Philosophie et État autoritaire

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  • 7/25/2019 Philosophie et tat autoritaire

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    Bruno QULENNEC*

    Quel Platonisme ?

    Philosophie et tat autoritairechez Leo Strauss

    Leo Strauss est aujourdhui considr comme lun des reprsentants les plus importants de la philosophiepolitique du XXme sicle. Alors que sa pense fait lobjet de conflits idologiques violents aux Etats-Unis, ellene donne pas lieu, en Europe, un dbat dinterprtations. Larticle propose de soumettre les textes de Strauss une lecture double, la fois philosophique et politique. Il sagit ici contre les lectures apologtiques de situerLeo Strauss dans une tradition antilibrale et antidmocratique, mais en essayant de montrer en quoi il tente den

    renouveler les termes, particulirement dans sa rappropriation dune pense rationaliste. Larticle propose plusprcisment dexplorer les implications politiques du platonisme de Strauss, notamment tel quil est articuldans Philosophie und Gesetz (1935) en le resituant dans le contexte politique et intellectuel des annes 1920 et1930. Ce qui est premire vue un simple commentaire rudit sur la philosophie islamique et juive du Moyen-ge, savre tre une rflexion sur les rapports entre philosophie et tat autoritaire. Philosophie und Gesetz nethorise cependant ni une forme de rsistance philosophique ni lexil intrieur, mais dresse plutt le portraitdun fascisme idal et de la fonction de la philosophie lintrieur de celui-ci.

    Leo Strauss wird heute als einer der wichtigsten Vertreter der politischen Philosophie des 20. Jahrhundertsbetrachtet. Whrend sein Denken in den USA sehr umkmpft ist, findet in Europa keine Debatte um die

    Interpretation seines Werks statt. Die Texte von Strauss werden in dem Aufsatz einer doppelten, zugleichpolitischen und philosophischen Lektre unterzogen. Gegen die apologetischen Interpretationen wird seinDenken hier in einer antidemokratischen und antiliberalen Konstellation situiert. Jedoch soll auch gezeigtwerden, inwieweit er sich in eine rationalistische Tradition einzuschreiben versucht. Der Aufsatz rekonstruiertdie politischen Implikationen seines Platonismus, indem Philosophie und Gesetz (1935) im politischen undintellektuellen Kontext der 1920er und 1930er Jahren verortet wird. Was auf den ersten Blick als ein bloerKommentar der jdischen und islamischen Philosophie des Mittelalters erscheint, erweist sich als eine Reflexionber das Verhltnis zwischen Philosophie und autoritrem Staat. Philosophie und Gesetz theoretisiert jedochnicht den philosophischen Widerstand oder das innere Exil, sondern projiziert in den vormodernen Begriff desGesetzes einen idealen Faschismus und stellt die Frage nach der Rolle der Philosophie innerhalb desselben.

    Mots-cls : Leo Strauss, rvolution conservatrice, Platonisme, Platon, Philosophie und Gesetz

    * Doctorant en cotutelle la Europa-Universitt Viadrina Frankfurt (Oder) et lUniversit Paris-Sorbonne(Paris IV), il est rattach depuis 2008 au Centre Marc Bloch et actuellement boursier au sein de linstitut derecherche Transzendenz und Gemeinsinnde la TU Dresden. Il prpare une thse sur la philosophie politique deLeo Strauss [[email protected]].

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    Dans cet article, nous proposons ainsi de soumettre les textes de Strauss une lecture double, la fois philosophique et politique, en postulant avec Pierre Bourdieu quil y a toujours

    homologie [] entre la structure des prises de position philosophiques et la structure desprises de position ouvertement politiques , homologie dlimitant lventail, trs restreint,des prises de position philosophiques compatibles avec [l]es options thico-politiques (Bourdieu 1988 : 53)1. A lexception des premiers crits sionistes, Strauss a produitessentiellement des commentaires de la tradition philosophique. Ce nest donc quencomprenant ses commentaires comme des interventions dans un champ philosophiquetravaill par des questions politiques tout en les travaillant en retour - sur un mode sublim- que le caractrepolitiquede sa philosophie devient saisissable. Nous demanderons ainsi : Sila philosophie politique platonicienne , cest--dire la tradition construite par Strauss allantde Platon Maimonide en passant par Alfarabi, constitue en effet lhorizon de la pense deStrauss, de quel Platon fait-il usage et en quoi cet horizon est-il politiquement situ?

    Bien que nous plaidions pour une lecture politique des textes de Strauss, il ne sagira pas icide soulever la question mille fois pose des liens entre la pense de Leo Strauss et le no-conservatisme amricain2, mais plutt de prendre position dans le dbat beaucoup plus

    1 Bourdieu reprend dune certaine manire la dfinition althussrienne de la philosophie conue commeKampfplatz ou lutte de classe dans la thorie , en lui donnant un fondement sociologique. Pour Althusser, unephilosophie nexisterait que par la position quelle occupe, et noccupe cette position quen la conqurant sur leplein dun monde dj occup. Elle nexiste donc que par sa diffrence conflictuelle, et cette diffrence, elle nepeut la conqurir et limposer que par le dtour dun travail incessant sur les autres positions existantes (Althusser 1975 : 128).2 Jusqu' prsent, les commentateurs se sont souvent contents de retrouver ou de nier les traces

    dune influence de la pense de Strauss sur lidologie noconservatrice ou du moins une compatibilit aveccelle-ci (voir Tanguay 2006, Sfez 2006, Mnissier 2009). Cette dmarche, certes ncessaire, semble cependantpeu nous apprendre sur Strauss ou sur le no-conservatisme en tant que mouvement politique et intellectuel, tantelle est condamne sen tenir des gnralits. Il semble quil soit plus prometteur de reconstruire la rceptionmultiforme de luvre straussienne, elle-mme inscrite dans lhistoire complexe des mutations du conservatismeamricain daprs-guerre (dans ce sens : Devigne 1994, Drolet 2011, Frank 2012). On devra se contenter ici duntableau extrmement schmatique qui indique les tapes suivre pour reconstruire les rapports entre Strauss etle noconservatisme amricain :Dabord, saisir les diffrences, parfois massives, entre les straussianset Strauss ; reconstruire les tensions au seinde lcole Straussienne elle-mme : les straussians ne sont bien sr pas daccord entre eux (il y a les east-coastet les west-coast straussians) et il existe galement des carts importants entre les diffrentes gnrations dedisciples ( ce propos, voir surtout Frank 2012).Ensuite distinguer entre les noconservateurs et les straussians : la tendance no-conservatrice est en fait le

    produit dune alliance initie, au dbut des annes 1970 en raction la monte en puissance de la New Left,entre les intellectuels no-conservateurs proprement parler, qui sont le plus souvent des chercheurs en sciencessociales qui viennent du trotskysme (on pense cette gnration de juifs New-Yorkais socialise politiquementau New York City College: Daniel P. Moynihan, Nathan Glazer, Daniel Bell, Irving Kristol et NormanPodhoretz) et les straussians, disciples directs ou indirects de Strauss, moins mdiatiques mais cependantinfluents dans le champ de la thorie politique et notamment du constitutionalisme amricain (pour unereconstruction trs straussienne du dbat sur linterprtation de la dclaration dindpendance, de laconstitution amricaine et desfederalists papers, voir Marshall 2009 : 335 et suiv.) ; Alliance qui a t rompueexplicitement au moment de la deuxime guerre en Irak, o une partie de la dernire gnration de straussians(voir notamment Zuckert 2006) a revendiqu, en raction la surpolitisation de luvre de Strauss, le caractrefondamentalement zttique de la philosophie du matre.Enfin, distinguer, dans le bloc conservateur qui domine la politique amricaine depuis les annes 1980, entretrois tendancespolitiques luvre, dont les relations peuvent devenir par moment minemment conflictuelles :

    les nolibraux, les fondamentalistes chrtiens et les no-conservateurs (sur larticulation complexe de ces troismouvements idologiques, voir notamment Brown 2006).Cette reconstruction trs succincte a - nous lesprons - au moins le mrite de montrer quil ny a absolument pasde ligne continue entre Leo Strauss et la guerre en Irak.

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    gnral sur le rapport de Leo Strauss au libralisme, en passant par une gense de loeuvre.Linterprtation la plus courante veut que la critique du libralisme de ses crits de jeunessesoit lie principalement linstabilit structurelle de la Rpublique de Weimar et unengagement sioniste par dfinition anti-assimilationiste, et non une opposition de principe,

    interprtation prpare par Strauss lui-mme dans sa fameuse prface de 1965 lditionamricaine de son premier ouvrage sur Spinoza3. Strauss se serait par la suite accommodprogressivement la dmocratie librale aprs son arrive aux USA la fin des annes 1930.Ce rcit apologtique est depuis quelques annes contest raison par plusieurs auteurs quimettent en avant la continuit de son antilibralisme de droite (Sheppard 2006, Brumlik 2008,Xenos 2008, Altman 2011, Drolet 2011). Dans ces publications, la proximit de vue la foisentre Leo Strauss et Carl Schmitt est souvent mise en avant4. Dans un pamphlet de plus de600 pages, un des critiques les plus acerbes va jusqu faire de Leo Strauss le thoricien secret du national-socialisme, quil aurait essay dimporter aux Etats-Unis. Lauteurdresse le portrait dun terroriste de la pense ayant tent de faire exploser le projet libralamricain de lintrieur (Altman 2011)5.

