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PIERRE SAVORGNAN DE BRAZZA

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DU MÊME AUTEUR

À LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE PERRIN

La France des bâtisseurs, vingt siècles d 'architec- ture ( 1978).

Mérimée. Écrivain, archéologue, h o m m e polit ique (1983).

Les Frères Pereire ou le Bonheur d ' en t reprendre (1984). Prix Napoléon III.

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

Initiation aux finances publiques, Dunod-Bordas (1971).

Vingt ans de politique financière, Le Seuil (1972).

Louis XIV architecte, Fernand Lanore (1981). Sept Défis audiovisuels, Economica (1984).

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JEAN AUTIN

PIERRE SAVORGNAN DE BRAZZA

UN PROPHÈTE DU TIERS MONDE

Librairie Académique Perrin 8, rue Garancière

Paris

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consen- tement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une

contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© L i b r a i r i e A c a d é m i q u e P e r r i n , 1985. I S B N 2 . 2 6 2 0 0 . 3 5 6 - 4

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Avant-propos

1871. Les feux de la Commune s'éteignent; le sang dispa- raît du Mur des Fédérés; les Versaillais triomphent. Mais la France sort affaiblie de cette double épreuve, la révolte parisienne succédant au désastre de Sedan. Il est temps d'effacer la honte nationale; il est temps d'oublier le rat en sauce, menu des Parisiens aux jours les plus sombres; il est temps de retrouver l'ardeur au travail et la joie de vivre.

Le pays est prêt. Comme après toutes les grandes secous- ses, sa fierté et son orgueil l'emportent sur la simple volonté de survie. Pour peu qu'on lui montre la voie, il est disposé à de nouvelles aventures. L'industrie et les transports sont terrains défrichés mais non encore en plein rendement; l'agriculture, prenant assise sur une terre mère d'exception- nelle qualité, est intacte; et la ligne bleue des Vosges, si chère à Jules F e r r y devient pour beaucoup un horizon privilégié.

Mais la revanche, pour compréhensible qu'elle soit, peut se concevoir de multiples façons. Elle peut revêtir la forme simpliste d'une reprise rapide des combats, avec les aléas et les misères des campagnes guerrières. Elle peut prendre l'allure d'une grande et lente mobilisation de toutes les énergies afin d'être, le moment venu, en position de force et de procurer, en attendant l'éventuel affrontement, la joie de l'action et le stimulant du progrès à des populations en mal

1. L'expression alors anachronique apparaîtra, pour la première fois dans son testament, en 1893.

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d'accomplissements. Elle peut également emprunter des détours qui, pour être sinueux, n'en sont pas moins effica- ces. La récupération de l'Alsace-Lorraine, la reconquête de l'honneur, l'affirmation de la grandeur ne passent-elles pas surtout par des voies lointaines?

Certains le pensent. S'ils suivent Monsieur Thiers dans ses efforts pour libérer le territoire et rembourser une dette accablante, ils ne l'accompagnent pas dans sa vision étri- quée d'un bonheur national petit-bourgeois. Ils ont des visées plus hautes, plus mondialistes, et le salut leur paraît reposer sur une expansion extérieure, en ces lieux dont on poursuit l'exploration, et où le trop-plein d'énergie pourra se répandre, où des caractères pourront se forger, où des richesses seront susceptibles de compléter celles d'une métropole heureuse de trouver des débouchés à ses manu- factures en plein renouveau. Pour ceux-ci la route Paris-Berlin, ambition de nos aïeux, passe plutôt par Tunis, Dakar ou Libreville que par Metz, Strasbourg ou Colmar.

Après des tergiversations, des soubresauts, des mécomp- tes, après des luttes intestines ou quelques expéditions lointaines, cette conception l'emporte et prévaudra. Et ce n'est pas un hasard si, en 1914, la France étendra sa domination - on parlera bientôt d'Empire - à la majeure partie de l'Afrique occidentale et centrale, sur Madagascar ou sur l'Indochine, tandis que l'Allemagne devra se conten- ter d'être présente dans les seuls Togo et Cameroun.

N'anticipons point cependant. Pour l'heure, il faut panser les plaies du traité de Francfort; et elles sont profondes. La France, trop bercée par les flonflons d'Offenbach, trop sécurisée par le « régime des affaires », sort un peu hébétée de la si soudaine et imprévue catastrophe, même si de nouvelles images d'Épinal exaltent la charge des cuirassiers à Reichshoffen ou les dernières cartouches à Bazeilles. Où est le remède ? Dans les rivalités meurtrières entre Bourbons et Orléans; dans les palinodies d'Adolphe Thiers; dans les manœuvres du duc de Broglie? Certes pas. La meilleure thérapeutique ne réside-t-elle pas dans l'action, la vraie, et sous toutes ses formes?

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C'est ce que pense et répète inlassablement un jeune homme à belle et fière allure qui, en ces années d'après- guerre, hante les couloirs, les bureaux, les salons. Son nom : Pierre Savorgnan de Brazza; son désir, être marin; son ambition, découvrir des terres inexplorées et les rattacher à la France.

Il est grand et mince; son regard exprime une douceur infinie; et la bonté se dégage de toute sa personne. Le visage séduit ; il est tout simplement beau ; un front ample ; des yeux en amande sous des sourcils finement dessinés; un nez aquilin tel que les reflètent les plus illustres profils; une bouche charnue qui marque à la fois la générosité et la retenue; et un menton volontaire... Bref, c'est l'élégance aristocratique de vieille souche, polie par les générations, c'est le tact du grand seigneur latin et alpin unissant les qualités du marin à celles du montagnard.

L'aborde-t-on ? On découvre un esprit fin et subtil, un tempérament ardent. Mais quel bavard; quelle exubérance! Et comme il sait vous entraîner, vous enchaîner, vous convaincre par son charme. Sous son affabilité de Vénitien, sa courtoisie de patricien romain, ou sa loquacité méditer- ranéenne, c'est une âme qui s'offre, c'est une flamme qui jaillit, c'est un cœur qui se donne. Il joint à l'habileté de l'Italien la bonhomie du Français, son compatriote d'adop- tion. Et surtout, surtout, il possède ce qui fait les vrais apôtres : la patience sous-tendue par la volonté. Il n'épargne jamais rien pour parvenir au but qu'il s'est un jour assi- gné. Peu lui importent les attentes et les oppositions; demain dans les antichambres, plus tard sous la paillote, il saura persuader par une persévérance à toute épreuve et une force de conviction sans égale; il a foi en l'huma- nité.

