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PIONNIERS CANADIENS John Laurence Hamerton : chercheur, auteur, administrateur, enseignant, éleveur de moutons… Lorsque Harry Medovy, directeur de l’Hôpital pour enfants de Winnipeg, a recruté John Laurence Hamerton en 1969, il lui aurait fallu une boule de cristal pour entrevoir la profusion de rôles que le chercheur britannique serait plus tard appelé à jouer dans son pays d’adoption. Mais avec ou sans boule de cristal, on peut certes affirmer que le jour où John débarqua avec son épouse Irene et ses jeunes filles Kate et Sarah augurait bien pour le monde de la génétique au Can- ada. Né à Hove, le 23 septembre 1929, John fit ses études de premier cycle en zoologie à l’Université de Londres. Après avoir obtenu son diplôme en 1951, il entra à l’Unité de re- cherche en radiobiologie MRC de Harwell où il entreprit d’étudier, sous la direction de son mentor C.E. Ford, les modifications des chromosomes dans les tumeurs spon- tanées et induites par radiation chez les souris. À l’époque, avant la découverte des techniques mo- dernes — que John contribua lui-même à mettre au point — la cytogénétique était une discipline périlleuse, mais où l’on faisait tout de même des progrès. En 1956, J-H. Tijo et A. Levan publiaient leur communication marquante indiquant que le nombre de chromosomes chez l’humain était en fait de 46, et non de 48, résultat qui fut rapidement confirmé par C.E. Ford et John Hamerton. Les conversations avec John au sujet de ses débuts étaient toujours intéressantes, et il ne manquait jamais de dire combien il était reconnaissant envers le patient qui, ne se doutant certainement de rien, avait fourni les biopsies des testicules ayant permis d’analyser les configurations méiotiques. Le métier du patient en question — selon John, il était policier — et l’organe en cause furent apparemment l’occasion de plus d’un propos égrillard dans le laboratoire. Après Harwell, John travailla un certain temps au Musée d’histoire naturelle et au King’s College avant d’entrer à l’Hôpital Guy pour diriger la section de cytogénétique de l’unité de recherche pédiatrique. Ces années à l’Hôpital Guy furent très productives. John collabora à des études qui devaient paver la voie de la transplantation de moelle osseuse et il eut l’occasion de décrire, souvent pour la première fois, de nombreux aspects de la cytogénétique que nous tenons pour acquis aujourd’hui et qui servirent de base à son ouvrage d’avant-garde, Human Cytogenetics. La dimension clinique était souvent prépondérante dans le travail de John, et ses études sur le syndrome de Down, les anomalies des chromosomes sexuels et les réarrangements structuraux ont produit des renseignements directement utiles pour conseiller les familles. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été attiré par un nouveau défi, celui de créer la première division de génétique humaine à Winnipeg et de bâtir sur le travail novateur d’Irene Uchida. S’immergeant rapidement dans le milieu canadien, John s’empressa de mettre en place un laboratoire offrant à la fois des services de pointe et un programme de recherche. Grâce à une subvention du ministère de la Santé et du Bien-être, il lança une étude des anomalies chromosomiques chez plus de 14 000 nouveau-nés consécutifs, dont certains furent suivis jusque tard dans l’adolescence. Il obtint également des subventions du Conseil de recherches médicales du Canada et, avec des collaborateurs tels que Phyllis McAlpine et Mano Ray, il apporta une contribution marquante à la cartographie du génome humain pendant plus de 20 ans. Toujours prêt à assumer un rôle de leadership, John a présidé l’American Society of Human Genetics (1975) et la Société de génétique du Canada (1977–1978). Jamais il n’a cessé de s’intéresser autant à la recherche fondamentale qu’à la prestation de services de génétique. Membre du comité de rédaction d’une proposition pour la création d’un collège canadien des généticiens médicaux, il a joué un rôle déterminant dans le développement de la génétique médi- cale au Canada. Il a présidé le Collège de 1991 à 1994 et en est demeuré membre actif jusqu’à sa mort. John était d’avis que le diagnostic prénatal constituait une dimension particulièrement importante de la génétique médi- © 2008 NRC Canada v Fig. 1. Un professeur occupé ~1980 (photographie, gracieuseté de la famille). La rédactrice en chef de la série d’articles sur les pionniers canadiens est Edyta Marcon, Département de recherche médicale Banting et Best, Université de Toronto.

