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ÉDITORIAL Peut-on utiliser la définition OMS de l’ostéoporose ? Christian Roux* Centre d’évaluation des maladies osseuses, institut de rhumatologie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint- Jacques, 75014 Paris, France (Reçu le 5 juillet 2000 ; accepté le 12 juillet 2000) densitométrie / diagnostic / ostéoporose densitometry / diagnosis / osteoporosis En 1994 a été publié un rapport d’un groupe d’experts réunis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a proposé une définition opérationnelle de l’ostéo- porose reposant sur le T-score. Les sujets dont la densité osseuse est située à plus de 2,5 écart-types de la valeur de l’adulte jeune (T < – 2,5) ont été appelés ostéoporoti- ques. On parle d’ostéoporose sévère ou fracturaire lors- que cette situation densitométrique s’accompagne d’une fracture. Les sujets ayant des densités osseuses situées entre 1 et 2,5 écart-types au-dessous de la valeur de l’adulte jeune (– 2,5 < T < – 1) ont été appelés ostéo- péniques. Le seuil T = – 2,5 a été établi sur des critères épidé- miologiques, et de bon sens. Trente pour cent des femmes ayant un T-score < – 2,5 ont eu une fracture par fragilité osseuse. La prévalence de la fracture de l’extrémité supérieure du fémur chez ces femmes est de 16 %, ce qui correspond au risque calculé. Enfin ce seuil déclare un nombre très faible de femmes jeunes ostéoporotiques. Cette définition a l’avantage de la simplicité. Elle devrait être employée dans les compte- rendus de densitométrie : « cette valeur correspond à la définition OMS de l’ostéoporose densitométrique... » pourrait remplacer l’effrayant « le seuil fracturaire est franchi ». L’usage du T-score nécessite toutefois quelques pré- cautions : – il n’est utilisable que si l’on maîtrise la valeur de référence de l’adulte jeune, et l’écart-type de cette valeur moyenne. On connaît le problème des valeurs dites normales en densitométrie. Selon que l’on utilise la courbe fournie par le constructeur ou la courbe établie localement par l’utilisateur, la proportion de femmes ostéoporotiques à Londres passe de 15 à 6 % au rachis et 23 à 3 % au col fémoral [1]. Plusieurs groupes ont établi des courbes françaises, dont les valeurs sont très comparables, et qui peuvent facilement être utilisées sur les différents appareils. On savait déjà la difficulté de la comparaison des valeurs de densité osseuse obtenues sur des appareils différents [2, 3]. L’expérience montre que l’usage de valeurs de référence différentes expose à des variations du diagnostic... – ce seuil ne s’applique pas à tous les sites osseux [4]. Par exemple dans une population de femmes de 60 ans, pour laquelle la prévalence estimée par les mesures densitométriques du rachis en incidence antéroposté- rieure est de 14 %, la prévalence devient 50 % si l’on utilise la mesure trabéculaire du rachis par scanner, 12 % si on utilise les mesures au radius, 6 % au col fémoral et 3 % au calcanéum [5]. Ces différences sont dues à une double hétérogénéité : celle du squelette d’abord : les paramètres anatomiques et histologiques sont différents d’un os à l’autre ; et celles de la maladie elle-même : la vitesse de perte osseuse et les désordres microarchitecturaux ne sont pas les mêmes d’un os à l’autre. De plus les techniques de mesure sont différen- tes en terme de précision et de reproductibilité. Le * Correspondance et tirés à part. Rev Rhum [E ´ d Fr] 2001 ; 68 : 14-5 Can practitioners use the WHO definition for osteoporosis? – Joint Bone Spine 2001 ; 68 (in press) © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833000000661/EDI

Peut-on utiliser la définition OMS de l’ostéoporose ?

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ÉDITORIAL

Peut-on utiliser la définition OMS de l’ostéoporose ?

Christian Roux*Centre d’évaluation des maladies osseuses, institut de rhumatologie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France

(Reçu le 5 juillet 2000 ; accepté le 12 juillet 2000)

densitométrie / diagnostic / ostéoporose

densitometry / diagnosis / osteoporosis

En 1994 a été publié un rapport d’un groupe d’expertsréunis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS),qui a proposé une définition opérationnelle de l’ostéo-porose reposant sur le T-score. Les sujets dont la densitéosseuse est située à plus de 2,5 écart-types de la valeur del’adulte jeune (T < – 2,5) ont été appelés ostéoporoti-ques. On parle d’ostéoporose sévère ou fracturaire lors-que cette situation densitométrique s’accompagne d’unefracture. Les sujets ayant des densités osseuses situéesentre 1 et 2,5 écart-types au-dessous de la valeur del’adulte jeune (– 2,5 < T < – 1) ont été appelés ostéo-péniques.

