéressant de croiser l’histoire récente de ce quartier et de ses habitants avec un certain nombre de ces données numériques, afin d’obtenir ce que nous pouvons appeler « le dessous des cartes », qui déjà en soi constituerait une représentation inédite du secteur.

a. La connaissance du risque naturel, malgré tout

La politique autour du « risque » a trop longtemps été le prétexte pour déloger des populations et tenter ainsi de ralentir l’expansion urbaine, quand ce n’est pas pour développer un projet d’infrastructure sans préavis. On peut effectivement parler de ces secteurs comme étant le théâtre de désastres socio-naturels. Faut-il expliquer l’expansion de l’habitat spontané sur des zones à risque par le manque de politique foncière liée au logement social dans des zones ne présentant aucun risque, alors que des projets onéreux sont mis en place par la municipalité à des endroits jugés peu stratégiques ?

Si rien n’empêche les paysans immigrés de s’installer sur des terrains à risque où les contraintes naturelles et géologiques sont fortes et auxquelles s’ajoute parfois la pollution des sols et de l’eau, la question que nous nous posons est donc de savoir quels sont les limites virtuelles, et si il y en a vraiment, quels sont ceux qui les imposent. Les nouvelles limites sont-elles réellement écologiques, liées au risques naturels, ou bien politiques, de l’ordre du foncier (à moins que les deux ne soient indissociables) ?

La Comuna 8 compte au total, 155 354 personnes vivant dans quelques 35 834 habitations, qui correspondent à l’équivalent de 36 785 foyers/ménages et 46 742

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noyaux familiaux47. Selon ces chiffres, il manquerait pas moins de 11 000 habitations dans la Comuna 848.

À Medellín, « 3323 groupes familiaux sont actuellement des locataires temporels, en condition de vulnérabilité sociale et économique liée aux désastres naturels, aux conflits humains, à leur installation en zone à haut risque ou encore aux erreurs municipales de relogement. Parmi ceux-là 1052 ont été reçus déjà par l’aide Humanitaire Colombienne ». Tenant en compte de la situation d’origine et du taux de développement urbain de la périphérie, la Comuna 8 occupe la première place dans cette liste avec un taux de croissance de 18.2%, qui correspond à 605 familles. Ensuite viennent la Comuna 2 (Santa Cruz) avec 17.8%, la 1 (Popular) avec 16.4%, la 13 (San Javier) avec 15.1%, la 3 (Manrique) avec 7.8%49.

La Comuna 8 souffre d’un déficit de logements : aucune habitation digne de ce nom n’a été construite par la municipalité durant les quatre dernières années dans ce secteur de la ville.

« Les initiatives qui ont été prises par l’administration municipale pour la légalisation, l’amélioration et l’acquisition de logements ne définissent pas à ce jour une stratégie claire. Les actions concrètes allant dans le sens de la recherche d’une solution au problème de croissance rapide de la population de la Comuna 8 ont été affectées directement par la nonchalance des autorités. »50

L’autre variable à analyser, au moment d’aborder la problématique du déficit qualitatif et quantitatif d’habitats, ce sont ces « zones à haut risques » (ZHNR), que les communautés ont qualifié de « haut coût », avec la réelle nécessité d’une « inversion sociale ». La Comuna 8 s’étend sur un total d’environ 571 hectares, dont 7% sont situés dans des zones de risques récupérables (39 hectares), 21, 5% en zones non récupérables (123 hectares), 14% en terrain accidenté (82 hectares)51. Selon l’institut SISBEN, 2944 habitations sont situées sur des zones instables, 309 risquent d’être inondées et 187 sur des zones de glissement de terrain, ce qui au total donne le chiffre approximatif de 3500 maisons dont la localisation est périlleuse. Ces chiffes sont revus à la baisse par rapport au constat alarmant d’un autre institut, ISVIMED qui dénombre environ 6500 foyers situés en « Zones à haut risques non récupérables52 ».

Une récente étude, réalisée au sein de l’Universidad Nacional à Medellín en 2010 a déterminé contre toute attente que les zones à hauts risques sont moins nombreuses que ce qu’avait pu le planifier le POT en 2006. Ce

47. Enquête du SISBEN en juin 2010.48. Colegio Sol de Oriente, Declaración Final Encuentro por Vivienda y Hábitat Comuna 8, septiembre de 2011 49. Ibid.50. Cabildo Constitucional Abierto de Vivienda y Conexos, Ediles JAL Comuna 8, Periódico Visión 8 - Edición 30, p.1151. Secretaria Planeación Municipal, Respuesta a derecho de petición 201100205949 firmado por Nelson Valderrama, líder del programa de Unidad de Asentamientos en Desarrollo y Vivienda, 21 juin 201152. Respuesta entregada por ISVIMED ante cuestionamiento generado por el Cabildo Constitucional Abierto Vivienda y conexos comuna 8, 30 de octobre 2010

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Carte des invasions dans la Vallée d’Aburra en 2011 et prévision des nouvelles invasions d’ici 2050.

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constat soulève donc de nouvelles interrogations concernant le positionnement prudent des autorités municipales quant à la politique de qualification des zones habitables. Doit-on penser que cette évaluation à la hausse des zones à risques vise à élargir le périmètre de préservation écologique afin se donner les arguments visant à limiter l’expansion urbaine sur les hauteurs de la ville ?

De récentes catastrophes (novembre 2010, avril 2011) ont fait état de plusieurs morts et de nombreuses évacuations, et dégradations des constructions, ternissant ainsi l’image du secteur aux yeux de tous mais n’empêchant pas pour autant l’arrivée de nouvelles invasions. Selon le SIMPAD, « quand le risque devient réalité, on recommande l’évacuation temporelle jusqu’à ce que soient réalisés des travaux quand il n’existe pas de possibilité de récupération de la structure ou d’atténuation du risque. Quand l’état de détérioration atteint un point de non retour et que la zone est jugée à haut risque et non récupérable, l’évacuation définitive est alors impérative53 ». À Medellín ont été réalisées au total 4327 visites d’inspection liées aux risques, en grande partie par la SIMPAD, à la suite desquelles ont été recommandées 3295 évacuations, 2246 définitives et 1049 temporaires. Au final, ce sont au sein de la Comuna 8, pas moins de 469 évacuations définitives et 176 temporaires qui ont eu lieu, représentant 21% des définitives et 17% des temporaires de l’ensemble la ville. La Comuna 8 est à ce jour la plus affectée par les désastres de ce type (suivie des Comunas 1, 7, 3, 13). Depuis 2008 jusqu’à 2010, d’après des notes de la SIMPAD, « ont été ordonnés l’évacuation, le démontage et la démolition définitive de plus de 370 habitations ayant été recensées « à haut risque et non récupérables » selon les restrictions urbaines et habitables du POT54.

On peut dès lors lire l’étonnement des responsables communautaires dans un récent communiqué en faveur de « l’Habitat digne et la politique de gestion des risques55 » :

« Il est étonnant que dans un même secteur la municipalité pense construire une prochaine station de Métrocable (alors que les sols sont instables). Doit-on parler d’une « zone à haut risque » ou d’une « zone à haut coût » ? Il est devenu urgent et nécessaire de mettre en œuvre un Plan de Gestion des Risques, dont l’élaboration est basée sur la prévention, en commençant par l’exécution de projets infrastructurels d’atténuation des risques dans le paysage de la Comuna 8, qui ont une valeur approximative de 57600 millions de dollars.” 56

b. Problèmes de déconnexion et d’isolement

Nous avons abordé plus haut la question de la déconnexion des populations avec le centre ville du point de vue de l’accessibilité des transports ; mais à cela s’ajoute un autre type de déconnexion, qui joue, lui aussi, son rôle dans

53. SIMPAD, Respuesta a derecho de petición con radicado 201100209288 (signé par Camilo Zapata directeur de SIMPAD), 30 mai 201154. Respuesta entregada por ISVIMED, op. cit.55. Carlos Velásquez - Mesa de Vivienda y Servicios Públicos Domiciliarios Comuna, Comuna 8 sin vivienda digna y politicas de gestion del riesgo, décembre 2011. 56. Respuesta entregada por EDU, y secretarias de Planeación y Medio Ambiente de la Alcaldía, ante cuestionamiento generado por el Cabildo Constitucional Abierto Vivienda y conexos comuna 8, 30 octobre 2010

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l’isolement de ce quartier, celle avec les services publics de la ville qui fournissent principalement l’eau et l’électricité. Les populations les plus déconnectées de la Comuna se trouvent de part et d’autre de la partie la plus haute et la plus à l’est, communément appelée « Pan de Azucar ». On y trouve le plus grand nombre de personnes en situation de déplacement et ces quartiers n’apparaissent pas sur la carte de l’administration municipale (Llanaditas parte Alta, Las Golondrinas, Camboya, Altos de la Torre, El Pacifico, Esfuerzos de la Paz 1 et 2, Union de Cristo, Villatina, Buena Vista, San Antonio, La Sierra, Villa Liliam et Villa Turbay (spécialement les secteurs La Acequia, Alto Bonito). Ces quartiers atypiques sont catalogués comme zones à hauts risques et c’est en raison de cela qu’ils ne bénéficient pas des prestations des Services Publiques Domiciliaires (SPD), sans parler du problème de l’accessibilité. Ces quartiers souffrent de graves problèmes d’accès à l’eau potable. Celle-ci est actuellement de mauvaise qualité, souvent de couleur marron avec la présence de terre, surtout l’hiver. Les habitants doivent chauffer l’eau s’ils veulent la consommer, mais encore faut-il qu’ils aient accès à l’électricité ou de quoi allumer un feu.

La quantité d’eau n’est pas suffisante pour satisfaire les besoins du quotidien et, plusieurs fois par semaine, les habitants doivent descendre s’approvisionner en eau. Cela génère d’ailleurs un conflit avec les habitants d’en bas. Ces quartiers ont au moins la possibilité, si c’en est vraiment une, de pouvoir utiliser le dénivelé du terrain pour faire fonctionner les réserves d’eau d’amont en aval, sans les systèmes de pompes qu’il aurait fallu installer sur terrain plat. Des réclamations envers la société des eaux sont faites fréquemment afin que les habitants puissent bénéficier de réserves en partie haute reliées à des aqueducs communautaires de qualité ainsi que des sanitaires. Ces revendications ont beau être nombreuses et argumentées, le service de Planification de la ville indique que « le secteur de Llanaditas dans sa partie haute est classé comme aire colonisée, de développement incomplet, et il nécessite un travail de régularisation urbaine avant de pouvoir connaître quels secteurs pourraient bénéficier d’aqueducs et lesquels non, pour des raisons géologiques notamment ». Il semblerait toutefois que les choses s’améliorent peu à peu, même si pour l’instant peu d’actions sont visibles. Ainsi, pouvait-on déjà lire il y a plus d’un an :

« Llanadita, el Pacifico, Golondrinas et Altos de la Torre auront de l’eau potable et des égouts. La secrétaire du Développement Social de la Alcadia de Medellin et EPM avancent pas à pas dans la constructions d’aqueducs et d’égouts dans ces secteurs qui manquent depuis longtemps d’eau potable, avec le projet Manejo Integral del Agua para el Consumo Humano. Pour la construction de la première étape, la Alcadia (mairie) versera 1.993 millions de dollars, ce qui représente l’accès de 216 familles aux aqueducs et au service d’égouts. Au total seront construits 1.043 m de réseau de distribution secondaires pour le service d’aqueducs et 1.121 m de réseau et collectes des eaux résiduelles.”57

Aujourd’hui, malgré quelques efforts et des interventions partielles, on peut confirmer que les canalisations sont encore à certains endroits chaotiques : les eaux grises sont évacuées à ciel ouvert, générant de graves problèmes sanitaires et contaminant l’environnement partout où elles passent. La collecte

57. historiadeantioquia.info, 28 avril 2010

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des poubelles est une des dysfonctionnement les plus flagrants des secteurs de la partie haute, les camions poubelle ne pouvant pas passer dans les ruelles trop étroites, les bennes publiques étant de toutes manières limitées à l’entrée. Il faut bien marcher dix minutes pour arriver au site. En plus de la gêne occasionnée par l’amas d’ordure à l’entrée du quartier se répand une odeur nauséabonde.

En ce qui concerne l’énergie électrique, beaucoup de gens n’ont pas accès au service continu et parviennent à se connecter à celui-ci de manière pirate, en se branchant à un poste de proximité. Le risque d’un éventuel court-circuit est fréquent, et les familles peuvent également se faire suspendre des aides ou de l’accès à d’autres services si le branchement pirate est découvert. Bien souvent, les gens payent entre 5000 et 8000 pesos pour être connectés de façon illégale par un spécialiste, en plus de l’achat du câble nécessaire, mais beaucoup de familles ne peuvent pas se le permettre et de fait doivent cuisiner au feu de bois. Un des problèmes de ce type de quartier situé sur les hauteurs est le manque d’éclairage public ; mais de toute manière, s’il y en avait vraiment eu les branchements pirates auraient à coups sûr fait sauter le courant.

« Actuellement ils ont l’électricité de manière pirate, branchée avec un cable au poste principal. Chaque fois que viennent les gens de l’EPM (service publique de Medellin), ils la débranchent et la remettent ensuite. Lorsqu’ils viennent, les ouvriers trouvent un prétexte pour faire des réglages et ensuite coupent l’accès, sur ordre des supérieurs. « Ce n’est pas bon signe que la EPM puisse laisser quelqu’un sans lumière et lui demander de payer $5.000 pesos, et qu’en attendant il s’éclaire aux bougies. » 58

C’est une des histoires quotidiennes de ce quartier qui non seulement a des problèmes de connexion aux services publics, mais se trouve également dans l’abandon par rapport à l’aide de l’État, dont la seule présence se résume à celle d’un poste de surveillance de la police qui tente d’apporter la sécurité dans le secteur du Pan de Azucar.

La journée, on peut dire qu’une bonne partie d’Altos de la Torre est vide d’une bonne partie de sa population, qui travaille plus en aval, malgré le long et sinueux parcours qui la sépare des secteurs de travail. Le nombre de travailleurs par foyer est en moyenne de une à deux personnes seulement. Les emplois les plus courants proposés aux habitants des bidonvilles urbains sont des travaux saisonniers ou temporaires à la campagne, dus aux relations professionnelles pré-établies qu’ils avaient là-bas. Hormis cela, les emplois les plus fréquents sont la vente ambulante, la construction dans le bâtiment, le travail dans les bars, mais aussi, par obligation, la prostitution. Les types d’emplois et donc d’économie dite « informelle » sont très répandus dans le secteur où la plupart des familles vivent du recyclage et de la récupération de matériaux en tout genre. Le portrait-type d’un habitant d’Altos de la Torre pourrait être celui d’un de ceux que l’on croise à toute heure dans le centre de la ville, pieds nus et tirant une charrette dans laquelle s’entassent divers matériaux glanés ici et là et qui seront revendus par la suite dans des décharges.

58. Mesa Interbarrial de desconectados, Accès aux services publiques domiciliaires et le problème de la déconnexion dans la Comuna 8, décembre 2010

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Connexions pirates à un point du réseau d’éléctricité.

Branchements pirates à l’alimentation en eau à Altos de la Torre, 2011.

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La vie économique offre un panorama similaire à d’autres quartiers d’intervention: des entreprises de construction, des ventes informelles sont la base du revenu familial. Dans le quartier, il y a un petit secteur de commerce avec des épiceries, quelques bars et discothèques. Dans celles-ci on vend de l’alcool et elles sont considérées comme un point de rencontre pour les jeunes des secteurs hauts et bas. Un journal local écrivait récemment :

« Dans la partie haute du secteur habite une importante communauté de déplacés, en raison de la violence rurale. Ces quartiers sont relativement récents. Ils ont une existence d’entre 10 et 12 ans. La majorité de la population n’a aucun type de travail, décide alors de faire ce que l’on appelle « le parcours », qui consiste à faire le tour de toute la Comuna à partir du centre (spécialement la Placita de Flórez) et de demander un emploi à chaque marché, commerce, sur le chemin du retour, afin de subvenir à ses besoins. »

L’impulsion bénéfique liée à l’éducation est incarnée par le travail de la fondations Golondrinas, qui fait un travail dans le quartier depuis 28 ans. En 2007, l’Administration Municipale a construit l’Institut Educatif Joaquin Vallejo Arbelaez, une institution de qualité qui est devenue une nouvelle référence dans le quartier59. Il n’existe pas d’école municipale, l’éducation étant effectuée par un organisme, dans une structure placée en zone à risque. Selon une étude réalisée par Vision Mundial, c’est une des zones où il y a le plus d’enfants se retrouvent à la rue. Voici un document présenté à la récente exposition, Medellin, urbanismo social, au Pavillon de l’Arsenal à Paris60 :

-IDH (indice développement humain): 2004=75.4, 2008= 77.11-Indice Qualité de Vie: 2004=78.5, 2008=79.22-Evolution du nombre d’homicides par arrondissements (villa hermosa): 2004=52, 2009=99-Population classée par strates: -logement classé “très bas”: 2004=37 534, 2009= 46 118 (augmentation de 8600) - logement classé “bas”: 2004=45 514, 2009= 42 494 (diminution de 3000)

On peut déduire de ce tableau : une forte immigration récente, et une difficulté à se loger mieux, donc à posséder un terrain légal. Ce qui se traduit de manière générale par un durcissement de la législation contre le logement informel dans le secteur de la Comuna 8 ces dernières années.

Le secteur le plus à l’est de la Comune 8, concentrant les quartiers de Las Estancias, San Antonio, Villa Lilliam, Villa Turbay y La Sierra est dépourvu d’équipements de santé et de soins aux habitants. La population de ces quartiers représente 19% du total des habitants de la commune, et tend à augmenter, avec la croissance de colonies récentes Unión de Cristo, La Torre, Esfuerzos de Paz I y Esfuerzos de Paz II et l’arrivée d’encore plus récentes Santa Lucia, Las Mirlas y el barrio La Sierra61. Les causes de mortalité les plus fréquentes sont dues à la malnutrition, principalement des enfants, population sur laquelle se concentre

59. comuna8.org, 15 septembre 201160. Atelier Parisien d’Urbanisme, Medellin urbanismo social, Contribution à l’élaboration du plan bio 2030, (mission de conseil de l’APUR en 2010-2011), septembre 2011 61. Plan de desarrollo local Comuna 8, 2008-2018

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Vue d’Altos de la Torre et de ses environs.Vue du secteur et de la tour éléctrique depuis le toit de l’école.

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la fondation Las Golondrinas en raison de sa grande vulnérabilité. Les habitants de la communauté se trouvant exposés aux maladies infectieuses le doivent en grande partie aux conditions sanitaires plus que précaires.

c. Localisation des conflits sociaux internes

La moitié des habitants de Medellín est comprise dans les deux premières strates (estrato en espagnol) socio-économiques. Basées sur une échelle de 1 à 6, celles-ci sont utilisées pour la planification, permettant ainsi l’investissement public (tarification de services publics, subventions, etc.) selon des strates classées selon les caractéristiques de l’habitat. Ces critères sont fixés en amont par le DANE (Département administratif national de statistiques). Doit-on comprendre dans cette stratification un acte de publication de données concernant un quartier non reconnu et donc un pas vers une reconnaissance officielle? C’est bien souvent le travail d’associations de quartier (voire d’ONG) lorsque les services publics ne s’investissent pas pleinement dans des actions concrètes.

