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Pourquoi ne pourrait-on pas aussi rencontrer

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Entendu à la radio un voyageur s’expliquer. Et il disait : « Dans les voyages, on rencontre des gens merveilleux. C’est un des grands plaisirs du voyage, rencontrer des gens merveilleux. » 

Pourquoi ne pourrait-on pas aussi rencontrer des gens merveilleux chez soi, dans sa rue, dans son immeuble ? Les gens merveilleux sont partout, pas seulement sur le chemin du voyageur.

Franz Bartelt

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Avant-Propos

Le 11 septembre 2001, j’étais en Iran. Un tour du monde à vélo entamé six mois plus tôt m’avait conduit là, dans un petit village perdu dans les monts Elbourz. Coupé du monde, je n’apprenais la nouvelle des attentats que trois jours plus tard. Des mails alarmistes me sommaient de fuir le pays pour sauver ma peau et échapper au jihad. De jihad, il n’était pas question. De quitter le pays encore moins. L’accueil des Iraniens était incomparable. L’écart entre l’image du terrain et sa réalité, abyssal.

Un an plus tard, j’étais de retour en France et traverser le pays me semblait la meilleure manière d’achever ce voyage au long cours. Lors de mes pérégrinations aux quatre coins du monde, les gens s’étonnaient :

« Mais pourquoi venir chez nous alors que vous habitez

le plus beau pays du monde ? »

Pourquoi au fait ? Parce que l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Pour découvrir le monde. Parce que je croyais connaître

la France. Et plus les expériences se succédaient, plus l’évidence était là : le voyage commence en bas de chez soi. Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? C’était le pari de ce voyage en France.

L’automne est pluvieux, mon compte en banque perd ses dernières feuilles. Je remets le projet à plus tard. Plus de dix ans ont passé. À Paris, je tente de lier ma vie de sédentaire et ma vie de voyageur. Une activité de consultant finance mes échappées et renfloue les caisses lorsque mon banquier – compréhensif – me fait les gros yeux. Je ne m’y retrouve pas. La grande lessiveuse a eu peu à peu raison de mon optimisme et de ma bonne humeur. Il est temps de fuir et ce voyage est un parfait alibi.

Vue de Paris, la campagne française se divise en deux catégories : paysans au bord du suicide, ouvriers au chômage. Le reste intéresse qui ? C’est la crise. La France a le moral dans les chaussettes. Mais comme le dit le proverbe africain, « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». J’ai envie de vérifier sur le terrain si tout va si mal que ça. Envie de vérifier une nouvelle

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fois si l’écart entre l’image du terrain et sa réalité est toujours aussi grand.

Pour sortir des sentiers battus, un itinéraire s’impose à moi : une randonnée dans le désert, celui qui traverse la France des Ardennes au Pays Basque et que les géographes, qui sont parfois poètes, ont baptisé « la diagonale du vide ».

J’ai envie de liberté. Je veux prendre mon temps, faire un voyage à tâtons, m’en remettre aux hasards de la route. Je sais qu’ils sont souvent bienvenus. Ce sera une aventure lente, un road-trip à 4 km/h pour estimer le temps à hauteur d’homme et laisser la place aux rencontres dont la route a le secret. Les brochures touristiques parlent de slow tourisme. Être le touriste le plus lent de France pendant un an, voilà mon objectif.

Sur mon dos, tente, réchaud, rechange, de quoi tenir plusieurs jours en autonomie et bivouaquer où bon me semble. Dans la poche, une carte de France des sentiers de randonnée pour m’indiquer grossièrement le cap à suivre. Pour le détail, un fichier Excel plein de noms, d’adresses et de numéros de téléphones.

Quelques-uns m’ont déjà donné leur accord. Je viendrai les questionner sur ce qu’ils font là. Pourquoi là plutôt qu’ailleurs ?

De mes voyages précédents, je sais que les meilleurs souvenirs sont toujours les rencontres. Les rencontres sont le sel du voyage. Elles relèvent le plat de la géographie, subliment des endroits quelconques en moments inoubliables.

Durant ce voyage, je traverserai les endroits les moins connus, les plus reculés, ceux où il n’y a rien à voir. Je rencontrerai des acteurs de terrain, des gens qui ont une relation particulière avec l’endroit où ils vivent. Politiciens, chefs d’entreprises, artistes, jardiniers, je veux les laisser me parler de chez eux. Ils sont bien plus légitimes que moi.À la pointe des Ardennes, frontalier avec la Belgique, un village s’appelle Givet. « J’y vais », ça sonne bien pour commencer un voyage.

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LA DIAGONALE DU VIDE, UN VOYAGE EXOTIQUE EN FRANCE

Mathieu Mouillet

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1 première partie

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Les ArdennesQuatre heure du matin. Je pars dans quelques heures et je n’ai toujours pas fini de préparer mon sac. Mes affaires m’entourent, étalées par terre et je ne sais pas comment les organiser pour tout faire rentrer. J’avais fixé la limite à quinze kilos ; je suis en passe d’atteindre les vingt. La tente et le sac de couchage sont calés au fond, le kit de rustines interroge le matelas gonflable, le livre de chevet lorgne sur le carnet de note déjà glissé dans une poche, le litre d’alcool rejoindrait bien le réchaud…

Les pèlerins de Compostelle disent : « Le poids de ton sac, c’est le poids de tes peurs ». Avec les six kilos de camera, d’appareil photo, d’objectifs, de pied, de microphones, d’ordinateurs, de disques durs, de chargeurs et de batteries qui me plombent, aurais-je peur de manquer d’outils pour partager le voyage ? Peut-être.

Pour moi, il représente plus qu’un simple voyage d’agrément. J’espère réussir à conjuguer ma passion du voyage et les savoir-faire dont j’aimerais faire un métier. Écrire, photographier, raconter des histoires… Il est temps de les mettre au service d’un projet qui a vraiment du sens. Depuis deux ans, je m’y attelle.

Deux étés consécutifs, j’ai parcouru quelques milliers de kilomètres en France, rencontré les attachés de presse de vingt-quatre départements, ingurgité quatorze kilos de brochures touristiques, contacté mille et une personnes pour définir le programme des réjouissances… On dit que l’art de l’improvisation ne s’improvise pas.

Blog, réseaux sociaux, offre tarifaire, argumentaire commercial, supports de communication… Tout est prêt pour attirer les sponsors et faire de ma diagonale du vide un voyage à vendre comme une opération de marketing de contenu… Alors ? Alors je suis plein de chose, mais je ne suis pas un bon vendeur. L’équation financière s’avère compliquée. Pour autant, elle n’est pas irréaliste.

En allant voir les producteurs, je m’entends dire ici : « L’idée est bonne mais le projet n’est pas mûr ». Là : « L’idée est bonne mais le projet est trop mûr ». Ce que j’entends, moi, c’est que l’idée est bonne. Exit donc le voyage à vendre. Mes dernières économies me permettent de vivre un an sur la route avec dix euros par jour. Il reste une belle aventure à vivre et à partager.

Un texte du poète Jean Pierre Verhegen me montre le chemin :

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« Tout dire ! Tout parler ! Oser ! Tout écrire ! Tout sembler réussir pour mieux finir par tout rater !

