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ENQUÊTE A groalimentaire N°77 SUPPLY CHAIN MAGAZINE - SEPTEMBRE 2013 56 Entre le marteau et l’enclume, les acteurs de la chaîne agroalimentaire amont s’orga- nisent progressivement pour mieux gérer leur processus de planification et maîtriser leurs approvisionnements. Les contraintes sont complexes : aléas des récoltes et des pénuries de matières premières, mais aussi difficultés de prévoir à l’avance la poli- tique commerciale souvent opaque des enseignes de la grande distribution. AGROALIMENTAIRE Planification, un défi de la chaîne amont ©FRANCIS BONAMI-FOTOLIA

Planification, un défi de la chaîne amont€¦ · Une coordination par filière La diversification des gammes de pro-duits amène d’ailleurs les sites de production à rencontrer

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ENQUÊTEAgroalimentaire

N°77 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - SEPTEMBRE 201356

Entre le marteau et l’enclume, les acteurs de la chaîne agroalimentaire amont s’orga-nisent progressivement pour mieux gérer leur processus de planification et maîtriserleurs approvisionnements. Les contraintes sont complexes : aléas des récoltes et despénuries de matières premières, mais aussi difficultés de prévoir à l’avance la poli-tique commerciale souvent opaque des enseignes de la grande distribution.

AGROALIMENTAIRE

Planification,un défi de lachaîne amont

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Artisanale la Supply Chainamont de l’agro-industrie ?Certainement pas. En fait,les acteurs de la chaîne, dela fourche à la fourchette,

n’ont pas vraiment le choix. En dépitdes pénuries de matières premières liéesà la demande mondiale ou à des aléasmétéorologiques, des fluctuations par-fois très brusques des cours de matièrespremières ou des soupçons de fraude àl’étiquetage, il faut pouvoir continuerquoi qu’il arrive à récolter, s’approvi-sionner, produire, et surtout, à trouverdes débouchés aux produits, en évitantau maximum le gaspillage, la surpro-duction et la périssabilité. Côté aval, lesdéfis à relever ne manquent pas nonplus pour les industriels de l’agroali-mentaire : comment affiner ses prévi-sions de commandes, éviter les violentsà-coups de production liés aux réserva-tions tardives de volumes promotion-

nels (voir article page 63), le tout dans lerespect scrupuleux des contrats datesimposés par la grande distribution (obli-gation de livrer des produits avec unedurée de vie résiduelle par exemple desdeux tiers de durée de vie totale) ? Pro-gressivement, les processus se mettenten place, se structurent, se standardisentpour essayer de gagner en agilité, enflexibilité.

Emergence de la fonction Supply Chain

Les filières agroalimentaires amont ontdes contraintes logistiques et SupplyChain très différentes les unes desautres, que l’on considère l’élevage, lacueillette, la pêche ou encore la culturedes céréales. Mais pour la majorité d’en-tre elles, l’enjeu numéro un, c’est la pla-nification. « Les sociétés agro-indus-trielles font de la planification depuislongtemps mais elles prennent cons-cience de l’importance de mieux maîtri-ser cette problématique, de l’affiner,pour faire face à des contraintes de pro-duction de plus en plus fortes, des coûtsd’achat et de production qui augmen-tent, de la difficulté à valoriser les pro-duits à la vente, de la pression sur lesmarges, etc., explique Guy Bourhis,Consultant spécialisé dans le mondeagricole et l’industrie agroalimentaire

chez JBG Consultants. Depuis le débutde l’année, j’ai vu se créer une fonctionSupply Chain chez trois de mes clientsdans des filières amont aussi différentesque les fruits et légumes, la viande et lelait. Il y a un vrai sujet sur la problé-matique de planification et sur les dif-férents horizons de planification moyenterme, court terme, quotidien, à l’heure,jusqu’à l’exécution », ajoute-t-il. Lacomplexité croissante de la planificationet de l’appairage entre un flux poussé etdes besoins commerciaux, est égale-ment en lien avec la tendance généraledans l’agroalimentaire à la multiplica-tion du nombre de références produits,de gammes, de variétés, pour une clien-tèle de plus en plus ciblée. On le voitdans les plats cuisinés bien sûr, maisaussi dans les pommes, le lait ou latransformation des céréales. Plus enaval, chez les industriels de l’agroali-mentaire, cela s’est traduit par la miseen place de processus S&OP (Sales &Operations Planning) relativement clas-siques (voir témoignages de MaterneMont Blanc page 66 et de FleuryMichon page 61).

