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Mise au point Place du médecin généraliste dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde Do primary care physicians have a place in the management of rheumatoid arthritis? e Anne-Christine Rat, Viviana Henegariu, Marie-Christophe Boissier a, * ,b a Service de rhumatologie, CHU Avicenne (AP-HP), 125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex France b Upres EA-3408, UFR Léonard-de-Vinci, université Paris-Nord, Bobigny, France Reçu le 28 avril 2003 ; accepté le 12 septembre 2003 Disponible sur internet le 8 octobre 2003 Résumé Objectif. – Il y a peu de recommandations quant à la prise en charge des polyarthrites rhumatoïdes (PR) alors que celle-ci varie de façon importante. Les médecins généralistes jouent un rôle majeur parce qu’ils sont souvent les premiers à évaluer les patients. L’objectif de ce travail est d’apprécier la place du médecin généraliste dans la prise en charge de la PR. Méthodes. – Les articles sur la prise en charge de la PR en médecine générale ont été obtenus par recherche sur Medline. Résultats. – Actuellement l’objectif de débuter un traitement de fond de la PR précocement n’est pas réaliste pour de nombreux patients. Lorsque l’on étudie la concordance entre diagnostic évoqué par le médecin traitant et diagnostic porté par le rhumatologue, celle-ci est moyenne et la polyarthrite rhumatoïde est souvent évoquée par excès. Le délai entre début des symptômes et début du traitement de fond dont la médiane est de 19 mois est principalement dû au délai de prise en charge par le rhumatologue. Par ailleurs, les traitements de fond de la PR sont rarement prescrits par les médecins généralistes. Quelques données suggèrent que l’impact des soins apportés par le rhumatologue est positif sur l’évolution de la maladie mais ceci doit être confirmé par des études longitudinales randomisées avec des critères de diagnostic et d’efficacité validés. Reconnaître la nécessité d’une demande d’avis ou de prise en charge appropriée dans le temps est donc un objectif important de la formation des médecins généralistes et des étudiants. Par ailleurs, la nature des différences de prise en charge entre les médecins généralistes et les rhumatologues doit être explorée. Une réflexion et un travail commun entre médecins généralistes et rhumatolo- gues sur la prise en charge de pathologies rhumatologiques en médecine générale doivent être encouragés afin de créer une meilleure coordination. Cette réflexion commence par s’interroger sur les besoins des médecins généralistes (formation, accès à des conseils téléphoniques ou à des consultations rapides) et par définir une stratégie commune de prise en charge si celle-ci doit être partagée. Conclusion. – De nombreux professionnels de la santé parmi lesquels les médecins généralistes occupent une place privilégiée, doivent partager la prise en charge de la PR. Les médecins généralistes et les rhumatologues doivent être encouragés à travailler ensemble afin d’optimiser les soins des patients suivis pour PR. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Objective. – Few recommendations have been issued about the management of rheumatoid arthritis (RA), which varies widely across physicians. The primary care physician (PCP) plays a unique role as the first physician to evaluate the patient. The objective of this study was to evaluate the place of PCPs in the management of RA. Methods. – Medline was searched for articles reporting management of RA in primary care practice. Results. – Currently, the goal of initiating a disease modifying anti-rheumatic drug (DMARD) early is unrealistic for numerous patients. Agreement between PCPs and rheumatologists about the diagnosis of RA is only passable, but PCPs tend to overdiagnose RA. Median time e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.-C. Boissier). Revue du Rhumatisme 71 (2004) 350–358 www.elsevier.com/locate/revrhu © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2003.09.012

Place du médecin généraliste dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde

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Mise au point

Place du médecin généraliste dans la prise en chargede la polyarthrite rhumatoïde

Do primary care physicians have a placein the management of rheumatoid arthritis? e

Anne-Christine Rat, Viviana Henegariu, Marie-Christophe Boissier a,*,b

a Service de rhumatologie, CHU Avicenne (AP-HP), 125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex Franceb Upres EA-3408, UFR Léonard-de-Vinci, université Paris-Nord, Bobigny, France

Reçu le 28 avril 2003 ; accepté le 12 septembre 2003

Disponible sur internet le 8 octobre 2003

Résumé

Objectif. – Il y a peu de recommandations quant à la prise en charge des polyarthrites rhumatoïdes (PR) alors que celle-ci varie de façonimportante. Les médecins généralistes jouent un rôle majeur parce qu’ils sont souvent les premiers à évaluer les patients. L’objectif de cetravail est d’apprécier la place du médecin généraliste dans la prise en charge de la PR.

Méthodes. – Les articles sur la prise en charge de la PR en médecine générale ont été obtenus par recherche sur Medline.Résultats. – Actuellement l’objectif de débuter un traitement de fond de la PR précocement n’est pas réaliste pour de nombreux patients.