Tout échouer et en rire ! Tout oser ! (…) Lâchez tout ! Cavalez,

jeunes gens ! Encourez vous sans vous retourner ! (…)

le monde est ailleurs, coincé dans un costume trois

pièces trop étriqué. Soyez sympa, ne faites pas avec ! Élargissez !

Croissez ! Multipliez ! »

Ces mots résonnent fort. Le moment de se jeter à l’eau est venu. J’enfourne dans mon sac ce qui veut bien y rentrer. Peu importe les oublis, les doublons. La première semaine servira de galop d’essai. Au temps des caravanes, on avait coutume de faire peu de kilomètres le jour même du départ. En cas d’étourderie, de problème, d’imprévu, il était encore temps de rebrousser chemin. Mon désert à moi n’est pas aussi vide que ça.

Des Ardennes au Pays basque en passant par le Massif central, c’est une France ignorée qu’on traverse généralement sans s’arrêter parce qu’il n’y a rien à voir. La population est de deux à dix fois moins dense que la moyenne nationale. Les villes de plus de cinquante mille habitants se comptent sur les doigts d’une seule main. Quelques no man’s land reculés dénombrent moins de dix âmes au kilomètre carré.

À l’arrière de la voiture qui m’emmène au départ de cette aventure, je regarde le paysage défiler à toute vitesse. Villages, zones commerciales et ronds points se succèdent,

entrecoupés de forêts et de champs… Derrière ma fenêtre, j’ouvre grand les yeux. À quoi mon voyage va-t-il bien ressembler ? Pas à cette succession de lieux anonymes.Frontière belge. Givet. J’y suis. Je dis au revoir à ma famille comme si je partais en week-end. Difficile de réaliser que ce voyage tant espéré commence enfin. Suspendu entre le temps de la préparation qui s’achève et le temps du voyage qui s’annonce, je fais durer le moment. Je flâne dans la ville, admire la silhouette élancée des toits d’ardoise, arpente les terrasses installées le long des quais, jette un œil distrait aux menus. La ville a des faux airs de riviera belge.

En traversant le pont qui enjambe la Meuse, je me retourne pour un dernier coup d’œil. Ce que je vois, ce n’est pas une ville, ce sont les mois de travail que je laisse derrière moi. Des panneaux indiquent un sentier de randonnée. Je disparais dans la forêt, le pas léger.

Le voyage commence.

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La montagne qui fume

Des nains de jardin peuplent la pelouse, des colombes en plâtre picorent les pylônes du portail, des bacs à fleurs mauves bordent l’allée qui mène à la porte d’entrée… Dans cet étrange Jardiland où plane l’odeur des paëllas et la fumée des barbecues, chaque brin d’herbe a sa place. Tout est trop propre à Rancennes.

Attenante au village, la réserve naturelle de la pointe de Givet est contaminée par le même mot d’ordre. S’écarter du chemin, cueillir un brin d’herbe, piétiner un pissenlit… Tout est interdit. J’en prendrais pour dix ans de corvée de rempotage si je plantais la tente.

«Ils sont un peu zinzins à Rancennes !»

commente madame Defaye qui profite de la douceur de cette belle fin de journée sur le perron de sa maison. Pour me prouver la supériorité de Charnois l’accueillante sur Rancennes la toquée, elle me fait les honneurs de son champ. J’interprète en avant-première mon célèbre numéro de montage de tente auprès des vaches du coin. Succès total ! Le long de la Meuse, on pêche, on bronze, on prend le temps de ne rien faire. Les torses sont nus, les cuisses rouges, les transats débordés. Le fleuve serpente de village en village. Péniches et bateaux

de plaisance dérivent langoureusement. Arrivé à Chooz, le même malaise me reprend. Gazon au cordeau, arbres au carré… Ce décor de théâtre est bien trop net pour être honnête.Derrière la colline, deux épaisses colonnes de fumée blanche s’étirent jusqu’au ciel.

À Hierges, le chalet où Jean-Pierre m’accueille est un décor de pub Kinder. Jean-Pierre est journaliste à la retraite. En vingt ans de carrière, il a couvert tous les événements qui ont secoué la vallée de la Meuse. De plans sociaux en restructuration, il me raconte comment il a assisté à la fin de l’homme de fer, à l’écroulement du monde des fondeurs et des forgerons.

Révoltes ouvrières. Incendies. Sabotages. Prise d’otage du préfet. Enfants juchés sur le capot des voitures officielles, femmes dégonflant les pneus, foule en furie, service d’ordre débordé.  Puis, après le combat, la capitulation. Fermeture des usines. Alcoolisme. Chômage. Dépressions. Suicides à la chaîne.

Que reste-t-il de ces luttes épiques ? Une montagne qui fume. Le vacarme des forges a laissé place au silence des réacteurs nucléaires. Chooz A et Chooz B, les deux unités de production irriguent les dix-sept communes qui, de Givet à Revin, suivent les méandres de la Meuse.

Taxe professionnelle, taxe foncière…. L’argent du nucléaire coule dans toute la vallée. Les larmes d’ouvriers résignés, attablés devant les formulaires

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de pôle emploi sont une histoire oubliée. Nains de jardin, colombes, géraniums aux balcons… Ça roucoule à Jardiland. Avec en toile de fond, deux colonnes de fumée blanche.

Dans la forêt, la nature reprend ses droits. Quelle fête, ce retour à la vie sauvage ! Les chenilles font du rappel, les sangliers ronchonnent, un toit de feuille et le chant des oiseaux adoucissent la violence de l’averse. Au village des animaux, protégé dans ma tente-bouclier, je suis l’attraction de la soirée.

Souffles, grondements, pas dans les feuilles… Je paierais cher pour savoir qui sont mes visiteurs du soir, apercevoir ceux qui me tournent prudemment autour. De part et d’autre de la toile,la même curiosité.

Mes matins se lèvent dans un chuchotement végétal, les torrents gloussent, des milliers de gouttelettes diffractent les premiers rayons. Baignées dans la brume, les clairières ouvrent des puits de lumière, les feuilles allument le sous-bois, les mousses luisent dans la pénombre. 

Sous la montagne, je m’aventure dans des labyrinthes de pierre creusés de main d’hommes. L’exploration est tentante, mais seul et mal équipé, je me ferais engloutir. Si ce n’est pas un troll, au moins l’obscurité.Cette année, le printemps est en retard. Plusieurs nuits de suite, j’ai froid

dans mon sac. L’humidité conjuguée du fleuve et de la forêt me donnent des frissons. Les Ardennes ? De l’eau et des arbres. Le vent de pluie qui fait bruisser les feuilles ne présage rien de bon. Ce soir, c’est décidé, je dormirai au chaud !

Au gîte « Au bord de la Meuse », je suis accueilli à bras ouverts. Angélique et John ont fait de cet endroit qui mérite bien son nom quelque chose de simple, joli et chaleureux. Pas vraiment le temps de tester les talents de cuisinier du patron. Parti pour « une petite sieste », j’enchaîne sans ciller quinze heures d’un sommeil de plomb. Après une semaine de marche, mon corps réclame une trêve.

