12
" Phonologieet morphologie du francais (13) Nasalite N N I r----- Voyelle V V V V V I I I I I d a t i s - I a v a t-I a Cette contrainte sur la propagation du trait de nasalite est exprimee sous forme d 'une condition de localite qui stip ule que la voyelle cible doit etre adjacente it la voyelle source . Nous verrons plus loin que la condition de localite joue un role crucial dans les theories moderne s de la syllabe. 5.3 La syllabe et la theorie syllabique Tout locuteur a une connaissance implicite du fait que, dans la chaine parlee, les segments se combinent entre eux pour former des syllabes. La syllabe est une unite prosodiq ue qui se compose minimalement d'un segment vocalique et , de facon facultative, d'un certain nombre de consonnes. C'est la these de Dan iel Kahn (1976, Syllable-Ba sed Generalization s in English Phonol ogy) qui introduit la syllabe en phonologie generative. Un argument classique montrant la necessite d'introduire la syllabe en phonologie nou s vient de Joan Hooper (1976, An Introduction to Natural Generative Phonology). Hooper montre que I'analyse de l'as similation nasale en espagnol requiert une reference a la notion de syllabe. Considerons les donnees de I' espagnol ci-dessou s: (14) a. un be so [umbe so] " un bai ser " un charco [uncarko] "un etang" un gato [uqgato] "un chat" b. miel [rnjel] "rn i el" nieto [njeto] "petit-fils" un hielo [uqjelo] "une glace " c. muevo [rnwepo] "je bouge" nuevo [nwepo] "nouveau" un huevo [unwejso] "un oeu f" On observe que la consonne nasale acquiert Ie point d' articulation de la consonne occlusive qui suit en (l4a) . En (l4b) et (l4c), on remarque que I'assimilation se produit egalement devant les serni-voyelles, mais seulement lorsqu 'une frontiere separe la nasale de la semi-voyelle qui suit. C'est la raison pour laquelle l'assimilation est observee dans la derniere forme en (l6b) et en (l6c) , mais pas dans les deux qui 120 precedent. En ou elle ne se une frontiere comme une fl On peut repre (15) AS SI:-'llL [urrrSbe [uq 'S car [urjSga: [uI)Sjel< [uI) Swe II f'aut representatic exarninerons dan ze se , : yelle5 h.n .: e! 5.3.1 =:-' 2.:" !5 53. the: _ expnrner .) ..: C' nte de •- - l' - =..: \ -v lla be . re i =" :'. -- ... . une repre pr ononcer ,-' "', '. : " :', ;

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"

Phonologieet morphologie du francais

(13) Nasalite N N

I r-----Voyelle V V V V V

I I I I I d a t i s - I a v a t-I a

Cette contrainte sur la propagation du trait de nasalite est exprimee sous forme d 'une condition de localite qui stipule que la voyelle cible doit etre adjacente it la voyelle source. Nous verrons plu s loin que la condition de localite joue un role crucial dans les theories modernes de la syllabe.

5.3 La syllabe et la theorie syllabique

Tout locuteur a une connaissance implicite du fait que, dans la chaine parlee, les segments se combinent entre eux pour former des syllabes. La syllabe est une unite prosodique qui se compose minimalement d'un segment vocalique et , de facon facultative, d'un certain nombre de consonnes. C 'est la these de Daniel Kahn (1976, Syllable-Based Generalization s in English Phonology) qui introduit la syllabe en phonologie generative. Un argument classique montrant la nece ssite d'introduire la syllabe en phonologie nou s vient de Joan Hooper (1976, An Introduction to Natural Generative Phonology) .