Lorsque l’on étudie la concordance entre diagnostic évoqué par le médecin traitant et diagnostic porté par le rhumatologue, celle-ci estmoyenne et la polyarthrite rhumatoïde est souvent évoquée par excès. Le délai entre début des symptômes et début du traitement de fond dontla médiane est de 19 mois est principalement dû au délai de prise en charge par le rhumatologue. Par ailleurs, les traitements de fond de la PRsont rarement prescrits par les médecins généralistes. Quelques données suggèrent que l’impact des soins apportés par le rhumatologue estpositif sur l’évolution de la maladie mais ceci doit être confirmé par des études longitudinales randomisées avec des critères de diagnostic etd’efficacité validés. Reconnaître la nécessité d’une demande d’avis ou de prise en charge appropriée dans le temps est donc un objectifimportant de la formation des médecins généralistes et des étudiants. Par ailleurs, la nature des différences de prise en charge entre lesmédecins généralistes et les rhumatologues doit être explorée. Une réflexion et un travail commun entre médecins généralistes et rhumatolo-gues sur la prise en charge de pathologies rhumatologiques en médecine générale doivent être encouragés afin de créer une meilleurecoordination. Cette réflexion commence par s’interroger sur les besoins des médecins généralistes (formation, accès à des conseilstéléphoniques ou à des consultations rapides) et par définir une stratégie commune de prise en charge si celle-ci doit être partagée.

Conclusion. – De nombreux professionnels de la santé parmi lesquels les médecins généralistes occupent une place privilégiée, doiventpartager la prise en charge de la PR. Les médecins généralistes et les rhumatologues doivent être encouragés à travailler ensemble afind’optimiser les soins des patients suivis pour PR.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Objective. – Few recommendations have been issued about the management of rheumatoid arthritis (RA), which varies widely acrossphysicians. The primary care physician (PCP) plays a unique role as the first physician to evaluate the patient. The objective of this study wasto evaluate the place of PCPs in the management of RA.

Methods. – Medline was searched for articles reporting management of RA in primary care practice.Results. – Currently, the goal of initiating a disease modifying anti-rheumatic drug (DMARD) early is unrealistic for numerous patients.

Agreement between PCPs and rheumatologists about the diagnosis of RA is only passable, but PCPs tend to overdiagnose RA. Median time

e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine.* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (M.-C. Boissier).

Revue du Rhumatisme 71 (2004) 350–358

www.elsevier.com/locate/revrhu

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.rhum.2003.09.012

from symptom onset to second-line treatment was 19 months and the best predictive factor for a longer lag time before DMARD prescriptionwas the time from symptom onset to the first rheumatologist visit. Moreover, DMARDs are only rarely prescribed by PCPs. Some data suggestthat the impact of rheumatologists care is positive on outcomes but it has to be confirmed by longitudinal, randomized studies, with validoutcomes and diagnosis criteria. Recognition of the need for timely referral is an important goal in the teaching of students and generalists.Moreover, the nature of management differences between rheumatologists and PCPs has to be explored. We should also think how to create abetter coordination. This starts by knowing what are the needs of the PCP (e.g. education, access to phone advice or rapid consultation) and bydefining common plan if the care should be shared.

Conclusion. – Several healthcare professionals, among whom the PCP plays a pivotal role, should share the management of RA. PCPs andrheumatologists should be encouraged to work together on optimizing the management of patients with RA.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Médecins généralistes ; Polyarthrite rhumatoïde ; Pratiques

Keywords: Primary care physicians; Family practice; Rheumatoid arthritis; Health care

La polyarthrite rhumatoïde (PR) est la plus fréquente desrhumatismes inflammatoires. Ses conséquences sont nom-breuses : progression radiologique, déclin fonctionnel, défor-mations, chirurgie de remplacement articulaire et mortalitéprécoce [1–5]. Par ailleurs, les conséquences économiquesde la PR ne sont pas négligeables [6]. Il y a peu de recom-mandations quant à la prise en charge des polyarthrites débu-tantes et des polyarthrites rhumatoïdes. La multitude destableaux cliniques rend difficile une prise en charge stéréoty-pée ce qui se retrouve dans les résultats des enquêtes depratiques. La prise en charge de la polyarthrite rhumatoïdeest en effet extrêmement variable : variabilité des diagnosticsposés devant une polyarthrite [7], des examens complémen-taires prescrits au début de la polyarthrite [8], des traitements[9–14], du suivi [9,15–18], de la surveillance du traitementde fond [15,17,19] et de la prise en charge globale [20].

Les médecins généralistes sont souvent le premier contactmédical des patients présentant des problèmes rhumatologi-ques. Un certain nombre de décisions et d’interventionsdépendent de leur diagnostic : demandes d’avis, tests dia-gnostiques, traitements ou conseils. Leur prise en chargeinitiale a des conséquences évidentes sur l’anxiété éventuelledes patients et des conséquences économiques. Comprendreet identifier les atouts des médecins généralistes et des rhu-matologues dans le diagnostic et le suivi des polyarthritespermettrait de coordonner la prise en charge de façon opti-male. Organiser un système de coopération ville–hôpital peutpermettre de diminuer les délais de consultations spéciali-sées. Structurer et clarifier les demandes de consultationsdoit également permettre de répondre mieux aux demandesdes médecins traitants et des patients. Demander un avisspécialisé de façon adaptée peut par ailleurs faire accepter undiagnostic par le patient et éviter une consommation desressources médicales par explications et réassurance. Il y apeu d’études sur la prise en charge des polyarthrites par lesmédecins généralistes alors qu’ils sont souvent les premierscontacts des patients. Le traitement précoce repose donc pourune large part sur leurs capacités à évoquer le diagnostic et àadresser rapidement le patient au spécialiste pour initier untraitement de fond. L’objectif de ce travail est de faire unerevue de la place du médecin généraliste dans la prise encharge de la PR.