J’avais dit que je ne marcherais pas tous les jours et je marche tous les jours. J’avais dit que je n’embarquerais pas plus de quinze kilos et je ploie si bien sous le poids de mon sac à dos que j’ai cru avoir des bleus aux clavicules ! Ou je lâche du lest ou je ne passe pas la fin du mois.

Je sacrifie mon livre et mes oripeaux de citadin. Des pieds à la tête, novadry jaune, polartech fluo, goretex anthracite, je suis déguisé en voyageur. Même en faisant les courses à la supérette, j’ai l’air de partir en expédition. Pour me fondre dans le décor, c’est raté. 

Premières nuits sauvages

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Pascal me rejoint dans la vallée de la Meuse. Champenois, il a découvert les Ardennes à travers son métier de photographe. Depuis la roche à sept heures, nous contemplons le fleuve enlacer le village de Monthermé.

« Je connaissais un petit peu ma région mais quand on t’envoie visiter des fonderies à l’autre bout

du département et que tu découvres la vie d’ici, tu t’aperçois qu’avant

tu ne connaissais pas grand chose. Un jour tu es avec un vigneron dans les vignes, le lendemain dans le clocher d’une église… Photographe, c’est un métier

par lequel tu rencontres beaucoup de gens. Il y a toujours

quelque chose à apprendre ».

Nous partons faire le tour de ses endroits fétiches. Les villages de la vallée de la Semois ont des airs de radeaux perdus dans un océan de forêt. Ici le temps s’écoule autrement, il flotte dans l’air le sentiment d’être au bout du monde. Mont malgré tout, col du loup, Roc Latour… Chaque lieu baigne dans une histoire mythique peuplée de diables et de fées.

Au confluent de la Meuse, les ruines du château de Montessor évoquent encore l’esprit frondeur des quatre fils Aymon.  Refus de l’arbitraire, courage, vaillance, persévérance… L’identité mythique ardennaise s’est forgée ici. Mais le « Pays de labeur et de légendes » a subi de plein fouet

les effets du capitalisme mondialisé. En 2006, la fermeture de la dernière grande forge a marqué la fin d’une épopée industrielle née au moyen âge.

C’est l’argument de la pièce « Les enfants du Pilon ». Son metteur en scène, Alan Payon, retrace ce drame social en convoquant à la fois l’histoire et l’imaginaire. Une manière pour lui de nourrir le combat ouvrier avec ses propres armes.

« Mon père était en période de licenciement, son usine fermait.

Je voulais lui montrer que mes choix de vie pouvaient aussi servir la cause ouvrière et que ce n’était pas parce que j’avais fait le choix de devenir

un intellectuel que je reniais mes origines. Au contraire,

j’en étais fier et il y avait plein de choses à raconter.

Quand je suis parti d’ici à dix-sept ans pour faire mes études, j’avais vraiment très très envie de quitter

cet endroit. Je n’aurais jamais pensé y revenir. On galère ici.

On se fout un peu de notre gueule. On nous traite de consanguins. »

Pourtant à vingt-cinq ans, il est de retour.

« Au début, c’était très dur parce que je ne connaissais plus personne.

Sortant d’une école d’art, il a fallu pour pouvoir rencontrer des gens que j’accepte de ne plus parler forcément

de littérature et de spectacles.

Mais en tant qu’auteur, je ne me sentais légitime qu’ici. Moi je me

De labeur et de légendes

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considère vraiment comme un enfant de la république. Je n’aurais pas pu faire mes études si je n’avais pas été boursier. Aujourd’hui, si je suis un artiste du théâtre

public qui gagne sa vie avec l’argent du contribuable,

je ne peux tenir cette position là qu’en rentrant chez moi, là où je suis légitime.

Au final, je n’ai jamais été aussi heureux avec les gens que depuis

que je suis rentré dans les Ardennes. Il y a la bonhomie des gens d’ici.

Ça m’intéresse de redonner une langue à des personnages qu’on peut croiser dans la rue. »

Le festival de la bière de Charleville-Mézières est l’occasion d’en rencontrer quelques uns et de faire une pause technique pour reposer mes genoux et alléger mon sac. Quelques chopes de Guillotine plus tard, je me sens effectivement beaucoup mieux et je suis de nouveau prêt à reprendre la route.

Reste à trouver le bon tempo du voyage et arrêter de m’en référer aux cartes. J’ai encore peu cédé à l’appel des chemins inconnus qui mènent qui sait où. Je suis en rodage.

Au milieu de la place d’Alsace-Lorraine, à Sedan, se dresse une statue. Il s’agit d’un monument érigé à la gloire des soldats morts durant la guerre de 1870. Gravée dans la pierre, cette phrase :  « Sans peur,

il a été vaincu par le nombre ».Un siècle et demi plus tard, c’est encore un nombre qui résume l’état de la ville. Celui des déserteurs. Au camping, Lolita dresse un tableau – noir – de la situation.

« C’est la mort ici. En ville, rien que des cas sociaux. Au bar, rien que des pochtrons.

L’avenir est ailleurs. Même le camping est laissé à l’abandon.

Ils n’ont pas trouvé de budget pour nous payer le wifi. »

Son bac comptabilité-secrétariat sous le bras, elle se « casse » dès qu’elle aura passé son permis. Ceux qui restent ? « Des losers ».

Pendant que je fais la queue à la friterie, un ivrogne joue les toreros entre les voitures. La foule commente, mi-inquiète, mi-amusée. Pommes de terres-huile de tournesol, céréales et houblon, le régime végétarien bière-frites semble moins lui réussir qu’à moi.

Au roi de la bière, l’ambiance qui règne est celle du plus vieux pub de France. Les générations se mélangent, une cuvée spéciale célèbre même les soixante-dix ans de l’établissement. Kwak et Karmelitt sont à la pression. Et puis l’indispensable fascicule « Comment chier dans les bois » qui trône sur l’étal. Ce bar est une aubaine !

Bienvenue au far-east

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Dans les rues, les façades sont élégantes mais la période faste de la ville est derrière elle. Usines fermées. Casernes parties. Fini le temps où les ouvriers fondeurs réglaient en vacances rubis sur l’ongle, en coupures de cinq cents francs. Les demeures imposantes semblent attendre l’arrivée du prochain train. Sur la voie verte que je suis depuis Charleville, je fais quelques pas avec un retraité de la SNCF. Développer l’économie en installant des pistes cyclables ? « Aveu d’impuissance des pouvoirs publics. » À son époque, on installait des voies de chemin de fer. « C’était quand même autre chose ! »Pas facile de tourner les pages…

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Chèche sur la tête, traces de lunettes, coup de soleil sur le nez… J’ai désormais pris le rythme de croisière. Le plus important : savoir s’arrêter pour dénouer les muscles et nouer des contacts. À Lumes, au bar-tabac-presse où je recharge les batteries, Madame Isabelle fait du tricot entre deux clients.

« Les temps sont durs. Quand on voit les heures qu’on fait, et ce que l’état nous laisse,

on se demande pourquoi on travaille. »

Je repars avec un sandwich au jambon offert et deux pommes pour la route. Au bord de la Meuse, les jardiniers s’affairent. J’aurai de l’eau si je fais deux cents mètres. Et puis je prendrai bien une bière ? Et puis je prendrai bien une soupe ? Je dis oui à tout.