Hooper montre que I'analyse de l'assimilation nasale en espagnol requiert une reference a la notion de syllabe. Considerons les donnees de I' espagnol ci-dessou s:

(14) a. un beso [umbeso] " un baiser" un charco [uncarko] "un etang" un gato [uqgato] "un chat"

b. miel [rnjel] "rn i e l " nieto [njeto] "petit-fils" un hielo [uqjelo] "une glace"

c. muevo [rnwepo] "j e bouge" nuevo [nwepo] "nouveau" un huevo [unwejso] "un oeuf"

On observe que la con sonne nasale acquiert Ie point d' articulation de la con sonne occlusive qui suit en (l4a) . En (l4b) et (l4c), on remarque que I'assimilation se produit egalement devant les serni-voyelles, mais seulement lorsqu 'une frontiere separe la nasale de la semi-voyelle qui suit. C'est la raison pour laquelle l'assimilation est observee dans la derniere forme en (l6b) et en (l6c), mais pas dans les deux qui

120

precedent. En ou elle ne se ~

une frontiere comme une fl On peut repre

( 15) ASSI:-'llL

[urrrSbe [uq'Scar [urjSga: [uI)Sjel< [uI)Swe

II f'aut representatic exarninerons ;- ~0P0 5~S dan ze se P 3 ~5 ~

;- ~t nOm~ne5

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5.3.1

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La phonologie plurilineaire

;:recedent. En separant les contextes ou I'assimilation se produit de ceux :,u elle ne se produit pas, on decouvre qu'il y a assimilation seulement si .ine frontiere separe les deux consonnes. Cette frontiere sera definie comme une frontiere de syllabe, notee au moyen du signe du dollar ($). On peut representer les deux contextes de la facon suivante:

ee sous 15) ASSIMILATION PAS D' ASSIMILATION ~Ie doit

[um$beso] [$mjel] que la

[ul1.$carko] [$njeto] ~s de la

[uI)$gato] [$mwe(3o] [uI)$jelo] [$nwe(3o] [UI)$wepo]

II faut done tenir compte du niveau syllabique dans leschaine representations phonologiques. Dans les sections suivantes, nousbes. La exarninerons les principaux modeles de representation syllabiqueat d'un proposes dans la documentation . Nous verrons plus loin qu'il est difficile bre de de se passer de la notion de syllabe pour I'analyse de nombreuxe-Based phenomenes du francais, tels l' ajustement du schwa, Ie relachernent desabe en voyelles hautes en syllabe ferrnee et la reduction des groupes deecessite consonnes en position finale de mot du francais quebecois . (1976,

5.3.1 La syllabe plate spagnol Dans sa these de 1976, Kahn montre que Ie recours a la syllabe permet nees de d' exprimer des generalisations phonologiques qui ne pourraient pas etre

forrnulees autrement. Ainsi, de nombreuses regles s' appliquent devant Ie merne contexte disjonctif {C, #}, c'est-a-dire devant une consonne ou une frontiere de morpheme. Le modele SPE est inapte a formuler une genera­lisation pour ces regles, a moins de considerer que des segments et des frontieres forment une classe naturelle. En revanche, Kahn peut unifier les deux contextes et formuler une generalisation en faisant reference it la syllabe, representee et it un niveau distinct.

Dans Ie modele de Kahn, la syllabe est plate, sans structure interne. C' est une notion essentiellement phonetique : Ie nombre de syllabes dans une representation phonologique est egal au nombre de voyelles prononcees en forme de surface. Par exemple, les mots patrie et partie

1 de la sont representes comme ci-dessous : ue que

( 16) Niveau syllabique $ $ $ $ . mais lle qui /\Il\ Il\/\ fans la Niveau segmental pat R i paR t i lX qui

121

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.

i

:

Phonologie et morphologie du francais

La repartition syllabique des segments respecte les trois regles syllabiq suivantes: limites

les cons • Regles de repartition syllabique: i c]. ( 17

1) Associer un noeud (sommet) syllabique a chaque segment ( 17) a. [+sy llabique] .

2) Associer les consonnes a la gauche du segment [+syllabique] jusqu'a la limite maximale de consonnes permises en debut de syllabe.

b 3) Associer les consonnes a la droite du segment [+sy llabique]

jusqu 'a la limite maximale de con sonnes permises en fin de syllabe.

