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Phonologie de l'enfant français et variétés régionales Author(s): André Martinet Source: La Linguistique, Vol. 22, Fasc. 2 (1986), pp. 117-123 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248536 . Accessed: 16/06/2014 15:17 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.77.83 on Mon, 16 Jun 2014 15:17:49 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Phonologie de l'enfant français et variétés régionales

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Phonologie de l'enfant français et variétés régionalesAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 22, Fasc. 2 (1986), pp. 117-123Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248536 .

Accessed: 16/06/2014 15:17

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Phonologie de l'enfant frangais et variet6s r6gionales

Andr6 MARTINET

A l'issue de plus de dix ans de recherches poursuivies par son 6quipe, Anne- Marie Houdebine nous offre un recueil d'6tudes intitul6 La phonologie de l'enfant

franfais de six ans. Varidtis rigionales, second volume d'une nouvelle collection d'Etudes de phonologie, phonetique et linguistique descriptive du frangais publi6e A Hambourg, chez Helmut Buskel. Il avait 6t6 pr6c6d6 d'un autre

volume, intitul6 Aspects de la langue orale de l'enfant a l'entrie du Cours prdparatoire2, dont le titre marquait bien une vis6e initiale essentiellement p6dagogique. L'ouvrage qui sort aujourd'hui se place bien dans la meme ligne, mais les faits

relev6s sont pr6sent6s ici dans l'optique de la dynamique phonologique du

franqais au moment o t l'enfant va etre expose A la forme graphique de la langue et aux interventions directives des maitres. Comme le suggere son titre, il nous apporte deux types de donn6es : celles qui renseignent sur l'identit6 de certaines

vari6tes r6gionales, et d'autres sur le comportement des enfants qui apprennent la langue de leur environnement, ici une de ces vari6t6s. Si les conditionnements

socio-6conomiques interviennent, en l'occurrence, relativement peu, c'est sans doute parce que le choix des t6moins a souvent 6t6 fait de fagon A r6duire l'importance de ce parambtre. II faut toujours garder en tate le fait qu'en France, plus peut-&tre qu'ailleurs en Europe, les facteurs sociaux de diff6renciation linguistique sont, au depart, subordonn6s aux facteurs g6ographiques.

Des enquetes r6alis6es par l'6quipe, et ceci est bien mis en valeur par Anne- Marie Houdebine en conclusion du volume, il ressort que les enfants, meme A

l'age tendre oih on les a approch s, reproduisent avec assez de fid61lit6 les usages locaux. Si les donn6es qu'ils nous fournissent suggerent, par rapport A ce que nous savons des usages qu'ils representent, certaines tendances 6volutives, celles-ci vont dans le sens de la dynamique de chacun des systhmes en cause. II faut done d'abord mettre en valeur l'information nouvelle qu'on nous apporte sur ces derniers.

C'est surtout pour le Midi et les regions de 1'Est que les nouvelles enquetes nous offrent des pr6cisions qui ne ressortaient pas de celles qui les ont pr6c&d6es.

I. En 1985, XIII + 254 P. 2. Besangon, C.R.D.P., 1983.

La Linguistique, vol. 22, fasc. 2/1986

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S8 Andrd Martinet

Le sondage de 1941, dont les r6sultats ont etb reproduits dans La prononciation du franfais contemporain, n'offrait, pour ces deux parties de l'Hexagone, que des donnees tres generales, toujours lacunaires et, dans bien des cas, sujettes A caution. L'enquete men6e par Henriette Walter et son 6quipe aupres de plus de cent informateurs representatifs des diff6rentes varietes de la francophonie d'Europe apportait de precieux complements, mais les quelque 250 pages d'Enquete phonologique et varigtIs rigionales du franGais3 n'ont pas permis de les

publier int'gralement. Le cas des r6alisations phonetiques du e instable m'rite de retenir l'attention.