Entre deux cuillérées, Philippe m’explique l’origine des objets qui s’entassent en bon ordre dans son jardin, son garage, son grenier. Voitures pour enfants, fours à micro-onde, brouettes d’avant-guerre, il redonne vie aux déchets qui jonchent les bords du canal. J’hérite de mon poids en barres chocolatées et en biscuits secs issus de rations de l’armée, ainsi que de l’adresse postale pour lui envoyer une petite carte. Ça lui fera plaisir. Moi aussi.

Vert pâle des foins coupés dans les champs, caravane noyée dans les herbes hautes, un coucou sonne midi. Passé Sedan, le goudron de la voie verte laisse place à la terre du chemin de halage moulée par les pneus des tracteurs. Je quitte la ville en bus.À l’arrêt de Douzy, alors que

les élèves digèrent leur journée de cours, la conductrice bondit de son véhicule comme un diable de sa boîte, se rue sur un homme, le pousse, l’invective, le met en garde du doigt avant de regagner son siège, à bout de nerfs. Cette fois, la coupe était pleine. Son harceleur n’en mène pas large. Tout le monde est stupéfait.

Les tournées s’enchaînent au bar 84 et l’anecdote délie les langues.Règlements de compte à la tronçonneuse, mandales de contestation pour une prune mal digérée, huile de friture bouillante jetée au visage des braqueurs… Mirabelle, Babass, les surnoms des protagonistes ajoutent aux récits une touche pittoresque.

C’est cette hypernormalité qui fait tout le charme de Sedan et de ses environs. Ici, tout le monde a sa place. Pas de misérabilisme. « Cas soc’ », c’est une insulte courante, parce que c’est vrai qu’il traîne en ville de drôles de zigomars. On les charrie et on vit avec. On les connaît par leur prénom. Ils sont les personnages atypiques de cette drôle de ville qui vit au rythme de l’apéro, des soubresauts de son club de foot et des parties de pêches.

Dans les bars, on serre la main des habitués comme des inconnus. Il y a une humanité et une chaleur humaine quasi-surréalistes pour un citadin rompu à l’indifférence des métropoles.Contre la misère sociale, la richesse humaine. Est-ce suffisant pour vivre ici ?

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Je ne suis plus seul. Mon ami Fred m’a rejoint pour trois semaines dans la Meuse. Pourquoi la Meuse ? Parce qu’il n’y connaît rien. C’est bien la meilleure des raisons.

Comme dans toutes les histoires de marin, notre destin se joue sur le coin d’un comptoir. Jean le Luxembourgeois fait « route » vers Stenay. Notre projet lui est sympathique et nous voilà bateau-stoppeurs. Jean écume les ports de la Meuse depuis vingt ans. De la vallée, il connaît tout, jusqu’aux marteaux des cloches des églises. Nous passons la ville en revue en décomptant les commerces ouverts/fermés depuis sa dernière visite.En dehors du calme qui règne dans les rues, il y a quelque chose d’étrange, une ambiance de thrillers où soleil, pique-nique et rires insouciants préludent au bain de sang généralisé. Tout le monde est gentil, poli, avenant. On est sur nos gardes !

Au camping du lac vert, Laurent nous rassure. Lui promène ses stands de bonbons et de pêche aux canards dans les fêtes de la région six mois de l’année.

« Dans les Ardennes et dans la Meuse, les gens sont gentils. C’est pas comme chez nous… ».

Il vient de Moselle.

De drôles d’oiseaux

Chez Dom et Véro Landragin, la terrasse domine un potager fleuri. Thé, pâtisseries maison, soleil couchant, chant des oiseaux… Et le téléphone qui buzze à intervalles réguliers. Dom fait des bonds.

« Puffin cendré ! »« La vache, butor étoilé ! »

« C’est dingue ! Non mais… Marouette de baillon !!!»

Le fils est en vacances en Corse. Un oiseau vu, un sms. Les oiseaux sont la passion de Dom. La nature au sens large – la collection complète des numéros de la Hulotte des Ardennes trône sur ses étagères – et les oiseaux en particulier – jusqu’à la marque du beurre : Chantoiseau. En plein milieu d’une phrase, il s’interrompt, doigt levé, oreille tendue, chapeau en alerte. Les noms d’oiseaux fusent :

« Tiens ! Courlis cendré ! »« Ah ! Merle cavernicole,

le portier de la nuit, c’est lui qui chante le dernier»« Et là ! Vous reconnaissez, là ?

Tuiiiii tui…Tuiiiiii tui ? Ça c’est une fauvette qui se fait passer pour un courlis cendré ! »

Il entame une discussion sifflée avec son interlocuteur à plume. On ne pourrait rêver meilleur pédagogue. Géologie,

la Meuse

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ornithologie, botanique, Dom sait tout, connaît tout et partage avec autant d’enthousiasme qu’il apprend avec passion.

« Pour moi, les oiseaux sont tous des instruments. Là, la verderolle,

ça peut être le violon, après la fauvette à tête noire, ça va être

peut-être la flûte… Quand j’écoute la musique classique, j’essaye

de dire « ah ben ça c’est la viole, là c’est le piano, là-bas c’est

la trompette, ah là y a un basson…Chez les oiseaux, c’est pareil !

Le piano, la trompette, le basson… Tout ça, ça fait

un orchestre pour moi. »

Il se remet à siffler.

« Moi je suis né ici, à Stenay. J’ai vécu ma jeunesse là-dedans.

Mon histoire, c’est Qu’elle est verte ma vallée. Je suis passionné

par la nature et l’environnement, militant pour la protection

de la nature – il se reprend - de Dame Nature… Des fois,

la Véronique elle me dit : « Mais tu sais, si un jour

j’ai une mutation et qu’il faut aller ailleurs que dans la région,

est-ce que tu me suivrais ? » …Euh… Bonne question ! Elle me

dit : « Toi et ta prairie ! Tu n’arriveras jamais à lâcher ta prairie ».

Quand je pars en vacances, comme là on est parti trois semaines dans le Var,

et ben ma prairie elle me manquait. Je me suis dit : « Je suis bien content

de rentrer ». Si j’ai pas ça une fois dans la semaine… Tiens, tu vois,

je suis ému rien que d’en parler !Je suis bien accroché, là,

attaché à la terre.

J’espère qu’on peut encore la préserver. Mais j’ai des

craintes par rapport à l’avenir. Qui va aller en commissions,

aller en réunions, essayer de faire de la pédagogie, essayer d’expliquer

le bien fondé de la prairie, la chaîne écologique ? Qui va faire

ça dans vingt ans, trente ans, quand on ne sera plus là ?

Tiens le pinson vient de se remettre à chanter, tuituituituituitui !

Nous passons trois jours au nid, le temps de découvrir cette

jolie plaine de Meuse que Dom nous présente comme il nous

présenterait sa meilleure amie.

On commence à baisser la garde.

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La Meuse à travers champs

Sac sur le dos, la marche reprend à travers les courbes douces de la Meuse. Partout, nous croisons le chemin de gens entreprenants.

