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Michel HUBER La situationproblème comme facilitateur de l’activité du professeur d’Histoire. Introduction. Mon positionnement d’ancien professeur d’histoire et géographie, d’innovateur en didactique de ces deux disciplines (1), mais aussi de chercheur sur le travail enseignant au sein d’une équipe se réclamant de la didactique professionnelle me permet d’affirmer aujourd’hui qu’une avancée de la didactique de l’histoire passerait par l’analyse et la conceptualisation de l’activité du professeur d’histoire. C’est ce que permet la didactique professionnelle, une discipline récente (1990) qui fait de la formation son objet et dont les cadres théoriques et méthodologiques sont empruntés largement à l’ergonomie et à la psychologie du travail. Une recherche qui s’achève nous a permis de conceptualiser l’activité de l’enseignant dans une séance d’enseignementapprentissage. Nous avons produit une série de modèles rendant compte de cette activité. Je me propose ici de les adapter au travail du professeur d’histoire. Nous verrons ensuite quel rapprochement fécond peut s’instituer entre cette activité et la mise en œuvre des situationsproblèmes. 1.De la conceptualisation du travail de l’enseignant à celle de l’activité du professeur d’histoire. En quoi la didactique professionnelle peutelle être utile à la compréhension de l’activité de l’enseignant d’histoire ? Tout d’abord la didactique professionnelle, définie rapidement comme « analyse du travail pour la formation » s’intéresse en premier lieu au travail des acteurs et non aux savoirs comme les didactiques disciplinaires. Elle fait de la conceptualisation dans et de l’action son objet principal (P. Pastré, R. Samurçay 1997 à la suite de J. Piaget revisité par G. Vergnaud), car l’action efficace est toujours organisée au niveau conceptuel. Enfin elle s’inscrit dans une conception sociale du développement (L. Vygotski revisité par Y. Clot 1995 et P. Mayen 2001) (1)Cette pratique de l’innovation fut stimulée par mon engagement au sein du Groupe Français d’Education Nouvelle.

Personnelle » car liée à l’histoire unique de chaque sujet. · ses camarades. C’est dans la mesure où au début de l’activité on a la possibilité de formaliser ses représentations

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Michel HUBER

La situation­problème comme facilitateur

de l’activité du professeur d’Histoire.

Introduction. Mon positionnement d’ancien professeur d’histoire et géographie, d’innovateur en didactique de ces deux disciplines (1), mais aussi de chercheur sur le travail enseignant au sein d’une équipe se réclamant de la didactique professionnelle me permet d’affirmer aujourd’hui qu’une avancée de la didactique de l’histoire passerait par l’analyse et la conceptualisation de l’activité du professeur d’histoire. C’est ce que permet la didactique professionnelle, une discipline récente (1990) qui fait de la formation son objet et dont les cadres théoriques et méthodologiques sont empruntés largement à l’ergonomie et à la psychologie du travail. Une recherche qui s’achève nous a permis de conceptualiser l’activité de l’enseignant dans une séance d’enseignement­apprentissage. Nous avons produit une série de modèles rendant compte de cette activité. Je me propose ici de les adapter au travail du professeur d’histoire. Nous verrons ensuite quel rapprochement fécond peut s’instituer entre cette activité et la mise en œuvre des situations­problèmes.

1.De la conceptualisation du travail de l’enseignant à celle de l’activité du professeur d’histoire. En quoi la didactique professionnelle peut­elle être utile à la compréhension de l’activité de l’enseignant d’histoire ? Tout d’abord la didactique professionnelle, définie rapidement comme « analyse du travail pour la formation » s’intéresse en premier lieu au travail des acteurs et non aux savoirs comme les didactiques disciplinaires. Elle fait de la conceptualisation dans et de l’action son objet principal (P. Pastré, R. Samurçay 1997 à la suite de J. Piaget revisité par G. Vergnaud), car l’action efficace est toujours organisée au niveau conceptuel. Enfin elle s’inscrit dans une conception sociale du développement (L. Vygotski revisité par Y. Clot 1995 et P. Mayen 2001)

(1)Cette pratique de l’innovation fut stimulée par mon engagement au sein du Groupe Français d’Education Nouvelle.