Minimiser les invendusL’enjeu est d’autant plus fort dans lesecteur des produits frais. « Dans cesmétiers, il faut optimiser à la fois le taux

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de service, la productivité des ateliers,et minimiser les quantités de produitsfinis en dégagement. Pour ces industriels,la marge d’anticipation au planning estrelativement étroite compte-tenu dunombre de jours de conservation desproduits et des contrats date imposéspar la GMS. Ces spécificités obligent lesindustriels agro produits frais à réviserleurs PDP (Programme Directeur deProduction) de une à plusieurs fois parjour, particulièrement en période pro-motionnelle ou si leurs produits sontmétéo sensibles », détaille Yohann Gal-lard, Responsable Produit Planificationchez l’éditeur informatique VIF. Lesindustriels liés à un process de désas-semblage (comme dans la viande parexemple, où une carcasse est transfor-mée en plusieurs dizaines de morceauxdifférents) sont également confrontés àun problème relativement complexe,celui de l’équilibrage matière ou de lameilleure valorisation des déséquilibresmatière. Comment faire correspondredes contraintes amont (plan de collectede lait, plan d’abattage d’animaux) avecles contraintes aval (besoins commer-ciaux), valoriser au mieux les excédentsen fonction des différents débouchés(GMS, industriels, surgelés, export), arbi-trer sur les pénuries à moindre coût ? Lesprojets dans ce domaine sont asseznombreux et s’appuient généralementsur la mise en place d’un outil informa-tique. « Nos clients, qui ont ces problé-matiques de désassemblage et d’équili-brage matière, ont depuis longtempsrapproché les équipes industrielles etcommerciales pour des simulations etdécisions parfois à très court terme.Selon les métiers et filières, les leviersd’équilibrage et l’horizon de simulation

peuvent varier de manière significative :un industriel abatteur de porcs parexemple statuera classiquement sur sesdéséquilibres à S+1, un industriel de lavolaille ou laitier raisonnera sur unhorizon d’approvisionnement de plu-sieurs mois, compte-tenu des délais demise en élevage ou des contrats de col-lecte », constate Yohann Gallard.

Des instances de décision multi-acteurs

Plus en amont, chez les producteurs oules organismes collecteurs, la probléma-tique est un peu différente. « C’est uneactivité où il est difficile de faire desprévisions et où les plannings bougenttout le temps. Sur l’amont de la filière,on rencontre encore beaucoup d’entitéspeu outillées en systèmes d’informa-tions, alors que le reste de la filière estassez bien équipé en outils tels que lesAPS [ndlr : logiciels de planificationavancée] ou les TMS [ndlr : logiciels degestion du transport] pour les aider àgérer le flux long complet et global. Enamont, les travaux portent généralementsur la mise en place de processus prag-matiques et collaboratifs avec le mana-gement, sur la définition d’instances dedécision multi acteurs faisant intervenirla production, la logistique, les finan-ciers et intégrant aussi parfois les four-nisseurs », explique Nicolas Houillon,Directeur du pôle Excellence opération-nelle et Lean Management chez Weave.Côté approvisionnement, les produc-tions sont souvent localisées et levolume disponible de matières pre-mières n’est pas extensible. Ce quiexplique le succès en France de struc-tures coopératives, dont les principauxadhérents sont des agriculteurs ou des

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NicolasHouillon,Directeur du pôle

Excellenceopérationnelle

et Lean Managementchez Weave

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Yohann Gallard,

ResponsableProduit

Planificationchez VIF

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Eric Laurent,

ResponsableSupply Chain

du site industriel de Tereos

à Lillebonne

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Sylvain Brossard,Directeur

chez Weave

V23/08S24/08 L26/08 M28/08 V30/08 D01/09 M03/09 J05/09 S07/09 L09/09 M11/09 V13/09 D15/09

J25/08 M27/08 J29/08 S31/08 L02/09 M04/09 V06/09 D08/09 M10/09 J12/09 S14/09 L16/09

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■ Total besoins■ Total fabrications■ hors limite

Stock disponible

Capture d’écran de l’outil de planification de Vif illustrant la problématique de déséquilibrematière sur un fromage affiné (métiers du lait). On y voit d'un côté les ruptures potentielles,

de l'autre les risques de péremption.

