Petite vie de Marcele Lég aut

Thérèse De Scott

Petite vie deMarcel Légaut

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Photo ©C.Curdy.

9,90 €

ISBN 978-2-220-06267-9

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Parmi les témoins qui ont marqué

le catholicisme français au xxe siècle,

la figure de Marcel Légaut (1900-

1990) rayonne d’un éclat particulier.

Normalien, agrégé et docteur en

mathématiques, il exerça à l’université

de Rennes de 1927 à 1940. Il changea

radicalement de vie ensuite pour

s’établir dans un hameau de la Drôme,

en France, comme paysan et berger.

Ce croyant va surtout questionner ses

contemporains en voulant renouveler

un christianisme devenu par trop

ritualiste et moralisateur. Libre,

souvent aux frontières, il a plutôt

exercé un ministère d’influence dans

des cercles d’intellectuels chrétiens,

en approfondissant l’expérience de

la foi. Il est l’auteur de livres à succès

comme L’Homme à la recherche de

son humanité et Patience et passion

d’un croyant.

Préface de Bernard Feillet.

Thérèse De Scott a notamment publié

Témoin d’un avenir. Marcel Légaut aux

éditions du Cerf.

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Petite viede Marcel Légaut



Thérèse De Scott

Petite viede Marcel Légaut

Préfacede Bernard Feillet

Desclée de Brouwer


© Desclée de Brouwer, 2010 10, rue Mercœur, 75011 Paris ISBN : 978-2-220-06267-9ISBN pdf : 978-2-220-02414-1


Préface

C’était en 1975, je venais d’avoir quarante ans etMarcel Légaut en avait soixante-quinze. Undimanche après-midi, un ami étudiant en médecineme téléphone pour me signaler que Marcel Légauttenait une réunion à côté de chez moi àMontparnasse, chez Paul et Marie-Thérèse Abela.J’étais seul et un peu déprimé comme on l’est undimanche après-midi et je me dis : « Pourquoi pas ? »J’avais lu Introduction à l’intelligence du passé et del’avenir du christianisme (1970) et L’homme à larecherche de son humanité (1971), les deux ouvragesdécisifs de Légaut. Je n’en avais pas compris lesenjeux pour saisir l’aventure du christianisme dansle monde contemporain. Je fus alors un lecteurintéressé, mais indifférent. Désœuvré, je me rendis àla réunion qui était déjà commencée. J’entrai dansun petit salon dans lequel s’entassait une vingtainede personnes. Légaut parlait et je m’assis par terreprès de l’entrée, face à lui dans la diagonale del’assemblée. Je ne me souviens plus de ce qu’il disait,mais très vite, je fus fasciné. Et puis, je ne sais


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comment, un dialogue s’établit entre nous. Par sonattention, le groupe soutenait notre échange et j’aisaisi qu’il se passait une rencontre décisive. Cetinstant ne m’a jamais quitté et j’y repense encorecomme à celle du jeune homme riche avec Jésus. Jepense à ce jeune homme qui n’a pas pour autantbouleversé toute sa vie et qui jusqu’à la fin de sesjours a été habité par la rencontre. Il est difficiled’isoler les moments décisifs de nos vies, mais pourmoi ce jour-là une rencontre a eu lieu.

Je ne savais rien de la vie et de l’œuvre de MarcelLégaut. Mais quelques jours plus tard, de monbureau en sous-sol de la chapelle Saint-Bernard, dansla gare Montparnasse, j’appelai Charles Elhinger,éditeur au Centurion, qui publiait une belle collec-tion d’interviews où l’on retrouvait les noms deChenu, de Congar et de Sulivan. Je lui proposaid’interroger Marcel Légaut. Charles Elhinger acceptaaussitôt. Dans l’instant, j’appelai Marcel Légaut quilui aussi accepta et me dit : « Venez me voir. » Monaventure Légaut prenait corps.