Ce gentilhomme possède d'ailleurs les manières les plus exquises; c'est un régal que de le rencontrer. De bonne heure il a su ne pas se plaindre; évoquer un « bobo » n'était pas de sa race; il sera donc dur au mal, quoi qu'il advienne, et nous verrons qu'il adviendra souvent. Et son opiniâtreté n'est pas de l'entêtement; s'il est tenace, il n'est pas buté;

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l'habileté et la souplesse suppléeront, s'il le faut, à la réussite immédiate. Mais l'arc de la volonté reste tendu vers le même but, même s'il convient parfois de planter une flèche en un lieu de diversion, même s'il advient de manquer les cibles, même si la munition fait défaut ou défaille...

C'est avec ce personnage qu'il va falloir maintenant compter.

Avant de poursuivre, qu'il me soit permis d'exprimer ma gratitude à tous ceux qui m'ont si aimablement et efficace- ment secondé en cette entreprise : le comte Alvise di Brazza, neveu de l'explorateur, et son épouse dont l'accueil à Brazzacco restera inoubliable; le comte René de Chambrun, neveu de Mme Pierre Savorgnan de Brazza, et son épouse, dont j'ai pu écumer les trésors familiaux; Marie-Antoinette Ménier, conservateur en chef des Archives nationales, dont la gentillesse et la compétence ne sont plus à vanter; mon vieux compagnon et ami, le comte Alvise Zorzi, dont le vigilant concours a été si précieux; le professeur Henri Brunschwig, dont les lumières sont toujours éclatantes quand il s'agit de Brazza; archivistes et commis de l'ex- France d'outre-mer, de la Bibliothèque nationale et du Grand-Orient, dont la disponibilité ne s'est jamais démentie; et Nicole Revel, dont le mérite égale la fidélité.

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L'EXPLORATEUR

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1.

La genèse d'un destin

Il nous est venu d'Italie. Mais il n'est parvenu ni en conquérant ou envahisseur,

comme jadis les Romains, ni dans les « fourgons de l'étran- ger » comme ces merveilleux personnages attirés par la Cour de France dont les noms chantent toujours dans nos mémoires, le Boccador, le Primatice, le Rosso ou l'incom- parable Léonard de Vinci.

Il a franchi les Alpes de son plein gré, ne recherchant ni l'argent ni l'honneur et désirant seulement servir, mais servir une noble cause que sans doute son pays d'origine n'est pas en mesure, pour l'heure, de lui offrir.

Il est pourtant né à Rome, le 25 janvier 1852, en plein cœur de la cité papale, 82 via de l'Umiltà, et il a grandi à Castel Gandolfo, célèbre ville du Latium, dans ces monts Albain berceau de la Rome antique, où Domitien a laissé un palais aujourd'hui en ruine et où Urbain VIII, avec l'aide du fameux Bernin, a construit une église et un palais pontifical toujours fréquentés par le Saint-Père aux jours de répit. Quel environnement et comme on doit être différent des autres humains lorsque l'on a la chance de venir au monde en des lieux hantés par le passé et pénétrés par la douceur de vivre ! Quel charme, quelle délicatesse sur les rives du Tibre ou du lac d'Albano! Et comme le jeune Pietro doit en être, malgré lui, envahi!

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La geste d'Ascanio

D'autant qu'il est de noble lignée. Sa famille n'est romaine que depuis une génération. L'une et l'autre branche vien- nent du nord, des bords de l'Adriatique. Et elles repré- sentent l'aristocratie, en toute sa splendeur.

Son père, le comte de Brazza, Cergneu, Savorgnan, est « descendu » du Frioul. Il se prénomme Ascanio, et il est châtelain d'Udine. Depuis le X siècle les Savorgnan règnent sur cette région dont les habitants, au tempérament indé- pendant, regrettent encore d'avoir été rattachés à Venise quelque jour de 1420, à l'initiative de la famille Savor- gnan.

Quant à sa mère, Giacinta Simonetti, elle est de la grande famille Priuli qui a, notamment, donné deux doges à la république de Venise.

Bel héritage en vérité! Il est plus remarquable encore. Car si Giacinta a toutes les vertus des grandes dames romaines et vénitiennes, si elle règne avec tendresse et autorité sur dix garçons et trois filles vivants - elle a eu seize enfants -, si elle se complaît dans les traditions patriarcales, faites de simplicité, du sens du devoir et du mépris des mondanités, Ascanio est un personnage exceptionnel, unissant aux meil- leures inspirations aristocratiques un goût ardent pour le libéralisme et un merveilleux tempérament d'artiste. Il est bon et tolérant, équitable et généreux, respectueux d'autrui certes mais ferme en ses convicitions.

Des vagues de fond continuent à déferler sur la péninsule. Depuis des décennies elles agitent l'Italie et elles ont grossi après que Bonaparte eut prétendument libéré la république de Venise pour la précipiter quelques années plus tard sous le joug autrichien. Elles vont inspirer à Verdi le chœur, partout répété, de Nabucco, susciter Garibaldi et ses Chemi- ses rouges, encourager les carbonari et tant de sectes secrètes. Les visées unitaires de Cavour naîtront de cette agitation, tantôt sourde, tantôt bruyante, dont l'influence est déterminante sur le comportement des êtres les plus remar- quables.

Et Ascanio est de ceux-ci ; il est épris des idéaux d'égalité et de fraternité, et, en bon fils de la libre Venise, il hait la

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tyrannie et prône la liberté. Au reste, sa famille n'a-t-elle pas quelque peu « collaboré » avec l'occupant français dont on espérait tant. Une bague envoyée par Napoléon I à l'une de ses tantes en gage de promesses qui ne seront d'ailleurs pas tenues témoigne de rapports étroits avec l'empereur des Français.

Dès ses vingt ans, Ascanio quitte donc les domaines familiaux de Soleschiano et de Brazzacco, proches d'Udine, dont les fondements remontent à un petit-fils de l'empereur Septime Sévère, et se rend à Bologne, où il étudie le dessin et la peinture auprès du maître hollandais Vogt.

Muni de ces enseignements, il part pour la France, le pays des droits de l'homme, qui a eu le courage, témé- raire et malchanceux, de tenter d'abattre l'aigle autri- chien dont l'impudente domination lui semble si insuppor- table.