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éleveurs, pour la collecte de lait, decéréales, de sucre, etc. « Il y a toujoursun grand facteur d’incertitudes sur la collecte de matières premières. Si la météo a été désastreuse et que lesrécoltes de blé ou de betteraves sont trèsmauvaises, vous pouvez rarement puiserdans les stocks de l’année précédente,souvent très limités et de qualité dégra-dée. Il faut alors jouer sur les priorisa-tions clients et les prix de vente. Pourrépartir les risques, les coopérativescommencent aussi à s’étendre horizon-talement, à augmenter la taille de leursrégions d’approvisionnement », note Syl-vain Brossard, Directeur chez Weave. Cesgroupements de producteurs, ces coo-pératives agricoles dans l’élevage ou laculture, commencent à se doter d’outilslogistiques modernes, avec des moyensde stockage, de conditionnement, voirede différenciation retardée. A l’image dugrand projet de plate-forme automati-sée de collecte, de conditionnement etd’expédition de légumes de la SICAPrince de Bretagne (1.500 producteurs),

en attente pour l’instant d’une modifi-cation du PLU de la ville de Saint-Pol-de-Léon (Finistère).

Une coordination par filièreLa diversification des gammes de pro-duits amène d’ailleurs les sites de production à rencontrer de nouvellesproblématiques logistiques. « Le sirop dedextrose, dont nous avons récemmentdémarré la production sur notre usinede Lillebonne, est le seul géré en fluxtirés. Pour nous, l’enjeu majeur est laplanification du transport routier et lerespect des contraintes de délais delivraison et d’horaires dans l’agroali-mentaire, dans une logique proche dujuste-à-temps. C’est une problématiqueentièrement nouvelle sur le site de Lille-bonne », témoigne Eric Laurent, Res-ponsable Supply Chain de l’usinenormande du groupe coopératif Tereos.Alors que la fonction Supply Chaincommence à prendre de l’ampleur dansces entreprises, les réflexions avancentégalement sur de nouvelles façons de

s’organiser, de se coordonner etd’échanger des informations de manièreplus transversale entre les différentsmaillons de toute une filière, depuisl’amont jusqu’à la GMS (voir interviewpages 64 ). De plus en plus d’industrielsde l’agroalimentaire ont également àcœur de reprendre la main sur leursschémas d’approvisionnement, non seu-lement pour les sécuriser mais aussipour rassurer le consommateur sur l’ori-gine, la qualité et la traçabilité des pro-duits (voir témoignage page 62). Cela implique de contractualiser très enamont de la chaîne, de s’engager sur desprévisions de volumes avec les fournis-seurs d’ingrédients de base « straté-giques » du produit fini et d’organiserdes approvisionnements alternatifs dequalité équivalente en cas de pénurie.Autrement dit, de nouvelles contraintesqui devraient amener les entreprises del’agroalimentaire, à tous les étages, àpoursuivre leurs efforts en matière deplanification fine. ■

JEAN-LUC ROGNON

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ENQUÊTEAgroalimentaire

N°77 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - SEPTEMBRE 201360

De Rijke se lance dans la logistique du gluten pour Tereos

Transformer la betterave, la canneà sucre et les céréales en sucre,alcool et amidon, telle est la

vocation industrielle de Tereos. Maisétant donné la hausse constante ducours des céréales, le groupe coopé-ratif français s’est également lancédepuis quelques temps dans la valori-sation de la matière première agricoleen multipliant la gamme des co-pro-duits sortant de ses usines. Parmi eux,le gluten, une fraction protéique issuedes céréales, qui entre dans la compo-sition de poudres alimentaires pouranimaux (feed) mais aussi d’alimentspour l’homme (food) : farine, pain,semoule, pâte, pâtisserie, exhausteur degoût pour charcuteries et plats cuisi-nés, etc. En ce qui concerne le site nor-mand de Lillebonne, près du Havre, la production a démarré depuis août2012. Pour assurer la logistique de lapoudre de gluten, Tereos a choisi d’ex-ternaliser. A l’issue d’un appel d’offres,il a signé un contrat de cinq ans avecDe Rijke Normandie, filliale de De Rijke

