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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2011) 12, 90—92 DROIT ET DOULEUR Point sur l’enquête sur les événements indésirables graves Nathalie Lelièvre MOTS CLÉS Événement indésirable grave ; Qualité des soins ; Sécurité des soins ; Trac ¸abilité ; Risque évitable Résumé La DRESS a renouvelé son enquête portant sur les événements indésirables graves sur l’année 2009. L’objectif de cette étude est de déterminer la fréquence et la part d’évitabilité des EIG. Parmi les EIG évitables en 2009, 64 sont consécutifs à des soins non appropriés, à des retards ou à des erreurs dans leur réalisation. Cependant, ces chiffres doivent être rapprochés des centaines de millions d’actes médicaux réalisés chaque année. De plus, le système actuel de recueil des données relatives aux EIG souffre d’une telle complexité qu’il parasite toute coordination des informations permettant de répondre aux objectifs fixés par la loi : qualité et sécurité des soins. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. « 900 accidents médicaux surviennent chaque jour, en moyenne, dans les hôpitaux et cliniques franc ¸ais, selon la deuxième enquête nationale sur les événements indési- rables graves liés aux soins » [1]. « Accidents, les chiffres noirs de l’hôpital franc ¸ais » [2]. Tels étaient les comptes- rendus de l’étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) par les médias. Faire peur aux patients est-il le seul moyen de communiquer sur l’enquête ? N’est-il pas plus judicieux d’en expliquer les tenants et aboutissants ? En 2004, pour répondre aux besoins exprimés par la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS, désor- mais Direction générale de l’offre de soins-DGOS), une enquête pionnière dite « ENEIS » (Enquête nationale sur les Adresse e-mail : [email protected] événements indésirables graves associés aux soins [EIG]) avait été réalisée afin de connaître l’incidence des EIG dans les établissements de santé, leur part d’évitabilité et d’analyser leurs causes immédiates. La DRESS a renouvelé son étude sur les événements indésirables graves associés aux soins. L’objectif princi- pal de cette étude est d’estimer la fréquence et la part d’évitabilité des événements indésirables graves sur 2009. En accord avec la DGS, la DGOS, l’Institut national de veille sanitaire (InVS), l’Agence franc ¸aise de sécurité sani- taire des produits de santé (Afssaps) et la Haute autorité de santé (HAS), la DREES a réédité cette enquête en 2009 selon les mêmes principes (protocole et méthode) afin de mesurer l’évolution de ces données depuis 2004. L’intérêt de cette étude n’est pas négligeable. En effet, les EIG intéressent tant le système de santé, les profes- sionnels de santé et les patients. De plus, ils ont des répercussions sur le plan économique, sanitaire, juridique. 1624-5687/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2011.01.009

Point sur l’enquête sur les événements indésirables graves

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MOTS CLÉSÉvénementindésirable grave ;Qualité des soins ;Sécurité des soins ;

Résumé La DRESS a renouvelé son enquête portant sur les événements indésirables graves surl’année 2009. L’objectif de cette étude est de déterminer la fréquence et la part d’évitabilitédes EIG. Parmi les EIG évitables en 2009, 64 sont consécutifs à des soins non appropriés, à desretards ou à des erreurs dans leur réalisation. Cependant, ces chiffres doivent être rapprochésdes centaines de millions d’actes médicaux réalisés chaque année. De plus, le système actuel

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de recueil des données relatives aux EIG souffre d’une telle complexité qu’il parasite toutecoordination des informations permettant de répondre aux objectifs fixés par la loi : qualité et

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900 accidents médicaux surviennent chaque jour, enoyenne, dans les hôpitaux et cliniques francais, selon

a deuxième enquête nationale sur les événements indési-ables graves liés aux soins » [1]. « Accidents, les chiffresoirs de l’hôpital francais » [2]. Tels étaient les comptes-endus de l’étude de la Direction de la recherche, destudes, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) par lesédias. Faire peur aux patients est-il le seul moyen de

ommuniquer sur l’enquête ? N’est-il pas plus judicieux d’enxpliquer les tenants et aboutissants ?