1. Méthodes

Les articles sur la prise en charge de la PR en médecinegénérale ont été obtenus par recherche sur Medline. Les motsclés comprenaient : « primary care physician », « familypractice », « rheumatoid arthritis », « rheumatology ». Larecherche a été complétée par les articles pertinents des listesde bibliographie.

2. La rhumatologie et le médecin traitant

La prévalence de la PR étant peu élevée (moins de 1 %),les médecins généralistes ont par conséquent une expériencelimitée du diagnostic et du traitement de cette maladie. Lemédecin traitant comme les étudiants considère probable-ment les connaissances et les compétences en rhumatologiemoins importantes que dans d’autres spécialités. D’ailleurs,d’après Glazier la confiance des médecins généralistes dansleur examen rhumatologique est faible. Elle est notammentnettement inférieure à celle de leur examen cardiovasculaire[21]. Cependant, les pathologies relevant de la rhumatologiesont fréquentes en médecine générale. Dans une enquêtetransversale norvégienne en population générale on notaitque 45 % des personnes ayant une plainte rhumatologiqueconsultaient un médecin généraliste [22]. Guilar et al. [23]ont comparé les pathologies rhumatologiques vues par desmédecins traitants et par des rhumatologues. En médecinegénérale et en rhumatologie 58 % des patients consultaientpour des lombalgies, les chiffres différaient pour l’arthrose :28 % en médecine générale contre 14 % en rhumatologie etpour les arthrites inflammatoires : 6 % en médecine généralecontre 13 % en rhumatologie. Concernant la PR, pour 10 à20 % des patients, le médecin principal impliqué dans la priseen charge de la maladie n’était pas un rhumatologue [24,25].

Quant à la formation, il faut savoir qu’aux États-Unis,13 % des hôpitaux n’ont pas de rhumatologue à temps pleindans leur équipe médicale, seulement deux tiers des étudiantsen médecine acquièrent la pratique d’un bon examen cliniqueet seulement 15 % des résidents en médecine générale fontun stage en rhumatologie [26]. Quarante pour cent des rési-

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dents en médecine générale américains reçoivent un ensei-gnement par un rhumatologue au cours de leurs études, lesautres ayant un contact avec la rhumatologie seulement aucours de stages non rhumatologiques. À noter également queseulement la moitié des étudiants apprennent à prescrire unerééducation fonctionnelle [27].

3. Diagnostic et prise en charge de la PR débutante parles médecins généralistes

Au cours de la PR, le diagnostic précoce et la prescriptiond’un traitement de fond approprié sont actuellement recon-nus comme étant une des clés de la prise en charge.

3.1. Évaluation des connaissances en médecine générale

Quelques études ont comparé les diagnostics des méde-cins traitants et des rhumatologues. Dans une première étude[28], 711 dossiers ont été examinés, le diagnostic des rhuma-tologues était considéré comme « gold standard ». Un dia-gnostic avait été avancé par 49 % des médecins traitants. Laplus mauvaise sensibilité était observée pour la pseudopoly-arthrite rhizomélique et les syndromes canalaires, lameilleure pour les spondylarthropathies et les arthropathiesmicrocristallines. La valeur prédictive positive était bassepour les lupus, les pseudopolyarthrites rhizoméliques et lapolyarthrite rhumatoïde (46 %) indiquant que ces diagnosticsétaient souvent posés par excès. Parmi les 46 diagnostics dePR proposés par les médecins généralistes, 25 (54 %) ont étémodifiés par les rhumatologues. Une autre étude des dia-gnostics des médecins généralistes a été réalisée par Bolumar[29] selon le même principe. Quatre vingt pour cent deslettres comportaient une tentative de diagnostic. Plus de 50 %des diagnostics ont été modifiés par les rhumatologues, laconcordance globale étant de 59 %. La spécificité et la valeurprédictive positive des rhumatismes inflammatoires étaienttrès basses, la sensibilité des rhumatismes abarticulaires etdes fibromyalgies était également basse indiquant que la PRétait souvent diagnostiquée par excès et les rhumatismesabarticulaires et les fibromyalgies par défaut.

Les études concernant les cas théoriques en rhumatologiesont rares : une enquête publiée a essayé d’évaluer les dia-gnostics les plus difficiles à faire pour un panel de médecinsgénéralistes. Il s’agissait de faire le diagnostic à partir de huitcas théoriques. Les cas de lupus érythémateux disséminé, dechondrocalcinose, d’arthrite réactionnelle et de pseudopoly-arthrite rhizomélique étaient les moins fréquemment recon-nus par les médecins généralistes [30]. Les enquêtes sur descas simulés sont nombreuses en médecine générale et ontdémontré qu’elles étaient plus proches de la pratique effec-tive [31]. Mais celles-ci ne concernent que des pathologiesnon rhumatologiques. Une tentative de diagnostic est doncapportée par un nombre variable de médecins généralistesmais ce diagnostic est modifié dans plus de 50 % des cas. LaPR semble être surdiagnostiquée par les médecins généralis-

tes mais la méthodologie des études ne permet pas d’appré-cier le nombre de PR non diagnostiquées dans la populationgénérale.

