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PORTRAIT... LORD KILLANIN, GENTILIH J e suis né en 1914. Mon père, colonel dans les Irish Guards, portait alors le nom de notre famille, Morris, l'une des 14 « tribus » de la ville de Amway, dont notre ancêtre Richard fut le premier bailli, en 1486. Avec une devise qui est restée la nôtre : « Si Deus nobiscum quis contra nos » - Si Dieu est avec nous, qui osera être contre... Le premier Lord Killanin a été mon grand-père, anobli en 1900, et je suis le troisième du nom. avez-vous fait vos études ? En Angleterre à Eton, puis au Magdalene College à Cambridge - mais également en France, à l'Université de la Sorbonne. vous a conduit cette formation ? D'abord à Londres, comme journaliste au "Dailey Express" et au "Daily Mail", puis en Extrême-Orient, en qualité de corres- pondant de guerre en Chine, et de nouveau en Europe comme engagé volontaire pour la durée de la guerre. C'est à ce titre que j'ai eu le plaisir de retourner dans votre pays, en 1944, lors du débarquement de notre unité en Normandie. Et depuis ? Après ma démobilisation, je suis rentré en Irlande, où j'avais rebâti notre maison de famille, à la succession de mon oncle, et je m'y suis fixé. Quels ont été vos sports favoris ? Comme pratiquant, la boxe, l'aviron et le rugby pendant mes années d'étude. Par la suite, l'équitation et maintenant la marche à pied. A quelle époque avez-vous commencé à vous intéresser à l'olympisme ? Officiellement, si je puis dire, en 1950, où l'on m'a nommé président du Conseil Olympique Irlandais. J'ai conservé cette fonction jusqu'à mon élection à la prési- dence du Comité International Olympi- que, en 1973. Et aujourd'hui, n'ayant pas sollicité le renouvellement de mon mandat après les Jeux de Moscou en 1980, je suis devenu président honoraire à vie de l'un et l'autre. Vous restez donc impliqué dans le mouvement olympique ? Oui, très étroitement même. Et c'est avec beaucoup d'attention et d'intérêt que je continue à suivre son évolution et son développement. Et en plus de cela ? Outre mes activités de directeur de la Compagnie Syntex-Irlande, je suis prési- dent de la Commission gouvernementale pour l'élevage des chevaux de Thoroug- bred, plus particulièrement chargé des courses. C'est une fonction qui touche à la fois à l'industrie et à un sport. Or, aujour- d'hui, en lisant les journaux, je me de- mande si le sport tout entier n'est pas devenu, lui-même, une industrie... Que pensez-vous de l'avenir des Jeux Olympi- ques ? Je suis optimiste, dans la mesure je crois que les Jeux continueront à exister, mais les choses devront nécessairement bouger et changer avec le temps. Lord Killanin est membre de l'Académie Royale Irlandais depuis 1952. Il est titutalire des plus hautes disinct- tions dans de nombreux pays, dont la croix de Commander de la légion d'honneur qui lui a été décernée par la France à titre militaire, en 1980. Cette interview est la première qu'il ait accordée à la presse depuis la fin de sa présidence du Comité International Olympique. Nous sommes infiniment sensibles à cette marque d'amitié, et l'en remercions tout particulièrement. 16 Revue EP.S n°220 Novembre-Décembre 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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PORTRAIT...

LORD KILLANIN, GENTILIH J

e suis né en 1914. Mon père, colonel dans les Irish Guards, portait alors le nom de notre famille, Morris, l'une

des 14 « tribus » de la ville de Amway, dont notre ancêtre Richard fut le premier bailli, en 1486. Avec une devise qui est restée la nôtre : « Si Deus nobiscum quis contra nos » - Si Dieu est avec nous, qui osera être contre... Le premier Lord Killanin a été mon grand-père, anobli en 1900, et je suis le troisième du nom.

Où avez-vous fait vos études ? En Angleterre à Eton, puis au Magdalene College à Cambridge - mais également en France, à l'Université de la Sorbonne.

