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La relaxation : une rflexion incarne Entretiens de Bichat 2008 Thierry Bnavids Psychomotricien, psychologue clinicien, psychothrapeute Louverture anthropologique
Au dbut du XXe sicle, au missionnaire et anthropologue Leenhardt qui lui
demande si lenseignement quil aurait apport ne serait pas la notion desprit, Boesoou,
Canaque de Nouvelle-Caldonie, rpond que ce qui leur a t apport, cest le corps.P0F1P
Cette rponse branle la vision occidentale du corps et suscite linterrogation : quest-ce
quun corps ? En effet, lhritage de la philosophie occidentale est de savoir si le corps
et lesprit sont une (conception moniste : similitude corps-esprit) ou deux substances
distinctes (perspective dualiste : distinction corps-esprit) avec pour corollaire le
problme de la nature de leur relation. Le corps occidental est ce qui circonscrit la
personne sociale, cest le lieu propre du moi. Le corps est ainsi pourvu dune intriorit
naturelle dont il est la fois rcipient et substance. Ds lors, le corps nest que
lorganisme psychophysiologique dun tre vivant dous daffects toujours situs
lintrieur. Or, pour les Houalou, le corps nest pas conu comme un terme mais
comme une relation. Il est dpourvu de profondeur et nest pas pourvu dun moi. Le
corps et le rle social ne sont pas discrimins, la personne sociale est dfinie par des
relations internes avec dautres personnes. Le sujet est reprsent comme une chose
publique, et non comme une chose prive.
10TL10Ta littrature anthropologique est riche de descriptions du corps. Elle nous les livre en
mettant en valeur toute la complexit de leurs conceptions, de leurs traitements sociaux, de
leurs dimensions relationnelles tant envers autrui quavec le monde. La mise en perspective
anthropologique permet ainsi dinterroger la dfinition univoque que la civilisation
occidentale a confre historiquement au corps et quelle a impose, comme seuls regards et
discours lgitimes. Pour la culture technologico-scientifique occidentale, le corps humain est
un objet dont la ralit matrielle doit tre pense dune faon indpendante des
reprsentations sociales. Pour les cultures exotiques , le corps est lun des lments
constitutifs des diffrents systmes de reprsentations de ltre humain, recouvrant, en outre,
1 Cit dans Quest-ce quun corps , muse du quai Branly, Flammarion, Paris 2006
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les mes et les principes de ltre. Le corps est ainsi considr comme un lment
parmi dautres au sein de systmes symboliques variables.
Le rle de la rflexion dans lanalyse de lexprience
Ainsi, deux points fondamentaux ressortent des travaux anthropologiques sur la
notion de corps : dune part, le corps comme relation et dautre part, le corps comme
incarnation de la rflexion. Il serait en effet difficile de ne pas interprter la rponse de
Boesoou dans le sens plus gnral dune critique du dualisme occidental du corps et de
lesprit. Sa rponse laisse entendre que dans la vision de lanthropologue, le corps inerte
a acquis une sorte de ralit indpendante, quen se vidant de lesprit il est devenu une
chose part. La rflexion, dans notre culture, tant envisage comme spcifiquement
mentale, se pose le problme de savoir comment elle pourrait bien tre lie la vie
corporelle. La dichotomie corps-esprit dcoule dune rflexion dsincarne. Cest parce
que la rflexion, dans notre culture, a t spare de sa vie corporelle que le problme
du corps et de lesprit est devenu un sujet central pour la rflexion abstraite.
Or, pour la phnomnologie, la corporit possde un double sens : elle dsigne
le corps la fois comme structure vcue et comme contexte ou lieu des mcanismes
psychiques . Lobjet de la phnomnologie est dtudier la manire dont le sujet vit
son corps en lui-mme. Elle a son origine dans luvre de Husserl au moment o Freud
fonde la psychanalyse. Maurice Merleau-Ponty va dvelopper la thse de lincarnation.
Pour la phnomnologie, le corps nest plus symptme ou signe, il est la
prsence au monde de la vie psychique dun sujet intentionnel. Le corps devient corps
de chair indiquant lincarnation vcue par le sujet sans le rduire des stades
psychogntiques. Cette similitude est aussi prsente dans luvre de Michel Serres, o
la rflexion thorique nest pas prive dancrage corporel : Le corps cest dire je tout
seul (Serres M., 1985,P1F2P).
La question du corps et de lesprit devrait adopter le point de dpart exprientiel. Le
dbat corps - esprit nest pas une spculation thorique : il est lorigine une exprience
2 Serres M. (1985), Les cinq sens, Paris, Grasset, p.16 ;
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vcue. La perception nobserve pas un phnomne mais engage le sujet dans lexprience
double du corps : le corps est ce qui permet de percevoir le monde tout en orientant cette
perception selon des significations cognitives. Corps et perception sont intimement lis dans
le problme de la constitution des actes de pense.