Tout semble indiquer qu'il s'agissait, au depart, d'un < lubrifiant >> phonique conserve et, dans certains cas, suscit6 pour faciliter I'articulation des successions de consonnes. Cette voyelle 6tait issue, dans la majorit6 des cas, d'une anterieure non arrondie, d'ouf sa graphie par e, et elle 6tait certainement une centralisee, celle qu'on note [a], articulee sans poussee des lIvres en avant. Cependant, comme en t6moigne notamment I'6volution des langues slaves, on peut s'attendre a ce qu'un tel o lubrifiant >> confonde finalement son timbre avec celui ou ceux de voyelles stables de la langue. L'histoire d6taill'e de ce processus en frangais reste A faire, mais, de's la fin du xIxe si cle, le Dictionnaire phonitique de la langue frangaise4 de Michaelis et Passy presente le e instable comme une voyelle faible intermediaire entre [oe] et [o]. Toutefois, on y distingue entre [a] et [oe] dans

[brave] brevet et [broeva3] breuvage. L'identification avec les anterieures arrondies moyennes [ce] et [e] n'y est assur6e que dans les realisations stables,<o accentuees>>, du type bois-le5. Dans les enquetes consciemment phonologiques qui se pour- suivent depuis pros d'un demi-siecle, on a eu le tort de ne pas distinguer express&- ment entre la finale stable et les autres positions. L'enquete de 1941 ne deman- dait de precisions articulatoires que pour bois-le. L'enquete d'Henriette Walter a permis d'obtenir d'autres donn6es, mais celles qui sont accessibles dans l'ouvrage publi6 ne font &tat, pour tous les t6moins, que des reactions a bois-le. Pour le Midi, sur les 27 t6moignages, on ne trouve d'information relative au e instable dans d'autres positions que pour trois d'entre eux. Or, si ces 27 m'ri- dionaux s'accordent A produire, dans bois-le, une arrondie ferm6e ou plut6t fermre ([f] ou, plus rarement, [qe]), la voyelle [a] est bien attestee dans les autres positions pour ceux pour lesquels l'information est disponible. On ne doit pas s'&tonner, dans ces conditions, si l'on tend A imaginer, pour le e dit instable (mais en fait stable!) des m'ridionaux, un timbre uniforme [o]. Ceci est desormais exclu : aux Milles, pres d'Aix-en-Provence, Jean-Pierre Gou- daillier relive, p. 87, un [a] dans 88 % des cas; Aziza Boucherit, p. 103, n'a trouv6 d'arrondissement, a Carcassonne, que dans 7,9 % des realisations. A Tarbes, toutefois, elle enregistre, p. I 19, une minorit6 (24 sur go) de r6alisations centrales ou centralisees. Meme si le Bearn nous oblige A nuancer nos conclu- sions, il semble que le Midi - o4 se maintiennent les oppositions de place de l'accent - ait deux traitements nettement distincts, en syllabe accentu6e (bois-le) et ailleurs. Le contraste est net avec la zone franco-provengale (Rh6ne

3. Henriette Walter, Paris, P.U.F., 1982. 4. La deuxieme edition est parue a Hanovre, en 1924; l'avant-propos de la premibre est dat6 de 1897. 5. Cf. Andr6 Martinet, La prononciation du franqais entre 188o et 1914, dans

Histoire de la languefranGaise, 188o-i9r4, Gerald Antoine et Robert Martin (dir.), Paris, C.N.R.S., 1985, p. 32-33-

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Phonologie de l'enfant franfais 19

moyen et superieur, val d'Aoste) ofi l'on a, dans bois-le, chez 7 sujets sur 11, la voyelle centrale, c'est-a-dire celle qu'on trouve vraisemblablement ailleurse.

On vient de voir en quoi les reactions de Tarbes, en ce qui concerne le e instable, se distinguent de celles des autres points d'enquete meridionaux. Mais les contrastes entre les diffdrentes vari't6s du Midi se manifestent sur bien d'autres points. En matibre de voyelles nasales, Carcassonne, par exemple, est a part, du fait d'une moindre frequence de l'appendice consonantique (p. io9), notamment pour /6/. Tarbes reduit majoritairement I'effectif des nasales B trois phoneimes sur le module parisien. Les Milles pr6sentent, dans ce cas, ce que Jean-Pierre Goudaillier de'signe comme une << rotation>> vers l'avant, c'est-A-dire un decalage en chaine dans cette direction. L'inconvenient du terme << rotation>> est qu'il parait impliquer un processus dynamique qui caracteriserait les usages provengaux, alors que, selon toute vraisemblance, on trouve 1A les realisations traditionnelles qui, a Paris et en maintes autres regions, ont 6volu6 au point qu'au in de la graphie correspond reguliirement un [0'e].