Ce que l’on ne voit pas ce sont aussi et surtout les problèmes sociaux d’une communauté qui reste trop discrète et refuse parfois de s’exprimer sur son passé douloureux mais pourtant nécessaire à prendre en compte. Sans parler des tensions internes liées à la peur de représailles. À l’origine des invasions, on observe deux catégories majeures d’habitants: les classes moyennes qui vont en périphérie pour fuir la violence du centre (criminalité et insécurité), et les ruraux qui s’installent en extrême périphérie, fuyant les conditions invivables de leurs villages liées persécutions des paramilitaires.

« Au milieu de l’années 1995, une arrivée massive de familles en situation de déplacement dont l’origine est en majorité de l’est de la région d’Antioquia, l’Urabá et le Chocó (région aujourd’hui encore en état de guerre) se sont établies dans ce lieu afin de construire leur habitats sans se douter que les terrains étaient instables et regorgeaient d’infiltrations d’eau. De ce moment jusqu’à aujourd’hui, sont arrivées pour de multiples raisons d’autres familles en provenance d’autres régions du pays : désir de progrès 3.7%, menace 7.4%, conflit social 44.8%, chômage 5.7%, peur 5.5%, pauvreté 3.1% volontariat 25.2%. »62

L’histoire de ce quartier et de ses communautés a été très peu été mise en évidence jusqu’alors. Elle a été marquée surtout depuis les années 90 par la colonisation de ce flanc de montagne par des populations qui, comme on l’a vu, fuient la violence. Aujourd’hui la majorité vient de la région de Chocó (nord ouest du pays) mais l’histoire de la Comuna 8 est ainsi faite d’invasions successives formant différents quartiers : Altos de La Torre, Pacífico, Esfuerzos de Paz I, Esfuerzos de Paz II, Unión de Cristo, La Esperanza, Las Torres, Buena Vista. Aussi se sont développés des secteurs d’urbanisation dont la promotion a été faite par l’État, comme Quintas de la Playa y Sol de Oriente.

Le déplacement forcé pose un problème hautement critique qui est ressenti dans l’ensemble de la Comuna 8. Cette population s’est amplifiée dans les secteurs

62. note d’un rapport de la fondation Las Golondrinas à propos de la fondation du secteur.

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“DOLÉANCES” DES HABITANTS DE LA COMUNA 8 1

27 de agosto Dia de la dignidad, comuna 8 :¿QUÉ EXIGIMOS COMO MESA INTERBARRIAL DE LOS DESCONECTADOS?* No a la desconexión del agua, ya que el agua es vida y es primordial para la salud.* Los Servicios Públicos Domiciliarios como un derecho humano fundamental, no como una mercancía.* Condonación de deudas para los desconectados y/o reconexión inmediata y sin condiciones, ya que no hay ingresos económicos, y la financiación no soluciona el problema.* Cobertura en Servicios públicos para los sectores de Medellín en donde no se presten actualmente, como por ejemplo la construcción de un sistema de Acueducto y Alcantarillado para los barrios Esfuerzos de Paz, La Cruz, La Honda y parte alta de la comuna 8.* Ampliación del mínimo vital a 20 mt3 en el servicio de acueducto y alcantarillado.* Mayor voltaje para las “pilas publicas” de energía en los asentamientos y tarifas moderadas.* Las tarifas de los Servicios Públicos Domiciliarios se cobren de acuerdo a la situación socioeconómica de las familias y puedan ser fijadas con las comunidades.* El cobro de los Servicios Públicos Domiciliarios debe ser para la sostenibilidad del servicio y no para la rentabilidad empresarial.* Rebaja sustancial de las tarifas de los Servicios. Rebaja de tarifas de aseo, especialmente en zonas donde la gente tiene que llevar las basuras hasta lejos, donde las pueda recoger el carro de EVVM. Así como Rebaja al saneamiento básico y la energía eléctrica.* No estamos de acuerdo con el cobro del alumbrado público.* Mayores subsidios para los Servicios Públicos Domiciliarios y que tiendan a la gratuidad.* El prepago no soluciona el problema, ya que privatiza los servicios y legaliza la desconexión.* Que las EPM se manejan realmente como una empresa pública, que tenga políticas públicas con ánimo social (no con ánimo de lucro para unos pocos). Defendemos las empresas de Servicios Públicos como un patrimonio público, no estamos de acuerdo con su privatización.* No estamos de acuerdo con la estratificación actual.* Empleo digno, para poder pagar las tarifas de los servicios públicos: “El que no tenga empleo que no pague servicios públicos.*Vivienda digna y legalización de predios en los asentamientos “subnormales”, para una mejor cobertura y prestación de los Servicios Públicos Domiciliarios.En fin Exigimos el Derecho a una vida digna, sin MISERIA NI EXCLUSION Aquí seguimos porque queremos VIVIR DIGNAMENT

1. Mesa interbarrial Unión y Lucha por la Dignidad, Comunicado de exigibilidad de la Mesa interbarrial de los desconectadxs de Medellín, vendredi 4 février 2011

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autour d’Altos de la Torre et Esfuerzos de paz (que l’on traduira littéralement par « Éffort de paix ») depuis 8 ans environ, en contrepartie de la recrudescence du conflit armé dans les régions de Antioquia, Costa Atlántica, Choco, Tolima, Valle et d’autres secteurs de la ville de Medellín63.

Au conflit pour l’eau entre secteur haut et bas s’ajoutent de nouvelles tensions communautaires :

« La Comuna 8 présente de nombreuses tensions en relation avec l’organisation du territoire entre les habitants. En premier lieu, il existe beaucoup plus de quartiers que ceux qui ont été reconnus et approuvés par le Département Administratif de planification Municipal, comme l’existence de regroupements de 30 de « Actions communales » et de 3 regroupements d’habitations communautaire, qui dans leur majorité défendent leur rayon d’action comme véritable quartier, alors qu’ils ne sont pas considérés comme tels par la municipalité. Il n’existe pas de référence du secteur dans le plan d’organisation territorial de Medellin ou d’autres documents administratifs. Par habitude, le nom du territoire reconnu correspond à celui donné par ses habitants. L’unique point clair concernant ce point a été rencontré dans le Plan de développement Local de la Comuna 8, où il est spécifié que le quartier de San Antonio, « selon le décret 346, est dans la limite urbaine dessinée par les colonies de Altos de La Torre, Esfuerzos de Paz I y II y Unión de Cristo. ». De cette manière on localise le territoire de la communauté à l’intérieur de celui établi par le Département Administratif de Planification de Medellin par le quartier San Antonio, précisément sur le versant le plus à l’est de ce quartier sur la carte, en dessous des limites avec les quartiers Villa Liliam et Villa Turbay. » 64

Les bidonvilles de nouveaux migrants ruraux comme celui d’Altos de la Torre jouxtent des « banlieues » moins récentes et à peine moins pauvres, de gens qui ont fui la criminalité et l’insécurité du centre et préfèrent s’en éloigner, quitte à supporter la distance par rapport à leur lieu de travail. Le territoire de Llanaditas n’est pas sans histoire comme le montrent “les lettre de Coltejer”, référence historique et culturelle du quartier65, et qui ont toute leur importance au sein de la communauté, car celles-ci sont un symbole de cohésion et de fierté entre les habitants dans le secteur. Ici coexistent deux courants religieux qui ont chacun leur église dans le quartier : el Catolico Romano et la Iglesia Pentecostal Unida. Face à la première, on sent une certaine tension entre les nouvelles générations, résultat qui n’est pas surprenant en raison de la présence croissante des groupes de jeunes organisés autour de la Iglesia Pentecostal. Voilà encore ce que l’on pouvait lire récemment dans un journal au discours sécuritaire :

« La Comuna 8 est devenue un des secteurs de la ville le plus frappé par la violence. Ici vit la plus grande population de démobilisés par l’autodéfense (rejetés des campagnes par les militaires en raison de leur insurrection), quelques-uns de ceux qui sont le plus à même de récidiver dans une forme de révolte. » 66

On note la présence de nombreuses mères célibataires, en raison des récents conflits et échauffements entre milices et paramilitaires, à la fin des années 90, et

63. Plan de desarrollo local Comuna 8, 2008-2018 64. Ibid. 65. Projet de lettres géantes contre la colline du Pain de Sucre de Medellín, dans lesquelles on lit « Coltejer », du nom de l’entreprise textile ; symbole du passé industriel et indication de l’emplacement du premier quartier ouvrier de Medellin. 66. comuna8.org

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Vue de la partie la plus en amont d’Altos de la Torre.Un terrain de jeu surplombant le quartier, 2011.

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même entre différents groupes de paramilitaires entre eux au début des années 2000, la zone ayant été un endroit fortement impliqué dans ces conflits 67.

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Toutes ces données étant consultables et accessibles relativement facilement, il n’en reste pas moins que des zones d’ombres restent en suspens concernant certaines questions comme celles autours des traces et du récit du passé. L’histoire présente est assez complexe et difficile à supporter pour que les habitants se retouvent face au risque d’en oublier trop facilement le passé. Finalement, la vraie permanence dans le quartier est, malgré les tensions, celle qui est plutôt d’ordre communautaire, sociale ou encore d’identification à la terre ; l’architecture rurale et précaire en tant que telle n’étant pas un réel sujet de fierté, faute de véritable qualité. À l’échelle de la cellule et de l’organisation d’espaces minimum quant au mobilier et à l’épaisseur des parois, il y a tout de même quelques leçons à tirer de l’enseignement que constitue l’auto-construction d’habitats et l’art du bricolage, mais cela est sans doute un autre sujet de recherche à part entière. Ce que nous pouvons cependant souligner c’est qu’ici le signifiant et le signifié ne font qu’un dans une architecture pauvre matériellement mais riche de sens et de mémoire. Autant se pencher sur le signifié, même s’il tentera à tout prix de se protéger au premier abord, n’ayant pas de quoi se cacher. L’architecture joue ici un rôle protecteur comme rarement on peut l’observe en ville : refuge protecteur de l’environnement extérieur, mais dans le cas présent, verrou protecteur d’une identité personnelle et d’une histoire familiale. On ressent dans le besoin d’identification au quartier de la part des population et de la création d’une sub-culture68 qui permettrait de fédérer les différentes communautés dans leur « survie ».

Comment ces populations marginalisées dès leur arrivée dans la métropole peuvent-elles réussir le paradoxe urbain quelque peu « schizophrène » qui est à la fois de tenter d’affirmer son identité individuelle et sociale et en même temps de réussir par la même occasion à ne pas être marginalisées et à communiquer avec le reste de la ville ?

67. Mesa Interbarrial de desconectados, op. cit. 68. Mot emprunté à Serge Santelli, op. cit.

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Les représentations suivantes mettent en relation la monog-raphie d’Altos de la Torre qui précède, avec une analyse à plusieurs échelles dans le territoire des déplacements de populations, permettant ainsi d’articuler l’étude de com-munautés déplacées en périphérie de Medellin avec un phé-nomène d’ampleur nationale:

- En première partie sont présentés 5 habitats de familles du quartier, réduits à une organisation de meubles dans un terrain vierge, comme autant d’objets et d’histoires person-nelles telescopés dans un paysage difficilement appropri-able. Le déplacement forcé des communautés conduit à une perte matérielle illustrée ici par une organisation spatiale sans architecture, un espace diminué. La mémoire d’une vie antérieure perdue refait surface.

- Le dessin du secteur d’Altos de la Torre est une réponse imaginée en réponse à la “tache blanche” qui remplace actu-ellement le quartier sur les cartes. C’est une piste de lecture pour une considération de celui-ci selon des critères non pas typologiques mais mémoriels. Le sens est donné par les ob-jets du passé sur les pentes escarpée de la Vallée d’Aburra. Ce n’est autre qu’une improvisation urbaine dans une zone de risques naturels.

- Medellín, est un des bassins de migrations les plus im-portant, à l’échelle du pays. Les flux de populations sont homogènes sur l’ensemble du territoire national bien que concentrés dans la région d’Antioquia. Cette carte fait le lien entre les principales infrastructures routières du pays et les différentes villes de départs des migrants vers Medellin ces vingt dernières années.

- Enfin, le diagramme permet de souligner le lien étroit entre les politiques urbaines colombiennes en matière d’urbanisation informelle, les différents plans de plannifica-tion à Medellín et le phénomène du déplacement forcé Co-lombie.

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OBJETS DANS LE TERRITOIRE

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CARTE DES OUBLIÉS D’ALTOS DE LA TORRE

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CARTE DES MIGRATIONS À MEDELLIN DEPUIS 20 ANS

émigrations

Royaume-Uni

Canada

États-Unis

Vénézuela

Panama

Pérou

Chili

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immigrations

principaux pays d’acceuil

principales voies colombiennes

bassin migratoire de Medellin par lieu de naissance des immigrants

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POLITIQUES URBAINES ET DÉPLACEMENTS FORCÉS EN COLOMBIE

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3.3.

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LA “MÉMOIRE RECYCLÉE” 69, L’HISTOIRE DES PAYSANS DEVENUS CITADINS

L’objectif est ici de « démêler le présent et le passé70» dans une perspective historique plus poussée pour permettre de comprendre l’époque actuelle. Les relevés d’habitations et du quartier d’Altos présentés plus haut nous amènent à considérer plus en profondeur la question de la mémoire rurale et de ses répercussions sur les modes de vie urbains, aussi rudimentaires soient-ils. Pour effectuer le travail de mémoire d’une population, il faut avant toute chose retracer son histoire et son parcours. Sachant que, de toute évidence, cette histoire ressortira un jour sous une forme ou une autre, autant l’utiliser et en faire une piste de lecture afin de mieux comprendre le phénomène. En quoi la restitution d’une histoire et d’une mémoire collective, aussi récentes soient-elles, permet-elle de comprendre et de mettre en perspective des faits urbains illégaux et non planifiés avec une politique d’aménagement obligée de faire des choix face à la demande pressante de logement.

A. GUERRE ET MIGRATION, DE LA CAMPAGNE À LA VILLE

Notre tentative de dessiner la transition urbaine entre la ville de Medellín et le paysage rural de la Cordillère nous amène finalement à devoir étudier à une toute autre échelle la transition territoriale d’une population rurale malmenée depuis son lieu d’origine jusqu’à la périphérie métropolitaine de la capitale de la région Antioquia. Ce phénomène complexe d’immigration forcée ne peut s’expliquer que par une histoire récente de la violence dans la région, et même dans toute la Colombie. L’histoire contemporaine du pays est indissociable de celle des expropriations paysannes. De cette étude de cas, locale, on passe à une étude nationale du problème. Altos de la Torre est le témoin d’une époque douloureuse, dont le deuil ne sera possible que lorsque sera fait le devoir de mémoire. C’est encore une fois la démarche anthropologique (et non pas seulement urbanistique) qui nous permet de rebondir de l’étude d’une transition péri-urbaine à une étude des raisons liées à l’émergence d’Altos de la Torre.

Il s’agit là de partir de la variété des origines des communautés, des espaces créés par les individus, des pratiques et des enjeux (individuels, sociaux) qui s’articulent autour de la mobilité, afin de saisir quelles sont les raisons de leur arrivée, mais surtout de comprendre de quelle manière ils s’adaptent et prennent possession de lieux vacants.

69. Expression traduite et empruntée au titre de l’exposition éponyme (La memoria recyclada) réalisée au Museo de Antioquia dans le cadre de MDE 11, Encuentro Internacional de Medellin, par l’artiste Pep Dardanyà dans le quartier de Moravia à Medellin : « les recoins de sa mémoire. D’un côté la pauvreté et la violence, de l’autre la communauté et les améliorations, mélange de toutes les histoires individuelles et collectives. (…) Reconstruction de la mémoire visuelle d’un territoire ou d’un quartier sans stigmatisations ni quelconque préjudice : fusionner les images, les actions, les récits et les expériences des habitants. La mémoire comme poubelle, elle aussi se recycle. » 70. Forrest Hylton, Colombie, les heures sombres, Etude (Broché), 2008, p.20

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a. Chronologie de l’exode rural en Colombie

Le passé industriel de Medellín dont les anciennes usines font actuellement l’objet de reconversions, notamment au nord de la ville, a connu ses heures de gloire avec le textile. Mais la ville a souffert dans les années 80 de la désindustrialisation, avec en parallèle un abandon rapide des campagnes lié à l’effort de modernisation mécanique agricole, connaissant ainsi une densification de sa périphérie consécutive à cet exode rural. Il ne s’agit là que d’un déplacement de la pauvreté d’un endroit à un autre, à ceci près qu’en ville, les communautés paysannes se retrouvent marginalisées et inadaptées au travail en ville. La périurbanisation « forcée » est donc étroitement lié à l’échec de la politique agraire nationale.

L’histoire de la Colombie au XXème siècle est indissociable des migrations successives liées à la violence71. Ainsi, entre les années 50, période littéralement appelée Violencia, et l’ère plus récente du président Uribe, on dénombre pas moins de 3 millions de personnes déplacées, depuis les zones de colonisation frontalières ou encore les endroits de productions liés aux multinationales. C’est ainsi que des centaines de milliers de familles issues d’un milieu paysan ont colonisé les frontières agraires dans les régions de basses terres peu peuplées. D’autres, celle qui sont à l’origine de notre enquête, ont dessiné progressivement des frontières urbaines autour des nombreuses villes intermédiaires de Colombie, devenues métropoles en quelques années seulement, dans des zones hors de portée de toute action de l’État.

En réaction à la loi 975 du président Uribe sur la démobilisation paramilitaire, décision sans retour sur le passé meurtrier d’un groupe armé (FARC) qui aura causé beaucoup de souffrance à travers le pays, c’ est le moment pour beaucoup de révéler enfin la vérité, les crimes et les expropriations, mettant l’accent sur la vérité et la justice. Mais en réalité cette loi n’a rien fait pour démanteler les paramilitaires ni donner une quelconque réparation aux populations. Il semblerait que l’histoire de ces déplacements forcés et des expropriations soit récurrente dans le pays, dont la société a directement hérité de la violence de l’époque des conquêtes, de la colonisation, de l’exploitation des ressources naturelles et de l’esclavage. Il faut dire que la Colombie est le second pays en terme de déplacement de ses populations à l’intérieur du pays, avec comme première population déplacée, les Afro-Colombiens72 et les indigènes.

Les premières arrivées massives de paysans à Altos et dans la périphérie de Medellin se font dans ce contexte d’un climat de terreur nationale lié à la Violencia des années 50. On peut parler d’une première couronne périphérique (construite aujourd’hui en dur) comme dans d’autres villes. Ce sont tout d’abord des paysans liés à l’élite colombienne qui se mettent à exproprier des terres des autres, voyant que la richesse du pays provient de ses cultures, mouvement de d’expropriation repris par la suite par les paramilitaires.

71. Silvia Arango, Historia de la arquitectura en Colombia, Bogotá, Empresa Editorial Universidad Nacional, 199072. Les Afro-Colombiens constituent la troisième communauté la plus importante d’origine africaine en Amérique Latine

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L’aire métropolit-aine de Medellín au centre d’une étoile viaire et d’un “désert urbain”.

Classification des municipes selon le lieu de résidence des immigrants, 1993.