Où vous a conduit cette formation ? D'abord à Londres, comme journaliste au "Dailey Express" et au "Daily Mail", puis en Extrême-Orient, en qualité de corres­pondant de guerre en Chine, et de nouveau en Europe comme engagé volontaire pour la durée de la guerre. C'est à ce titre que j'ai eu le plaisir de retourner dans votre pays, en 1944, lors du débarquement de notre unité en Normandie.

Et depuis ? Après ma démobilisation, je suis rentré en Irlande, où j'avais rebâti notre maison de famille, à la succession de mon oncle, et je m'y suis fixé.

Quels ont été vos sports favoris ? Comme pratiquant, la boxe, l'aviron et le rugby pendant mes années d'étude. Par la suite, l'équitation et maintenant la marche à pied.

A quelle époque avez-vous commencé à vous intéresser à l'olympisme ? Officiellement, si je puis dire, en 1950, où l'on m'a nommé président du Conseil Olympique Irlandais. J'ai conservé cette fonction jusqu'à mon élection à la prési­dence du Comité International Olympi­que, en 1973. Et aujourd'hui, n'ayant pas sollicité le renouvellement de mon mandat après les Jeux de Moscou en 1980, je suis devenu président honoraire à vie de l'un et l'autre.

Vous restez donc impliqué dans le mouvement olympique ? Oui, très étroitement même. Et c'est avec beaucoup d'attention et d'intérêt que je continue à suivre son évolution et son développement.

Et en plus de cela ? Outre mes activités de directeur de la Compagnie Syntex-Irlande, je suis prési­dent de la Commission gouvernementale pour l'élevage des chevaux de Thoroug-bred, plus particulièrement chargé des courses. C'est une fonction qui touche à la

fois à l'industrie et à un sport. Or, aujour­d'hui, en lisant les journaux, je me de­mande si le sport tout entier n'est pas devenu, lui-même, une industrie...

Que pensez-vous de l'avenir des Jeux Olympi­ques ? Je suis optimiste, dans la mesure où je crois que les Jeux continueront à exister, mais les choses devront nécessairement bouger et changer avec le temps.

Lord Killanin est membre de l'Académie Royale Irlandais depuis 1952. Il est titutalire des plus hautes disinct-tions dans de nombreux pays, dont la croix de Commander de la légion d'honneur qui lui a été décernée par la France à titre militaire, en 1980. Cette interview est la première qu'il ait accordée à la presse depuis la fin de sa présidence du Comité International Olympique. Nous sommes infiniment sensibles à cette marque d'amitié, et l'en remercions tout particulièrement. 16

Revue EP.S n°220 Novembre-Décembre 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 2: PORTRAIT.. LORD. KILLANIN GENTILI, H

Interview recueillie par Par Carrère, envoyé spécial de la Revue EPS.

IRLANDE

OММЕ D'IRLANDE Comment jugez-vous l'envahissement des Jeux par l'argent ? Ma présidence olympique s'est située à une période de transition, entre celle de l'ama­teurisme pur, et celle où un effort a été fait pour permettre à un athlète d'avoir un comportement plus honnête. Je suis très conscient du fait que les considérations financières ont maintenant pris le pas sur tout le reste.

Mais bien que les sponsors soient une nécessité pour préserver l'indépendance des Jeux et du sport dans les pays non-totalitaires, leur domination, dans un sport particulier, est toujours un danger, et j'ai eu l'occasion de le constater maintes fois...

Vous connaissez l'expression : « C'est ce­lui qui a payé les violons qui donne le ton ». Mais cela ne doit pas se faire au détriment du compositeur, ni du sport ou des Jeux concernés.

Tout récemment, la BBC m'a demandé ce que je pensais de 1996, et en particulier quelle ville avait le plus de chance de se voir attribuer l'organisation des jeux.

A quoi, j'ai répondu - probablement de façon un peu trop frivole et cyni­que -Atlanta, en Georgie, parce que c'est le quartier général de Coca-Cola... Mais à vrai dire, je suis certain que le CIO, dans sa sagesse, sélectionnera le site qui lui paraî­tra le meilleur pour les athlètes, car c'est à eux qu'il faut donner la priorité.