La premiere regie stipule que les syllabes sont construites a partir de s c segments [+syllabique], c'est-a-dire les voyelles (et, dans certaines langues, les resonnantes). Les deux autres regles specifient comment associer les consonnes, a l'interieur des limites permises.

Ces limites sont determinees notamment par Ie degre de sonorite des I segments a associer. De facon generale, dans une syllabe, Ie degre de J.lY Ke sonorite des segments doit decroitre de part et d'autre du sommet (Ia

-v llabe voyelle). La courbe syllabique doit plus ou moins ressembler a une .r.nova cloche: la sonorite augmente graduellement du debut de la syllabe :-.2tio n jusqu'au sommet, puis decroit graduellement du sommet jusqu'a la fin .

~ ~ n s C' n

Pour organiser les syllabes en fonction de cette propriete, les segments ':,ase psont classes sur une echelle, une hierarchie selon leur degre de sonorite. de qua Cette hierarchie de sonorite est consideree comme universelle. II en existe

de con toutefois plusieurs versions; la plu s communernent adoptee est la suivante: .ermes

: :: .:u e• Hierarchic de sonorite: ~

occlusive s < fricatives < nasales < liquides < semi-voyelles < voyelles ..:. :ell - sonore ----- --------------- ---------- --- ------------------------- + sonore :: zx.en

.:.:: z :-~ s C'est en tenant compte de cette hierarchic de sonorite que nous avons pu ..... .:.~

effectuer Ie decoupage syllabique en (16). La suite [tr] de patrie est . :- ~-:: c

tautosyllabique (dans la merne syllabe), mais pas la suite [rt] de partie. En :>...:. ~ effet, la syllabe *[rti] serait mal formee puisque Ie degre de sonorite des segments n 'y croitrait pas de facon reguliere, du debut de la syllabe jusqu'a son sommet ([r] est plu s sonore que [t]) . derive

, _:', ar Concretement, les troi s regles de repartition syllabique sont

appliquees de la facon suivante. D'abord, on identifie les segments [+syllabique] (generalement des voyelles) et on leur associe un sommet

122

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La phonologie plurilineaire

~ s troi s regles

gment

llabique] n debut de

abique] n fin de

5 a partir des lans certaines ient comment

e sonorite des " le degre de u sommet (la ernbler a une de la syllabe usqu 'a la fin .

o les segments e de sonorite. le. II en exi ste st la suivante :

.s < voyelles

._- + sonore

lOU S avons pu de patrie est de partie. En

e sonorite des de la syllabe

lIabique sont les segments

ie un sornmet

syllabique (cf ( 17a» . Ensuite, on associe les con sonnes a gauche, dans les limites permises par la hierarchic de sonorite (cf (l7b» . Enfin , on associe les consonnes adroite, toujours dan s les limites perrnises par la hierarchic (cf (l7c».

( 17) a. ERECTION DESSOMMErS DESYLLABE

$ $ $ $

I I I I pat R i paR

b. ASSOClATIONDESCONSONNES AGAUCHE

$ $ $ $

11 A 11 11 pat R i paR t i

c. ASSOCIATION DESCONSONNES ADRonE

$ $ $ $

11 A It\ 11 patRi paRti

Dans Ie modele de representation propose par George Clements & Jay Keyser ( 1983, CV Phonology: A Generative Theory of the Syllable), la syllabe est egalement plate. Toutefois, ce modele propose plusieurs innovations: un palier supplernentaire de representation (le niveau CV), la notion d 'inventaire syllabique et des contraintes sur les sequences consonantiques possibles. Tout en considerant que ev est la syllabe de base par excellence (universelle), Clements et Keyser posent l'existence de quatre syllabes de base (« core syllables »). Dans un ordre croissant de complexite, ces quatre syllabes sont: CV, V, CVC et VC. En d 'autres termes, ev est la syllabe la moins marquee (la moins complexe et la plu s frequente dan s les langues), tandis que ve est la syllabe la plus marquee (la plus complexe et la moins frequente dans les langues). lIs posent egalernent l'existence d'une relation d'implication entre les differents degres de marque des quatre syllabes de base: si une langue comporte des syllabes de type V, alors elle comporte necessairement des syllabes de type CV: si une langue a des syllabes de type eve, alors elle a aussi des syllabes de type Vet ev, etc .