    Il sagira bien ici contre la lecture apologtique de situer Leo Strauss dans une traditionantilibrale et antidmocratique, mais on essaiera galement de montrer en quoi il tente denrenouveler les termes, Strauss traant au sein de la constellation rvolutionnaire-conservatrice, dans laquelle il faut sen aucun doute le situer6, sa propre voie,

    3 La Rpublique de Weimar tait faible. [] Dans lensemble, elle donnait le spectacle pitoyable dune justicedpourvue de force ou dune justice incapable demployer la force (Strauss 1965 : 5). Pour une lectureattentive de la prface , qui est un petit chef duvre de composition, voir Sheppard 2006 : 118-127 ; Xenos2008 : 29-37 ; et diffrents passages disperss dans Altman 2011.4Le fait que les uvres de Strauss et de Schmitt soient aujourdhui systmatiquement confrontes lune lautreest en bonne partie d au travail dHeinrich Meier (1988) qui a canonis lopposition entre philosophie

    politique (Strauss) et thologie politique (Schmitt). On verra ici que les diffrences entre Strauss et Schmittsont peut-tre moins apprhender sur le mode de lopposition radicale que sur celui de la concurrence, les deuxpenseurs partageant finalement la mme humeur idologique.5A la diffrence du suicide bomber, lattitude de Strauss est cependant, comme lindique Altman, dnue de toutaccent sacrificiel. Son modle nest pas celui du martyr qui combat pour sa foi, mais celui de Socrate, qui dans lalecture straussienne, ne boit justement pas la cigu et part en exil en Crte pour rapparatre sous les traits deltranger athnien des Lois de Platon (Voir sur ce point : Altman 2011 : 20-21 et Cavaill 2005). Altman refoulecompltement le fait que le cold war liberalismet sa lutte idologique acharne contre le communisme a bel etbien constitu une niche pour des intellectuels fascisants obligs de se repositionner politiquement aprs 1945.Pour un exemple de tirade anti-communiste qui prend appui sur le discours de la dfense de lOccident , voirStrauss 1964. Pour une reconstruction de ladaptation de la droite intellectuelle autoritaire allemande au nouveaucontexte politique de laBundesrepublik, voir Hacke 2011.6La notion paradoxale de rvolution conservatrice sest impose dans les recherches sur la droite radicale

    allemande pour dsigner une constellation dintellectuels quArmin Mohler, lve de Carl Schmitt et auteur dupremier travail (paru en 1950) systmatique sur ce courant, situe entre lesDeutschnationalenet les National-socialistes. Bien que lusage de cette notion par Mohler est hautement contestable puisquil sagit en fait deconstruire rtrospectivement une opposition stricteentre rvolution conservatrice et nazisme, nous lutilisons icipour marquer le caractre paradoxal de cette forme de conservatisme. Les rvolutionnaires conservateursallemands (on pense, entre autres, Ernst Jnger, Hans Freyer, Edgar J. Jung, Oswald Spengler, Moeller van denBruck, Werner Sombart, Ernst Niekisch, Carl Schmitt et Martin Heidegger) ne souhaitent pas en effet un retour lancien rgime ou au monde pr-industriel. Les fondements idologiques du Kaiserreichsont pour eux bel etbien dtruits. Leur projet idologique vise plutt un dpassement radical des oppositions constitutives du champpolitique de la Rpublique de Weimar telles que : tradition et progrs, romantisme et lumires, capitalisme etsocialisme, idalisme et matrialisme (Bourdieu 1988 : 15-50). Strauss, comme ces penseurs, est la recherchedune troisime voie et guid en cela par lide de Rangordnung. Dans un mouvement typiquementnietzschen, il sagit de remonter une origine ou une nature pr-chrtienne, grecque ou romaine, qui

    permette de se dbarrasser de la morale desclave issue du christianisme et de ses versions scularises, dont ladmocratie parlementaire est lun des produits.Il faut prciser tout de suite que Strauss na aucune affinit avec certains courants au sein de la rvolutionconservatrice telles les tendances vlkisch et bndisch ou bien avec le nationalbolchvisme dun Niekisch,

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    particulirement dans sa rappropriation dune pense rationaliste. Cest dailleursprcisment la rfrence constante au rationalisme qui pose problme linterprtation car,mme sil semble absurde dinscrire sa pense dans la tradition des Lumires, il paratgalement erron de le considrer comme un reprsentant typique des Anti-lumires (au

    sens de Sternhell 2010)7. Sil invente ou redcouvre effectivement d autres Lumires (Pelluchon 2005) platoniciennes, nous voulons ici cerner leurs implications politiquesautoritaires.Aprs une courte prsentation biographique, nous resituerons dabord rapidement lepositionnement atypique du jeune Leo Strauss dans les dbats sionistes juifs-allemands. lafois athe et dfenseur de lorthodoxie, Aufklrer sans tre un partisan de lmancipation,Strauss sinscrit dans le courant du sionisme politique tout en critiquant les principesphilosophiques sur lequel il repose. Le dtour par les crits politiques est utile pour voir enquoi le retour Platon constitue une rponse aux dilemmes poss par la question sioniste.Cest en effet chez Platon que Strauss trouvera une troisime voie entre Lumires etOrthodoxie, qui sarticule autour du concept autoritaire de Loi, important ainsi dans le dbat

    juif-allemand dentre-deux-guerres une position rvolutionnaire-conservatrice. DansPhilosophie und Gesetz(1935), qui est premire vue un simple commentaire rudit sur laphilosophie islamique et juive du Moyen-ge, Strauss rve dune harmonie nouvelle entreordre thologico-politique et athisme, entre la soumission une Loi pense comme ordre total et la libert du philosopher , comme sil voulait fonder lalliance possibleentre philosophie et tat autoritaire. Philsophie und Gesetzne thorise en effet ni une formede rsistance philosophique ni lexil intrieur, bien au contraire. La figure du philosophedessine est celle du gardien de lordre idologique, qui redescend dans la caverne pour sesoucier des autres et veiller sur eux (Strauss 1935 : 122).Dans une troisime partie, nous voulons resituer les interprtations de Strauss dans le contextedes lectures politiques fascisantes de Platon ayant cours en Allemagne depuis les annes1920, et montrer finalement que, sil articule bien travers ses lectures des annes 1930 unecertaine critique du national-socialisme, celle-ci ne se fait srement pas au nom dulibralisme, mais plutt dun fascisme idal.

    I-

    Leo Strauss est n en 1899 dans un village situ non loin de Marburg, dans une famille juiveorthodoxe. Au cours de ces annes lhumanistisches Gymnasium, il se convertit, 17 ans,au sionisme (Strauss 1970 : 459-460). Comme beaucoup dintellectuels juifs allemands nsvers 1900, le jeune Strauss soppose tout la fois aux juifs libraux proche du Central-Verein

    deutscher Staatsbrger jdischen Glaubens qui proclame une loyaut indfectible ltatallemand, et un retour lorthodoxie religieuse (Hackeschmidt 1997: 101-103). Lors de cestudes Hamburg, Marburg, Freiburg et Berlin auprs de Cassirer, Husserl et surtout deHeidegger, il est membre, dun ct, du Kartell Jdischer Verbindungen(KJV), organisation-mre des tudiants sionistes allemands, et ctoie, de lautre, le WanderbundBlau-Weiss,qui se calque, lui, sur le modle des mouvements de jeunesse allemands et se considre, ds sa

    beaucoup plus cependant avec les Jungkonservativenou les Neoaristokraten. Pour une critique de la notion dervolution conservatrice, voir Breuer 1993. Sur les diffrents courants de la droite radicale allemande entre1871 et 1945, voir notamment Breuer 2001 et 2010.7 Les Anti-Lumires de Sternhell tant en effet, dans le dsordre, relativistes , historicistes , contextualistes , culturalistes , communautaristes , anti-intellectualistes , nationalistes , thnicistes et au XXme sicle, racistes celui-ci exclue ncessairement Strauss de cette tradition(Sternhell 2010 : 32).

