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#2 Automne 2018 63 Plantes médicinales Huiles essentielles, extraits de bourgeons, hydrolats… Dans les Alpes-Maritimes, Christian Escriva et Odile Sallantin développent depuis trois décennies des produits à base d’herbes médicinales. Rencontre avec des pionniers (bio)dynamiques. Par Alexis Margowski. Photographies Marvin Leuvrey. LA GRANDE PHARMACIE J e ne sais pas qui a fait croire que les miracles éclataient comme la foudre ? C’est pourquoi nous n’en voyons jamais. Dès qu’on sait que les miracles s’accomplissent sous nos yeux, à une extrême lenteur, on en voit à tous les pas. », écrivait Jean Giono en 1937. Les plantes médicinales en sont un bel exemple. Elles, qui poussent à leur propre rythme presque partout spontanément. Elles, ces belles parfumées à la morphologie plus ou moins complexe. Elles, qui créent des miracles avec leurs substances curatives. Depuis plus de trente ans, Christian Escriva et Odile Sallantin cultivent des plantes médicinales et aromatiques en agriculture biodynamique. Ils sont autodidactes. Quand ils ont commencé, ils n’y avait pas d’école de plantes. Seulement les conseils de pharmaciens, de botanistes ou d’ama- teurs éclairés. À leurs débuts, avec leurs trois enfants, Ananda, Nitya et Shanti, ils cueillaient et faisaient sécher des plantes qui devenaient ensuite « L’Herbier des montagnes », des tisanes et des mélanges de plantes en poudre. Une petite activité qui a pris de l’ampleur : aujour- d’hui, ils produisent des remèdes « ultra haute qualité » sous la forme d’huiles essentielles, d’alcoolatures, d’extraits de bourgeons, d’hydrolats aromatiques et de macérations solaires. Pour se rendre sur leur terre, il faut emprunter la route Napoléon qui traverse le haut pays de Grasse et les gorges du Verdon. À quelques kilo- mètres de Castellane (Alpes-de-Haute-Provence), prenez la direction de Valderoure (Alpes-Maritimes) ! Le domaine du Gattilier se trouve à 1100 mètres d’altitude, au dessus de toute pollution, dans une vallée entourée de montagnes aux sommets arrondis. Sur les 67 hectares de terrain, 3 sont consacrés à la culture d’angélique, de valériane, d’échina- cée, de cassis, d’aneth, de bleuet, de ciste, d’hysope canescens, « la grande médicinale » comme l’appelle Odile, etc. Sous nos pieds, un sol souple devant une bâtisse templière du XIII e  siècle. Puis, une ancienne étable transformée en bureau. Au loin, sous un abri, vers les champs de lavande, se dresse un grand alambic en cuivre recouvert de tissus roses délavés et rastolés. À côté, un vieux tracteur Ford et deux tas de compost. Enn, tout autour, à perte de vue, un milliard d’herbes hautes, de brindilles, de eurs dans un bouillon de papillons sérieusement affairés. Ici, ni serre, ni tunnel de croissance en polypropylène. Dans ce labora- toire vivant, où l’on peine à distinguer les parcelles cultivées des terres laissées libres, poussent spontanément de nombreuses plantes médici- nales, tels la sarriette des montagnes, la lavande ofcinale, le genévrier commun, des thyms et beaucoup d’essences forestières. « Je ne travaille pas, je ne travaille jamais », vous dira le dirigeant de la petite entreprise, Ci-dessus, Christian Escriva sur un tas de compost organique. Page de gauche, alambic en cuivre de 1 000 litres, pièce maîtresse du processus de distillation. Le chanvre qui le recouvre absorbe la condensation. 62 Plantes médicinales #2 Automne 2018

Plantes médicinales LA GRANDE PHARMACIE · de plantes médicinales apparaissent en Chine il y a plus de 5 000 ans. Notre environnement naturel fournit encore à l’heure actuelle

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Huiles essentielles, extraits de bourgeons, hydrolats… Dans les Alpes-Maritimes, Christian Escriva et Odile Sallantin développent depuis trois décennies des produits à base d’herbes médicinales. Rencontre avec des pionniers (bio)dynamiques.Par Alexis Margowski. Photographies Marvin Leuvrey.