Les trois syllabes de bases plus marquees (V, eve et VC) sont derivees de la syllabe universelle (CV) au moyen des deux regles suivantes:

( 18) Effacer e en position initiale de syllabe.

( 19) Ajouter e en position finale de syllabe.

123

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Phonologie et morphologie du francais

Les langues se distinguent par les regles qu 'elles choisissent d'appliquer pour deriver leur inventaire des syllabes de base. On peut ainsi les regrou­per en quatre types . Le s langues de type I ne comportent que des syllabes de structure CV, soit la syllabe universelle non modifiee par une regle. Le type II regroupe les langues ayant des structures CV et V, so it un inven­taire modifie par l' application de la regle en (18 ). Les langues de type III ont un inventaire modifie par la regle (19), soit les structures CV et CVe. Enfin, les langues de type IV ont les structures CV, V, CVC et VC, soit un inventaire modifie par les deux regles a la foi s. Le francais et l'anglais, comme plusieurs langues indo-europeennes, appartiennent au type IV.

Les langues ont egalement la possibilite de complexifier les syllabes de base de leur inventaire en ajoutant des consonnes en position initiale ou finale . Cette possibilite est representee par une notation avec asterisque (C\ ou I'asterisque signifie que C peut correspondre a plus d'une consonne. Ainsi, C·V represente une syllabe comportant un nombre indeterrnine de con sonnes initiales, tandis que VC · represente une syllabe comportant un nombre indetermine de consonnes finales.

Les suites de consonnes dans une syllabe sont regies par deux types de contraintes. Une contrainte generale (universelle) stipule, comme dans le modele de Kahn, que la succession des segments doit respecter la courbe syllabique de sonorite : le degre de sonorite des consonnes doit decroitre progressivement a me sure que l'on s'eloigne de la voyelle. Les autres contraintes sont propres a chaque langue. Elles determinent le nombre maximal de consonnes pouvant occuper la position initiale et la position finale de syllabe.

Une derivation syllabique dans ce modele se deroule de la facon suivante, illustree par le mot obstacle . Au depart, les elements de la couche segmentale sont associes a des elements de la couche CV: les segments vocaliques sont associes a des V et les segments consonantiques a des C. Pui s, les V sont associes a des noeuds syllabiques (symbolises par la lettre grecque 0' ) :

(20) 0' 0'

I I V C C C V C C I I I I I I I o b s t a k 1

En suite, les elements C a gauche de chaque voyelle sont rattaches au noeud syllabique, jusqu'a concurrence du nombre maximal de consonnes permises en position initiale:

: I I

z. ntm. les e l~

~:- .labique. j ::: rmlses en .

Pour ( langues. Ch~

~ :-ntenu est :-:-,:n::nt les ;:-llJ.be. Les : ::U \ types : ~ bu t de sy

_: ' a. C<

0'

~2. conditio :: : dune lie ::: s ~ llabe : :::1t3.1e et :-:--. ~mc P 05-1

En ir ~ :. llab l qu e.

: 2.: ;o n des ~ :- r1 S 0 nneS

~ : mmen.:e : 2.:11e de I ; : :-.t pas ri :-:-. · : j ~ le de

124

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La phonologie plurilineaire

ppliquer regrou­syllabes

'egle . Le n inven­type III et CVe.

'. soit u n .anglais, ~ IV.

ifier les position

ion avec 'e a plus rant un ente une

ar deux . comme pecter la nes doit elle. Le s .inent le ale et la

la facon I couche .egrnents ades e. la lettre

iches au msonnes

121) 0' 0'

I .---:71 v C C C v C C

I I I I I I I 0 b s t a k 1

Enfin, les elements C adroite de chaque voyelle sont rattaches au noeud syllabique, jusqu'a concurrence du nombre maximal de consonnes permises en position finale:

(22) 0' 0'

~ ~ V C C C V C C

I I I I I I I o b s t a k I

Pour decrire les suites de consonnes permises ou interdites dans les langues, Clements & Keyser proposent deux types de conditions dont le contenu est specifique a chaque langue. Le s conditions positives deter­minent les suites consonantiques autorisees a I'interieur d 'une meme syllabe . Les conditions negatives specifient les suites inacceptables. Ces deux types de conditions sont illustres ci-dessous (ou 0'[ represente un debut de syllabe) .