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    cration en 1912 par Kurt Blumenfeld, comme un sionisme davant-garde8. Paralllement son activit denseignant laJdisches Lehrhausde Frankfurt auprs de Franz Rosenzweig,puis de chercheur Berlin lAkademie der Wissenschaft des Judentumso il est dirig parJulius Guttmann9, Strauss a une activit dintellectuel engag et publie de nombreux articles

    dans des journaux juifs-allemands de diverses obdiences : der Jdische Student, die JdischeRundschau et enfin der Jude, lorgane principal du mouvement de la Renaissance Juive (Jdische Renaissance) lanc par Martin Buber10.Au sein du sionisme allemand, minorit dans la minorit, les diffrentes tendances nesaffrontent pas seulement selon le schma droite/gauche, mais galement sur la questionpineuse du rapport la tradition religieuse juive. Les lignes de conflit se situent donc plusieurs niveaux. Par exemple, tandis que le sionisme religieux ou culturel est souventdobdience socialiste et/ou anarchiste (pensons Gustav Landauer ou Martin Buber)11, ladroite sioniste (le sionisme politique ) dun Max Nordau, dont Strauss se sent proche, elle,revendique son athisme. Ces sionismes si diffrents font eux-mmes face une pluralit decritiques qui sarticulent selon des points de vue divers : marxisme (Walter Benjamin, Ernst

    Bloch) ou no-orthodoxie (Franz Rosenzweig)12. Cest dans le cadre de ces conflitsidologiques variables multiples autour de la rinvention de la nation et de la culture juiveque Strauss va constituer sa pense dans les annes 1920.Au vu de ce champ extrmement complexe, lalternative quil propose apparat au premierabord extrmement simple : sionisme politique ou orthodoxie (voir entre autresStrauss 1929 : 443-446). Cependant, il sagit moins dune alternative (comme sil y avait pourlathe quest Strauss un choix faire sur ce point13) que de la formulation dun problmeinterneau sionisme. Si la vie orthodoxe a permis de prserver la communaut juive de sonacculturation pendant des sicles, elle serait incapable cependant de sauver celle-ci aumoment de sa dissolution (due lassimilation). Lorthodoxie, caractrise par sonattentisme (larrive du Messie ne peut aucunement tre prpare par les hommes), bloqueraittoute possibilit daction politique. Lidologie orthodoxe, morale desclaves parexcellence, aurait certes donn la force de supporter les souffrances et les humiliations, maiselle serait dans limpossibilit de mobiliser pour un projet nationaliste tant elle amollit lescurs , comme Strauss le rptera souvent, reprenant une phrase du Trait Thologico-

    politique(Strauss 1930 : 78 (Note 14), Strauss 1932 : 420, Strauss 1965 : 12)14.

    8Lorsque leBlau-Weipasse, en 1922 sous la direction de Walter Moses et se constitue en Ordre (Orden), larhtorique du mouvement prend clairement des accents fascisants (voir le rcit de Gershom Scholem ce proposdans Scholem 1977 : 188). Sur le rapport conflictuel entre le KJV et le mouvement Blau-Weiss, qui devientexplosif au dbut des annes 1920, voir Hackeschmidt 1997 : 179- 262.9 Entre 1925 et 1928, Strauss travaille son premier ouvrage sur la critique de la religion chez Spinoza. Le

    travail rcent de Thomas Meyer (Meyer 2009) reconstruit le dbat entre Guttmann et Strauss.10Pour une tude dtaille de ces mouvements de jeunesse sionistes, voir Hackeschmidt 1997. Pour un rapportmticuleux des activits sionistes de Strauss dans les annes 1920, voir Sheppard 2006 : 28-35 et Altman 2011 :75-142. Sur la renaissance juive, voir Brenner (2000).11 Voir ce propos les travaux de Michael Lwy notamment Lwy 1988.12 Sur les critiques juives-allemandes du sionisme, voir notamment Brumlik 2007. Pour un panorama desdiffrentes positions au sein de la philosophie juive allemande de lentre-deux-guerres, voir Bouretz 2003.13La dfense systmatique du point de vue de la rvlation, qui na au final pour fonction que de mettre enlumire les apories de la rationalit moderne, trompa mme Karl Lwith, qui crut dabord avoir affaire en lapersonne de Strauss un juif orthodoxe (cf. GS3 : 646, 650).14La citation est tire de la fin du troisime chapitre du Trait thologico-politique: Si mme les principes deleur religion namollissaient leurs curs, je croirais sans rserve, connaissant la mutabilit des choses humaines,qu une occasion donne, les juifs rtabliront leur empire et que Dieu les lira de nouveau. Strauss soppose

    dans ses crits de jeunesse toute forme de martyriologie juive. Voir par exemple sa critique destructrice delhistoriographie de Simon M. Dubnow (Strauss 1924). Strauss dfend si fortement lidologie virile du Juiffort (starker Jude) quil va jusqu accueillir avec enthousiasme, dans plusieurs de ses crits de jeunesse, lesthses antismites de Paul de Lagarde (Voir notamment Strauss 1923c et surtout Strauss 1924b). Strauss semble

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    Le sionisme politique de Strauss, lui, rejette toute posture messianique, et dnonce les restesthologiques chez ses concurrents libraux ou socialistes (voir par exemple la critique du missionisme dans Strauss 1923b). Il reprsente, comme Strauss lindique dans un de sesderniers textes directement politiques, lorganisation du peuple juif sur le terrain de

    lincroyance (Strauss 1929 : 445). Cependant, un sionisme se constituant dans uneopposition radicale la tradition religieuse juive court le risque du vacuum idologique : lesionisme politique, sil nest pas plus quune raction raliste lantismitisme, risque deseffondrer sur lui-mme, de devenir une coquille vide (Strauss 1965 : 13). De fait, Straussne peut, dans le cadre du dbat autour de la fusion du KJVet du mouvementBlau-Weiss, quedonner raison aux critiques qui reprochent au Blau-Weiss son manque de contenus juifs (voir Strauss 1923)15. A partir du moment o le sionisme politique refuse dune part desinscrire dans une tradition religieuse16et ne cde pas dautre part la tentation vlkisch, ilsemble en effet difficile de dessiner la spcificit juive de son programme. Strauss est en faitcoinc entre deux fronts, ce qui donne prcisment une couleur rvolutionnaire-conservatrice sa pense sioniste dans la mesure o elle cherche dpasser les oppositions

    existantes par la droite : il sagit la fois dexpurger le sionisme de toute rfrence latradition religieuse sans pour autant rallier une position librale.Labsence de contenu du sionisme politique est pour Strauss une consquence de sacontamination indirecte par les Lumires europennes . Comme Strauss le rpte souventdans ses crits de jeunesse, les volutions et les questions souleves au sein du dbat juif-allemand sont les mmes que celles existant dans le dbat europen (voir entre autresStrauss 1924c). De la mme manire que lidal juif assimilationiste est un calque duprojet libral-rpublicain, le modle du sionisme politique est le nationalisme europen. Demme que le nationalisme constituerait une raction lgitime luniversalisme cosmopolite17,le sionisme serait ainsi galement une raction lidologie de lassimilation, ce qui nepourrait cependant pas cacher le fait que le sionisme, tout comme lassimilation, naitraient desLumires. Les Lumires, elles, se sont constitus dans la rupture brutale avec lappareilidologique dEtat central, lautorit religieuse et cest pour Strauss justement cette rupturequil sagit de repenser afin de dpasser la solution librale du problme thologico-politique . Le travail de dconstruction mis en place ds les premiers crits semble se donnerpour tche de librer le sionisme politique des prsupposs communs partags avecladversaire libral, mais sans revenir non plus lorthodoxie.

    en fait considrer dans les annes 1920 lantismitisme comme un instrument parmi dautres pour constituerlunit de la nation allemande. Une remarque faite quelques trente ans plus tard, dans une allocution faite la

    Hillel Housede lUniversit de Chicago le 4 Fvrier 1962, semble aller dans cette direction. Il y suggre quelantismitisme ne devient vraiment problmatique qu partir du moment o les leaders politiques, tel ce

    grand imbcile dHitler , commencent y croire. Le ton est ironique, et Strauss fait comme sil ne faisait quersumer lesprit dune position qui est lexact inverse de la sienne (une position communiste ), maislaffirmation ne sera pas contredite dans la suite du texte : Laffirmation selon laquelle lantismitisme est lesocialisme des imbciles nest pas un argument qui soppose lantismitisme ; tant donn le fait quil y a unetelle abondance dimbciles, pourquoi ne pas profiter de cette aubaine ? Bien entendu, il ne faut pas treprisonnier comme la t ce grand imbcile dHitler qui croyait ses thories raciales ; cest absurde. Maisutilis judicieusement, utilis politiquement, les politiques anti-juives rendent bien plus facile de gouverner lesRusses, les Ukrainiens et les autres, quen tant parfaitement juste avec les Juifs. (Strauss 1962 : 316-317)15 Strauss prend dans son premier texte sioniste explicitement position pour la ligne autoritaire du Blau-Weisstout en mettant des rserves quant au caractre anti-intellectualiste et anti-scientifique du fascisme paien (pagan-fascistisch) de Walter Moses (Strauss 1923 : 299-300). Ces deux reproches ne sont cependant passeulement adresss Walter Moses, mais aussi au camp oppos (la fraternit Saroniade Frankfurt, proche deMartin Buber), dont le reprsentant est Ernst Simon.16 La thologie na pas son mot dire dans les affaires sionistes. Le sionisme est purement politique (Strauss1923b : 320)17 Voir le rcit apologtique de Strauss dans On German Nihilism o il prsente la rvolution conservatricecomme un mouvement intellectuel lgitime de dfense de la socit ferme (Strauss 1941b).