Ce que nous donne Gabrielle Konopczynski pour la Franche-Comte est une addition bienvenue A ce qu'on savait jusqu'ici des usages de cette province. Dans le traitement des donnees de l'enquate de 1941, on avait, un peu trop vite

peut-etre, rattache l'essentiel de ce domaine A la zone de substrat franco-

provengal. Cependant, une reponse provenant d'un originaire de Montbdliard avait paru si 6videmment apparentee A celles de notre region Est que, par exception, le departement du Doubs avait 6tp scind6 en deux7. En rapprochant et en contrastant, comme on le fait ici, Besanyon et Nancy, on degage les traits

phonologiques d'une region fort bien typde. Dans l'appreciation que l'on porte sur l'6tat d'avancement des processus

en cours, on ne doit pas se hater, sur la foi de quelques donnees, de conclure A un renversement de tendance. Que les jeunes Franc-Comtois realisent reguliere- ment l'opposition des deux a n'implique rien, bien entendu, pour la region parisienne. Les cas de repartition aleatoires des deux timbres - dont un cas de a POSTnRIEUR dans patte et de a ANT1.RIEUR dans pdte - qu'on releve A Paris ne temoignent que des tatonnements resultant de conflits entre des usages diff6- rents, ceux-lat memes qui conduisent A la confulsion des deux phonimes. Comme le note Anne-Marie Houdebine, p. 21 I et 215, il ne faut voir dans ces hesitations ni l'indication que l'opposition des deux phonemes de grande ouverture est en train de se reaffirmer oui elle 6tait en recul, ni se presser d'en sonner le glas.

Il est un point sur lequel on peut se demander dans quel sens joue actuelle- ment la dynamique du systeme phonologique parisien. Il s'agit de la tendance du /o/ a se porter vers l'avant pour aboutir parfois A une confusion avec /oe/, eu de la graphie ou e instable. Si, comme on l'a suppos'8, cette tendance a pris sa source dans le besoin de mieux distinguer /3/ de /a/ dans les usages o0a ce dernier se posteriorisait et s'arrondissait pour mieux s'opposer t /a/, I'dlimina- tion, A grande 6chelle, de ces prononciations de /a/, ressenties comme vulgaires, pourrait avoir pour effet de faire retrouver a /// son identit6 phonique tradi-

6. Cf. Henriette Walter, Enquite phonologique..., p. 169-171, 194-197. 7. Voir Andre Martinet, La prononciation dufranfais contemporain, Paris, Droz, 1945,

p. 31. 8. Cf. Andr6 Martinet, C'est jeuli le Mareuc, Romance Philology, ii (1958), p. 345-355,

reproduit dans LefranGais sansfard, Paris, P.U.F., 1969, p. 191-208.

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12o Andru Martinet

tionnelle. On versera , ce dossier la constatation de Caroline Peretz-Juillard que les realisations anteriorisees de ce phoneme sont plus nombreuses chez les

adultes, dont elle avait, dans sa th6se, 6tudi6 les comportements (25,5 %), que chez les enfants dont les habitudes phonologiques ont retenu ici son attention

(7,3 % dans une 6cole et 6,4 % dans l'autre). Dans l'examen des faits lillois, par Anne Lefebvre, et parisiens, par Caroline

Peretz-Juillard, on avait, par le choix des temoins, partiellement lie * celui

de deux diff6rents points d'enquete, tent6 de d6gager une influence possible des facteurs socio-6conomiques. Cette influence n'est pas niable, mais elle se r6vele comme moins directement en rapport avec le lieu de residence qu'elle pouvait l'etre A une 6poque o~i chaque quartier, chaque faubourg etait sociale- ment bien type. C'est done, essentiellement, le statut de la famille qui peut aujourd'hui intervenir. D'autre part, aupres d'enfants

dj', touches par la

scolarit6, la personnalit6 et les initiatives des maitres ont une influence consi- d6rable. On a connu, A Choisy-le-Roi, une grande section de maternelle oii, A l'issue de l'annee scolaire, les enfants avaient tous adopt6 les prononciations en [Ce] de l'enseignante9. Mais pour combien de temps ?