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Forest Hylton aborde en parallèle le changement profond qui intervient au même moment dans toute la société :

« Les villes se développèrent en même temps qu’une frontière agraire ouverte se mettait en place, où l’ancienne dynamique de conflit se répéta. (Dario Fajardo a surnommé ceci le cycle de conflit « violence-migration-colonisation-violence »). Et les Colombiens, en tout juste cinquante ans, passèrent d’une société où les deux-tiers des habitants vivaient de leurs terres (patron et campesino ; criollo, mestizo, mulato, indio et negro) à une société où cette même proportion vivait dans les villes. »73

Plus récemment, dans les années 90, ce sont près de 5 millions d’hectares de terres agricoles qui ont été expropriés par les paramilitaires, bien plus que dans les années 5074. On parle également à ce moment encore récent de l’histoire colombienne de « République du bétail » car une centaine de millions d’hectares de forêts tropicales ont laissé place à l’élevage de bétail. Ce sont plusieurs générations d’une même classe sociale de paysans qui aura subi des pertes considérables et sera à l’origine de l’urbanisation spontanée des périphéries métropolitaines. On recense un tiers de paysans déplacés ayant à ce jour bénéficié d’une aide de l’Etat.

Un autre type d’expropriation a vu le jour au cours de la dernière décennie : la fumigation aérienne. Ce procédé mis en place durant le Plan Colombie75 vise à propager par avion au-dessus des hectares de coca un produit composé chimique extrêmement nocif76 afin de détruire les plantations illicites. Le procédé est non seulement très coûteux, mais aussi particulièrement destructeur. De toute évidence, ces vaporisations massives causent bien des dégâts environnementaux, tuant poissons, animaux sauvages, bétail, et polluant par la même occasion des rivières et des terres. Du côté humain, on relève de nombreuses infections respiratoires et des maladies de peau. Cette véritable guerre chimique unilatérale a été très peu décriée, alors qu’elle a été considérable dans le sud du pays notamment, et qu’elle n’a en réalité pas du tout fait reculer la production de coca dont le Plan Colombia prévoyait la diminution de moitié. Après toutes les révélations publiques et la large médiatisation autour de la production de coca ces dernières décennies, l’usage de produits chimiques77 n’a-t-il pas été un nouveau moyen pour les autorités de continuer d’avoir la main mise sur les zones agricoles et de continuer en toute légalité l’expropriation de terres, ou tout simplement de se réapproprier des terres confisquées par les narcotrafiquants. L’auteur Alfredo Molano précisera de façon lucide la situation:

« La fumigation est un mode d’action (…) dont l’objectif caché est de forcer les colons et les paysans à quitter leurs régions pour les empêcher de participer (...) à la subversion (…) Elle

73. Forrest Hylton, op. cit. p.20 74. Ibid. : « En 2004, 0.4% des propriétaires fonciers possédaient 61%de toutes les terres titrées tandis que la pauvreté rurale augmentait de 82.6% en 2001 à 85% en 2003. » 75. http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/plancolombie#nb11 76. Alfredo Molano, Los Desterrados : Cronicas Del Desarraigo, El Ancora Editores, 200177. « doses extrêmement concentrées de Round-up Ultra de Monsanto mélangées à du Cosmo-Flux, composé chimique autrefois produit par l’Imperial Chemical Industries qui permet au glyphosate de s’accrocher à tout ce qu’il touche. » dans l’ouvrage de Forrest Hylton, op. cit.

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Fragment d’une peinture de Ro-drigo Callejas, date inconnue.

Un homme avec sa valise dans le paysage, p h o t o g r a p h i e d’après ma-quette, Edgar Ignacio Mazo Zapata, 2002.

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a la même fonction que la terreur paramilitaire : vider la mer de son eau. »78

Comme on a pu le voir, l’immigration n’est pas en Colombie un fait récent. Une ville-centre d’une grande agglomération comme Medellín voit sa périphérie croître de manière homogène et dynamique à partir des années 70. À ce moment-là, en Colombie, le taux annuel de migration atteignait alors 2.2% de la population totale.

Comme dans beaucoup de pays d’Amérique Latine, les raisons principales de l’exode rural sont au début liées à un surpeuplement dû à la transition démographique et à la modernisation de l’agriculture. Les grandes villes offrent a priori des avantages sociaux et économiques que n’ont pas les zones rurales. Il faut par ailleurs souligner le rôle de la Violencia qui à partir de 1948 marque une guerre civile sans merci et contribue à amplifier le mouvement déjà lancé.

« Entre 1951 et 1973, l’exode rural était polarisé vers les grandes villes (capitales des départements les plus peuplés), au sein de bassins migratoires en expansion, drainant ainsi la population de leur hinterland rural et de leur zone d’influence régionale. De 1964 à 1973, les 4 plus grandes (dont Medellin), ont absorbé 40% du total des flux migratoires du pays. Le taux annuel moyen de migration nette de Medellin est alors de 2.1% ”79

Par la suite, les trajectoires de migration se complexifient. Alors que des migrations d’origine urbaine de longue distance (entre métropoles) se développent, on constate un raccourcissement des distances pour l’immigration régionale. Capitale de la région d’Antioquia, très peuplée, Medellín est une des villes qui connaît une des plus fortes immigrations du pays, et rapidement, sa surface de sol habitable est saturée, et son périmètre urbain sans cesse repoussé. (Au début des années 90, Medellin ainsi que les trois autres grandes métropoles du pays concentrent près d’un tiers de la population colombienne qui a quitté son lieu de naissance.) Cela est notamment dû au fait que la ville jouit d’un pouvoir d’attraction très fort en raison de son glorieux passé industriel. Ce pouvoir d’attraction de la ville trouve sa limite par sa position enclavée dans l’étroite vallée d’Aburra qui oblige les nouveaux arrivants à s’installer sur les versants accidentés. Mais cela lui fait en partie défaut en raison de sa taille raisonnable, liée à sa position dans l’étroite vallée d’Aburra, dont le relief périphérique freine toute expansion urbaine raisonnable.

Dans une métropole comme Medellín, où la géographie des aires sociales s’est complexifiée, rapprochant ainsi les différentes classes, il devient difficile de les différencier selon leur logement et leur emplacement dans la ville. La question des mobilités est plus que jamais une priorité pour la municipalité, en raison de l’inégale distribution des services urbains et des équipements. Désormais la proximité des services de transports publics est incontournable pour une grande partie de la population et est devenue un facteur de dynamisme économique. L’intervention politique exemplaire dans les transports publics avec le métrocable

78. Alfredo Molano, op. cit.79. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, Villes et sociétés en mutation, Lectures croisées sur la Colombie, Economica, 2004

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ou encore le futur tram permet une prise de conscience générale de l’impact générée par ces services sur le temps de déplacement et donc la productivité, alors qu’en contrepartie la production de logement sociaux a délibérément été freinée. Ce parti pris de la municipalité de Medellín soulève des questions quand à la planification de la ville sur le long terme autour des questions de logement et de la trame urbaine.

« C’est au cœur même de la tension entre proximité spatiale et distance sociale et ethnique que la ville fait travailler le lieu commun. Les villes ne sont ni des dispositifs d’assimilation, ni des opérateurs d’intégration ». Au contraire, elles produisent de la dissimilarité, de la ségrégation et de l’exclusion. Simplement, par la visibilité qu’elles imposent à ces processus de mise à distance et par le fait que les seuils qu’elles fabriquent sont exposés, elles dramatisent la question de l’égalité d’accès, de l’appartenance communautaire et de la citoyenneté : elles passent ces notions au crible de la critique publique, elles multiplient les médiateurs et les médiations. »80

b. La guerre pour la terre et la dépossession des paysans

La fin de la République du café qui était en place depuis deux siècles maintenant est marquée par l’association sans scrupule des paramilitaires avec les narcotrafiquants, à la fin des années 80. Ce sont ces derniers qui ont alors réussi à introduire certains des leurs chez les grand propriétaires terriens de la campagne de façon à contrôler une bonne partie de la région.

Au nord-ouest du pays, du côté Pacifique, la région de Choco, alors très peu aménagée, constitue une des zones de combats les plus virulentes entre les contre-insurgés (paramilitaires) et les guérillas insurgées (FARC), faisant des populations afro-colombiennes et indigènes les grands perdants de ces combats qui sévissent toujours aujourd’hui, même si les FARC sont désormais affaiblies. Les communautés, au milieu de tout cela, sont forcées de payer des impôts supplémentaires aux différents groupes armés et voyant leur terres confisquées, sont alors forcés de partir. Aujourd’hui encore à Medellín, les déplacés viennent pour la plupart de la région de Choco.

Il existe en Colombie plusieurs guérillas quasiment toutes issues de ce climat d’expropriation de terres paysannes mais dont les intérêts ne sont aujourd’hui plus les mêmes qu’auparavant. Il faut comprendre que ces mouvements armés sont la réponse violente aux expropriations forcées, quand, au même moment, des communautés entières fuient les conflits et se réfugient à l’entrée des grandes villes. La stigmatisation de ces communautés à leur arrivée vient peut être de ce lien trop rapide qui est fait entre guérilleros et populations paysannes, tous les deux provenant du même milieu social. L’organisation la plus tristement célèbre81 est celle des Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC). Ce groupe est lié à une révolte populaire rurale qui justifie ses intentions en réponse aux abus militaires qui sévissent dans les campagnes. Fonctionnant comme un groupe armé

80. (Joseph, 1994) cité dans Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit. p226 81. À cela s’ajoutent notamment les forces de L’ELN, basées sur la stratégie du foco de Che Guevara : la révolution comme acte de conscience collective

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se battant pour la « survie individuelle et collective » et prônant la « lutte sociale », ce mouvement ne prend son nom qu’en 1966, s’inspirant du model cubain alors en vogue. Ils bénéficient alors du soutien des petits fermiers et exploitants qui viennent rallier ses rangs. Ce n’est que par la suite que les FARC s’emparent d’un partie du narcotrafic82 et que leur lutte devient rapidement corrompue aux dépends de la révolution armée qui n’aboutira jamais, s’éloignant ainsi de ses objectifs initiaux jusqu’à mener une guerre devenue absurde aujourd’hui.

Ces guérillas proposent de nombreux avantages aux jeunes dépossédés de leurs biens et déplacés de terres en terres. Les FARC leur offrent vêtements, armes, téléphone, et salaire mensuel en échange de quoi ils doivent se battre à leurs côtés. Ces jeunes combattants ont pour la plupart autour de vingt ans, et nombreuses sont les jeunes femmes des zones rurales qui préfèrent également s’enrôler plutôt que d’être déplacées. La situation des paysans ne s’améliore pas au moment du cartel de Medellín et de la culture de cocaïne dans la région d’Antioquia, entre autres. Les parrains du cartel se situent à Medellin mais contrôlent les vastes territoires avoisinant de la région, font fuir les paysans en périphérie de la ville de Medellin dans des quartiers défavorisés qu’ils contrôlent par la drogue et font quelquefois preuve d’indulgence, leur apportant de l’aide afin d’améliorer leur image.

« Le commerce des stupéfiants aura décidément, plus que n’importe quelle industrie, uni les villes et les campagnes, par les transactions commerciales certes, mais aussi et surtout par des déplacements de populations vers la périphérie des villes. »83

Au passage, la ville devient donc une plaque tournante de transformation et expédition de la cocaïne, qui, par la route ou par voie aérienne, bénéficie des supports nécessaires en Floride et à New York pour étaler son réseau et constituer ainsi le cartel de Medellín. La ville prolongeait ainsi d’une toute autre manière son développement autrefois alimenté grâce à l’économie du café et de son industrie désormais obsolète. Les années 90 marquent une période de faible emploi, dont tentent de profiter à la fois l’industrie des narcotiques mais aussi certaines guérillas et groupes paramilitaires pour renforcer leurs effectifs. A cela s’ajoutent de nouvelles expropriations et déplacements de populations civiles, qui recrutées de force dans les campagnes incorporent les troupes paramilitaires et contribuent au regain de tension générale. C’est le moment où disparaissent également de nombreuses guérillas qui n’étaient pas assez conséquentes pour survivre. La violence politique s’aggrave considérablement84, et les populations rurales sont alors dans une situation de fragilité extrême, toujours poussées à fuir.

La coca s’avère être alors la culture la plus rentable, permettant ainsi de pallier le défaut d’infrastructures routières du pays, en raison de son transport aérien dont

82. En 1998, 80% de la zone contrôlée par les FARC dans les départements du Caqueta au Vaupes étaient couverts de coca.83. Forrest Hylton, op. cit.84. Cette violence politique de plus en plus présente connaît son apogée en 1991, année pendant laquelle s’élèvent à près de 4000 le nombre d’homicides, soit 42% des décès à Medellin.Il est alors difficile de faire une réelle différence entre la criminalité de rue et celle qui est politique. Le taux d’homicide est alors de 325 pour 100 000.

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Logique d’implantation des groupes armés co-lombiens, 2008.

Réseau de vols sus-pect dans le trafic de drogue en Amérique Centrale, 2003.

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le prix est pourtant élevé. Face aux agricultures de riz ou coton devenues trop peu rentables, la coca permet aux paysans de subvenir à leurs besoins à raison de trois récoltes par an. Le lien est alors direct entre les décisions des responsables politiques et la production illicite de coca, d’ailleurs difficile à dissimuler.

L’escalade de violence entre les guérillas et les paramilitaires, parfois alliés des narco-trafiquants, constitue un décor de fond indélébile de l’histoire colombienne, depuis la Violencia des années 50 jusqu’à aujourd’hui: la page de cette hitoire violente n’a pas encore été totalement tournée.

c. Une transposition du conflit en ville

Au moment où la violence politique se renforce au sein des grandes villes, il devient difficile de ne pas confondre celle-ci avec celle de la petite criminalité quotidienne qui s’est répandue alors. À cela s’ajoute un phénomène d’ « autodéfense » des classes les plus élevées, qui s’arment jusqu’aux dents afin de protéger leurs richesses85. Par ailleurs, certaines guérillas viennent chercher directement de jeunes recrues dans les quartiers pauvres périphériques, là où les esprits sont les plus faciles à convaincre étant donné la piètre qualité de vie des populations, créant même à certains endroits des campements. On voit également l’apparition de milices juvéniles qui sèment la terreur et agissent selon leur bon vouloir, quand ce n’est pas au service des uns et des autres. La présence éparse de ces différents mouvements armés dans les villes ne transfèrent pas pour autant le combat entre les insurgés et les contre-insurgés à l’intérieur de celles-ci, malgré plusieurs tentatives d’attentats ou de blocages d’approvisionnement en matières premières.

Toujours est-il que des mesures drastiques sont prises dans les villes comme Medellín afin d’empêcher l’extension du conflit aux villes. (ce qui aurait pu ressembler à une guerre urbaine). Une « architecture de forteresse » émerge de ce climat de tension, alors qu’au même moment, les grandes universités sont décentralisées afin d’éviter les soulèvements étudiants au centre-ville . Ainsi peut-on voir se renforcer la surveillance et la sécurité à l’entrée d’édifices municipaux, à l’image du siège de l’EPM, véritable citadelle entourée de bassins d’eau (qui constituent des mises à distance) comme on pouvait faire des douves au temps des châteaux forts. Il faudra passer plusieurs portes et contrôles successifs avant d’accéder à l’intérieur de l’édifice. On assiste également à une défense para-militaire des usines alors que nombreuses sont les entrées d’immeubles désormais gardés par des hommes en armes. Alors que la psychose semble l’emporter dans toute la ville86, des alliances entre les pouvoirs locaux semblent se faire à l’amiable plutôt qu’en toute légalité.

Impossible dans ce décor féodal de ne pas faire allusion à l’opération Orion en

85. Comment désarmer la capitale?, http://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/04/comment-desarmer-la-capitale, janvier 2012 : cela pose des problèmes aujourd’hui quant au désarmement de Bogota86. Il y a encore moins de dix ans, il était interdit de circuler en ville en voiture sans que la lumière intérieure soit allumée la nuit, permettant un contrôle rapide des passagers depuis l’extérieur.

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Population dont les be-soins essentiels ne sont pas satisfaits, 2010.

Densités de peuplement rural en Colombie, 1993.

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2002, véritable mission militaire de l’autre côté de la ville, dans la Comuna 13 de Medellin, qu’a mené le gouvernement à l’encontre des guérillas alors infiltrées dans le quartier, tanks et hélicoptères à l’appui87. Au terme de plusieurs jours de combats, ce sont plus de 400 arrestations qui ont été faites et pas moins de 17 guérilleros abattus.

L’évocation de « structures féodales » utilisée par Umberto Eco dans les années 7088 pour désigner certaines sociétés d’Amérique latine, n’est alors peut être pas si loin d’une certaine réalité en ce qui concerne le cas colombien. L’auteur s’appuie en fait sur l’idée de « médiévalisaton » de la ville89, désignant la terreur qui règne entre les habitants et la sécurité urbaine qui s’impose en contrepartie, par la fortification d’édifices. L’impuissance des autorités politiques donne lieu à une organisation autonome des populations entre elles.

Aujourd’hui encore ce sont des dizaines de tours de surveillance (les CAI Periférico) qui ont sont construites depuis peu dans les quartiers les plus sensibles, discrètes mais placées stratégiquement sur les hauteurs afin de permettre à une dizaine de policiers de surveiller les environs. Aux dernières nouvelles, la municipalité souhaiterait également développer un système de vidéosurveillance des plus avant-gardistes.90

Mais la comparaison avec ce que l’auteur appelle à l’époque comme étant le « nouveau Moyen-Age » dépasse la simple idée d’une société fondée par la violence. Le terme, délibérément anachronique touche de façon plus argumentée à la notion de « transition permanente », selon laquelle l’autonomie de la population lui permet, malgré un désordre apparent, de réutiliser et réadapter sa culture, son histoire récente et les objets du passés. C’est en quelque sorte ce qui se passe en périphérie de métropoles comme Medellín, dans laquelle l’assimilation de communautés de quartiers entiers d’habitations et de nouvelle main d’oeuvre est continue même si elle est souvent difficile.

87. Elyssa Pachico, Medellin’s Turbulent Comuna 13, http://insightcrime.org/investigations/insight-exclusives/item/2068-medellins-turbulent-comuna-13, mai 2011 88. Umberto Eco, La guerre du faux, LGF, 1987 : « Nous pouvons trouver déjà dans certaines localités d’Amérique latine, habitué à la guérilla, où la fragmentation du corps social est bien symbolisée par le fait que les concierges des immeubles sont généralement armés de mitraillette. Dans ces mêmes villes, les bâtiments publics semblent des forteresses et sont quelquefois entourés de barrières en terre destinées à les protéger contre les attaques (...) »89. Ibid. d’après l’idée de Giuseppe Sacco de « vietnamisation des territoires »90. Alcadia de Medellin, Medellin, guia de la transformacion ciudadana. 2004-2011, Mesa Editores, 2011

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Vue d’un CAI et de son secteur de surveillance, Medellin, 2011.Schéma de la disposition d’un CAI par rapport à un quartier.

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B. ALTOS DE LA TORRE, MÉMOIRE D’UN TERRITOIRE PERDU

«L’oubli est un élément clé du système et de l’histoire de la Colombie. C’est un facteur de pouvoir. (…) La terre appartient à celui qui l’exproprie. »91

Altos de la Torre est-il un précieux témoin de notre époque ? Une certitude se confirme aujourd’hui, alors que les tensions ne sont pas encore tout à fait dissipées dans le pays : ce sont bien les populations rurales qui auront le plus souffert ces dernières décennies, devant se plier aux volontés contradictoires des divers groupes armés quand ils n’ont pas déjà pris la fuite en direction de la périphérie des grandes villes. Les habitants du secteur d’Altos de la Torre font partie de ces gens-là, les desplazados. Qui sont-ils réellement et en quoi sont-ils révélateurs d’un phénomène, non seulement urbain mais géopolitique récent?

a. Les desplazados, nouveaux urbains?

