Petitot - Objectivité faible et philosophie transcendantal

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1 Journe d'tude sur la philosophie de Bernard dEspagnat IHPST, 19-20 janvier 1996

OBJECTIVIT FAIBLE ET PHILOSOPHIE TRANSCENDANTALEJean Petitot EHESS, 54 bd Raspail, 75 006 Paris [email protected]

I.

I NTRODUCTION

1. Je remercie beaucoup Michel Bitbol de son invitation et jaimerais dire avant toute chose quel point je suis honor et mu de participer cet hommage Bernard dEspagnat. A ma sortie de Polytechnique, avant que je nintgre le Centre de Mathmatiques de lcole, Bernard dEspagnat a t mon premier guide dans la recherche et jai toujours gard un souvenir extrmement vif de ses conseils. 2. Je me propose ici dexpliquer brivement pourquoi je me trouve en plein accord avec les principales thses philosophiques du Rel voil, avec laffirmation que la physique moderne offre une remarquable leon de philosophie (cf. par exemple p. 429) 1 et avec le fait que les thses philosophiques nont plus tre dbattues spculativement mais argumentes partir de rsultats scientifiques. Effectivement, la physique (et aussi les sciences cognitives et les neurosciences) commencent rendre lpistmologie dcidable. Jexpliquerai toutefois cet accord partir de mon orientation philosophique propre qui est de nature transcendantaliste. Cela pourra paratre trange puisque Bernard dEspagnat a expliqu en dtail pourquoi le kantisme lui paraissait erron ou, tout le moins, radicalement insuffisant. Je dois donc lever demble cette ambigut. Jadopte une lecture charitable des grands philosophes. Ce qui mintresse en eux nest pas tant la lettre de leur texte que loprativit de leur pense relativement des problmes fondamentaux. Je les lis comme des savants et jestime que les enfermer dans la prison exgtique de leur uvre pour en faire ce que Husserl appelait des potes du concept, cest les condamner mort. Cest dire que pour moi Kant est un fondateur et1 Les rfrences au Rel voil seront faites dans le texte.

2 un initiateur, celui de lorientation transcendantale en philosophie, comme l'taient pour d'autres orientations Euclide, Descartes, Hume ou Leibniz, etc. On admet bien que les formalistes puissent se rclamer du point de vue axiomatique dEuclide ou les phnomnologues de celui de Descartes, ou les empiristes contemporains de celui de Hume sans tre pour autant victimes d'une nostalgie archasante. Pourquoi n'en irait-il pas de mme pour Kant et le transcendantalisme qui sont incommensurablement plus proches des sciences modernes? Bref, il n'y a pour moi aucune obstruction de principe une actualit du transcendantalisme et cela malgr la guerre incessante que lui ont fait les logicistes et positivistes soucieux de rtablir le dogmatisme logique dans ses droits scolastiques pr-critiques. 3. Ceci dit, il est vident que la possibilit dune approche transcendantaliste de la physique moderne exige un remaniement profond de Kant et passe en particulier par la disjonction de deux dimensions qui se trouvent chez lui mal distingues: d'une part la dimension constitutive (doctrine de la constitution des objectivits) et d'autre part la dimension cognitive (le fait que cest une conscience qui est constituante). Kant a dcouvert la problmatique de la constitution, savoir qu'il existe des principes prescriptifs (et non pas descriptifs) de la ralit physique. Comme l'affirmait Hans Reichenbach, il s'agit l d'un rsultat philosophique minent. Mais, chez Kant, le constitutif reste fond sur une base cognitive (thorie reprsentationaliste, doctrine des facults, etc.). Comme le soulignait Schlick, chez Kant les principes constitutifs sont caractristiques de notre conscience reprsentationnelle. D'o le subjectivisme transcendantal. Bernard dEspagnat rabat clairement Kant sur son versant cognitif-mentaliste (innisme psychologique des a priori). Ses affirmations sont prcises sur ce point. Il explique par exemple (p. 17) que Kant est un idaliste (modr il est vrai, car il y a la chose en soi) pour qui le fait que lespace, le temps, la causalit soient des formes a priori de la sensibilit et de lentendement et nayant pas tre induits de lexprience, implique (p. 23) que les phnomnes soient mentaux (p. 27). L'idalisme transcendantal s'identifierait ainsi un idalisme non critique, un idalisme subjectif (un solipsisme) malgr le fait qu'il existe dans la Critique de la Raison pure (CRP) une rfutation explicite de ce type d'idalisme.2

2 Cf. dans la CRP la section Rfutation de lidalisme du Chapitre II de lAnalytique des Principes.

Kant y rfute les deux formes principales didalisme matriel que sont lidalisme problmatique rationnel de Descartes et lidalisme dogmatique de Berkeley. Quant au second, pour qui lespace est la fois une proprit de la chose en soi et une proprit impossible, il est rfut par lEsthtique transcendantale. Quant au premier, pour qui lexistence dun monde extrieur est indmontrable, il est

3 Pour ma part, je lis Kant de faon diffrente en mettant au premier plan la problmatique de la constitution et au second plan celui des structures (innes ou non) de la conscience constituante. Certes lespace et le temps comme formes des phnomnes sont mentaux au sens o notre appareil perceptif est un appareil de mesure du signal optique (et mme un extraordinaire appareil de mesure). Mais leur fonction est trs particulire. Elle est de formatter les informations (ce que Kant appelait le divers pur de la sensation). A ce titre, ce sont des formes compltement dsubjectivises.3 Il en va de mme en Mcanique quantique o ce nest pas parce que les phnomnes nexistent que mesurs par des appareils que la ralit physique se rduit pour autant un solipsisme dappareil. L'approche constitutive me parat donc tre exemplairement juste pour la mcanique classique et parfaitement prolongeable la physique moderne, condition bien sr de la recentrer sur le problme des conditions de possibilit de lexprience et de la connaissance scientifique, cest--dire sur celui de lauto-limitation de la connaissance objective relativement toute ontologie et, par consquent, sur son incompatibilit avec une logique naturelle de choses en soi substantielles, individues et indpendantes possdant des proprits. Comment ne pas se convaincre la lecture du Rel voil et dautres ouvrages sur les fondements de la physique moderne comme ceux de Baas Van Fraassen, Roland Omns ou Michel Bitbol que cest exactement cette problmatique qui y est centrale. Je vais donc essayer de montrer que dans son dbat serr avec Kant Bernard dEspagnat se rvle tre au fond assez transcendantaliste (dans le sens largi que je viens dexpliciter) mme sil remet juste titre en cause un certain nombre de limites du texte kantien partir de leur rinterprtation psychologique. 4. L'interprtation psychologique du transcendantal va dailleurs de pair chez Bernard dEspagnat avec une valuation philosophique particulire de la physique classique. Bernard dEspagnat affirme souvent (par exemple p. 330) que les thories objectivit forte comme la mcanique classique ou la relativit einsteinienne sont interprtables de faon raliste, c.a.d. en termes ontologiques, comme dcrivant une ralit indpendante.

rfut par la preuve que, dans lvidence cartsienne, lexprience interne elle-mme nest possible que sous la supposition de lexprience externe (B 275).3 Dailleurs les travaux de neurosciences montrent quel point la reprsentation neuronale de lespace est

complique et na rien voir avec la gomtrie. Elle repose sans doute sur des phnomnes de synchronisation doscillateurs neuraux. Cf. Petitot [1994a].