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    Dans larticle Zur Ideologie des politischen Zionismus publi en 1929 dans la revuesioniste radicale Der jdische Student, Strauss semble finalement plaider pour un rapportpurement instrumental au religieux. La stricte distinction entre le religieux et le profane neserait en fait pertinente que lorsquon sadresse au cercle restreint de ceux qui ont

    lambition dduquer les guides (Fhrer) du sionisme politique (Strauss 1929 : 444).Lorsque llite sioniste clarifie son prsuppos , son but , il faudrait absolument viterla confusion entre les domaines. Mais Strauss est loin de rejeter par principe une politiquedunion stratgique avec des mouvements de masse religieux. Il regrette notamment danslarticle que le sionisme, la diffrence du marxisme quil pose comme modle sur cepoint18, narrive pas nouer des alliances avec lorthodoxie, alliances dans lesquelles il garderait la main (Ibid.). Il se plaint ainsi que le sionisme se compromette le plus souventdans ce type de partenariat stratgique, lidologie religieuse prenant le dessus dans lesdbats.Cest cette alliance paradoxale entre athisme et orthodoxie que Strauss va essayer derarticuler avec Philosophie und Gesetz. Cependant, en 1935, Strauss ne prend plus la

    perspective de lintellectuel engag, mais celle du philosophe. Il sattelle dsormais laquestion des rapports entre lite claire et masse orthodoxe au niveaux des principes (Strauss 1935 : 53). Par son retour la philosophie juive du Moyen-ge dans les annes1930, qui est en mme temps un retour Platon, Strauss prend peut-tre moins ses distancesque de la hauteur par rapport au sionisme, la rfrence Platon permettant comme on va levoir - dintervenir en mme temps dans plusieurs contextes politiques diffrents.

    II-

    Philosophie und Gesetzest un ouvrage extrmement complexe, dont le caractre hautementparadoxal tient en partie ses conditions de production. Louvrage est en effet un compositede plusieurs articles crits entre 1930 et 1935, dans le contexte de diverses publications surMaimonide (1135-1204)19parues loccasion du 800meanniversaire de sa naissance20.Lintroduction du livre, rdige en dernier, inscrit explicitement linterprtation deMaimonide dans le contexte des dbats autour de la renaissance juive . Strauss y critiquecomme insuffisamment radicaux les diffrents tentatives de retour la tradition religieusedans la pense juive-allemande, de la dernire philosophie de Hermann Cohen jusquausionisme, en passant par la Kulturphilosophiedun Julius Guttmann et par lexistentialismeno-orthodoxe de Franz Rosenzweig. Chacun de ces retours prsenterait le dfaut dtreinauthentique car incapable de revenir une conception simplement orthodoxe. Aucun retour ne serait en effet possible si ce qui a t dtruit, ou plutt cart par la critique de

    la religion des Lumires nest pas pleinementressaisi. Recomprendre (wiederverstehen) demanire originelle (ursprnglich) le conflit entre les Lumires et lorthodoxie, qui mena linstitution de la modernit philosophique, permettrait seul de retrouver lhorizon partirduquel la question Lumires ou Orthodoxie ? pourrait tre pose nouveaux frais. Strausspropose-t-il par l un retour authentique au judasme orthodoxe ? Au vu de ce qui a t dit

    18Le marxisme pratiquerait des alliances avec des groupes htrognes avec lesquels il partage un certain butcommun et il utiliserait des mouvements rtrogrades tel le nationalisme bourgeois . Il ne tolreraitcependant, contrairement au sionisme aucun moment que sa tactique, permise par une claire vision du but atteindre lui obscurcisse celle-ci (Strauss 1929 : 444).19Maimonide, n Cordoue, part en exil lge de treize ans avec sa famille aprs la prise de la ville par lesAlmohades. Aprs un passage au Maghreb, il sinstalle dfinitivement au Caire o il est la fois mdecin du

    secrtaire de Saladin et dirigeant de la communaut juive dgypte. Il est lauteur de la plus influentecodification de la Loi juive du Moyen-ge, la Mishne Torahet de louvrage philosophique auquel Strauss et seslves ont plus tard consacr tant de travaux, leMore Nevuchim(le Guide des gars).20Sur les diverses interprtations de Maimonide en circulation lpoque, voir Meyer 2009.

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    en premire partie, on se doute que la rponse est non. Comme souvent, sa position estextrmement difficile cerner puisquelle se distingue explicitement de toutes les optionsexistantes :

    La situation ainsi cre, qui est la situation actuelle, semble tre une impasse

    pour le juif qui ne peut pas tre orthodoxe et qui ne peut considrer lunique solution du problme juif qui soit possible sur la base de lathisme, savoirun sionisme politique sans rserves, que comme une issue, certes hautementhonorable, mais insuffisante long terme et comme solution srieuse. Cettesituation ne semble pas seulement tre une impasse. Elle lest effectivement, aussilongtemps quon sen tient aux prsuppositions modernes. Si, dans le mondemoderne, il ny a en dernire instance que lalternative : orthodoxie ou athisme,et si, dautre part, il est impossible de rejeter laspiration un judasme clair, onse voit contraint de se poser la question si les Lumires sont ncessairement desLumires modernes. (Strauss 1935 : 26-27)

    Malgr cette distanciation vis--vis de toute solution moderne et par consquent du sionismerellement existant, nous voulons ici tester lhypothse que Strauss propose en fait dansPhilosophie und Gesetz un nouveau fondement philosophique platonicien au sionisme quipermettrait de rompre dfinitivement avec son hritage libral. Ne pourrait-on en effet parlerdun sionisme idal straussien, comme on a pu parler dans le cas du George-Kreis, dun Edelfaschismus (Lwith 1986 : 20) ou dun national-socialisme philosophique deMartin Heidegger (voir entre autres Alisch 1989, Leaman 1993)21?Ce qui est certain, cest que le projet philosophico-politique articul dans Philosophie undGesetzest fond sur un concept autoritaire de Loi . La Loi rvle par le prophte, tellequelle est conue dans la lecture straussienne de Maimonide et de ses prcurseurs musulmans (Alfarabi, Avicenne, Averros), ne rgle pas seulement lensemble des rituelsreligieux, mais tous les domaines de la vie dans leurs moindres dtails : elle est un ordreunifi et total de la vie humaine (Strauss 1935 : 61). La Loi religieuse est donc aussipolitique : le but de la Rvlation est mme avant tout de fonder lEtat (69). Strauss trouvedans cette dfinition de la rvlation comme Loi politique un contrepoids aux conceptionslibrales de la Kulturphilosophie- qui font du religieux une sphre particulire de lexistencehumaine - mais aussi une approche existentialiste. La Loi de Maimonide ne peut ainsi nitre rduite une thique base sur des principes universels, comme cest le cas danslinterprtation de Hermann Cohen et de Julius Guttmann22, ni tre subordonne sonactualisation par la communaut comme dans la lecture de Rosenzweig23.On voit ds lors quil serait extrmement trompeur dassocier le concept straussien de Loi

    avec une sorte de positivisme juridique la Kelsen24

    . Strauss ne cherche pas non plus ractualiser un jusnaturalisme de type Grotiusien. Dans Philosophie und Gesetz, il semble enfait dvelopper - de manire dailleurs homologue et contemporaine Schmitt dans DreiTypen des rechtswissenschaftlichen Denkens (1934) - une pense de lordre concret

    21 Sur cette thmatique, voir galement Bourdieu 1988, Orozco 1995 et rcemment le numro 93 des tudesphilosophiquesde 2010 consacr au Discours de rectorat .22Voir notamment le conflit triangulaire autour de linterprtation du caractre universel des lois noahides chezMaimonide entre Spinoza, Cohen et Strauss (cf.notammentCohen 1915 : 108-115 etStrauss 1965 : 36-51.)23Rosenzweig relativiserait le caractre transhistorique et transcendent de la Loi divine par des considrationsdordre sociologique , mettant laccent sur le concept de peuple lu plutt que sur celui de Torah. De lprocderait, une historicisation consciente et radicale de la Torah , qui pour Strauss ne peut que ruiner son

    caractre autoritatif (Strauss 1965 : 25-26).24Voir la critique cinglante de Kelsen, dans un style tout Schmittien, faite par Strauss dans le brouillon duneprface louvrage sur Hobbes, rdig en 1931 et publi dans le troisime tome des Gesammelte Schriften (p.201-214).