Le mot « desplazados » (« déplacés » en français) désigne communément les personnes qui ont été contraintes de fuir la violence des zones rurales pour généralement regagner les grandes métropole. Les déplacements forcés ne sont pas un phénomène nouveau mais les chiffres publiés sont le résultat d’études récentes qui n’ont encore été que trop peu croisées au niveau de leurs sources. La principale provient aujourd’hui du CODHES (Consultoria para los derechos humanosy el desplazamiento) :

« Près de deux millions de personnes ont été déplacées entre 58 et 98, mais le phénomène connaît une accélération considérable durant cette période : 700 000 personnes environ durant la première décennie (entre 85 et 94) pour plus d’un million durant les cinq années suivantes (95-99) : en 1995 cela représente 89000 personnes, en 1996 : 181000, en 1997 :257000, en 1998: 308000, en 1999: 228000, en 2000: 317000, en 2001: 342000 et en 2002 : 204000 personnes. Le gouvernement reconnaît quant à lui une population déplacée de 381 755 personnes pour la période 1996-1998, soit la moitié environ du chiffre avancé par la CODHES. »92

Dans 90% des situations de déplacement, on retrouve pour raison principale les forces armées avec les paramilitaires à 47%, les guérillas à 35%, et les forces armées à 8% (les 10% restant dus aux narco-trafiquants et autres milices), tous ces chiffres provenant de secteurs dans lesquels sévissent les conflits. Au début des années 50, la principale raison liée au déplacement de populations était économique à 75,4% contre 2,7% pour des raisons liées aux violences qui commençaient alors à s’amplifier dans le pays. Les déplacements sont une des

91. Jacques Gilard, Veinte y Cuarenta anos de algo peor que la soledad, 1988, cité dans Forrest Hylton, Colombie, les heures sombres, Etude (Broché), 200892. http://www.codhes.org/

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rares options qui s’offrent aux familles de paysans pour échapper au danger. Ils sont à 75% préventifs, liés à la peur de perdre la vie ainsi que celle de ses proches, aux dépends de sa terre, ou encore lié à une première menace. Dans les autres cas, il a lieu au cours d’une expulsion qui peut s’avérer violente, quand il n’est pas synonyme d’enrôlement forcé dans un groupe armé ou menant à une tuerie. Certains de ces déplacements sont collectifs, liés de toute évidence aux expropriations massives des paramilitaires, mais la plupart restent isolés et donc en petit nombre, familiaux, voire individuels.

La classe paysanne ainsi que tout ce qu’elle a pu subir ces dernières années est au centre de ce chapitre, et tout ce qui attrait à son histoire et à son organisation nous permettra de mieux saisir les conditions de son arrivée brutale dans les métropoles. Parler des classes sociales en Colombie c’est déjà toucher à la question de la ségrégation sociale, même si celles-ci sont assumées délibérément par tout le monde. On note l’existence de 6 « strates » (estrado) qui vont du statut de misérable (1= 22.3%) à très pauvre (2= 41.2%), moins pauvre (3= 27.1%) à une classe moyenne (4= 6.3%), de riche (5= 1.9%) à très riche (6= 1.2%). De toute évidence, la classe paysanne constitue une part importante des deux premières strates (et un peu moins de la troisième). Autant dire qu’elle a une position difficile au sein de la société colombienne, souvent contrainte à migrer et à recommencer de nouvelles culture, se basant ainsi sur une sédentarité fragile. Bien évidement, « population rurale » ne signifie pas forcement « agricole », même si les déplacés viennent majoritairement de ce milieu.

Il est important ici de souligner le rôle de ces immigrés dans la prise de conscience qu’ils apportent à l’ensemble de la population au moment de leur arrivée en ville. Le conflit armé étant essentiellement un fait rural, la réalité rattrape les citadins lorsqu’ils se retrouvent obligés de cohabiter avec ces nouveaux habitants souvent mal accueillis.

« Si la société toute entière se sent maintenant menacée, il importe néanmoins de s’interroger sur le rôle effectif du conflit armé dans la généralisation du sentiment d’insécurité. » 93

Le choix fait par ces populations de migrer vers les grandes villes colombienne (Bogota, Medellín, Cali, Manizales, Barranquilla, Pasto) recoupe un fait universel qui rend les métropoles attractives d’un point de vue économique. Cette métropolisation est notamment dûe à un véritable imaginaire collectif qui renvoie à un espoir de réussite, souvent fondé et médiatisé par les villes elles-mêmes. Ainsi peut-on lire explicitement dans le POT de 2006 de la ville de Medellín ceci :

« Imaginaire de la ville : compétitive, développement durable, socialement équilibrée, accueillante et spatialement intégrée, dont le fonctionnement est axé sur un système de centralités. »

Avant d’en arriver à ces métropoles, la dérive des populations déplacées peut être longue car elle se fait surtout selon les réseaux locaux et les connexions sociales de chacun. Dans la plupart des cas, cela commence par un premier cercle, très

93. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit. p.223

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proche, dans le voisinage du terrain exproprié. Mais bien souvent les menaces continuent, et les difficultés économiques font que ces populations arrivent aux grandes villes des bassins régionaux. Le phénomène de métropolisation s’accentue fortement dans les années 90 et des villes comme Medellín permettent aisément aux populations de garder un certain anonymat et de bénéficier depuis peu d’une aide sociale liée à leur statut, par le biais de procédures juridiques qui tendent à être facilitées. Cependant l’espérance d’un accès à un niveau de vie meilleur se retrouve remis en question rapidement dans la mesure où la progression (travail, logement, reconnaissance) dans le monde métropolitain peut être lente au tout début avant d’être très rapide :

“Il se trouve que la concurrence sur le marché du travail est plus élevée en ville et que l’économie informelle se révèle être un des rares secteurs qui leur soit abordable, avec un type de travailleur que l’on appelle le « rebusque » (chercheur d’emploi).” 94

Une véritable stigmatisation de ces populations déplacées s’opère dès leur arrivée dans les métropoles colombiennes, ce qui vient renforcer leur marginalisation et leur difficile insertion. D’une part leur position ambiguë leur cause préjudice car ils sont accusés de prendre partie pour un des deux principaux groupes armés s’opposant (guérilla ou paramilitaires), du fait d’avoir laissé derrière eux leur terre aux uns comme aux autres. D’autre part, on leur attribue souvent à tort la responsabilité des violences urbaines en raison de leur situation précaire et de leur impossibilité à subvenir à leurs besoins95. En réalité, il y a certes des violences dans ces quartiers marginalisés mais cela n’apparaît comme un phénomène interne réellement qu’à partir des années 80, de manière très localisée. Les desplazados sont donc avant tout :

« Les victimes d’abord “désignés” de la violence des acteurs armés, ensuite du regard les stigmatisant comme un “nouveau problème urbain”. » 96

Au-delà de leur compétences agricoles qui ne sont pas à remettre en question et pourrait leur être utiles jusque dans le mode de vie périurbain (cultures en terrasse, autonomie alimentaire) c’est leur sédentarité fragile leur pose un réel problème, et plus précisément leur temps d’adaptation à un nouveau milieu de vie.

« Les enjeux politiques autour de la construction, et de l’opposition éventuelle, de différentes identités locales, régionale, culturelles et ethniques, sont, eux aussi, dans la Colombie et l’Amérique latine d’aujourd’hui, très fortement liés à la mobilité des populations. Le rôle décisif de la communauté d’origine dans les dynamiques migratoires d’un côté, dans les configurations spatiales urbaines de l’autre, est avéré. Des groupes de solidarité (paisanaje) s’instituent dans la migration et acquièrent un rôle de cohésion sociale d’abord, de médiation entre les migrants et la société urbaine ensuite. L’altérité sociale qui se construit ainsi est d’ailleurs souvent confortée par divers types de discriminations, comme la stigmatisation des migrants par exemple. »97

94. Ibid. : « Les femmes trouvent souvent vite un emploi (domestique, vente ambulante) alors que les hommes dont les compétences sont moins adaptées au marché urbain sont plus dépendants des dispositifs d’aide de l’État ou des ONG. »95. phénomène amplifié par l’image du bidonville latino-américain violent dans l’imaginaire collectif (cinématographique notamment). 96. (Osorio 2002) dans Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit. p24197. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit. p.119

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Medellín et la Comuna 8 sont tout particulièrement exposées à ce phénomène d’immigration rurale spontanée : sur les quelques 29 176 ménages recensés habitant des zones à risque 17,6% sont des déplacés98. Le secteur de Llanaditas (centre-est) a déjà une vingtaine d’années alors qu’Altos de la Torre, un peu plus haut sur le versant montagneux, est issue, comme nous avons pu le voir, d’une invasion beaucoup plus récente, il y a environ 10 ans. L’intégration difficile de ce secteur vient non seulement d’une politique peu dynamique de la part de la municipalité à laquelle s’associe la stigmatisation de ses habitants, mais il se pourrait bien également que des raisons historiques s’ajoutent à cela. En effet, la région d’Antioquia, plutôt riche, est associée depuis plusieurs siècles à une culture de l’ordre, une mise en avant du progrès, mais aussi une « dévotion à la suprématie blanche99 » qui pourrait en partie contribuer à la stigmatisation des populations déplacées qui sont en majorité noires.

Le quartier est comme la représentation ou la transposition dans ce paysage périurbain de ce à quoi pourrait ressembler un village en zone rurale, et c’est bien là la seule fierté de ses habitants, d’avoir au moins conservé une organisation de village, où chacun dispose de son espace de vie et de culture. Il n’est pas loin de l’être par son aspect, mais aussi par le dynamisme de sa population qui y vit et l’atmosphère qui s’en dégage, surtout lorsque les fins de semaine, des gens descendent de la campagne à cheval, amènent des produits à vendre et remontent de la ville dans l’après-midi, chargés d’articles de première nécessité ou de matériaux de construction. On vit donc ici avec la nostalgie, et à y regarder de plus près, on se rend compte que la vie rurale est le dénominateur commun de la plupart des familles vivant à Altos de la Torre et de manière générale, de ce type de quartiers périphériques, comme une transposition de communautés d’un univers à un autre. A ceci près que l’accueil qui leur a été réservé n’est pas le même.

b. L’incidence du conflit sur les dynamiques migratoires L’appelation desplazados désigne communément des personnes qui ont fui la violence des zones rurales pour regagner les grandes métropoles. Alfredo Molano préfère, lui, utiliser le terme « desterrados », que l’on pourrait traduire par « déraciné » et qui dans ce sens traduit effectivement d’avantage l’idée d’une transition territoriale, en tout cas le rapport et l’attachement au sol que peuvent avoir ces gens issu du monde agricole et qui se retrouvent en bordure de ville de façon brutale, arraché à sa terre d’origine100. Le déracinement a une double référence ici, celle commune des racines culturelles que l’on a par rapport aux origines, mais aussi celles qui sont directement lié à la question de la terre, référence plus littérale au travail du paysan. Comme le souligne l’auteur, la terre est bien au centre de l’histoire colombienne, directement liées à celle de la violence :

98. Secretaria del medio ambiente et alii, 2005, p. 5, annexe 399. Forrest Hylton, op. cit.100. Le déracinement a une double référence ici, celle commune des racines culturelles que l’on a par rapport aux origi-nes, mais aussi celles qui sont directement liées à la question de la terre, référence plus littérale au travail du paysan.

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« La guerre est payée en terres (…) notre histoire n’est qu’une suite incessante de déplacements. » Difficile alors de ne pas se pencher sur la notion de « déterritorialisation » réinventée il y a encore peu par Gilles Deleuze et Felix Guattari101, qui prend tout son sens dans sa définition psychologique qui considère les aspects politiques, culturels et sociaux liés au phénomène d’exclusion. Elle peut être perçue premièrement comme la « perte d’importance de l’espace matériel », mais l’approche géopolitique convient mieux dans notre cas, permettant de cerner ce qui constitue un « déracinement culturel face à l’homogénéisation, toujours relative ,de la mondialisation. Il en résulte la formation d’identités déterritorialisés102 ». Du point de vue social, la déterritorialisation est un « processus d’exclusions territoriales, à mesure que les inégalités sociales interdissent l’accès au territoire et même à la terre, à une masse croissante de personnes. »

Nous avons tenté de définir plus haut ce qu’il advenait de la notion de « territoire » confrontée au cas des bidonvilles, notion étroitement liée à celle de « déterritorialisation ». On peut préciser que :

« la disparition des territoires à une échelle s’accompagne de la recomposition territoriale à d’autres échelles. C’est dans cette perspective dialectique que l’usage du terme est le plus convaincant (...) En fait, plutôt que d’affirmer qu’il y aurait subversion ou fin des territoires, l’intérêt du terme et du débat qu’il suscite est une invitation à saisir les différents aspects des reconfigurations permanentes des territoires et des territorialités. »103

Une manière encore de nous pousser à actualiser les données et les cartes et de trouver de nouvelles façons de les faire coller à une réalité mouvante et toujours plus encore en accélération104.

Ce type d’endroit, d’un point de vue non plus seulement géologique, mais également anthropologique, concentre ce que l’on pourrait définir comme des traces sédimentaires de l’histoire récente de communautés qui finissent par se mélanger. C’est alors que la question de la révélation d’éléments identitaires encore enfouis (car issus d’histoires personnelles trop douloureuses) ou tout simplement d’objets et biens personnels disparus, a toute son importance, quelque soit le temps écoulé depuis le drame de l’exode rural forcé105. Le passage d’une temporalité à une autre, du passé au présent, d’un territoire à un autre, passe par une enquête sur les traces, sur les conditions de disparition du site d’origine. C’est alors que peut s’opérer un travail véritable d’inventaire des éléments de mémoire, d’objets télescopés dans le paysage, qui finissent par s’organiser selon de nouvelles configurations propres à ce nouveau paysage.

L’autre changement d’échelle qui s’élabore entre celle, familiale, quasiment individuelle, et celle d’une communauté, d’une classe sociale même, nous laisse

101. Gilles Deleuze et Felix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Minuit, 1991102. Mitchell Denis, Cultural Geography, Oxford, Blackwell, 2000103. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés104. Harmut Rosa, Accélération : Une critique sociale du temps, Editions La Découverte, 2010105. Sebastien Marot, op. cit. : d’après Descombes : « L’esthétique de la révélation entretient une tension entre le passé et le présent, entre ce qui est là et ce qui n’y est plus »

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Pourcentage de personnes dé-placées dans la vallée d’Aburra, 2009.

D é p l a c e -ments forcés dans la région d ’ A n t i o q u i a , 2003.

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penser que la compréhension de l’une tout comme de l’autre nous fera avancer dans notre enquête. Viennent également se confronter surtout du point de vue de la violence, une délinquance d’Etat, politiques et économique (crimes politiques, exploitations agricoles), et une violence sociale, de délinquance par secteurs jusqu’au grand banditisme, venant relier les deux sphères.

« Quel est le poids des tourments vécus par les plus démunis, lorsque l’on sait que le « métier des armes » s’offre à eux comme une forme de salariat, où l’affiliation n’est en rien définitive, dictée qu’elle est par les circonstances ? De telles interrogations peuvent conduire au constat d’une violence « généralisée » : « lorsque les phénomènes divers de violence entrent en résonance et définissent le contexte de la plupart des interactions collectives » (Pécaut, 1996). Dans cette vision il peut subsister, même implicitement, l’idée de la prépondérance du conflit armé sur la dynamique d’ensemble des violences en Colombie (et sur la dynamique spatiale des flux migratoires et donc des manières d’habiter). » 106

Les liens de cause à effet se situent donc à de nombreuses échelles de la société colombienne et il devient donc très difficile de séparer d’une manière catégorique les conflits qui ont lieu en milieu rural des crimes plus urbains. La violence serait en quelque sorte le produit inter-scalaire de la société colombienne et de son économie.

Dans une métropole comme Medellín, aborder le problème du crime organisé ne revient pas forcement à stigmatiser les populations des quartiers périurbains en difficulté, mais avant tout à révéler de quelle manière la violence des conflits externes crée une onde de choc au sein même de la ville à travers le cartel et la petite main d’oeuvre criminelle de ces quartiers pauvres, prête à tout pour s’en sortir. Appréhender la ville par l’intérieur c’est donc comprendre son fonctionnement au- delà de ses limites. Peut-on même aller jusqu’à dire que l’étude de sa périphérie la plus reculée et la plus en marge constitue un « échantillon » de tous les maux(?) de la société ?

« La Violencia est déclenchée, commandée et encouragée à distance. La violence la plus typique de nos luttes politiques est celle qui produit, de façon atroce, des victimes humbles dans les campagnes, les villes et les bidonvilles. Mais le combustible provient des bureaux officiels, où il a été préparé froidement et élaboré astucieusement pour qu’il produise ses fruits sanglants. »107

Il semblerait donc que l’idée d’échelles interconnectées fonctionne avec la question de l’échelle territoriale comme avec celle des pouvoirs politiques liés aux violences, et enfin avec l’échelle sociale de constitution de communautés. Cela nous amène donc à considérer l’analyse des nombreux thèmes associés au phénomène, et à leur relation au temps et à l’espace, donc au mouvement108.

Llanaditas, plus récemment Altos de la Torre et la Comuna 8 toute entière seraient donc les catalyseurs sociaux non pas seulement d’une ville mais bien d’un pays

106. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit. p.242 107. (Alberto Lleras Camargo, 1946) dans Forrest Hylton, op. cit.108. « les processus comme les densités, les mobilités spatiales et donc les « densités mouvantes », ou encore les inégalités socio-spatiales (...) sont des thèmes encore peu étudiés dans leur association avec la violence. » dans Villes et sociétés en mutation, op. cit. p.271

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tout entier. Finalement, dans cette petite portion de la ville, ingrate à souhait dans sa fonction d’accueil (fonction qui par essence ne correspond pas à sa nature-même) de populations dont les trajectoires coïncident, se télescope la mémoire de territoires plus lointains et plus grands d’une région, voire d’un même pays. Le dénominateur commun de ces population réside, au-delà du drame vécu dans le déplacement forcé, dans l’espoir d’une vie meilleure, sur une terre qui leur apportera non pas ce qu’ils ont perdu mais au moins la paix en communauté. À la fois rejetés par la ruralité et mal accueillis par la grande métropole, leur position instable et a priori temporaire sur ces terrains vacants que constitue cette périphérie transitoire, leur configure au moins une certaine tranquillité qu’ils n’ont su trouver ni dans l’un ni dans l’autre.

Les aléas des trajectoires des déplacés et leurs installations éphémères dans des paysage naturels inondables rendent difficile la représention de leur parcours, leur histoire, leur arrivée. D’autant que les flux de migrants convergent et peuvent se faire confronter dans les mêmes lieux plusieurs générations de « desplazados » en raison de conflits différents et venant de régions qui ne sont pas les mêmes. C’est le genre de stratification que l’on trouve dans la Comuna 8 et que l’on ne peut pas laisser de côté, au risque que la situation devienne conflictuelle.

c. Le recyclage politico-médiatique de la périphérie de Medellín

À la fois méprisés puis considérés à nouveau, les quartiers pauvres (barrios populares) périphériques de Medellín ont été tour à tour l’objet de toutes les attentions, bonnes ou mauvaises, dans ce qui pourrait être, tout compte fait, une véritable bataille de l’image. À commencer par le dernier projet de valorisation de la Comuna 13 dans laquelle ont été installé des escaliers éléctriques à ciel ouvert pour faciliter l’accès à ce secteur en pente : véritable révolution pour les habitants, mais également un enorme coup médiatique pour la ville.