Le périple d'Ascanio étonne mais ne peut surprendre si l'on songe qu'en ces années 1815-1830 bien des jeunes gens s'adonnent aux joies et découvertes du voyage ou pratiquent même l'exil volontaire. A Paris toute une équipe rivalisera bientôt d'ardeurs tempétueuses; en Angleterre Byron fait école. L'Orient fascine; la Grèce fait gémir; et l'Égypte reste mystérieuse. Et Ascanio de se rendre successivement en tous ces lieux après avoir laissé à sa famille le soin du domaine. Il n'est pas seul en ce voyage; il transporte des outils d'artiste, ciseaux du sculpteur, pinceaux du peintre. De bonne heure il s'est exercé et si son talent demeure modeste son enthou- siasme reste vigoureux.

En France les salons frondeurs le fêtent; il parle si bien notre langue, il est si distingué, il affiche des sentiments si libertaires. Outre-Manche, il est aussi ébloui par les romans de Walter Scott que par la célèbre frise que lord Elgin vient d'arracher au Parthénon. A Rome, où l'attirent des apôtres de l'anti-académisme, il découvre Canova, fréquente son illustre atelier et se laisse charmer par sa Pauline Borghèse. A Athènes, il partage les émotions des patriotes et la haine de la Turquie dont il visite pourtant les vestiges gréco-romains et les peintures byzantines des églises rupestres de la Cappadoce. Au pays des Pharaons, il ne se contente pas d'escalader la grande Pyramide et d'interroger le Sphinx; il remonte le Nil jusqu'au Soudan, découvrant

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l'infinie beauté du désert et la grandeur d'un art déme- suré.

Ce globe-trotter avant l'heure entretient avec sa famille, ses tantes en particulier, une correspondance qui le fait revivre sous bien des latitudes et exprime la sensibilité d'un artiste, le tempérament d'un libéral, la vision d'un universa- liste.

Mais en lui persiste une pénible certitude; il ne reviendra au pays de ses pères que le jour où le territoire aura été libéré de l'intolérable domination autrichienne, héritage du Congrès de Vienne. Cependant, lassé de ses errances, dési- reux de s'établir, il décide de se fixer dans la Ville Éternelle. Celle-ci est riche de brillants lettrés et d'artistes talentueux; ses palais, où se marient harmonieusement le marbre, l'albâtre et l'onyx, allient la grandeur et la grâce; et la vie y semble douce. C'est là que chez un des patriciens il va rencontrer sa future épouse.

En attendant, il lui faut prendre un état. Pourquoi ne deviendrait-il pas le Civis romanus des temps antiques, échappant ainsi à l'emprise de Vienne? Le Conseil des notables est vite fléchi ; Ascanio di Brazza-Savorgnan est une recrue de choix pour les édiles du Capitole.

A quarante ans passés, il se marie. Nous sommes en 1834. Les enfants vont se succéder. Notre héros sera le septième garçon vivant et nous savons maintenant combien riches seront ses chromosomes et comme les vertus terriennes des Brazza et les ambitions maritimes des Priuli pourront s'épa- nouir en ce jeune sujet romain dont les parents sont tout à la fois des artistes, des grands seigneurs et des êtres avides d'espace et de liberté.

Quel environnement! Le chef de famille laisse à chacun le choix de son avenir en fonction de ses aptitudes et aspira- tions tout en associant dans une affection mutuelle, qui ne se démentira jamais, la maman et les treize enfants qui ornent le foyer. L'amour sincère, profond, vrai, habite tous ces cœurs que rien ne saurait séparer. Beau viati- que ainsi donné; la vie s'ouvre sous de favorables auspices.

Devenu paisible gentilhomme, Ascanio réside tantôt à Rome tantôt à Castel Gandolfo, et partage ses heures entre son atelier de sculpteur (certaines de ses œuvres sont encore

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visibles au Pincio et au détour de quelques rues 1 et le musée du Capitole dont il est bientôt le conservateur. Giacinta veille sur tout et tous, et Dom Paolo devient un précepteur aussi savant qu'avisé.

Du Latium au Frioul

Les années d'enfance s'écoulent ainsi, quiètes et riches, en cette atmosphère protégée et le lac d'Albano se révèle un lieu de prédilection pour qui prétend devenir marin. Le jeune Pietro, aidé par ses frères qui reconnaissent sa supé- riorité en ce domaine, ne s'avise-t-il pas de faire naviguer tout ce qui peut flotter, jusqu'à cette barque antique aban- donnée par des Écossais qu'il calfate avec patience, sur laquelle il fixe les gréements utiles et qu'il livre aux vents avec un drap de lit en guise de voile. C'était sans compter avec la tramontane qui faillit faire chavirer la frêle et rudimentaire embarcation; mais c'était aussi sans tenir compte du sang-froid de cet apprenti pilote de huit ans qui, avec un sens inné de la navigation, vient à bout de cette imprudence sous le regard affolé puis émerveillé d'une famille attentive. Il est déjà mûr pour des expéditions lointaines...

Mais s'il est vaillant le jour, il est anxieux la nuit. Des fantômes le poursuivent, des angoisses l'habitent, des sor- ciers le torturent. Comment se débarrasser de ces rêves importuns, de ces frayeurs nocturnes! Il trouve la solution, rude et expéditive. Seul, sous la maigre clarté lunaire, il se rend au cimetière de Castel Gandolfo et là, parmi les tombes et les cyprès, dans ce monde de ténèbres, il s'aguerrit. Belle leçon de courage et de volonté!

Pour l'heure, il lui faut partir vers le Frioul. L'armistice de Villafranca, après la brillante campagne de Magenta et de Solferino, intègre la Vénétie dans la Confédération italienne. Les émigrés volontaires peuvent ainsi retrouver le pays de

1. En dehors de son autoportrait et de bustes où l'influence de Canova est très évidente, la famille possède toujours des visions de ses voyages : au Caire, aux ruines de Louxor, à Naples, à Constantinople, à Smyrne, à Nazareth et Jérusalem, dans la vallée de Josaphat; sans oublier, bien sûr, les paysages de Castel Gandolfo et de Soleschiano.

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leurs ancêtres, sans passer sous les fourches caudines autri- chiennes. Après de longs préparatifs, la famille Brazza parcourt la péninsule du sud-ouest au nord-est, traversant d'ailleurs une partie de ses domaines, ce qui ne l'empêche pas d'être victime de brigands et autres vide-goussets aux- quels il faut payer tribut pour éviter de plus pénibles exactions. Foin de la fatigue en ces carrosses inconfortables et sur ces routes cahotantes! Que de découvertes, de l'Om- brie à l'Émilie en passant par la Toscane, et quelle joie emplie d'émotion en parvenant dans le domaine ancestral où tant de souvenirs vont alimenter les conversations.