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    (konkretes Ordnungsdenken)25. Tandis que Schmitt fait cependant, au dbut de son trait,appel la tradition thomiste, Strauss se rfre, lui, la tradition islamique et juive du Moyen-ge, plus primitive car non guide par lide drive du droit naturel . Maimonide et les

    falsifa sorienteraient, contrairement Thomas dAquin, la notion antique de Loi

    (Strauss 1935 : 61). Comment distingue-t-il cependant le droit naturel antique ( islamique ou juif ) du droit naturel moderne ( chrtien ) ?Alors que le droit naturel moderne pose selon Strauss dabord un systme de normesabstraites, que le droit positif doit ensuite remplir et rendre applicable, la loi mdivale etantique ne laisse pas apparatre les principes gnraux qui la guident, et dlivre desprescriptions et des interdits concrets. Ces prescriptions et interdits, pris sparment,chappent la comprhension. Cependant, le caractre irrationnel des commandements nestpas le signe dune imperfection de la Loi. Celle-ci est en effet rationnelle dans la mesureexacte o elle mne lhomme la perfection qui lui est propre (Strauss 1935 : 59), o elleest saine , comme un bon mdicament est sain (Strauss 1965 : 43). Non loriginedela loi, qui doit rester mystrieuse, mais safinest accessible la raison : cest lerreur fatale de

    lAufklrung, selon Strauss, que davoir confondu ces deux niveaux. La critique de la religionmoderne, en premier lieu celle de Spinoza, cherche prcisment montrer lorigine humaine,politique et historique de ce qui se prsente comme divin, dtach du monde et ternel. Ce quiimporterait cependant pour Maimonide, ce nest pas le fait

    que la rvlation de la Tora soit un miracle ou un fait naturel, que la Tora soitvenue du ciel ou non ds quelle est donne, elle est non pas au ciel , mais trs prs de toi, dans ta bouche et dans ton cur afin que tu les pratiques . Nonpas le mystre de son origine, dont la recherche conduit ou bien la thosophie oubien lpicurisme 26, mais sa fin, dont la comprhension [par le philosophe,pas par la masse des sujets ! B.Q.] garantit lobissance la Tora, est accessible la raison humaine. (Strauss 1937 : 145)27.

    Si lon suit cette dfinition de la rationalit, la soumission absolue des commandementsincomprhensibles devient elle-mme rationnelle. Strauss ajoute dailleurs, se rfrant Jehuda Halevi, que lobissance est dautant mieux garantie que le but des normes nest pasimmdiatement apprhensible par la raison (Strauss 1935 : 55-56)28. Tandis que lesprincipesabstraits et universaux du droit naturel moderne font partie intgrante du droit crit, ce qui

    25Ltude des rapports entre le concept de Loi chez Strauss avec la notion dordre concret ou de Nomoschezle juriste allemand, qui prsenterait une autre face du dialogue entre absents reconstruit par Heinrich Meier(Meier 1988), demanderait une tude part. Rappelons ici que Strauss dfinit la loi juive mdivale, dans une

    lettre Gerhard Krger du 26 Juin 1930 comme nomos concret ( konkreter Nomos) (GS3 : 383). Les rapportstroublants entre ces deux concepts nont pas encore t perus par la recherche probablement du fait que Schmittarticule dans les annes 1930 sa critique de la pense de la loi ( Gesetzesdenken), du normativisme , undiscours antismite.Sur le statut de la pense de lordre concret (dont la fonction premire tait de lgitimerle nouveau rgime national-socialiste et quon a aprs-guerre re-dsign sous le chaste nom dinstitutionalisme ), notamment dans son rapport au dcisionisme , voir Rthers 1989, Gross 2000,Meuter 2000 et Kervgan 2011.26 La rfrence lpicurisme renvoie au premier ouvrage de Strauss sur la critique de la religion chezSpinoza, o il reconstruit avec picure le motif originel de la critique (antique et moderne) de la religion :Celle-ci vise la libration de la peur et la paix de lme (chez picure) ou la paix civile (chez Hobbes). Voirparticulirement Strauss 1930 : 65-82.27Sur lorigine et la finalit de la loi, voir galement Strauss 1935b : 179. Sur lambigut du concept de loi divine , voir Brague 2005.28 Cette ide dune soumission absolue dfiant toute raison prcisment parce quelle se passe de raisons estpour Strauss reprsente par le sacrifice dIsaac : alors que Dieu a promis Abraham une descendancenombreuse issue du fils de Sara, il lui demande de sacrifier son fils, [son] unique, Isaac, [quil] aime . Dieusemble se contredire, mais Abraham sexcute.

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    rend les dterminations particulires de ces principes gnraux toujours contestables, la Loireligieuse rvle, telle que linterprte le Maimonide de Strauss, relve de la facticit. Cestun donnqui ne peut tre remise en question laune de principes rationnels, tout en tantrationnel selon sa fin, puisque la Loi permet que chacun ralise la perfection qui lui est

    propre, cest--dire que chacun reste bien sa place.La rvlation estfactum brutum, vnement sur lequel les philosophes musulmans et juifs duMoyen-ge nont pas de prise : ils ne peuvent pas la prvoir, ni la rfuter29. Ce qui lesintresse, dans la lecture Straussienne, ce nest pas la question de lauthenticit delexpriencede celui qui prtend tre guid par la rvlation (le prophte)30, mais plutt laquestion de la finalitde la rvlation. Tout dpendrait donc de la facult des philosophes penser le cadre, lhorizon dans lequel lvnement imprvisible doit tre apprhend afinque celui-ci puisse tre, dune certaine manire,fonctionnalis.Pour mieux comprendre le paradoxe de cette dtermination de la Loi dont lorigine et la fin regardent dans deux directions diffrentes, il faut revenir sur largumentation globalede Philosophie und Gesetz, qui met en place une double procdure de constitution de la

    philosophie par lordre thologico-politique et vice et versa. La philosophie ne sauto-fondepas. Elle est dabord constituepar la Loi rvle donne par le Prophte : chez Maimonide,comme chez lesfalsifa musulmans, la philosophie, comme activit de librerecherche de lavrit, doit se justifier devant le tribunal de la Loi avant de pouvoir tre exerce. Lapremire question pose par les philosophes est : la philosophie est-elle permise, obligatoireou dfendue ? (Ibid., 69) Seule la Loi peut obliger certains hommes philosopher : unpenseur est ainsi absolument libre dans son questionnement seulement parce quil estabsolument li par la Loi (47), parce quil est interpell et constitu comme sujetphilosophant par elle. La Loi et lobissance ses commandements sont donc, pour larflexion philosophique, un prsuppos, une vidence (46). Lactivit philosophiquecommence donc ncessairement par une interprtation ou plutt une appropriation de laTorah ; le philosophe est dabord unjuriste(123, Note 80).Philosophie und Gesetznest cependant pas un plaidoyer pour une soumission totale de laphilosophie lordre thologico-politique. Dans un renversement spectaculaire de laperspective, Strauss examine, particulirement dans le dernier chapitre, comment laphilosophie fonde, son tour, la Loi. partir du moment o la philosophie est constitue parla Loi comme librerecherche, celle-ci va prendre la Loi religieuse comme objet, et ceci surune base purement philosophique, cest--dire incroyante (64 et 90). Si lon veut, lephilosophe est maintenant obligpar la Loi de rompreavec la lettre de la Loi31.

    29Cest tout lobjet du premier ouvrage sur Spinoza. Si Dieu est volont insondable , si cest un Dieu cachqui nest connu que de faon fragmentaire et sporadique, dans la seule mesure o il se rvle, quand il veut etcomme il veut, un Dieu qui, pour la mme raison est un Dieu terrible , les prmisses de lorthodoxie sont inattaquables. (Strauss 1930 : 261)30Voir ce propos la critique de Friedrich Gogarten dans Strauss 1930 : 231-232, Note 229. Il est indiffrent pour les philosophes - de savoir si les prophtes entendent vraiment Dieu, il faut plutt partir de ce quilsnotifient et de ce quils exigent . Si la question de lexprience des prophtes est indiffrente, il est donc inutiledessayer de douter que les prophtes se laissent signifier la parole de Dieu [] par Dieu lui-mme (commele fait Gogarten), car ce serait nier la diffrence essentielle entre prophtes et non-prophtes et donc mettrefatalement en cause le fondement mme de lautorit.31 Comme lindique Strauss dans le troisime chapitre, les philosophes ne connaissent quasiment pas de

    restrictions dans leur interprtation de la Loi (voir notamment Strauss 1935 : 71-73). Le philosophe est tenu delinterprter de manire figurative ds que le sens littral ne saccorde pas avec la raison. On peut sedemander si la faon dont elle [la philosophie, B.Q.] est ainsi lie se distingue vraiment de celle dont elle est liede par lintention mme de la philosophie, savoir lie la vrit quelle a atteinte par la connaissance. (73)

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    Cest prcisment dans la fondation philosophique, incroyante de la rvlation que lesfalsifaet Maimonide se rvlent tre platoniciens 32 car ils apprhendent en effet le factumbrutum de la rvlation divine dans lhorizon de la philosophie politique platonicienne :dans la philosophie musulmane et juive du Moyen-ge, la rvlation est traite au sein de la

    doctrine appele prophtologie. Et la prophtologie, qui discute la question des attributs et dela nature du prophte33, nest pas une discipline faisant partie de la mtaphysique, mais de lascience politiqueplatonicienne :

    Les aristotliciens musulmans comprennent [] ltat idal fond par leprophte comme le fondateur de la cit platonicienne, comme le philosophe-roiplatonicien ; le lgislateur prophtique a ralis ce que le philosophe Platon avaitrclam et ne pouvait que rclamer. Cest le voeu de Platon, selon lequel laphilosophie et la direction de ltat devaient concider, cest lide que Platon sefaisait du philosophe-roi qui a tabli le cadre dont le remplissement, accompli eugard la Rvlation qui stait effectivement produite, fournit le concept duprophte que lon trouve chez les aristotliciens musulmans et chez leurs disciples

    juifs. (61-62).

