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Le Praticien en anesthésie réanimation (2008) 12, 227—229 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Pourquoi il faut appliquer les recommandations formalisées d’experts dans la pratique clinique ? Application of guidelines in clinical practice MOTS CLÉS Recommandations formalisées d’experts ; Médecine factuelle KEYWORDS Guidelines; Evidence-based medicine Les société savantes en général et la Société franc ¸aise d’anesthésie-réanimation en par- ticulier, ont depuis plusieurs années, mis en forme des règles de bonne pratique clinique, éditées sous forme de recommandations, faisant suite, soit à des conférences de consen- sus, soit à des conférences d’experts (à l’origine de recommandations pour la pratique clinique, plus récemment dénommées recommandations formalisées d’expert). Il existe cependant une véritable interrogation sur le fait de savoir si, d’une part, ces recomman- dations sont connues des praticiens, et si d’autre part, elles sont appliquées. Toutefois, avant de répondre à ces deux questions, il est légitime d’expliquer pourquoi les recom- mandations doivent ou devraient être appliquées dans l’exercice quotidien de la pratique médicale. Pourquoi il est nécessaire d’éditer des recommandations ? La nécessiter d’établir des recommandations de bonne pratique repose sur la constata- tion de l’hétérogénéité des pratiques cliniques, susceptible de modifier le résultat de la prise en charge des patients et sur l’impact en termes de morbidité et de mortalité, mais aussi économique, de ces pratiques. À l’inverse, la démarche d’analyse systématique des données dont on dispose à partir des études publiées permet souvent de répondre de fac ¸on documentée à des questions de pratique clinique. On estime actuellement que plus de 80 % des problèmes de prise en charge rencontrés en anesthésie ou en réanima- tion peuvent faire l’objet d’une démarche de type evidence based ou médecine basée sur les preuves. La chronologie des changements d’attitude diagnostique ou thérapeutique se fait souvent en parcourant les étapes suivantes : signal d’alerte donné par la publication de cas cliniques ou de cohortes — mise en œuvre d’études randomisées regroupant des cohortes de patient de faible taille — mise en commun des études précédentes (après analyse méthodologique) qui sont méta-analysées — confirmation par des essais cliniques de grande taille (mega trials). Comment sont élaborées des recommandations ? La réalisation des conférences de consensus ou des recommandations formalisées d’experts a évolué au cours du temps pour répondre à deux objectifs : rigueur 1279-7960/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2008.07.001

Pourquoi il faut appliquer les recommandations formalisées d’experts dans la pratique clinique ?

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2008) 12, 227—229

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

ÉDITORIAL

Pourquoi il faut appliquer les recommandationsformalisées d’experts dans la pratique clinique ?

Application of guidelines in clinical practice

Les société savantes en général et la Société francaise d’anesthésie-réanimation en par-

ticulier, ont depuis plusieurs années, mis en forme des règles de bonne pratique clinique,éditées sous forme de recommandations, faisant suite, soit à des conférences de consen-sus, soit à des conférences d’experts (à l’origine de recommandations pour la pratiqueclinique, plus récemment dénommées recommandations formalisées d’expert). Il existecependant une véritable interrogation sur le fait de savoir si, d’une part, ces recomman-dations sont connues des praticiens, et si d’autre part, elles sont appliquées. Toutefois,avant de répondre à ces deux questions, il est légitime d’expliquer pourquoi les recom-mandations doivent ou devraient être appliquées dans l’exercice quotidien de la pratique

MOTS CLÉSRecommandationsformaliséesd’experts ;Médecine factuelle

KEYWORDSGuidelines;Evidence-basedmedicine

médicale.

Pourquoi il est nécessaire d’éditer des recommandations ?