4 Je ne suis pas tout fait daccord avec ce point de vue. En effet, il ne fait pas justice la rvolution scientifique qua t la mcanique rationnelle classique entre Galile et Newton. Il ny a pas revenir ici sur la coupure pistmologique des sciences galilennes. Mais il faut rappeler que lobjectivit physique de la mcanique rationnelle, loin dtre ontologiquement interprtable, reprsente au contraire la rupture fondatrice avec lontologie traditionnelle dune ralit substantielle indpendante. Le fait que la mcanique dcrive une ralit spatio-temporelle (i) subordonne de faon dterminante un principe de relativit et (ii) rductible des mouvements dentits dont les proprits matrielles se rduisent la masse disjoint irrmdiablement son objectivit de toute ontologie. De mme, et pour des raisons analogues, le ralisme physicaliste dEinstein ne peut pas tre lontologie dune ralit indpendante. Certes cette ralit est indpendante au sens o les mesures ninterfrent pas avec les phnomnes. Mais elle nest pas indpendante de leur formatage spatio-temporel.4 Or une ralit ontologiquement indpendante ne peut pas tre spatiotemporelle. Il me semble donc qu'il faut introduire trois termes au lieu de deux: lontologie dune ralit indpendante (mtaphysique), lobjectivit forte de la physique spatiotemporelle (de Newton Einstein), lobjectivit faible de la Mcanique quantique. Lobjectivit faible quantique est actuellement lobjectivit forte ce que celle-ci tait autrefois lontologie. Autrement dit, lobjectivit dite forte relativement la Mcanique quantique est faible relativement lontologie. La philosophie transcendantale tant par excellence la philosophie de l'objectivit non ontologique il est naturel dessayer de la prolonger la Mcanique quantique et den rpter le geste critique bien au-del de la lettre du texte kantien pour clarifier les problmes gnosologiques que pose celle-ci quant au statut de la vrit et de la ralit .5

4 Dailleurs les neurosciences cognitives et les modles physico-mathmatiques de la perception montrent

quel point le systme visuel est un remarquable appareil de mesure (cf. plus haut): les photorcepteurs sont des capteurs de photons qui transforment le flux du signal optique en clics neuronaux (spikes) dont lorganisation rtinotopique et la cohrence temporelle permettent de reconstruire lespace et les objets tridimensionnels dans lespace. Depuis une dizaine dannes il y a une explosion de travaux concernant la physique et la gomtrie diffrentielle de la vision (ondelettes, quations de diffusion anisotropes non linaires dans un espace-chelle). Ils permettent de gomtriser et de physicaliser la phnomnologie de la perception (pour une introduction cf. Petitot [1994a]).5 Bien entendu, la physique n'a pas besoin de philosophie. Mais si l'on pose son propos des problmes

ayant trait au conflit entre objectivit et ontologie, alors la philosophie transcendantale est par excellence, presque par dfinition, un bon outil.

5 II. Q UELQUES PROBLMES TRANSCENDANTAUX DU R EL VOIL

Voici quelques points philosophiques du Rel voil qui me parassent tre de nature typiquement transcendantale. 1. La disjonction tre/phnomne (diffrence ontologique)

Bernard d'Espagnat insiste depuis longtemps, par exemple dans Une incertaine ralit, sur la diffrence tre/phnomne: c'est la science elle-mme qui (...) fournit aujourd'hui au penseur de pressantes raisons d'accepter la dualit (philosophique) de l'tre et du phnomne.6 Le concept ontologique de ralit substantielle indpendante n'est pas un concept physiquement admissible. Les contradictions de l'lmentarit renvoient la difficult fondamentale quil y a atteindre l'objectivit scientifique malgr le caractre inscable de l'interaction entre l'objet et l'appareil de mesure. Pour le rsoudre, les physiciens ont d repenser les concepts basiques de phnomne, d'observation, de systme, d'tat, d'objet, de causalit, etc. et restreindre leur application aux phnomnes. On reconnatra l l'amorce du point de vue transcendantal. C'est presque mot mot du Kant. On admet l'hypothse qu'il peut y avoir une ralit ontologique en-soi sous-jacente aux phnomnes. Celle-ci reste toutefois inobservable. Elle ne saurait par consquent tre objet d'une connaissance physique. Les thories physiques portent et ne peuvent porter que sur les manifestations de cette ralit, c'est--dire sur des observables micro-physiques. Le concept de phnomne reste donc ici dfini, comme il se doit, par l'quivalent d'une rceptivit. Mais la rceptivit n'est plus notre rceptivit sensorielle adapte aux phnomnes macro-physiques. Elle sidentifie l'ensemble des appareils d'observation. Pour paraphraser Bachelard qui parlait de cogito d'appareil propos de la physique moderne, on pourrait dire que c'est une rceptivit d'appareil. Son effet est inliminable. De mme que lespace et le temps, il produit un voilement de l'tre par le phnomne. Et l'impratif de la rduction aux observables est la traduction de l'impratif transcendantal de rduction au phnomne. Il faut insister ici sur le fait que, mme dcoupl de toute ontologie sous-jacente, un phnomne n'est pourtant pas une apparence. Il est donn et il existe une diffrence fondamentale entre le donn (gegeben) et le pens (gedacht). Il y a des formes de la donation phnomnale qui jouent un rle constitutif dans l'objectivit (problmatique kantienne de l'Esthtique transcendantale).

6 d'Espagnat [1985], p.VII.

6 La question se pose alors immdiatement : comment rejoindre l'objectivit? Pour y rpondre, les physiciens ont retrouv spontanment la thse transcendantale: il existe une lgalit propre des phnomnes observables en tant que tels. Il n'y a pas chercher une explication objective aux phnomnes partir d'une inaccessible ralit ontologique sous-jacente. On doit dfinir l'objectivit comme un ordre de lgalit. Ainsi prescriptivement dfinie comme lgalit, l'objectivit se distingue de toute ontologie. Les phnomnes ne sont insrables dans des dispositifs exprimentaux et thoriques que s'ils sont au pralable qualifis comme objets. En plus de l'ordre descriptif, toute connaissance prsuppose donc dans son principe un ordre prescriptif normatif (juridique) de lgalit objective. Il existe par consquent non seulement une diffrence ontologique entre tre et phnomne, mais galement une diffrence objective entre phnomne et objet d'exprience. Contrairement aux phnomnes, l'objet n'existe que qualifi conformment des normes, des rgles idticoconstitutives dfinissant ce que Husserl appelait une essence objective rgionale. Le concept normatif d'objet est prsuppos titre de condition de possibilit par toute activit scientifique. Il anticipe et prdtermine prescriptivement ce qui appartient en gnral et typiquement aux phnomnes de la rgion considre. Corrlat de lexprience, il possde une nature, disons, procdurale. Lerreur rcurrente des ralismes ontologiques est de confondre la dimension prescriptive de l'objet avec une dimension ontologique sous-jacente, dimension descriptive supplmentaire qui existerait en soi derrire les phnomnes et serait tout la fois exprimentalement inaccessible, thoriquement inconnaissable et malgr tout causalement efficace.7 Comment peut s'oprer la lgalisation? L'ide directrice est au fond assez simple. Elle consiste essentiellement interprter les catgories de l'objectivit partir des instances de donation des phnomnes, c.a.d. partir des formes de la manifestation. Comme l'interprtation n'est opratoire que si elle est mathmatique, il faut que ces formes soient elles-mmes mathmatises. Dans toute objectivit au sens transcendantal (ce que Kant appelait les sciences proprement dites) opre donc une hermneutique mathmatique des catgories objectivantes qui limine leur sens (leur usage mtaphysique) et repose sur la mathmatisation des instances de la donation phnomnale: elle est la forme mathmatique de limpratif de restriction des catgories aux observables (ce que Kant appelait la Dduction transcendantale c.a.d. la justification de la restriction de lapplication des catgories aux phnomnes). On retrouve ainsi lide, chre au Cercle de Vienne, dun a priorisme grammatical conformment7 Dans le domaine des mathmatiques pures on rencontre le mme type derreur rcurrente avec les

platonismes nafs qui oublient que les mathmatiques sont aussi prescriptives et postulent qu'elles ne sont que purement descriptives.