Dans un chapitre final, Anne-Marie Houdebine presente une synth6se magistrale des donnees recueillies par ses cinq coequipiers. La confrontation des systemes degages, enrichie par l'utilisation des resultats d'autres recherches

poursuivies recemment A Angers et A Paris, I'amene A bien marquer ce qui oppose les diff6rents usages phonologiques de l'Hexagone - aussi bien dans les

elements permanents de leur structure que dans leur dynamique interne - et

qui se manifeste dbs les premiers temps de l'apprentissage du langage. Elle met, par ailleurs, en valeur certaines constantes, qu'on retrouve dans ce

qu'elle designe comme l'6paisseur synchronique de chaque usage - notam- ment une certaine instabilit6 chronique -, constantes qui decoulent, bien entendu, d'une identit6 originelle, jointe Il'in6vitable convergence des frangais locaux.

Oh en sont les petits Frangais de six ans dans le processus d'apprentissage de la phonologie de leur langue ? Grace aux recherches menees par Anne-Marie Houdebine et son 6quipe et A l'experience fournie depuis quatorze ans par l'utilisation de la graphie phonologique alfonic0o dans l'enseignement de I'6criture et de la lecture, on est, en la matiere, assez bien renseign6. On peut dire que, des cet age, les distinctions phonologiques valables pour l'ensemble de la com- munaut6 sont bien &tablies, avec, au plus, quelques traces d'incertitudes dans ce qu'on peut d6signer comme le << carr6 des sulcales >>, c'est-A-dire les chuin- tantes et les sifflantes. Mais, bien entendu, dans les zones d'instabilit6, qu'il s'agisse des voyelles de grande et moyenne ouverture et des nasales ou du statut

phonologique des produits correspondants au -gn- et au -ng de la graphie, il convient de rester en alerte. C'est sur le detail de l'acquisition du vocalisme qu'on trouvera, dans le volume ici en cause, d'interessantes precisions, qui valent

plus pour chaque region en particulier que pour l'ensemble. Sur la fagon dont, en general, l'enfant acquiert son syst me par imitation des pratiques de son

9. Cf. Jeanne Martinet, A propos d'une enqu~te sur la phonologie d'enfants d'une ecole maternelle, La linguistique, ro, fasc. I, 1974, P. 98.

Io. Voir, notamment, Vers 1'crit avec alfonic, par Jeanne Villard, Andr6 Martinet, Jeanne Martinet et al., Paris, Hachette, 1983.

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Phonologie de I'enfant frangais 21

entourage, on rel6ve, ici et 1A, quelques naivetes : comment le petit Franc- Comtois peut-il reproduire des formes distinctes des substantifs pluriel avant de connaitre leur graphie ? Mais, bien s^r, de la meme faqon dont tout un chacun identifie le nombre A l'audition. Et ceci rappelle combien nous restons mal

renseignes sur la fagon dont l'enfant, des sa premiere annee, va passer de l'imi- tation globale des 6nonces - simplement tronques, par incapacit6 memorielle et physiologique de les reproduire integralement - A une identification graduelle des unites, aussi bien significatives que distinctives. C'est pourquoi il n'est

peut-etre pas d6plac6 de reprendre ici le problkme A la base. Dans l'histoire de la linguistique, l'entreprise phonologique a et6 la premiere

a tenter de formaliser les donnees langagieres. Formaliser veut dire ici classer les faits en 6cartant, pour un temps, certains aspects de la realit6 perceptible au nom de la pertinence fonctionnelle. Ceci ne doit pas etre oubli6, meme si, aujourd'hui, les phonologues les plus conscients sont ceux qui denoncent la formalisation abusive, celle ou, par goit de l'abstraction en soi, on oublie

d'expliciter la pertinence au nom de laquelle on opere, o1, en fait, on passe sous silence les conditions du processus abstractif.