En 2004, pour répondre aux besoins exprimés par la

irection générale de la santé (DGS) et la Direction de

’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS, désor-ais Direction générale de l’offre de soins-DGOS), une

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vénements indésirables graves associés aux soins [EIG])vait été réalisée afin de connaître l’incidence des EIGans les établissements de santé, leur part d’évitabilité et’analyser leurs causes immédiates.

La DRESS a renouvelé son étude sur les événementsndésirables graves associés aux soins. L’objectif princi-al de cette étude est d’estimer la fréquence et la part’évitabilité des événements indésirables graves sur 2009.

En accord avec la DGS, la DGOS, l’Institut national deeille sanitaire (InVS), l’Agence francaise de sécurité sani-aire des produits de santé (Afssaps) et la Haute autorité deanté (HAS), la DREES a réédité cette enquête en 2009 selones mêmes principes (protocole et méthode) afin de mesurer’évolution de ces données depuis 2004.

L’intérêt de cette étude n’est pas négligeable. En effet,es EIG intéressent tant le système de santé, les profes-ionnels de santé et les patients. De plus, ils ont desépercussions sur le plan économique, sanitaire, juridique.

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Point sur l’enquête sur les événements indésirables graves

Dispositif légal

Les accidents liés aux soins (infections nosocomiales, événe-ments indésirables graves, etc.), concernent l’ensemble desprofessionnels de santé et font l’objet de déclarations obli-gatoires auprès des autorités sanitaires en application d’uneréglementation inscrite dans le code de la santé publique.Les principaux textes sont les suivants :• loi du 4 mars 20021 met en place un dispositif de déclara-

tion obligatoire des événements indésirables graves liésaux soins pour tous professionnels de santé2 ;

• loi 9 août 20043 : La diminution des EIG est un des objectifsfixée par la loi ;

• arrêté du 25 avril 20064 fixe les modalités del’expérimentation. L’InVS est chargé de menerl’expérimentation de déclaration des événementsautres qu’une infection nosocomiale.

Depuis la loi HPST5 les missions de la Commis-sion médicale d’établissement (CME) sont orientées versl’organisation médicale générale de l’établissement avec,en particulier, la définition d’un programme d’action enmatière de qualité et de sécurité des soins, en accord avecle directeur. Elle propose au président du directoire un pro-gramme d’actions assorti d’indicateurs de suivi, prenant encompte le rapport annuel de la Commission des relationsavec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRU-QPC). Les CME des établissements privés ont les mêmesmissions que celles des CME des établissements publics.

Par décret du 12 novembre 2010, les directeursd’établissement publics et privés nomment des« coordinateurs » de gestion des risques : « Ce coordon-nateur dispose d’une formation adaptée à l’exercice deses missions. Il a accès aux données et aux informations,notamment les plaintes et réclamations des usagers,nécessaires à l’exercice de celles-ci ».

Définition des événements indésirablesgraves associés aux soins (EIG)

« Les événements indésirables graves associés aux soins [EIG]sont définis comme des événements défavorables pour le

1 Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des maladeset à la qualité du système de santé

2 Article L1413-14 du code de santé publique : « Tout professionnelou établissement de santé ayant constaté une infection nosocomialeou tout autre événement indésirable grave lié à des soins réaliséslors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention doiten faire la déclaration au directeur général de l’agence régionale desanté. » Ces dispositions s’entendent sans préjudice de la déclara-tion à l’Agence francaise de sécurité sanitaire des produits de santé(Afssaps) des événements indésirables liés à un produit mentionnéà l’article L. 5311—1.

3 Loi no 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santépublique.

4 Arrêté du 25 avril 2006 relatif aux modalités del’expérimentation de déclaration des événements indésirablesgraves liés à des soins.

5 Loi no 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpitalet relative aux patients, à la santé et aux territoires.

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atient ayant un caractère certain de gravité (à l’origine’un séjour hospitalier ou de sa prolongation, d’une inca-acité ou d’un risque vital) et associés à des soins réalisésors d’investigations, de traitements ou d’actions de préven-ion » [3].