En 1982, Pablo Escobar, alors déjà aux commandes du puissant cartel de la drogue, lance une campagne : « Medellin sans bidonvilles » (Medellin sin tugurios). A priori, celle ci porte des valeurs solidaires et sociale, le but étant d’améliorer un quartier de la ville. Il récolte alors des fonds avec l’aide d’Uribe Sierra (père d’Alvaro Uribe alors maire de Medellín pour la première fois, et parent par alliance des frères Ochoa, puissante famille de l’Antioquia associée au cartel) en organisant une course hippique. Nous sommes à l’époque pendant laquelle des groupes de paramilitaires, et leur nébuleuses locales que sont les gangs de jeunes armés, ont le contrôle sur des secteurs entiers de la ville et donc sur l’économie locale. Le chef du cartel tente alors un coup médiatique afin que son image soit à nouveau populaire et politiquement correcte.

« Pablo Escobar avait deux visages, et toutes les deux étaient intimement liées à la famille Ochoa. Le premier des deux est celui d’un homme généreux et préoccupé par la pauvreté à Medellin, au point de construire un quartier décent pour des centaines de familles qui auparavant vivaient dans l’équivalent d’une poubelle. Les déshérités de Medellin sin Tugurios - comme s’appelle cette zone, qui héberge 780 habitations uni-familiales – ont cru à la « légende Escobar ». Là bas, l’évocation de son nom signifie que tout le monde aura

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« de la nourriture donnée à la bouche ». Il est apprécié d’année et année, et, bien qu’il soit listé comme l’un des hommes les plus riches du monde par le magazine Forbes, il n’oublie pas que, dans son enfance, il a été aussi pauvre qu’eux. »109

L’autre visage, c’est celui le plus tristement célèbre, celui du narcotrafiquant à la tête de l’empire de la cocaïne, plantée dans ces même champs expropriés des paysans qui ont dû fuir pour venir habiter les bidonvilles de la métropole. La boucle est bouclée comme on dit, dans la mesure où les nouveaux bidonvilles sont construits sous les directives, à peu de chose près, des mêmes qui les ont délogés des campagnes et les ont acceuillis dans les villes. Le chef du cartel de Medellín cherche en réalité à se rendre populaire auprès de la population. Jouant parfois sur le seul contraste entre modernité des nouveaux projets proposés et la précarité initiale des quartiers, il est facile de s’approprier une image pour la bonne cause. Nombreux auront été les « coups médiatiques » sans réel intérêt social, dans le cadre d’élections locales ou encore de pressions politiques.

Au même moment, l’aide américaine au nom de l’Alliance dans les années 80, aura eu le mérite faire sortir du sol plusieurs programmes de logement ici et là. À Ciudad Kennedy dans la banlieue de Bogota, ce sont 80 000 personnes qui seront relogés dans de meilleures conditions, contre 12 000 personnes à Villa Socorro, et même à Medellín.110 Dans la capitale d’Antioquia, il semblerait que les tentatives de construction de logements sociaux de ces dernières années n’aient pas entièrement convaincu et soient très souvent un échec. Une des raisons notables est liée au fait que les populations rurales qui y sont logées ont un rapport de proximité au sol (culture, auto-alimentation) qui n’est pas du tout le même que celui qu’on a depuis un édifice de plusieurs étages. Pourtant la demande en logements se fait pressante. Les estimations actuelles prévoient un besoin de 400 000 logements supplémentaires d’ici 2030.111 Un des points fondamentaux est l’augmentation de la classe moyenne qui va de pair avec la diminution de la taille des ménages et l’augmentation de la population de près d’un million en trente ans. C’est cette classe moyenne qui est le plus à même de pouvoir vivre dans les nouveaux logements sociaux, quand on sait les problèmes financiers et communautaires que cela pose aux nouveaux arrivants ruraux.

La question de la « vivienda digna » (« du logement digne ») est plus que jamais présente aujourd’hui dans la périphérie, et la responsabilité publique de l’État pendant et après la Violencia de ces dernières années est directement mise en jeu. La priorité mise sur les transports et les récents projets d’espaces publics mis en œuvre selon le dernier Plan Bio 2030 semble annoncer comme un acte de repentance de la part de la municipalité. Ce schéma directeur affiche comme une de ses priorités la « résorption d’habitat », avec souvent comme prétexte la « préservation du paysage » : cela signifie-t-il que la limite du périmètre urbain va être figée et que les réglementations à l’encontre des invasions vont se durcir, stoppant ainsi de façon nette toute nouvelle transition périurbaine ?

109. C. Aldaz, Las trayectorias de Pablo Escobar y los Ochoa han estado íntimamente, Sociedad, octobre 1999110. Mike Davis, op. cit. (Les chiffres de Medellin ne sont pas précisés)111. Atelier Parisien d’Urbanisme, Medellin urbanismo social, Contribution à l’élaboration du plan bio 2030, (mission de conseil de l’APUR en 2010-2011), septembre 2011

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Photomontage du projet des escaliers éléctriques dans le secteur 20 de Julio de la Comuna 13.

Logements sociaux, Quebrada Juan Bobo au nord de la ville.

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Cette « résorption » se traduit en réalité par une densification et une augmentation foncière du centre ville et des terrains vacants à l’intérieur du périmètre, mais cela conduit-t-il véritablement à une politique de logement social ?

Sous l’enseigne d’« urbanismo social », Medellín s’est dotée de moyens importants et de partenaires internationaux afin d’anticiper son dynamisme démographique, devenir une métropole sud-américaine exemplaire et s’ouvrir sur le monde. Par la même occasion, elle joue sur le slogan publicitaire et sur l’image qu’elle donne d’elle-même pour attirer les investisseurs, les travailleurs et les entreprises étrangères. Le plan Bio 2030 dessiné en partie par l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme) en est la preuve : l’heure est à l’embellissement, à la reconquête des bords du fleuve et à une organisation à la française112. Mais un tout autre problème se pose ici, loin du dernier étage de la Préfecture de Paris : celui de la réelle prise en compte de l’urbanisation périphérique. Le nouveau plan d’urbanisme affirme noir sur blanc vouloir « empêcher l’urbanisation informelle » d’un côté alors que de l’autre il communique essentiellement sur les « Projets Urbains Intégraux » qu’il développe dans ces mêmes quartiers, jouant toujours du contraste entre la monumentalité d’un projet que peut avoir par exemple la Bibliotheca Espana de San Domingo au milieu d’un quartier informel. Toujours est-il que la ville a réussi à faire d’une contrainte autrefois honteuse, les bidonvilles, un élément de curiosité aujourd’hui visible depuis le métrocable par les touristes. L’assaut publicitaire lancé à ce sujet par l’Agence Française de Développement en Colombie113 qui a débloqué quelques 300 000 millions d’euros d’aide à la ville de Medellín ne donne pas d’éléments de réponse quant aux retours sur investissements qui ne seraient à priori pas « directs ». De toute évidence, les liens entre la Colombie et la France sont au plus fort. Quant aux acteurs étrangers, ils interviennent dans de nombreux secteurs, à commencer par les transports, puisque le métrocable est construit par l’entreprise française Poma.114

__

Allons-nous une fois de plus vers un modèle globalisant et uniforme des métropoles latino-américaines, sous prétexte d’un urbanisme social qui commence tout juste à répéter ses projets génériques de part et d’autre de la ville ? Qu’en sera-t-il de la politique urbaine avec la très récente élection du nouveau gouverneur d’Antioquia (ancien maire de Medellín à l’origine des PUI) Sergio Fajardo?

112. Faut-il y voir un parisianisme assumé dans les projets à venir lorsqu’on peut lire que « Medellin vit une transformation comme celle qu’a pu vivre Paris durant les réformations du baron Haussmann » dans un commentaire fait en relation à l’exposition du Pavillon de l’Arsenal ?113. Expositions Medellin, Urbanismo social, avec l’APUR au Pavillon de l’Arsenal, et Objectif développement, nouveaux regards sur le sud avec l’agence Magnum sur le parvis de l’Hotel de Ville, Paris, septembre-octobre 2011 114. Pomagalski est une entreprise française conceptrice de solutions de transport par câble depuis 1947

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“Medellín vive una transfor-mación como la que París vivió durante las reformas del baron Haussmann”, es el comentario de Nicolas Douay, profesor de Urbanismo en la universidad de París Diderot, a la exposición Medellín: Urbanismo Social (...) La referencia de Douay está ligada a los “Grandes Trabajos” que Georges Eugène Hauss-mann desarrolló por encargo de Napoleón III y que, tras veinte siglos de crecimiento caótico, dieron a París buena parte de los bulevares, plazas y fachadas que, aún al precio de la destrucción de varios sectores populares, hoy son parte de su identidad como ciudad.

Campagne publicitaire sur le parvis de l’hotel de Ville de Paris par l’AFD qui finance le nou-veau métrocable de Me-dellin, novembre 2011.

De Medellín à Paris: un des nombreux articles sur l’exposition au Pavil-lon de l’Arsenal présen-tée l’hiver dernier.

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4.4.

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« Ce n’est pas par l’examen des objets de luxe qu’on peut juger une époque, mais au contraire par l’étude des produits les plus usuels » 115

Comment à partir des fragments du passé peut-on reconstituer une configuration du présent? En quoi Altos de la Torre est-il étroitement lié à son histoire récente témoignant de l’immigration forcée de ses habitants? Cette transition urbaine est en réalité plus complexe qu’une analyse typologique, se situant entre l’histoire individuelle, la mémoire collective, l’histoire récente d’un pays et les trajectoires croisées des gens. L’histoire d’un quartier spontané révèle avant tout les problèmes d’une société tout entière. Ce basculement d ‘échelle et de positionnement quant aux origines d’un phénomène nous permet de mettre en avant ce qui pourrait être, pour reprendre les mots du chercheur-philosophe Sebastien Marot, une « archéologie du présent ».

Altos de la Torre dans les chiffres, semble être un véritable catalyseur de problèmes sociaux et sur les cartes, une transition urbaine révélatrice du mal-être d’une communauté toute entière. L’étude d’un tel quartier à « l’échelle 1 » par le relevé, l’étude des sols, l’histoire d’une communauté et la rencontre directe de ses habitants nous en apprend finalement aussi sur l’état d’une société et sur son fonctionnement. Comment ne pas s’empêcher d’avoir dans un contexte bien sûr différent de l’époque mais dans une situation économique proche une nouvelle lecture de La société du spectacle de Guy Debord, avec le cas latino-américain comme cadre d’étude :

« Ne sommes-nous pas toujours confrontés à “cette société qui supprime la distance géographique recueille intérieurement la distance, en tant que séparation spectaculaire.” dans laquelle “le moment présent est déjà celui de l’autodestruction du milieu urbain? L’éclatement des villes sur les campagnes recouvertes de “masses informes de résidus urbains” (Lewis Mumford) est, d’une façon immédiate, présidé par les impératifs de la consommation. (…) »116

115. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier français, Paris, Morel, 1872 : (partie 2, introduction) : [l’habitat] est « l’oeuvre humaine qui donne plus que toute autre l’état d’une civilisation ».116. Guy Debord, op. cit. « 221 : S’émanciper des bases matérielles de la vérité inversée, voilà en quoi consiste l’auto-émancipation de notre époque. Cette « mission historique d’instaurer la vérité dans le monde », ni l’individu isolé, ni la foule atomisée soumise aux manipulations ne peuvent l’accomplir, mais encore et toujours la classe qui est capable d’être la dissolution de toutes les classes en ramenant tout le pouvoir à la forme désaliénante de la démocratie réalisée, le Conseil dans lequel la théorie pratique se contrôle elle-même et voit son action. Là seulement où les individus sont « directement liés à l’histoire universelle » ; là seulement où le dialogue s’est armé pour faire vaincre ses propres conditions. »

LA PÉRIPHÉRIE COMME REPRÉSENTATION DE LA SOCIÉTÉ (De Medellin à Paris)

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A. UN LIEU DE TÉLÉSCOPAGE D’ÉCHELLES ET DE RÉALITÉS VARIÉES

La périphérie émergente de métropoles à croissance rapide est un incroyable laboratoire d’étude sociale pour améliorer la compréhension d’une société complexe et de son évolution quasi quotidienne. Dans cette optique, plusieurs niveaux de réalités sont à confronter, à commencer par la question de l’échelle :

« La volonté de coller aux réalités urbaines nécessite aujourd’hui une approche de la ville et de ses habitants qui rende compte de la simultanéité des évolutions affectant les différentes échelles des territoires. (…) »117

a. De la réalité aux cartes : variations dans le territoire

L’étude du secteur-est de la ville de Medellín nous a permis de saisir le caractère éphémère des secteurs les plus en marge de la ville, et l’instabilité politique et naturelle dans laquelle ils se trouvent, puisqu’ils peuvent à tout moment disparaître (délogement ou catastrophe). De fait leur présence comme leur disparition étant extrêmement brutale, l’évolution du territoire dans lequel ils s’inscrivent est très variable118. D’emblée, on a pu voir la différence entre l’ image satellite de Medellín, sur laquelle apparaissent les derniers quartiers spontanés périphériques, alors que le plan officiel de l’agglomération, en 2011 ne les montre pas. Le problème majeur de ce type de représentations planaires réside dans le fait qu’elles sont rapidement dépassées par l’évolution rapide des métropoles, de même que les mises à jour ne sont pas si fréquentes (on l’a vu dans le cas de Medellín). Les simples représentations en plan sont presque devenues obsolètes face aux mouvements incessants de la limites des périmètres urbains. Il s’agirait donc de tenir compte des différents niveaux de réalités et de leur temporalités.

Dans l’ouvrage multidisciplinaire Villes et Sociétés en Mutation, lectures croisées sur la Colombie, nous apprenons que le système spatial colombien a changé très rapidement sur trois échelles différentes ces vingt dernières années, notamment en raison du fort pouvoir d’attraction des grandes villes. Le premier niveau de lecture est à l ‘échelle nationale et il articule les différents flux de migrations entre bassins d’accueil de populations et zones de départ. Le second degré de réalité est « traduit par les mouvements des migrants ruraux vers les villes, ou de ville en ville ». En ce qui concerne le dernier niveau, c’est celui qui se concrétise par le phénomène de périurbanisation dont nous avons étudié un cas, « renvoyant à l’histoire des sites, aux densités urbaines, mais aussi aux spéculations sur le foncier ».

Une métropole comme Medellín est donc le résultat d’interactions d’acteurs divers dans des « espaces d’actions » qui n’ont pas les mêmes échelles ni les

117. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit.118. Georges Candilis, op. cit. : Nous en revenons à l’expérience de Georges Candilis du groupe Team 10 qui, plusieurs années après avoir assisté à une « invasion », construction de la nouvelle Pamplona au Pérou, nous raconte la difficulté de reconnaissance (pas de nom) de communication (pas d’adresse) et d’existence du quartier.

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mêmes temporalités. L’espace, encore une fois, est peut être l’un des meilleurs médiums pour traduire des données flexibles et des temporalités multiples.

« On ne comprendra la périurbanisation qu’avec l’étude en parallèle des interactions entre les grands modèles spatiaux, les formes et les motivations des migrations, les logiques économiques et les relations internes (sécurité, gestion), (favorisant les mécanismes d’exclusion et les formes de violence qui en découlent). »

Finalement la périurbanité dont nous parlons (celle qui est la plus éphémère, celle qui est dans l’inconnu concernant son avenir) constitue à l’échelle territoriale une transition scalaire et temporelle entre l’idée de la ville historique et conventionnelle, qui pourrait constituer un quatrième niveau de réalité fait d’architectures confortées dans une trame urbaine, et le second niveau de réalité, à l’échelle des migrations régionales. Elle est donc le reflet d’une situation de grande échelle et d’une rare complexité géopolitique dans un endroit restreint ; un condensé de phénomènes sociaux qui témoignent d’une époque contemporaine. De toute évidence, « la complexité de la ville contemporaine n’est lisible qu’à partir d’une segmentation de la question urbaine », comme le soutient la thèse de l’ouvrage.

De la réalité aux cartes officielles, il y a toujours eu une différence. Celle-ci est perceptible aujourd’hui d’un point de vue social, alors qu’auparavant elle pouvait être aussi et surtout géographique, liée aux outils de représentations et de connaissance du territoire. L’exposition El Mapa: Cartografías críticas au Musée d’Art Moderne de Medellín119 qui a eu lieu l’an passé offrait quelques nouvelles pistes de lecture du territoire, d’autant plus que le territoire en question était celui de la Colombie tout entière. Voilà ce que l’on pouvait y voir : des cartes qui vont au delà des frontières géographiques, faites à partir de conflits, de confrontations de langages et de cultures, de climats sociaux et politiques. Comme le soutient Jan-Erik Lundström, un des commissaires de l’exposition :

« chaque carte est simultanément un portrait, une histoire, mais également un registre d’interprétations erronées, pour autant que les cartes suggèrent une confrontation faite avec les limites de la représentation. »

De toute évidence, depuis les cartes classiques jusqu’aux moyens les plus contemporains120, au-delà du fait que les outils mis à disposition aient évolué, ce sont les discours et les axes de lectures cartographiques qui ont varié, et les intérêts qui se sont déplacés. Le contexte de Medellín est tel aujourd’hui qu’il est devenu impossible de passer à côté de considérations socio-naturelles, comme le prétendent les différents plans directeurs de ces dernières années, à condition qu’ils mettent en place de réels moyens pour représenter ces aléas en parallèle, croisant les médias et les différents champs d’étude.

119. El Mapa: Cartografías críticas, Museo de arte moderno de Medellin, 2011120. Le logiciel Arcgis par exemple, fondé sur la plateforme SIG et le géodatabase, permet de modéliser des données cartographiques évolutives.

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b. Migration urbaine, perte identitaire et expropriation du temps

« Pour comprendre les constructions et recompositions territoriales qu’elles entraînent, les mobilités doivent être appréhendées dans leurs différentes échelles spatio-temporelles et sociales : il s’agit de les considérer comme un système articulant différents types de déplacements, au niveau des individus et des unités collectives dont ils font partie. » 121

Est-il possible de représenter l’histoire d’une population immigrée par la simple représentation d’un lieu qui a été imprégné du passage de celle-ci? La périurbanité d’une ville comme Medellín parle-t-elle toute seule de l’histoire récente de son immigration ou faut-il la révéler ? Dans le cas de la métropoles colombienne, il semblerait que l’on peut déjà trouver une accumulation sédimentaire de traces dans les objets du présent qui, placés dans une topographie sensible suggèrent la perte et la disparition.

« Ce qui a disparu est, en fait, aussi important à évoquer que ce qui est là. L’allusion est l’un des moyens mis en œuvre : on introduit la chose elle-même pour évoquer un état antérieur. (…) L’esthétique de la révélation entretient une tension entre le passé et le présent, entre ce qui est là et ce qui n’y est plus. »122

L’outil de comparaison des états successifs des lieux d’habitations d’une communauté sur le chemin de la métropole serait également une piste de lecture pour mieux saisir et intégrer le phénomène d’expropriation colombienne et peut-être prendre en considération le besoin de parcelles cultivables de ces communautés paysannes, et de leur rapport au sol. Le Plan Pilote de Medellín de 1980 avait su saisir le véritable enjeu d’un possible « cordon vert » dans lequel l’agriculture périurbaine produite par des paysans migrants aurait eu sa place, si le financement du projet, bien sûr, avait été suffisant.