7 auquel les mathmatiques constituent une syntaxe pour la lgalisation des objets. Mais ici ce sont les mathmatiques permettant de mathmatiser les formes de la manifestation qui dterminent le type de syntaxe appropri. Chez Kant, la problmatique des formes de donation et de leur mathmatisation correspond l'Esthtique transcendantale.8 Quant l'interprtation des catgories elle s'effectue un double niveau: d'abord leur schmatisation puis, un niveau beaucoup plus profond, leur construction mathmatique. En gnral la construction mathmatique transforme de faon radicale le sens des catgories (cf. plus bas section III). D'o une disjonction caractristique entre connaissance scientifique et sens commun. Pour lgaliser les phnomnes, il faut donc disposer d'une instance objectivante trs prcise mais de nature apparemment paradoxale. Elle doit en effet permettre de tenir compte du voilement de l'tre par le phnomne, mais aussi, dans le mme temps, de dsubjectiviser le concept de phnomne. Elle doit rompre la fois avec l'ontologie et avec la psychologie. Ce problme fondamental a t rsolu en mcanique classique au moyen du concept d'espace/temps.9 Il l'a t en micro-physique quantique au moyen du concept d'amplitude de probabilit. Ce dernier permet en effet de tenir compte de l'inscabilit objet/instrument de mesure, sans pour autant faire intervenir telle ou telle thorie particulire de tel ou tel instrument de mesure particulier. C'est partir de cette instance dterminante qu'il a fallu rinterprter les catgories de l'objectivit et, en particulier, les catgories dynamiques de substance, de causalit et d'interaction. Le rle transcendantal des amplitudes de probabilit en Mcanique quantique est donc selon moi analogue celui que joue l'espace-temps en Mcanique classique. Quitte choquer certains d'entre vous, j'affirmerai donc que la fonction dterminante de cette instance est lquivalent, pour l'objectivit quantique, de ce qui, pour l'objectivit classique, est reprsent par l'Esthtique transcendantale. Rappelons que les quatre proprits caractristiques des amplitudes de probabilit (AP) sont les suivantes (|i! = tat initial, |f! = tat final) : 1) S'il existe k voies de transition indiscernables, il y a additivit des AP de chacune des voies: f i = " k f i .k

2)

S'il existe plusieurs tats finaux |f k ! discernables, il y a addditivit des f i2

probabilits:

= "k f k i

2

.

8 C'est l qu'intervient l'a priori de la structure euclidienne de l'espace. Il peut parfaitement tre remis en

cause l'intrieur mme de la perspective transcendantale si lon ne fait pas du transcendantalisme un innisme cognitif.9 Je note ici espace/temps (pour le distinguer de lespace-temps relativiste) le couple espace et temps de la

mcanique classique.

8 3) Si la transition se fait travers un tat intermdiaire e, il y a factorisation des AP: f i = f e e i . 4) AP: S'il y a plusieurs systmes indpendants, alors il y a aussi factorisation des f 1 f 2 i1i2 = f 1 i1 f 2 i2 .

Ces axiomes sont la mcanique quantique ce que sont ceux de la gomtrie la mcanique classique. Si l'on interprte les voies comme des trajectoires classiques, ils conduisent immdiatement aux intgrales de chemin de Feynman. La mcanique quantique s'labore sur cette base comme la mcanique classique s'labore sur la base de la gomtrie de l'espace/temps. De faon gnrale, la fonction d'une Esthtique transcendantale dans une stratgie de constitution est caractrise par quatre exigences : (i) dterminer des formes de la manifestation qui permettent de mettre entre parenthses le contenu subjectif du concept, par dfinition relationnel (au sens d'une relation sujet-monde), de phnomne; (ii) manifester une relativit violant les principes de toute ontologie substantialiste; (iii) fournir une base mathmatique pour la construction des catgories dynamiques (physiques) de substance, de causalit et d'interaction; (iv) conduire une interprtation non plus absolue (mtaphysique) mais seulement relative (physique) des catgories modales de possibilit (potentialit, virtualit), de ralit (actualit) et de ncessit. Ce dernier point est pistmologiquement crucial. Ce sont en effet les catgories modales qui font en gnral le plus question et la plupart des problmes philosophiques poss par le ralisme proviennent dune mconnaissance du caractre modal de la catgorie de ralit. Celui-ci se manifeste entre autres (cf. section III) par le fait que certaines proprits objectives ne rsistent pas la contrafactualit et peuvent, sans contradiction logique, tre la fois affirmes et nies (i.e. ne peuvent pas tre possdes par des objets substantiels individus au sens ontologique des verbes possder ou avoir). En mcanique quantique, les amplitudes de probabilit expriment des potentialits qui sont actualises par des oprations de mesure. Ce statut relationnel (souvent soulign par Bohr) du concept d'tat quantique ainsi que son interprtation en termes d'une extension du concept de relativit, ont t fort bien formuls par Vladimir Fock. The probabilities expressed by the wave function are the probabilities of some result of the interaction of the micro-object and the instrument (of some reading on the instrument). The wave function itself can be interpreted as the reflection of the potential possibilities of such an interaction of the micro-object (prepared in a definite way) with various types of instruments. A quantum mechanical description of an object by means of a wave function corresponds to the relativity requirement

9 with respect to the means of observation. This extend the concept of relativity with respect to the reference system familiar in classical physics. 10 En micro-physique quantique, l'Esthtique transcendantale a donc mut de nature. Elle n'est plus esthsique mais instrumentale (et dailleurs, rptons-le, la perception aussi est une mesure). Sa place reste toutefois tenue et de nombreuses difficults pistmologiques de la premire mcanique quantique venaient prcisment de la difficult qu'il y avait reconnatre le caractre strictement objectif, c.a.d. ni ontologique, ni subjectif, ni classiquement statistique, de l'indterminisme li au concept d'amplitude de probabilit. On peut relire ces dbats et se convaincre que le problme est l'exact analogue pour la micro-physique de celui de l'ambivalence du ralisme empirique et de l'idalit transcendantale de l'espace en mcanique classique. Bref, la relation entre phnomne et ralit n'est pas binaire. Elle est ternaire: en plus du phnomne observable, et de la ralit indpendante inconnaissable qui en est le fondement, elle implique le concept d'objet en tant que concept lgal et normatif. L'objet n'est pas donn dans la donation du phnomne. Il est la position objectale des actes de lgalisation des phnomnes. Il est prescriptif. Il est le corrlat des conditions de possibilit de l'exprience. Cette thse transcendantaliste typique a galement t retrouve par les physiciens. On pourra lire de fort belles pages de Gilles Cohen-Tanoudji sur le fait que la physique ne produit pas des choses (pas de valeur reprsentative), que l'objet rel de la physique est le concept mme de physique (objet normatif rgional corrlatif des actes objectivants) ou que l'essence du physique est la rationalit exprimentale (le concept d'exprience comme mta-rfrent).11 2. La ncessit de dpasser lantinomie dialectique entre le ralisme ontologique (physicalisme) et le phnomnisme mentaliste Bernard dEspagnat a souvent insist sur cet impratif. Il faut dpasser le conflit dialectique opposant un ralisme ontologique physicaliste (la science parle de la ralit indpendante) un idalisme phnomniste mentaliste (la science n'est qu'une construction smiotique sans contenu objectif). De nombreux passages du Rel voil y reviennent. Le ralisme nest pas tenable parce quil est invalid scientifiquement (p.9). Par exemple (p. 31, propos de Schrdinger), le raliste doit postuler laction causale dun rel inobservable sur le mental. Or, on ne peut pas appliquer la catgorie de cause un tel rel.

10 Cit par Max Jammer (1974], p. 202.11 Cohen-Tannoudji, Spiro [1986].

10 Lidalisme subjectif (trs diffrent de lidalisme transcendantal qui est un ralisme empirique) nest pas non plus tenable car il fait de la ralit une ralit mentale. Or, il existe un quelque chose qui rsiste, qui dit non et permet de rfuter les thories (p. 376). (Mais on pourrait dire que ce qui rsiste ce sont les donnes empiriques qui, en tant que telles, ne possdent pas le statut dobjet). Le concept d'objectivit faible en pistmologie quantique dmontre en quelque sorte le bien fond du concept transcendantal d'objectivit: des composantes pistmiques (les conditions thoriques et exprimentales d'observabilit) sont, comme le disait Bohr, un lment intrinsque i.e. constitutif de tout phnomne auquel l'expression ralit physique peut s'appliquer.12 Bref, on peut dire que, dans la microphysique quantique, l'pistmologie transcendantale devient en quelque sorte physiquement dmontrable. Ce point a t fort bien vu par certains philosophes des sciences et, en particulier, par C.F. von Weizscker.13 3. La diffrence irrductible entre objectivit forte/faible Nous venons de voir que de nombreuses thses du Rel voil confirment le bien fond d'une interprtation transcendantaliste post-kantienne de la Mcanique quantique. En rsum, on peut dire quelles concernent essentiellement: (i) la rduction aux observables et aux rsultats de mesure (pp. 34, 348); (ii) les difficults dun ralisme conventionnel; (iii) la ncessit de distinguer entre ralit indpendante sous-jacente et ralit empirique observable et effective (p. 418) et de se restreindre cette ralit empirique (i.e. lexprience) qui peut tre considre comme locale et sparable; (iv) le fait que dans linterprtation de Copenhague, la Mcanique quantique est de type phnomniste (ralit = ensemble des phnomnes) et qu'il existe chez Bohr une incompatibilit entre complmentarit et ralisme (p. 26). 4. Le problme dialectique de la non sparabilit et la seconde antinomie La non sparabilit soppose au principe de divisibilit par la pense et limage atomiste (p. 337). Transcendantalement parlant, il sagit l dun problme dialectique donnant une actualit remarquable la seconde antinomie de lAntithtique de la raison pure: quel est le lien entre la divisibilit de lespace et la compositionalit atomiste de ce qui est matriellement situ dans lespace (i.e. la compositionalit de substances12 Bohr [1935], p. 696. 13 Cf. par exemple Weizscker [1979], Folse [1978] et Honner [1982] (sur le transcendantalisme de

Bohr).