1.1.Que (devrait) tr ansforme(r ) l’enseignant d’histoire par son activité ?

Qu’est­ce qui est transformé par le travail du professionnel ? C’est la première question, la question fondamentale, à laquelle le chercheur se réclamant de la didactique professionnelle doit répondre. Les objets à transformer pour tout formateur ce sont les représentations et les compétences de ses élèves. Les représentations sont évaluables après leur formalisation. Les compétences s’apprécient par un niveau de performance dans une tâche donnée.

Dans les enseignements généraux les objets à transformer sont surtout des représentations organisées en un système de pensée. Les didacticiens des sciences (A. Giordan, G. De Vecchi) préfèrent parler de conceptions. Dans les enseignements professionnels ce qu’il faut développer ce sont surtout des compétences. Toutefois il y a un lien évident entre représentations et compétences. De nouvelles représentations, comme des concepts, peuvent renforcer certaines compétences et des compétences particulières doivent être activées pour l’acquisition de nouvelles représentations.

Système de représentations et réseau de compétences constituent un équilibre initial que le formateur va devoir rompre et mettre en crise afin de favoriser chez l’apprenant une"rééquilibration majorante" au sens piagétien du terme et de permettre la construction d’un nouvel équilibre plus opératoire que le précédent.

En histoire ce qui est à transformer ce sont essentiellement des représentations (concept préférable ici à celui de « conception » employé par les scientifiques) d’un événement, d’une civilisation, d’un groupe social, d’un personnage historique… Il s’agit bien de véritables images­mentales, au sens presque d’images d’Epinal, qu’il convient de faire émerger. Ces représentations ont une double dimension :

­« Sociale » d’une part (d’où le concept de « représentation sociale ») dans la mesure où les membres d’un même groupe social peuvent avoir des représentations voisines. On parle de « représentation dominante »

­« Personnelle » car liée à l’histoire unique de chaque sujet. L’influence de la société ne s’y exerce ici que d’une façon indirecte, au gré des rencontres avec des personnes marquantes, des événements vécus, des livres lus…

Ces représentations sont armées par des concepts qui pourront être affinés, enrichis par d’autres. Elles ne sont pas sans rapport avec des compétences (méthodologiques) comme l’utilisation du témoignage et du document historique, sans parler de la maîtrise de moyens d’expression comme l’écriture, le dessin, le schéma… pour les formaliser.

1.2.Mise en place d’un environnement didactique.

Pour permettre l’accès à un nouvel équilibre (E2) plus performant, l’enseignant va mettre en place un environnement didactique qui va comprendre deux axes complémentaires :

­Le contrat didactique. ­Le processus didactique.

Le contrat didactique peut être défini ainsi : « contrat implicite passé entre le maître et les élèves qui garantit, si les clauses du contrat sont respectées par chacun, que les échanges dans la classe se passeront sans difficulté majeure.

Ce contrat implicite légitime les statuts, les rôles, les attentes de rôle de chacun vis­à­vis de l’autre, à condition qu’il n’y ait pas tromperie sur les marchandises ou erreur d’interprétation (F. Raynal, A. Rieunier 1997)

On peut ajouter que le contrat didactique est « cet extraordinaire levier qui permet de basculer d’un monde dans l’autre, de passer d’une culture profane à une culture scientifique. » (S. Joshua, J.J. Dupin 1993)

Le processus didactique peut être défini comme : « le parcours conçu par l’enseignant pour atteindre les objectifs (particulièrement cognitifs) qu’il s’est fixé. »

Il est nécessaire de préciser maintenant ce que comporte chacun de ces deux pôles et comment ils se déclinent dans l’enseignement de l’histoire.