Comme le mentionne le rapport de la DRESS, un EIG’est pas significatif d’une faute. Il peut très bien se pro-uire un EIG alors même que le patient a été pris en chargeonformément aux règles de l’art. Tous les EIG ne sontonc pas imputables à un comportement fautif. C’est pourette raison que seuls certains des EIG peuvent être qualifiésd’évitables ». Dans cette hypothèse, différents facteurseuvent être la cause de l’événement indésirable commene complication, omission, erreur de traitement ou erreure patient.

Pour déterminer le caractère évitable de l’EIG, une éva-uation précise de la situation clinique du patient et desonditions de sa prise en charge doit être effectuée. Il est,ntre autre, évalué à partir de la balance « bénéfice-risque »onnant lieu à la décision de soins. Un événement indési-able lié aux soins est considéré comme évitable lorsque lesnquêteurs ont jugé qu’il ne serait pas survenu si les soinsvaient été conformes à la prise en charge au moment de’événement.

Quant à la notion de gravité, deux « niveaux de gravité »ont à distinguer : le décès ou la mise en jeu du pronosticital et l’hospitalisation et/ou ré-intervention non program-ées.Sont exclus du périmètre de la déclaration les EIG sou-

is à d’autres obligations de déclaration : vigilance sur lesroduits de santé (Afssaps), vigilances sur les activités cli-ique et biologique d’AMP (ABM), signalement des infectionsosocomiales, déclaration des incidents et accidents parxposition aux rayonnements ionisants (ASN).

uelques chiffres

e rapport de la DRESS précise que « les données ontté recueillies entre avril et juin 2009, sur 8269 séjourse patients. Au total, sur 31 663 journées d’hospitalisationbservées, 374 EIG ont été identifiés, dont 214 sont sur-enus pendant l’hospitalisation et 160 sont à l’origine’hospitalisations. Pendant les sept jours d’observationffectués dans chaque unité, au moins un EIG a été identifiéans 76 des 108 unités de chirurgie et dans 94 des 143 unitése médecine. Au total, 171 EIG ont été identifiés dans lesnités de médecine et 203 dans les unités de chirurgie. Parmies 374 EIG, 177 ont été considérés comme évitables » [4].

Parmi les EIG évitables en 2009, 64 sont consécutifs à desoins non appropriés, à des retards ou à des erreurs danseur réalisation.

Il n’en demeure pas moins que ces chiffres doivent être

approchés des centaines de millions d’actes médicaux réa-isés chaque année. Lors de la grande campagne médiatiquees résultats de l’enquête, les médias ont avant tout misn exergue le nombre d’EIG sans le comparer au nombre’actes médicaux réalisés chaque jour !
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es principaux EIG

e rapport de la DRESS distingue les EIG consécutifs à un actee ceux réalisés suite à une omission. Parmi les cas cités danse dit rapport, les exemples suivants peuvent être cités.

IG survenus par administration de soins nonptimaux (commission)

emme de 56 ans. Hémarthrose dans les suites d’unerothèse totale de genou. Patiente à haut risque throm-oembolique mise d’emblée sous anti-thrombotique à doseurative non justifiée.

Nouveau-né à terme. Arrêt cardiaque après un bolus’un analgésique central réservé à l’anesthésie-réanimationdministré par une infirmière sans prescription médicale.ouveau-né non intubé, non ventilé. Récupération immé-iate après massage cardiaque externe.

Femme de 90 ans. Hospitalisation pour céphalées liées àne hyponatrémie. Prise en charge récente à domicile parOS médecin pour œdème aigu du poumon et poussée hyper-ensive traitée par une augmentation de diurétiques. Pas deransmission d’information au médecin traitant ; absence deuivi de cette prescription.

IG survenus par défaut de soins (omission)

ouveau-né prématuré (29 semaines d’aménorrhée) présen-ant une pneumopathie sur membranes hyalines. Kinési-hérapie insuffisante par manque de personnel. Détresseespiratoire sur atélectasie nécessitant le transfert en réani-ation.Homme de 76 ans hospitalisé pour surinfection chronique

ur cœur pulmonaire chronique. Équipe soignante en effec-if insuffisant. Apparitions d’escarres.