3.2. Demandes d’avis spécialisés

Dans de nombreux pays les médecins généralistes contrô-lent les demandes d’avis spécialisés et apportent des soins deplus en plus complexes. La décision d’adresser un patient auspécialiste dépend de nombreux éléments notamment l’étatde santé des patients, de leurs attentes concernant leur mala-die, de l’expérience des médecins, de leurs attentes et de leurscroyances quant à l’efficacité de la prise en charge spécialiséeet de considérations géographiques. Mais l’absence de de-mande d’avis spécialisé peut résulter en traitements et exa-mens diagnostiques non-efficients ou inutiles, inappropriésou dangereux ou retarder le diagnostic et le traitement. Àl’opposé, un trop grand nombre de demandes d’avis peutconduire à des soins fragmentés, une répétition des examens,une polymédication, une augmentation des délais d’attente,une incompréhension et une augmentation de l’anxiété res-sentie par le patient.

Dans une étude présentant un cas clinique théorique de PR[32], 12 médecins sur 84 (14,3 %) envoyaient le patientconsulter un rhumatologue sans aucune étude diagnostique,alors que vingt-huit médecins sur les 62 restants débutaientun traitement de fond sans avis spécialisé. Lorsque l’ondemandait quelle source d’information supplémentaire lemédecin traitant utiliserait en cas de nécessité, dans 73 % descas ils répondaient une consultation chez un rhumatologue,dans 19 % des journaux ou des livres de référence et dans8,3 % un collègue. Samanta et Roy [33] ont examiné 565 de-mandes d’avis d’une consultation de rhumatologie. Moins de5 % des médecins généralistes avaient essayé un traitementautre que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).Une étude prospective [34] a analysé les raisons motivant lesdemandes d’avis spécialisé sur une période de cinq mois. Lesgénéralistes étaient influencés par des raisons médicales etnon médicales dans 76 % des cas, par des raisons uniquementmédicales dans 20 % des cas et dans 3 % des cas il n’y avaitque des raisons non médicales. Dans un tiers des cas, lesmédecins généralistes avaient le sentiment que la consulta-tion aurait pu être évitée par une formation à des gestessimples ou par un contact avec un collègue ou un spécialiste.Les spécialistes pensaient que les demandes d’avis étaient leplus souvent appropriées dans le temps et de complexitémoyenne. Ils considéraient les consultations peu ou inappro-priées pour un tiers d’entre elles. Les principales motivationsde demande d’avis étaient pour obtenir un diagnostic, unconseil thérapeutique ou pour un geste diagnostique ou thé-rapeutique. En ce qui concernait les raisons non médicales, ils’agissait de se conformer aux standards de soins, de larequête du patient, d’éduquer, de rassurer ou de motiver lepatient. Les spécialistes et les généralistes n’étaient souventpas d’accord sur quelles consultations étaient évitables. Dansd’autres études d’autres raisons ont été avancées : une sur-

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charge de travail du médecin généraliste, une façon d’exercerplus agressive, par anxiété, par connaissance du spécialisteou pour obtenir un deuxième avis [34]. Dans une étudecanadienne [21], 59 % des médecins généralistes deman-daient un avis au rhumatologue devant un cas théorique depolyarthrite rhumatoïde précoce, ce pourcentage augmentaitlorsqu’il s’agissait d’une polyarthrite tardive. Les femmes,les médecins ayant reçu ou étant intéressés par une formationen rhumatologie demandaient plus facilement des avis spé-cialisés devant une polyarthrite rhumatoïde tardive. Afin dedéterminer si les patients suivis pour PR et leur médecinprenaient les décisions appropriées quant à leur demanded’avis auprès d’un rhumatologue, une cohorte de 282 pa-tients a été suivie pendant dix ans. Parmi les 52 patientsn’ayant eu aucun contact avec un rhumatologue, l’évolutionfonctionnelle de 42 % d’entre eux était défavorable alorsqu’ils auraient pu bénéficier d’un avis spécialisé [35].

3.3. Retard diagnostique au cours de la polyarthriterhumatoïde

Dans une première étude, Chan et al. [36] ont fait unerevue de dossiers pour établir le délai entre le début dessymptômes et le diagnostic de PR. La médiane de la duréetotale était de 36 semaines, celle de la durée entre le début dessymptômes et la première visite médicale de quatre semaineset celle entre première visite médicale et première consulta-tion de rhumatologie de huit semaines. La médiane du nom-bre des visites médicales avant diagnostic était de six. Dansune deuxième étude, le délai retrouvé entre premiers symp-tômes et première consultation chez un rhumatologue variaitde trois mois pour 22,5 % (527) des patients à plus de troisans pour 39 % d’entre eux. Le temps médian entre le débutdes symptômes et la première consultation chez un rhumato-logue était de 17 mois (4–74), quant au délai entre le débutdes symptômes et le début du traitement de fond il était de19 mois. Le meilleur facteur prédictif d’une durée totale pluslongue était le délai entre le début des symptômes et lapremière consultation chez un rhumatologue [37]. À noterque la durée avant la demande de consultation spécialiséeétait plus longue pour les femmes suivies pour une PR [38].

Si les recours au spécialiste au cours de la PR ne sontprobablement toujours pas assez fréquents et le délai de priseen charge trop long, les raisons doivent en être étudiées danschaque environnement de pratique des soins. Les obstaclestels que « la peur de perdre les patients », l’absence d’accèsd’urgence au spécialiste et des délais de consultations exces-sifs doivent être identifiés et reconnus.