(23) a . CONDmONPOSI11VE b. CONDmON NEGATIVE

J r r [-son] [+sonJ

-nas

La condition en (23a) stipule que les suites constituees d'une obstruante et d 'une liquide (p . ex. [pi] , [vr], [gl]) sont autorisees en position initiale de syllabe. La condition en (23b) specific que les suites con stituees d 'une dentale et d'une labiale (p. ex . [tp], [tb], [dm]) sont interdites dans la merne position .

En introduisant le niveau CV entre le palier segmental et le palier syllabique, le modele de Clements & Keyser rendait possible la represen­tation des consonnes de liaison. Rappelons que ces consonnes sont des consonnes en finale de mot qui se realisent seulement si le mot suivant commence par une voyelle (p. ex. petit ami , les amis). Elles font done partie de la representation du mot a un certain niveau, merne si elles ne sont pas realisees phonetiquernent (p. ex . dans petit chat , les chats). Le modele de Kahn n ' offrait pas la possibilite de representer les consonnes

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I

I

Phonologie et morphologie du francais

de liai son puisque tou s les segments de la representation syllab ique devaient necessairement etre realises en forme de surface. Dans Ie modele de Clements & Key ser , par contre, ces consonnes « flottantes» sont as so­ciees a. une unite C du niveau CV, sans etre rattachees au noeud c du niveau syllab ique. Elles restent donc muettes, a. moins que Ie mot suivant commence par une voyelle et leur fournisse ainsi Ie contexte approprie pour s'attacher a. un noeud cr .

5.3.2 Le modele hierarchise

Un modele plus populaire de representation est celui propose initialement par Eric Fudge ( 1969, ' Sy llables' ), puis developpe par Jonathan Kaye & Jean Lowen stamm (1984, 'De la syllabicite'). Ce modele represente la syllabe au moyen d'une structure arborescente. La syllabe a une struc­ture interne: elle est subdivisee en deux constituants de ba se, l'attaque (A) et la rim e (R), La rime peut se subdiviser a. son tour en un no yau et une coda. Chacun des constituants de la syllabe (A, R, N et C) peut etre simple (un seul membre) ou complexe (plusieurs membres).

Le schema general de la syllabe est comme ci-dessous, ou les constituants entre parentheses sont facultatifs.

(24) o

RA ----------­~ ~

(C) (C) (C) N (C)

»<. ~ V (V) (C) (C) (C)

Comme Ie montre Ie schema, tous les constituants peuvent brancher, c'est-a-dire dominer plu s d'un element. Les constituants attaque et rime sont toujours representes dans la structure syllabique, merne lorsqu'i!s ne dominent pa s un segment. La coda, en revanche, n' est pas un constituant obligatoire . Ce contraste reflete Ie fait que, dans les langues du monde, la syllabe non marquee est de forme CV, soit une attaque et une rime.

Dans ce modele, la representation phonologique comporte troi s niveaux, tel qu 'illustre ci-dessous :

_=, I :\iyc

:\ i\ 'c

:\ i y (

26, :\iYt

:\i\'i

:\i\'l

Cornme c .orsque 1, mot corm attaque. ~

alors que

2-:' I :\i\'

:\ iv

:\i\

La Me a n modele modele s fr ancais satory L mtroduit segments niveau t

de posit» les unite :

126

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La phonologie plurilineaire

1 syllabique 1S Ie modele » sont asso­noeud c du mot suivant

te approprie

initialement han Kaye & epresente la a une struc ­.attaque (A) ioyau et une C) peut etre

sous, ou les

<. ) (C)