À Dun-sur-Meuse, Kris a installé son restaurant après un burn-out. À Villers-devant-Dun, Frank, ébéniste, restaure la ferme qu’il a rachetée et se remet à la sculpture ; Ariella, avocate, relève le pari du télétravail. À Charmoy, Alain utilise les grains de son exploitation céréalière pour produire lui même une bière soyeuse et aromatique. A Stenay, c’est une équipe de vingt bénévoles qui a initié le projet devenu aujourd’hui musée européen de la bière.

Tous ont suivi leurs envies en dépit des mises en garde et des discours défaitistes. Il suffit de les regarder vivre pour savoir qu’ils n’ont aucun regret. Leur accueil est chaleureux, leur énergie communicative.Ces bonnes ondes nous enhardissent. Nous empruntons des sentiers de moins en moins balisés. Dans les traces des tracteurs, à la lisière des bois, le long des lignes de crêtes et des clôtures barbelées, les chemins ondulent, rigolent sous nos pas lourds de tortues-randonneurs.

Entre les rangées de maïs et de céréales, nous marchons droit devant, dispersons les spores, essaimons les pollens. Les graines de blés sauvages se plantent dans nos chaussettes,

les orties caressent amoureusement nos mollets. Tout droit, à travers champs, nous battons la campagne.

Des traces obscures dans les bois coupent court à tout enthousiasme. Sang coagulé, terres fraîchement retournées ; miradors aux aguets, arbres solitaires, branches nouées ; façades vidéo-surveillées, cabanes vermoulues, volets clos. Nous nous enfonçons au creux d’un vallon.

Sur les colonnes solennelles délimitant une porte, deux aigles pétrifiés commandent le silence. Au delà du seuil s’alignent des milliers de croix blanches. Nous errons parmi les pierres tombales du plus grand cimetière militaire américain d’Europe. La perspective créée par le nombre est vertigineuse. Allées et contre-allées s’ordonnent selon une symétrie parfaite. La nature est au garde-à-vous.

Cet endroit est l’antichambre de nulle-part. À Romagne-sous-Montfaucon, tous les commerces sont fermés. Aux fenêtres, des poupées, sourire figé, nous regardent passer dans les rues vides. Agressions et enlèvements d’enfants ont ébranlé la vie du village. Le garçon qui nous donne de l’eau pour la nuit nous déconseille le camping municipal.

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Les haies craquent sous le vent, des formes disparaissent dans les branchages… Demain nous dévaliserons la boulangerie de Montfaucon. Pour l’heure, nous lorgnons sur les vaches charnues comme deux fauves affamés. De la côte à l’os sur pattes. Envie de viande… saignante !

Jusqu’ici, les recherches consistaient à trouver un toit, une prise électrique et un peu de réseau. Nous nous recentrons sur des besoins plus fondamentaux : manger.La promesse d’une boulangerie et l’espoir d’un bistro sont nos bonheurs du jour. Bières et pâtés lorrains nous tiennent lieu de régime alimentaire. Mais dans ce désert d’hommes, plus de commerces, plus de cafés, plus de boulangeries. Les villages sont une poignée de maisons alignées le long d’une rue.

Toquer aux portes pour acheter quelques œufs et une salade, tendre l’oreille au klaxon de la camionnette du boulanger ou lever le pouce pour atteindre le prochain village ? Nous optons pour la dernière option. Nous arrivons à Varennes dans la voiture du livreur de catalogues.

À l’hôtel du grand monarque, l’accord entre la couleur des serviettes, les motifs de la nappe et les tapisseries aux murs est discutable. Mais le fromage de tête, l’andouillette au brie et le tiramisu mettent tout le monde d’accord.

Les fraises des bois de la forêt d’Argonne apporteront un peu de légèreté. Nous partons les cueillir.

Dans l’Argonne, du bon son pour les ânes

Le soleil décline tranquillement sur la campagne. Dix ânes paissent dans un champ de marguerites. Une tête de cheval marque l’entrée du village d’Èvres-en-Argonne.Des voitures en enfilade stationnent comme elles peuvent sur le bord de la route. Le vernissage va bientôt commencer. Sous le toit-cathédrale de la grange à son, tous les âges se côtoient. On ne sait pas très bien qui est l’ami, l’invité, l’artiste, l’organisateur… Tout le monde est là, à pied d’égalité. 

Anes art’gonne. Un double jeu de mots qui campe le décor de ce lieu où depuis vingt ans, on ne jure que par le collectif. Des balades en ânes, des concerts, des expositions, une boutique de commerce équitable et un gîte en plein milieu des jolis champs de la Meuse… Une autre manière de faire de la politique.

La politique, Jacques Thiercy en connaît bien les acteurs, les rouages, les travers. Chargé de mission auprès du préfet, il n’y a guère qu’à lui que l’ancien infirmier n’ait pas dit « Je t’emmerde ». Passer pour un « Zombie » ?  Il a l’habitude et il s’en fout. Trop de choses à faire pour s’embarrasser avec des cons.

Trouver des artistes, préparer les ânes, enlever les limaces du jardin, organiser les expos… La grange est un centre culturel qui ne dit pas son nom et qui tourne à 75% en autofinancement. Les ogres de barbac, Jeanne Cheral, la roulette rustre, barzingault,

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les hurlements d’Leo, la caravane passe… On ne vient pas ici pour le cachet.

Quelque chose de spécial se passe sous le toit de la grange à son. C’est la fête hors-circuit, loin du show-business, le plaisir de partager un moment ensemble sous la charpente de la grange. Les ânes se dirigent vers la clôture. Le concert va commencer.

Le public a répondu présent. Et financièrement ? Jacques bougonne dans sa barbe fleurie.

« Financièrement, je m’en fous. Si j’ai dix spectateurs à qui ça a fait plaisir, c’est déjà gagné. Ce soir, il y

avait un gars de cinquante ans. C’était son premier concert. Ça c’est super. »

Il dit qu’il en a marre, qu’il est temps de passer la main, de faire autre chose :

Et le voilà parti chercher le maire de Verdun pour s’assurer du prêt de la scène. Le festival « Au pré de mon âne » aura lieu cet été pour sa sixième édition. Parce qu’il n’y a que deux saisons dans la Meuse : l’hiver et le 15 août.

Randonnée artistique au Vent des Forêts

« Ce n’est pas du land art. Ce n’est pas une exposition. Ce n’est pas

un musée. Ce n’est pas une galerie. »

Au téléphone, Pascal Yonnet, le directeur du Vent des Forêts, défend bec et ongle

l’originalité de cet « Espace rural d’art contemporain ». Nous sommes venus rencontrer les acteurs bénévoles qui sont au cœur de la démarche. Qui saura nous parler de ce projet si particulier ? L’enquête est ouverte.

À la table de Chantal, notre hôte, nous croisons Ehren Tool, l’artiste sculpteur qui travaille au village de Pierrefitte. Chantal met son atelier à sa disposition. C’est le principe du Vent des Forêts : tout le monde participe à l’organisation de l’événement, de l’accueil à l’hébergement en passant par la mise en place des œuvres.

En quelques jours, l’imposant sculpteur est devenu la coqueluche du village. L’association de poterie du coin a même saisi l’occasion de s’incruster. Quelques « tentatives » poireautent à la porte du four. Un des membres m’entreprend sur les techniques, les cuissons, les matières… Ne sachant comment exprimer mon ennui, je me plonge dans la contemplation des séries de pots qui sèchent à la lumière de la verrière.

Tout le monde se presse à l’atelier pour voir naître les coupes des grandes mains glaiseuses d’Ehren. Certains apportent des souvenirs de guerre qui serviront à personnaliser les œuvres. L’artiste est un ancien « marines », vétéran de la guerre du golfe. Son message de paix trouve écho ici où la mémoire des deux guerres mondiales est encore vivante.

Créer une œuvre qui se nourrit de l’identité du territoire,

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c’est l’un des principes propre au Vent des Forêts. Mais un portrait en anglais s’annonce compliqué…

« Et Madame Simon ? » propose Chantal. Son café a longtemps été le point de repère de l’organisation. Promeneurs, artistes, bénévoles s’y rassemblaient pour bavarder et définir le programme du lendemain, entre un plat de concombres et un civet de lapin. Si c’est encore ouvert, Madame Simon est la personne qu’il nous faut.

Nous arrivons en pleine partie de Scrabble. Le Vent des Forêts ? Le visage contrarié de la vieille dame s’illumine. On rapproche les chaises, on sort les gâteaux. Fred va chercher son Perrier à la réserve. Micro on.

« Le Vent des Forêts ! Ah oui, c’est un Meusien qui a lancé ça. Comment qu’il s’appelle donc ?

Les noms m’échappent… François Davin! Au début c’était bien, j’avais beaucoup de monde,

les artistes venaient manger avec leurs familles d’accueil. Mais c’est fini. Je suis trop vieille pour faire la cuisine. 

Il n’y a plus personne maintenant. Quelques promeneurs comme

vous. Je les envoie se servir. Mes enfants me disent que je suis

plus bonne qu’à la caisse. Ben c’est déjà pas mal, que je leur dis ! Tiens

voilà ma bru, on va faire un scrabble. Vous jouez ? Non… Bon ben

je vous en aurai raconté, vous en avez bien

pour vos quat’ sous ! »

Elle empoigne son déambulateur, s’installe à la table d’à côté… Pour un portrait, ça va faire un peu court…

Le chemin du retour nous emmène sur le parcours où souffle le Vent des Forêts. La campagne est calme, le ciel menaçant. Aux premières gouttes, nous nous réfugions dans les bois. La balade est une belle occasion de découvrir la forêt où s’immiscent des langues de céréales vert tendre. De l’art ou de la nature, lequel est le prétexte pour venir découvrir l’autre ? On ne sait plus très bien.

Un commerce providentiel

D’une manière ou d’une autre, tout le monde prend part au Vent des Forêts. À l’épicerie de Nicey-sur-Aire, on accueille les locaux, on distribue le programme, on renseigne les visiteurs. Les Choukri ont le sens du service. Aménagé dans un coin de la supérette, un bar offre même aux visiteurs de passage un peu de convivialité.

Un bar dans une épicerie ? On se regarde avec Fred… Depuis notre traversée du désert nord-meusien, on sait l’importance de ce type de commerce dans la vie d’un village.

Le carillon retentit lorsque nous passons le seuil du magasin. Le sourire de Marina Choukri est engageant. Elle manifeste

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un plaisir évident à évoquer les souvenirs de son arrivée dans le village.

« On a eu tout de suite le coup de cœur pour Nicey. Quand on a dit

à nos amis parisiens qu’on partait en Meuse, ils ont eu une première

réaction :« C’est où la Meuse ?»

puis une deuxième quand on leur a dit que c’était dans l’Est :

« Dans l’Est !!! Mais vous êtes fous ? Dans le sud, on aurait compris mais dans l’Est ! »

Aujourd’hui, on est là depuis huit ans et puis on s’y plaît, quoi !

L’histoire c’est que le dernier commerce du coin avait fermé

quelques mois avant notre arrivée et que les habitants

et la communauté de commune refusaient de voir mourir le village.

Je pense qu’ils avaient vraiment conscience que s’ils ne

se bougeaient pas, personne ne se préoccuperait d’un petit village

au fin fond de la Meuse. Donc ils ont décidé de se prendre en main.

Ça vaut pour Le vent des forêts, ça vaut pour le festival Ma rue

prend l’air, il y a plein d’associations très actives dans le coin. Moi, mes enfants n’avaient jamais vu de pièces de théâtre avant

qu’on arrive ici, hein ? Même à Paris ! Alors qu’ici…

Bref, c’est la communauté de communes qui a racheté

les murs, une association d’habitants a repris une partie

du matériel du commerce et ils ont mis une annonce dans SOS village

et Village magazine pour chercher un repreneur qui accepterait d’intégrer les locaux. Nous, on avait une boutique

un peu dans le même style en région parisienne, on commençait à se

lasser et on cherchait un petit village pour reprendre le commerce rural.

On a tout de suite eu le sentiment d’être intégré à la vie du village.

Tout le monde est vraiment concerné par le fait que le commerce doit

vivre et que ça fait vivre le village et les alentours. Il ne faut pas

se leurrer, on sait qu’il y a des gens qui sont racistes. Le FN fait des gros scores dans le coin

mais honnêtement, à notre niveau, on n’a pas eu ce ressenti.

On a l’impression d’être là depuis très longtemps

et de faire parti du paysage.

Et puis voilà, ici, les clients trouvent tout ce dont ils ont besoin.

Il y a le bar, l’épicerie, le tabac, le dépôt de gaz, on fait les livraisons

à domicile pour les gens qui ne peuvent pas se déplacer, on fait les photocopies, on a un point-

poste en partenariat avec la poste de Pierrefitte-sur-Aire, on fait dépôt

de pain le mercredi en remplacement de la boulangerie… Les clients n’ont pas besoin de reprendre

la voiture et de circuler partout. »Cette année, le commerce s’agrandit parce que le bar

ne suffit plus, victime de son succès.

C’est surtout pour l’hiver, parce que l’été ça va encore, il y a la terrasse, à la bonne franquette mais l’hiver,

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quand il fait moins dix ou qu’il y a de la neige, c’est plus délicat. C’est une demande pressente

des habitants depuis deux ans. Donc voilà, le projet est sur les rails.

De temps en temps, on nous demande : « Ça va toujours ? Vous êtes bien,

vous vous plaisez toujours ? » C’est vrai qu’on est dans un contexte pas simple,

ici on voit beaucoup d’usines du coin fermer avec des gens

qui se retrouvent au chômage. On a des clients qui y travaillent, qui nous racontent un peu leurs

malheurs, on se rend bien compte de la chance qu’on a.

Notre chance, c’est que les habitants tiennent à nous ! »

Un claquement sec interrompt la discussion.

« C’est le tue-mouche, ça fait plus propre. Les serpentins, dans un

commerce, c’est un peu limite ! »

Le carillon sonne et deux hommes rentrent dans la boutique.

« Bonjour Jean Pierre, Claude. Ça va ? Ça va Claude ? Yvette ?