3.4. Prescription des traitements de fond par les médecinsgénéralistes

Les traitements de fond doivent être prescrits précoce-ment au cours de la PR, mais la sélection du traitement leplus adapté est difficile. Dans une étude américaine présen-tant un cas clinique théorique de PR aux médecins généra-

listes, seulement 12 % d’entre eux affirmaient qu’ils pres-criraient un traitement de fond, bien que cette proportionsoit plus forte parmi les médecins ayant une expérience dutraitement de la PR. Parmi les médecins de famille ou lesinternistes, 72 % reconnaissaient la nécessité d’un traite-ment de fond mais seulement 14 % d’entre eux avaientprescrit un tel traitement au cours de l’année écoulée. Laplupart des médecins déclaraient qu’ils adresseraient lespatients au rhumatologue. Dans une autre étude deHernandez-Garcia et al., seulement 4,4 % des patientsavaient reçu un traitement de fond avant leur première visitechez le rhumatologue [37]. Parce que les médecins traitantsprescrivent peu de traitement de fond, l’objectif de traiter lesPR précocement dépend donc en quasi-totalité de la préco-cité des demandes d’avis.

Par ailleurs, il est important de souligner que si la PR estdiagnostiquée par excès par les médecins traitants devant unepolyarthrite récente, une proportion non négligeable de cespatients va guérir spontanément ou évoluer vers une autrepathologie plus bénigne. Ces polyarthrites peuvent ainsi ap-paraître comme bénignes, ne nécessitant pas un traitementspécialisé et une prise en charge rapide, ce qui pourraitpartiellement expliquer que les médecins généralistes puis-sent être peu enclins à prescrire un traitement ou à demanderun avis spécialisé précocement.

Lors de la formation des médecins généralistes, l’impor-tance de la rapidité de la prise en charge doit être soulignée.Il faudrait également s’attacher à leur faire reconnaître uneentité telle que la polyarthrite indifférenciée [39]. Devantun rhumatisme inflammatoire débutant, les arthrites inclas-sées (et qui le restent à dix ans dans 80 % des cas) représen-tent 10 à 60 % des patients [40,41]. Dans les cas où lediagnostic de PR peut être posé d’emblée, il ne faut pasretarder la mise en route du traitement de fond. Dans les casoù la nosologie du rhumatisme inflammatoire reste impré-cis, il faut au moins préciser au patient qu’il s’agit d’unepolyarthrite indifférenciée, apporter des explications et nepas donner l’impression d’une incertitude diagnostiquepouvant être anxiogène et frustrante. Dans ces cas il faut parailleurs convaincre les patients de reconsulter régulière-ment. Il est également souhaitable d’insister sur le fait quela recherche de facteurs pronostiques est aussi importanteque le diagnostic [39]. Faire connaître ces éléments auxmédecins généralistes pourrait les inciter à demander plusfacilement un avis spécialisé pour poser un diagnostic,avoir une étiquette et des explications à donner au patientafin de diminuer son anxiété et un éventuel sentiment defrustration et ne pas hésiter à débuter un traitement de fondchez les PR typiques ou une polyarthrite indifférenciéeactive.

4. Suivi des PR au long cours

Le traitement et l’adaptation optimale des traitements defond sont indispensables : l’activité de la maladie, les dou-

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leurs et les limitations fonctionnelles doivent être suiviesrégulièrement afin de modifier les traitements en consé-quence. Les rhumatologues doivent choisir de façon opti-male le traitement de fond en utilisant des mesures standar-disées de l’activité de la maladie, de qualité de vie ou desmesures fonctionnelles [42]. La PR étant une maladie chro-nique, la relation médecin–malade doit être préservée [43].Une coopération avec le patient est importante à établir pourprendre en charge la maladie. Celui-ci doit être informé,prendre part aux décisions, comprendre sa maladie, son pro-nostic et les attentes qu’il peut avoir concernant son traite-ment. Les patients sont également préoccupés par la coopé-ration des médecins entre eux, l’échange des informations, laprise de décisions conjointes et si les responsabilités dechacun sont claires. Les rhumatologues peuvent avoir ici unrôle important de coordination des soins multidisciplinaires.Les spécialistes qui ont une plus grande expérience pour-raient donc apporter tous ces éléments mais les bénéficesd’une telle prise en charge par les rhumatologues doivent êtredémontrés.

4.1. Différences entre la prise en charge des polyarthritesrhumatoïdes par les rhumatologues et par les médecinsgénéralistes

(Tableau 1)Plusieurs études ont évalué les différences de prise en

charge des patients suivis pour polyarthrite rhumatoïde entrerhumatologues et non-rhumatologues [24,25,35,44–47]. Cesdifférences peuvent être examinées en comparant les procé-dures (interventions), les structures (ressources) et les résul-tats (effets). En ce qui concerne les procédures, la qualité dessoins médicaux de la pathologie articulaire, des comorbiditéset des soins de prévention reçus par 1355 patients suivis pourPR ont été comparés parmi différents types de médecins. Desscores de qualité exprimés en pourcentage d’actes de réfé-rence effectués ont été développés pour les trois domaines desoins. Lors du suivi, les scores étaient de 62 % pour les scores« arthrites », 52 % pour les scores « comorbidités » et de 42 %pour les scores « soins de prévention ». Lorsque les soinsreçus impliquaient les spécialistes appropriés (par exemple

Tableau 1Comparaison de la prise en charge de la PR par les médecins généralistes et les médecins spécialistes

type d’étude MG SP MG etSP(occasionnel)