Cest en stayant sur lexprience vcue que le paradigme psychomoteur prend son
efficacit thrapeutique. Lassertion lmentaire de cette approche est que la modalit corps-
esprit, loin dtre fixe et donne, peut tre fondamentalement modifie. Avec
Phnomnologie de la perception , Merleau-Ponty dcrit la structure originale du corps
propre et partant de l comment sopre lexpression.P2F3P Lexpression nest pas une traduction
mais un moyen technique, une mdiation par lequel le corps matrialise la signification. La
parole nest quune modalit relationnelle du langage : le corps peut tre expressif et
significatif par et pour lui-mme. Ce qui importe, cest lusage du corps par un sujet.
En sappuyant sur le paradigme de la reviviscence, les psychothrapies, relguent en
arrire plan le corps. Elles lui confrent, le statut dun leurre symboliquement
interprtable. Le tord de lattitude interprtative est doublier quelle ne permet pas de
rejoindre le cur de lexprience. Lexprience corporelle nest pas un cas particulier de
connaissance mais fournit une manire daccder au monde et lobjet. Le corps a ou
comprend son monde sans se subordonner une fonction symbolique.
3 Merleau-Ponty M. (1945), Phnomnologie de la perception, Paris, Gallimard ;
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La relaxation comme thrapie psychosensorielle
Si les rsultats de la pratique de la relaxation consistent rapprocher le sujet de son
exprience plutt qu len sparer, quel peut tre le rle de la rflexion ? A la suite des
travaux sur lenactionP3F4P, il est possible de suggrer une transformation dans la nature de la
rflexion qui, dactivit dsincarne et abstraite, doit devenir une rflexion incarne et ouverte
sur de nouvelles possibilits dexprience. Cette formulation vise transmettre lide que la
rflexion non seulement porte sur lexprience, mais quelle est une forme de lexprience
elle-mme.
Les thrapies psychosensorielles laquelle appartient la relaxation, ne sont ni des
soins mineurs ni des techniques propices la rgression. Les restreindre de telles fonctions
cest faire le choix dhypothses limitant, par avance, des capacits relevant de lattention
cratrice. Ces thrapies sillustrent par le fait quil ne sagit pas de renvoi vers le pass mais
de travailler les sensations persistantes qui voquent lvnement. Une de leur spcificit tient
dans limplication corporelle sollicitant ds lors des thories qui ne peuvent tre contenues
dans la mdiation verbale.
La relaxation met en place des situations qui vont tre vcues, prouves, penses,
apprcies, la fois de lintrieur et de lextrieur, dans le cadre dune interaction
thrapeutique. En axant leurs interventions tant sur l'prouv que sur la prsence corporelle, la
relaxation se situe dans une position pluridisciplinaire o toutes les conceptions thoriques du
corps sclairent mutuellement. Son cadre thrapeutique sollicite des reprsentations qui
staient tout autant sur des actes que sur des mots, et contraignent une prise en
considration des sensations prsentes. En maintenant concentration et flottement, elles
incarnent la pense.
4 Varella F. (1993), Linscription corporelle de lesprit, Paris, Seuil ;
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Contrainte dexprimentation
Si la dmarche mthodologique est accepte, elle comporte une indispensable
exprimentation du dispositif thrapeutique par les thrapeutes. Pour pntrer les secrets
dune technique, il est ncessaire dy tre initi. Linitiation est pense comme une
appropriation des effets de la technique par liniti en vue de permettre une analyse
dtache de ces effets.P4F5P Cette disposition est essentielle pour la recherche des oprateurs
thrapeutiques car elle permet de se placer du point de vue du patient. La thorie est en
somme toujours fonctionnelle. La technique est avant tout action, elle relve de la
pragmatique et non de lhermneutique. La technique cre un milieu o cest laction qui
est efficace. Le thrapeute occupe une place primordiale dans lorganisation de cette
logique des sensations, il runit en lui les sensations.
Contrainte dimplication : la co-construction
Les procdures dinfluence ne se pensent quen termes dinteraction o sintercale un
tiers entre les deux protagonistes sans quils puissent le matriser. Le dispositif
thrapeutique contraint le patient comme le thrapeute tablir des mdiations entre deux
univers rfrentiels. Linteraction thrapeutique permet non la dcouverte dun sens cach,
mais sa co-construction.
Le traumatisme
Toute modification du rfrentiel ne peut tre obtenue que par leffet dune logique
traumatique. Le traumatisme est ici pens en terme de rupture dans lutilisation des
habitus du patient. Les thrapies implication corporelle empchent le patient dutiliser
ses comportements, conduites, penses habituelles. Plusieurs lments redondants vont ainsi
dans ce sens : lallongement du patient, la restriction des changes langagiers, la fermeture
des yeux, le maintien de la conscience de soi, la restriction des mouvements, enfin lensemble
des oprateurs techniques dans la relaxation. Par ces oprateurs, au-del de leurs impacts
neurobiologiques vidents qui constituent la base fondamentale de lefficacit thrapeutique
5 Nathan T. (1994), Linfluence qui gurit, Paris, Ed. Odile Jacob ;
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de la relaxation, il sagit implicitement de solliciter un vcu non habituel, de contraindre le
patient se repenser en le privant de ses moyens habituels. Pour que cette technique soit
efficace, il faut quelle sollicite :
des motions fortes qui permettent la mise en place dun point de focalisation ; des traces non sur des parties du corps mais sur lensemble ;
Le dispositif met en uvre une vritable logique traumatique car le traumatisme est le seul
moyen pour modifier son enveloppe, il possde la capacit de mtamorphoser ltre humain.