Brazza apprend ainsi que l'appel du voyage s'est manifesté presque à chaque génération, que des Savorgnan ont comme tant de Vénitiens lutté contre les Turcs, que certains ont participé aux guerres d'Italie aux côtés des Français, que d'autres ont couru vers les Amériques, et même jusqu'en Chine, et que l'un d'eux a rapporté d'on ne sait quel coin d'Afrique ces trompes d'éléphants qui ornent le blason des comtes de Frioul... Il découvre aussi que son grand-père paternel, Francesco, a eu l'audace, en 1790, de traverser la péninsule des Balkans et de s'aventurer bien au-delà du Bosphore.

Et il trouve, à côté d'une salle de comédie, où il s'efforce maladroitement de tenir des rôles, une bibliothèque riche en cartes et en récits de voyages dans laquelle il passe, solitaire et caché - car le précepteur Dom Paolo le cherche - le plus clair de ses jours, se passionnant pour les narra- tions des grands navigateurs, scrutant les formes des diver- ses parties du monde et s'arrêtant longuement sur plusieurs inscriptions du centre de l'Afrique : Terrae Incognitae, mots magiques, où « l'indécis au précis se joint ».

En ces vastes demeures de Soleschiano, dans la plaine, ou de Brazzacco, sur une légère éminence, tout est enchante- ment. Le vent qui secoue les épis de maïs ou fait frissonner les vignes draine avec lui un souffle de liberté. D'ailleurs les habitants de ce Frioul ne sont pas comme les autres Italiens. Ils sont plutôt grands, leurs yeux sont clairs, leur chevelure tire sur le roux. A l'évidence il y a en eux du Celte, occupant lointain et toujours présent. L'antique Aquileia et ses surpre- nantes mosaïques démontrent l'emprise d'une brillante romanité. Et les jolies grilles qui ornent beaucoup de portes

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et fenêtres dénotent un goût délicat. Un charme discret émane de ces lieux paisibles et raffinés.

Mais des vacances en ce monde féerique n'ont qu'un temps. Il faut rentrer à Rome et au collège où le grec et le latin sont si ennuyeux, alors que la géographie offre tant d'agrément et que les récits de voyage ou les romans d'aventures sont si passionnants! Décidément l'apprentis- sage de la vie est bien rude puisqu' il faut absorber quantité de choses inutiles et se priver de celles présentant un réel intérêt.

« Que veux-tu faire? » lui avait un jour demandé, agacé et soucieux, le père Angelo Secchi, savant jésuite, qui devinait des talents chez ce grand escogriffe et s'irritait de son insuffisante application. La réponse était venue, simple, claire, directe : « Être marin, et dans la marine française. » C'était bien ambitieux.

Une rencontre

Or voici que le hasard, toujours prêt à épauler les causes vraies, le bienheureux hasard se présente au collège, un matin de 1865, sous la forme insolite d'un amiral français, marquis de Montaignac, commandant la flotte basée à Civita-Vecchia, si chère à Stendhal. Passionné d'astronomie, il vient s'informer auprès du père Secchi, principal de l'établissement et astronome à ses heures, de ses dernières recherches et découvertes. Profitant de cette aubaine, le bienveillant jésuite évoque la passion dévorante de son élève et son désir impérieux. « Pourquoi pas; je le verrai volon- tiers. » Merveilleuse réponse.

Et le jeune Brazza, sitôt informé, de s'accoutrer de son mieux, accumulant les éléments de la garde-robe de ses frères et même d'une de ses sœurs (une paire de gants montants, d'un agressif jaune paille), afin de provoquer le meilleur effet. Sans doute ainsi endimanché est-il aussi touchant que ridicule; mais la flamme qui brille en ses yeux sombres impressionne l'amiral. Celui-ci décide sur-le- champ de l'aider et suggère aux parents, qu'il rencontre, de le transférer à Paris, au fameux collège Sainte-Geneviève de la rue des Postes, spécialisé dans la préparation à l'École

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navale, plus connue sous le nom de Borda, ce vaisseau apponté à Brest qui abrite l'établissement.

Fidèle à son libéralisme, Ascanio ne s'oppose pas à cet éloignement tandis que la maman sent confusément qu'un avenir singulier se prépare pour cet enfant, son numéro sept parmi les garçons, rappelons-le, dont le chiffre symbolique est à n'en point douter un signe du destin. D'ailleurs, où un sujet romain peut-il être marin dans les années 1860? La flotte papale est inexistante; celle de l'Italie attend son heure. La France, sœur latine, offre seule de réelles possibi- lités d'avenir. Pietro vient donc à Paris où une cousine, la duchesse de Fitz-James, sera sa correspondante 1

Le grand virage est pris; c'est un tournant décisif. Car le jeune homme, tout en se préparant au concours, apprend la vie solitaire, loin des siens, fréquente les salons parisiens où se fera sa carrière et connaît la privation de la nature et de la beauté qui ont été jusqu'alors ses compagnes d'élection. Plus d'œuvres d'art, plus de pins parasol, plus de lac miroitant; des livres, des tables d'étude, un grand dortoir et sa promiscuité, une ville grouillante et apparemment sans âme, au moins pour un étranger qui doit peiner pour travailler et vivre dans une langue qui n'est pas la sienne.

1868 arrive enfin et, avec elle, l'entrée à l'École. C'est le contentement suprême, la consécration de rêves et d'efforts. Tout y paraît merveilleux, même le goudron des cabestans, même le hamac au confort incertain, même la diane qui le réveille brutalement. En revanche, la discipline lui semble toujours aussi malaisée à supporter que l'étude des matières dont l'utilité immédiate et directe ne lui paraît pas évidente. Mais il y a de bons camarades parmi lesquels un certain Julien Viaud sera quelque jour plus connu sous le nom de Pierre Loti. On le plaisante volontiers sur son accent italien, mais on s'esbaudit devant son agilité et son intrépidité. N'est-il pas le « cartahu » par excellence, c'est-à-dire dans l'argot de la Navale le meilleur marin à qui l'on confie la barre dans les passes périlleuses et sur qui les copains peuvent compter en toutes circonstances?

1. A noter qu'il a obtenu l'agrément du Saint-Père, ce qui incitera le nonce, à Paris, à effectuer de multiples démarches auprès des autorités françaises en faveur du jeune sujet romain décidé à servir la France « toute sa vie et à titre français ».

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Deux années sont vite passées lorsque la passion vous tient. Et l'été 1870 voit sa sortie de Brest, avec un classement d'ailleurs moyen (44e sur 62), et son affectation sur les navires sillonnant l'Atlantique Sud. Hélas, la guerre détruit cette espérance. Tous les moyens doivent être mobilisés contre la Prusse mais il est inconcevable qu'un officier à titre étranger puisse être mêlé au conflit franco-allemand. La déception du jeune aspirant est immense, à la mesure de ses espérances. Les interventions qu'il multiplie sont sans effet jusqu'au moment où il obtient enfin d'embarquer à Cherbourg sur la frégate la Revanche.

Mais la guerre tourne court. Désespéré de son issue soudaine et inattendue, Pietro di Brazza, à bord du navire militaire, formule, le 21 novembre 1870, sa demande de naturalisation, déclarant sa reconnaissance pour sa patrie d'adoption, momentanément infortunée, et affirmant sa gratitude au Borda grâce auquel son rêve d'adolescent est devenu réalité.

Bientôt il est versé dans l'escadre de la Méditerranée et se trouve, à bord de la Jeanne-d'Arc, appelé à participer aux opérations de Kabylie où l'insurrection fait rage. Les rudes combats auxquels il doit prendre part le laissent toutefois mal à l'aise. Ami de l'ordre, il considère qu'il y a sans doute d'autres méthodes que le bain de sang pour surmonter une révolte. Son esprit humanitaire souffre et il se promet, le moment venu, s'il vient un jour, d'user de plus de patience, de montrer plus de conviction et de gagner ainsi la con- fiance d'indigènes, frustes certes mais non sans capacités d'entendement. Utopie, naïveté, sensiblerie? L'avenir le dira. Mais la leçon donnée est retenue et sa résolution est prise de s'écarter d'une voie si brutale, à tout le moins de le tenter.

A Rome, les événements ne présentaient pas meilleure tournure. Le coup de force des républicains contre la Ville Éternelle, après le départ des troupes françaises fin septem- bre 1870, avait tant irrité la famille Brazza qu'elle s'était prononcée en faveur de la naturalisation de Pietro. Mais celui-ci devait attendre sa majorité pour bénéficier d'une telle mesure. Dans l'immédiat le voici, à peine rentré d'Afrique du Nord et ayant subi quelques examens complé- mentaires lui permettant un avancement de grade, embar-

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qué sur la frégate la Vénus qui a pour mission de surveiller les côtes d'Afrique centrale où sévissent toujours des trafics prohibés. L'Afrique des tropiques, son Afrique, celle vers laquelle il a soupiré depuis si longtemps, celle de ses rêves d'enfant et d'adolescent, sera bientôt devant lui. Enfin!

Quels cheminements obscurs a-t-il suivis, quels appuis a-t-il mobilisés, et grâce à qui, pour atteindre si vite les phantasmes de son imagination fertile? Rien de caché apparemment : son charme personnel a séduit, son ardeur rayonnante a conquis, sa volonté tenace a vaincu.

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2.

A Libreville

Lorsque, après de nouvelles et longues journées en mer, Brazza parvient en rade de Libreville, il est saisi d'une grande émotion, il est comme abîmé dans la contemplation. Oui, la cité de la liberté est là, devant ses yeux. Celle qui a vu tant d'esclaves enchaînés, vendus par des roitelets de paco- tille poussés dans des rafiots abominables, celle qui a connu des marins bretons ou normands relayant dans ses eaux équatoriales, celle qui rassemble le plus grand nombre de métis de la côte africaine, a le privilège depuis 1840 de proclamer le mot le plus noble, le plus chargé de sens, le plus représentatif de l'esprit humain : liberté. La capture du bateau négrier Elisa avait en effet permis la constitution d'un centre de ralliement, d'un havre d'indépendance et d'une base pour de futures explorations.

La ville s'étage sur de modestes collines dans la rade du fleuve Gabon, face à la pointe Denis, ce roi qui avait traité avec le lieutenant de vaisseau Bouët-Wuillaumez le droit pour la France de fonder un établissement sur la rive gauche de l'Ogooué.

Un mauvais appontement, quelques maisons en dur, des cases en branchages et terre séchée; ainsi se présente ce site ancestral. Quelle dérision de prétendre s'appuyer sur d'aussi modestes installations! Quelle superbe de vouloir forcer l'arrière-pays, alors que la forêt dense, implacable, impéné-

1. On a calculé que pendant les trois cents ans qu'a duré la traite des Noirs, 10 à 12 millions de nègres ont été vendus, et disons-le déportés.

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trable, apparaît derrière ces huttes de pêcheurs ou ces cabanes de marchands!

Même si Victor Schœlcher a ici plus que partout ailleurs droit de cité, le trafic des esclaves n'en continue pas moins. Officiellement interdite, la traite subsiste; les chefs coutu- miers y trouvent leur compte, et bien des navigateurs aussi. Comment faire cesser ces manœuvres inhumaines, com- ment connaître la vie intime de ce continent trop pudique? On ignore presque tout de cette Afrique centrale; seules quelques voies de pénétration ont été parcourues, et encore sur une modeste distance.

Les récentes découvertes

Quant au reste du pays, il est inconnu, en dépit des reconnaissances effectuées par Paul du Chaillu dans les monts de Cristal et la lagune de Fernan-Vaz, ou des initiati- ves heureuses, autant que courageuses, d'officiers de marine qui, sous la houlette du contre-amiral Didelot, ont parcouru les alentours de Libreville ou du cap Lopez et se sont même aventurés jusqu'aux abords de Lambaréné sur l'Ogooué.

Dans la bibliothèque du Borda il a lu le récit du lieutenant de vaisseau Aymès 1 qui a étudié le delta de l'Ogooué et la région de Fernan-Vaz, et conclu avec les chefs Inenga des traités d'amitié.

Brazza a aussi appris qu'un commerçant anglais dont les factoreries étaient répandues sur la côte, Bruce Walker, passionné de linguistique et de sciences naturelles, membre de la Royal Society, a souvent navigué dans ces parages au cours de la précédente décennie, et que deux courageux pionniers, Alfred Marche et le marquis de Compiègne, viennent en 1872, à leur initiative personnelle, de remonter l'Ogooué et de nouer les contacts les plus chaleureux avec les populations riveraines. Ils se sont dits séduits, tant par les découvertes d'un voyage singulier que par les capacités économiques des contrées visitées. Ah, il y a là pour la

1. Antoine Aymès, né dans l'Ardèche en 1836, commanda successive- ment le Pionnier et le Pygmée et publia les premières cartes hydrographi- ques du Gabon et du Como.

