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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 481 Janvier 2009 Pour le président du conseil central A de l’Ordre national des pharmaciens, Jean-Charles Tellier, l’officine française doit être perçue plus comme un exemple pour la dispensation du médicament en Europe que comme une survivance du passé. Il en veut pour preuve une actualité riche qui démontre que le secteur va de l’avant. Actualités pharmaceutiques : La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’est enfin décidée à accepter la généralisation du dossier pharmaceutique (DP). Je suppose que les titulaires ont accueilli cette nouvelle avec joie. Jean-Charles Tellier : Oui, c’est à la fois une joie et un soulage- ment que soit reconnue d’une manière très officielle cette grande initiative officinale. Cette délibération de la CNIL était très attendue par les pharmaciens d’officine qui ont suivi avec beaucoup d’attention l’avance- ment du projet. AP : Comment sera financée cette généralisation ? J.-C. T. : Le financement du dispositif est assuré par les pharmaciens eux-mêmes, par leur cotisation à l’Ordre. Afin de diminuer cette contribution, des subventions ont été obtenues auprès d’organismes officiels : le GIP-DMP et le FIQCS (Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins) géré par l’Assurance maladie. AP : Les officines françaises auront-elles désormais l’obli- gation de proposer l’accès au DP ? Si oui, dans quel délai ? J.-C. T. : Oui, tout pharmacien d’officine au terme de l’article L. 161-36-4-2 du Code de la Sécu- rité sociale est tenu de proposer l’accès au DP et de l’alimenter à l’occasion de la dispensation, sauf opposition du patient. Tou- tefois, un délai de mise en place sera aménagé afin que toutes les officines puissent effectivement être en mesure (validation de compatibilité du DP avec le logi- ciel “métier”, préparation et for- mation de l’équipe officinale) de proposer aux patients ce service dans les meilleures conditions. AP : Des campagnes sont- elles prévues pour informer les patients de ce système, de ce qu’il peut leur apporter, de leurs droits... ? J.-C. T. : D’ores et déjà, la Direc- tion de la communication de l’Ordre a prévu un kit de visibilité permettant de mieux informer les patients. Les supports qu’il contient portent sur trois messa- ges forts : l’engagement, la sécu- rité et la liberté. Il se compose de trois affichettes, une publicité sur lieu de vente grand format et une vitrophanie. Une brochure d’in- formation patient est également disponible en plusieurs langues (français, anglais, arabe et turc). AP : Maintenant que le DP est devenu une réalité, qu’en est-il du dossier médical per- sonnel (DMP) que le DP doit alimenter ? J.-C. T. : Le DMP existe toujours : il est en phase de construction. Désormais, Jean-Yves Robin, le nouveau directeur du GIP- DMP, est en charge de poursui- vre l’élaboration du DMP qui, à terme, sera alimenté en données médicaments par le DP. AP : Y aurait-il une volonté plus forte des officinaux ou tech- niquement le DMP est-il plus délicat à mettre en œuvre ? J.-C. T. : À l’évidence, il y a eu une véritable volonté des offici- naux de créer un outil pouvant être accessible dans toutes les pharmacies et servant à la santé publique. C’est cette volonté partagée par toute la profession qui a permis que le DP voit le jour, sans oublier la participation financière importante de tous les pharmaciens d’officine, ce dont nous devons les remercier très chaleureusement. AP : Le projet de loi de finan- ces pour 2009 oblige les offi- cines, entre autres, à collec- ter gratuitement les déchets d´activités de soins à risques infectieux (DASRI) des particu- liers. Un nouveau service pour les patients ou une contrainte de plus non rémunérée pour les officinaux ? J.-C. T. : Alors que nous som- mes en pleine négociation des modalités d’application du Grenelle de l’Environnement – phase 2 – avec le ministère de l’Écologie, il est curieux de constater que c’est à travers un projet de loi de finances que certains ont essayé de régler la question de la collecte les DASRI alors que cette activité me semble relever directement de la santé et de la protection sanitaire. Pour notre part, nous avons toujours souhaité que l’officine participe à l’initiation de la collecte par la remise de containers et d’informations aux patients mais pas au-delà. Nous restons sur cette position car il ne nous paraît pas acceptable que la pharmacie soit le lieu où se croisent des déchets et des médicaments au mépris de la sécurité de dispensation et de la sécurité du personnel y tra- vaillant. La collecte des DASRI ne peut être envisagée exclusi- vement sous l’angle économi- que et financier mais doit faire l’objet d’un véritable consensus de l’ensemble des intervenants, respectant les obligations sani- taires et environnementales. AP : Le législateur a égale- ment instauré l’obligation de prescriptions en dénomination commune internationale (DCI) pour les médicaments inscrits au répertoire des génériques ? Qu’en pense le président de la section A de l’Ordre ? J.-C. T. : C’est une mesure bien tardive et qui je le crains n’aura qu’un effet insignifiant sur la substitution qui, faut-il le répé- ter, ne serait rien sans l’impli- cation quotidienne de tous les pharmaciens, toutes sections confondues, qui en sont les véri- tables promoteurs et en restent les acteurs principaux. Entretien Pour Jean-Charles Tellier, le DP est le fruit d’une volonté partagée par toute une profession à © DR

Pour Jean-Charles Tellier, le DP est le fruit d’une volonté partagée par toute une profession

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4actualités

Actualités pharmaceutiques n° 481 Janvier 2009

Pour le président

du conseil central A

de l’Ordre national

des pharmaciens,

Jean-Charles Tellier,

l’officine française

doit être perçue plus

comme un exemple

pour la dispensation

du médicament en

Europe que comme

une survivance du

passé. Il en veut pour

preuve une actualité

riche qui démontre

que le secteur

va de l’avant.

Actualités pharmaceutiques :

La Commission nationale de

l’informatique et des libertés

(Cnil) s’est enfin décidée à

accepter la généralisation du

dossier pharmaceutique (DP).

Je suppose que les titulaires

ont accueilli cette nouvelle

avec joie.

Jean-Charles Tellier : Oui, c’est à la fois une joie et un soulage-ment que soit reconnue d’une manière très officielle cette grande initiative officinale. Cette délibération de la CNIL était très attendue par les pharmaciens d’officine qui ont suivi avec beaucoup d’attention l’avance-ment du projet.

AP : Comment sera financée

cette généralisation ?

J.-C. T. : Le financement du dispositif est assuré par les pharmaciens eux-mêmes, par

leur cotisation à l’Ordre. Afin de diminuer cette contribution, des subventions ont été obtenues auprès d’organismes officiels : le GIP-DMP et le FIQCS (Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins) géré par l’Assurance maladie.

AP : Les officines françaises

auront-elles désormais l’obli-

gation de proposer l’accès au

DP ? Si oui, dans quel délai ?

J.-C. T. : Oui, tout pharmacien d’officine au terme de l’article L. 161-36-4-2 du Code de la Sécu-rité sociale est tenu de proposer l’accès au DP et de l’alimenter à l’occasion de la dispensation, sauf opposition du patient. Tou-tefois, un délai de mise en place sera aménagé afin que toutes les officines puissent effectivement être en mesure (validation de compatibilité du DP avec le logi-ciel “métier”, préparation et for-mation de l’équipe officinale) de proposer aux patients ce service dans les meilleures conditions.

AP : Des campagnes sont-

elles prévues pour informer

les patients de ce système,

de ce qu’il peut leur apporter,

de leurs droits... ?

J.-C. T. : D’ores et déjà, la Direc-tion de la communication de l’Ordre a prévu un kit de visibilité permettant de mieux informer les patients. Les supports qu’il contient portent sur trois messa-ges forts : l’engagement, la sécu-rité et la liberté. Il se compose de trois affichettes, une publicité sur lieu de vente grand format et une vitrophanie. Une brochure d’in-formation patient est également disponible en plusieurs langues (français, anglais, arabe et turc).

AP : Maintenant que le DP

est devenu une réalité, qu’en

est-il du dossier médical per-

sonnel (DMP) que le DP doit

alimenter ?

J.-C. T. : Le DMP existe toujours : il est en phase de construction. Désormais, Jean-Yves Robin, le nouveau directeur du GIP-DMP, est en charge de poursui-vre l’élaboration du DMP qui, à terme, sera alimenté en données médicaments par le DP.

AP : Y aurait-il une volonté plus

forte des officinaux ou tech-

niquement le DMP est-il plus

délicat à mettre en œuvre ?

J.-C. T. : À l’évidence, il y a eu une véritable volonté des offici-naux de créer un outil pouvant être accessible dans toutes les pharmacies et servant à la santé publique. C’est cette volonté partagée par toute la profession qui a permis que le DP voit le jour, sans oublier la participation financière importante de tous les pharmaciens d’officine, ce dont nous devons les remercier très chaleureusement.

AP : Le projet de loi de finan-

ces pour 2009 oblige les offi-

cines, entre autres, à collec-

ter gratuitement les déchets

d´activités de soins à risques

infectieux (DASRI) des particu-

liers. Un nouveau service pour

les patients ou une contrainte

de plus non rémunérée pour

les officinaux ?

J.-C. T. : Alors que nous som-mes en pleine négociation des modalités d’application du Grenelle de l’Environnement – phase 2 – avec le ministère de l’Écologie, il est curieux de constater que c’est à travers

un projet de loi de finances que certains ont essayé de régler la question de la collecte les DASRI alors que cette activité me semble relever directement de la santé et de la protection sanitaire. Pour notre part, nous avons toujours souhaité que l’officine participe à l’initiation de la collecte par la remise de containers et d’informations aux patients mais pas au-delà. Nous restons sur cette position car il ne nous paraît pas acceptable que la pharmacie soit le lieu où se croisent des déchets et des médicaments au mépris de la sécurité de dispensation et de la sécurité du personnel y tra-vaillant. La collecte des DASRI ne peut être envisagée exclusi-vement sous l’angle économi-que et financier mais doit faire l’objet d’un véritable consensus de l’ensemble des intervenants, respectant les obligations sani-taires et environnementales.

AP : Le législateur a égale-

ment instauré l’obligation de

prescriptions en dénomination

commune internationale (DCI)

pour les médicaments inscrits

au répertoire des génériques ?

Qu’en pense le président de la

section A de l’Ordre ?

J.-C. T. : C’est une mesure bien tardive et qui je le crains n’aura qu’un effet insignifiant sur la substitution qui, faut-il le répé-ter, ne serait rien sans l’impli-cation quotidienne de tous les pharmaciens, toutes sections confondues, qui en sont les véri-tables promoteurs et en restent les acteurs principaux.

Entretien

Pour Jean-Charles Tellier, le DP est le fruit

d’une volonté partagée par toute une profession

à

© D

R

5 actualités

Actualités pharmaceutiques n° 481 Janvier 2009

à partir

L a ministre de la Santé, Roselyne

Bachelot-Narquin, a annoncé la mise

en place, d’ici la fin du premier trimes-

tre 2009, d’un portail d’information publique

sur les médicaments. Elle honore ainsi l’en-

gagement qu’elle avait pris en octobre 2008

devant une mission parlementaire de ren-

dre disponible une base publique, unique

et gratuite d’informations sur les médica-

ments et les dispositifs médicaux.

La Direction de la Sécurité sociale (DSS),

la Direction générale de la santé (DGS),

la Direction de l’hospitalisation et de l’or-

ganisation des soins (DHOS), l’Agence fran-

çaise de sécurité sanitaire des produits de

santé (Afssaps), la Haute Autorité de santé

(HAS) et l’Union des caisses d’assurance

maladie (Uncam) ont, pour mener à bien

ce projet, signé, le 11 décembre 2008, une

convention de partenariat.

Ce portail, qui renverra aux données

des différentes instances responsables

(ministère de la Santé, Afssaps, HAS,

Uncam), a pour vocation de permettre aux

professionnels de santé

d’avoir un accès simpli-

fié à l’information publi-

que et au grand public de

bénéficier d’informations

validées.

Il sera accessible à partir de deux adres-

ses : www . medicfrance.sante.gouv.fr et

www.portailmedicaments.sante.gouv.fr. �

Élisa Derrien

Internet

Un portail d’information publique sur les médicaments bientôt disponible

AP : L’Ordre a été l’objet de

perquisitions de la part des ser-

vices de la Commission euro-

péenne. Avez-vous un com-

mentaire sur la méthode ?

J.-C. T. : La méthode est détesta-ble et les circonstances qui l’ont accompagnée nous incitent à penser qu’au-delà de recherches ciblées, c’est bien l’activité et les missions de l’Ordre des pharma-ciens et des ordres professionnels en général qui sont remises en cause par la Commission euro-péenne. Nous ne pouvons que regretter de tels agissements qui ne font que renforcer, en France, la défiance à l’égard des recom-mandations européennes.

AP : Quelle sera l’attitude de

l’Ordre si, demain, des doc-

teurs en pharmacie travaillant

dans des parapharmacies

de Michel Édouard Leclerc

demandent une inscription ?

J.-C. T. : Nous devons rappeler que les inscriptions au tableau des pharmaciens des différentes sections sont liées à l’exercice de la pharmacie (production ou vente de médicaments) dans un établissement autorisé. Pour la dispensation au détail, ce lieu est une officine de pharmacie dispo-sant d’une licence ; les docteurs

en pharmacie salariés des para-pharmacies ne peuvent donc se prévaloir d’un lieu d’exercice per-mettant cette inscription.

AP : Pensez-vous que la France

pourra résister longtemps à

la pression de l’Europe et des

groupes financiers quant au

monopole pharmaceutique ?

J.-C. T. : Je crains plus l’ouver-ture du capital à des groupes financiers que l’éclatement du monopole pharmaceutique dans un avenir proche. En effet, quel serait l’intérêt pour ces grands investisseurs de voir la distribution pharmaceutique déréglementée dès lors qu’ils seraient en mesure de consti-tuer des chaînes de pharma-cies sans craintes de véritable concurrence ?

AP : Quelles évolutions vous

semblent nécessaires dans la

distribution du médicament ?

J.-C. T. : La distribution du médica-ment a déjà beaucoup changé au cours des vingt dernières années notamment par la part croissante des achats directs faits par le pharmacien d’officine essentiel-lement dans le secteur du médi-cament générique. Parallèlement, nos partenaires naturels que sont

les répartiteurs et les dépositaires ont su proposer des services com-plémentaires à leur activité princi-pale. Grace à tous ces facteurs, le pharmacien d’officine, souvent adhérent d’un groupement, est devenu un acheteur plus pertinent et plus averti, permettant à l’ave-nir l’évolution de la dispensation. La concurrence d’autres circuits (vente par internet) nous oblige à imaginer de nouvelles modalités par lesquelles nous devons à la fois préserver l’intérêt du patient, garantir la sécurité de la dispen-sation (problème des contre- façons) et en permettre un meilleur suivi (traçabilité du médicament, observance du traitement) ; c’est un véritable challenge que nous devons relever dans un futur très proche.

AP : Pensez-vous que c’est ce

qui va se produire ?

J.-C. T. : Je ne sais pas, en revan-che je suis tout à fait convaincu que si la profession ne s’orga-nise pas autour des propositions nécessaires que l’ensemble des organisations représentatives (Ordre, syndicats, groupements, etc.) initiera, notre système de distribution du médicament, tel que nous le connaissons, risque de devenir très vite obsolète.

AP : Que peut-on souhaiter à

l’officine française pour cette

nouvelle année ?

J.-C. T. : Je serais tenté de dire qu’on la laisse travailler ! Avec le DP, les officinaux disposent désormais d’un outil qui sécu-rise la dispensation, avec le site Internet eQo (Évaluation de la qualité à l’officine), ils renforce-ront la qualité de leur exercice. Ces deux initiatives montrent combien les pharmaciens d’of-ficine français s’impliquent dans leur mission de santé publique. Mission d’autant mieux accom-plie que la répartition des offici-nes françaises est un exemple dont beaucoup de pays euro-péens pourraient s’inspirer.Souhaitons à l’officine française d’être un exemple pour la dis-pensation du médicament en Europe, plutôt que d’apparaître comme une survivance du passé contrainte de s’aligner sur des circuits pharmaceutiques moins performants. �

Propos recueillis par

Sébastien Faure

Maître de conférences des Universités, Faculté

de pharmacie, Angers (49)

[email protected]