Le goait de la formalisation favorise une vision statique des faits et c'est lui

qui a longtemps d6tourn6 l'attention des conditions dans lesquelles s'6tablit, chez l'enfant, le systeme phonologique de sa langue. La tentative la plus connue en la matiere est, bien entendu, la Kindersprache de Roman Jakobson. Elle est la plus belle illustration d'un d6sinteret pour l'observation qui va de pair avec le desir de degager un principe qui, dans l'esprit de son inventeur, doit r6gir aussi bien l'acquisition du systeme par l'enfant que les formes qu'assume ce systeme dans toutes les langues et sa desagregation lorsque sont affect6es les facult6s humaines.

Si l'on recuse le postulat inn iste qui est A la base de la vision jakobsonienne, il nous reste A saisir comment I'enfant, au cours de son apprentissage de la langue, va finalement ordonner la multitude des impressions acoustiques aux- quelles il est expose des ses premiers jours. On peut naturellement pretendre que cette ordonnance est une illusion, que le systime phonologique est une invention du linguiste, une fagon qu'il a d'6tablir, pour lui-meme, de l'ordre 1A oC il n'y en a pas. Mais l'existence du systeme dans le comportement du sujet se r6vele lorsqu'on cherche A voir comment une langue fonctionne et comment elle change parce que, precisement, elle ne peut cesser de fonctionner. Si les changements phoniques ne se produisent pas au hasard, mais en se conformant A ce qu'on appelait autrefois des <<lois phon6tiques)>, c'est bien parce que chacun

opere avec des habitudes articulatoires qui caracterisent la langue qu'il parle. Ce que les phonologues designent comme des phonemes correspond, le plus souvent, A de telles habitudes. Nous nous refusons A les considerer comme donnees d6s le d6part puisqu'elles different de langue A langue. Il faudra bien qu'elles s'6tablissent progressivement selon le meme processus economique que celui qui aboutit a identifier, dans le comportement du locuteur, des formes aussi diff6rentes que il est [arriv]6 et il a [d&jeun]6. Cette identification va consister, pour l'enfant, A employer l'une ou l'autre toutes les fois o0 il s'agira de marquer l'existence d'un fait accompli dans le pass6. La preuve de l'identification sera donnee lorsque l'enfant laissera 6chapper il a arriv6 en generalisant la forme la plus commune de l'accompli-pass6. Il n'en ira pas autrement dans le cas de il va, il allait, il ira, oh l'enfant va apprendre A faire abstraction de certaines

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differences formelles pour employer une ou I'autre de ces formes chaque fois o0 la notion d' << aller >> figure dans l'experience qu'il veut transmettre.

Ce processus d'identification des < allomorphes >> peut &tre rapproch6 de celui qui aboutit A grouper diff6rents << allophones >> en une meme unite' distinc- tive, disons, par exemple, le [p-] explosif de patte et le [-p] implosif de cape, ou, dans l'usage meridional, le [e] fermi de donni et le [e] ouvert de perdre.

Toutefois, jusqu'ou pouvons-nous pousser le parall6lisme ? On est tent6 de faire valoir que l'identification d'un meme trait < accompli dans le passe >>, dans il est arriv6 et ii a ddjeund suppose une activit6 de l'esprit, alors que I'emploi de deux << allophones >> rsulte d'un simple automatisme, l'usager 6tant condi- tionn &A employer l'explosion ici, I'implosion 1A. Sans doute ne constatons-nous

jamais l'usage de [p-] explosif 1. oh l'on attend [-p] implosif, ce qui nous donne- rait l'assurance que le sujet a effectivement identifi6 ces deux [p], comme le fautif il a arrive est la preuve que I'enfant a surmont6 la diff6rence formelle pour aboutir a l'identit6 fonctionnelle et qu'il a reconnu, dans les deux 6nonces, un meme signifi6 qui va l'entrainer " employer le meme signifiant dans les deux cas.