SP etMG

ni MGni SP

ComparaisonsMG/SPa

ComparaisonsMG /MG et SP(occasionnel)a

ComparaisonsSP/ MG et SP(occasionnel)a

procéduresMaclean [45] scores de qualité de prise en chargeb (%)

rhumatologie 56 75 73 52comorbidités 52 62 69 49prévention 33 66 61 23

Criswell [25] prescription de traitement de fond (OR) c

méthotrexate 1 15 15,8 (0,5 ; 414,2) (0,5 ;459,2)hydroxychloroquine 1 1,9 1,6 (0,9 ; 4,2) (0,7 ; 4,0)sels d’or i.m. 1 1,1 4,8 (0,3 ; 3,7) (1,2 ; 19,3)corticoïdes 1 2,9 3,3 ( 1,2 ; 7,1) (1,1 ; 9,9)

ressourcesGabriel [44] coûts des soins _ _ 0,85

coûts des soins de médecine générale(moyenne en $)

6974 6533 0,11

résultats cliniquesYelin [24] HAQ (0–3)d 1,3 1,2 1,3 (–0,1 ; –0,0) (–0,1 ; 0,1)

articulations douloureusesd 10,1 9,7 10,0 (–0,8 ; –0,0) (–0,6 ; 0,5)articulations gonfléesd 5,2 5,0 5,3 (–0,4 ; 0,1) (–0,3 ; 0,4)douleurd 43,2 38,9 43,7 (–7,0 ; –1,4) (–3,6 ; 4,6)% de patients améliorésd 21,6 28,6 19,4 (0,9 ; 12,1) (–10,2 ; 5,1)

Ward [35] variation du HAQ (unités par an) 0,02 0,01 0,020 S < 0,0001

MG, médecin généraliste ; SP, médecin spécialiste pertinent (de la pathologie en cause) ; MG et SP (occasionnel), prise en charge principale de la PR par lemédecin généraliste avec de rares consultations spécialisées ; S, statistiquement significatif

a Intervalles de confiance à 95 % des odds ratio (Criswell) ou des différences (Yelin) ou résultat du p de comparaison des coefficients de régression d’uneanalyse multivariée.

b Les scores de qualité de prise en charge sont des mesures d’application des processus recommandées lors de la prise en charge d’une pathologie, ils sontexprimés en pourcentages d’actes recommandés effectués par les médecins.

c Les odds ratio (OR) sont calculés en prenant les soins apportés par les médecins généralistes seuls comme référence, ils sont ajustés pour l’âge, le HAQ avanttraitement, le sexe, la durée de la maladie, la présence de facteur rhumatoïde et la présence de comorbidités.

d Les comparaisons sont ajustées sur les caractéristiques démographiques et cliniques ; les résultats en gras sont statistiquement significatifs.

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les rhumatologues pour les soins des arthrites, les endocrino-logues pour le diabète et les gynécologues pour la préventiondes cancers du sein) les scores étaient supérieurs de 30 à187 %. Il est par ailleurs important de noter que 45 à 67 % despatients-années étaient associés à des soins ne comportantpas de spécialiste approprié. En revanche, il n’y avait pas dedifférence des scores entre les patients qui consultaient unmédecin généraliste et le spécialiste approprié et les patientsne consultant que le spécialiste. Concernant les soins deprévention, les scores de qualité de soins des patients ayantun contact avec un médecin généraliste sans avis auprès d’unspécialiste approprié étaient plus élevés que ceux n’ayant decontact avec aucun des deux [45]. Ceci souligne la nécessitéd’une coopération des soins.

Plus récemment [44], une évaluation économique a étépubliée comparant le coût de la prise en charge des polyarth-rites rhumatoïdes en médecine générale et en rhumatologie.L’utilisation des ressources (jours d’hospitalisation, tests delaboratoire et radiographies) de 249 patients recrutés en mé-decine générale a été répertoriée. Les résultats étaient expri-més en coût par consultation auprès du rhumatologue ou dumédecin généraliste. Après ajustement sur les caractéristi-ques cliniques de la maladie et les données démographiques,les coûts médicaux directs et les journées d’hospitalisationn’étaient pas différents entre les médecins généralistes et lesrhumatologues. En revanche, les rhumatologues prescri-vaient plus d’examens biologiques et de radiographies. Ànoter que cette étude comparait les coûts de la prise en chargede la maladie déjà diagnostiquée sans tenir compte des coûtsdu bilan diagnostique.

Criswell et al. [25] ont centré leur enquête sur les proba-bilités de mise en route d’un traitement de fond ou d’unecorticothérapie au cours de la polyarthrite rhumatoïde. Lespatients suivis ou ayant un contact avec un rhumatologueprenaient plus souvent un traitement de fond et une cortico-thérapie. En effet, les patients suivis par un rhumatologueavaient 15 fois plus de chances de débuter un traitement parméthotrexate, deux fois plus de chances d’être traité parhydroxychloroquine et trois fois plus de chances d’être traitépar corticothérapie. En revanche, il n’y avait pas de diffé-rence pour les traitements par sels d’or. Ces résultats étaientajustés sur la sévérité de la polyarthrite rhumatoïde mais enfait n’atteignaient pas la signification statistique en raison dunombre très faible de prescriptions de traitement de fondchez les patients suivis seulement par les médecins généra-listes. L’évolution sous traitement mesurée par le HealthAssessment Questionnaire (HAQ) était également meilleurelorsque le patient était suivi par un rhumatologue. L’ajuste-ment sur les données démographiques et les scores du HAQavant l’initiation du traitement ne modifiait pas les résultats.Yelin et al. [24] ont comparé le devenir de 1025 patientssuivis pour PR traités par des rhumatologues et des non-rhumatologues. Les patients suivis en rhumatologie rappor-taient un meilleur état fonctionnel, moins d’articulationsdouloureuses et une évaluation de la douleur plus basse maisles différences étaient peu importantes. L’amélioration glo-

bale de la maladie et une amélioration simultanée de tous lesparamètres étaient plus fréquentes parmi les patients suivisen rhumatologie. À noter que les patients suivis par leurmédecin généraliste mais consultant un rhumatologue aumoins une fois par an avaient les mêmes résultats que lespatients suivis exclusivement par un rhumatologue. L’utilisa-tion des ressources médicales, le nombre de visites pour laPR ou non et le nombre d’hospitalisations pour la PR étaientidentiques dans les deux groupes. Mais il s’agissait d’uneétude d’observation et les biais de sélection ne sont pas àexclure. La progression du handicap mesuré par le HAQ a étéanalysée dans une étude de cohorte de 282 patients polyarth-ritiques suivis sur dix ans. La dégradation fonctionnelle despatients recevant des soins rhumatologiques continus étaitmoins importante que celle des patients suivis de façonintermittente, même après ajustement sur les variables clini-ques et démographiques. Les patients recevant des soinsrhumatologiques continus prenaient plus souvent un traite-ment de fond et étaient plus souvent opérés pour arthroplas-tie. Ces différences étaient encore plus marquées lorsque l’onconsidérait la proportion de temps passé sous traitementtandis que les différences de proportion de patients traités surl’ensemble de la période étaient moins importantes. Cesrésultats indiquent que la permanence avec laquelle les pa-tients sont sous traitement de fond est une différence impor-tante à relever et pourrait encore mieux expliquer les diffé-rences de résultat clinique [35]. Si ces différentes étudessemblent être en faveur d’une prise en charge par le rhuma-tologue, la méthodologie des études est variable, et les impré-cisions sont fréquentes. Solomon et al. ont proposé des re-commandations méthodologiques afin de comparer lesétudes comparant la prise en charge des médecins généralis-tes et des spécialistes [46]. En effet, dans la plupart desétudes publiées, la formation des médecins et le milieu danslequel ils exercent ne sont pas décrits, les patients ne sont pasrandomisés en fonction du type de médecin les prenant encharge, la définition du diagnostic et des caractéristiques despatients ne sont pas décrites et les critères de jugement nesont pas toujours validés ou pertinents [46].

De plus, les cohortes des études publiées sont rarementdes cohortes recrutées dans la population générale ce quipermettrait de mieux analyser la continuité des soins. Laqualité de vie, l’état fonctionnel, la satisfaction des soins etl’accessibilité aux soins doivent être pris en compte et préci-sés. Aucune étude n’a véritablement décrit quelles sont lesdifférences de prise en charge entre les rhumatologues et lesmédecins généralistes : utilisent-ils différentes procédures,différents traitements, le suivi est-il différent ou le degré decompétence technique et d’expérience est-il différent ? Larelation médecin–malade, la disponibilité (délais de rendez-vous) et la continuité du suivi influent-ils sur le résultat de laprise en charge ? Comment ces différences influencent-ellesles résultats cliniques et de la satisfaction des soins [48] ?

4.2. Coordination médecin généraliste–rhumatologue

L’absence de coordination entre les différents acteurs desanté peut conduire à une augmentation du coût de la prise en

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charge sans amélioration des résultats [49]. À l’opposé, dessoins partagés peuvent apporter de véritables bénéfices.Lorsque l’on demandait aux médecins généralistes s’ils sou-haitaient être responsables du suivi du traitement de fond,54 % d’entre eux voulaient suivre le traitement prescrit par lerhumatologue, 38 % préféraient ne suivre que les problèmesde médecine générale et 8 % préféraient transférer la totalitéde la prise en charge au rhumatologue [26]. Dans un auditclinique, Helliwell et al. [50] ont montré que 67 % du suivides traitements de fond de la PR était assuré par les médecinsgénéralistes qui dans la plupart des cas souhaitaient êtreresponsables de ce suivi. Malgré tout, 41 % (40 réponses) desmédecins généralistes avouaient ressentir des difficultés dansle suivi de ces traitements de fond. Ils désiraient tous avoirdes copies des protocoles de suivi des traitements et la quasi-totalité d’entre eux souhaitaient également recevoir la copiede la feuille d’information donnée à leur patient. Il semblaitpar ailleurs nécessaire de clarifier qui était responsable dusuivi de ces traitements [45].