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nouvelle génération un moyen de venger Sedan et de répondre au trop-plein d'énergie d'une nation meurtrie!

Le jeune enseigne à titre étranger a lu, beaucoup lu : les récits des missionnaires, ceux des navigateurs, les papiers des Compagnies, les travaux des géographes. Et force lui est de constater que l'Afrique centrale a jusque-là offert des capacités limitées. Point d'épices, peu d'or, encore moins de canne à sucre ou de pétun 1 mais de l'ivoire - encore qu'il y en ait aux Indes - et un réservoir d'esclaves qui ont été drainés vers la côte par une organisation spéciale, l'Asiento. Ce n'était pas assez pour susciter les grands mouvements.

Mais le mystère persistant irrite, excite; il hante les esprits. Comment savoir? Les voies de pénétration reconnues ne sont pas nombreuses. Et puis on colporte tant de bruits, bizarres, surprenants, attirants. Tout un monde est à décou- vrir. Brazza sera-t-il l'un des premiers?

C'est que, de village en village, les tam-tams ont fait savoir que des Blancs cherchaient à percer les secrets des forêts et des savanes, des fleuves et des marigots, des tribus et des villages. Un pasteur écossais, David Livingstone, aurait atteint, depuis quelques années, le cœur de l'Afrique, venant de la côte est. Il aurait évolué dans les parages du lac Tanganyika, cherchant à découvrir parmi les hautes monta- gnes volcaniques les sources du Lualaba, autrement appelé Congo dans son cours inférieur. On le disait doux, bienveil- lant, en un mot évangélique. Ses capacités de médecin ajoutaient à sa bonté naturelle. Et sa mort récente près du lac Bangweulu, dans ce qui sera la Rhodésie du Nord puis le Malawi, a ému plus d'un Africain.

Tout autre est le marin aventurier Stanley, un Gallois. Celui-ci porte d'ailleurs un nom d'emprunt; il est né John Rowlands. Il a été mousse puis, s'étant fait adopter par un commerçant de La Nouvelle-Orléans, est devenu journa- liste.

Il serait parti à la recherche de Livinsgtone, dont on était depuis trop longtemps sans nouvelles. Il semble aussi éner- gique que brutal, aussi courageux qu'entreprenant, aussi intolérant qu'excessif.

Mais il dispose de beaucoup d'argent. Le New York Herald

1. Tabac.

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et le Daily Telegraph financent ses missions, si bien qu'il parcourt le centre de l'Afrique d'est en ouest et que la région des grands lacs et des hauts plateaux n'a bientôt plus de secret pour lui.

Brazza est informé, partant inquiet. Les concurrents sem- blent présents et actifs. En dépit des récits de Livingstone, il cherche la vérité; tout lui paraît contestable.

Qu'est donc ce continent qui ressemble à une cuvette dont les bords relevés rendent tout écoulement difficile? Qui abrite-t-il? Qu'y fait-on?

« Ma pensée aventureuse, devait-il écrire, n'avait cessé de devancer le navire; je voulais m'élancer à la conquête de l'inconnu. Les taches blanches de la carte, qui jadis avaient stimulé mon imagination, m'attiraient d'autant plus que je les voyais avoisinant la côte. »

La carte qu'il peut lire, d'ailleurs, au carré des officiers, n'est guère explicite. Le Gabon est décrit comme un « pays de collines de cent à cent vingt-cinq mètres, visibles de vingt à vingt-cinq lieues en mer ». Autrement dit, un voile pudique recouvre cette contrée.

Certes, voilà des siècles que des marins et des missionnai- res voyagent le long des côtes. Mais ils ne se sont jamais aventurés très loin des mers. Ils ont pourtant rapporté qu'il . existe un groupe Kongo, lui-même divisé en Vilis sur le rivage maritime et en Soundis à l'intérieur. Ils ont su que Diego Cão qui, en 1482, a découvert l'embouchure du fleuve Zaïre, est entré en rapport avec un grand chef, le Manicon- go, et que celui-ci a même autorisé certains Noirs à se rendre au Portugal pour y être enseignés, et naturellement christianisés.

On a aussi parlé du royaume d'Anzic, situé le long d'un grand fleuve et habité par des Tékés qui pratiquent la métallurgie du cuivre si bien que leur chef, le Makoko, arbore fièrement un riche collier et de multiples brace- lets.

Plus loin, dans la cuvette centrale, se trouveraient les M'Boschis et les Babingas, cependant que les petits Pygmées aux longs bras se seraient réfugiés dans les forêts, dites vierges, devant les grands Noirs, envahisseurs de la sava- ne.

Quant à l'estuaire du Gabon, il est maintenant peuplé de

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Pahouins. Ceux-ci, chassés du nord de la Sanaga, au Came- roun, sont déjà sources de légendes. Ils auraient traversé la forêt dans des conditions mystérieuses, un serpent magique servant quelque jour de pont aux tribus en fuite, un thau- maturge conduisant le troupeau et la magie multipliant les prouesses.

Mais quel est le nom de ces peuplades? On les appelle Douala, sur le Wouri, Ewondo, au nord de la forêt, Fang au sud, Mpongoué sur le Gabon, Oroungou au cap Lopez...

Ce sont à l'évidence des populations semi-nomades, aux villages en murs d'écorce, qui suivent les défrichements et les brûlis sur lesquels ils plantent les ignames, bananes et maniocs qui constituent avec les produits de la pêche ou de la chasse l'essentiel de leur nourriture.

Premiers pas sur la terre d'Afrique

Tel est le savoir de ce jeune marin qui ambitionne d'entrer en contact avec ces populations, de vivre dans leurs villages, de courir leur brousse. Pour l'heure, l'influence française paraît bien limitée. Quelques concessions côtières, çà et là, guère plus larges que l'écume du ressac, où flotte notre pavillon; quelques habitations en dur - luxe suprême! - abritent de rares missionnaires, des commerçants sans scrupule mais non sans courage, des « frères de la côte », épaves humaines, têtes brûlées ou aventuriers hardis qui ont trouvé là soit un refuge, soit un monde à la mesure de leur inadaptation à toute société organisée.

Quels projets tournent dans la tête de Pierre Savorgnan de Brazza au moment où, utilisant quelque barcasse, il est rudement secoué par la barre 1 avant d'aborder des rivages inconnus sur lesquels se sont assemblés les curieux; quel- ques hommes vêtus de pagnes ressemblant plus à des chiffons qu'à des tissus harmonieusement drapés; beaucoup d'enfants, vifs, malins et gais comme le sont tous les gosses d'Afrique; et des femmes, bavardes et graves à la fois, arborant fièrement une bouteille ou une calebasse sur la

1. Sorte de cordon littoral qui se forme à certaine distance du rivage et qui entraîne des remous entravant la navigation.

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tête, portant souvent dans le dos un bébé accroché, de fait, aux seins maternels qui seront ensuite et par cet effet même fort avachis... Ah, ils sont nombreux pour voir débarquer les Blancs! Le dernier bateau est passé il y a plus de quinze jours... Et ils sont impressionnés, eux de si modeste taille, par l'allure de ce grand personnage au regard dense, à l'extrême douceur et à la vigueur certaine en dépit d'une maigreur surprenante.

Bientôt, en ce printemps 1874, la Vénus est au mouillage à l'embouchure de l'Ogooué. Brazza préfère le cap Lopez à Libreville; cela lui paraît plus authentique. Il sonde cette voie d'accès car il sait déjà que le fleuve Gabon n'a qu'un cours limité, alors que l'Ogooué n'a été remonté que sur une partie de son cours inférieur et qu'il est sans doute le grand déversoir des eaux équatoriales.

Ici également il est au contact de l'Afrique véritable. Les tribus qu'avec ses compagnons Gagneron et Latour il décou- vre sur ces rivages sont vraies; ce ne sont point des populations polluées par les traitants européens ou les chefs esclavagistes. Les sagaies, arbalètes ou pièces d'ivoire qu'ils ont obtenues, après de longues discussions et contre des verroteries ou pièces de tissus, sont l'expression de l'Afrique profonde; ce sont des objets simples, utilisés couramment et traduisant à leur modeste manière l'âme des peuplades. Quelle joie de posséder des souvenirs authentiques, acquis sans le concours d'une factorerie! Quelle stupéfaction éga- lement d'avancer le long de ce fleuve sauvage, aux bras multiformes, aux îles ténébreuses, aux profondeurs inson- dées.

N'est-ce pas là l'entrée de ces terrae incognitae si nom- breuses sur les cartes? Il faut, à l'évidence, remonter ce cours et, si besoin est, en forcer les verrous.

Sa résolution est prise; il va solliciter l'honneur de conduire une expédition de reconnaissance.

Dès lors, on ne le voit plus sur le pont, guettant, épiant, scrutant. Il n'a plus besoin d'observer la côte; c'est vers l'intérieur qu'il doit se diriger et dans ce but il ne quitte guère sa cabine dans la tranquillité de laquelle il rédige ce qu'il appellera lui-même son fameux rapport, tandis que la Vénus regagne l'Europe.

Que de passion, que de flamme, que d'abnégation en ces

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lignes! Son enthousiasme n'exclut pourtant pas la prudence; mais sa réserve redouble son ardeur.

N'écrit-il pas : « Si l'Ogoway 1 n'a pas un cours aussi considérable que je

le pense, je le quitterai, et sans penser au retour, je m'enfoncerai vers l'est, nord-est; à bout de ressources, je m'arrêterai chez les différentes peuplades et apprenant leur langue, lentement il est vrai, je pourrai peut-être continuer ma route à la recherche des lacs ou du fleuve par où doit s'écouler la grande masse d'eau qui tombe sous l'équa- teur...

« Je voulais d'abord être le seul Blanc de l'expédition. Mais je crois maintenant que j'augmenterais de beaucoup les chances de réussir si je pouvais m'adjoindre un autre Blanc, deux tout au plus; Blancs qui ayant déjà, comme moi, vécu sous un climat semblable, croiraient pouvoir résister aux fatigues de l'expédition. Il serait très avantageux qu'un de mes compagnons possédât une certaine instruction, car alors l'exploration ne serait pas arrêtée si l'un de nous venait à faire défaut... »

Et d'ajouter in fine : « Je connais, Monsieur le Ministre, les dangers auxquels je

m'expose et, quoique pendant mon séjour sur la côte d'Afrique ma santé n'ait pas été altérée par les fatigues que, en prévision de cette expédition, je me suis imposées, je sais que la santé même la plus robuste n'affronte pas, impuné- ment, dans ces climats, des fatigues et des privations pareil- les. Je sais aussi qu'il faut que je sois très heureux pour que le résultat que j'espère vienne couronner mes efforts... »

Il s'offre même en holocauste, certain d'ouvrir ainsi une voie royale à son pays d'adoption. « ... Je n'aurais pas été inutile si l'Ogoway aura eu sa première victime, car un autre, plus heureux, reprendra la route que j'aurai ouverte. » Car il pressent à la fois que des fatigues incroyables l'atten- dent et que des fièvres vont l'assaillir et le miner, mais aussi que le fleuve entr'aperçu doit s'enfoncer très avant dans le continent massif.

Et il a la conviction que d'abord il lui faut affronter les bureaux peuplés de personnages qu'il a déjà rencontrés

1. Orthographe de l'époque.

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depuis son entrée à l'École navale et qui, confortablement installés dans les fauteuils des palais nationaux ou miséra- blement entassés dans leurs soupentes ou leurs annexes, sont avant tout des opposants systématiques à toute initiative hardie, à toute aventure insolite, à tout ce qui dérange leur routine.

Il est pourtant résolu, confiant dans la mission qu'il s'est assignée, et prêt à montrer toute l'opiniâtreté et toute la force de conviction dont il se croit capable. Car ce doux est habité de passions violentes, cet humble est pétri d'orgueil, ce frêle a les qualités du roseau.

Cependant plus il approche de Paris, où la protection ministérielle lui semble acquise, plus croît son anxiété. Que va-t-il découvrir? Qu'auront-ils inventé, ces cols blancs, aux pantalons rayés et aux manches de lustrine?

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3.

Face à la bureaucratie

Il a pensé à tout et échafaudé de multiples hypothèses. Il en a néanmoins omis une qui répond à l'implacable logique de l'administration; il apprend en effet, sitôt parvenu dans la capitale, sa naturalisation, si longtemps espérée, si vivement attendue. Le décret est au Journal officiel du 13 août 1874. Quelle joie, quel honneur!

Las, il n'est point de bonheur parfait. L'aspirant de la marine à titre étranger, qui allait tantôt devenir enseigne de vaisseau, se trouve soudain privé de tout grade; il n'est plus que matelot français.

Il est abasourdi par cette nouvelle que des envieux lui distillent ou lui assènent au ministère de la Marine. Il s'effondre presque et pour cacher sa déception, son humi- liation, il se précipite dans un escalier. Il est si bouleversé que les forces se dérobent et qu'il s'effondre, un bras cassé.

Si certains, derrière leurs airs patelins, leurs mines caute- leuses et leurs faux regrets ont cru le décourager, ils se sont trompés; il n'est que décontenancé; il ne renonce pas. La surprise et la désillusion passées, il cherche la parade. Les règlements administratifs sont aussi rigoureux que tortueux; ils comportent souvent des lacunes et prévoient parfois des moyens latéraux. Et de fait, Brazza, avec le concours de quelques bonnes volontés, découvre la faille : l'obtention d'un brevet de capitaine au long cours qui permet une assimilation dans la Royale. Allons, un effort supplémentai- re, monsieur le comte, et votre soif d'exploration sera

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possible et sans doute étanchée! Mais il faut encore et toujours se battre.

Le 16 février 1875, le brevet est acquis, si bien que le ministre peut le nommer, quelques jours plus tard, enseigne à titre auxiliaire dans la Marine nationale. Brazza est ainsi habilité à diriger des « embarcations de l'État » (sic). Peu après, le Dépôt des cartes et plans de la Marine ayant émis un avis favorable à la mission de l'Ogooué, Montaignac annonce à Brazza que son projet est approuvé et que ses demandes sont satisfaites La Marine lui avancerait sa solde d'une année, lui adjoindrait un aide-médecin, un quartier- maître, douze laptots (marins autochtones) du Sénégal et un chef laptot, deux Gabonais et deux Pahouins (curieuse distinction!), et mettrait à sa disposition des instruments scientifiques et un armement modeste. « J'espère, concluait l'amiral ministre, que, par votre zèle et votre dévouement aux intérêts de la science et de notre commerce, vous justifierez la confiance dont je me plais à vous accorder le témoignage. »

La faveur du prince

M. de Montaignac avait donc fait amicalement diligence. Mais d'où venait cette bienveillance exceptionnelle? Partout l'on chuchotait que ce jeune officier était un « pistonné ». Et il est vrai que la faveur du prince l'emportait sur les tracasseries administratives.

Sans doute la rencontre romaine avait-elle été décisive? Les origines et la notoriété de la famille ne pouvaient que séduire le marquis Louis de Montaignac, décoré de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand par le Saint-Père. La bienveil- lance ne provenait-elle pas aussi d'une profonde affinité entre un marin hardi qui a été le premier à expérimenter un aviso à vapeur et à hélice, le Napoléon, en 1842, et son cadet si plein de fougue et de résolution qu'il emporte l'adhé- sion?

Si le ministre multiplie les faveurs, l'ensemble du pays

reste boudeur à l'égard des aventures coloniales. Par chan-

1. Lettre du 25 février 1875.

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ce, les milieux géographiques se montrent intéressés, tandis que les salons, certains au moins, se flattent de recevoir ce noble Romain, si beau, si distingué, si mystérieux. On l'admire; on l'envie; une passion l'habite; et il en parle tellement bien. Les Fitz-James, les Lamoricière, les Castries s'unissent aux Montaignac pour le soutenir.

A la même époque, Brazza, qui décidément multiplie les rencontres à la recherche d'appuis bien nécessaires, se lie avec les trois frères Charmes : Francis, qui sera bientôt directeur de la Revue des deux mondes puis parlementaire, Xavier, attaché au ministère de l'Instruction publique, que nous retrouverons souvent, et Gabriel, publiciste.

Avec eux, il se rend au restaurant dit la Petite Vache, au quartier Latin, où se retrouvent tous les jeunes épris d'aven- tures et d'exotisme. Crevaux 1 et Duveyrier y sont familiers; Serpa Pinto et Cameron y viennent entre deux missions au Mozambique ou au Tanganyika; et un soir se hasarde là un jeune étudiant en médecine, Noël Ballay. A la fin du repas son sort est scellé; il accompagnera Brazza dans son expé- dition gabonaise en qualité de médecin auxiliaire puisqu'il n'a pas encore passé sa thèse.

Esprit pratique et concret, Pierre de Brazza ne se contente pas de ces parlotes d'étudiants, des récits des anciens ou des rêves d'aventuriers. Il a besoin d'autres soutiens, politiques en particulier, et il lui faut de l'argent. Heureusement il peut entrouvrir les portes de Gambetta et de Jules Ferry, acquis par principe à l'expansion salvatrice, si bien que les minis- tères des Affaires étrangères et de l'Instruction publique accordent des subventions à la mission en préparation. La Société de géographie alloue, elle aussi, quelques subsides. Tout cela reste néanmoins modeste et repose surtout sur la volonté d'un homme qui sollicite sa famille et ses amis et montre tant de conviction qu'il entraîne des concours.

C'est qu'il faut payer, et non seulement les acteurs de cette expédition, mais aussi le matériel scientifique, la bimbelote- rie, les émaillés, les verroteries, les perles, les tissus et autres

1. Jules Crevaux, en 1847, médecin de la marine, devait explorer l'Amérique latine et trouver la mort dans le Chaco, à la frontière du Paraguay (1882).

2. Henri Duveyrier, né en 1840, avait été l'un des premiers à pénétrer au Sahara et à étudier les Touareg.

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R. de CHAMBRUN, « S. de Brazza, une mémoi re pure de sang humain » (Revue des deux mondes, 1980).

Ch. de CHAVANNES, Avec Brazza, 2 vol. : - La mission de l 'Ouest africain 1883-86 (Plon, 1935). - Le Congo français 1886-1894; relations avec Brazza jusqu'en

1905 (Plon, 1937). J. CONRAD, Heart of darkness. C. COQUERY-VlDROVlTCH, Brazza et la prise de possession du Congo

français 1883-85, 2 vol. (École prat ique des H. E., 1966). - Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires

1898-1930 (Mouton, 1972). M. de CRISENOY, Le héros du Congo: Brazza (Spès, 1946). P. CROIDYS, Brazza, conquérant du Congo (Éd. des Loisirs,

1947). F. de CROZE et A. SINVAL, A la recherche des mondes nouveaux. Les

grands explorateurs contemporains (Librairie du XX s.). J. DARCY, France et Angleterre : Cent Ans de rivalité coloniale

(Perrin, 1904). P. DAYE, Léopold II (Fayard, 1934). - Stanley (Grasset, 1936). R. DORGELÈS, Sous le casque blanc (A. Michel, 1960). M. DUBOIS et A. TERRIER, Un siècle d'expansion coloniale (Challa-

mel, 1901). P. du CHAILLU, L'Afrique occidentale. Nouvelles aventures de chasse

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