111 brancher, aque et rime lorsqu 'ils ne n constituant lu monde, la rime.

mporte trois

25) Niveau syllabique o o

/\ r-. A R A R

Niveau des constituants

N I 1\ ~I

Niveau segmental p a R

, 26) Niveau syllabique o o /\ /\A R A R

Niveau de s con stituants r-, I N C N

I I I Niveau segmental p a R

Comme on peut Ie voir en (25), la structure ne contient pas de coda lorsque la rime ne comporte pas de consonne. En revanche, lorsqu'un mot commence par une voyelle, sa struc ture contient quand merne une attaque, pui squ 'il s'agit d'un constituant obligatoire (cf (27)) . On dit 310rs que la structure a une attaque vide , tel qu 'illustre ci-dessous .

, 27) Niveau syllabique o o

/\ /\A R A R

Niveau des constituants "" I N C N I I I

Niveau segmental a R d Y

5.3.2.1 Les unites de temps

La decomposit ion de la syllabe en constituants attaque et rime a permi s au modele hierarchi se de formuler de nouvelles general isations, mais Ie modele s' est vite revele insuffi sant pour decrire certains phenornemes du francais (liaison, elision, h aspire). Dans leur article de 1986 ('Co mpe n­satory Len gth ening in Teberian Hebrew' ), Lowenstamm & Kaye ont introduit un palier supplementaire de representation, entre Ie niveau segmental et Ie niveau des constituants syllabiques. Ce niveau, appele niveau temporel, squelette, eplne ou armature, est constitue d 'une suite de position s temporelles (une suite de point s notes par des x) representant les unites de la chaine sonore.

127

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,

]

Phonologie et morphologie du francais

D'une certaine facon, Ie niveau temporel de Lowenstamm & Kaye correspond au niveau CV de Clements & Keyser. La difference entre les deux tient a la nature redondante des specifications C et V des unites de temps. Dans la mesure ou seuls les segments vocaliques peuvent apparaitre dans Ie noyau et que seuls les segments consonantiques peuvent apparaitre dans l'attaque ou la coda, il devient redondant de preciser la nature C ou V des unites de temps. La nature syllabique du segment est definie par la nature meme du constituant sy llabique ou i1 apparait . Le sq uelette est constitue simplement d 'une serie de positions x indifferenciees ,

Le niveau temporel agit comme intermediaire entre Ie niveau segmental et Ie niveau de s constituants sylIabiques . Tout son pr ononce doit done et re rattache aune position temporelle avant d'etre incorpore dans une syllabe. Cette contrainte decoule d 'une contrainte plus generale sur la legitimation prosodique:

• Contrainte de legitimation prosodique : tout element phonologique doit etre rattache a une structure hierarchique de rang superieur pour etre phonetiquernent interprete.

La contrainte stipule que tout element phonologique qui n 'e st pas rattache a une structure hierarchique de rang superieur ne peut etre interprete au niveau phonetique; il est alors efface en forme de surface .

L'avantage de ce nouveau niveau temporel est qu'il permet de representer formelIement plu sieurs types de relations. On peut distinguer les voyelles longues des voyelIes breves, les consonnes simples des consonnes geminees (cf (28». II devient aus si possible de distinguer une suite de deux consonnes (p. ex . /ks/ dan s taxi,) d'une consonne complexe (p . ex . [tf] dan s Ie mot anglais cheap ) et de representer les consonnes flottantes et les positions vides (cf (29». En effet, comme Ie montre Ie schema ci-dessous, toutes ces distinctions correspondent a de s relations differentes entre Ie nive au segmental et Ie niveau temporel, sans egard au niveau des constituants sylIabiques.