Le seuil T = – 2,5 a été établi sur des critères épidé-miologiques, et de bon sens. Trente pour cent desfemmes ayant un T-score < – 2,5 ont eu une fracturepar fragilité osseuse. La prévalence de la fracture del’extrémité supérieure du fémur chez ces femmes est de16 %, ce qui correspond au risque calculé. Enfin ceseuil déclare un nombre très faible de femmes jeunesostéoporotiques. Cette définition a l’avantage de lasimplicité. Elle devrait être employée dans les compte-rendus de densitométrie : « cette valeur correspond à ladéfinition OMS de l’ostéoporose densitométrique... »pourrait remplacer l’effrayant « le seuil fracturaire estfranchi ».

L’usage du T-score nécessite toutefois quelques pré-cautions :

– il n’est utilisable que si l’on maîtrise la valeur deréférence de l’adulte jeune, et l’écart-type de cette valeurmoyenne. On connaît le problème des valeurs ditesnormales en densitométrie. Selon que l’on utilise lacourbe fournie par le constructeur ou la courbe établielocalement par l’utilisateur, la proportion de femmesostéoporotiques à Londres passe de 15 à 6 % au rachiset 23 à 3 % au col fémoral [1]. Plusieurs groupes ontétabli des courbes françaises, dont les valeurs sont trèscomparables, et qui peuvent facilement être utilisées surles différents appareils. On savait déjà la difficulté de lacomparaison des valeurs de densité osseuse obtenuessur des appareils différents [2, 3]. L’expérience montreque l’usage de valeurs de référence différentes expose àdes variations du diagnostic...– ce seuil ne s’applique pas à tous les sites osseux [4].Par exemple dans une population de femmes de 60 ans,pour laquelle la prévalence estimée par les mesuresdensitométriques du rachis en incidence antéroposté-rieure est de 14 %, la prévalence devient 50 % si l’onutilise la mesure trabéculaire du rachis par scanner,12 % si on utilise les mesures au radius, 6 % au colfémoral et 3 % au calcanéum [5]. Ces différences sontdues à une double hétérogénéité : celle du squeletted’abord : les paramètres anatomiques et histologiquessont différents d’un os à l’autre ; et celles de la maladieelle-même : la vitesse de perte osseuse et les désordresmicroarchitecturaux ne sont pas les mêmes d’un os àl’autre. De plus les techniques de mesure sont différen-tes en terme de précision et de reproductibilité. Le* Correspondance et tirés à part.

Rev Rhum [Ed Fr] 2001 ; 68 : 14-5Can practitioners use the WHO definition for osteoporosis? – Joint Bone Spine 2001 ; 68 (in press)

© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1169833000000661/EDI

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parallèle classique avec les mesures de tension artériellepeut être repris : pour estimer le risque d’accident vas-culaire cérébral on ne met pas le tensiomètre sur lacarotide, mais on ne s’attend pas non plus à ce que lapression artérielle de la jambe soit comparable à celle dubras ; le seuil diagnostique s’applique seulement à lamesure du bras.

Les mesures de densité osseuse sont connues pourleur excellente spécificité (les sujets ayant des densitésbasses se fracturent) mais leur sensibilité est médiocre :un certain nombre de fractures surviennent chez lessujets à densité normale. La densité osseuse, comme lacholestérolémie, est un dosage biologique permettantde définir une maladie (ostéoporose densitométrique)et surtout d’estimer un risque de complications. Dans lasurvenue d’une fracture interviennent d’autres élé-ments : intraosseux, qualitatifs et microarchitecturaux,inaccessibles aux méthodes quantitatives, et extraosseux(risque de chutes...). Un certain nombre de facteurs derisque de fracture ont été démontrés dans des étudesprospectives, dont la diminution des paramètres ultra-sonores du calcanéum, l’augmentation des paramètresbiologiques de résorption osseuse, l’antécédent person-nel et maternel de fracture, le faible index de massecorporelle, l’intoxication tabagique... Chacun de cesfacteurs de risque a une faible valeur prédictive duchiffre de la densité osseuse. Néanmoins l’usage desmesures de densité osseuse dans des populations sélec-tionnées sur ces facteurs de risque améliore la sensibilitédes mesures. Des tentatives de calcul du risque absolu(plutôt que relatif) de fracture n’ont pour l’instant pasabouti.

Un essai thérapeutique récent a apporté la démons-tration de l’intérêt de ce seuil : lors d’un traitement parun bisphosphonate efficace, le nombre de sujets (fem-mes de plus de 65 ans) à traiter pour éviter une fractureest de 363 si le T-score fémoral est entre – 1,6 et – 2, ilest de 59 si le T-score est entre – 2 et – 2,5, maisseulement 35 si le T-score est < – 2,5 [6]. Ces chiffressont importants à considérer lorsque l’on envisage lecoût et les contraintes d’un traitement au long cours.Par ailleurs un essai thérapeutique récent a égalementmontré qu’un traitement anti-ostéoporotique était effi-cace seulement chez les sujets ostéoporotiques, c’est-à-dire chez les sujets sélectionnés sur la base d’une densitéosseuse diminuée, alors qu’il était sans efficacité appa-rente antifracturaire chez des sujets sélectionnés sur des

facteurs de risque cliniques. La conséquence pratiqueest qu’aujourd’hui on ne peut pas recommander demettre en route un traitement par bisphosphonate ouraloxifène au long cours chez des sujets ayant par exem-ple des troubles de l’acuité visuelle et un faible index demasse corporelle, deux facteurs de risque pourtantconnus de fracture. La confirmation densitométriquede la fragilité osseuse s’impose.

Ainsi la définition OMS de l’ostéoporose est utilepour le praticien, à condition de l’appliquer :– sur des mesures densitométriques réalisées par absorp-tiométrie biphotonique à rayons X,– à l’extrémité supérieure du fémur (zone totale), ou aurachis lorsque la mesure y est fiable, c’est-à-dire enl’absence d’arthrose [7].

Dans de telles conditions le résultat doit être pris encompte en même temps que l’âge, les autres facteurs derisque de fracture, et le risque du traitement envisagé.Rappelons que la mise en route d’un traitement d’unehypercholestérolémie prend en compte le chiffre de latension artérielle, l’intoxication tabagique, les antécé-dents vasculaires... Il n’existe pas d’algorithme permet-tant de calculer un score de risque en tenant compte del’ensemble des déterminants de fracture, et c’est toutl’art du praticien de pondérer pour chaque individu,dans sa décision thérapeutique, la valeur du T-score.

REFERENCES

1 Ahmed H, Blake GM, Rymer JM, Fogelman I. Screening forosteopenia and osteoporosis: do the accepted normal rangeslead to overdiagnosis? Osteoporos Int 1998 ; 8 : 432-8.

2 Kolta S, Ravaud P, Fechtenbaum J, Dougados M, Roux C.Accuracy and precision of 62 bone densitometers using a Euro-pean spine phantom. Osteoporos Int 1999 ; 10 : 14-9.

3 Kolta S, Ravaud P, Fechtenbaum J, Dougados M, Roux C.Follow-up of individual patients on two DXA scanners of thesame manufacturer. Osteoporos Int 2000 ; 11 : 524-32.

4 Faulkner KG, von Stetten E, Miller P. Discordance in patientclassification using T scores. J Clin Densito 1999 ; 2 : 343-50.

5 Varney LF, Parker RA, Vincelette A, Greenspan SL. Classifica-tion of osteoporosis and osteopenia in post menopausal womenis dependent on site specific analysis. J Clin Densito 1999 ; 2 :275-83.

6 Cummings SR, Black DM, Thompson DE, Applegate WB,Barrett-Connor E, Musliner TA, et al. Effect of alendronate onrisk of fracture in women with low bone density but withoutvertebral fractures. JAMA 1998 ; 280 : 2077-82.

7 Kanis JA, Gluër CC, for the Committee of Scientific Advisors,International Osteoporosis Foundation. An update on the dia-gnosis and assessment of osteoporosis with densitometry. Osteo-poros Int 2000 ; 11 : 192-202.

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