    Le prophte, figure qui symbolise si bien la nostalgie de matrise un ge o les massessemblent tre devenues out of control, tant un quivalent du philosophe-roi, est donc unhomme aux facults exceptionnelles ; dans la hirarchie des tres, il dpasse le simplephilosophe, non forcment du fait de la supriorit de son entendement34 que du fait de lasupriorit de sa facult imaginative, qui lui donne le pouvoir de diriger les hommes etparticulirement de faire lducation de la massedes hommes (97). Le philosophe est ainsitenu dobir au prophte, car lui aussi, en tant quhomme, a besoin dune loi (111).Cependant, le philosophe a un statut extrmement privilgi puisquil poursuit le but le plusnoble existant dans ltat, la connaissance de Dieu. Il se soumet certes une instancesuprieure (la Loi proclame par le prophte), mais celle-ci le propulse la plus hautefonction. Cette fonction est double : dune part, le philosophe est oblig par la Loi exercerlactivit contemplative, activit qui lui permet de dvelopper ses facults les plus leves ;dautre part, il est galement forc revenir dans la caverne, cest--dire se soucierdes autres, et veiller sur eux, afin que ltat soit effectivement un Etat, un Etat vritable (122-123). Le philosophe est donc appel la fois scarter et renforcer la Loi, pratiquerla philosophie en toute libert tout en stabilisant lidologie dominante (en jouant surlinterprtation de la Loi).Car il sagit bien de cela : limage de la caverne platonicienne du Livre VII de la Politeia, quiest toujours en arrire-plan des rflexions platonisantes de Strauss, na aucunement la fonction

    32 Sur le rapport complexe entre Maimonide et les falsifa dune part, sur le platonisme de la philosophieislamique du Moyen-ge dautre part, voir la critique de Georges Tamer (Tamer 2001) qui met notamment endoute la valeur de la preuve philologique centrale de Strauss en essayant de montrer que le fameux textedAvicenne Sur les parties de la science, cens tablir le caractre platonicien de la philosophie islamique duMoyen-ge, se rfre en fait des textes apocryphes.33Le prophte qui est un homme aux qualits rares, mais nanmoins un homme, cest--dire un tre naturel , aune intelligence et une facult imaginative parfaite. Il est thaumaturge , voyant , philosophe et homme dtat en une seule personne. (Strauss 1935 : 109)34 La question de la dpendance intellectuelle du philosophe vis--vis du prophte reste en suspens dansPhilosophie und Gesetz. Elle est lie la question des diffrences existantes entre Alfarabi, qui enseigneincontestablement que toutes les vrits peuvent tre atteintes par le philosophie sans aide divine aucune, etMaimonide, qui semble pencher du moins dans Philosophie und Gesetz - pour la thse dune insuffisance

    fondamentale de la raison humaine. Ds 1937, la distinction entre Alfarabi et Maimonide sera abandonne (Voir ce sujet la reconstruction de Tanguay 2003 : 149-182). Strauss commence forger ce quil appellera plus tardla tradition de la philosophie politique platonicienne, ce qui va ncessairement avec un effacement desdiffrences et tensions entre les diffrents auteurs.

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    dillustrer la possibilit de lmancipation collective par la connaissance. Au contraire,comme Strauss lcrit trs explicitement dans Philosophie und Gesetz, Maimonide et les

    falsifa, bien quils soient attachs tout autant que Spinoza la libert du philosopher ,ne sont justement pas desAufklrer:

    Il nesagissait pas, pour eux, de rpandre la lumire, dduquer la masse laconnaissance rationnelle, de lclairer; ils ne cessent denjoindre aux philosophesquils ont le devoir de garder secrtela vrit reconnue par la raison et de la taire la masse dont ce nest pas la vocation ; le caractre sotriquede la philosophietait pour eux au contraire des Lumires proprement dites, cest--dire desLumires modernes quelque chose de fermement tabli. (89)

    Comme le prcise un article postrieur Philosophie und Gesetz, les croyances aux miracles, lintervention de Dieu sur terre, la vie aprs la mort, bref tout ce qui est reli de prs ou deloin lide dun Dieu personnel qui prend soin des hommes, qui les rcompense et les puniten fonction de leurs actes, qui intervient donc dans le monde, sont considres chez

    Maimonide et les falsifadun point de vue purement instrumental : il sagit de croyancesncessaires pour la bonne organisation sociale , de nobles mensonges (Strauss 1937b).En crivant entre les lignes , cest--dire en cachant dans un texte dallure orthodoxe sespenses htrodoxes, le philosophe reste libre dans sa vie thorique tout en laissant intactesles croyances de la cit religieuse : cest ce que Strauss appellera plus tard prendre enconsidration ses responsabilits sociales (Strauss 1941 : 503). La Loi est donc, dansPhilosophie und Gesetz, dune part dfinie comme ordre total , tat autoritaire sublim,cest--dire la fois reconnaissable et mconnaissable tant il est repens travers lescatgories dune philosophie pr-moderne. Mais cet ordre total est dautre part toujoursdj supplmentepar la figure souveraine du philosophe35qui, mme si il est soumis laLoi, dcide en dernier ressort de ce son interprtation littrale ou figure , du casnormal et de lexception la lettre. Le philosophe est la fois danset horsde ltat. Commetoutes les figures souveraines, il se tient au-dessus de tous les rapports sociaux et de sesdivisions. Il est cens dpasser les luttes de classe, les conflits nationaux et mme les rapportsentre les sexes36: dune certaine manire, il est le garant de lunit du social dans sa division.Il est un tranger, insituable socialement et politiquement, ce qui lui assigne sur le plansymbolique une place au sommet de ltat. Cette figure transcendante nappartient donc paspleinement la communaut tout en assumant une responsabilit envers elle : lephilosophe gardien de lordre se soucie non du bonheur des parties, mais du maintien dutout (Strauss 1935b : 168), car le dieu a cess de prendre soin de lhomme (Strauss 1935: 65).

    III -

    35 Strauss dveloppe notamment dans louvrage sur Hobbes une critique de la thorie de la souverainet deHobbes Schmitt, thorie marquant pour lui une rupture dcisive avec le rationalisme . De quelrationalisme sagit-il ? Les choses sclairent quand on comprend que la rupture de Hobbes avec le rationalisme est le corrlat exact de son galitarisme. Hobbes, partant du principe que tous les hommes sontgalement raisonnables et quil nexiste pas dtres la supriorit naturelle desprit , aurait rig titrede substitut la raison dun ou de plusieurs individus en raison dterminante . Avec Hobbes, onpasserait du primat de la raison celui de la volont (Strauss 1935b : 181). Strauss lie doncirrationalisme/galitarisme/souverainet ensemble pour les opposer au trio rationalisme/Rangordnung/loi.

    Cependant, il rintroduit tout le vocabulaire et limagerie de la thorie de la souverainet ds quil thmatise lerle du philosophe dans la cit.36Si la classe des artisans et producteurs reprsente le ple fminin dans la cit, et la classe des soldats le plemasculin, la classe des gardiens-philosophes doit tre, elle, ncessairement asexue.