Je lus ses principaux écrits et, dans moninnocence, je partis à la découverte passer huit joursavec Légaut dans sa bergerie des Granges de Leschesau cœur des montagnes du Diois. J’allais rencontrerLégaut, mais j’étais surtout parti, sans le savoir, à ladécouverte de moi-même. Le cadre était superbe etaustère, dépouillé et sans personne, invitant àl’entretien essentiel. En dehors de trois heures de


conversation libre au lever du jour, nous ne nousdisions rien. Il me laissait seul.

Attiré par sa parole et son silence, je suis entrédans la découverte de l’univers intérieur de MarcelLégaut, initié par lui à la solitude de la foi. Jésus luiaussi était seul, de cette solitude habitée qui est sonmystère et le chemin de l’aventure personnelle deson expérience mystique : seul dans la remise detout son être à l’accomplissement du mystère deDieu à travers l’accomplissement de sa propre vie etde sa mission.

Marcel Légaut ne s’en est pas remis à Jésus pouréviter d’être lui-même confronté au mystère deDieu qui l’habitait. Il n’a pas tenté d’échapper àl’ignorance où il se trouvait de ce mystère, mais ils’est livré par le chemin de sa maturité à l’explora-tion en lui-même de cette présence. Il ne s’est pasréfugié dans la répétition de l’enseignement reçupour se dispenser de devenir lui-même, mais il s’estlivré, comme à un univers encore inexploré à ladécouverte du secret unique de son humanité.Avançant dans cette exploration de la singularité deson être, habité par une présence de l’infini qu’il nepouvait atteindre, il s’en est tenu à ne rien dire dumystère de Dieu qui ne mettait pas en cause ladécouverte de cet autre mystère qu’il était pour lui-même dans le secret de son être.

Il communiait ainsi à ce qu’a été pour Jésus, dansla prise de conscience de sa mission, la découverte

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de son être unique. Progressivement la parole deMarcel Légaut sur Jésus s’est épurée. Il s’est tu sur lemystère que Jésus était pour lui-même. Il n’a pasidentifié le mystère de Jésus au mystère de Dieu.Aussi, à ma connaissance, n’a-t-il pas parlé de Jésuscomme le Fils de Dieu établi dès l’origine de sonexistence dans cette reconnaissance. Jésus a consacrésa vie à devenir fils et Légaut lui aussi a engagé sa viedans cette entreprise, unique en tout être, decomprendre et de réaliser ce que signifiait « êtrefils ». La ligne de sa spiritualité était tendue, commeun fil entre le mystère d’être un homme et lemystère de Dieu. De cette tension, il a tiré sa forceet son authenticité. Et pourtant sur ce fil, il n’a pascédé au vertige du vide, ayant choisi d’explorer toutau long du parcours de sa vie, comme in dis so cia -blement liées, la présence de tout homme à sonhumanité et la présence du mystère de Dieu enl’homme. Et plus il avançait dans la découverte deson humanité, plus grandissait pour lui l’espace dudevenir du mystère de Dieu dans l’accomplissementde l’avenir humain.

Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il ait pris àcontre-pied les théologiens de métier qui aimentranger les concepts et les organiser en dépendanceles uns des autres, depuis la création du mondejusqu’au salut assuré par la mort et la résurrectionde Jésus. Marcel Légaut ne faisait pas des dogmes unusage abusif : il surfait sur les définitions des conciles



et les querelles de chaque époque dont pourtant iln’ignorait pas l’histoire – comme en témoignel’intérêt qu’il portait comme à une promessed’avenir à la crise dite moderniste du début du siècledernier. Avec les théologiens il n’engageait pas lapolémique – même si les circonstances la provo-quaient comme avec le jésuite François Varillon –car il attendait patiemment que les théologienspuissent s’exprimer plus librement dans la sociététrès contrôlée de l’institution ecclésiale. Sans doutefut-il éclairé d’avoir rencontré, rue Monsieur, le pèreTeilhard de Chardin dont la vision universelle dumystère de Dieu dans l’humanité ne pouvait qu’ac-compagner sa propre recherche.

D’un point de vue spirituel, Marcel Légaut livraittrès modestement, mais fermement, sa propreexpérience. Et c’est ici qu’on peut dire de lui quec’était un grand témoin sans prétention de témoi-gner. À la fin de sa vie, il livrait son expérience d’uncroyant qui a traversé un siècle, et qui regarde auloin l’humanité qui devient, tout en restantmerveilleusement attentif à ses interlocuteurscontemporains. Visionnaire d’avenir et homme deson temps, il était simplement présent. Dans ledouble registre de l’intellectualité et de la spiritua-lité, il n’anticipait pas le destin de chacun, mais ilfaisait confiance à la maturation de la foi de chacun.Ainsi Marcel Légaut a éclairé et pacifié ma vie, ilm’a éveillé à la richesse et à la singularité de mon

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destin spirituel, après quelques autres sans doutequ’il n’ignorait pas, comme Maître Eckhart, Jean dela Croix et Kierkegaard.

Marcel Légaut n’était pas un « directeur spirituel »,il était un éveilleur dans l’esprit de sa vision spiri-tuelle des êtres, comme en témoigne Devenir soi etrechercher le sens de sa propre vie, publié pour lapremière fois en 1980 – dix ans avant sa mort. Il ylivre la quintessence de ce testament d’intériorité etde créativité mystique dans l’ultime vision dudernier chapitre Approche du mystère de Dieu. Touteune vie de silence et de méditation pour formulerl’essentiel de son chemin vers l’ultime.

Parfois, au cours d’une soirée, ayant remarqué laprésence attentive d’un des participants, il lui disait :« Voulez-vous que nous causions ? » Il était attentif àl’avenir spirituel de l’autre, il en percevait lapromesse encore inachevée. Il était contemplatif enl’autre de ce qu’on pourrait appeler la promesse dumystère de Dieu à venir. Le plus étonnant est qu’ilnous laissait en donnant l’impression qu’il ne nousavait rien dit, son regard nous invitait à découvrirque nous étions plus vastes que nous ne le savions.Et nous repartions songeurs sur ce mystère que noussommes à nos propres yeux.

Et maintenant qu’il est mort, il me semble que jene l’ai pas vraiment connu et que ce n’est pas grave,puisqu’il me reste encore à devenir ce que j’ai à être.Je ne dirais pas que je suis son disciple : son œuvre



m’a libéré de son œuvre et en moi la dernière pagen’est pas encore écrite. Qu’est-ce que Légaut enten-dait quand il se disait « disciple de Jésus » ? Il necherchait pas à vivre ce que Jésus a vécu, mais aprèsJésus, dans notre humanité contemporaine, il a tentéde devenir créateur et contemplatif du mystère deDieu qui nous constitue, cette part unique et incom-parable en chacun du mystère de Dieu qui devientDieu en nous.

Bernard Feillet

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Liminaire

Au regard de l’immense, toute vie humaine,si longue soit sa durée, n’est-elle pas minuscule,de peu de place sur la planète Terre, et donc « petite »?Serait dès lors rationnel le choixde n’en faire qu’un bref récit. Vite lu. Pas cher payé.Et savoir ainsi ce que fut untel de la série « Petite vie ».

Mais toi, lecteur, qui subis la contrainte communede caser à temps dans ta vie, petite, elle aussi,quantité de choses à faire, à dire, à connaître,te contenteras-tu de savoir en résuméce qu’a fait, dit, écrit, vécu Marcel Légaut ?Ce qu’il fut ? Ce qu’il est devenu?

Homme de foi, chrétien d’Occident,penseur de la condition humaine,Marcel Légaut a traversé son siècle à pas tenaces,jusqu’à pousser les portes de l’avenir,comme l’ont fait quelques hardis chercheurs.Aussi cette « petite vie », plutôt qu’un savoirsur cet homme, t’offre l’occasionde « lier connaissance » avec lui.

Est enclos dans cette vie de Marcel Légautle trésor caché de l’essentiel.Petite vie, d’un « mahâtma » de chez nous,d’une grande âme.



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