4.3. Les recommandations de la prise en chargede la polyarthrite rhumatoïde publiées

Les recommandations établies par l’American College ofRheumatology [43,51–53] rappellent la nécessité d’un dia-gnostic précoce, d’un traitement débuté à temps et d’uneévaluation régulière de l’activité de la maladie et des effetssecondaires des traitements. Le but du traitement est decontrôler l’activité de la maladie, de diminuer les douleurs,de maintenir l’activité fonctionnelle, d’améliorer la qualitéde la vie et de ralentir la progression radiologique. L’évalua-tion initiale doit documenter l’activité de la maladie, l’étatfonctionnel, les problèmes articulaires mécaniques, la pré-sence de signes extra-articulaires, les comorbidités et la pré-sence de destructions radiologiques. Ils soulignent l’intérêtd’une approche multidisciplinaire de la maladie et de l’édu-cation des patients. Le pronostic doit être évalué pour adapterle traitement. Le traitement ne doit pas être débuté plus detrois mois après la confirmation du diagnostic de polyarthriterhumatoïde. Une consultation auprès d’un rhumatologue doitêtre considérée pour confirmer le diagnostic et initier untraitement de fond. Par ailleurs, en cas de polyarthrite réfrac-taire ou de signe extra-articulaire le rhumatologue doit éga-lement être consulté. La surveillance doit être régulière : lesdouleurs, la durée de la raideur matinale, la fatigue, la pré-sence d’arthrites, et la limitation fonctionnelle doivent êtreévaluées à chaque visite. Périodiquement, la progression dela maladie à l‘examen clinique, la VS ou la CRP et laprogression radiologique seront suivies. L’évaluation de lamaladie, le décompte des articulations douloureuses et gon-flées, la douleur et le handicap sont d’autres paramètres desurveillance [51,52]. Le rôle du médecin généraliste est dereconnaître et de faire le diagnostic de PR au départ et des’assurer que le patient sera traité de façon adaptée dans letemps, avant que les destructions articulaires ne surviennent.Le rhumatologue apporte son soutien et son expertise au

patient et à son médecin traitant pour établir le diagnostic etassurer le traitement de la PR. Si les soins doivent êtrepartagés, un programme clair et précis de suivi doit êtreprécisé [53].

5. Perspectives

Un diagnostic précoce et un traitement approprié sont lesclés de la prise en charge de la PR. Actuellement cet objectifd’initiation précoce d’un traitement de fond n’est pas réalistepour de nombreux patients en raison du retard au diagnostic,du délai s’écoulant avant la consultation spécialisée et de laprescription exceptionnelle de traitement de fond par lesmédecins généralistes [42]. Un accès rapide à une consulta-tion en rhumatologie ou à des conseils est important pouréviter les soins inutiles ou inappropriés. Il faut s’interrogersur les raisons du retard à l’initiation d’un traitement : lesretards au diagnostic et à la demande d’avis auprès du spé-cialiste et les difficultés d’accès aux consultations de rhuma-tologies sont deux raisons mais d’autres raisons doivent êtrerecherchées et prises en compte. La prise de conscience de lanécessité d’une demande d’avis appropriée et précoce est unobjectif important de la formation des étudiants et des méde-cins généralistes. L’impact d’une telle formation et de recom-mandations devra être évalué.

Plusieurs données suggèrent l’intérêt de la prise en chargede la PR par les rhumatologues sur des critères d’efficacitémais ces données doivent être confirmées par des étudesrandomisées longitudinales utilisant des critères diagnosti-ques et de jugement validés. De plus la description desmédecins participant à l’évaluation et leur environnementdoit être clairement précisés. Il serait également intéressantd’explorer la nature des différences de prise en charge par desrhumatologues et des médecins traitants. Si les études com-parant les processus de soins reconnus comme associés à desmeilleurs résultats cliniques sont en faveur des soins apportéspar les rhumatologues, les bénéfices du suivi assuré par lesrhumatologues, ses capacités à coordonner une équipe mul-tidisciplinaire de prise en charge de la PR, ses capacités àétablir une relation de confiance et de coopération avec lespatients sont à démontrer. L’impact des délais de rendez-vousde consultation chez le rhumatologue doit également êtreanalysé. Il serait, par ailleurs important d’étudier les facteursqui conduisent à l’interruption de la prise en charge par lerhumatologue afin d’éviter les arrêts intempestifs et domma-geables des traitements de fond.

Il faut réfléchir à la façon de créer une meilleure coordi-nation. Cette réflexion commence par la nécessité de s’inter-roger sur les besoins des médecins généralistes en formation,en accès à des conseils téléphoniques ou à des consultationsrapides et en définissant des stratégies de prise charge com-mune si les soins doivent être partagés. Définir la nature de lasupériorité des soins apportés par les spécialistes permettraitde mieux coordonner les différents intervenants.

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6. Conclusion

La prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde doit êtrepartagée par plusieurs professionnels de la santé parmi lesquels le médecin généraliste a un rôle essentiel. Les méde-cins traitants doivent être conscients que la détection précoceet la demande de consultation spécialisée rapide pour lapolyarthrite rhumatoïde est fondamentale pour la mise enroute du traitement de fond. Le suivi de la maladie et dutraitement peut être partagé entre médecins traitants et rhu-matologues. Par ailleurs, la mise en place d’une formationmédicale continue adaptée aux besoins doit être favorisée.Plusieurs études suggèrent que l’impact des soins apportéspar les rhumatologues est positif sur l’évolution cliniquemais elles doivent être confirmées par des études longitudi-nales randomisées utilisant des critères diagnostiques et dejugement validés. La nature des différences de prise encharge entre médecins généralistes et rhumatologues doitégalement être explorée. Une réflexion et un travail communsur la prise en charge des pathologies rhumatologiques enmédecine générale doivent être encouragés.

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