La nécessiter d’établir des recommandations de bonne pratique repose sur la constata-tion de l’hétérogénéité des pratiques cliniques, susceptible de modifier le résultat dela prise en charge des patients et sur l’impact en termes de morbidité et de mortalité,mais aussi économique, de ces pratiques. À l’inverse, la démarche d’analyse systématiquedes données dont on dispose à partir des études publiées permet souvent de répondrede facon documentée à des questions de pratique clinique. On estime actuellement queplus de 80 % des problèmes de prise en charge rencontrés en anesthésie ou en réanima-tion peuvent faire l’objet d’une démarche de type evidence based ou médecine basée surles preuves. La chronologie des changements d’attitude diagnostique ou thérapeutique sefait souvent en parcourant les étapes suivantes : signal d’alerte donné par la publicationde cas cliniques ou de cohortes — mise en œuvre d’études randomisées regroupant descohortes de patient de faible taille — mise en commun des études précédentes (aprèsanalyse méthodologique) qui sont méta-analysées — confirmation par des essais cliniquesde grande taille (mega trials).

Comment sont élaborées des recommandations ?

La réalisation des conférences de consensus ou des recommandations formaliséesd’experts a évolué au cours du temps pour répondre à deux objectifs : rigueur

1279-7960/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.pratan.2008.07.001

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éthodologique pour la recherche et l’analyse des preuvest clarté de l’expression des résultats. Un groupe d’expertnternationaux a défini en 2004 la méthode Grade qui até adoptée par de nombreuses sociétés savantes dont lafar pour l’élaboration des recommandations de pratiquelinique [1].

Cette méthode repose sur une analyse méthodique ettricte à la fois quantitative et qualitative de la littérature.’une part, les études sont évaluées en fonction des cri-ères de qualité méthodologique habituels (randomisation,ouble insu, etc.), d’autre part, les résultats de l’analyseéthodologique sont pondérés par d’autres facteurs qui

ont intervenir la pertinence clinique des critères de juge-ent, le caractère direct des preuves recueillies, la balance

ntre le bénéfice et les risques, l’évaluation des coûts. Auerme de cette démarche les recommandations sont expri-ées sur un mode simplifié : « il faut faire — il ne faut pas

aire » auquel s’ajoutent les options « il est plutôt recom-andé de faire ou de ne pas faire ». Ce mode d’expression

larifie les recommandations. Une information complémen-aire peut être apportée par l’expression du pourcentage’accord des experts (consensus ou accord fort ou à l’opposéccord faible). Pour arriver à cet affichage, l’évaluatione la littérature est donc complétée par l’avis des expertsxprimé selon la méthode de Delphes (interrogation desxperts sur plusieurs « tours de table » afin d’obtenir unonsensus.

Les recommandations formalisées d’expert ou les confé-ences de consensus peuvent elles-mêmes faire l’objet’une évaluation méthodologique qui évalue la qua-ité de la procédure. Celle-ci peut utiliser la grillegree (www.agreecollaboration.org) qui évalue ainsi leshamps et les objectifs des recommandations, la parti-ipation des groupes concernés, la rigueur d’élaboration,a clarté de présentation, l’application, l’indépendanceditoriale.

es recommandations sont-elles diffuséest connues ?

a machine bien huilée d’élaboration des recommanda-ions est susceptible de se gripper lorsque l’on atteintette étape qui précède la mise en place de recomman-ation. Malgré une production abondante, de nombreusesociétés savantes dont la Sfar font le constat d’une connais-ance insuffisante des recommandations pour la pratiquelinique qui ont pu être établies. Cela tient probable-ent à plusieurs facteurs parmi lesquels, un défaut de

larté (auquel il est tenté de remédié par la méthodolo-ie exposée plus haut) et un défaut de diffusion malgréa publication la mise sur le site Internet et la reprise pares conférences multiples des sujets et des thèmes qui font’objet de recommandations. Il y a fort à parier toutefoisu’une information « descendante » a ses limites c’est pour-uoi, parmi les objectifs méthodologiques des prochaines

ecommandations figure la mise en place quasi simulta-ée d’un référentiel d’évaluation professionnelle (EPP).insi, chaque département ou collectivité d’anesthésie oue réanimation devrait à partir de ce référentiel pouvoirans un premier temps faire un audit des pratiques locales

declm

Éditorial

t dans un deuxième temps apporter des mesures correc-ives.