PIONNIERS CANADIENS : John Laurence Hamerton

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PIONNIERS CANADIENS

John Laurence Hamerton : chercheur, auteur,administrateur, enseignant, éleveur demoutons…

Lorsque Harry Medovy, directeur de l’Hôpital pour enfantsde Winnipeg, a recruté John Laurence Hamerton en 1969, illui aurait fallu une boule de cristal pour entrevoir la profusionde rôles que le chercheur britannique serait plus tard appeléà jouer dans son pays d’adoption. Mais avec ou sans boulede cristal, on peut certes affirmer que le jour où Johndébarqua avec son épouse Irene et ses jeunes filles Kate etSarah augurait bien pour le monde de la génétique au Can-ada.

Né à Hove, le 23 septembre 1929, John fit ses études depremier cycle en zoologie à l’Université de Londres. Aprèsavoir obtenu son diplôme en 1951, il entra à l’Unité de re-cherche en radiobiologie MRC de Harwell où il entrepritd’étudier, sous la direction de son mentor C.E. Ford, lesmodifications des chromosomes dans les tumeurs spon-tanées et induites par radiation chez les souris.

À l’époque, avant la découverte des techniques mo-dernes — que John contribua lui-même à mettre au point — lacytogénétique était une discipline périlleuse, mais où l’on faisaittout de même des progrès. En 1956, J-H. Tijo et A. Levanpubliaient leur communication marquante indiquant que lenombre de chromosomes chez l’humain était en fait de 46, etnon de 48, résultat qui fut rapidement confirmé par C.E. Ford etJohn Hamerton. Les conversations avec John au sujet de sesdébuts étaient toujours intéressantes, et il ne manquait jamaisde dire combien il était reconnaissant envers le patient qui, nese doutant certainement de rien, avait fourni les biopsies destesticules ayant permis d’analyser les configurationsméiotiques. Le métier du patient en question — selon John, ilétait policier — et l’organe en cause furent apparemmentl’occasion de plus d’un propos égrillard dans le laboratoire.

Après Harwell, John travailla un certain temps au Muséed’histoire naturelle et au King’s College avant d’entrer àl’Hôpital Guy pour diriger la section de cytogénétique del’unité de recherche pédiatrique. Ces années à l’Hôpital Guyfurent très productives. John collabora à des études quidevaient paver la voie de la transplantation de moelle osseuseet il eut l’occasion de décrire, souvent pour la première fois,de nombreux aspects de la cytogénétique que nous tenonspour acquis aujourd’hui et qui servirent de base à sonouvrage d’avant-garde, Human Cytogenetics.

La dimension clinique était souvent prépondérante dans letravail de John, et ses études sur le syndrome de Down, lesanomalies des chromosomes sexuels et les réarrangementsstructuraux ont produit des renseignements directementutiles pour conseiller les familles. Il n’est donc pas étonnantqu’il ait été attiré par un nouveau défi, celui de créer lapremière division de génétique humaine à Winnipeg et debâtir sur le travail novateur d’Irene Uchida.

S’immergeant rapidement dans le milieu canadien, Johns’empressa de mettre en place un laboratoire offrant à la foisdes services de pointe et un programme de recherche.Grâce à une subvention du ministère de la Santé et duBien-être, il lança une étude des anomalies chromosomiqueschez plus de 14 000 nouveau-nés consécutifs, dont certainsfurent suivis jusque tard dans l’adolescence. Il obtintégalement des subventions du Conseil de recherchesmédicales du Canada et, avec des collaborateurs tels quePhyllis McAlpine et Mano Ray, il apporta une contributionmarquante à la cartographie du génome humain pendantplus de 20 ans.