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    Cette lecture de Platon et de Maimonide est historiquement et politiquement situe. Elle doittre en effet replace dans le contexte des lectures politiques fascisantes de Platon quicirculent depuis les annes 1920 en Allemagne. Ces interprtations, qui proviennent la foisdes disciples de Wilamowitz-Moellendorff et de quelques membres du George-Kreis37, ont

    refoul les lectures mtaphysiques de Platon telles que celles de la tradition humanisteallemande et des no-kantiens de lcole de Marburg (pensons Natorp, par exemple).Comme la montr Teresa Orozco, qui parle dun processus de fascisation (Faschisierung)de la philologie allemande (voir Orozco 1994 et 1995), ces lectures politiques privilgient uncertain corpus platonicien (Politiea,Nomoi et la fameuse septime lettre), insistent sur lecaractre sotrique et litaire de la doctrine, mettent en avant un Platon aristocrate etfondateur de cit. De mme, lopposition de Platon une dmocratie athnienne en failliteest paralllise dans ces lectures avec le rejet de la Rpublique de Weimar. Ces interprtationsarticulent avec Platon la volont de mettre en place une nouvelle lite intellectuelle au servicede ltat en sopposant la fois unBildungsidealclassiciste et apolitique et au sophismedes intellectuels de gauche. La rfrence aux trois castes de la Rpublique (Artisans,

    Gardiens, Rois-Philosophes) strictement hirarchises et leur harmonisation par unguide est omniprsente dans ce discours et dcline avec de nombreuses variations, avant etaprs 1933. Ce Platonisme sest ainsi avr un cadre philosophique extrmement apprcipour penser lvnement du national-socialisme.Tous ces lments resurgissent chez Strauss, mme si, contrairement la plupart de cesinterprtateurs, Strauss se refuse cependant gnralement faire des liens avec la situationpolitique contemporaine. Toute la difficult de linterprtation est alors de tirer lesconclusions des rapprochements quon vient de faire. Dans quel(s) contexte(s) intervient LeoStrauss ? Celui du sionisme ? Ou celui de la rvolution conservatrice ? Ou sagit-il dansPhilosophie und Gesetz avant tout de thoriser, avec Maimonide, ce que Straussconceptualisera plus tard de manire plus explicite sous le nom de politiquephilosophique , politique de type corporatiste de la classe des philosophes (voir parexemple Strauss 1952 : 7-8) ntant pas li spcifiquement un rgime politiqueparticulier 38? Il semble que lambigut ne peut tre pleinement leve et que les trois lecturessont lgitimes; Philosophie und Gesetz est, quant au projet politique quil promeut, assezvague pour tre interprt dans un sens ou dans un autre39. Louvrage peut tre certes compris,comme nous lavons dj suggr, comme une radicalisation philosophique du sionismepolitique, sorte de sionisme idal cherchant articuler athisme des lites et orthodoxie desmasses, Aufklrung et mythe, au niveau des principes . La rinterprtation du conceptmdival de Loi juive, qui ne peut qutre reli un projet politique autoritaire, va clairementdans ce sens.

    37 Nous pensons ici Werner Jaeger, Julius Stenzel, Paul Friedlnder, Kurt Hildebrandt, Kurt Singer, KarlReinhardt. Parmi eux, seul Reinhardt trouve grce aux yeux de Strauss (voir par exemple lapprciation positivedans GS3 : 582).38 La politique philosophique aurait pour but de protger les intrts de la philosophie et serait doncstrictement dfensive : En quoi consiste donc la politique philosophique ? A convaincre la cit que lesphilosophes ne sont pas des athes, quils ne profanent pas tout ce que la cit tient pour sacr, quils respectentce que la cit respecte, quils ne sont pas subversifs, enfin quils ne sont pas des aventuriers irresponsables maisde bons citoyens et mme les meilleurs dentre eux (Strauss 1954 : 205-206). Cette dernire option de lecture

    justifierait de considrer (voir par exemple Bluhm 2002 et Tanguay 2003) la philosophie de Strauss comme unepense dont le noyau est apolitique , thse que nous essayons prcisment de mettre en question ici.39Dun ct, Strauss na, dans les annes 1930 pas cach sa sympathie pour le fascisme italien (voir la fameuse

    lettre Lwith du 19 Mai 1933 o Strauss affirme que le nazisme ne peut tre combattu avec honneur (mitAnstand) que sur la base de principes fascistes, autoritaires, impriaux (GS3 : 625)). De lautre, il serevendique encore du sionisme politique en 1934, dans une lettre du 23 Juin son meilleur ami Jacob Klein(GS3 : 515).

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    En mme temps, les rapprochements faits avec les autres lectures politiques de Platoninscrivent le travail de Strauss dans une constellation rvolutionnaire-conservatrice allemande, sans que Strauss reproduise strictement une position dj existante. Dans sarappropriation de Platon et de Maimonide se cache mme ce quon peut lire comme une

    critique discrte du national-socialisme et particulirement de lidal guerrier et delidologie vlkisch.Ce nest en effet pas un hasard si le Prophte de Maimonide nest pas dabordun soldat, maisun philosophe et un lgislateur. Dans les crits des annes 1930 et notamment dans louvragesur Hobbes, Strauss procde certes une rvaluation positive des vertus viriles et hroquesdu courage , de lhonneur et de la magnanimit , valeurs guerrires par excellence,mais ne va pas pour autant placer la figure du soldat, contrairement dautres discoursrvolutionnaires-conservateurs40, au sommet de la hirarchie des valeurs: Contrairement Hobbes qui nie systmatiquement que le courage soit une vertu (Strauss 1935b : 186) dansla mesure o il fonde la justice et toutes les autres vertus sur la crainte et, en dernireinstance, sur la crainte de la mort violente 41, Platon, lui, ne remet pas en cause la nature

    vertueuse du courage, [] mais soppose seulement la survaluation du courage (Ibid.,voir galement la lettre du 2 Fvrier 1933 Karl Lwith dans GS3 : 620). Cest comme siStrauss cherchait construire une sorte de fascisme idal, dide rgulatrice dun fascismespirituel (Orozco 1995 : 90) dans lequel lidal guerrier occuperait une place centrale certes,mais subordonne. Il met en effet, avec Platon, une autre vertu au dessus du courage : lasophrosyne (matrise de soi), elle-mme subordonne la justice (dikaiosyne) et la sagesse (Strauss 1935b : 166-168). Tout, on le dcouvre progressivement, nest chezStrauss quune question darchitectonique. Dans ltat fasciste idal, chacun doit trouver sa

    juste place dans une juste chane de commandement ; si la hirarchie nest pas respecte, si latte ne commande plus au corps, cest lanarchie. Le courage, capacit de lhomme seprendre lui-mme en main, sans crainte ni faiblesse dme [] se prserver et assurer sonsalut , quand il nest plus tenu en bride par la sophrosyne, devient ainsi vulgaire ,culminant dans la figure du tyran , anim dun gosme sans bornes et dunearrogance dlirante (167)42. Cette arrogance consiste prcisment en cela que le tyran nechercherait pas juste rgner sur les hommes, mais aussi sur les dieux . Strauss prcisantune page plus loin que Platon et Aristote saccordent penser que les philosophes sont lesseuls hommes vivre sur lle des bienheureux (168), on comprendra que le problmede ce mauvais tyran, qui est limage renverse du bon prophte, cest quil est devenuincontrlable, quil ne se laisse plus guider par les bienheureux , quil ne sait donc plus

    40 Dans la confrence de 1941 donne la New School sur la rvolution conservatrice, Strauss se positionneexplicitement contre un esthtisme guerrier la Ernst Jnger quil considre prcisment comme lacaractristique du nihilisme allemand : celui-ci rejette les principes de la civilisation en tant que telle enfaveur de la guerre et de la conqute, en faveur des vertus guerrires (Strauss 1941b : 369)41 Cest pourquoi - cest lobjet du dbat entre Strauss et Schmitt autour du Begriff des Politischen, auquellouvrage sur Hobbes rpond - une critique radicale du libralisme ne peut, selon Strauss, recourir laphilosophie politique de Hobbes, car cest le philosophe anglais lui-mme qui fonde le libralisme (Voir Strauss1932b). Dans un compte-rendu dun ouvrage sur Hobbes paru en 1933, Strauss rcapitule rapidement pourquoion trouve chez lui toutes les prmisses et toutes les affirmations les plus caractristiques du libralisme. Ilsuffira, pour linstant, de rappeler les points suivants : le principe galitaire est la base de toute largumentationde Hobbes ; le droit naturel dont il parle a tous les caractres des droits imprescriptibles de lhomme ;lopposition entre ltat militaire et ltat industriel de la socit humaine, ce dernier tant le seul quil accepte[] ; il rejette, en partant du principe galitaire, le pouvoir paternel sur lenfant au profit du pouvoir maternel, en

    admettant, comme sa prmisse, lgalit lgale absolue des deux sexes ; enfin, ses opinions sur le mariage laque,sur labolition du serment, ses ides relatives lorganisation de lenseignement suprieur, et last but not least sa critique de la religion, tout cela est parfaitement conforme lesprit du libralisme. (Strauss 1933 : 244).42Voir la description comparable de Hitler dans Strauss 1941b : 364.

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    couter les conseils de celui qui parle bien , parce quil pense bien , comme Strausslcrira plus tard dans On Tyranny(Strauss 1948 : 75).Dans la mme veine, Strauss oppose aux projets expansionnistes national-socialistes unebonne politique impriale, qui se concentre sur le bon ordre lintrieur de ltat 43. Dans

    sa comparaison de la philosophie politique platonicienne et de la philosophie politiquemoderne (qui commence selon lui avec Hobbes), Strauss insiste sur le fait que Platon pose le primat de la politique intrieure . Platon se soucierait dabord du bon agencement deslments htrognes dansltat, dune harmonisation entre les diffrentes classes, possiblesi chacune tend soccuper de ses propres affaires, sans se mler de celle des autres et sesituer correctement par rapport la norme transcendante et immuable (Strauss 1935b : 183).Par extension, ltat juste au sens de Platon serait donc galement celui qui soccupe deses propres affaires et ne se lancerait donc pas dans des conqutes incertaines. Straussoppose ce modle platonicien toute la philosophie moderne, de Hobbes Kant (184), o larflexion sur constitution de lEtat se ferait selon le primat de la politique extrieure etdonc, de manire plus ou moins voile, par la dtermination de lennemi extrieur.