(28) Niveau temporel

Niveau segmental

V longue V breve x x x

V I V V

C geminee

x x

V C

C simple x

I C

(29) Suite de C C complexe C flottante Pos. vide

Niveau temporel

Niveau segmental

x x x

I I 1\ CC CC C

x

128

En ce ( :' J.rticuliererr :-.ott ante s. C pr ononcee d ~ .mach e e a u .emporelle. :- osition tern < 'us-j acente ~ arce que nc prononcee S

:- our s ' att ac I .etiendra les

• Consoru qui est e

• Consoru tempore

Les d:

301 a. C

. . \ a esse la syllabe concerne ~.i r exern ] . :,urde. c' ~

zuun seu .iernie re I .

.me voyel

.nion l \ .\

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La phonologie plurilineaire

amm & Ka ye 'ence entre les des unites de

.ent apparaitre

.ent apparaitre la nature C ou definie par la e squelette est ees,

tre le niveau son prononce ~ t re incorpore

plu s generale

phonologique .uperieur pour

lu i n'est pas ne peut etre

de surface.

"il permet de ieut di stinguer

simples de s distinguer une nne complexe les cons onnes

Ie montre le de s relations

sans egard au

~ e C simple

x

I C

te Pos. vide

x

En ce qui a trait a la phonologie du francais, Ie niveau temporeI est particulierement utile pour distinguer les consonnes fixes des consonnes flottantes. Une consonne permanente (ou fixe) est une consonne qui est prononcee dans tous les contextes. Dans la structure hierarchique, elle est rattachee aun constituant de la syllabe par l'interrnediaire d'une po sition temporelle . Une consonne flottante (ou latente) n'est rattachee ni a une position temporelle ni a une syllabe. Elle fait partie de la representation sous-j acente d'un mot, mai s elle n'est pas prononcee en forme de sur face parce que non legitimee au niveau prosodique. Une con sonne flottante est prononcee seulement si Ie mot qui suit lui fournit une position temporelle pour s' attacher (p. ex . en contexte de liai son ou dan s un mot affixe), On retiendra les deux definitions suivantes:

• Consonne permanente: con sonne rattachee a une po sition temporelle, qui est elle-rnerne associee a une syllabe.

• Consonne flottante : consonne qui n'est pas associee a une po sition temporelle et qui n' est done pas rattachee a une syllabe.

Les deux structures sont illustrees ci-dessous:

(30) a . Consonne flottante (petit ) b. Consonne permanente (fil)

c o c /\ /\ /\A R A R A R

I I r-, N N N C

I I I I x x x x x x x

I I I I I I I p d f I

5.3.2.2 Motivation des constituants A et R

II y a essentiellement trois arguments en faveur de la decomposition de la syllabe en deux constituants majeurs, I'attaque et la rime. Le premier concerne Ie poids de la rime dans I'analyse de l'accentuation . En latin , par exemple, on accentue la syllabe penultierne (derniere) si elle est lourde, c' est- a-dire si elle domine deux elements. Si la rime ne domine qu'un seul element, l'accent tombe sur la syllabe antepenultierne (avant­derniere) , Le s deux elements dan s la rime peuvent etre indifferernment: une voyelle longue, qui compte comme deux voyelles dan s la represen­tation (VV); une voyelle suivie d'une semi-voyelle ou glide (VO) ; une

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Phonologie et morphologie du francais

voyelle suivie d'une con sonne dans la coda (VC). Ainsi, l'accent est sur la penultieme dans rela : 'tus et refec'tus, mais sur l' antepenultierne dans sa 'pere et te 'nebrae . Les consonnes qui apparaissent en position prevoca­lique (en attaque) ne sont pas pertinentes pour l'accent. Seul le poids de la rime compte. Cela suggere l'existence d'un constituant rime, indepen­dant du constituant attaque.

Le deuxieme argument concerne les restrictions sur la distribution des segments. En francais, par exemple, la distribution des voyelles moyennes tendues et relachees est determinee en partie par le type de rime qui les domine. On ne trouve jamais [e] en syllabe fermee, soit dans une rime complexe qui domine une coda; on ne trou ve jamais [:)] et [ce] en syllabe ouverte, soit dans une rime simple. Encore une foi s, la presence ou la forme de l' attaque ne sont pas pertinentes pour la distribution des voyelles. Seule la configuration de la rime compte.