Toujours prêt à assumer un rôle de leadership, John aprésidé l’American Society of Human Genetics (1975) et laSociété de génétique du Canada (1977–1978). Jamais il n’acessé de s’intéresser autant à la recherche fondamentalequ’à la prestation de services de génétique. Membre ducomité de rédaction d’une proposition pour la création d’uncollège canadien des généticiens médicaux, il a joué un rôledéterminant dans le développement de la génétique médi-cale au Canada. Il a présidé le Collège de 1991 à 1994 et enest demeuré membre actif jusqu’à sa mort.

John était d’avis que le diagnostic prénatal constituait unedimension particulièrement importante de la génétique médi-

© 2008 NRC Canada

v

Fig. 1. Un professeur occupé ~1980 (photographie, gracieuseté dela famille).

La rédactrice en chef de la série d’articles sur les pionniers canadiens est Edyta Marcon, Département de recherche médicale Banting et Best,Université de Toronto.

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cale. En 1973–1974, il a présidé le comité mixte de laSociété de génétique du Canada, la Société des obsté-triciens et gynécologues du Canada et la Sociétécanadienne de pédiatrie qui a rédigé les premières lignesdirectrices sur le diagnostic prénatal des maladies géné-tiques au Canada. Par la suite, il a dirigé l’essai cliniquealéatoire qui a comparé l’amniocentèse au prélèvement devillosités choriales.

John est intervenu dans toutes les dimensions de la vie del’Université du Manitoba, siégeant à de nombreux comitésainsi qu’au Sénat et au Conseil des gouverneurs del’établissement. Il a aussi été professeur et mentor d’ungrand nombre d’étudiants des cycles supérieurs, de sta-giaires en médecine et de boursiers de recherche. Ferventpartisan de l’amélioration du milieu de recherche pour tous, ila occupé le poste de doyen associé de recherche à laFaculté de médecine et présidé le Conseil de recherche surla santé du Manitoba (CRSM) de 1991 à 1998.

Ce rôle de président du CRSM fut seulement l’un de ceuxque John a continué de jouer après sa retraite « officielle » en1996, même si, au cours des dernières années, il s’est permisde consacrer du temps à certaines de ses autres amours.Paysan dans l’âme, John avait déjà quitté la ville depuisquelques années pour s’installer en milieu rural. Au fil dutemps, l’élevage de moutons Hamerton sur la route Zora futremplacé par un établissement plus considérable (Queen’sValley). Peu satisfait de se consacrer en amateur à cetteentreprise, John se plongea de tout cœur dans sa nouvelle

carrière et devint rapidement président de l’Association dumouton du Manitoba et président du premier Conseil cana-dien du mouton, puis du Conseil consultatif national surl’amélioration génétique du mouton. Comme cliente régulière,je peux attester à la fois la succulence des agneaux élevéspar John et Irene, et l’énergie qu’ils ont consacrée à lagestion de leur vaste troupeau (sans compter les chiens deberger, chats, poulets, oies…).

Ses nombreux talents et ses services illustres n’en méritantpas moins, John a obtenu de nombreuses distinctions, parmilesquelles celles de distingué professeur émérite, membre del’Ordre du Canada et associé émérite du Collège royal desmédecins et chirurgiens du Canada. Chaque fois, il a acceptél’honneur avec humilité, mais il était manifestement heureuxque l’on reconnaisse ses contributions.

Ceux et celles qui l’ont rencontré savent que John était unhomme imposant de bien des façons. Lorsqu’il mourut le 9février 2006 des complications d’une chirurgie cardiaque, illaissa un grand vide dans le cœur des membres de safamille et de ses amis. Ayant connu John comme employeur,mentor, collègue et, finalement, ami cher, je peux sincè-rement dire que la communauté de la génétique au Canadaa perdu un de ses meilleurs membres.

Jane EvansDépartement de biochimie et de génétique médicaleUniversité du Manitoba

© 2008 NRC Canada

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