Tout phénomène de migration fait intervenir non seulement la question de la perte identitaire d’un territoire initial, on l’a vu dans le cas des communautés paysannes dont les terres sont expropriées, mais conduit également à une expropriation du temps. L’incertitude quant à l’avenir proche, le retour à un nomadisme forcé et le caractère éphémère des manières d’habiter qui s’en suivent racontent non plus une temporalité cyclique liée à la vie paysanne, ni même une migration linéaire d’un endroit à un autre, mais plutôt une dérive temporelle, donnant lieu à une migration finalement complexe et dont les répercussions sont plus floues. C’est alors que « le mouvement inconscient du temps se manifeste et devient vrai dans la conscience historique. (…) 123 », pour reprendre les mots de Guy Debord, dont le travail repose sur l’élaboration d’une psychogéographie qui aujourd’hui ne semble pas avoir pris une ride.

Dans la conclusion générale de l’ouvrage Villes et Sociétés en mutation, Jean-Pierre Lévy nous laisse penser à la possibilité d’« un nouveau paradigme qui permettrait de lire la grande ville existante avec les transformations et redistributions qui la traversent ». D’une autre façon, l’analyse des phénomènes migratoires et sociaux

121. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit.122. Elissa Rosenberg citée dans le livre de Sebastien Marot, p. 122123. Guy Debord, op. cit. article 125

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Carte des migrations internes municipale selon le changement de résidence des 5 dernières années en Colombie, 2010.

Carte du tissu so-cial de la région d’Antioquia, Camilo Restrepo, 2005.

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d’une ville serait un moyen plus évident de comprendre la logique de celle-ci, écartant en partie certaines considérations typo-morphologiques d’une autre époque. En effet, c’est l’accent pluridisciplinaire qui prévaut ici, de « l’étude des mobilités intra-urbaines aux identités ethniques en ville, des distributions résidentielles à la violence, de l’étude du réseau urbain et des migrations à celles de la gestion des villes », permettant à la fois d’articuler « les systèmes spatiaux, pratiques individuelles et collectives des acteurs qui la produisent », pour reprendre les mots de l’auteur.

La notion d’ « habitant » (en tant qu’identité) se place donc au centre de l’analyse du territoire, notamment par la mise en évidence d’une relation psychologique entre comportements humains, décisions politiques, conflits internes territoriaux et l’histoire urbaine. Le cas colombien, mais aussi bien d’autres, nous permet de saisir que ces mêmes habitants ont une capacité à contourner les multiples contraintes auxquelles ils sont sujets par leur mobilité et leur capacité d’adaptation au moins. Ainsi, les facteurs économiques sont relégués au second plan dans l’évolution des métropoles des années 50 à aujourd’hui, ce que l’on perçoit également dans l’histoire des flux migratoires. Jean-Pierre Lévy souligne dans une remarque dépassant le seul cas colombien que « si la ville globale existe, si la mondialisation produit ses effets, c’est aussi parce que les habitants apprennent à faire avec124. »

L’étude des migrations décrit en quelque sorte l’évolution récente de la ville colombienne : « migration rurale vers les villes, développement des métropoles, affaiblissement des flux ruraux, accroissement des flux inter-urbains, périurbanisation, mais surtout, plus récemment encore, développement des mobilités intra-urbaines et densification des interstices ». On se rend compte que l’espace périurbain n’attire plus les habitants du centre, et se densifie de plus en plus par des déménagements de proximité qui n’étaient pas visibles auparavant. Cela est la traduction du fait qu’à partir d’un certain niveau, les métropoles se développent sur elles-même avec l’afflux incessant de nouveaux habitants liés à un flux « inter-urbain » ou « intra-urbains », ce dernier correspondant en fait à la périurbanisation. Les échelles se télescopent et les communautés aussi :

« L’espace est donc un système de lieux dans lequel les mouvements mettent en relation des villes entre elles et des quartiers entre eux. L’arrivée dans un nouveau cadre de vie ne signifie pas pour autant une rupture avec son milieu d’origine. L’appartenance « multi-locale » est devenue une règle des pratiques urbaines, qui n’est pas sans répercussion sur les rythmes, les distances et les modes de déplacement des individus dans l’espace. Dans ce contexte, migrants et sédentaires, ancrage et mobilité ne s’opposent plus. Les sédentaires facilitent l’arrivée des migrants dans l’espace d’accueil (créant ainsi des foyers communautaires régionaux) ; l’installation de longue durée dans un quartier ou un logement peut aller de pair avec des déplacements fréquents dans les différentes parties de la ville, voire à l’extérieur. »

Les déplacements de populations n’ont pas l’effet qui aurait pu être de permettre l’accès à toutes les classes sociales en ville. Au contraire, l’arrivée des migrants

124. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit.

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en ville et son insertion sociale devient d’autant plus difficile qu’ils ne connaissent pas de personnes habitant déjà cette ville. A cela s’ajoute le problème des moyens de transport en ville qui limitent le champ de rayonnement professionnel et l’accès aux différents services. Ces mouvements ont tendance en réalité à accroître les inégalités. Il va donc de soi de penser que ces nouvelles configurations spatiales liés à ces mouvements passent par de nouvelles représentations à plusieurs échelles afin d’être analysées et de pouvoir révéler des réalités sociales. Ces représentations spatiales et identitaires permettraient alors de mettre en évidence des faits aux yeux des instances politiques, et de rendre possible le deuil mémoriel de populations comme celle des paysans colombiens :

« L’espace est un des rares éléments capables de fournir une forme matérielle à des processus sociaux devenus complexes et abstraits, il devient par là même à la fois le signifiant des inégalités de la société globale et la composante symbolique des revendications et de l’action urbaine. »

L’exposition Trajets : comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement, présenté en 2011 au CCA125, illustre la question de l’ajustement d’une population migrante face à une situation nouvelle, mais aussi de provenance, qui fait écho à l’idée de mémoire:

“Les habitudes de nouveaux habitants tissent des motifs inédits dans une trame urbaine ancienne (...) Une architecture construite de mémoire dans une nouvelle contrée évoque la structure sociale de l’ ancien pays”

c. Vers une représentation des marges : méthodologie ou cas par cas?

Dans la question de la représentation d’un phénomène en mouvement (l’instabilité de la périphérie) réside une inconnue concernant la démarche et les outils utilisés pour chaque sujet. En effet y-a-t-il vraiment une méthode rationnelle ou devons-nous privilégier le cas par cas ? Autant dire que, les représentations périphériques étant liées aux sociétés qu’elles révèlent, cette question recoupe celle d’une généralisation mondiale du phénomène des migrations politiques, ou au contraire une régionalisation de chaque cas d’étude (après tout, les sociétés communiquent et se gouvernent d’un pays à l’autre).

Sur les bases de l’anthropologie, la démarche que nous avons entreprise avec l’étude de cas de ce secteur polémique de Medellín, la Comuna 8, opte pour la spécificité d’une méthode. Face à la mondialisation. En l’occurrence, celle-ci se base ici sur la compréhension en amont d’une communauté et fait appel à l’effort mémoriel tout en essayant de se baser sur une étude paysagère (visuelle) et géologique (le sol) de la périphérie escarpée de Medellín, en parallèle.

Dans le cas colombien, au même titre que les mouvements humains, la mémoire

125. bien qu’elle penche d’avantage sur “les transformations physiques (...) engendrées [par] le mouvement, la migration et les échanges entre divers lieux et différentes cultures.” comme le souligne la commissaire de l’exposition, Giovanna Borasi.

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collective fait appel à des représentations spatiales, si l’on veut mieux les comprendre l’histoire d’un quartier, d’une communauté. Ces images spatiales font référence bien souvent à des images, comme nous l’explique Sebastien Marot :

« La mémoire des lieux précède celle des images, à laquelle elle sert de cadre et de support. C’est « une mémoire qui aide une autre mémoire (…) L’arrangement des lieux doit donc être facilement distingué des mobiliers d’images ou de figures qu’il pourra accueillir en fonction des besoins de l’orateur. Même si un lieu de mémoire n’est pas juste un « vide » défini par des limites structurelles, mais un endroit que des éléments de décor peuvent contribuer à identifier (…), on peut penser que ce principe de commodité milite là encore pour écarter les espaces non architecturaux où cette distinction entre structure et objet (lieu et image) n’est pas assignable assez nettement. »126

En ce qui concerne Altos de la Torre, il n’y a pas de lieu, pas vraiment non plus d’architecture au sens propre ; il n’y a que des gens, des images, des objets dans le paysage. Et la mémoire prête à jaillir. L’existence du quartier en tant que tel n’a pas encore été reconnue. La seule représentation physique qu’ont les habitants de leur vie de paysan est la présence d’un espace extérieur pour cultiver, quand il y en a un. Tant que les constructions ne seront pas aussi solides que n’importe quelles autres de la ville plus ancienne en contrebas, il sera difficile de parler de ces quartiers comme de véritables de lieux de mémoire. C’est ici que se pose la question de la nécessité de lieux de célébration du passé : nous y reviendrons plus tard.

B. LA REPRÉSENTATION PÉRIURBAINE, OUTIL DE MÉMOIRE

« L’art de la mémoire (…) est un art invisible127 »

a. La périphérie : inconscient collectif et mémoire du temps présent

Nombreux sont les auteurs qui actuellement réhabilitent l’idée de psychogéographie que l’Internationale Situationniste avait élaborée en 1955, à juste titre, celle-ci n’ayant pas été réactivée depuis sa contradiction par le même collectif. Cette idée dépasse celle de « géographie » qui selon Guy Debord « rend compte de l’action déterminante de forces naturelles générales, comme la composition des sols ou les régimes climatiques, sur les formations économiques d’une société et, par là, sur la conception qu’elle peut se faire du monde » 128

en y ajoutant une donnée émotionnelle, donc liée au comportement affectif. La question est de savoir si les représentations mémorielles de la ville peuvent atteindre un inconscient qui serait collectif et non pas seulement individuel, une émotion qui pourrait être partagée et réunir plusieurs communautés d’individus autour d’un même lieu public fédérateur de vie sociale. Ce sont ces genres de lieux qui fabriquent la ville, aussi récents soient-ils.

126. Sebastien Marot, op. cit., p.22127. Ibid.128. Guy Debord, op. cit.

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Lia Perjovschi, représentations de connaissances mises en réseau, 2007.Guy Debord, Psychogéographie, 1955.

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122

Revenant à sa manière sur l’idée de « psychogéographie », Antoine Picon souligne quant à lui les moyens dont notre époque pourrait user pour concilier « la ville événementielle » qui est la nôtre avec une planification passant par des moyens de représentation avancés comme le numérique :

« C’est à cette époque [1960] que les villes et leur représentations commencent à être appréhendées comme des systèmes d’évènements par différents mouvements d’avant- garde (…) L’interprétation situationniste de la ville comme matrice dynamique de situations susceptibles d’être explorées au moyen de la “dérive” et de la “psychogéographie” (...) Le développement spectaculaire des outils numériques est venu renforcer notre perception des villes comme autant d’espaces ou de territoires où se produisent des événements »129

Cette idée réactualisée de la ville des Situationistes, ou encore de la Nouvelle Babylone de Constant, visant à regrouper « la ville spontanée et la ville planifiée » prend tout son sens aujourd’hui, même si les véritables avancées depuis les années 60 sont peut-être moins technologiques, comme peut le souligner Antoine Picon, qu’en vérité sociales.

On en vient donc à se demander s’il ne pourrait pas exister une manière d’appréhender la ville qui serait non pas issue d’une dérive inconsciente et hasardeuse d’individus sous l’emprise de leurs émotions, mais qui pourrait être une véritable « mnémogéographie ». Celle-ci relaterai des connexions et des concentrations humaines mises en mouvement par des migrations (liés à des raisons politiques ou naturelles) qui redessinent et redistribuent l’état actuel de communautés dans le territoire. Cette idée prend naissance avec l’analyse faite par Sebastien Marot concernant des lieux de mémoire :

« La sociologie moderne nous a appris les « cadres sociaux de la mémoire », permettant de mieux comprendre les villes, non plus seulement comme des mémoires passives et conditionnantes (accumulation de traces et de souvenirs), mais aussi comme des mémoires actives et conditionnées, c’est à-dire comme des systèmes de lieux mnémoniques et

construits. »130

Cet aspect en mouvement de la mémoire active des habitants peut être comprise, dans le cas d’une métropole en développement, comme une actualisation de la ville par sa périphérie. En quelque sorte, la ville se régénère d’elle même par ses marges, donnant lieu à une représentation nouvelle que l’auteur définit ainsi :

« Une carte en trois dimensions du substrat territorial de ce site (…) qui ne s’adresserait pas à l’oeil de l’oiseau mais au corps pensant du promeneur engagé dans son épaisseur. »131

Dans ce qui pourrait être une adaptation du texte de Marot à notre sujet de la périphérie émergente des grandes métropoles, l’idée serait de substituer ces

129. Antoine Picon, Culture numérique et architecture - Une Introduction, Birkhauser, 2010130. Sebastien Marot, op. cit., p.30 : Encore une fois l’absence de lieux à proprement parler, tel qu’on le voit dans la plupart des quartiers émergents, fait défaut à cette perception contemporaine du promeneur dans la ville. Mais comme on le sait, il est possible de suggérer l’absence ou la disparition d’un lieu par la représentation de son contraire (un plein par un vide, une architecture par son intérieur, une ville par son espace public). 131. Ibid.

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transitions urbaines à des représentations mémorielles par le biais de multiples médias, pas seulement cartographiques. Ces représentations peuvent avoir pour ambition d’éventuelles planifications mais elles permettent avant tout de considérer cet « ars memoria » (art de la mémoire) comme un processus sans profit, un médiateur entre des communautés, permettant le deuil, le pardon132, la reconnaissance et la dignité. L’assimilation de cette mémoire (péri)-urbaine avec le monde de la psychanalyse paraît de plus en plus évidente notamment lorsqu’il s’agit d’aborder la question du traumatisme qu’il faut évacuer par tous les moyens d’expression, y compris architecturaux et urbains. Avant toute chose, le souvenir du passé est un réel travail sur la mémoire par le passage d’une dimension mentale à une autre, physique.133

« Cet état de reconstruction n’implique pas nécessairement l’oubli, l’effacement et même l’accès à des états antérieurs et une forme de circulation dans l’épaisseur temporelle. La comparaison entre traumatismes urbains et traumatismes psychiques fait, elle, de la démarche psychanalytique un outil permettant de traiter l’espace urbain dans un but de conservation du passé tel quel, au moins de vivre en bonne intelligence avec lui. »134

Peut-on écrire la mémoire du temps présent de façon rétroactive ? Dans le cas de Medellin où l’invasion force et accélère le processus de fondation et de construction d’un quartier (d’une ville même) d’un point de vue spatio-temporel, peut-on penser qu’il serait bon d’intensifier le travail sur la mémoire des communautés et de faire le deuil d’une histoire sanglante et douloureuse d’un pays ? Ou au contraire ne doit-t-on pas forcer ce processus et lui donner du temps?

b. Mémoire collective et histoire : l’ambiguïté de la périurbanité

On trouve finalement la clé d’une interprétation de la périphérie de Medellín et de ses habitants dans le texte d’Halbwachs135 qui consiste à faire le lien entre la mémoire collective et l’espace. Alors que cette première prend se fait sur la base d’ « images spatiales », le second est quant à lui « une image mobile du temps ».

L’habitude de vivre dans un lieu particulier façonne un comportement et une pensée adaptée à ce lieu. L’adaptation d’un « groupe humain » à une nouvelle configuration spatiale ou à un nouveau territoire se traduit par la réutilisation des capacités à recréer un nouvel « arrangement », sur les bases de ses connaissances acquises. Peut-on affirmer que c’est même la mémoire d’un lieu idéal du passé qui tente de rejaillir à chaque nouvelle implantation ? L’idée d’un tout agencé par de multiples parties, que nous avancions au tout début de ce travail, conforte l’idée d’Halbwachs selon laquelle l’homme résonne par « groupe » et reproduit des situations qu’il connaît déjà. Intervient ici alors la notion de reproductibilité directement liée à la mémoire.

132. Deuil, pardon : termes à connotation « religieuse » mais utilisés ici dans un cadre tout autre et même par opposition, social.133. Ibid. p.24 : « la pratique commune de l’ars memorativa a dû conduire a une forme d’incrustation des images dans les lieux. » 134. Sebastien Marot, op. cit., p.48135. Halbwachs, La mémoire collective dans Sebastien Marot, op. cit., p.50

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La mémoire collective ne peut exister sans « cadre spatial », comme le note Marot avant de souligner le fait que cet espace est celui que nous fabriquons sans cesse autour de nous et finit par prendre l’empreinte de notre mémoire. Notre pensée évolue et les espaces que nous traversons vont de pair avec celle-ci. L’idée d’empreinte mémorielle de l’homme dans un lieu tient une phrase de l’auteur : « l’espace est une réalité qui dure ». Venons-en au fait : si l’organisation de l’espace et des matériaux qui le composent prennent l’empreinte de l’individu qui l’habite, la mémoire collective d’une communauté entière réside dans l’organisation urbaine dont la résultante est l’espace public. Cela, Aldo Rossi le traduit ainsi :

« La ville elle-même est la mémoire collective des peuples (…) et de même que les faits s’inscrivent dans la mémoire, des faits nouveaux se développent dans la ville. »136

Dans le cas du secteur-est de Medellín, la mémoire rurale semble rejaillir quoi qu’il arrive, malgré les piètres conditions qui entourent la formation du quartier, et le climat hostile lié à l’arrivée des nouveaux habitants.

« C’est une nouvelle paysannerie factice qui est recréée par les conditions d’habitat et de contrôle spectaculaire dans l’actuel “territoire aménagé” : l’éparpillement dans l’espace et la mentalité bornée qui ont toujours empêché la paysannerie d’entreprendre une action indépendante et de s’affirmer comme puissance historique créatrice, redeviennent la caractérisation des producteurs – le mouvement d’un monde qu’ils fabriquent eux-mêmes restant aussi complètement hors de leur portée que l’était le rythme naturel des travaux pour la société agraire. (…) C’est bien évidemment parce que l’histoire qu’il faut délivrer dans les villes n’y a pas été encore délivrée, que les forces de l’absence historique commencent à composer leur propre paysage exclusif. »137

Il s’agit bien évidement de distinguer mémoire et histoire, car justement l’histoire est toujours fondée sur la mémoire d’une population mais pas seulement : elle doit unifier des mémoires conflictuelles et prendre en compte les enjeux de son écriture de la façon la plus objective qu’il soit. Voici comment l’historien Marc Bloch défini la mémoire collective :

« L’expression “mémoire collective” est aujourd’hui si galvaudée qu’on peine à la définir. Pour un groupe humain, la mémoire pour la mémoire, entendue dans le sens de l’art pour l’art, n’existe pas. Si la transmission est cassée, pour diverses raisons, ou si une connaissance a perdu son sens, il n’y a plus de mémoire. C’est ce que nous avions compris avec les livres du souvenir. Mais ce qui a été conservé et consigné peut être réactivé et à nouveau transmis, pourvu que le groupe y trouve à nouveau un sens. La mémoire collective se vit toujours au présent, selon divers usages qui lui sont assignés. Elle est en lien avec l’identité. Elle trie dans le passé ce qui lui est utile. Elle se passe très bien de l’histoire des historiens qui pourrait bousculer son récit. Nous autres, historiens, élaborons nos questionnement à partir du présent, mais nous ne produisons pas un récit destiné à une quelconque commémoration. »138

136. Aldo Rossi, L’architecture de la ville, 1966, p.25137. Guy Debord, op. cit. 138. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Colin, 1999, cité par Annette Wieviorka dans L’heure d’exactitude, histoire, mémoire, témoignage, Albin Michel, 2011, p.1 : « L’heure d’exactitude, c’est celle où s’impose le mot juste, « un langage capable de dessiner avec précision les contours de faits », « sans flottements ni

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La ville aussi est actrice de son histoire et donc fait coexister des époques différentes, des communautés variées, différentes classes sociales, d’affinités, d’origines et de mémoires différentes, en les articulant par des places, des espaces publics, des lieux de rencontre “pacificateurs” dans la mesure du possible. D’où le fait qu’une métropole comme Medellín qui s’est bâtie très rapidement (avec une population qui passe de 168 000 en 1938 à 2.34 millions en 2010) est en grande partie constituée de communautés juxtaposées, comme autant de cultures et de mémoires antagonistes qui n’ont pas encore fait tissu (c’est le sens du mot grec histos, qui donnera « histoire »)

c. Le rôle de la représentation et de la mémoire dans la reconnaissance

La représentation en tant qu’élément de traduction d’une mémoire collective et reconstitution objective de l’histoire s’avère être un moyen de transition non négligeable dans le processus d’assimilation des marges périphériques à croissance rapide par les métropoles. L’architecture est donc un véritable outil de mémoire, tout du moins par ses facultés à analyser et à représenter une situation existante :

« Le thème de la mémoire en architecture – de l’architecture comme instrument de mémoire ou de la mémoire comme matière, comme dimension d’architecture – est un topos, un lieu commun particulièrement vivace du débat sur la construction et l’aménagement. S’il faut y pénétrer aujourd’hui, c’est parce que la condition suburbaine invite à donner à cette question un autre relief et une plus grande profondeur. (…) essentielle (au renouvellement de l’architecture). »139

Revenir à une lecture de la périphérie comme outil de mémoire permet donc de percevoir la ville comme une grande carte mentale faite de lieux de mémoire liés à l’histoire d’une ou plusieurs communautés, qui simultanément contribuent au caractère identitaire et culturel local d’une part, puis national et international ensuite140. Cette carte mentale urbaine (et périurbaine) serait directement en relation avec la mémoire des populations habitant actuellement la ville, selon Sebastien Marot :

« Cette question on ne peut plus actuelle, qui désigne à nouveau l’architecture et l’urbanisme comme arts de la mémoire, repose le problème abordé par Freud, de notre capacité à nous représenter localement l’épaisseur mémorielle des villes et du territoire, non seulement in situ, mais aussi, et peut être d’abord, in visu. De nouvelles cartes permettront-elles un jour de s’orienter dans l’épaisseur des situations construites, et non plus seulement dans l’inframince de leur surface? »

équivoques » : est-il impossible qu’elle sonne un jour ? “ » 139. Sebastien Marot, op. cit., p.13140. Et de fil en aiguille, plus une métropole grandit, plus son rayonnement s’élargit et plus elle devient cosmopolite. C’est ainsi que l’on comprendra que Medellin, avec ses migrations successives brassant aujourd’hui des populations sur l’ensemble du pays, est en passe de devenir la capitale économique de la Colombie, d’autant plus qu’elle fait appel aux investisseur étrangers comme on a pu le voir.

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Cette question de l’épaisseur mémorielle des villes apparaît clairement dans un tissu que l’on pourrait définir comme ancien ou historique, et il est clair qu’elle est moins évidente dans les zones périurbaines : c’est là que se trouve le travail de l’architecte et d’autres professions, en révélant cette épaisseur mémorielle pas toujours visible, parfois inconsciente, qui peut être éphémère car générationelle.

Il est donc de plus en plus certain de la nécessité de remettre à jour les représentations des zones périurbaines, d’y intégrer des données historiques récentes et de les intégrer à des schémas de spatialités à d’autres échelles :

« On a pu parler de « la fin des territoires ». Dans cette perspective, c’est le projet même d’un découpage horizontal qui est condamné. Mais une structuration en réseau tenant compte de la multiplicité contemporaine des formes de distances, aboutit à des classements certes beaucoup moins discrétisés, mais complexes, mouvants et, de nouveau, sans efficacité opératoire. La difficulté même à les cartographier lisiblement traduit cette impuissance. (…) L’effort critique contribue à relativiser, historiciser, « dénaturaliser » ce qui nous semblait sans discussion. (…) Nous ne pouvons plus nous contenter de gérer un héritage, nous sommes placés devant l’obligation de préciser nos appartenances et de négocier nos découpages. (…) Cet appel à passer des continents aux aires d’intégration politique, économique et culturelle régionales n’est qu’un aspect de la question. La mondialisation déjà convoquée est un des facteurs de ce processus de régionalisation qui permet simultanément une meilleure intégration dans le niveau mondial et une mise à distance de celui-ci, mais elle induit également des processus qui limitent sérieusement la validité de ces nouvelles parties du monde construites volontairement. (…) En même temps, l’augmentation des flux migratoires multiplie, sur le sol même de territoires dont l’appartenance unique ne semble pas poser problème, des groupes sociaux qui ne se reconnaissent que partiellement dans l’ensemble géographique où ils se trouvent. »141

Plus que les représentations, ce sont les moyens de représentation qui sont remis en question, au profit de la pluridisciplinarité, et du croisement des informations, comme le souligne Christian Grataloup, à propos du planisphère:

« Au total, UN découpage (…) est impossible, puisqu’il brise nécessairement l’unité (…) chaque jour plus consistant (et fluctuant à la fois). Mais se contenter de ce constat, renoncer, n’est-ce pas laisser par défaut l’usage de la vieille grille obsolète de pensée de l’espace terrestre? (...) Une attitude davantage tournée vers l’avenir serait de prendre acte des découpages géopolitiques majeurs, pas tout à fait superposables aux régions économiques de temporalité plus courte, mais tout de même assez proches. »142

La représentation et l’image que la ville de Medellín a données d’elle-même ces dernières décennies est celle d’une métropole attractive qui lui vaut encore aujourd’hui une reconnaissance nationale. Cela lui permet un certain dynamisme économique, mais ne joue pas forcement en la faveur de la qualité de vie de ses habitants les plus pauvres. L’image incontournable des bidonvilles périphériques que l’on voit en décor de fond est une réalité dont la ville n’admet l’existence que difficilement encore. C’est bien là l’illustration du rôle ambigu et paradoxal que joue la représentation d’elle-même pour le reste du pays (attractive) et la représentation d’elle-même pour mieux s’autogérer. Ces représentations ne sont

141. Christian Grataloup, L’invention des continents, Larousse, 2009142. Ibid.

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Du temps des découvertes (carte de l’Amérique, XVIIIème siècle) à celui de la redécouverte d’un même territoire (Alfredo Jaar)

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pas les mêmes.

Les représentations des territoires en marge des métropoles, à plusieurs échelles, peuvent constituer un argument imparable face aux politiques urbaines dans le but de révéler une situation critique lorsque l’assise sociale n’est pas confortée ou est représentée par des organisations internationales pouvant être parfois néo-libérales. Urbanisme social, développement durable, démocratie participative, ou encore gouvernance sont aujourd’hui des notions reprises à tout va dans l’élaboration de plans directeurs conçus par des urbanistes et des politiques qui, à la recherche d’investissements, peuvent, inconsciemment ou non, introduire dans les mentalités l’idée de hiérarchie sociale au sein même de l’espace urbain. Dans un pays comme la Colombie où la notion de classes sociales est tout à fait assumée, cela pose d’autant plus un problème lorsque ces méthodes sont appliquées littéralement :

« Elles participent de fait à la construction de l’altérité et peuvent contribuer à la stigmatisation des personnes, comme les desplazados. Les habitants des quartiers n’entrant pas dans une position clairement définie par les représentations qui concourent à construire les hiérarchies des secteurs urbains deviennent « invisibles » dans la ville et, sont peu pris en compte par les politiques publiques. Le poids de ces représentations peut bloquer toute tentative d’instauration d’une solidarité entre les municipes, par crainte d’avoir à gérer les pauvres venant d’ailleurs. »143

La représentation spatiotemporelle est donc un outil de pression politique majeur à travers son rôle dans la reconnaissance de secteurs marginalisés. À tel point que la définition même de « représenter » peut être entendue comme la défense d’une cause pour laquelle on agit au nom de quelque chose ou quelqu’un. C’est ici que peuvent intervenir de nombreux acteurs, de l’architecte à l’anthropologue en passant par l’historien, dans leur rôle d’intellectuel impliquée dans un acte social.

___

La simultanéité des faits, des mouvements et des réalités finit par traverser les époques et prend forme en premier lieu dans les périphéries qui se fabriquent par tous les moyens possibles, quelque soient les matériaux utilisés, comme on a pu le constater dans les bidonvilles des pays émergents. La périphérie de ces villes-là n’est-t-elle donc pas une des formes les plus radicales, précipitées et brutales d’une mémoire rurale télescopée en ville ? La mémoire des populations rurales est donc arrivée en ville depuis des décennies déjà sans qu’une réelle évolution n’ait été senti : combien de temps faut-il pour qu’une communauté s’intègre ? Quel est le pouvoir des représentations spatiales collectives, donc urbaines, dans le processus d’intégration d’une population ? Est-ce que le « monument » prôné par Aldo Rossi est l’unique solution architecturale reliée à l’idée de mémoire collective ? Quel est le rôle de l’espace public, et dans le cas de Medellín, de l’accès à la terre pour chaque paysan ?

143. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit.

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conclusion

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La géographie et l’usage de la cartographie servent plus que jamais à faire la guerre144 : on s’en rend bien compte avec les moyens mis en oeuvre ces dernières années dans la lutte militaire colombienne contre les guérillas, via une surveil-lance aérienne et satellitaire imparable. Il paraît donc de plus en plus difficile de croire aux difficultés de lecture et de compréhension du paysage colombien dans des zones isolées et en dehors des villes, vus les outils utilisés. Mais dans un pays où le budget de l’État est toujours guidé par l’austérité et où les dépenses mili-taires sont nettement au-dessus des considérations sociales, la prise en compte de phénomènes aussi importants que les migrations internes vers les métropo-les et l’urbanisation périurbaine chaotique qui s’en suit fait encore et toujours polémique. Comment ne pas croire dès lors que le défaut de représentation con-cernant la périphérie de métropoles en construction n’est pas un acte manqué de la part des municipalités, impuissantes face à leur croissance exponantielle?

Représenter les implantations humaines en dehors du périmètre urbain serait déjà admettre leur existence et faire ainsi un premier pas vers leur reconnaissance, ce qui pourrait expliquer les réticences (face à la question) des autorités gou-vernementales. C’est la seule réponse envisageable quant à l’oubli de quartiers tels qu’Altos de la Torre, dont le travail d’enquête autour de l’émergence et de la mémoire d’une communauté nous a permis la compréhension d’un phénomène à une toute autre échelle. Combien de “taches blanches” comme Altos de la Torre peut-on dénombrer, dans la seule métropole de Medellín? Combien de ces nou-velles invasions n’ont pas encore été recensées ou sont délibérément ignorées de manière à ce qu’elles n’apparaissent pas encore sur les cartes?

Le constat est de taille : le nombre des déplacements forcés en Colombie a été multiplié par dix entre 1970 et 2000, et bien que celui-ci soit en voie d’amélioration,

144. Pour reprendre la phrase clé d’Yves Lacoste , “la géographie est d’abord malheureusement utilisée comme science étatique” (Yves Lacoste, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, 1976)

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il reste encore élevé à ce jour à l’image de la périphérie de villes comme Medellín qui ne cesse de voir apparaître de nouvelles invasions. Ce bilan colombien con-tribue largement aux 200 millions de migrants dans le monde, toutes catégories confondues, chiffre qui a triplé depuis les années 1970. L’existence d’instituts statistiques 145 ayant recensé de façon chiffrée les questions de déplacements forcés et de peuplement en Colombie sont salutaires et nécessaires à la mise en évidence d’un phénomène pour l’instant sous-évalué.

Ces estimations scientifiques vont de pair avec un travail de terrain de compréhension des logiques spatio-temporelles à plusieurs échelles, dans lequel les architectes ont leur rôle à jouer en tant qu’observateurs tout d’abord. Au même titre qu’on a pu saluer l’impact social de l’architecture contemporaine dans le paysage colombien, le travail pluridisciplinaire (d’artistes, historiens, architectes, sociologues, politiques) autour de la la question de la mémoire de communautés malmenées a toute son importance dans une société qui peine à se remettre du traumatisme de la violence armée et qui a surtout tendance à assumer sa traditionnelle stratification sociale, pourtant en plein bouleversement.

L’enseignement des bidonvilles de Medellín de l’époque du film La Vendendora de rosa (1998) est plus que jamais d’actualité, loin d’être devenu un cause dérisoire dans une ville qui a multiplié sa population et approche aujourd’hui des 4 millions d’habitants. L’érosion anthropique des versants montagneux de la Vallée d’Aburra liée à l’urbanisation trop rapide est devenue un problème majeur, avant tout révélateur de l’ambiguïté des politiques récentes en matière de logement social, alors que la classe moyenne augmente de manière significative. Nous avons pu voir l’attachement au sol d’une population paysanne encore inadaptée au secteur tertiaire sur lequel s’ouvrent les grandes villes, alors que persistent les problèmes que peuvent poser leur relogement dans des édifices de plusieurs étages.

La possibilité d’un cordon vert alimentaire en périphérie de Medellín, déjà avancée il y a plusieurs années avec le schéma directeur du Primed et remise à jour récemment de manière trop timide par le plan Bio 2030, semble refaire surface. L’idée sous-jacente serait de revaloriser l’actuelle transition périurbaine pour en faire une zone de production agricole, intégrant ainsi le savoir-faire des communautés rurales face aux besoins grandissants de la métropole. Dans l’histoire des schémas directeurs, cette zone poreuse a maintes fois fait l’objet de spéculations plus ou moins encourageantes, mais qui n’ont jamais vu le jour, faute de financements. D’autre part, celle-ci n’encouragerait-elle pas en contrepartie la venue plus massive de populations rurales, alors que le réel problème à l’origine du phénomène est celui de l’expropriation?

L’urbanisation spontanée (et à une autre échelle le logement indigne) constitue une esquisse pour la ville de Medellín, un premier schéma indécis, à cheval sur une limite fragile aussi bien physique et géologique qu’administrative, qui peut faire chavirer une communauté toute entière d’un moment à l’autre, en cas de délogement ou de catastrophe naturelle. C’est en ce point que réside la véritable

145. Comme le DANE, CODHESS, dont les chiffres sont souvent revus à la baisse par les autorités gouvernementales.

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faiblesse d’un système qui joue de son ambiguïté pour séduire économiquement les populations rurales et les attirer en ville, et exclure les mêmes populations en les mettant en péril. Nous sommes confrontés au cas de population en transition, certes stigmatisée, mais qui a l’espoir d’un futur meilleur. Elle s’installe dans une zone de non-droit, un paysage de transition où les services publics sont piratés et les loyers souvent désuets, une zone perçue comme un ascenseur social en quelque sorte.

De notre tentative de saisir une transition périurbaine afin de comprendre ce que pourrait être l’acte de fondation d’un quartier de nos jours, nous sommes passés à la compréhension d’une transition non seulement physique, mais surtout territoriale de communautés rurales déplacées qui continuent d’affluer et de s’intégrer à cette périphérie. L’analyse d’un échantillon de cette périphérie indécise et oubliée, en l’occurrence Altos de la Torre, s’avère être révélatrice d’une situation complexe qui s’articule avec l’ensemble du territoire national et fait se téléscoper plusieurs échelles simultanément. C’est ici que se fait le renversement de perspective qui nous fait saisir le fait que la périphérie elle-même constitue une représentation simplifiée des logiques spatiales et des problématiques d’une société.

Dès lors, l’idée de cartographier pour dénoncer prend tout son sens. Cette prise de position en faveur d’une communauté de Medellín est un acte non redevable qui nous aura permis de saisir les enjeux à double tranchant de la représentation des marges urbaines, tout en participant au devoir de mémoire d’une population. C’est avant tout le récit d’un quartier oublié : un parmi tant d’autres. Et si les archi-tectes, dans leur travail multidisciplinaire, pouvaient jouer le rôle de témoins, met-tant à profit leurs instruments de lecture de l’espace et du temps? Il s’agit de faire émerger un paysage périurbain qui existe déjà et se trouve confronté à des forces politiques et écologiques qui font polémique. Par la représentation, on passe du non-dessiné au non-dit, à la révélation d’une situation alors rendue officielle. Le long processus de reconnaissance d’un secteur marginalisé semble accéléré par le travail de mémoire, avec le constat qu’une pratique tonique de l’histoire permet de regarder l’actualité avec distance. Comme le souligne Marc Bloch :

« Témoigner, c’est désormais laisser une trace de l’existence d’un peuple qui aura disparu, empêcher qu’il soit rayé de « la mémoire du monde »146

Dans quelle mesure allons-nous vers une représentation mémorielle des espaces périurbains permettant la célébration de la mémoire collective, essentielle à la fabrication de la ville?