es recommandations peuvent-elles êtreppliquées et améliorent-elleséritablement la pratique clinique ?

n constat pessimiste est souvent dressé à propos de’application des recommandations de pratique clinique. Ile faut pas pour autant en conclure que parce que desecommandations ne sont pas appliquées elles ne peuventas l’être. De nombreuses études et enquêtes montrentu’un travail pédagogique soutenu peut porter ses fruitst conduire à un changement des attitudes. L’enquêteationale récente sur la prise en charge de la douleurostopératoire a ainsi bien montré, d’une part, des insuf-sances persistantes, mais d’autre part une améliorationotable concernant aussi bien l’évaluation de la douleurostopératoire que l’utilisation de certains traitementsomme l’analgésie autocontrôlée par voie intraveineuse2]. Dans d’autres domaines comme, à titre d’exemple,’utilisation des bêtabloquants en anesthésie ou la pres-ription d’examens complémentaires préopératoires de grosrogrès restent à faire pour obtenir une adéquation entrees pratiques et les recommandations [3—5]. Toutefois, celaeut faire partie des objectifs professionnels que se fixe unequipe par des actions entrant dans le cadre d’une accrédi-ation.

’application des recommandations-t-elle un impact ?

’est finalement la question essentielle qui sous-tend touses efforts entrepris. Il faut donc simplement rappeler que’édition de recommandation est d’abord basée sur le faitue la démonstration est faite que telle ou telle attitudehérapeutique change si ce n’est la mortalité au moinsa morbidité. De plus, comme dans le cas des examensréopératoires évoqués plus haut, un impact économiqueonséquent peut être attendu de tel ou tel changement’attitude dans la prise en charge des patients (ainsiourrait-on escompter que les politiques de réhabilitationise en œuvre en périopératoire raccourcissent signifi-

ativement la durée de séjour hospitalier). L’applicationncomplète des recommandations, telle qu’elle est révéléeans certaines enquête obère souvent les résultats escomp-és. La situation est donc souvent celle de la bouteille àoitié pleine ou à moitié vide : des résultats sont escomptés

t attendus mais la mise en œuvre imparfaite des recom-andations aboutit à des résultats en demi-teinte (commeans le cas de l’enquête sur la prise en charge de la douleurostopératoire).

En conclusion, l’application des recommandations pour laratique clinique établies par les panels d’experts à partir

es données de la littérature et de leur propre expériencest plus que nécessaire. Pour être efficace, elle nécessiteependant un large consensus qui s’étende à l’ensemble dea profession et une modification profonde des comporte-ents vers plus de rationalité et moins d’individualisme.

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Éditorial

Références

[1] GRADE working group: Grading quality of evidence and strengthof recommendations. Brit Med J 2004; 328:1—8.

[2] Fletcher D, Fermanian C, Mardaye A, Aergeter P. Pain andregional anaesthesia committee of the French Anaesthesia andIntensive Care Society (Sfar). A patient-based national surveyon postoperative pain management in France reveals signifi-

cant achievements and persistent challenges. Pain 2008;137:144—51.

[3] Akhtar S, Assaad S, Amin M, Holt NF, Barash PG, Silverman DG.Preoperative beta-blocker use:impact of national guidelines onclinical practice. J Clin Anesth 2008;20:122—8.

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4] Toker A, Shvarts S, Perry ZH, Doron Y, Reuveni H. Clinical guide-lines, defensive medicine, and the physician between the two.Am J Otolaryngol 2004;25:245—50.

5] Pasternak LR. Preoperative laboratory testing: general issuesand considerations. Anesthesiol Clin North Am 2004;22:13—25.

Francis Bonnet

Département d’anesthésie-réanimation, hôpital

Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 7 septembre 2008