Toutefois, si l'on ne peut plus constater, dans le cas du phoneme, unite distinctive a face unique, d'unification d'un signifiant au moment oh s'impose l'unit6 d'un signifi6, on peut observer comment le sujet reconnait parfois I'iden- tit6 d'un phoneme au-delt des variations physiques, lorsque celles-ci sont totalement et synchroniquement conditionne'es par le contexte. C'est l'utilisation d'alfonic auprhs d'enfants de cinq A six ans qui nous en apporte la preuve. L'experience indique qu'un enfant nomm6 Paul qui a appris A reproduire graphiquement son prenom comme /pol/ n'a guere de difficulte A trouver /tap/ comme la forme &crite de tape. Ceci veut dire qu'il a su identifier l'explosion labiale et I'implosion correspondante comme deux variantes d'une meme habitude articulatoire. Peut-6tre l'enfant n'aurait-il pas pens6 a rapprocher le [-p] de tape du [p-] de Paul, si on ne I'avait mis devant la necessit3 de trouver, parmi les lettres qu'il connait, celle qui va convenir pour tape. Mais c'est bien cette identification qui a 6te faite et non une autre.

II n'est pas dit que le passage des << allophones >> au phoneme se ferait dans les memes conditions dans le cas du [e] de donni et du [e] de perdre chez un petit meridional qui ne fait jamais un usage distinctif de la diff6rence d'ouverture. II n'a jamais essaye' de reproduire donni (non plus que donnait) autrement

qu'avec [e]. Mais ce sont aI, pour lui, des automatismes acquis, << culturels >>, plut6t que << naturels >> comme dans le cas des deux p. Lorsqu'il prononce perdre, il ne cherche pas A reproduire un [e] que le contexte deforme en [e]. II reproduit simplement le [e] qu'il a toujours entendu dans ce mot. Si le maitre lui propose le seul e pour [e] aussi bien que [e], il en prendra aisement son parti. Mais s'il n'a jamais utilise e qu'en r6f6rence g [e], il est possible qu'il ne sache trop que faire s'il lui faut, tout A coup, noter graphiquement perdre ou quelque autre mot a voyelle [e].

Aux petits Parisiens, alfonic offre la latitude de distinguer, a la finale, entre le /e/ de donni et le /6/ de donnait. Bien qu'il soit recommand6 de ne pratiquer la distinction graphique qu'A la finale absolue, il est frequent que, sous le feutre des enfants, i apparaisse dans toutes les positions possibles, dans perdre, dans cette, voire dans la premiere syllabe de maison. Il est clair que la plupart des

mnaitres trouvent plus < logique >> d'6crire e partout oh% ils entendent, ou croient entendre, [e]. Mais les enfants ne reagissent pas autrement, et 1I oh I'accent

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Phonologie de l'enfant franfais 123

grave n'apparait pas pour noter un [e], c'est probablement plut6t par paresse que pour marquer une neutralisation de l'opposition. Il est vrai que la neutralisa- tion, dans ce cas, n'est pas soutenue par les regles du << beau parler >> qui insis- terait pour distinguer B l'oral entre rdsonner et raisonner. Sur ce point, la pragma- tique bloomfieldienne, avec son principe once a phoneme, always a phoneme, sem- blerait triompher de la theorie pragoise oh tout tourne autour de l'operation commutative. Sans doute, les Parisiens ne parviennent-ils guere A articuler un [e] en syllabe couverte finale : petit dejeuner s'abrege automatiquement en

petit deje, et personne ne mettrait sur le meme plan l'opposition e , e et l'oppo- sition i ~ e. Les locuteurs font entibrement confiance A la seconde : /lise/ ne

peut etre que lycde ou lisser, jamais laisser, alors que ce dernier sera 6galement bien identifi6, qu'on ait entendu [lsse] [lese] ou, dans la premiere syllabe, n'importe quel timbre << anterieur moyen >>. Cependant, une fois son attention attiree sur sa faqon de prononcer sa langue, il y a quelque chance pour qu'un Frangais, enfant ou adulte, s'interesse plus aux sons en eux-memes qu'aux possibilites qu'ils offrent d'assurer l'identit6 des mots.

Tout cela n'est pas sans effet sur la fagon dont on doit concevoir la dynamique de l'acquisition des distinctions phonologiques et sur la valeur qu'on doit attribuer a telle ou telle deviation par rapport A la norme qu'on pense aperce- voir. Si l'on ne connait pas d'analyse phonologique bien faite oh n'apparaissent des faits marginaux, on ne saurait attendre d'enfants, qui ne sont pas si loin de l'6poque oh ils imitaient sans analyser, qu'ils satisfassent en tout point aux ideaux du descripteur.

xo, avenue de la Gare F 9233o Sceaux

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