146. -Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Colin, 1999

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leXiQue

(termes espagnols en italique)

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alcadia

“Mairie” en espagnol. L’éléction du maire à Medellín se fait depuis 1988. Aníbal Gaviria Correa est le nouveau maire depuis le 31 de décembre 2011. Il succède à Sergio Fajardo Valderrama et à Alonso Salazar Jaramillo.

comuna

“Commune” en espagnol : Commune périphériques au centre urbain de Medellin. Le terme est devenu quelque peu péjoratif dans la mesure où il est associé aux quartiers populaires Il y a une dizaine de communes à Medellin.

desplazados

“Déplacés” en espagnol : Personne déplacée par la violence à l’intérieur de la Colombie. Statut reconnu officiellement par l’État colombien depuis 1997 (loi 387)

estrado

“Classe / strate sociale” en espagnol:« Outil qu’utilise l’État afin de classifier les immeubles résidentiels en accord avec la DANE, qui tient compte du  niveau  de  vie  des  propriétaires, l’équipement  de  services  publics domiciliaires,  l’emplacement  (urbain, rural), le contact avec des colonisations environnantes. Chaque municipalité doit  réaliser  la  stratification  des immeubles  résidentiels  par  districts (…) Un estrato 6 cotise pour payer les charges (eau, electricité et gaz) d’un 1, les 5 celles des 2 et les 4 celles des 3. Il y a donc bien une répartition sociale au  niveau  de  l’énergie  et  de  l’eau 

inexistante dans d’autres secteurs de la société (pas d’assurance chômage par exemple).1

exode rural

Migration des personnes de la campagne vers la ville, considérée comme exagérée; c’est donc une notion très relative, et qui relève davantage de la politique, de l’idéologie ou de la polémique que de l’évaluation scientifique, laquelle se contentera de parler de migrations sans porter de jugement de valeur.2

fondation

Le paradoxe réside dans le fait que c’est aussi bien un terme désignant un élément d’infrastructure dans le bâtiment (« travaux destinés à assurer à la base la stabilité d’une construction. », « d’édifier une oeuvre »1) que l’ « action de fonder (une ville) », un acte de création, et en l’occurrence dans les périphéries émergentes et encore récentes (bidonville, auto-construction), très peu de maisons sont basés sur des fondations dignes de ce nom. (L’antithèse de « fonder » étant : « abolir, détruire, renverser »). En d’autres terme, l’homonyme (fondation) qui désigne l’acte de fonder un ville, un quartier et celui qui décrit la base d’un bâtiment (réservé aux constructions pérennes) ne se rencontrent pas dans tous les cas dans la mesure ou les premières constructions de l’homme dans un paysage sont très souvent

1. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, Villes et sociétés en mutation, Lectures croisées sur la Colombie, Economica, 20042. Roger Brunet, op. cit. p.442

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éphémères. Fonder signifie aussi en droit: V. Juste, légitime, raisonnable, et souligne alors l’aspect juridique de toute construction dans son acte de création (question juridique également liée à celle de la reconnaissance).

genèse

La notion de « genèse » vient du latin genesis qui signifie « naissance », mais aussi « génération » qui désigne à la fois une tranche d’âge, une catégorie dans le temps, (voire une communauté ?). Accolé au préfixe re-, on obtient « régénération » qui nous parle d’une répétition dans le temps, une nouvelle naissance (« re-naissance »), en bref, une seconde vie. On est alors autant dans le monde biologique de la cellule qui se régénère, que dans le cycle architectural annonçant un renouveau périodique et une période de prospérité.

guerilla

“Petite guerre” en espagnol. “Diminutif de guerre, (...) Faite d’embuscades, de harcèlements, d’actions rapides suivies de non moins rapides disparitions, la guerilla suppose de très bien connaître le terrain [d’action] et d’avoir le soutien d’une population locale. (...) Si elle permet de s’emparer des zones rurales en y rendant la vie impossible à l’ennemi, le recours aux armes lourdes, les siennes ou celles d’un puissant allié, est indispensable pour enlever les grandes villes et la capitale [sic] : la guérilla est une stratégie de conquête de la périphérie, pas du

centre.”3

impuesto

“Impact” en espagnol. Dynamique (d’un projet sur l’économie et la vie sociale). Se dit frequement dans le langage courant lorsque l’on parle des opérations d’urbanisation d’un secteur, lorsque qu’apparaît une véritable rupture dans la manière de vivre (qui s’améliore).

invasion

“Invasion” en espagnol. Appropriation à usage résidentiel de terrains sans le consentement du propriétaire. Forme minoritaire d’occupation illégale des terrains dans les villes colombiennes (contrairement à ce qu’on constate dans de nombreuses autres villes en Amérique latine), le processus le plus fréquent étant l’urbanizacion pirata.4

informel

Par essence, qui ne respecte pas les formes, ou encore mieux les formalités. S’oppose à un certaine rigidité protocolaire, à des règles contraignantes. Dans le secteur informel, la législation, les normes, les droits acquis comme la sécurité et l’hygiène sont ignorés. Sans que cela soit toutefois l’anarchie. Appliqué à l’habitat, le quartier informel qui en ressort est à cette image: hors des règles et des principes de construction habituels.5

3. Roger Brunet, op. cit., p.248 4. Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, op. cit. 5. Roger Brunet, Les mots de la géographie, Reclus-La Documentation Française, 1992, p. 278

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paisanaje

Relations sociales basées sur une communauté d’origine géographique (village, municipe, région), qui peuvent déboucher, dans les grandes villes notamment, sur des réseaux d’entraide et de solidarité.

paramilitaire

Les organisations paramilitaires peuvent être définies comme des armées privées qui : « collaborent avec l’armée ou s’acquittent des tâches normalement assumées par l’armée comme la lutte contre les guérillas. Plus exactement, elles se chargent des aspects sales et douteux de cette lutte : massacre des personnes suspectées de collaboration avec les guérillas (…) et déplacement en masse de population civile non armée » qui sont susceptibles de cacher des membres de guérillas locales.

paysage émergent

L’expression vient de l’idée optimiste qu’il existe ici et là un paysage émergent qui serait fait à paritir des espaces restants. “Le paysage est déjà là, il n’y a qu’à le révéler” nous dit l’architecte Edgar Mazo, qui a créé l’agence du même nom, Paisajes Emergentes, avec Sebastian Mejia et Luis Callejas, à Medellin en 2007.

périurbain

“Adj. et subst. : tout ce qui est autour de la ville, et en réalité fait partie de la ville par les activités et les modes de vie des habitants; le trait d’union

est admis mais n’est pas utile. (...) En fait le terme est synonyme de banlieue (...), l’emploi de ses habitants étant essentiellement fourni par l’agglomération urbaine.”6

proliférant

Terme utilisé par Maurice Besset en 1966, dans Nouvelle architecture française : “brutalisme proliférant”. Nous utiliserons ici la notion dans le texte dans une toute autre logique, faisant référence à l’urbanisation périférique incontrôlable.

rebusque

Du verbe « rebuscar » , rechercher, glaner, grapiller. Expression populaire désignant la quête d’activités de subsistance pour les plus pauvres ou d’appoint pour d’autres, en recourant à tous les moyens possibles, licites ou non, le plus souvent informels.

terrain vacant

“Qui n’est pas (ou plus) occupé ; (AGRI) se dit d’une terre propre à la culture ou non ; (GEOG) peu ou non peuplé “ 7.

territoire

Un territoire au sens géographique du terme est une portion d’espace sur laquelle une société se projette et nourrit son avenir (ou ne nourrit pas, par l’oubli et la négligence d’état) en l’aménageant et le préservant.

6. Roger Brunet, op. cit., p.379 7. Trésor de la langue française,

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tugurio

“bidonville” en espagnol. Le terme varie d’un pays à l’autre.

urbanisacion pirata

“Urabanisation pirate” en espagnol . Lotissement clandestin d’un terrain acheté à son propriétaire mais construit sans permis ou sans conformité avec les règles d’urbanisme (formule beaucoup plus courante dans les villes colombiennes que l’invasion pure et simple).

violencia

“Violence” en espagnol. Période de guerre civile des années 1950.

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biblioGrAPHie / iconoGrAPHie

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OUVRAGES

-Alfredo Molano, Los Desterrados : Cronicas Del Desarraigo, El Ancora Editores, 2001-Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, Villes et sociétés en mutation, Lectures croisées sur la Colombie, Economica, 2004-Sebastien Marot, L’art de la mémoire le territoire et l’architecture, La Villette, 2010John Turner, Housing by people, Towards Autonomy in Building Environments, Marion Boyars Publishers Ltd , 2000-Bernard Rudofsky, Architecture Without Architects, Museum of Modern Art, New York, 1964-Michel Agier. L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Éditions des Archives Contemporaines, « Une pensée d’avance », 1999-Max Risselada et Dirk van den Heuvel, Team X, 1953-81, dans search of a Utopia of the present, Nai, 2005-Carlos Mesa, Superficies de contacto : adentro, en el espacio, Mesa Editores, 2010-Colette Pétonnet, On est tous dans le brouillard, Ethnologie des banlieues, Paris, Editions Galilée, 1979-Serge Santelli, Medinas : L’architecture traditionnelle en Tunisie, Dar Ashraf ed., 1992-Georges Candilis, Bâtir la Vie, éd. Stock, 1977-Guy Debord, La Société du Spectacle, Buchet/Chastel, 1967-John Turner, Freedom to Build: Dweller Control of the Housing Process, New York: Macmillan, 1972-Rodrigo Rubio Vollert, Ciudades urgentes intervención en áreas urbanas de crecimiento rápido Grupo de Investigación en Gestión y Diseño de Vivienda, Departemento de Arquitectura, Universidad de los Andes, 2006-Forrest Hylton, Colombie, les heures sombres, Etude (Broché), 2008-Silvia Arango, Historia de la arquitectura en Colombia, Bogotá, Empresa Editorial Universidad Nacional, 1990-Umberto Eco, La guerre du faux, LGF, 1987-Mike Davis dans Le pire des mondes possibles, La Découverte, 2006-Jacques Gilard, Veinte y Cuarenta anos de algo peor que la soledad, 1988-Gilles Deleuze et Felix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Minuit, 1991-Mitchell Denis, Cultural Geography, Oxford, Blackwell, 2000-Harmut Rosa, Accélération : Une critique sociale du temps, Editions La Découverte, 2010-C. Aldaz, Las trayectorias de Pablo Escobar y los Ochoa han estado íntimamente, Sociedad, octobre 1999-Gilles Clément, Manifeste pour le Tiers-paysage, éd. Sujet Objet, mai 2004-Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier français, Paris, Morel, 1872-Antoine Picon, Culture numérique et architecture - Une Introduction, Birkhauser, 2010-Halbwachs, La mémoire collective -Aldo Rossi, L’architecture de la ville, 1966-Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Colin, 1999-Annette Wieviorka, L’heure d’exactitude, histoire, mémoire, témoignage, Albin Michel, 2011-Christian Grataloup, L’invention des continents, Larousse, 2009-Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Crus, Évolutions récentes de la géopolitique de la cocaïne,-Bénédicte TRATNJEK, Les lieux de mémoire dans la ville en guerre : un enjeu de la pacification des territoires, Géographie des conflits, 2011

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SITES

http://echogeo.revues.org/10163, Daniel Pécaut, La « guerre prolongée » des FARC http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/plancolombie#nb11http://www.codhes.org/http://www.comuna8.org, 15 septembre 2011http://www. historiadeantioquia.info, 28 avril 2010http://ceriscope.sciences-po.frhttp://www.scoop.it/t/geographie-des-conflitshttp://risal.collectifs.net/http://www.elmundo.com, 21 nov 2011 http://www. medellin.gov, Mapa GIS de Medellin, 2011 ; APUR, prévision du plan BIO 2030, 2007 ; Departemento Administrativo de Planeacion, Alcadia de Medellin, Mapa del Municipio de Medellin, 2006http://www.comuna8.org, 15 septembre 2011http://www.untechoparamipais.org/colombia/sitio/http://proyectosurbanosintegrales.blogspot.com/p/que-es-el-pui.html

RAPPORTS - TABLES RONDES

-Mesa Interbarrial de desconectados, Accès aux services publiques domiciliaires et le problème de la déconnexion dans la Comuna 8, décembre 2010-Mabel González Bustelo, Desterrados, el desplazamiento forzado en Colombia, Médicos Sin Fronteras-España, année inconnue-Colegio Sol de Oriente, Declaración Final Encuentro por Vivienda y Hábitat Comuna 8, 24 de septiembre de 2011-Secretaria Planeación Municipal, Respuesta a derecho de petición 201100205949 firmado por Nelson Valderrama, líder del programa de Unidad de Asentamientos en Desarrollo y Vivienda, 21 juin 2011-Respuesta entregada por ISVIMED ante cuestionamiento generado por el Cabildo Constitucional Abierto Vivienda y conexos comuna 8, 30 de octobre 2010-SIMPAD, Respuesta a derecho de petición con radicado 201100209288 (signé par Camilo Zapata directeur de SIMPAD), 30 mai 2011-Secretaria del medio ambiente et alii, 2005, p. 5, annexe 3-AMVA, base de données DesInventar, mai 2007-Carlos Velásquez - Mesa de Vivienda y Servicios Públicos Domiciliarios Comuna, Comuna 8 sin vivienda digna y politicas de gestion del riesgo, décembre 2011.-Respuesta entregada por EDU, y secretarias de Planeación y Medio Ambiente de la Alcaldía, ante cuestionamiento generado por el Cabildo Constitucional Abierto Vivienda y conexos comuna 8, 30 octobre 2010

PLANNIFICATION URBAINES

-Atelier Parisien d’Urbanisme, Medellin urbanismo social, Contribution à l’élaboration du plan bio 2030, (mission de conseil de l’APUR en 2010-2011), septembre 2011-Alcadia de Medellin, Bio 2030 Plan director Medellin - Valle de Aburra, Mesa Editores, diciembre 2011 -Alcadia de Medellin, Medellin, guia de la transformacion ciudadana. 2004-2011, Mesa Editores, 2011-Plan de desarrollo local Comuna 8, 2008-2018-Municipio de Medellin, Programa integral de mejoramiento de barrios informales de Medellin (Primed),1992-2001-Alcadia de Medellin – acuerdo municipas #46, Plan de ordenamiento territorial 2006– Municipio Medellin, 2006

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ARTICLES

-Elyssa Pachico, Medellin’s Turbulent Comuna 13, http://insightcrime.org/investigations/insight-exclusives/item/2068-medellins-turbulent-comuna-13, mai 2011 -Cabildo Constitucional Abierto de Vivienda y Conexos, Ediles JAL Comuna 8, Periódico Visión 8 - Edición 30-Le Monde Diplomatique, Comment désarmer la capitale?, janvier 2012

DICTIONNAIRES

-Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés -Roger Brunet, Les mots de la géographie, Reclus-La Documentation Française, 1992,-Trésor de la Langue Française

EXPOSITIONS

-El Mapa: Cartografías críticas, Museo de arte moderno de Medellin, 2011-La memoria recyclada, réalisée au Museo de Antioquia dans le cadre de MDE 11, Encuentro Internacional de Medellin, par l’artiste Pep Dardanyà dans le quartier de Moravia à Medellin-Medellin, Urbanismo social, avec l’APUR au Pavillon de l’Arsenal, septembre 2011-Objectif développement, nouveaux regards sur le sud avec l’agence Magnum sur le parvis de l’Hôtel de Ville, Paris, octobre 2011-Trajets : comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement, présenté en 2011 au CCA

MÉMOIRES

-Isabelle HERPIN et Serge SANTELLI, Bidonville à Nanterre, étude architecturale, Paris : Ministère des affaires culturelles, institut de l’environnement, 1973 -López-Peláez Juanita et González Luis Fernando, Marginalité et inclusion urbaine à Medellin: un regard historique à partir des instruments de planification, Autrepart #47, 2008

VIDEOS

-Rem Koolhaas, Bregtje v, Lagos Wide and Close, interactive journey into an explodind city, 2006

CONFÉRENCES

-Michel Hermelin, Transformacion geologica de los Andes y el Valle de Aburra - Géologicas, territorios en transformacion, EAFIT, 22 fevrier 2012 -Ana Elvira Velez, Géologicas, territorios en transformacion, EAFIT, 22 fevrier 2012

NB: La traduction de certains extraits d’ouvrages ou articles de l’espagnol au français, ayant été faite par moi-même peut parfois s’avérer maladroite; veuilez m’en excuser.

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IMAGES

p.17, Serge Santelli, Bidonville à Nanterre, étude architecturale, Paris : Ministère des affairesp.21, Stefano Marras, Map Kibera Project, Kianda, Kibera, Nairobi, 2008p.23, Max Risselada et Dirk van den Heuvel, Team X, 1953-81, in search of a Utopia of the present, Nai, 2005p.25, Colette Olétonnet, On est tous dans le brouillard, Paris, 1979p.27, Serge Santelli, Medinas : L’architecture traditionnelle en Tunisie, Dar Ashraf ed., 1992; Plan de Rome de Nolli, 1748, http://www.imago-terrae.com/nolliPortfolio.htmlp.29, Rem Koolhaas, Bregtje v, Lagos Wide and Close, interactive journey into an explodind city, 2006p.31, Ugo la Pietra, Arbitrare la citta, Frac Centre, 2009 ; Anonyme, Beaux Arts de Paris, 1968p.33, Urban Think Tank, projet d’escaliers Caracas, http://www.u-tt.com, 2007-2010p.39, Alcadia de Medellin, Bio 2030 Plan director Medellin - Valle de Aburra, Mesa Editores, diciembre 2011, p.31 ; Photo issue de la campagne de reconnaissance, Un techo para mi pais, Altos de la Torre, 2011p.41, photomontage fait à partir de la carte : Departemento Administrativo de Planeacion, Alcadia de Medellin, Mapa del Municipio de Medellin, 2006, et de l’image satelitte Google Earth, 2011 ; Photo issue de la campagne de reconnaissance, Un techo para mi pais, Altos de la Torre, 2011p.45, López-Peláez Juanita et González Luis Fernando, Marginalité et inclusion urbaine à Medellin (Colombie) : un regard historique à partir des instruments de planification, Autrepart, 2008/3 n° 47 ; Subdirection Metroinformacion, MapGIS de Medellin, 2011, medellin.govp.47, Alcadia de Medellin, Bio 2030 Plan director Medellin - Valle de Aburra, Mesa Editores, diciembre 2011, p.83, p.248p.49, Alcadia de Medellin, Bio 2030 Plan director Medellin - Valle de Aburra, Mesa Editores, diciembre 2011, p.242, p.243p.51, Alcadia de Medellin, Plan Acad, 2011p.53, Image issue de la conférence de Michel Hermelin, Transformacion geologica de los Andes y el Valle de Aburra - Géologicas, territorios en transformacion, EAFIT, 22 fevrier 2012 ; Elvia Ines Correa Arrango, Poblamiento, marcas territoriales y estructuras en la cuenca media de la quebrada Santa Helena, Medellin, 2000p.57, image issue de la conférence d’ Ana Elvira Velez, Géologicas, territorios en transformacion, EAFIT, 22 fevrier 2012p.61, Mesa Interbarrial de desconectados, Accès aux services publiques domiciliaires et le problème de la déconnexion dans la Comuna 8, décembre 2010p.63, photo de l’auteur, Altos de la Torre, 2011 ; comuna8.org, 15 septembre 2011p.67, photos de l’auteur, Altos de la Torre, 2011p.75, Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, Villes et sociétés en mutation, Lectures croisées sur la Colombie, Economica, 2004p.77, Peinture de l’artiste Rodrigo Callejas, date inconnue ; Photographie d’après maquette, Edgar Ignacio Mazo Zapata, date inconnuep.81, UNODC , sociedad de prensa interamericana, 2006, US fossil energy international, 2003, dans Évolutions récentes de la géopolitique de la cocaïne, Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Cruse, http://espacepolitique.revues.org/index691.html#tocto2n5 ; Suspected drug trafficking flight patterns, White House’s Office of National Drug Control, Policy, http://warnewsupdates.blogspot.com/2008_08_17_archive.html p.83, source DANE (département administratif des statistiques, 2009, conception CEPI avec http://philocarto.free.fr, dans http://ceriscope.sciences-po.fr ; Françoise Dureau, Olivier Barbary, Vincent Gouëset, Olivier Pisoat, Villes et sociétés en mutation, Lectures croisées sur la Colombie, Economica, 2004

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p.85, Medellin, Guia de la transformacion ciudana, 2004-2011p.91, Déplacement forcé dans la vallée d’Aburra, 2009, http://copacabana.areadigital.gov.co/institucional/Paginas/GaleriadeMapas.aspx ; Mapas de Desplazamiento en Antioquia 2003, Red de Solidaridad Social, http://disaster-info.netp.95, Photomontage, medellin.gov ;logements sociaux, Quebrada Juan Bobo au nord de la ville, 2009 dans http://connectivespaces.tumblr.com/p.97, photo de l’auteur, novembre 2011 ;elespectador.com, 12 octobre 2011p.103, source DANE (département administratif des statistiques, 2009, conception CEPI ; Mapa de Antioquia en tijo social, http://camilorestrepo.net/index.php?/projectos/plaza-de-la-libertad/ p.107, Lia Perjovschi, knowledge museum, 2007, http://www.elmamm.org/2011/01/el-mapa-cartografias-criticas/ ; Guy Debord, psychogéographie, 1955p.113, Silvia Arango, Historia de la arquitectura en Colombia, Bogotá, Empresa Editorial Universidad Nacional, 1990 ; alfredojaar.com

NB: les représentation du feuillet central ont été dessinées par l’auteur d’après des sources documentaires variées: p.75-81, photomontages d’après photos de l’auteur; p.85-86, sources DANE, p.86-87, d’après l’ouvrage Ciudades urgentes, 2006 , et sources CODHES et SIPOD.

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FAre

Fabriquer et representer.

outils, recherches et actions pour les territoires d’aujourd’hui.

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