    Conformment ses options noaristocrates, Strauss privilgie cependant la distinctioninterne etverticale, entre lite et masse, celle, externe ethorizontale, entre les peuples ou lesraces. La seconde doit selon lui tre mise au service de la premire. Dans une lettre CarlSchmitt du 4 Septembre 1932, Strauss thorise ainsi la conversion de lantagonisme socialintrieur en un antagonisme extrieur : Lhomme tant naturellement mauvais, il a besoin dedomination 44; Pour mettre en place la domination, il faut cependant unir les hommes contredautres hommes, ce qui est facilit par une tendance naturelle la formation de groupesexclusifs : cest ainsi que Strauss rinterprte Aristote en passant par Schmitt : lhomme estun zoon politikon car il a une tendance naturelle vivre dans des socits fermes (Bergson). Cependant, Strauss, faisant allusion fameuse premire phrase du Begriff desPolitischen,45prcise que cette tendance naturelle est certes la condition, mais non pas le

    principe constitutifde ltat (Meier 1988 : 133). La formation dunits politiques exclusivesconstituerait donc un moyen et non une fin en soi. La fin de ltat serait plutt, pour les classiques , la loi naturelle, commune tous les sicles, [] ne avant quil existtaucune loi crite ou que ft constitu nulle part aucun tat 46, cest--dire la domination du rationnel sur lirrationnel , et plus prcisment des vieux sur les jeunes , de lhommesur la femme , du matre sur les esclaves (Strauss 1935b : 179-180). Si la dtermination

    43Voir la lettre Gerhard Krger du 17 Juillet 1933 o Strauss exprime sa dception face la tournure que prendlAufbruchnazi : Une solution dcente, juste, imprialeaurait t possible. La solution pour laquelle on sestdcid est le produit de la haine et elle engendre de manire quasiment ncessaire une contre-haine (GS3 :430). En Fvrier 1941, Strauss articulera sa critique de manire plus prcise. Grand admirateur de Churchill, il

    verra ltincelle de la pense romaine (Cf. GS3 : 625) brille dans lempire anglais : Personne ne peut direce quoi aboutira cette guerre [germano-anglaise, B.Q.]. Mais ceci au moins est nanmoins hors de tout doutepossible : en choisissant comme chez Hitler au moment crucial [], les Allemands ont cess de pouvoirlgitimement prtendre tre autre chose quune nation provinciale ; ce sont les Anglais, non les Allemands, quimritent dtre et de rester une nation impriale : car seuls les Anglais, et non les Allemands, ont compris quepour mriter dexercer un rgne imprial, regere imperio populos, il faut avoir t instruit pendant un trslongtemps :parcere subjectis et debellare superbos [pargner les vaincus et dompter les orgueilleux. Citationde Virgile, B.Q.] (Strauss 1941b : 373)44Le rcit de la gense du besoin de domination (Herrschaftsbedrftigkeit) change chez Strauss en fonctiondu contexte. Dans le dbat avec Schmitt, il part du principe du caractre mauvais de lhomme, pousant pourainsi dire une conception thologique du mal (Strauss 1932b : 230-232). Dans sa reconstruction de la philosophieislamique et juive du Moyen-ge, la domination de lhomme sur lhomme est lgitime autrement. Cestlhtrognit et surtout lingalit entre les hommes qui fonde la ncessit de lappel au guide dont la tche

    est de corriger les extrmes vicieux , de suppler ce qui est dfectueux ou de modrer ce qui est en excs (Voir Strauss 1937 : 145).45 Le concept dtat prsuppose le concept du politique. (Schmitt 1932 : 7).46Strauss cite iciDes Loisde Cicron en latin (Strauss 1935b : 180, Note 109)

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    profondment ractionnaire de la rationalit chez Strauss apparat ici pleinement, celle-cinest pas articule sur un mode vlkisch. La distinction entre condition et principe indique dans la lettre adresse Carl Schmitt signifie que les mythes nationalistes, quiconstruisent autour des notions de nation ou de race la fiction dune socit sans classes,

    peuvent certes avoir une fonction centrale dans le processus dunification politique, maisquils ne sauraient cependant tre confondusavec le principe devant gouverner ltat idal.On comprend maintenant peut-tre pourquoi Strauss ne dcrit pas ni le philosophe, ni leprophte comme incarnation de la volont ou de lesprit du peuple, comme dans uneconception vlkischdu Fhrerprinzip.

    Le concept de philosophie dfendu par Leo Strauss dans les annes 1930, nest, nous espronslavoir montr, ni mtapolitique, ni une forme de vie rsistante (Sfez 2007 : 75) :Dune part, le geste mtapolitique (cest--dire la prise de distance face au politique pour lefonder) est chez Strauss lui-mme politiquement situpuisquil vise donner un fondementphilosophique un Ordre total dont le caractre autoritaire qui se cache trop mal sous le

    principe du rgne de la Loi et de la raison . Lhorizon platonicien, partir duquelStrauss articule sa critique radicale du libralisme est, quant lui, historiquement marqupuisquil sinscrit dans le contexte des lectures fascisantes de Platon de lAllemagne desannes 1920 et 1930. La rsistance du philosophe, dautre part, sarticule de manireessentiellement sotrique ; La critique des mythes (nationalistes) de ltat que lephilosophe platonicien a, en tant que gardien de lordre idologique, contribu lgitimer -est strictement destine une lite et donc inaudible pour la majorit des intresss. Elle a laspcificit de ne pasbouleverser lordre existant : il sagit plutt de guider le guide (denFhrer fhren)47.En 1938, Strauss arrive aux Etats-Unis et il commence enseigner laNew School for Social

    Research, dont il gravit les chelons jusquau moment de sa nomination comme professeur dethorie politique luniversit de Chicago en 1948. Ce quil y a de marquant dans satrajectoire, cest la continuit des thmes et des auteurs traits. Cependant, si Strauss continue commenter les mmes textes, laccent se dplace lgrement aprs lexil. La figure duphilosophe gardien de la Cit restera, aprs 1938, en arrire-plan pour laisser place celledu philosophe perscut oblig de pratiquer lart exo/sotrique dcrire pour chapper la censure (voir notamment Strauss 1941). Strauss change de perspective sans changer deposition, la fameuse redcouverte et pratique de lart dcrire ne faisant finalement

    47 Philosophie und Gesetz, semble en fait simplement rflchir au double sens du terme - la positionparadoxale de lintellectuel rvolutionnaire-conservateur dans ltat national-socialiste : entre mise au pas

    (Gleichschaltung) et autonomie de la philosophie, entre soumission et volont de prendre la tte dumouvement , entre soutien du rgime et critique interne, entre souverainet politique et souverainetphilosophique, tensions qui sont notamment luvre dans le fameux Discours du Rectorat de Heidegger de1933. Une comparaison du discours et de sa programmatique platonicienne (cf. Sommer 2010) avec lastructure argumentative de Philosophie und Gesetz, demanderait une tude particulire. Une telle comparaisonmontrerait quon a affaire dans les deux textes la mme ambivalence quant lautonomie de la philosophie, lesdeux textes voulant lier de manire principielle, pour reprendre une tournure clbre de Lwith, la libert de larecherche avec la contrainte tatique (Cit par Bourdieu 1988 : 13). Le but ne serait pas montrer que Strauss estinfluenc par Heidegger, mais de montrer les affinits structurelles des positions qui dbouchentncessairement sur une affinit des discours.Strauss prend au demeurant trs vite connaissance du Rektoratsrede et le condamne en y voyant un acte de soumission acritique (kritikloser Unterwerfung) au rgime (lettre Lwith du 5 Septembre 1933, GS3 : 636).Ce qui est ici problmatis est donc non pas la soumission en tant que telle, mais les modalits de celle-ci. Il est

    probable que les rsonances vlkisch du discours heideggrien nest pas t du got de Strauss. Ce quil necessera de condamner chez celui-ci, particulirement dans les lettres, cest dune part son caractre provincial,bodenstndig (voir par exemple : GS3 : 684), son historicisme radical dautre part qui culmine dans unerhtorique du destin (Schicksal) qui, selon Strauss fait compltement disparatre la nature (GS3 : 662).

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    quarticuler sur le plan hermneutique la position rvolutionnaire-conservatrice de lauteurque nous avons reconstruite dans cet article. Cette technique dcriture illustre au mieux les autres Lumires straussiennes et leur programme : clairer llite, cest--dire la librerdes mythes quelle partage avec la multitude, tout en laissant cette dernire dans les fers.

    Abrviation

    GS3 = Leo Strauss : Gesammelte Schriften, Tome 3, dit par Wiebke et Heinrich Meier,Stuttgart : J.B. Metzler, 2001.

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