L'aide privée aux athlètes est-elle conciliable avec le principe d'amateurisme, cher à Pierre de Coubertin ? L'ère de l'amateurisme intégral est révolue et je revendique même une part de respon­sabilité dans ce domaine. Pendant ma présidence, en effet, j'ai fait supprimer le mot « amateur » des règlements olympi­ques, parce qu'il me semblait vidé de son sens primitif, dès lors qu'il était employé pour désigner une manière malhabile de faire quelque chose... Je crois que, s'il était encore en vie, Pierre de Coubertin, aurait une attitude pragmatique face à cette évo­lution. Même si ceux d'entre nous qui appartiennent à l'ancienne génération le regrettent. Le sport, qu'on le veuille ou non, a cessé d'être le privilège d'un petit nombre.

Pensez-vous que l'on pourra continuer indéfi­niment à admettre de nouveaux sports dans la compétition olympique ? Je suis très réservé à ce sujet, et mon avis est qu'il faut abandonner cette politique qui correspond à une manière d'entrer par la porte de derrière. Autant les sports d'équipe me paraissent importants, à cause de leur portée sociale et humaine, autant je suis réservé pour ceux qui sont uniquement jugés par l'œil. C'est la raison pour laquelle je me suis toujours opposé à y inclure la gymnastique rythmique et la natation syn­chronisée.

Le dopage semble être le problème majeur que les Jeux aient aujourd'hui à affronter... et à résoudre. Qu'en pensez-vous ? Il est vrai que c'est là un fait de société très grave, et l'on peut dire à ce sujet que le CIO a joué un rôle de précurseur en le révélant au grand jour, et en s'efforçant de le combattre. Le seul pouvoir dont il dis­pose pour cela est de retirer les médailles, comme on l'a fait à Séoul, ou d'interdire aux athlètes coupables de participer à d'autres Jeux. Par contre, il n'a aucune prise sur tout ce qui est extérieur à la compétition olympique... Nous continue­rons donc à voir de bons médecins et de bons scientifiques s'efforcer d'aider le sport international dans sa lutte contre le dopage, mais aussi de mauvais médecins et de mauvais scientifiques s'ingénier à trou­ver sans cesse de nouveaux artifices pour élever les performances des athlètes.

Pensez-vous que les disciplines culturelles, qui ont lieu pendant les Jeux, ont gardé l'impor­tance que la Charte leur avait attribuée à l'origine ? Je pense surtout qu'il serait préférable que ces disciplines, ainsi que les programmes artistiques qui les accompagnent, fussent présentées aux Jeux sans concourir pour l'attribution d'une médaille ou d'un titre comme c'est encore le cas.

A quelle date a été créé le Comité Olympique Irlandais ? En 1923, l'année où l'Etat libre d'Irlande a obtenu son indépendance. Je préciserai que son nom exact est Conseil Olympique d'Irlande (Olympic Council of Ireland). Sa politique se fondait sur l'idée que la participation irlandaise aux compétitions sportives devait être exclusivement com­posée d'athlètes originaires du pays. Le Tout-Irlandais, en quelque sorte... C'est d'ailleurs sur cette base que se disputent la majorité des sports, et notamment en rugby, que les Français connaissent bien. Avec nos voisins de Grande-Bretagne, nous avons toujours eu une sorte d'accord implicite sur ce point, par référence au règlement olympique où il est précisé que le compétiteur doit être de la même natio­nalité que le pays pour lequel il concourt. Cela vaut infiniment mieux que de dessi­ner des frontières politiques, comme le font certaines fédérations internationales.

L'OCI a-t-il des attributions particulières dans la promotion du sport irlandais ? Seulement en ce qui concerne la participa­tion aux Jeux Olympiques. Car pour avoir des athlètes compétitifs, il est indispensa­ble de planifier leur préparation à longue échéance. Or, le Conseil Olympique Irlan­dais se compose seulement des représen­tants mandatés par chaque Fédération nationale, et d'un Comité exécutif res­treint.

En plus de ses activités littéraires multiples, Lord Killanin a participé à la mise en scène de nombreux films tournés en Irlande. Parmi eux, l'Inoubliable « Homme tranquille » de John Ford, qui a pour cadre la région de Galway, et dont on a conservé cette chaumière, réplique exacte de celle où se déroule l'action du film.

EPS № 220 - NOVEMBRE-DECEMBRE 1989 17 Revue EP.S n°220 Novembre-Décembre 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé