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Cami (1884-1958)

Fondateur du jounal Le Petit Corbillard illustré, organe corporatif et humoristique des Pompes funèbres, collaborateur de plusieurs périodiques dont Le Journal où il tient la rubrique créée par Alphonse Allais, " La vie drôle puis à partir de 1933, de L'Illustration où paraît la "Semaine camique Cami publie Pour lire sous la douche, en 1913, premier recueil de ses textes. De nom- breux autres suivront jusqu'à la consécration qu'est le Grand Prix d'humour international qu'il obtient en 1953.

« L'humour est une langue internationale, une sorte d'espéranto. Aussi, malgré les différences de vocabulaire ceux qui possèdent ce sixième sens se reconnaissent-ils tout de suite. »

C.

En c o u v e r t u r e :

Le Jongleur,

© J u l i e t t e G o r g e s

arléa 8, rue de l'Odéon, 75006 Paris

POUR LIRE SOUS LA DOUCHE

Pierre Cami

POUR LIRE SOUS LA DOUCHE

arléa

Ce titre est le troisième de la collection " Les grands humoristes "

ISBN 2-86959-128-4 © Mars 1992 - Arléa

Édition originale: Flammarion, 1928

Pierre Cami, plus connu sous le seul nom de Cami, est né à Pau en 1884. Renonçant à l'idée de devenir torero, il se tourne vers la scène. En 1903, il

vient à Paris suivre le cours de Maurice de Féraudy

au Conservatoire. Malgré un échec au concours, il

obtient quelques rôles au théâtre de l'Odéon, aux

Capucines et au Théâtre Mondain.

En 1910, il fonde et rédige un journal qui

n'aura que sept numéros, Le Petit Corbil lard

illustré, o rgane corpora t i f et humor is t ique

des Pompes funèbres, qui s'adresse aux membres

de cette corporation réputée pour sa joyeuse humeur. L'année suivante, Paul Reboux et Charles Müller

(auteurs de A la maniè re de... et dédicataires de

Pour lire sous la douche) l'appellent au Jour-

nal, et lui confient la rubrique créée par Alphonse

Allais quelques années plus tôt : "La vie drôle ". Il

y restera jusqu'en 1934. Il collabore par ailleurs au Petit Parisien, à L'Excelsior, au Rire, à Paris-

Soir, à Fantasio, à L ' H u m o u r et à L'Illustra-

t ion où paraît, à partir de 1933, la " Semaine camique ".

Il rassemble ses meilleurs textes en recueils, Pour lire sous la douche, en 1913 et L ' H o m m e à la

tête d'épingle, en 1914. Après la guerre, suivent d'autres recueils de fantaisie, comme Les Amours de Mathusalem, en 1925, Les Aventures de

Loufock-Holmès, en 1926, des romans, Le Juge- m e n t dern ier et La Famille Rikiki, en 1928, Le

Scaphandrier de la T o u r Eiffel, en 1929, des chansons, des revues, des scénarios, des bandes- dessinées...

Son dernier livre, Les Farfelus, r o m a n

camique, date de 1951. En 1953, il reçoit le Grand Prix d'humour international.

Fondateur de l'Académie de l'humour, Cami est mort en 1958.

A Paul Reboux et Charles Müller

T A R D I V E R É V É L A T I O N

Drame en un acte dont un prologue

PROLOGUE

L ' e n f a n t d u p é c h é

Devant le château féodal

LE-SEIGNEUR. - J e dissimule sous m a s o m b r e cape le fruit des coupables amours de m a noble compagne. Ce fils de l 'adul tère doi t dis- p a r a î t r e . (Il aperçoit un manant . ) H o l à m a n a n t !

LE-MANANT. - Votre seigneurie désire ?

LE-SEIGNEUR. - Quel est t o n métier , m a n a n t ?

LE-MANANT. - J e suis commissionnaire .

LE-SEIGNEUR. - Ça t o m b e à pic ! J e vais te charger d ' une commiss ion : p rends cet enfan t et cours le j e te r à l 'eau. J 'y aurais b ien été moi-même, mais la rivière est assez éloignée et je m e sens u n peu fatigué ce soir.

LE-MANANT. - Le fait est que nous avons eu une chaleur accablante cet après-midi.

LE-SEIGNEUR. - Allons ! Prends ces écus, et dépêche-toi. Ah ! j'oubliais : attache-lui une lourde pierre autour du cou.

LE-MANANT. - Oh ! ce n'est pas la peine. Il ne sait sûrement pas nager, à son âge.

LE-SEIGNEUR. - Fais ce que je te dis ! (A part) Ce manant ignore que cet enfant est le fils d'un plongeur de restaurant... et alors, par atavisme... on ne sait jamais.

PREMIER ET DERNIER ACTE

L'aveu

Vingt ans après. - Dans la demeure du manant

LE-MANANT, sur son lit d'agonie. - Approche un peu, Isabelle, je sens que mon dernier soupir arrive à grands pas. Je vais te révéler le mys- tère de ta naissance. Il y a de cela vingt ans (comme le temps passe !) un riche seigneur me chargea de noyer un enfant. Mais je n'eus pas le courage d'accomplir ce crime atroce. Le pauvre innocent était si mignon dans ses petits langes que je résolus de l'adopter. Seu- lement, pour mieux le cacher et le soustraire à toutes recherches, j'eus l'idée géniale de le travestir en fille. L'enfant grandit ainsi, vêtu d'habits féminins, dans la complète ignorance de son véritable sexe. Et cet enfant, Isabelle,

c'était toi ! Oui, apprends-le aujourd'hui : ma fille, tu es un garçon !

ISABELLE, s'effondrant. - Enfer et damnation ! Vous ne pouviez pas m'avertir plus tôt ?... J'ai un amant !!!

RIDEAU

UN HOMME INCORRIGIBLE

Drame conjugal de terre et de mer

PREMIER TABLEAU

La rent rée d u mar i

La scène se passe à huit heures du matin

MADAME, à la fenêtre. - Huit heures. Mon mari n'est pas encore rentré. (Elle inspecte l'ho- rizon avec une lunette d'approche.) Depuis que nous sommes mariés, cet homme découche

régulièrement sept fois par semaine. (Elle ins- pecte de nouveau l'horizon. ) Ah ! voilà sa brouette ! Encore une idée à lui de ne jamais découcher sans sa brouette, pour qu'on puisse le ramener facilement lorsqu'il est ivre. Préparons sa réception. (Elle pose une pile d'as- siettes et quelques meubles à portée de sa main. - La brouette, contenant le mari, fait son entrée dans le salon, traînée par un ami dévoué. )

L'AMI-DÉVOUÉ, à voix basse. - Ne le réveillez

pas ; il dort comme un ange. (Il sort sur la pointe des pieds. - Sans tenir compte de cet avis cha- ritable, Madame lance sur l'ange de la brouette une douzaine d'assiettes. - L'ange ne se réveille pas.)

MADAME. - Puisque la persuation ne suffit pas, employons la violence. (Elle lance sur le dormeur une potiche, un guéridon et une pendule Empire. )

MONSIEUR, se réveillant. - On ne peut pas dor- mir tranquille ; c'est insupportable ! (Se révol- tant) Mais cela va changer, Madame ! Nous partirons, demain, pour l'Hindoustan !

MADAME. - Pour l'Hindoustan ?

MONSIEUR. - J'ai dit. Faites nos malles. (Il se rendort dans sa brouette. - Madame prépare ses malles. )

DEUXIÈME TABLEAU

Perdus en m e r

La scène représente la mer en furie. Cramponnés à une bouée de sauvetage,

Monsieur et Madame sont ballottés par les flots

MADAME. - A présent que le paquebot qui nous conduisait dans l'Hindoustan a fait nau-

frage, me diras-tu pourquoi nous allions dans ce pays ?

MONSIEUR. - Petite curieuse !

MADAME. - Parle, je t'en prie.

MONSIEUR. - Soit : j'avais l'intention de nous faire naturaliser Hindous.

MADAME. - Hindous ?

MONSIEUR. - Oui. De cette façon, tu aurais été obligée de me laisser découcher tran- quillement. Plus de scènes ; plus de cris. Tu aurais tout fait pour prolonger mon existence et me la rendre agréable.

MADAME. - Pourquoi ?

MONSIEUR. - Dans ce pays, après la mort de leurs maris, les veuves sont brûlées vives ! (A ce moment, une baleine avale Monsieur, Madame et la bouée.)

TROISIÈME TABLEAU

Dans le vent re de la ba le ine

La scène représente un intérieur confortable de baleine

MONSIEUR, entrant. - Nous voici dans le ventre d'une baleine, comme Jaurès.

MADAME, rectifiant. - Jonas.

MONSIEUR. - C'est possible. Je suis très fati- gué ; dormons. (Monsieur et Madame se couchent. - Au bout d'un moment, Monsieur, que le tic-tac du cœur de la baleine empêche de dormir, cherche un autre endroit pour se reposer. Pendant ses recherches, la baleine ouvre la bouche pour bâil- ler. Monsieur tombe à la mer. - Madame n'a rien

entendu et dort profondément. )

QUATRIÈME TABLEAU

Le réveil de m a d a m e

Même décor d'intérieur confortable de baleine

MADAME, se réveillant le lendemain matin et constatant l'absence de son mari. - Cet homme

est incorrigible ! Il a encore découché !

RIDEAU

LA VENGEANCE DE DON JOSE

Suite et fin de l'opéra-comique Carmen

PREMIER ACTE

Le r e t o u r du forçat

DON-JOSE, franchissant les portes de Séville. - Me voici arrivé. Tremble, Escamillo ! toi pour qui j'ai tué Carmen, tremble ! Voilà trente-neuf ans, si j'ai bonne mémoire, que j'expie mon crime dans les bagnes espagnols. J'ai réussi à m'évader. Pour ne pas être reconnu, j'ai laissé pousser mes ongles. Je suis tranquille. (Accos- tant un jeune Sévillan) Dis-moi, l'ami, que devient le célèbre toréador Escamillo ?

LE-JEUNE-SÉVILLAN. - Il donnera sa corrida de retraite dimanche prochain. On fêtera, par la même occasion, son soixante-quinzième anni- versaire.

DON-JOSE. – Il mate encore, à son âge ?

LE-JEUNE-SÉVILLAN. - Oui, mais son accident l'a beaucoup affaibli.

DON-JOSE. - Quel accident ? Parle, jeune Sévillan.

LE-JEUNE-SÉVILLAN. - Il y a six ans, il eut le ventre ouvert d'un coup de corne. Depuis il porte un ventre en fer-blanc.

DON-JOSE, dans un rugissement de joie terrible. - En fer-blanc ! (Le jeune Sévillan se sauve, épou- vanté.) Tremble, Escamillo ! Je tiens ma ven- geance !

DEUXIÈME ACTE

Le toril

LE-GARDIEN-DU-TORIL. - J'attends l'homme qui m'a promis mille pesetas pour le laisser péné- trer dans le toril. Le voici.

DON-JOSE, entrant. - Tout est prêt ? Le tau- reau que doit tuer demain Escamillo est-il immobilisé ?

LE-GARDIEN-DU-TORIL - Selon vos instructions, j'ai glissé sous ses pieds du papier attrape- mouches. Il ne peut bouger. Soyez sans crainte.

DON-JOSE. - Alors, entrons. (Ils pénètrent dans le toril. Don Jose tire une scie de dessous sa cape et scie les cornes du taureau. ) Là. Maintenant, faites chauffer la colle. (Le gardien obéit. Don Jose tire encore de dessous sa cape une paire de

NARCISSE. - Justement, cette profession- là,bien plus que l'autre, m'oblige à un cer- tain décorum, à une certaine discrétion dans ma vie privée.

MIMI. - Oh ! là là !... tu sais, si tu regrettes, faut le dire !... C'est pas moi qui suis venue te chercher !

NARCISSE. – Là ! ne te fâche pas !... Je ne regrette rien, tu le sais bien !... La preuve : est-ce que je t'ai empêchée de faire du théâtre, depuis notre mariage ?

MIMI. - J'aurais voulu voir ça !... NARCISSE. - Au contraire !... Je cherche à te

faire arriver ! Qui est-ce qui t'a fait donner le rôle de Cupidon, dans la prochaine revue ? C'est Narcisse !

MIMI. - Je commence à le savoir ! NARCISSE. - Qui est-ce qui a trouvé ton nom

de théâtre : Mimi Framboise ? C'est Nar- cisse !

MIMI. - Oh ! tu sais, faut pas être de l'Aca- démie, pour trouver ça !

NARCISSE. - N'empêche que ça fait mieux sur l'affiche que Virginie Bouzin, ton nom de famille !

MIMI. - D'abord, je te défends de charrier ma famille ! Et puis, tu sais, Virginie Bouzin, ça vaut bien Narcisse Grelot !

NARCISSE. - Là ! Ne t'emballe pas !... Quelle soupe au lait !...

MIMI. - C'est vrai aussi, tu m'énerves !... Ce que tu peux te faire valoir, toi !...

NARCISSE. - Non, mais je constate simple-

ment que je n'ai rien fait pour entraver ta vocation... Et qui est-ce encore qui a sacrifié toutes ses économies pour meubler un gentil petit entresol à sa future étoile ? C'est Nar- cisse ! toujours Narcisse !

MIMI, le contrefaisant. - Et qui est-ce qui va arriver en retard à son travail ? C'est Nar- cisse !

NARCISSE, consultant la pendule. - C'est vrai, il faut que je me prépare... (S'étirant) Ah ! quelle flemme ! Aller travailler quand on est si bien ici, en pantoufles, et en robe de chambre dans notre petit nid ! Enfin ! c'est la vie. (Il se lève et se dirige vers la porte de la chambre à coucher.) Dis donc, pendant que je m'habille, ne perds pas de temps, répète ta chanson de Cupidon. Je laisse la porte ouverte... je t'écoute... Vas-y, mon coco !... (Il entre dans la chambre.)

MIMI. - Depuis le commencement ? NARCISSE, de la chambre. - Oui ! Vas-y !... MIMI, chantant

Cupidon, quand vient le printemps, Prend son carquois et se dépêche De viser les cœurs de vingt ans Pour les transpercer de ses flèches ! Aussi, dès le doux mois d'Avril, Grâce au pouvoir de ses fléchettes, Regardez, que se passe-t-il ? La nature entière est en fête ! Le soleil verse la gaîté ! Tout est amour et volupté !...

NARCISSE, entrant, habillé en cocher de corbil-

lard, bicorne en tête et fouet en main. – Bravo ! parfait ! Et maintenant, au refrain !

Les pinsons, les merles, les fauvettes, Chantent tous en chœur leur chansonnette ! Les fleurs sentent bon, et le ciel est bleu ! C'est la fête des amoureux ! Et, le soir, enlacés sous la lune, Chacun passe, embrassant sa chacune, Du bois de Bagneux au bois de Meudon, C'est la fête de Cupidon ! Aïe donc !...

NARCISSE. - Ça ira !... Mais surtout bien chaud ! bien gai ! bien parisien !... (Il chante.)

C'est la fête de Cupidon ! Aïe donc !...

Et ne crains pas de lever la jambe sur le Aïe donc ! Ça fera un gros effet ! Bien coquin! bien polisson!... (Il lève la jambe.) Aïe donc !...

MIMI. - J'ai pigé... (Chantant)

C'est la fête de Cupidon ! Aïe donc !...

(Elle lève la jambe.)

NARCISSE. - Ça y est !... Je te prédis un de ces tabacs !... Vite, le couplet, maintenant.

MIMI. - Mais tu vas te mettre en retard !...

NARCISSE. - T'en fais pas pour le client !... S'il est pressé, il n'a qu'à partir en avant !... Allez ! vas-y !...

MIMI, chantant

Les hommes, les femm's, les animaux Recherchent l'amour qui les grise ! Et même au Pôl'Nord, l'Esquimau Fête Vénus sur les banquises ! Tout se transforme en un moment Tous les cœurs deviennent de braise !

L'amour frappe indifféremment, Ministre ou rempailleur de chaise ! Dans l'eau, dans l'air, dans les buissons, Tout est amour ! tout est frissons !

Refrain

Les saumons, les merlans, les crevettes, Chantent tous en chœur leur chansonnette ! La brebis fait : bèe ! le taureau fait : meuh ! C'est la fête des amoureux ! Et, le soir, enlacés sous la lune, Chacun tout bas dit à sa chacune, «Je t'aime... veux-tu ? »... - Mais oui, vas-y donc ! C'est la fête de Cupidon ! Aïe donc !

NARCISSE. - Ça ira !... Mais je file !... A bien- tôt, m a chérie !... Et travaille-moi bien ce

« Aïe donc ! » Bien chaud, b ien gai, b ien cochon !... (Il fredonne en levant la jambe .) Aïe donc ! (Il sort.)

S c è n e II

MIMI FRAMBOISE, seule. - Enfin seule !... Ce

qu'il peut m e canuler avec ses conseils ! Quel c râneur !... S'il s ' imagine que c'est p o u r son

bicorne que je l'aime, il se fourre le fouet dans l'œil jusqu'au manche ! S'il n'était pas contrôleur aux Folies, le soir, je ne me serais jamais mariée avec lui !... Seulement, au théâtre, pour arriver, il faut des protections ! Mais patience !... Quand je tiendrai le bon bout, ce que je le laisserai tomber ! Zut ! On étouffe ici !... Ce qu'il peut enfumer l'ap- partement avec sa sale pipe !... Quelle taba- gie !... (Elle va ouvrir la grande fenêtre du fond.) Ouf ! un peu d'air !... Ah ça fait du bien ! (On sonne.) C'est comme une bonne, voilà six mois qu'il m'en promet une ! En attendant, c'est moi qui suis obligée d'aller ouvrir ! C'est gai! (On resonne.) Mais attends un peu mon vieux, quand j'aurai seulement la situa- tion de Mistinguett, ça changera. (Elle sort pour aller ouvrir.)

VOIX DE GUY-GONTRAN, dans le vestibule. - Mademoiselle Mimi-Framboise ?

VOIX DE MIMI. - C'est ici, monsieur... Don- nez-vous la peine d'entrer !

Scène III

MIMI, GUY-GONTRAN

GUY-GONTRAN, entrant avec un énorme bouquet à la main. - Mademoiselle Mimi Framboise est-elle... (Reconnaissant soudain Mimi) Oh ! excusez-moi, Mademoiselle, dans la demi- obscurité du vestibule, je ne vous avais pas reconnue !

MIMI, gênée. - Oh ! d'habitude c'est la femme de la chambre qui ouvre, comme de juste, mais je l'ai renvoyée hier soir !... Ah ! ce qu'on peut avoir du mal à se faire ser- vir !... C'est rien de le dire... Enfin !... Mais

que désirez-vous, Monsieur ? GUY-GONTRAN. - Mademoiselle... Je suis vrai-

ment confus... excusez-moi... de me présen- ter ainsi... à l'improviste... mais je ne pouvais plus y tenir... Veuillez accepter ce bouquet.

MIMI. - Mais, Monsieur, je ne vous connais pas !

GUY-GONTRAN. - C'est juste... permettez que je me présente : Guy-Gontran de la Cail- lette... votre admirateur...

MIMI, éblouie. - Ah !... Vous êtes noble ? GUY-GONTRAN. - Vicomte de la Caillette,

pour vous servir.

MIMI, avec empressement. - Veuillez prendre la peine de vous asseoir, Monsieur le vicomte.

GUY-GONTRAN. - Pardonnez mon émotion, Mademoiselle... mais je suis si timide... jamais je n'aurais cru avoir le courage de venir... et pourtant, je suis là... chez vous... près de vous...

MIMI. - Mais, Monsieur le vicomte...

GUY-GONTRAN. - Depuis que je vous ai vue aux Folies, dans le défilé des Nues-proprié- tés... je ne vis plus... je ne pense qu'à vous !

MIMI. - Mais... Monsieur le vicomte...

GUY-GONTRAN. - Je suis retourné vingt-sept

fois en suivant, voir la Revue... Cuisses en folie ! exprès pour contempler votre corps de déesse !... Chaque soir, je brûlais d'envie d'al- ler vous présenter mes hommages dans votre loge... Mais ma terrible timidité m'em- pêchait toujours de mettre mon doux projet à exécution... Enfin, n'y tenant plus... j'ai réussi, par la concierge du théâtre, à me pro- curer votre adresse, car il m'a semblé que je serais moins intimidé ici, chez vous, loin du bruit des coulisses, pour vous déclarer mon amour... pour vous dire...

MIMI. - Mais... pour qui me prenez-vous, Monsieur le vicomte ?

GUY-GONTRAN. - Pour la plus belle et la plus exquise des femmes, pour celle...

MIMI. - Ignorez-vous donc que je suis mariée ?

GUY-GONTRAN, sceptique. - Oh ! mariée... on dit ça !... Je comprends, vous avez sans doute un monsieur d'un certain âge qui...

MIMI. - Je vous assure... GUY-GONTRAN. - Mais soit dit sans vous

froisser, vous n'êtes pas ici dans le cadre qui convient à votre beauté !... Un bijou comme vous, ma divine, a besoin d'un écrin luxueux pour briller de tout son éclat ! Et cet écrin, me permettez-vous de vous l'offrir sous la forme d'un petit hôtel particulier... où je pourrai vous admirer, si vous voulez bien me le permettre ?...

MIMI. - Vrai, Monsieur le vicomte, vous m'estomaquez !...

GUY-GONTRAN. - Non ! Non !... ce modeste

entresol n'est pas digne de vous abriter ! Votre protecteur n'est qu'un vieux grigou... qui veut profiter de vos charmes à bon compte !

MIMI. - Mais non... mon mari...

GUY-GONTRAN, apercevant une paire de bottes. - Tiens ! Quelle étrange paire de bottes !...

MIMI, gênée. - Ce sont les siennes... il fait du cheval !

GUY-GONTRAN. - Oui, je devine... quelque gentilhomme campagnard... mais, sapristi ! Quelles drôles de bottes !...

MIMI. - Oh ! vous savez, c'est un original !... GUY-GONTRAN. - Je n'en ai jamais vu de

pareilles au Bois !... Je parie qu'il ne vous a même pas offert une auto ?

MIMI, gênée. - Il n'aime pas beaucoup l'auto, il préfère la voiture à chevaux !...

GUY-GONTRAN. - Et il vous emmène quel- quefois dans sa voiture ?

MIMI. - Ah ! non, par exemple !... GUY-GONTRAN. - C'est un égoïste !... Je le

disais bien !... Ah ! Mimi Framboise... si vous vouliez m'aimer, je vous conduirais en mail- coach, en auto !... (Apercevant un portrait sur la cheminée) Tiens ! ce portrait en buste... c'est lui, sans doute ?

MIMI, à part. - Zut ! Sa photo en cocher ! GUY-GONTRAN, mettant son monocle et regar-

dant la photo. - Ah ! non, c'est un artiste de cinéma...

MIMI. - Mais... non... pourquoi ?... GUY-GONTRAN. - Je croyais, comme il est

déguisé en Napoléon !... MIMI, bafouillant. - Ah ! oui... oui... c'est

vrai... en Napoléon... C'est un souvenir... C'est mon mari, un soir de mi-carême, au bal de l'Opéra...

GUY-GONTRAN. - Je l'aurais cru plus âgé... mais cette autre photo... c'est encore lui ? (Il regarde la deuxième photo. )

MIMI, à part. – Sa photo en contrôleur, maintenant !

GUY-GONTRAN. – Quelle dégaine !... Tout à fait le gentilhomme campagnard. On voit bien qu'il n'a pas l'habitude de porter l'habit tous les jours !...

MIMI. - Mais... il le porte souvent, tous les soirs !

GUY-GONTRAN. - Ah ! il va souvent en soi-

rée ?... Je ne l'ai jamais rencontré... MIMI. - Oui... au théâtre surtout... Il aime

beaucoup le théâtre ! GUY-GONTRAN, poussant soudain un cri de sur-

prise. - Ah ! çà, par exemple ! MIMI. - Quoi ? GUY-GONTRAN. - Excusez-moi... mes yeux

par hasard, viennent de tomber sur cette ardoise posée sur la cheminée... et si je ne craignais pas d'être indiscret... je vous demanderais ce que cela signifie ?

MIMI, à part. - Allons, crotte ! (Haut) L'ardoise ?... Ah ?... oui... l'ardoise...

GUY-GONTRAN, lisant sur l'ardoise :

Aujourd-hui : 10 heures 1/2 : Père Lachaise ; Midi 1/4 :

cimetière Montmartre ; 2 heures : cimetière de Bagnole t ; 5 heures 1/4 : cimetière Mont- parnasse...

MIMI, à part. - Je ne peux pourtant pas lui dire...

GUY-GONTRAN, retournant l'ardoise et lisant :

Demain :

9 heures 1/2: Père Lachaise; 11 heures: Idem ; 3 heures : four crématoire ; 5 heures : cimetière de Pantin.

C'est vous qui avez écrit tout ça ?... MIMI, bafouillant. - Pensez-vous !... non...

C'est mon mari... pour ses rendez-vous... GUY-GONTRAN. - Ah ! votre... enfin, ce mon-

sieur... donne ses rendez-vous dans les cime- tières ?

MIMI. - Non... c'est-à-dire... c'est l'heure des enterrements...

GUY-GONTRAN, ahuri. - Auxquels il doit assis- ter ?

MIMI, bafouillant. - C'est ça... oui... Il a beaucoup de relations... énormément de relations... Alors, vous comprenez... il y en a chaque jour qui disparaissent... évidemment c'est la vie... voilà !...

GUY-GONTRAN, stupéfait. - C'est pas pos- sible !... Il y a une épidémie dans ses rela- tions ! Quelle hécatombe, mes aïeux !...

MIMI. - Oh ! vous savez... c'est un hasard...

ça se trouve comme ça... ces jours-ci...

GUY-GONTRAN. - Mais il passe toutes ses journées à l'enterrement ?... C'est fou !... Il doit être éreinté, le soir !...

MIMI, étourdiment. - Oh ! lui ne s'en fait pas !... Ce sont plutôt les chevaux !...

GUY-GONTRAN, sursautant. - Comment ? Il suit les enterrements à cheval ?

MIMI. - Non... bien sûr... je veux dire... GUY-GONTRAN. - Ah !... oui... en voiture !... Il

suit en voiture ?

MIMI. - Oui, c'est ça !... alors... ça le fatigue moins... n'est-ce pas ?

GUY-GONTRAN. - Drôle de type !... Et pen- dant ce temps, vous languissez dans ce triste logis !... Ah ! Mimi Framboise, pauvre fleur délaissée, ne me repoussez pas !... laissez-moi faire de vous la plus heureuse, la plus choyée des maîtresse !

MIMI. - Oh ! Monsieur le vicomte !

GUY-GONTRAN. - Ne m'appelez pas vicomte ! Appelez-moi Guy-Gontran... voulez-vous ?... Votre petit Guy-Gontran ?

MIMI. - C'est gentil, ce nom !... GUY-GONTRAN. - Il vous plaît ?... O bonheur

sans mélange !... Puis-je donc espérer ?... MIMI. - Hélas ! je suis mariée !...

GUY-GONTRAN. - Comment , c 'est vrai ?...

Vous êtes mar iée ?... Ce n ' e s t pas u n e

blague ?

MIMI. - Puisque j e vous le dis ! Et c 'est m ê m e très impruden t d ' ê t r e venu c o m m e ça... Si m o n mar i rentrait . . .

GUY-GONTRAN, subitement craintif. - C'est

vrai... vous avez raison... je ne veux pas vous c o m p r o m e t t r e !... La concierge des Folies ne m'avai t pas averti que vous étiez mar iée !... Il est... violent, votre mar i ?

MIMI. - Oui... assez... mais... ne vous pres- sez pas... il n 'es t pas prê t de revenir... il est à l 'enterrement. . .

GUY-GONTRAN. - Oui... évidemment . . . mais

s'il n ' a l la i t pas j u s q u ' a u c ime t i è r e , p a r hasard ?

MIMI. - O h ! ça, c 'est impossible !...

GUY-GONTRAN. - Vous croyez ?

MIMI. - J ' e n suis sûre ! ... Il va toujours jus- qu 'au bou t !... (Coquette) Ne craignez rien... vous pouvez res ter encore u n pet i t peu... p o u r m e tenir compagnie. . .

GUY-GONTRAN. - O h ! J e ne crains rien, ado- rable Mimi !... Seulement, à cause de m o n

nom.. . J e dois éviter le scandale, nous

devons être prudents !... Q u a n d j e pense que vous êtes vér i tablement mariée, et que j 'au- rais pu t o m b e r sur votre mar i !... Quelle situation !

MIMI. - O h ! vous savez, on t rouve u n e

blague, on s 'en tire toujours !... Vous auriez

dit que vous vous étiez trompé d'étage, quoi ! Ça peut arriver !...

GUY-GONTRAN. - Oui, évidemment... mais je suis si timide, si extraordinairement timide !...

MIMI. - Pourtant, vous avez bien eu le cou- rage de monter.

GUY-GONTRAN. - Oh ! il s'en est fallu de peu ! que je ne monte pas encore aujour- d'hui. Pensez ! Voilà huit jours que je viens chaque matin avec un bouquet devant votre maison, et que chaque matin je retourne chez moi, avec mon bouquet sans avoir eu le courage de sonner à votre porte.

MIMI. - Mais pourquoi aujourd'hui, alors ? GUY-GONTRAN. - Parce que je vous ai aper-

çue au moment où vous ouvriez la fenêtre. Alors, cette adorable vision m'a donné du courage... et me voilà !... Ah ! Mimi !... Mimi Framboise !... Dites-moi que vous n'aimez pas votre mari ?

MIMI. - Oh ! évidemment ce n'est pas de la rage ! C'est plutôt comme on dit : un mariage de raison !

GUY-GONTRAN. - O Mimi !... ça me fait du bien ce que vous me dites là !...

MIMI. - Qu'est-ce que vous voulez, il avait des relations, dans le théâtre... alors, pour arriver... il faut faire des sacrifices, pas vrai ?

GUY-GONTRAN. - Mais moi aussi !... j'en ai des relations, si vous voulez bien m'aimer un peu, je vous pousserai aussi, ma Mimi, ma Framboise adorée!... (Il l'enlace.)

MIMI. - Oh ! le vilain petit fou ! GUY-GONTRAN. - Tu verras, on sera heu-

reux !... Puisque tu es mariée, tu viendras me voir dans mon rez-de-chaussée... Je t'aime Mimi !... (Il l'embrasse. )

MIMI. - Oh ! vous me chatouillez, vicomte !

GUY-GONTRAN. – Appelle-moi Guy-Gontran. MIMI. - Oh ! vous savez bien parler au

cœur des femmes, vous !... Je sens que vous me feriez faire des bêtises !...

Guy-Gontran. - Appelle-moi Guy-Gon- tran !

MIMI, d'une voix pâmée. - Guy-Gontran ! (Ils s'embrassent longuement.)

(Pendant qu'ils s'embrassent sur le canapé, on voit passer, devant la fenêtre ouverte, Narcisse sur le siège de son corbillard, dont on n'aperçoit que les panaches. Il tourne lentement la tête en souriant vers la chambre, mais soudain, ses yeux s'écar- quillent en apercevant Guy-Gontran et Mimi ten- drement enlacés sur le canapé. Il arrête net ses che- vaux et se dresse sur son siège, face aux coupables. )

NARCISSE. - N... de D... !

MIMI, sursautant et l'apercevant. - Narcisse ! GUY-GONTRAN. - Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? MIMI. – Mon mari !... j'avais oublié la

fenêtre !

NARCISSE. - Ah ! les cochons ! GUY-GONTRAN, à Mimi. - Fermez la fenêtre !

(A part) C'était un cocher de corbillard !

NARCISSE, à Mimi qui se dirige vers la fenêtre. -

Laissez la fenêtre, femme adultère ! ou gare le fouet !

VOIX-DE-L'ORDONNATEUR. - Qu'est-ce qu'il y a ? Voyons, qu'est-ce qui se passe ?

NARCISSE. - Ce qui se passe ? Ce qui se passes ? Ce qui se passe ? Montez un peu ici, Monsieur l'ordonnateur ! Vous allez voir ce qui se passe ! Ah ! les salauds !...

GUY-GONTRAN, à part. - Quelle situation pour un La Caillette !

L'ORDONNATEUR, montant sur le siège près de Narcisse. - Eh bien, voyons !... quoi ? Qu'y a-t- il ? Êtes-vous fou, Grelot ?

NARCISSE. - Non, mais je suis cocu, Mon- sieur l'ordonnateur ! Tout ce qu'il y a de plus cocu ! Regardez !... Ma femme que je viens de surprendre avec un type sur mon canapé !... Montez ! Montez aussi, Monsieur le commissaire des Morts !

GUY-GONTRAN. - Un La Caillette... dans cette situation !...

NARCISSE, au commissaire des Morts, qui vient de monter sur le siège à son tour. - Tenez, Mon- sieur le commissaire, constatez le flagrant délit d'adultère ! Constatez !

LE-COMMISSAIRE-DES-MORTS, vexé. – Il n'entre pas dans mes fonctions de constater les fla- grants délits d'adultère !

(On entend des murmures dans la rue et des trompes d'autos.)

L'ORDONNATEUR. - Quel scandale sans pré- cédent !... Voyons, cocher, en route !...

NARCISSE. - En route !... Et laisser ma femme avec son amant ?... Jamais entendez- vous, jamais !...

LE-COMMISSAIRE-DES-MORTS. - Allons ! calmez-

vous !... et partons !... Ces messieurs de la famille s'impatientent !...

NARCISSE. - S'ils sont pressés, ils n'ont qu'à courir !... ces messieurs de la famille !... Je voudrais bien les voir à ma place !... Ah ! la garce !... Quand je pense que je me faisais une véritable fête de conduire le corbillard

par cette rue, pour pouvoir lui envoyer un baiser en passant !... Je pensais lui faire une bonne surprise !... et qu'est-ce que j'aper- çois ? Madame en train de se faire sucer la pomme par un gigolo ! Ah ! les chameaux !

(Bruits divers dans la rue. Protestations. Rires. Trompes d'autos.)

L'ORDONNATEUR. - C'est fou !... Grelot, je vous somme de prendre les guides !

NARCISSE. - Foutez-moi la paix !... Quand je pense à tout ce que j'ai fait pour elle !... Une petite marcheuse des Folies-Bergère, mes- sieurs, mesdames, qui savait juste exhiber ses fesses dans les défilés, et que je m'épuisais à faire travailler pour en faire une étoile !... Une femme qui me doit tout ! Pour qui j'ai trouvé le pseudonyme de Mimi Framboise ! Une femme à qui ce matin encore, je faisais répéter ses couplets de Cupidon ! Quand je pense, pauvre poireau que je suis ! que je me desséchai la gorge pour lui faire chanter ça bien chaud, bien gai, bien parisien !...

(Il chante)

C'est la fête de Cupidon !... Aïe donc !...

(Il lève la jambe, perd l'équilibre, se raccroche à l'ordonnateur qui chancelle et se raccroche au commissaire des Morts. Bruits, vacarme dans la

rue. Trompes d'autos.)

LE-COMMISSAIRE-DES-MORTS. - Quel le situa- t ion !... L ' en t e r r emen t ba r re toute la rue et arrê te la circulation !...

NARCISSE. - Et qu'a-t-elle à m e rep rocher ? J e vous le demande , mesdames , messieurs ?

Si encore j 'é tais u n sale type, gr incheux et pas galant avec les dames, ça se compren- drai t ! Mais je p e u x le dire sans m e vanter, p o u r ce qui est de la bagatelle, j e suis u n peu là !... et p o u r la rigolade, j e ne crains per- sonne ! alors pourquo i m'as-tu fait ça ? dis, Mimi ? Pourquoi m'as-tu fait ça ?

MIMI. - Mais j e te jure , Narcisse... GUY-GONTRAN. - Un La Caillette !

L'ORDONNATEUR. - Pour la dernière fois,

cocher, je vous s o m m e de r ep rendre vos guides !

NARCISSE. - Merde !... Et puis, oui, tu as rai- son ! j e vais les r ep rend re ! Mais p o u r faire avancer la voiture sur le trottoir, près de la fenê t re . . . H u e ! dia !... A t t e n t i o n là-des-

sous !... H o p ! hop !... arrière, P o m p o n n e t t e ! Tou t doux, Bilboquet ! Stop !...

(Le corbillard vient se ranger contre la fenêtre.

Narcisse précipite en bas du siège l'ordonnateur et le commissaire des Morts qui veulent le retenir; enjambe la fenêtre et saute dans la chambre, fouet en main.)

MIMI. - Grâce ! pitié !... Ne me frappe pas !... Je vais t'expliquer !...

NARCISSE, le fouet levé. - Je ne sais pas ce qui me retient de te casser ce fouet sur les reins ! Messaline !

MIMI. - Je te jure qu'il n'y a rien eu !... GUY-GONTRAN, tremblant de tout son corps. -

Non... non... Monsieur... il n'y a rien eu... rien eu... parole de gentilhomme...

NARCISSE. - Non mais... il ne faudrait pas me prendre pour une poire ! Attends un peu, le beau frisé, je m'en vais te cingler un peu les fesses pour t'apprendre à te payer ma tête !...

(Guy-Gontran tourne autour du salon, poursuivi par Narcisse qui lui cingle les mollets.)

GUY-GONTRAN. - Au secours ! Au secours ! Il m'égorge !...

L'ORDONNATEUR, entrant avec le commissaire des Morts et un agent. - Voyons, Narcisse, voyons, du calme !... Monsieur l'agent, veuillez som- mer ce cocher de faire son devoir !...

L'AGENT. - Allons ! remontez sur votre

siège ! Obtempérez !... avant que je verba- lise ! Votre véhicule obstrue la voie publique et provoque des troubles circulatoires !

NARCISSE, s'asseyant. - Non ! je ne marche pas !... Si vous croyez qu'après ce que je

viens de voir, j'ai envie de remonter sur le siège !... Non ! j'ai pas le cœur à la rigo- lade !...

L'AGENT. - Alors, vous refusez d'obtempé- rer ?

NARCISSE. - Voyons, Monsieur l'agent, fran- chement, mettez-vous à ma place : si vous aviez surpris votre bourgeoise en train de se bécoter avec un type, auriez-vous le courage de conduire un corbillard ?

L'AGENT. - Ne nous égarons pas !... Votre raisonnement est oiseux et inconséquent, vu que, primo, je ne suis pas marié et que deuxio, les agents ne sont pas affectés à la conduite de ces véhicules pour lesquels vous êtes idoine.

L'ORDONNATEUR. - Allons, voyons, Grelot, mon cher Grelot !... Un bon mouvement !

Vous ne pouvez pas laisser plus longtemps le convoi en panne !

LE-COMMISSAIRE-DES-MORTS, diplomate. - Vous reviendrez après l'enterrement régler vos petites affaires de famille ! Mais, pour l'ins- tant, votre devoir est de remonter sur votre siège !...

NARCISSE. - Jamais !... Ah ! les saligauds ! Ici, dans mon petit nid ?

L'AGENT. – Allons, décidez-vous ou je verba- lise...

NARCISSE. – Non ! non ! et non !... (Désignant Guy-Gontran) Faites-lui conduire à lui, si vous voulez, moi, y a rien à faire !

GUY-GONTRAN, interloqué. - Moi... moi... mais...

NARCISSE. - Oui, vous... oui, vous, sale indi- vidu !... (Il se lève, menaçant.)

L'AGENT, le retenant. - Calmez-vous, bon Dieu !

NARCISSE. - C'est vrai, après tout, ça ne serait que justice, puisque c'est lui qui est cause de tout !...

GUY-GONTRAN. - Mais... je...

MIMI. - Oui, c'est à cause de lui !... Je ne le connais pas, moi, ce type-là !... il est venu avec un bouquet et il voulait m'ensorceler avec ses boniments !... Heureusement que tu es arrivé à temps, mon Narcisse, pour sauver mon honneur !

NARCISSE. - Ah ! le salaud !... C'était un satyre, alors ?

L'AGENT. - Alors, vous vous introduisez dans le domicile des gens pour séductionner les dames ?... C'est louche, mon gaillard !

GUY-GONTRAN. - Mais... Monsieur l'agent...

L'AGENT. - Silence, vampire !

L'ORDONNATEUR. - Narcisse, mon petit Nar- cisse, je vous en supplie... le temps passe... venez...

NARCISSE. - Non, je le voudrais que je ne pourrais pas !... Je n'ai plus ni bras ni jambes ! Ces trucs-là, ça vous fiche un coup dans l'estomac, vous savez !... S'il veut conduire à ma place, voilà mon manteau,

mes bottes et mon chapeau... C'est tout ce que je peux faire... C'est tout !...

L'ORDONNATEUR, au commissaire des Morts. - Après tout... c'est une solution, qu'en pensez- vous ?...

LE-COMMISSAIRE. - Évidemment, c'est une solution !...

GUY-GONTRAN. - Mais... c'est fou !... jamais... je...

L'ORDONNATEUR. - Ne vous entêtez pas ! Ce pauvre homme a raison... C'est vous le res- ponsable, après tout !...

L'AGENT. - C'est indubitable ! c'est vous le responsable !...

GUY-GONTRAN. - Mais... mais...

NARCISSE. - Ah ! et puis assez de manières ! Je sens que la moutarde me remonte au nez ! Allez ! allez !... enfilez-moi ça sans rouspéter ou je vous fous par la fenêtre, vous m'enten- dez ?... Et que ça ne traîne pas !... C'est mon droit de vous tuer, puisque je vous ai surpris chez moi, avec ma femme !... Alors, ouste, dépêchons !... et estimez-vous heureux d'en être quitte à si bon compte !...

(L'ordonnateur et le commissaire mettent le manteau à Guy-Gontran. Pendant ce temps, Nar- cisse met sa belle robe de chambre de la première scène. )

GUY-GONTRAN. - Mais, c'est grotesque, mon- sieur l'agent... je proteste !...

L'AGENT. - Moi, je m'en fous !... Que ce soit l'un ou l'autre pourvu que le véhicule délic- tueux circule, c'est le principal !