Dans le premier cas, le facteur principal de l’EIG est’absence de communication pour ne pas dire de tracabilitées données. On retrouve, également, le classique cas deéalisation de soins sans prescription médicale !

Quant à la deuxième catégorie, il est assez triste de voirue le facteur principal de survenue d’EIG est l’insuffisance’effectif.

n système de déclaration complexe etloisonné

a loi du 4 mars 2002 a posé le principe de l’obligation deéclarer tout événement indésirable grave mais encore faut-l pour les professionnels de santé qu’ils se retrouvent parmies méandres des institutions chargées de collecter les ditesnformations. En effet, les professionnels de santé ont sou-ent beaucoup de mal à déterminer l’institution à laquellels doivent s’adresser. De plus, la lourdeur administrative duossier ne contribue pas non plus à faciliter la déclarationes EIG. Les informations sont transmises selon les cas à’Afssaps, au CCLIN à l’ARS.

Cinq dispositifs de signalement coexistent et prévoientes circuits différents. Le pôle santé sécurité soins pro-ose que l’ARS soit le guichet unique de proximité de toutignalement pour simplifier la procédure des signalementst favoriser la sécurité et qualité des soins [5].

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N. Lelièvre

onclusion

n EIG n’est pas ipso facto la conséquence d’une faute. Enevanche, il est indéniable que nombre d’EIG pourraient êtrevité tant dans l’intérêt des patients que des profession-els de santé. Des outils existent pour les limiter, recueillires données d’informations, mais l’organisation reste encorerop complexe et freine la coordination des renseignementsour développer une politique de santé assurant qualité desoins et sécurité. Il ne suffit pas qu’un texte de loi fixe laualité et sécurité des soins comme une priorité. Encoreaut-il mettre en place un dispositif simple et efficace pourne bonne exploitation des données. Il ne faut pas non pluse leurrer une médecine sans risque n’existe pas.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article

éférences

1] L’Express.fr, 26 novembre 2010. http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/sante/900-accidents-medicaux-par-jour-dans-les-hopitaux 940259.html.

2] Francois Malye et Jérôme Vincent, « Les chiffres noirsde l’hôpital francais ». Lepoint.fr, 24 novembre 2010.http://www.lepoint.fr/sante/accidents-les-chiffres-noirs-de-l-hopital-francais-24-11-2010-1266678 40.php.

3] DRESS, Dossier solidarité et santé;17;2010;3.4] DRESS, Dossier solidarité et santé ; N◦17 ; 2010 ;4 et l’annexe 1 p.

14.5] Le médiateur de la République, « Les propositions de réforme

du Pôle Santé pour améliorer la procédure de signale-ment ». http://www.securitesoins.fr/evenements-indesirables-lies-aux-soins/06 fr 05 06.html.

our en savoir plus

6] Décret no 2011-39 du 10 janvier 2011 pris par le ministreu travail, de l’emploi et de la santé, relatif aux compé-ences et à la formation des coordonnateurs de sécurité ete protection de la santé.[7] Déclaration commune publiéear la fondation britannique Wellcome Trust le 10 janvier 2011,ignée par 17 organismes publics et fondations privées deecherche majeurs, dans le but de favoriser le partage des don-ées dans le domaine de la santé publique dans le monde.ttp://www.wellcome.ac.uk

[8] La fédération a adopté dix principes visant à mettre en œuvren « droit universel à la perte d’autonomie », indépendamment de’âge ou de l’origine de la personne qui la subit. (www.fhf.fr).

[9] Arrêté du 28 décembre 2010 pris par le ministre duravail, de l’emploi et de la santé publique fixant lesonditions dans lesquelles l’établissement de santé met

la disposition du public les résultats publiés chaquennée des indicateurs de qualité et de sécurité desoins.

[10] Circulaire no DGOS/PF2/R1/2 010/464 du 27 décembre010 relative au financement par le fonds pour la modernisationes établissements de santé publics et privés (FMESPP) du dévelop-ement des outils de gestion informatisée pour les risques associésux soins dans les établissements de santé.