Le troisieme argument concerne Ie comportement ambigu des semi-voyelles. Il nous vient de Kaye & Lowenstamm (1984), qui notent que la distinction A-R permet de representer les semi-voyelles de deux facons distinctes au niveau syllabique. Ces deux representations refletent le comportement ambigu des semi-voyelles en rapport a deux processus du francais: la liai son et l' elision de la voyelle du determinant defini, Dans certains mots , les semi-voyelles se comportent comme des voyelles: elles declenchent l'elision de la voyelle de le et permettent la liaison (ef (31). Dans d'autres mots, elles se comportent comme des consonnes: elles empechent ala foi s l'elision de la voyelle et la liaison (ef (32» .

(31) a . l 'oiseau, l'oie

b . le[z]oiseaux, le[z]oies

(32) a. le wapiti, le whisky

b . les wapitis, les whiskies

Pour rendre compte de ce contraste, Kaye & Lowenstamm presentent deux structures syllabiques. L'une ou la semi-voyelle occupe la position d'attaque (position de con sonne) comme en (33b), l'autre ou la semi-voyelle occupe une position dans Ie noyau (po sition de voyelle) comme en (33a) .

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C;:- :t-: rela

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La phonologie plurilineaire

acce nt est sur la enultierne dans osition prevoca ­Seul Ie poids de t rime , indepe n­

r la distribution m des voyelles

par Ie type de erme e, soit dan s arnais [::>] et [ee] fois, la presence distribution de s

mt ambigu des )84 ), qu i notent oye lles de deux nat ion s refletent deu x processus

erm inant defini . me des voye lles : nt la liaison (cf des consonnes :

n (ef (32)) .

& Lowenstamm i-voyelle occupe 33b), I'autre oil ition de voyelle)

133) a oi seau b . whi sky

o r-: A R

I N

I

o /-:

A R

I N

I

o /-:

A R

"" N C

I I

o /-:

A R

I N

I x x x x x x x x x

/\ I I I I I I I w a z 0 w s k

L'eli sion de la voyelle et la liai son requierent la merne condition pour s' appliquer: I'attaque de la syllabe qui suit doit etre vide. Cette condition est satisfaite en (33a), mais pas en (33 b) . De la meme maniere, elle est satisfaite dan s les mots qui commencent par une voyelle (ami, ecole), mai s pas dan s les mots qu i commencent par une consonne (bate au, patri e).

II faut noter que le no yau de la representation en (33 a) dom ine deux segme nts : une semi-voyelle et une voyelle. Cette configuration, oil une suite semi-voyelle+voyelle est rattachee it un seul x dans un noyau, correspond it ce que I'on appelle une diphtongue. II existe tro is diphtongues en francais, [wa], [we] et [qi] , toutes determinees par la forme orthog raphique de s mots (oi, oin et ui respectivement). La presence d ' un e diphto ngue dans la representation d 'une forme du franc ais est don c un e pro prie te lexicale: certa ins mots en co mportent (trois, coin, plu ie) alors que d' autres n' en comportent pas (troua, clouer, jouir).

5.3.3 La theorie du gouvernement syllabique

La theorie du gou vernement phonologique est Ie premier modele a utilise r, de maniere explicite et contra inte, des posit ions vides dans les representations sy llabiques. II a ete propose par Jon ath an Kaye, Jean Lowen stamm & Jean-Roger Vergnaud dan s un article de 1990 ( 'Constituent Structure and Government in Phonology ' ). La theorie du gouvernement est, pour reprendre les termes de ses concepteurs, une theorie de la syntaxe de s expressions phonologiques. C'est un modele axe sur les relations de dependance entre un ites phonologiques.

Selon Kaye, Lowenstamm & Vergnaud, cette relation de depen­dance qu'est Ie gouvernement est au coeur de tous les phenomenes phonologiques. Ce qui est observe au niveau phonetique n' es t que la mani festat ion en surface des relation s phonologiques de go uvernement. Cette relation es t defin ie de la facon suiv ante :

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