LA GRANDE PHARMACIE

Je ne sais pas qui a fait croire que les miracles éclataient comme la foudre ? C’est pourquoi nous n’en voyons jamais. Dès qu’on sait que les miracles s’accomplissent sous nos yeux, à une extrême lenteur, on en voit à tous les pas. », écrivait Jean Giono

en 1937. Les plantes médicinales en sont un bel exemple. Elles, qui poussent à leur propre rythme presque partout spontanément. Elles, ces belles parfumées à la morphologie plus ou moins complexe. Elles, qui créent des miracles avec leurs substances curatives. Depuis plus de trente ans, Christian Escriva et Odile Sallantin cultivent des plantes médicinales et aromatiques en agriculture biodynamique. Ils sont autodidactes. Quand ils ont commencé, ils n’y avait pas d’école de plantes. Seulement les conseils de pharmaciens, de botanistes ou d’ama-teurs éclairés. À leurs débuts, avec leurs trois enfants, Ananda, Nitya et Shanti, ils cueillaient et faisaient sécher des plantes qui devenaient ensuite « L’Herbier des montagnes », des tisanes et des mélanges de plantes en poudre. Une petite activité qui a pris de l’ampleur : aujour-d’hui, ils produisent des remèdes « ultra haute qualité » sous la forme d’huiles essentielles, d’alcoolatures, d’extraits de bourgeons, d’hydrolats aromatiques et de macérations solaires. Pour se rendre sur leur terre, il faut emprunter la route Napoléon qui traverse le haut pays de Grasse et les gorges du Verdon. À quelques kilo-mètres de Castellane (Alpes-de-Haute-Provence), prenez la direction de Valderoure (Alpes-Maritimes) ! Le domaine du Gattilier se trouve à 1100 mètres d’altitude, au dessus de toute pollution, dans une vallée entourée de montagnes aux sommets arrondis. Sur les 67 hectares de terrain, 3 sont consacrés à la culture d’angélique, de valériane, d’échina-cée, de cassis, d’aneth, de bleuet, de ciste, d’hysope canescens, « la grande médicinale » comme l’appelle Odile, etc. Sous nos pieds, un sol souple devant une bâtisse templière du XIIIe siècle. Puis, une ancienne étable transformée en bureau. Au loin, sous un abri, vers les champs de lavande, se dresse un grand alambic en cuivre recouvert de tissus roses délavés et rafistolés. À côté, un vieux tracteur Ford et deux tas de compost. Enfin, tout autour, à perte de vue, un milliard d’herbes hautes, de brindilles, de fleurs dans un bouillon de papillons sérieusement affairés.Ici, ni serre, ni tunnel de croissance en polypropylène. Dans ce labora-toire vivant, où l’on peine à distinguer les parcelles cultivées des terres laissées libres, poussent spontanément de nombreuses plantes médici-nales, tels la sarriette des montagnes, la lavande officinale, le genévrier commun, des thyms et beaucoup d’essences forestières. « Je ne travaille pas, je ne travaille jamais », vous dira le dirigeant de la petite entreprise,

Ci-dessus, Christian Escriva sur un tas de compost organique. Page de gauche, alambic en cuivre de 1 000 litres, pièce maîtresse du processus de distillation. Le chanvre qui le recouvre absorbe la condensation.

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Page de gauche, échinacée pourpre, stimulant immunitaire, et cardère sylvestre (ou « cabaret des oiseaux »), utilisée en teinture mère dans le soin de la maladie de Lyme. Ci-contre, lavande officinale prête à distiller.

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Au Gattilier, pas question de céder à l’industrialisation

qui vit son activité comme une passion. Et pourtant, quel professionna-lisme ! Les produits Le Gattilier détiennent une triple certification de qualité : Agriculture biologique, Demeter, Nature & Progrès. Une petite affaire saine qui emploie plusieurs personnes. « Notre reconnaissance s’est forgée naturellement, notre clientèle a été fidélisée avec le temps », raconte Odile. Ils ont dû s’adapter et résister pour maintenir une pro-duction à petite échelle avec une exigence de qualité, déterminante dans l’efficacité d’un traitement par les plantes. « C’est vrai qu’il s’agit d’une situation de résistance, parce qu’il y a des pressions très importantes du lobby pharmaceutique, mais en même temps il y a la société qui pousse vers une utilisation des plantes. » « Ces dernières années », précise Christian Escriva, « la pression de la demande en huiles essentielles a entraîné des dérives dans les produc-tions, notamment pour la gestion des stations de plantes sauvages (cer-taines espèces ont dû subir des pressions de cueillette importantes), mais aussi pour les modes de cultures. Aujourd’hui, beaucoup d’huiles essentielles sont obtenues à partir de plantes clonales. » Il ajoute : « Une espèce végétale est représentée par un ensemble de plantes et non par une seule plante. Ceci n’est actuellement pas pris en compte par les cahiers des charges de l’agriculture biologique. Mais il existe des petites productions à échelle artisanale ! Par exemple, dans nos cultu res de thym à thuyanol ou d’hysope canescens, chaque pied a une odeur diffé-rente, alors que dans le cas des plantes clonales, les pieds ont rigoureu-sement la même odeur ! » Face à la demande croissante, les productions à grande échelle, de plus en plus industrialisées, ont envahi le marché avec un esprit de mécanisation, des cultures sur des sols inadéquats, des alambics de capacité démesurée, de l’ordre de 5 000 à 25 000 litres quand la taille raisonnable ne devrait pas excéder 1 200 litres. Pour autant, Christian Escriva garde son cap et ne se départit pas de son enthousiasme contagieux : « Regardez ça, le ciste ladanifère de l’Estérel. C’est bon, remarquablement fin ! » s’exclame-t-il tout en humant le ciste bruni par les vapeurs de l’alambic. Après distillation, les rameaux col-lants du ciste sécrètent un parfum complexe, riche, irrésistiblement déli-cieux. « C’est une plante très touchante, avec laquelle j’ai une relation un peu amoureuse… » Dans son champ, ce physicien de formation devenu agriculteur, écrivain, conférencier, enseignant, devient un enfant allègre et inspiré, animé par une âme d’artiste.D’ailleurs, une plante n’est pas un sac de molécules. Une plante ne peut être appréhendée parfaitement par le seul biais de méthodes analy-tiques, classificatoires ou chimiques. L’information qu’elle porte ne peut être réduite à la somme de ses composants chimiques : « La composition chimique ne peut donner accès à cette “totalité” pressentie quand nous regardons une plante », explique Christian Escriva lors des stages et ate-liers qu’il organise au sein de l’association Hélichryse. Alors, par quelle

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Le matin, les bocaux de macérations solaires sont sortis à l’extérieur pour être exposés à la chaleur du soleil. Puis ils sont recouverts d’un tissu pour être préservés des effets de la lumière.

méthode assez fine pourrait-on compléter les données recueillies par une analyse conventionnelle et saisir toutes les nuances des effets d’une plante médicinales ? Par nos sens, « une voie royale ! » répond Christian Escriva. Qui évoque les travaux de l’auteur de Faust, le célèbre écrivain allemand Goethe (1749-1832), lui-même inspiré par Spinoza : c’est lui qui a initié l’étude des plantes par l’approche sensible. L’étude intuitive par l’odeur, la morphologie, le milieu, la couleur, la saveur… Autant de portes d’entrée vers la compréhension de la plante en tant qu’unité, ainsi que de ses vertus thérapeutiques. Alors choisirez-vous le baume du Pérou ou le baume de Copaïba ? « L’étude par l’approche sensible » de ces deux baumes sera justement le thème du prochain stage de Chris-tian Escriva, à Antibes. De quoi vous éclairer sur l’art de bien choisir ses huiles, ses plantes médicinales.Mais au fait, qu’est-ce qu’une plante médicinale, au juste ? C’est une plante dotée de principes actifs bénéfiques pour la santé humaine et ani-male. En plus de ses potentialités curatives, elle peut avoir un rôle de prévention. Leur usage est ancestral. Les premières traces de l’utilisation de plantes médicinales apparaissent en Chine il y a plus de 5 000 ans. Notre environnement naturel fournit encore à l’heure actuelle une grande partie des substances actives présentes dans les médicaments. « L’état du monde des plantes », un rapport annuel unique en son genre édité par le domaine anglais des Kew Gardens, recense sur la planète plus de 386 000 espèces végétales distinctes, dont 28 187 classées comme étant médicinales. Beaucoup d’autres demeurent encore inconnues. Christian Escriva estime, quant à lui, que les Alpes-Maritimes forment à elles seules un réservoir botanique comptant entre 4 500 à 5 000 espèces de plantes, soit 80 à 85 % des espèces présentes sur le sol français. C’est grâce à ces plantes que Christian Escriva propose de prévenir et de

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Huiles essentielles : extraits de plantes aromatiques obtenus par distillation à la vapeur d’eau, dans un alambic. Les huiles essentielles contiennent des composants volatils : terpènes, alcools, aldéhydes, cétones, esters…Alcoolatures de plantes : nommées aussi teintures mères, ces préparations sont élaborées à partir de l’action de l’alcool pur sur des plantes fraîchement cueillies. Extraits de bourgeons : nommés aussi gemmothérapie, ces préparations utilisent des bourgeons et des jeunes pousses macérés dans une base (eau, alcool et sirop d’agave, voire miel biologique). Ces jeunes tissus végétaux sont prélevés au printemps à un moment très précis et contiennent un puissant concentré d’énergie. La macération obtenue est pressée et décantée après deux mois au moins.Hydrolats : nommés aussi eaux florales, ce sont les eaux de distillation résultant de la condensation de la vapeur d’eau qui a servi à l’extraction des huiles essentielles de la plante.Macérations solaires : elles sont obtenues par macération de la plante (fraîche ou séchée) dans une huile végétale telle que de l’huile d’olive ou de jojoba. Les macérations solaires sont souvent utiles en tant que bases d’une préparation pour un usage externe utilisant des huiles essentielles.

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guérir. Dans son Index thérapeutique paru aux éditions Amyris, il suggère des soins pour plus de trois cents pathologies courantes. En cas de migraine, une cure de mélange d’hydrolat de romarin officinal à verbénone et de menthe poivrée à parts égales : en mettre deux cuillères à soupe dans un litre d’eau, à boire pendant la journée durant deux ou trois semaines par mois ; prendre aussi une dilution décimale d’extrait de bourgeons d’aulne glutineux (gemmothérapie) à la dose de trois fois 25 gouttes par jour pendant deux mois, à renouveler après arrêt d’un mois. Pour la nervosité, Christian Escriva conseille un réglage alimen-taire : une détoxication hépatique, deux ou trois gouttes d’huile essen-tielle de petit grain bigaradier sur le plexus trois fois par jour, en cures de dix jours. Pour la cicatrisation et la désinfection des petites plaies, il invite à appliquer de l’hydrolat d’hélichryse corse. Et ainsi de suite… Ses recettes curatives sont un outil indispensable pour anticiper et soigner les maux du quotidien. Cette approche globale et sensible à la fois de la terre, de ses plantes et du corps humain fait toute la différence. Avec ses bocaux dans lesquels macèrent des plantes aux vertus miraculeuses, et son alambic, qui agit comme un génie, Le Gattilier est un trésor.

• Formations et stages animés par Christian Escriva www.legattilier.com • École lyonnaise de plantes médicinales www.ecoledeplantesmedicinales.com• École des plantes de Pariswww.ecoledesplantes.net• Association pour le renouveau de l’herboristeriewww.arh-herboristerie.org• L’école des plantes médicinales et des médecines douceswww.ecole-imderplam.com• École bretonne d’herboristerie www.capsante.net

Christian organise des stages et ateliers dans le cadre de l’association Hélichryse