Ainsi, le dispositif thrapeutique suppose non la dcouverte dun sens cach mais la co-
construction dun sens. Le dispositif thrapeutique sappuie sur un mcanisme logique
organisant une srie danalogies formelles, puis propositionnelles, redondantes entre elles.
Leur procdure consiste partir dun vide de la ralit sensible, dclencher le
fonctionnement doprateurs thrapeutiques qui vont ensuite simposer au patient.
Les oprateurs thrapeutiques
Ce sont les procdures logiques qui sont induites par le thrapeute et qui agissent sur
le malade comme des contraintes penser, agir, ordonner. La thrapie tente de donner
corps aux affects et aux fantasmes des patients. Le corps est la fois action et objet de
laction, dehors et dedans, percepteur et peru. Lintervention part dun concept, lui donne
corps par un mouvement allant de la sensation la perception, puis de la perception la
dmonstration du concept. Le dispositif va ensuite dclencher un processus dinversion qui va
suivre le mme mouvement progrdient : sensation perception concept. Le malade va
ressentir linversion. Les interventions langagires vont aller dans le sens de lexploration. Le
dispositif thrapeutique par son organisation dclenche des processus rgis par lanalogie, en
expulsant le patient hors de son univers habituel et en lui imposant un vcu singulier.
Les thrapies implication corporelle sappuient sur un ensemble de procdures
privilgiant le percept. Cette nouvelle inscription a pour consquence dinvalider les
comportements, les actes, les penses du patient afin doprer une r-interprtation. Ainsi
lespace thrapeutique est conu pour accueillir dans le mme lieu les mondes mdiatiser et
les mdiateurs possibles de ces mondes.
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En guise de conclusion
La richesse des thrapies corporelles est un atout. Elle confirme la vitalit et la
complexification des approches psychothrapeutiques sans pour autant cder le pas
une thorisation clate qui confinerait leur statut dans une sorte de scientisme
mystique.
En cela la psychomotricit tient du paradigme pour toutes les autres
interventions. Sa mthodologie issue la fois des sciences naturalistes et des sciences de
la culture prsente lavantage de maintenir une conflictualisation indispensable la
comprhension des processus thrapeutique mis en jeu. Celle-ci tient en grande part la
dispersion pistmologique de la notion de corps : corps somatique organis par les
disciplines mdicales et paramdicales, corps conceptuel, transcendantal dans la
philosophie phnomnologique, corps pulsionnel dans la psychanalyse.
A cette triangulation, voque par Andrieu dans son ouvrage Le corps dispers,
lauteur dlaisse le corps culturel. Cette amnsie est surprenante mais concevable :
lanthropologie ne dessine pas en fait un corps culturel mais une multitude de
descriptions du corps marque lapanage culturel. Par ailleurs, pour les cultures
exotiques, le corps nest pas une entit distincte. Le corps est une notion occidentale. Le
paradigme psychomoteur en sappuyant sur lanthropologie gagne encore en
profondeur. Lapplication de la mthode ethnologique est respectueuse de son
appartenance culturelle, elle ouvre une dialectique entre les diffrentes cultures sans
sappauvrir dans une vision pjorative de la diversit de lautre.
Par lethnomthodologie descriptive des pratiques, la psychomotricit respecte
lapproche gnralisatrice des sciences savantes tout en conservant la spcificit des
individus.
Les thrapeutiques psychosensorielles rpondent des proccupations de soins,
de comprhension de la souffrance dtre humain troubls par leur rupture de
contenant : culturel, social, idiosyncrasique Les thrapeutiques psychosensorielles
mettent en jeu des processus pour explorer/construire ce contenant. Leurs oprateurs
sont constitus moins par lefficacit symbolique que par llaboration de ce qui est
vcu, senti. Do le choix conceptuel dune rflexion incarne, vocation
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phnomnologique de Merleau-Ponty, qui se trouve dans le concept cognitiviste
denaction. A partir de lexploration non gographique de lintriorit, le thrapeute
contraint le patient se penser autrement. Le thrapeute impose un nouveau contenant
formel qui permettra ldification du fonctionnement symbolique. La parole nest pas
forclose des processus, elle suit le droulement dune cure qui savre sur bien des
domaines alatoires. Elle suit mais ne contient pas en elle seule, lefficacit
thrapeutique. Elle communique sans pourtant quitter son incarnation. De ce point de
vue, lutilisation de la parole reste tributaire de lexprience, dun ici et maintenant
qui peut ventuellement renvoyer un l-bas et autrefois , sans jamais cependant se
dpartir dun ici et maintenant . La mdiation corporelle oprant une vectorisation du
corps , rend possible llaboration du sensible.
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En guise de conclusionBIBLIOGRAPHIE