11 dcomposables en parties simples)? Linsparabilit est la dmonstration quantique de la pertinence irrductible de ce problme du lien entre la spatialit de la ralit et sa compositionalit. Je me permets de renvoyer ce propos lexcellente analyse de lAntithtique propose par Alexis Philonenko.14 Philonenko insiste sur le fait que les antinomies qui sont des conflits thses/antithses indcidables ont pour origine lillusion transcendantale (i) que, dans le cadre mme de lobjectivation des phnomnes (via leur lgalisation, en particulier causale), tout phnomne conditionn et dtermin implique la totalit inconditionne de ses conditions, et (ii) que lon peut traiter cette totalit elle-mme comme un objet (lui mme conditionn comme phnomne et comme objet catgorial). Cette illusion est une consquence normale de lapplication de la logique gnrale la ralit. Elle mconnat les contraintes schmatiques. Philonenko explique trs bien que derrire ce conflit se trouve mis en question le rle des mathmatiques: le conflit est entre un atomisme logique et un holisme gomtrique. Dans la thse (atomiste : tout est compos de parties simples), on refuse la primaut de lespace comme mthode de dtermination objective des phnomnes : les mathmatiques doivent se plier lontologie et la logique compositionnelle dentits singulires, individues, spares, indpendantes. Dans lantithse (holiste : rien nest compos, seul lunivers global a une ralit objective), on applique au contraire la gomtrisation de lobjectivit la totalit de ltre: lontologie et la logique naturelle doivent se plier la gomtrie de lobjectivit. Dans les deux cas on utilise, de faon oppose, latomisme logique ou la gomtrie comme mthodes dogmatiques de dtermination pour le monde en gnral. Mais le choix entre ces deux dogmatismes complmentaires est indcidable. La bonne position est de comprendre comment, dans la restriction aux observables, logique et dtermination gomtrique sharmonisent. 5. Le conflit dialectique entre la description physique objective de la ralit empirique et la logique naturelle La logique naturelle du sens commun est associe la langue naturelle et dcrit spontanment une ralit suppose tre indpendante en termes de substances, d'accidents, de proprits et de relations. Lui accorder un contenu ontologique conduit des antinomies dialectiques. En particulier, indpendamment dune mesure, on ne peut pas dire quune grandeur observable A possde (a) telle valeur bien dfinie et que celle ci serait une14 Philonenko [1972].

12 proprit du systme S considr (pp. 76, 234). La discussion de la thorie d'Omns et de la subordination des critres de vrit la mesure est particulirement clairante cet gard (pp. 257-260). Je me permets dinsister encore une fois sur le fait qu'une des principales caractristiques de la coupure galilenne a prcisment t d'effectuer une opration du mme ordre propos de la localisation des corps matriels. Chez Aristote (thorie des lieux naturels), la localisation est une proprit des corps: un corps a une position bien dfinie en tant que proprit. Chez Galile, le principe de relativit disjoint localisation et proprits. Selon Bernard d'Espagnat, et je partage pleinement ce point de vue, la logique naturelle est donc mentale et non objective. Je pense que le problme sous-jacent est que la ralit attribue aux proprits est en fait une modalit. A ce titre elle est entirement dpendante d'une procdure de constitution d'objectivit. En traiter de faon absolue (i.e. mtaphysique, non dpendante d'une telle procdure) conduit des antinomies dialectiques. Un tel conflit entre objectivit physique et dogmatisme logique est caractristique de l'approche transcendantale. Je vais y revenir. La ncessit dune causalit largie expliquant les lois En plus de la causalit conue comme catgorie constitutive de lobjectivit restreinte lexprience ( la ralit empirique), il y a aussi une causalit largie concernant laction de la ralit indpendante sur les phnomnes (p. 434). En tant que principe de raison suffisante, elle explique les lois en tant que celles-ci refltent les rgularits du rel. Bernard dEspagnat insiste beaucoup sur ce point dlicat (p. 356). On peut accepter une conception raliste des lois condition dadopter un ralisme structurel la Poincar et ne pas ontologiser les valeurs des lments mathmatiques intervenant dans ces lois comme si celles-ci rfraient des lments rels. Cette diffrence entre causalit stricte et causalit largie correspond dans le lexique transcendantal celle entre la causalit comme catgorie et la chose en soi comme fondement de ralit (Grund) pour les phnomnes. La chose en soi est la ralit indpendante de lexprience. Elle est pose comme fondement intelligible suprasensible des phnomnes et de leur dtermination. La dtermination sensible-catgoriale de la ralit empirique npuise donc pas ltre du rel. Mais le Grund non sensible des phnomnes, bien qu'intelligible, se situe hors connaissance puisque la connaissance, pour tre effective, exige la restriction de lapplication de la causalit aux phnomnes. La connaissance scientifique est procdurale et, en tant que telle, s'oppose au sens. Comme aime le dire Thom, elle gomtrise le sens. Toutefois, la prise en compte du Grund reste heuristiquement ncessaire la comprhension de lordre de la nature comme une hypothse, une Ide rgulatrice, une causalit finale. Dans lIntroduction la Critique de la Facult de Juger, Kant explique fort bien que lintelligible intervient en tant que principe de finalit pour comprendre la 6.

13 possibilit dun systme organis de lois empiriques. Ce principe d'organisation systmatique des lois relve de la facult de juger rflchissante. La loi de la rflexion qu'il met en jeu est la loi de spcification de la nature par rapport ses lois empiriques (p. 33). L'ordre de la nature n'est comprhensible que si l'on spcifie les lois universelles prescrites par l'entendement et ses catgories schmatises de faon pouvoir leur subordonner les lois empiriques particulires. Le principe de la rflexion pour l'organisation de la nature suivant la diversit de ses lois empiriques contingentes est la finalit de la nature en sa diversit (p.29). Jugement rflchissant et jugement dterminant Il existe en fait dans le Rel voil plusieurs rflexions qui largissent le problme de lobjectivit physique vers le jugement rflchissant au del du jugement dterminant et redonnent une tonnante actualit cette profonde opposition kantienne. Elles concernent entre autres: (i) Laffinit c.a.d. lexistence dune rgularit et dune uniformit des phnomnes naturels permettant de les organiser cognitivement (de les catgoriser, de les regrouper en fonction de leurs ressemblances/diffrences, etc.). (ii) La ralit indpendante (en soi) comme fondement de ralit (Grund et non pas cause des phnomnes). (iii) Lide dun systme possible des lois empiriques (la finalit de la nature dans sa diversit). Tout se passe comme si (als ob disait Kant) ces dimensions de la ralit taient objectives mais elles ne le sont pas au sens strict. Elles sont pourtant ncessaires la comprhension (mais non pas lexplication) de la nature. Ce sont des heuristiques, des maximes du jugement physique sans lesquelles aucune science ne serait possible. Si lon transforme ces maximes heuristiques en jugements objectifs (dterminants), alors on arrive des contradictions ( des conflits dialectiques). 8. Le ralisme lointain et le rel voil Quelle est la nature de la ralit indpendante et quel est son statut daccessibilit? Comme Bernard dEspagnat unifie ralit indpendante au sens ontologique et au sens de la physique classique, il doit dune part analyser les ralismes physicalistes et dautre part montrer que la ralit indpendante ne sidentifie pas avec cette ralit physicaliste (au sens des thories variables caches). 7.

14 La non-sparabilit et lobjectivit faible quantiques montrent que la ralit indpendante ne peut pas tre spatio-temporelle (au sens de localise) (pp. 341, 344, 376): Lespace est larne dans laquelle les phnomnes se droulent, il nest pas une arne dans laquelle la ralit indpendante voluerait (p. 376). Lespace est un a priori dapprhension des phnomnes, c.a.d. une forme de la donation phnomnale, une intuition pure. Mais le ralisme lointain (p. 324) ne concerne pas seulement les interprtations ontologiques (au sens de lobjectivit classique) de la Mcanique quantique et le caractre holistique du rel quantique. Il ne concerne pas seulement la scission impose par la Mcanique quantique entre les phnomnes (multiples et localiss) et la ralit indpendante non-sparable sous-jacente (p. 353). Il concerne aussi la cause largie et voile des phnomnes. 9. Le problme du mathmatique Un dernier point que jaimerais voquer et qui, lui, fait relativement dfaut la rflexion du Rel voil concerne le fait, souvent soulign par R. Omns,15 que la physique thorique est dans son essence mme une physique mathmatique. Cela est trs important pour valuer le type de philosophie dont on a besoin. La philosophie transcendantale est par excellence la philosophie de la physique mathmatique. Comme la affirm Jules Vuillemin (cf. section III) elle peut se dfinir comme la prise en compte philosophique du fait que lessence de lobjectivit physique est mathmatique. III. L ES MOMENTS TRANSCENDANTAUX DE LA PHYSIQUE THORIQUE

CLASSIQUE

Pour voir quune approche transcendantale de ces divers problmes reste fidle lesprit du texte kantien (sinon sa lettre), revenons un instant sur le grand texte physique de Kant, savoir les Premiers Principes Mtaphysiques de la Science de la Nature (PPM) si profondment analyss par Jules Vuillemin dans Physique et Mtaphysique kantiennes.16 Essayons d'en formuler brivement le sens en un langage un peu plus moderne. 1. Phoronomie (Cinmatique)

15 Cf. par exemple Omns [1994]. 16 Vuillemin [1955].

15 Dans la cinmatique, qui spcifie les catgories de la quantit et les Axiomes de l'intuition rglant la fonction des grandeurs extensives, deux problmes sont traits. (a) La faon dont la mesure advient, sous forme d'arithmtisation, de coordonnes, et surtout de mtrique, l'espace et au temps purement phnomnologiques. L'espace comme forme de prsentation et medium de manifestation (intuition pure) devient gomtrie (intuition formelle) en vue de la physique et sa structure euclidienne est insparable des principes de la mcanique (principe dinertie et godsiques rectilignes). (b) Les mouvements rectilignes uniformes et le groupe d'invariance de la relativit galilenne. Cela recouvre d'une part les symtries de l'espace/temps: translations temporelles, translations et rotations spatiales, etc.. (Il faut encore insister sur le fait que Kant est le premier philosophe avoir affirm, contre les dogmatismes logiques mtaphysiques (leibniziens par exemple) que l'existence de symtries spatiales tait constitutive de l'objectivit physique). Cela recouvre d'autre part le groupe proprement cinmatique des transformations galilennes (mouvements rectilignes uniformes). D'o l'affirmation du rle constitutif du principe de relativit. Ainsi que le note J. Vuillemin, c'est le principe de la phoronomie qui fournit la vritable dmonstration de l'Esthtique transcendantale et c'est la relativit du mouvement qui rend transcendantalement ncessaire la subjectivit de l'espace [son idalit transcendantale]. 17 On voit quel point on est loin de tout idalisme subjectif et solipsiste. Notons dailleurs que pour Kant, la loi d'addition des vitesses dans la relativit galilenne n'avait rien d'vident et constituait mme un problme central. En effet les vitesses sont des grandeurs intensives et non pas extensives. Leur additivit (leur vectorialit) doit donc tre dmontre en accord avec leur intensivit et cela ne va pas de soi. 18 Le mouvement n'est pas un mode de l'espace et l'additivit n'est pas que gomtrique. Elle est cinmatique. 2. 2.1. Dynamique

Le dbat avec Leibniz Comme qualit (et non plus comme quantit), la matire est remplissement de l'espace. Ce remplissement est trs diffrent d'une simple occupation (anticartsianisme). C'est un processus dynamique et nergtique propre l'intriorit substantielle de la matire. C'est ici l'un des points o le dbat de Kant avec Leibniz est le

17 Vuillemin [1955], pp. 59-60. 18 On dirait maintenant que les vitesses appartiennent, non pas R3 , mais ses espaces vectoriels tangents TxR3 (qui ne sont isomorphes R3 que parce que ce dernier est lui-mme un espace vectoriel).

16 plus serr. Pour Leibniz l'espace est imaginaire. L'intriorit substantielle, la substanceforce relle, est hors espace, bien qu'elle s'exprime spatialement. Kant maintient cette intriorit substantielle, mais seulement titre de fondement. Toutefois, comme elle est d'ordre noumnal, elle ne peut pas tre introduite dans le domaine de l'objectivit. Elle doit tre dtermine travers sa seule extriorisation (sa spatio-temporalisation travers le mouvement). Il s'agit par consquent de conqurir un concept purement spatio-temporel de Dynamique qui ne relve plus de la chose en soi. Mais cela implique la fondation de la Dynamique dans la Phoronomie. Or, comme y insiste J. Vuillemin : que la Dynamique prsuppose la Phoronomie, cela signifie la possibilit d'une rvolution copernicienne concernant la catgorie de substance, rvolution qui est sans doute le coeur de l'idalisme kantien (p. 87). C'est effectivement l que les catgories de la qualit se disjoignent irrversiblement du concept traditionnel (ontologique et mtaphysique) de substance. Le remplissement de l'espace/temps par la matire est une tension dynamique pour l'occupation. Il est le rsultat du conflit de forces fondamentales attractives et rpulsives engendrant la cohsion des corps, leurs phases matrielles et leurs interactions. Ces forces fondamentales primitives internes qui doivent tre bien distingues des forces drivatives externes que sont les forces mcaniques ont un tre opaque qui s'exprime phnomnologiquement par des qualits, en loccurrence par des grandeurs intensives. Kant va donc laborer dans la Dynamique le traitement mathmatique des grandeurs intensives. Mais l'on voit que cela laisse entirement ouvert le problme du concept dynamique de matire. L'intriorit substantielle gnratrice des qualits dynamiques demeure en fait hors construction. C'est un problme central abord dans l'Opus Postumum 19 et lgu par Kant l'avenir. L'Opus Postumum et la physique des formations phnomnales Dans ces rflexions ultimes, Kant envisage entre autres une gense physique de la phnomnalit elle-mme, phnomnalit conue comme la manifestation d'une intriorit substantielle de la matire pour un dispositif de perception. L'OP est hant par un retour de l'en soi dynamique leibnizien limin dans la CRP et les PPM, mais par un retour prenant l'allure d'une conqute en quelque sorte physique de cet en soi. Dans la thorie du phnomne du phnomne, il s'agit non plus tant de lgalisation objective des phnomnes que de leur origine, de leur gense partir d'un fondement. Ce fondement considr jusque l comme d'ordre noumnal doit se convertir19 J'ai analys ailleurs cette "Critique de la Raison Physique" qu'est l'Opus Postumum. Cf. Petitot

2.2.

[1990b] et [1991c].

17 en fondement physique. Avec lui, les conditions de possibilit de l'exprience traites dans la CRP doivent devenir les conditions de possibilit de la phnomnalit mme manifestant les objets physiques de la mcanique. Comme laffirme le pre Franois Marty dans sa Prface sa traduction de lOP, elles doivent permettre de comprendre ce qu'est un rel manifest (p. 378). Pour ce faire, Kant a envisag d'appliquer l'Analytique transcendantale non plus, comme dans les PPM, l'objet rgional qu'est le mouvement mais au nouvel objet rgional quest le systme des forces fondamentales conues comme forces primitives motrices internes la matire. Ces forces primitives intrieurement motrices sont beaucoup plus fondamentales que les forces extrieurement motrices et mcaniques traites dans les PPM. Elles sont dynamiques: toutes les forces primitives de la matire sont dynamiques : les forces mcaniques sont seulement drives (p. 37). Elles ne sont pas motrices travers des dplacements. Elles sont motrices en leurs parties, les unes par rapport aux autres dans l'espace occup par la matire (p. 75). Elles sont gnratrices de perception et expliquent les Anticipations de la perception (p. 38). Par extriorisation, elles engendrent des forces mcaniquement motrices tombant, elles, sous la lgislation des Analogies de l'exprience et des Postulats de la pense empirique (p. 38). Grce elles on peut comprendre la prsence (i.e. la stabilit), la formation et la composition des corps car elles forment des corps qui dterminent eux-mmes leur espace, selon la quantit et la qualit (p. 39). On peut comprendre une matire dterminant elle-mme par ses propres forces sa figure et sa structure, et rsistant leur changement, originellement et de manire uniforme (p. 47) (rsolution du problme initial de la Dynamique dans les PPM). Le fondement physique engendre les formes de l'intuition elles-mmes puisqu'il rend l'espace perceptible (p. 61). L'Esthtique transcendantale se trouve convertie en objet physique issu d'une causalit physique plus profonde. La matire n'est plus seulement, comme dans les PPM, le substrat du mouvement,

18 Elle est ce qui fait de l'espace un objet des sens empiriquement intuitionnable, le substrat de toute intuition empirique externe avec conscience (p.110). Dynamique et gomtrie diffrentielle Revenons aux PPM. Dans la Mcanique, la matire se trouve rduite la masse. Cela permet la construction mathmatique du mouvement tout en faisant l'conomie de celle, dynamique, de la substantialit20. Les catgories de la qualit et les principes associs que sont les Anticipations de la Perception se spcifient ici par le principe que l'tre physique s'externalise travers des grandeurs intensives comme la vitesse ou l'acclration. Le lien organique, systmatique, avec la cinmatique s'exprime alors comme un principe de covariance relativement au groupe d'invariance de l'espace-temps. Ainsi apparat, aprs celle du principe de relativit, l'interprtation transcendantale d'un autre principe fondamental, savoir que l'tre physique doit tre dcrit par des donnes diffrentielles variant de faon covariante. Bref, la Dynamique nous explique que, pour des raisons transcendantales, la Mcanique doit tre une gomtrie diffrentielle (et non pas une logique des proprits). Mcanique La Mcanique, qui spcifie les catgories de la relation et les principes associs que sont les Analogies de l'exprience, explique la gense des objets physiques proprement dits. Elle repose, nous venons de le voir, sur la rduction de la matire la masse. La masse devient sujet ultime dans l'espace, le mouvement devient son prdicat dterminant, et , dans la mesure o ce prdicat est spatio-temporel, la matire 3. 2.3.

20 Dans sa remarquable tude Inertia, the communication of Motion, and Kant's third law of mechanics,

Howard Duncan a analys en dtail la faon dont opre dans les PPM le fait que le concept de matire, comme tension dynamique pour l'occupation de l'espace, ne soit pas dynamiquement constructible. Une vritable ontologie de la matire exigerait que l'on puisse ramener ultimement les corps matriels un effet de forces dynamiques fondamentales oprant sur une sorte de "fluide" nergtique primordial (d'o l'anti-atomisme de Kant). Cela tant selon Kant mathmatiquement impossible, la Dynamique vince le problme et change de niveau pour se restreindre au niveau purement mcanique du mouvement (des trajectoires). Ce faisant, la gense physique de la matire est remplace par sa description scalaire comme masse inertiale. Cela permet de construire mathmatiquement le mouvement et la communication du mouvement sans construire pour autant le concept de matire. C'est cette dernire construction qui fait l'objet des rflexions visionnaires de l'OP.

19 se trouve bien traite scientifiquement partir de sa seule phnomnalit. La matire n'est plus une matire physique seconde anime par en-dessous par une materia prima extrinsquement spatiale. Inertiale, elle devient en quelque sorte une unit matire-espacetemps. Cela permet de construire mathmatiquement les catgories dynamiques (i.e. non mathmatiques), catgories qui ne pouvaient tre que schmatises au niveau de la CRP. Ce point est essentiel. Les catgories mathmatiques concernent les intuitions pures et donc l'essence comme premier principe interne de tout ce qui appartient la possibilit d'une chose. Les catgories dynamiques concernent au contraire la nature comme premier principe interne de tout ce qui appartient l'existence d'une chose. Dans la CRP, la diffrence des catgories mathmatiques qui concernent l'essence, les catgories dynamiques posent l'existence, la conditionnent tout en la laissant indtermine. Cela implique qu'elles ne soient pas constructibles. Elles ne s'appliquent qu' l'objet en gnral et ne sont que schmatisables. Mais elles deviennent constructibles lorsqu'elles s'appliquent une dtermination supplmentaire, en l'occurrence le mouvement, contenant une intuition pure. La construction commence par une rinterprtation complte de la catgorie de substance.21 A travers son schmatisme temporel qui en fait un principe de permanence, celle-ci s'identifie dsormais aux principes de conservation des grandeurs physiques, c'est--dire aux principes physiques d'invariance. On ne saurait trop insister sur l'importance pistmologique de cette rinterprtation. Elle rompt avec toutes les approches logico-ontologiques qui considrent que la science est une prdication sur les tats de choses d'une ralit indpendante. Ici, le concept de substance devient la source des lois de conservation, lois qui, une fois traduites en quations, puisent l'essentiel du contenu thorique des thories physiques. Quant au principe de causalit, il se trouve retraduit par le principe d'inertie et la loi de Newton. Enfin, quant au principe de communaut, il se trouve retraduit d'abord par le principe de l'galit de l'action et de la raction puis par le principe de l'interaction universelle qui spcifie le schme de la simultanit.

21 Il ne faut pas oublier que, pour Kant, le concept mtaphysique traditionnel (aristotlico-scholastique)

de substance comme support d'accidents n'tait qu'une simple hypotypose symbolique (cf. Critique de la Facult de Juger 59.

20 La simultanit pose dailleurs pour Kant un problme difficile. En effet, on doit en garantir l'objectivit. Or, pour cela, il faut coordonner les temps locaux en un temps cosmologique global. L'espace et le temps sont donns comme infinis au niveau de l'Esthtique transcendantale. Mais en tant qu'espace et temps de l'objectivit physique, ils sont, si on les considre globalement, de nature cosmologique. Or l'univers (le monde) n'est pas un concept objectif pour Kant (cf. les antinomies cosmologiques de la Dialectique transcendantale). Ce n'est qu'une Ide. (Cela a mme conduit Kant renier ses considrations cosmologiques pr-critiques que tous les spcialistes s'accordent pourtant juger visionnaires). Phnomnologie Ce que les PPM dveloppent sous le titre de Phnomnologie concerne les catgories de la modalit (possible, rel, ncessaire) et les principes associs que sont les Postulats de la pense empirique en gnral. 1. Ce qui s'accorde avec les conditions formelles de l'exprience (intuitions et catgories) est possible. 2. Ce qui est en cohsion avec les conditions matrielles de l'exprience (la sensation) est rel. 3. Ce dont la cohsion avec le rel est dtermin suivant les conditions gnrales de l'exprience est ncessaire (existe ncessairement). (On notera le retour de l'existence tout la fin du systmes des principes). Insistons encore une fois sur le fait que le concept de ralit est une catgorie modale qui ne possde de sens objectif que relativis une stratgie constitutive. Cinmatiquement parlant, cause de la relativit, le mouvement n'est pas un prdicat rel mais seulement possible. Il ne peut pas tre interprt comme une transformation relle de ltat interne rel du systme et de certaines de ses proprits qui seraient des proprits mcaniques intrinsques. En rduisant la matire la masse, en mettant entre parenthses les forces primitives internes et en ne traitant que des forces drivatives externes, la Mcanique sinterdit de pouvoir ramener les mesures sur le mouvement une dtermination de ltat interne du systme. C'est pourquoi on peut la fois affirmer le mouvement et le nier sans aucune contradiction logique. Autrement dit, la relativit du mouvement rend inacceptable l'interprtation spontane (ontologisante) d'noncs comme le corps S a telle position ou telle vitesse, o avoir est pris au sens de possder une proprit. De tels noncs ne supportent pas la contrafactualit puisque leur valeur de vrit prsuppose que lon ait choisi un repre inertial, c.a.d. que lon ait prcis les conditions des mesures. Il existe par consquent pour Kant un conflit irrductible entre lobjectivit physique et la logique naturelle (prdicative) du sens commun. Position (spatiale ou temporelle) absolue ainsi que vitesse absolue (d'un mouvement rectiligne uniforme) ne sont pas des observables. On peut certes considrer 4.