France. Le logisticien, qui dispose déjàd’un site de 52.000 m2 situé à uneencablure de l’usine, propose à Tereosune multitude de schémas possibles. Lacoopérative retient finalement celui dela prestation de stockage, mais aussi de conditionnement. Le site logistique,utilisé par ailleurs pour des clientsindustriels (pétrochimie), obtient lescertifications agroalimentaires ISO22.000 et GMP + (Good ManufacturingPractice, alimentation animale). Deplus, De Rijke investit dans unemachine dédiée de conditionnementsemi-automatique avec cabine deconfinement. Chaque jour, les lots degluten arrivent en vrac par citernes de75 t depuis l’usine Tereos, sont condi-tionnées en big bags, puis stockés enracks sur palettes avant d’être expédiés,principalement en conteneurs, vers lesclients de Tereos.

Apporter de la flexibilité« Notre rôle de logisticien est d’appor-ter de la flexibilité à notre client pour

sa nouvelle activité, mais aussi unecertaine capacité d’imagination quis’appuie sur notre savoir-faire enmatière de logistique industrielle,indique Nicolas Ravier, Gérant de DeRijke France. C’est une véritable rela-tion de partenariat qui s’est créée »,ajoute-t-il. L’arrivée des citernes a beauêtre planifiée à la semaine, elle peutêtre revue du jour au lendemain, enfonction des fluctuations de la produc-tion. Le logisticien adapte en consé-quence ses ressources et ses tracteurs,qu’il peut réaffecter à d’autres clientsde son site. Par ailleurs, lors de cettepremière année, les volumes à stockeront largement dépassé ce qui était ini-tialement prévu. Pour y faire face, DeRijke a monté, en l’espace de 15 jours,5.000 m2 de racks sur un autre site dugroupe, afin de stocker les 3.000 tonnesde débord. Le stockage en big bags per-met également de s’affranchir d’uninvestissement lourd dans des silos ali-mentaires. Si à l’avenir certains clientsvoulaient être livrés en citernes, il seraittoujours possible de faire du « cra-quage » de big bags, comme De Rijke lepratique déjà pour un client dans lapétrochimie. « Nous réfléchissons à desprocessus un peu plus automatisés et unpeu plus confinés, qui correspondentaux normes et aux besoins de la chaîneamont de l’agroalimentaire. Ce qui estsûr, c’est que ce secteur, et notammentles grandes coopératives, envisage deplus en plus d’avoir recours à l’externa-lisation de sa logistique », conclut Nico-las Ravier. ■ JLR©

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SEPTEMBRE 2013 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°77 61

Gérard Soulard, Directeur Industriel du groupe

Fleury Michon« En matière

de planification, tout part de l’aval »

« Dans la mesure où FleuryMichon est spécialisée en pré-paration de produits frais,

principalement destinés à la GMS,notre objectif est de répondre auxcommandes avec le meilleur taux deservice possible. Avec une stratégieaffichée de maîtrise des filières d’ap-provisionnements pour répondre àcertains labels ou caractéristiques pro-duits et un travail en partenariat avecles fournisseurs dans le cadre de filières spécifiques. Tous nosfournisseurs sont référencés sur la base d’un cahier descharges et généralement audités. Si, pour des raisons excep-tionnelles, ce n’est pas le cas, nous avons un processus spé-cifique en matière d’évaluation à la réception et de traçabilité.En termes de planification, tout part de l’aval, des prévisionsde ventes. Dans le cadre de notre processus, mis en placedepuis plus de 10 ans, nous avons trois boucles : un proces-sus mensuel pour dimensionner les outils et boucler par rap-port au budget annuel mensualisé, un processus hebdo-madaire pour donner de la visibilité et prévoir les ressources,au fur et à mesure de l’avancement de nos référencements etun processus journalier pour le pilotage. Cela nous permetd’établir nos besoins entre la demande réelle au jour le jouret nos approvisionnements, en intégrant les durées de processet les délais d’approvisionnement. La variation de la demandepar rapport aux prévisions de vente, outre la saisonnalité, estgénéralement causée par des phénomènes liés aux promo-tions, aux positions des jours fériés, aux référencements/déré-férencements et à la météo, en particulier au printemps pourles produits à base de surimi ou les rôtis. Nos leviers pourrépondre à ces aléas sont un juste dimensionnement du stockde sécurité et une plus grande réactivité. Les stocks de sécu-rité sont différents selon la nature des produits, avec unerecherche de stocks faibles et optimisés ». ■ JLR