- Mets moi un grand rosé bien frais s’il te plaît.

- Il sort d’un enterrement, le Jean Pierre.

- J’ai mis la sono et le drapeau alors je vais te dire…

- Oh et puis le Dominique il avait oublié de dire à tout le monde de

s’asseoir, alors tu avais tout le monde qui restait debout… Ce bazar !

- C’était un ancien combattant. Moi, je suis vice président d’une association,

le souvenir français… Ici dans la Meuse, on est toujours en guerre.

- C’est qui l’ennemi, aujourd’hui ?- La désertification. »

À la terrasse de l’épicerie, la correspondante du journal local nous attend en embuscade. Elle aussi fait la chasse aux portraits et le nôtre l’intéresse. Nous sommes invités pour la soirée.

On ne pouvait pas mieux tomber. Chantal participe à l’aventure du Vent des Forêts depuis ses débuts. Elle a pris part aux premiers comités de sélection des œuvres, accueilli des artistes estoniens, norvégiens, japonais. Son mari Joël, grand bricoleur,a prêté sa tronçonneuse, sa perceuse et son énergie à des artistes de renommée mondiale. En matière d’art, le couple en connaît plus que bien des salonnards parisiens.

« Et le perchoir ? Et la noisette? Vous avez vu les cabanes

de Matali Crasset ? »

Non. Les structures de métal et de bois offrent un abri à la fois design et bien intégré dans leur clairière d’accueil. Parmi les arbres, sous les étoiles, on aurait bien passé la nuit dans une de ces maisons sylvestres !

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Canicule, confitures et agriculture

De l’extérieur, le bar-épicerie avait l’air fermé. C’est le seul du village. Bestiole nageant dans le café, kiwis pourris dans les cageots, une pomme attend celui qui l’emmènera loin d’ici. Au comptoir aussi, les clients moisissent, cuits par l’alcool. Des gouttes de sueur perlent au front de mon voisin. La chaleur est le sujet du jour.

« Même en moto ! L’air est si chaud, ça ne rafraîchit rien du tout.

Autant aller se baigner dans la Meuse ! »

Ici, les tournées de rosé tiennent lieu de piscine. Je m’enfuis avant de me noyer. Dehors, le soleil blanchit la campagne. L’ombre bienfaisante des forêts abrite la poésie des sentiers botaniques, au langage fleuri de calices, de corolles, de pétales et d’étamines. Enfin un peu de fraîcheur !

« Vous avez vu du gibier ? »

À Chonville, charmant village au creux d’une vallée dorée au blé fin, les automobilistes me confirment que les chevreuils, les renards et les sangliers pullulent. Il n’y a que moi qui ne vois rien ! Je les entends marcher, glapir, détaler… Rien en vue. Rien d’autre que les cris d’alerte des oiseaux et le bruit du vent dans les feuilles. Je les soupçonne de danser le sirtaki dès que j’ai le dos tourné. Un rapace me passe sous l’objectif. Encore raté !

Dans le zézaiement des mouches, je joue à cache-cache avec les animaux. Il n’y a que les taons qui sont de sortie. De la tête aux pieds, je suis couvert de gros boutons boursouflés.

À Saulvaux-en-Barrois, j’aperçois enfin mon premier renard. Pas de bistro, pas d’épicerie, pas de boulangerie même ambulante pour fêter l’événement. On me confirme que tous les villages alentour sont dépourvus de commerces.

« C’est ça, la ruralité !»

Je ne parviens pas à identifier si le ton est fier ou moqueur.

Je franchis le pont qui enjambe la nationale quatre. Sous mes pieds, les voitures filent en quelques minutes à Commercy ou à Ligny-en-Barrois. Là-bas, il doit y avoir des boulangeries, des charcuteries, des primeurs… Moi je suis à une heure à pied de Méligny-la-Grande. Si j’ai de la chance, il y aura de l’eau fraîche.

À la ferme de La clé des champs, Christian Bouchot m’accueille comme un rescapé. La canicule est en train de sécher ses blés sur pied. Je dois ressembler à un épi. L’agriculteur est fébrile. C’est le premier jour des moissons. Une année de travail va se jouer en une petite semaine et un engin est déjà en réparation. Il est grand temps de récolter avant que ce soleil implacable ne grille tout.

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Dans la cuisine, Martine prépare une brioche tressée pour la visite du lendemain. Si elle est femme de paysan – « un métier à part entière » – elle est aussi entrepreneuse. La clé des champs est une ferme pédagogique. Le verger bio se visite et surtout, on déguste ses confitures de tout petits fruits ! Mente bergamote, pétale de roses, fleurs de sureau, poirettes, physalis… À tomber raide !

« Depuis toute jeune, dés que j’ai su lire, j’ai eu envie de connaître

le nom des fleurs que je rencontrais. Et puis comme ma mère travaillait, on a eu des nounous dont une qui adorait grignoter les petites baies

dans la nature. Elle nous disait « Par ici, c’est bon, les oiseaux

les mange ! » Alors quand j’ai eu dix-huit ans, facilement pendant

mes temps de loisir, je prenais mon vélo et j’allais au pissentlit, comme mon arrière grand-mere !

Aujourd’hui, je suis agricultrice à Meligny-le-Petit, dans le sud meusien. La Meuse est un petit département qui n’est pas trop peuplé. Quand on dit qu’on va

en vacances, tout de suite tu vas où « Dans le sud, dans

le Rhin, en Bretagne », et on dit pas qu’on va en vacances

en Meuse, hein, voilà, jamais ! Pourquoi ? Pourquoi ? Les gens

ne connaissent la Meuse que par la guerre. Bon alors là en ce moment,

on en parle encore plus parce que c’est le centenaire de la grande guerre alors forcément on parle

que de ça, mais ça n’est pas que ça !

Je suis peut-être un peu chauvine mais je suis fière de ce qu’on fait nous

sur la ferme mais je suis fière aussi des autres producteurs

avec qui je travaille, je suis fière de tout ce qui se fait

en Meuse et quand je suis à l’extérieure, je suis contente de vendre

mon département et de me dire que ça fera peut-être venir du monde

parce qu’on a, j’ai aussi ce soucis-là de promouvoir toutes ces choses là qui ne sont pas que agricoles.

Moi qui n’étais pas du monde agricole, j’ai eu envie à un moment

donné d’être aussi reconnue parmi le monde agricole. On ne

se le dit pas mais je crois qu’après coup mon produit m’a aidé à me réaliser et à exprimer

ce que je suis. C’est ça, être en phase avec soi même.

Pouvoir dans son métier être en phase avec ses convictions, transmettre

des choses, se réaliser, quelque part. »

La surface qu’elle occupe et sa production sont dérisoires mais Martine croit au pouvoir du consommacteur. Elle souhaite lui transmettre l’envie de manger mieux, lui donner le goût des bonnes choses et indirectement, orienter les gros acteurs vers une agriculture moins polluante et plus responsable. En bonne disciple de Pierre Rabhi et de ses colibris, Martine « Fait sa part ».