21 qu'il reste correct, d'un point de vue pratique, de parler comme si la localisation et le mouvement taient des proprits. Mais ce ralisme empirique de l'espace ne peut en aucun cas se doubler d'un ralisme transcendantal. La fameuse thse de l'idalit transcendantale de l'espace ne fait qu'exprimer philosophiquement cette consquence ( l'poque traumatisante) du principe de relativit. La dynamique fournit en revanche des critres de ralit du mouvement, car les forces sont relles. Cette ralit est gouverne par des lois mcaniques qui sont ncessaires, la ncessit n'tant pas ici une modalit logique mais une modalit transcendantale, une ncessit conditionnelle, relative la contingence radicale de l'exprience. On voit quel point la proscription du transcendantal par lempirisme logique a pu tre dommageable pour la philosophie de la physique. Alors que Kant avait fait un effort vertigineux pour clarifier les problmes fondamentaux poss par le statut trs particulier de lobjectivit physique (disjonction objectivit/ontologie, caractre prescriptif de la lgalisation catgoriale, rle constitutif des symtries, des contraintes de covariance et des lois de conservation, caractre modal des mesures et de la ralit physiques, inadaptation de la logique eu gard sa nature dogmatique, etc.), au lieu de poursuivre son effort paralllement aux progrs des sciences on a (et cela malgr limportance de travaux comme ceux de Cassirer sur la Relativit) remis le compteur zro et rimpos un logicisme refltant une ontologie incompatible avec lobjectivit physique. Tout leffort du criticisme a donc d tre recommenc. Etant donn lirrationalisme engag des philosophies continentales il na pu ltre que par les physiciens eux-mmes qui ont entirement rinvent le sens authentique des moments transcendantaux de lexprience et des lments critiques de la connaissance. Ceux-ci ont effectivement donn une leon la philosophie, dans tous les sens du terme. Le tabou anti-transcendantal rend parfois la situation pistmologique un peu confuse. Par exemple Baas Van Fraassen a redcouvert le caractre fondamentalement modal des concepts physiques dobservable et de ralit. Il faut faire la diffrence entre les noncs dattribution dtat et ceux dattribution de valeur dobservable: states can be identified in terms of observables, but cannot be identified with them.22 Les transitions du possible lactuel lors des mesures sont dcrites par les tats mais ne sont pas des transitions dtat. De mme quen mcanique classique les rsultats des mesures sur le mouvement ne peuvent pas tre interprts ontologiquement comme des prdicats rels des corps, de mme en Mcanique quantique les rsultats de mesure ne

22 Van Fraassen [1991], p. 278.

22 sont pas interprtables ontologiquement comme des prdicats rels des tats. Normalement de telles thses devraient tre considres comme desprit transcendantaliste. Mais tant donn le tabou, on doit les prsenter comme une nouvelle forme dempirisme. On remarque ainsi laffinit qui existe entre lapproche transcendantaliste de la Mcanique classique et les problmes philosophiques de la Mcanique quantique traits dans Le Rel voil. Certes la Mcanique quantique soulve des questions originales concernant entre autres les effets de la non commutativit des observables et le fait que les mesures exigent non seulement un protocole cinmatique mais une vritable interaction physique avec le systme. Mais la nature philosophique des problmes est clairement du mme ordre. IV. L ES P R I N C I P E S D E S Y M T R I E ET LA CONSTRUCTION DES CATGORIES D Y N A M I Q U E S D E S U B S T A N C E , DE CAUSALIT ET D ' INTERACTION 1. La tlologie transcendantale des thories physiques

Mon hypothse de travail est qu'il existe galement une structure transcendantale des thories physiques postrieures la Mcanique rationnelle et mme, plus prcisment, qu'il existe une histoire transcendantale de ces thories. Celle-ci possde, me semble-t-il, trois aspects: (i) L'approfondissement des moments transcendantaux. (ii) La remise en cause de l'exclusion d'un dynamisme interne et la thorisation du systme des forces fondamentales primitives internes la matire (et non pas drivatives externes comme les forces mcaniques). (iii) La construction au sens fort des catgories dynamiques de substance, de causalit et d'interaction, c.a.d. leur engendrement partir d'un largissement de l'interprtation mathmatique des catgories mathmatiques, c'est--dire en dfinitive d'un enrichissement des principes de relativit. La consquence en est une involution de la structure transcendantale des thories dans leurs constructions mathmatiques. Cette structure transcendantale n'est plus lisible que mathmatiquement. Si l'on met entre parenthses le contenu mathmatique spcifique des thories physiques, on n'a donc plus aucune possibilit d'accder leur signification transcendantale. J'ai tudi ailleurs trois exemples particulirement spectaculaires. 2. Le thorme de Nther et la construction de la catgorie de substance

23 Le premier exemple d'approfondissement de moment transcendantal est fourni par le thorme de Nther. Ce thorme fondamental possde selon moi un sens non seulement physique, mais galement transcendantal minent. Il montre en effet que, sous la double condition : (i) de pouvoir dcrire mathmatiquement la relation entre Cinmatique et Dynamique par l'action d'un groupe de relativit sur l'espace de phases du systme physique considr; (ii) de disposer d'une formulation variationnelle (lagrangienne ou hamiltonienne) de la Mcanique (i.e. des lois du mouvement), alors il existe une corrlation explicite entre les symtries et les grandeurs conserves. Cela correspond la construction (au sens fort) de la catgorie de substance, dj rduite par Kant aux lois de conservation. De faon plus prcise, le formalisme lagrangien-hamiltonien qui domine la physique permet d'engendrer les grandeurs physiques d'un systme partir de ses grandeurs cinmatiques extensives (positions) et intensives (vitesses). Il permet en quelque sorte de convertir du mathmatique (de l'essence) en dynamique (en existence). Le thorme de Noether dit que si un lagrangien est invariant sous un groupe de relativit un paramtre (i.e. de dimension 1), alors il existe une grandeur physique conserve au cours du mouvement (une intgrale premire). Il relie donc: (i) principes de relativit (inobservabilit de grandeurs cinmatiques absolues), (ii) symtries (invariance du lagrangien) et (iii) lois de conservation (observabilit) de grandeurs physiques corrlatives. C'est en quelque sorte le thorme transcendantal qui donne raison Kant au-del de tout ce qu'il pouvait imaginer et esprer. Les exemples les plus classiques corrlent : (i) la conservation de l'nergie au groupe d'invariance des translations temporelles; (ii) la conservation de l'impulsion au groupe d'invariance des translations spatiales; (iii) la conservation du moment angulaire au groupe d'invariance des rotations spatiales. J'ai expos ailleurs 23 les aspects modernes de ce thorme en gomtrie symplectique et en particulier le formalisme de lapplication moment, c.a.d. la faon dont on peut associer un groupe de Lie qui opre symplectiquement sur un espace de phases des intgrales premires a priori et cela de faon indpendante de tout hamiltonien (mais si un hamiltonien est invariant sous laction du groupe alors il possde ces intgrales premires). Ces rsultats renforcent considrablement le contenu synthtique a priori du thorme de Noether.23 Petitot [1992a].

24 3. La relativit gnrale et la construction de la catgorie de cause (du concept de force) Mon deuxime exemple est celui de la Relativit Gnrale (RG). On a souvent dit que la RG avait rendu impossible une lecture transcendantale de la physique moderne. Je pense toutefois que c'est exactement le contraire qui est vrai. La structure transcendantale de la RG est manifeste et remarquable. Mais elle change profondment le contenu kantien des moments transcendantaux. Comme l'a bien vu Cassirer dans son ouvrage de 1921 Zur Einsteinschen Relativittstheorie, elle les approfondit. Ce n'est que si lon interprte ces contenus de faon fixiste dans le cadre d'une interprtation cognitive inniste que l'on peut conclure l'obligation d'abandonner une lecture transcendantale. En fait, transcendantalement parlant, la RG correspond la construction de la catgorie de cause (de force). Dans l'interprtation transcendantale, cette construction consiste ramener la force un principe de relativit, c'est--dire une gnralisation de l'Esthtique transcendantale. C'est bien ce que fait la RG. En RG, les moments transcendantaux que sont les Axiomes de l'intuition (avec la Cinmatique correspondante) et les Anticipations de la Perception (avec la Dynamique correspondante) sont passs du niveau global et mtrique, qui tait le leur en mcanique newtonienne, au niveau local et diffrentiable sous-jacent. Cela n'tait videmment possible qu'aprs la conqute mathmatique de ce niveau par Riemann. Le groupe de relativit de la thorie devient alors le groupe des diffomorphismes de l'espace-temps. Les contraintes de covariance deviennent par consquent beaucoup plus importantes et cela permet de ramener la force, donc la catgorie de cause, un principe d'inertie gnralis. Les a priori gomtriques ne sont plus ds lors de nature mtrique mais de nature diffrentielle et concernent, par exemple, la cohomologie des formes diffrentielles. 24 De faon un peu plus prcise, soit E l'espace-temps muni de sa mtrique localement Minkowskienne g#. Si e$ est une base de l'espace vectoriel tangent E en x TxE et si %$ est la base duale de l'espace cotangent T*xE , le tenseur de courbure de Riemann est dfini en termes de composantes par R$&'( = < %$, [)', )(] e& > (o ) est la drivation covariante, o [,] est la fois le crochet de Lie de l'algbre de Lie des champs de vecteurs et le commutateur des oprateurs diffrentiels et o, pour % * T*xE et v * TxE , < %,v > = %(v)). Pour % * +*xE et u, v, w * + x E , on a R(%,u,v,w) = < %, R(v, w)u > avec R(v, w) = [) v , ) w] ) [v, w] .

24 Dans Petitot [1992a] jai analys en dtail dans cette perspective la gomtro-dynamique de Wheeler et

son dbat avec Grnbaum (pour ce dernier, cf. aussi plus bas section V).

25 Par contraction du tenseur de courbure de Riemann, on construit le tenseur de courbure de Ricci R# = R$$#. Par une seconde contraction, on construit la courbure scalaire R = R . Le tenseur de courbure d'Einstein est donn par G = Ricci 1/2gR (g=|det(g#)|). Il satisfait pour des raisons a prioriques purement gomtriques, en fait cohomologiques , les identits de Bianchi )G ,0. Dans les quations d'Einstein G = 8-T (o T est le tenseur dimpulsion nergie), lidentit )T ,0 formule le principe de la conservation de l'nergie (l'expression de la catgorie de substance). Elle devient une consquence de la gomtrie de l'espace-temps car elle drive de l'a priori synthtique )G , 0. Comme Hilbert l'a montr ds 1921 et comme cela a t dvelopp dans les annes 60 par Wheeler, Arnowitt, Deser et Misner,25 il est possible de driver la mtrique g # de l'espace temps E d'un principe variationnel en prenant la courbure scalaire R comme densit lagrangienne. L'action est alors : 1 4 S= . R g d x. 16 - E On dduit de cette formule un systme hamiltonien (de dimension infinie) sur l'espace fonctionnel des mtriques. Cela montre qu'en RG la mtrique ne relve plus, comme cela tait le cas en mcanique rationnelle, des catgories mathmatiques, mais bien des catgories dynamiques. Elle devient une entit physique qui doit elle-mme tre dtermine. Mais cela ne signifie pas pour autant l'invalidation de la logique transcendantale. Bien au contraire. Cela signifie seulement que l'Esthtique Transcendantale est passe du niveau mtrique global au niveau diffrentiable local. Comme nous l'avons dit plus haut, le groupe de relativit n'est plus dsormais le groupe de Galile ou le groupe de Lorentz mais le groupe Diff(E ) des diffomorphismes de E . C'est donc ce niveau que se situe dsormais le synthtique a priori. Ce dplacement de niveau permet d'absorber la catgorie de force dans un principe de relativit largi et, par l-mme, de la construire. 4. Les thories de jauge et la construction de la catgorie d'interaction

L'exemple est encore plus spectaculaire avec les thories de jauge o cest non seulement la catgorie de force (comme dans la relativit gnrale) mais aussi la catgorie dinteraction qui se trouve ramene des principes de symtries largis. Comme lexplique Yuri Manin 26:

25 Cf. Misner, Thorne, Wheeler [1973]. 26 Manin [1988].

26 From a philosophical point of view, one can speak of a new wave of geometrization of physical thought which for the first time is sweeping far beyond the boundaries of general relativity. Depuis les travaux pionniers de Chen Ning Yang et Robert Mills (1954) sur l'invariance de jauge concernant l'isospin, il existe dans les thories de jauge deux classes de champs. 1) Les champs fermioniques de matire qui sont interprts comme des sections de fibrs sur l'espace-temps. Les coordonnes des fibres sont les degrs internes de libert. Le groupe structural (i.e. le groupe de symtrie des fibres) exprime les symtries internes des particules. 2) Les champs bosoniques de jauge qui sont des champs dinteractions vhicules par des particules virtuelles dchange (des bosons) et sont interprts comme des connexions sur ces fibrs. Les particules vhiculant les interactions sont par consquent les quanta des champs de connexions sur les fibrs de matire. Le Lagrangien de Yang-Mills est la norme de la courbure des connexions. Il est invariant sous laction du groupe de jauge et lespace-temps y contribue comme champ de jauge travers la courbure scalaire de sa connexion. Les drivations covariantes permettent dexprimer gomtriquement les interactions. Plus prcisment, rappelons quen thorie quantique des champs, on dispose dune chane de procdures de dterminations objectives conduisant de principes constitutifs des modles explicites. Les principes de relativit et de symtrie fournissent des Lagrangiens L, ou mieux, des densits de lagrangien L (/,0/) dpendant des champs /(x,t) considrs et de leurs drives premires 0/. Cela permet de dfinir des actions S(1) sur des chemins 1 conduisant d'un tat initial /i = / (x, t1) un tat final /f = /(x, t2) : S(1) = . L d 4 x = .t2 t1

.

3L

(/ , 0 / ) d 3 x dt .

Les axiomes de la mcanique quantique conduisent alors de l'action S(1) la formule de Feynman (intgrale de chemin) pour l'amplitude de probabilit de transition (h est la constante de Planck): 2 2i5 / f / i = . exp S ( 7 d1 . 1) 4 1 3 h 6 Il s'agit d'une intgrale fonctionnelle dans l'espace fonctionnel des chemins. Elle n'est pas bien dfinie comme objet mathmatique (c'est l'un des principaux problmes de la thorie quantique des champs), mais elle fournit nanmoins un algorithme de calcul extraordinairement puissant. Il est bien connu que cette formule (qui est analogue aux fonctions de partition Z de la mcanique statistique) encode une quantit norme dinformation. Il est possible

27 den driver un nombre considrable de modles explicites, quantitatifs et prdictifs des phnomnes en utilisant des outils mathmatiques appropris comme par exemple: (i) les dveloppements perturbatifs; (ii) le thorme de Wick disant que tous les moments dune loi de probabilit gaussienne peuvent sexprimer en fonction de ses moments dordre 2; (iii) le thorme de la phase stationnaire disant quune intgrale oscillante ei8/(x) se concentre pour 89: sur les points critiques de la phase /(x); (iv) le groupe de renormalisation. On rencontre ici un splendide exemple dune dtermination objective conduisant de principes constitutifs des modles spcifiques et diversifis: les principes constitutifs (groupes de relativit, symtries) fournissent des Lagrangiens, qui fournissent leur tour des intgrales de Feynman, qui fournissent elles-mmes les modles: A priori constitutifs 9 Groupes de relativit et symtries 9 Lagrangiens 9 Action 9 Intgrales de chemins 9 Modles spcifiques de phnomnes.27 Dans ce contexte, les thories de jauge ont russi construire a priori les interactions en faisant dpendre les symtries internes des systmes (qui sont des symtries globales apparemment non spatio-temporelles associes aux nombres quantiques des particules) de la position spatio-temporelle. Si on localise ainsi ces symtries internes et si lon exige que les thories demeurent invariantes, on doit introduire des termes correctifs. On constate alors que ceux-ci redonnent exactement les termes d'interaction. Les forces et les interactions apparaissent ainsi de faon gnrale comme drivables de principes de conservation locaux.28 Le cas le plus simple (dcouvert par Hermann Weyl) est celui du couplage minimal entre un lectron et un champ lectromagntique F. Soit ; la fonction d'onde de l'lectron. Son volution est rgie par l'quation de Dirac. Le Lagrangien de Dirac L D est invariant sous la symtrie interne globale ; 9 e-ie