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ENQUÊTEAgroalimentaire

N°77 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - SEPTEMBRE 201362

Didier Hue,PDG de Salaisons du Terroir

« Ma stratégie est de rapprocher producteurs et consommateurs »

Lorsque j’ai créé Salaisons du Ter-roir, en octobre 2005 (CA 2012de 8 M€, 100 références en jam-

bons cuits, rôtis cuits, poitrines), lastratégie commerciale sur laquelle j’aiconçu le développement de la sociétéétait basée sur l’idée de rapprocher leproducteur du consommateur final, etce tout au long de l’année. Car lesconsommateurs sont de plus en plusfriands de connaître l’origine des pro-duits qu’ils achètent : de quel bassinde production proviennent-ils ? Quisont les éleveurs ? Cette traçabilitécomplète n’est pas facile à garantir sivous ne mettez pas en place lesmoyens qui vont avec. En effet, dansle métier de la transformation en pièceà pièce de la viande de porc en pro-duits de charcuterie cuite (jambonnotamment, mais aussi longe et poi-trine), la principale contrainte logis-tique vient du fait qu’en amont, chezles éleveurs, la production de porcs esttrès régulière, linéaire, avec un arri-vage toute les semaines selon laméthode d’élevage dite de la conduiteen bandes, alors qu’en aval, laconsommation peut subir des varia-tions importantes, allant de -30 à+20 % selon la saison. Or, il est impos-sible de contractualiser directementavec les éleveurs des commandesvariables selon les périodes de l’année.C’est pourquoi la plupart des salai-sonniers s’approvisionnent auprès des

abattoirs mais perdent la traçabilité dela viande au niveau du maillon del’élevage.

Stocker pour garantir traçabilité et flexibilité

Pour résoudre ce dilemme et régulerau mieux la production par rapportaux commandes, le nouveau site quenous avons ouvert en 2011, à Villers-Bretonneux (dans la Somme), estassez différent de ceux de la plupartdes industriels de la salaison. La zonede stockage, qui intègre différentsprocessus par régulation de tempéra-ture et pasteurisation, est beaucoupplus importante. Là où chez d’autressalaisonniers, le temps de stockage nedépasse pas le délai moyen d’en-coursde fabrication, soit quatre à cinq jours,chez nous, nous pouvons stocker cer-tains produits jusqu’à sept semaines.Cela implique un engagement finan-cier plus important, mais avec unavantage concurrentiel fort en matièrede traçabilité du produit et de flexibi-lité par rapport aux fluctuations descommandes de la GMS. Cela supposeégalement un pilotage très précis de lasynchronisation entre la production etles commandes. Je m’appuie sur uneéquipe de six Responsables métier, quisurveillent toutes les tendances demarché et des prix, les stocks, les his-toriques. Les réunions de planificationont lieu tous les jeudis soirs, pendanttrois quarts d’heure, et les résultatssont analysés le mardi midi suivant.Côté approvisionnements, j’ai la res-ponsabilité des relations avec les éle-veurs, avec qui nous mettons en placedes élevages sept mois à l’avance.Chaque mois, nous faisons le pointpour vérifier que la demande est bienen adéquation avec nos volumes d’ap-provisionnements. La prochaine étapesera d’investir dans des outils infor-matiques pour affiner nos prévisionset l’élaboration des prix, afin degagner encore en réactivité. » ■ JLR

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SEPTEMBRE 2013 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°77 63

Sofrilog rend les promotions agiles pour Findus

Les campagnes promotionnelles dela grande distribution obligent-elles systématiquement les indus-

triels à fabriquer des semaines àl’avance en usine des lots de produitspromotionnels, avec un risque de stocksrésiduels et d’obsolescence si la com-mande finale ne porte pas sur les quan-tités prévues à l’origine ? Depuis 2009,Findus a trouvé une alternative : la dif-férenciation retardée dans un atelier decopacking installé chez son prestatairelogistique Sofrilog, à Lognes. Les packspromotionnels sont constitués à partirde plusieurs produits standards vendusà l’unité, dépalettisés puis repackagésavec le format spécifique promotionnelvoulu. Des machines enserrent le packavec une cartonnette imprimée (quimasque le code-barres produit unitairepar un code barres promotionnel du lot)et un film transparent qui maintientl’ensemble. « Les promotions sont trans-formées dans cet atelier selon les quan-tités exactes demandées par nos clientsdistributeurs. Et le stock résiduel éven-tuel n’est pas lié à une promotion, ilpeut être vendu en fonds de rayon »,explique Benoît Gendrot, Directeur Sup-ply Chain de Findus. L’aspect planifica-

tion reste néanmoins essentiel. « Il fautavoir un partenaire qui puisse jouer lejeu de la réactivité, parce que tenir lerythme des commandes, cela impliqueparfois des opérations assez lourdes.L’horizon d’environ 12 semaines quenous donnons à Sofrilog reste assezthéorique, mais nos équipes planningéchangent quotidiennement avec notreprestataire sur les volumes, les formatspromotionnels, la faisabilité technique,la qualité de la cartonnette, etc. »,ajoute-t-il. Ce dispositif permet à Fin-dus de répondre aux commandes pro-motionnelles de ses clients, même dans

des délais record, de l’ordre de 15 jours à trois semaines. Par ailleurs,il y a quelques mois, l’atelier decopacking de Sofrilog a pu démontrersa réactivité, avec le réétiquetage destickers pur bœuf sur les paquets delasagnes. Findus, suite à l’affaire de laviande de cheval, a en effet lancé trèsrapidement des analyses systématiquespar tests ADN, et souhaité communi-quer au plus vite auprès de sesconsommateurs via un marquage dédiésur chaque unité de vente. Nous yreviendrons dans un prochain numérode SCMag. ■ JLR

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(de g. à d.) Franck Forget,

Directeur du site Sofrilog

de Lognes, Sébastien

Bossard, Directeur

commercial de Sofrilog, et

Benoît Gendrot, Directeur

Supply Chain de Findus

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ENQUÊTEAgroalimentaire

N°77 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - SEPTEMBRE 201364

Alain Chapdaniel, Directeur de la chaire Sustainable Demand-Supply Chain à AgroParisTech

« Il existe une autre forme de management des filières agroalimentaires »

Créée en mars 2013 par la grande école européenne d'ingénieurs et de managers AgroParisTech, la chaire « Sustainable Demand-Supply Chain » (SDSC), en partenariat avec Sofiprotéol, Système U et Terrena, s’est fixécomme objectif de réfléchir à de nouveaux modes de structuration et de pilotage des filières, du producteuragricole au consommateur final, en vue d'en accroître la durabilité. Explications d’Alain Chapdaniel, Directeurde cette chaire d'enseignement et de recherche.

conséquences sur la qualité et lesrisques sanitaires.

SCMag : Quel constat faites-vous surla situation actuelle en la matière ? A. C. : Il y a actuellement une évolutionpositive des mentalités, y compris chezles grands distributeurs, au premier rangdesquels Système U (qui est partenairede la chaire SDSC). Il semble qu’uneautre forme de management des filièresest possible, basée sur des contratsmulti-acteurs, dans la durée, avec uneévolution des modes de relation avecagriculteurs, producteurs, coopératives,industriels, restaurateurs et distributeurs.Cela suppose d’inventer de nouvellesfaçons de travailler ensemble. Notam-ment ne pas simplement se concentreruniquement et systématiquement sur larecherche à court terme des prix lesplus bas (qui appauvrit progressive-ment la population et les différentsacteurs de la filière, y compris des dis-tributeurs) mais rechercher la valori-sation de ce qui est fait en amont enmatière de qualité et d’innovation. Lescrises récentes dans les filières du porc,du bœuf, de la volaille et des œufsfavorisent les prises de conscience etpoussent les différents acteurs à tra-vailler différemment ensemble.