« Le développement durable, des fois, c’est apprendre à faire

des choix. C’est entre deux choses qui ne sont des fois pas trop bien,

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choisir la moins mauvaise et choisir le meilleur du progrès. Et les enfants,

c’est leur apprendre à faire des choix aussi. Eux ils ont

un vrai rôle. C’est ça que je leur apprends. Ils vont des fois

se dire « Est-ce que je vais chez le maraîcher du coin ou est-ce que

je vais chercher un légume au supermarché qui a voyagé ?. Je

leur apprends que voilà en tant que consommateur,

ils peuvent être aussi responsable. »

Ça fait sourire Christian, ces histoires de consommacteurs et de bobos biogivores qu’il traite d’« égoïstes apeurés » : très vigilants sur ce qu’ils mettent dans leur assiette (préserver son capital santé), moins regardants lorsqu’il s’agit de s’envoler pour Bali (préserver son capital loisir). Un bilan carbone à deux vitesses.

Lui cherche la solution ailleurs. Des parcelles de son exploitation servent à l’expérimentation de techniques nouvelles. L’idée : utiliser le C02 en surplus dans l’atmosphère pour reminéraliser les terres épuisées par des années de culture intensive grâce à des plantes à racines profondes.

Pointu, le Christian ! Ça ne l’empêche pas de recommander des bains de pieds au vinaigre de cidre pour soigner… à peu près tout, en fait. À commencer par mon mal de genoux !Martine, Christian, deux approches qui diffèrent. To bio or not to bio ? Une chose est sûre :

pour l’un comme pour l’autre, manger est devenu un acte politique.

Un piano dans le moteur

Quand le courant passe, on me renvoie vers d’autres lieux conducteurs. C’est Jacques d’Ânes Art’gonnes qui m’a recommandé d’aller faire un tour à Écurey pour rencontrer la Compagnie Azimuts.

« Je ne sais pas pourquoi ils sont allés s’enterrer là-bas, mais va y faire

un tour. C’est bien, ce qu’ils font. »

J’arrive à Écurey où des sons s’échappent d’une grande halle de brique. Le site est une ancienne fonderie et conserve encore des centaines de pièces uniques mais les sons qui m’accueillent ne sont pas ceux d’une forge.

Le tintamarre est celui d’un garage en pleine ébullition. Une Vauxhall rose, look sixties rock’n’roll, une Austin noire, modèle taxi londonien, une estafette bleue Renault, type panier à salade soixante-huitard squattent la halle. Ils ont de la personnalité, les véhicules sonores de la Rue de la casse, la troupe en résidence.Bricolés dans les carlingues réaménagées en salle de concert, il y a du boulon, des poulies, des pistons, des moteurs électriques, des robinets d’air, tout un univers à la fois très concret et très poétique. Aux commandes de la Vauxhall, Valentin Monnin caresse le châssis, pousse des boutons, actionne des leviers, soulève des capots.

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La musique qu’il fabrique est ancrée dans la matière. Des disques de freins qu’on frotte et qu’on frappe, un piano joué à même les cordes, des tuyaux qui chantent…  Créer de l’imaginaire à partir du réel fonctionne à merveille.La Compagnie Azimuts anime le territoire du sud-meusien depuis dix-huit ans. À sa tête, Isabelle Rauletet Michael Monnin sont les apprentis-sorciers qui tentent de piquer la curiosité d’un public pas forcément conquis d’avance. Leur action s’inscrit dans celle plus large du pôle d’excellence rural d’Écurey où la compagnie est désormais installée en résidence permanente. Éco-construction, valorisation du patrimoine, agriculture biologique… Écurey joue la carte du développement durable en « Expérimentant le bien vivre en milieu rural ». À quelques nuages de là, le « laboratoire » de recherche souterrain de Bure fait de l’ombre au tableau.

Rayonnement culturel et radioactif

Des déchets nucléaires hautement radioactifs sont destinés à être stockés dans les couches géologiques pour les dizaines de milliers d’années à venir.

Le projet baptisé Cigéo (pour centre industriel de stockage géologique) est monumental. Son budget atteint trente cinq milliards d’euros, dont trente millions versés chaque année à la Meuse – un huitième du budget total du département –, une sorte de dédommagement pour les risques encourus.

Face à cette manne providentielle, difficile de faire la fine bouche.

Toutes les communes voisines du site sont irriguées par l’argent de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets Nucléaires, l’ANDRA.

Saisie par les opposants au projet, la cour administrative d’appel de Nancy reconnaît que « Les subventions altèrent le débat démocratique ».

Pour Michael de la Compagnie Azimuts,

« Personne n’est à l’aise avec ça. Quand j’avais vingt ans, j’étais

très actif dans la lutte anti-Bure ».

La directrice du pôle d’Écurey avoue en épluchant ses pommes de terre bio :

« Entre nous, on n’en parle pas, le sujet est trop sensible. »

Trop sensible également pour l’assemblée nationale où la question de Bure ne fera pas débat.

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La guerre de Bure n’aura pas lieu

Intégré à la loi Macron sur proposition du sénateur de la Meuse Gérard Longuet, le projet est entériné définitivementà grand renfort de 49.3. Bure sera le site d’enfouissement des déchets nucléaires français parce que l’État en a décidé ainsi. La procédure sera pourtant jugée « Contraire à la constitution » par le conseil constitutionnel qui l’invalidera quelques mois plus tard.

Pour ceux qui vivent ici, la politique, c’est ça. Des accords conclus en haut lieu, des décisions imposées et l’impression de ne pas être pris en compte.

Écurey poursuivra sa mission d’expérimenter le bien vivre en milieu rural et Azimuts celle d’animer le territoire par le théâtre de rue. Chacun avec le sentiment de faire progresser les choses malgré tout.

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- À suivre -

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L’éditeur, l’auteur et le photographe tiennent à remercier :

Danielle, Michel et Carole pour leur soutien moral dans les moments parfois difficiles de l’écriture et les relectures enthousiastes,

Agnès, pour la confiance inconditionnelle, François, pour les innombrables coups de main techniques,Vincent et Gregory pour le support logistique,Romain pour la veille « livres photo »,Janine pour avoir éclairé le chemin,

Jean-Pierre, Pascal, Alan, Véronique et Dom, Jacques, Chantal et Chantal, Marina, Martine et Christian, Amélie et Matthieu, Étienne, Charlot, Florence et Pierre, Claire, Jean-François, Bernard, Franck, Nathalie et François, Cathy et Hervé, Valérie et François, Françoise et Carlos, Jean, Yvan, Gilles, Yann, Marion et Sam, Vincent, Dominique, Élisabeth et Philippe, Alain, Catherine et Walter, Benoît et les Arvieunois, Constant, Laëtitia et Laurent, Françoise et Jean-Claude, Hélène et Jean, Hélène et Benoît, Jacques, Pascal, Fred et les membres du battement d’ailes, Julie et Baptiste, Sophie et Karim, Okllo et Simone, Caroline, Sylvie et Gilles pour leur temps, leur accueil, leurs histoires passionnantes et les bons moments partagés,

Et tous les contributeurs qui ont soutenu le projet et rendu cette aventure et ces rencontres possible.

Couverture  extérieure et carte : Katrina « Zero the one » TanCouverture intérieure et maquette : Manon Suène PradierImpression : Nouvelle Imprimerie Laballery

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