1.2.1.Le processus didactique. Ce processus didactique, sur lequel nous reviendrons dans la

seconde partie lorsque nous aborderons sa dynamisation par les situations­problèmes, suppose

→La définition d’objectifs opérationnels. Nous appellerons ce travail « didactisation » (C. Raisky 1999) plutôt que « transposition didactique » (Y. Chevallard 1985) car plus large que la seule transformation des « savoirs savants » en « savoirs à enseigner » par la prise en compte d’autres objectifs que les seuls objectifs cognitifs. Ainsi en histoire il ne s’agit pas de faire des élèves de petits historiens ou des encyclopédies vivantes aptes à gagner des jeux télévisuels mais de concourir plutôt au développement de l’esprit critique et à la construction de sa citoyenneté. De ce point de vue s’affirme l’autonomie du didacticien aux objectifs éducatifs plus larges et plus fondamentaux que les seuls contenus disciplinaires par rapport à l’historien attaché à la production de savoirs nouveaux. La recherche livrera documents et interprétations utilisables par le pédagogue.

→La proposition d’une tâche concrète qui favorisera la mobilisation et la mise en mouvement des représentations et compétences.

→Le choix de documents pertinents, si possible contradictoires, qui serviront de support à cette tâche. Une nécessaire rigueur épistémologique suppose de

préciser la nature de ces documents : source, document contemporain de première main, document postérieur de seconde main, document didactique…

→La conduite dynamique des échanges, professeur(s)­élèves et élèves­élèves, lors de la mise en commun des productions issues des tâches.

→Enfin le nécessaire retour sur l’activité afin de renforcer les acquisitions, avec une indispensable vérification du rapport à la « vérité historique », ou plutôt aux faits avérés, des nouvelles représentations.

Dans ce parcours des concepts sont incontournables : rupture épistémologique, conflits cognitif et socio­cognitif, réflexivité…

1.2.2.Le contrat didactique

Dans une séance d’enseignement­apprentissage, « les rapports de l’enseignant et de l’élève sont conditionnés par un projet social extérieur qui s’impose à l’un comme à l’autre… (Il s’agit d’) un jeu où l’un des joueurs agit ouvertement sur ses partenaires afin des modifier en cours de partie. » (Ph. Jonnaert 1999)

Les règles de ce jeu constituent le « contrat didactique », ce contrat reste le plus souvent implicite. L’explicitation progressive de ce contrat peut ouvrir des espaces de développement. Cette explicitation doit permettre de dégager le sens de l’activité proposée en établissant un lien avec un projet d’apprendre. Ce contrat définit le statut et les rôles de l’enseignant et des élèves. Ceci renvoie aux concepts de dévolution et de contre­dévolution. « Par la dévolution didactique, l’enseignant, volontairement, refuse de poser des actes d’enseignement (que l’élève serait en droit d’attendre de lui) pour que l’élève

pose effectivement des gestes d’apprentissage : je refuse de faire mon métier d’enseignant pour que tu fasses ton métier d’élève. » (PH. Jonnaert) Lorsque l’élève a été au bout de ses possibilités il peut souhaiter rompre cette dévolution et demander au formateur de reprendre son rôle de « magister », c’est la contre­dévolution. Le contrat didactique est aussi le cadre d’une confrontation des rapports au savoir. Ces derniers sont généralement asymétriques, non seulement entre le maître et ses ouailles mais aussi entre les élèves eux­mêmes. Toutefois dans sa thèse A. Dalongeville montre que, chose surprenante, élèves et enseignants ont les mêmes représentations du barbare, elles­mêmes confortées par les manuels scolaires. Comment dans ces conditions faire que le contrat didactique soit un véritable espace de dialogue et de confrontation de différents points de vue ?

Le contrat didactique précise également les règles de vie de la classe qui peut différer d’une classe à l’autre, d’où l’intérêt d’essayer d’en comprendre le pourquoi. Le statut de l’erreur occupe une place particulière. L’erreur sera­t­elle considérée comme une « faute » ou comme un moment probable vers la quête d’un savoir plus complexe ?

Dans le cours d’histoire, aura­t­on le droit de dire ce qu’on pense réellement d’un événement, d’un personnage, y compris qu’il ne nous concerne pas, sans risquer de se faire « taper sur les doigts » par le maître ou de déclencher la moquerie de ses camarades. C’est dans la mesure où au début de l’activité on a la possibilité de formaliser ses représentations initiales que l’on s’engagera dans un apprentissage. Par contre en fin de séance ou de séquence, une vigilance s’imposera pour veiller à ce que les nouvelles représentations intègrent bien les faits historiques avérés, dont témoignent les sources sur lesquelles on aura travaillé.

1.3.La structure conceptuelle de l’activité du professeur d’histoire

L’objet à transformer, qui en didactique professionnelle déterminera le « concept organisateur de l’activité », ce sont les représentations des élèves que le professeur doit mettre en mouvement. La mise en mouvement de ces représentations constitue le concept organisateur de l’activité de l’enseignant d’histoire. Pour ce faire il doit jouer sur deux leviers en tension, les « variables d’action » D’une part il doit mettre en place un cadre sécurisant, avec ses régularités clairement affichées, qui fera que les apprenants oseront s’exprimer, émettre des hypothèses, tenter des choses… Mais aussi il devra installer des perturbations car tout apprentissage est le fruit d’une adaptation à des données qui changent. La régulation de ce couple « Régularité / Perturbation » constitue la « compétence critique » de l’enseignant, notamment d’histoire. Régularité et Perturbation étant, rappelons­le, les « variables d’action » Si cette régulation est trop du côté de la régularité (maternage ou « paternage » des apprenants) il ne se passera pas grand chose. La formation se réduira alors à une simple information. Si cette régulation va trop loin dans la perturbation, elle pourra susciter une angoisse inhibante et bloquer l’apprentissage. L’élève réclamera la « contre­dévolution » créant une situation nouvelle qu’il conviendra de gérer.

Cette modélisation, faisant suite à des observations de pratiques réelles, s’inscrit dans le cadre théorique piagétien. Dans une certaine mesure, la régularité serait plus en lien avec le processus d’« assimilation » et la perturbation avec celui d’ « accommodation »

Ces représentations à enrichir, à transformer ne sont pas sans rapport avec des compétences à développer chez l’apprenant. En histoire le moteur de cette mise en travail des représentations est leur confrontation avec des sources, des documents (si possible contradictoires) et leur utilisation critique. La régularité dans ce modèle final est plus à chercher dans le contrat didactique qui fixe le cadre, même s’il est possible de le faire bouger

particulièrement en jouant sur le couple « dévolution / contre­dévolution » (Jonnaert 1999) qui institue un partenariat dynamique.

La perturbation concernerait davantage le processus didactique. La mise en œuvre de situations­problèmes pourrait alors être un élément facilitateur pour susciter chez les élèves des conduites d’adaptation profitables.

Reconnaissons que les pratiques dominantes observées sont plus proches du pôle « régularité ». L’introduction dans ses pratiques de davantage de perturbations, notamment par le recours aux situations­problèmes, peut ouvrir un espace de développement professionnel intéressant.

2.La situation­problème comme instrumentation de la per turbation cognitive. La mise en œuvre de situations­problèmes peut permettre une conception dynamique du processus didactique.

2.1.Quelle définition ?

Parmi diverses définitions, nous avons choisi celle­ci, empruntée à la Revue Française de Pédagogie n°106 : « La situation­problème est une situation d’apprentissage où une énigme proposée à l’élève ne peut être dénouée que s’il remanie une représentation précisément identifiée ou s’il acquiert une compétence qui lui fait défaut, c’est­à­dire s’il surmonte un obstacle. C’est en vue de ce progrès que la situation est bâtie »

Cette définition cadre tout à fait avec l’objet qui est à transformer dans un enseignement­apprentissage, à savoir des représentations et des performances en lien avec des compétences.

2.2.Quelle dynamique ?

Le modèle ci­dessus s’efforce de dégager la dynamique d’une situation­ problème. Le point de départ est un choc dans les conceptions des élèves suscitant un conflit cognitif. Pour sortir de l’impasse, ils vont mobiliser représentations et schèmes. Pour que ce choc soit producteur d’un élan, il convient que la formalisation des représentations initiales se fasse sans retenue, sans auto­censure, sans crainte d’un jugement négatif de ses pairs ou du

professeur. Ce qui permet d’établir un lien avec le statut de l’erreur constitutif du contrat didactique et la nécessité de mettre en place des régularités facilitatrices. Ces représentations ne seront pas forcement les mêmes d’un acteur à l’autre d’où la possible émergence de conflits socio­cognitifs (C.S.C.) La recherche d’un nouvel équilibre passera en histoire, par le recours à des documents trouvés au C.D.I., dans le manuel ou sélectionnés par le maître. Puis viendra le moment de la mise en forme des nouvelles représentations et de leur comparaison avec les représentations initiales et de la prise de conscience de ce qui a favorisé cette rééquilibration majorante intégrant informations contenues dans les documents et les faits historiquement avérés. La perturbation ici sera double.

­Le choc initial qui mettra en crise le système de représentations. La métaphore sportive du contre­pied est ici la bienvenue. C’est ce déséquilibre qui générera une motivation naturelle.

­Le repérage et l’activation par l’appreneur des conflits socio­cognitifs nés de divergences dans l’appréciation de la situation­problème et de l’hétérogénéité des représentations mobilisées.

La régularité quant à elle est à rechercher dans les rites que ce type de mise en situation a produit et qui constituent une des composantes du contrat didactique.

2.3.Renforcer la per turbation lors de la construction de la situation­problème.

Tout commence avec le choix de l’objectif visé (les objectifs conceptuels sont fondamentaux) et son opérationnalisation. Pour mettre en forme une perturbation fructueuse il faut avoir une perception crédible des représentations dominantes dans le groupe

d’apprenants. Ce sont elles qui vont être la cible privilégiée et faire l’objet d’une remise en cause « (rupture épistémique »)

Toute science a connu dans son histoire des remises en cause, des changements de paradigme (l’histoire n’y a pas échappé) ; c’est ce qu’on appelle « rupture épistémologique » Ces moments sont cruciaux. Ils méritent d’être explorés. On pourra y trouver des matériaux déterminants pour la construction de situations­problèmes.

En histoire la priorité fut donné tout d’abord aux grands hommes. Ce sont eux qui « faisaient » l’histoire (grands hommes et non grandes femmes) Puis « l’école des Annales » affirma la primauté du social et de l’économique rejetant les « grands hommes » au rayon des accessoires. Aujourd’hui l’historiographie est plus mesurée. Elle ne nie pas l’importance de l’économie et de la société mais reconnaît aussi qu’une idée nouvelle peut s’incarner dans un personnage qui va la faire vivre. Ainsi on peut se poser des questions telles que Napoléon, Hitler, d’autres encore…. Ont­ils entraîné leurs peuples par une volonté de puissance hors du commun ou n’ont­ils été que portés par une vague d’inconscients collectifs agressifs travaillés par des structures démo­économiques explosives ?

Il peut y avoir un lien entre rupture épistémologique et rupture épistémique, car les représentations dominantes sont souvent en retard d’une révolution scientifique voire de deux. Ainsi les « cités lacustres », rendues célèbres par les manuels, survivent chez bien des gens.

La formulation de la situation­problème renforcera la perturbation de même que la mise en scène de documents judicieusement sélectionnés et le choix du média mobilisé. Les multi­médias aujourd’hui enrichissent les possibilités.

2.4.Quelle gestion de la tâche ? La mobilisation des représentations initiales en vue de leur transformation est

au cœur même de la tâche proposée aux élèves. Le travail en petits groupes est souhaitable afin de favoriser l’émergence de conflits sociaux­cognitifs.

La mise en commun des différentes productions suscitera des interactions verbales qu’il serait souhaitable de gérer dans le sens d’un approfondissement des contradictions, d’une exigence de justification, de plus en plus fine, des différents points de vue et d’une confrontation dynamique aux sources et documents­clés.

Le retour sur l’activité (méta­cognition ou analyse réflexive) alimentera les régularités. Peu à peu on découvre qu’apprendre c’est modifier son point de vue en intégrant connaissances et concepts nouveaux en tenant compte des avis différents des camarades ou du maître. Apprendre c’est aussi produire de nouvelles compétences en surmontant les problèmes rencontrés dans son activité. Ces explicitations deviennent des repères utiles ouvrant des espaces de développement.

3.Diverses modalités de mise en œuvre des situations­ problèmes. La didactique professionnelle nous a permis de conceptualiser différentes modalités d’instrumentation des situations­problèmes à partir de l’observation de l’activité des élèves. Le schéma suivant présente celles que nous avons rencontrées et expérimentées. Toutes sont utilisables dans l’enseignement de l’histoire, y compris l’atelier d’écriture, le jeu de formation, la pédagogie du projet… Tout dépendra de ses objectifs, de son public, de son horaire…

L’atelier d’écriture en cours d’histoire est un moyen magnifique pour commémorer les grands événements du passé, raviver les connaissances historiques de chacun, entretenir une mémoire collective… Sur trois ou quatre heures, différentes phases d’écriture, du déblocage initial à des contraintes d’écriture, véritables situations­problèmes, avec l’aide d’un large corpus documentaire (textes, photos, dessins, caricatures…) débouchent sur la production d’une plaquette commémorative voire d’un spectacle improvisé. Un atelier de ce type peut précéder

l’étude d’une période. Il favorisera la mise en effervescence des représentations de chacun, condition d’une réelle motivation pour l’étude qui suivra. Il peut aussi mettre un point final à une séquence, invitation à une formalisation créative de ses nouvelles représentations. Selon les circonstances (événement à commémorer, initiative institutionnelle, commande d’une municipalité…) des projets­élèves à caractère historique peuvent se développer. Un défi est alors proposé aux classes concernées : faire connaître à la population du territoire proche un épisode de l’histoire régionale (sans perdre de vue le lien avec l’histoire nationale, voire mondiale). Liberté pour ces classes de refuser ou d’accepter. Ceci suppose l’existence d’une petite équipe pluridisciplinaire pour conduire le projet en lien avec les programmes. Ainsi films, pièces de théâtre, romans historiques, expositions… peuvent voir le jour, favorisant l’acquisition de connaissances, de concepts, de méthodologies, de comportements nouveaux. Des situations­problèmes en appui au projet conduiront à un approfondissement de la conceptualisation. D’autres problèmes à surmonter au fil de l’action pimenteront l’aventure et enrichiront la palette des acquisitions. Encore exceptionnelle aujourd’hui dans nos systèmes éducatifs, la pratique du jeu de formation est appelée à se développer du fait de l’intérêt qu’elle suscite chez les formés et de son efficacité. L’Histoire est un terrain propice à la mise en œuvre de jeux de simulation. En simulant des acteurs du passé le joueur s’immerge dans le terreau historique, se distanciant de son vécu présent pour mieux le comprendre. Jeux­plâteaux, jeux­démarches entraînant des publics plus nombreux, place le joueur (seul ou en petits groupes) face à des problèmes générés par les situations de jeux elles­mêmes alimentées par des documents ou le comportement des acteurs. Représentations, questions, hypothèses… s’enrichissent dans les têtes. Ateliers d’écriture, projets­élèves, jeux , autant de mises en situations, inattendues en cours d’histoire, qui organisent une confrontation significative avec des sources et des documents du passé condition indispensable à l’affinement des conceptions.

Conclusion. L’analyse et la conceptualisation de l’activité du professeur d’histoire dans son cours, loin d’être un détour superflu, donne de l’épaisseur à la mise en œuvre des situations­problèmes. Elles s’affirment comme un des moyens de développement de cette compétence­critique de tout formateur qu’est la gestion du couple régularité­perturbation indispensable à la construction de représentations et de compétences nouvelles.

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