SCMag : Comment se traduiraitl’évolution des relations entre les différents maillons d’une filièreagroalimentaire ?A. C. : L’idée de la Sustainable Demand-Supply Chain est de faire travaillerensemble différemment un certainnombre d’acteurs d’une Supply Chain etcertaines parties prenantes de type :autre acteur économique impliqué parla Supply Chain, état, collectivité, asso-

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Alain Chapdaniel

Supply Chain Magazine : Pourquoiune chaire dans le domaine de la gestion durable de la demandeet de la Supply Chain ?Alain Chapdaniel : En agroalimen-taire, comme dans les autres secteurséconomiques, les Supply Chains ne sontsouvent pas gérées de manière très effi-cace sur l’ensemble de la filière, mêmedu simple point vue économique(chaque maillon ne dialogue bien sou-vent qu’avec le maillon précédent, sansvision d’ensemble de la filière). Auniveau environnemental et social, lefonctionnement actuel très individua-liste de chaque maillon est encore plusdécevant. Les attentes des parties pre-nantes (autres acteurs économiquesimpliqués, états, collectivités, associa-tions, ONG…) sont peu prises en compte,et quand elles le sont, c’est souvent sans

cohérence d’ensemble, nivalorisation réelle pour leconsommateur final. Autreconstat, les gestions de lademande et de la SupplyChain sont très souvent dis-sociées (y compris au niveaude chaque maillon) alorsqu’une gestion commune estindispensable pour atteindreles objectifs sociaux et envi-ronnementaux et très utilespour les objectifs écono-miques. Enfin, on assiste àune très grande volatilité desprix mondiaux des matièrespremières et produits inter-médiaires, avec des compor-tements d’acteurs de plus enplus spéculatifs qui compli-quent la gestion des flux ausein des filières et fragilisentles acteurs, sans parler des©

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SEPTEMBRE 2013 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°77 65

ciation, ONG. Ce travail consiste d’abord à définir en com-mun des objectifs économiques environnementaux etsociaux pour le consommateur final, mais aussi pour lesparties prenantes qui constitue cette « Demand-SupplyChain » (avec le moyen de valoriser ces objectifs), ensuite degérer conjointement et ensemble la demande et la SupplyChain pour atteindre les objectifs fixés. Dans cette approche,la conception du produit, l’innovation et les campagnes depromotions ne doivent pas uniquement être pensées pour leclient final, mais aussi pour et avec les parties prenantes dela Supply Chain. Autrement dit, c’est le traitement conjointet responsable de la « Demand Chain » et de la « SupplyChain » qui permettra la création de valeurs durables. C’estquelque chose d’assez nouveau.

SCMag : Existe-t-il déjà des exemples de ces nouveaux contrats multipartenaires ?A. C. : Oui, les trois partenaires de la chaire, Système U,Sofiprotéol et Terrena ont déjà expérimenté des contratsmultipartenaires. Par exemple, Lesieur du groupe Sofiprotéol

a développé l’huileFleur de Colza dansune démarche inté-grée de filière, avec descontrats liés entre raf-fineur, triturateur,organismes stockeurset producteurs. Unecharte de la filière a étécréée et est rediscutéea v e c l e s a c t e u r schaque année. Lesproduits sont tracés,d e p u i s l e c h a m p

jusqu’à la bouteille. Un cahier des charges qualitatif estnotamment établi avec les 1.000 agriculteurs partenaires quiont été sélectionnés.

SCMag : N’existe-t-il pas un risque de manque de flexibilité de ces contrats multipartenaires face à d’éventuels aléas ?A. C. : Il est évident qu’il faut conserver une certaineflexibilité et mettre en place des organisations évolutiveset adaptatives. Cela fait partie des sujets sur lesquels noustravaillons, mais la marge de progrès est réelle par rap-port aux situations actuelles contrat court terme rendantdifficile tout investissement productif ou qualitatif, fail-lite d’acteurs, risques sanitaires ou de fraude… Au niveaude la chaire d’enseignement et de recherche SDSC, noussommes en train de définir les filières sur lesquelles nousallons travailler à horizon de cinq ans, avec les questionsde recherche académique et appliquée associées. Les tra-vaux se feront à différents niveaux : projets de troisièmeannée (trois mois), stages d’étudiants (six mois), étudesde masters et thèses, encadrés par des professeurs d’Agro-ParisTech, avec l’implication de nos trois partenaires pourtester et valider les solutions imaginées en commun. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-LUC ROGNON

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Page 11: Planification, un défi de la chaîne amont€¦ · Une coordination par filière La diversification des gammes de pro-duits amène d’ailleurs les sites de production à rencontrer

ENQUÊTEAgroalimentaire

N°77 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - SEPTEMBRE 201366

Jean-Philippe Viot, Directeur Supply Chain Materne Mont Blanc

« Le S&OP nous aide à identifier à l’avance les points critiques »

Depuis quelques années, nousconnaissons un fort dévelop-pement de nos act ivités

Materne, notamment à l’international,principalement aux Etats-Unis, Canadaet plus récemment Mexique. Pour quenotre capacitaire reste en phase avecl’ensemble de nos besoins, nous instal-lons régulièrement de nouvelles lignesde production. Nous avons égalementdéployé notre APS Azap dans le cadred’un véritable processus S&OP, en cas-cade, intégrant non seulement les pré-visions des ventes (depuis quatre ans),mais également la planification de lademande et le plan directeur de pro-duction (PDP). L’outil nous donne lapossibilité d’identifier à l’avance lespoints critiques, afin que nous puis-sions prendre les décisions adéquatescomme, par exemple, créer un stockd’anticipation sur un certain nombrede références. La marge de manœuvres’avère assez délicate et complexe àgérer, principalement en France, du faitde l’obligation qui nous est faite de res-pecter les contrats date des enseignes,

qui sont nos clientsde la grande distri-

bution. Surl’internatio-nal, compte-tenu de lajeunesse desmarchés, cesont les prévi-s i o n s d eventes, diffi-ciles à réaliser,qui peuventimpacter forte-ment nos pro-cessus. De façongénérale, le faitde pouvoir seprojeter, grâce àun p roce s su sS&OP outillé,nous aide égale-ment à mesurer

et décider des éventuelles montées en « stock de débord », donc de réserverpar avance auprès de nos prestatairesles capacités de stockage additionnellesdont nous avons besoin.

Fiabiliser les approsSur la partie amont, nous travaillons àfiabiliser nos approvisionnements avecnos fournisseurs, avec qui nous tra-vaillons depuis des années. D’autantque nous avons décidé l’année der-nière, pour le marché hexagonal, de ne nous approvisionner qu’en pommesd’origine France. La récolte depommes catastrophique en 2012 ad’ailleurs pesé lourd sur l’activité caril a fallu s’approvisionner à des condi-tions économiques encore jamaisatteintes. Sans compter que la forteconcurrence que se livre la grande dis-tribution rend très compliquée la pos-sibilité de répercuter ces hausses decoûts dans des proportions adéquates.Nous avons également démarré uneexpérience originale avec nos propresvergers dans l’Aisne, plantés en coo-pération avec les exploitants locaux.Certes, cela représente encore une fai-ble part de nos besoins, mais c’est lesignal que nous nous efforçons dediversifier nos approvisionnements, enaidant de nouveaux acteurs locaux àse lancer dans la production. Sur lapartie aval, nous avons l’intention depoursuivre et d’intensifier la démarchede mutualisation transport initiée il y a déjà cinq ans au sein du GIE Synchronis. Ce GIE se compose des sociétés Materne Mont Blanc, FoodInternational et Brossard et a pourunique but de livrer les plates-formesde la grande distribution. Nous restonstrès ouverts à l’arrivée de nouveauxpartenaires industriels et nous étu-dions également en parallèle la possi-bilité de compléter l’activité du GIE enfaisant du « pooling » au départ denotre plate-forme de FM Logistics, àCrépy en Valois ». ■ JLR

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