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Les alpages sont des espaces naturels d’altitude valorisés par l’élevage pastoral. Les conditions d’une bonne exploitation de ces pâturages sont de mieux en mieux connues et font l’objet de conseils auprès des éleveurs. Mais la qualité de la ressource pastorale dépend aussi des insectes coprophages qui jouent un rôle essentiel dans la fertilité des espaces pâturés par leur travail de dégradation des fèces des troupeaux. Depuis une 30 ne d’années, des études toxicologiques font état de la nocivité de traitements antiparasitaires mal maîtrisés sur les insectes coprophages notamment. Qu’en est-il pour quelques alpages des Alpes du Nord ? Dans le cadre du réseau Pastor’@alpes, l’ADEM Drôme a mené une enquête pendant l’été 2011 sur 11 alpages de la Drôme avec une ouverture sur des alpages d’Isère (2), de Savoie (4) et de Haute-savoie (2). Ce document en propose une synthèse des résultats. Certains produits antiparasitaires, utilisés pour protéger les troupeaux, sont potentiellement nocifs pour les insectes coprophages : les matières actives, après avoir agi chez l’animal, peuvent être rejetées dans les fèces. Les insectes coprophages sont alors exposés aux effets négatifs de ces molécules, qui sont létaux (ex : mort des adultes et des larves) et/ou sub-létaux (ex : ralentissement de la croissance des larves). Cet impact ne concerne que certains produits et dans certaines conditions d’administration. Evaluer ce risque pour les insectes des alpages nécessite de connaître les pratiques sanitaires des éleveurs et bergers. PRATIQUES S ANITAIRES ET ENTOMOFAUNE SUR 19 ALPAGES DES ALPES DU NORD Quel impact des traitements antiparasitaires sur les insectes coprophages des alpages ? Les insectes coprophages : un rôle agronomique indispensable Les insectes coprophages sont des diptères (mouches) ou coléoptères (bousiers) qui colonisent les fèces du bétail. Selon les espèces, ils s’en nourrissent, y creusent des galeries, y pondent pour que les larves s’y développent, enfouissent la matière dans le sol… Ainsi, ces insectes sont les 1 ers acteurs de l’aération de la matière fécale, de son humidification, de son ensemencement par d’autres microorganismes…. Ces processus participent à la dégradation et à la dispersion des excréments et au renouvellement de la matière organique. Les coprophages jouent donc un rôle phare dans la fertilité des sols des espaces pâturés. Des entretiens pour connaître les méthodes de gestion du parasitisme Un échantillon de 19 alpages, collectifs ou individuels, dont 11 alpages dans la Drôme. ; 35 éleveurs (pour 38 troupeaux) et 6 bergers rencontrés en Drôme, Isère, et Savoies ; Des productions ovins viandes et bovins viande, bovins lait et équins viande représentées. ; Des entretiens sur la conduite des troupeaux (organisation technique, calendrier de pâturage…), la gestion du parasitisme (problèmes, diagnostics, prévention, traitements…), et l’entomofaune (connaissance de l’impact des produits, observations sur les insectes…).

PRATIQUES SANITAIRES ET ENTOMOFAUNE SUR 19 ALPAGES DES ... · La période d’alpage représente un changement de milieu pour les bêtes qui peut nécessiter un déparasitage

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Les alpages sont des espaces naturels d’altitude valorisés par l’élevage pastoral. Les conditions d’une bonne exploitation de ces pâturages sont de mieux en mieux connues et font l’objet de conseils auprès des éleveurs. Mais la qualité de la ressource pastorale dépend aussi des insectes coprophages qui jouent un rôle essentiel dans la fertilité des espaces pâturés par leur travail de dégradation des fèces des troupeaux. Depuis une 30ne d’années, des études toxicologiques font état de la nocivité de traitements antiparasitaires mal maîtrisés sur les insectes coprophages notamment. Qu’en est-il pour quelques alpages des Alpes du Nord ? Dans le cadre du réseau Pastor’@alpes, l’ADEM Drôme a mené une enquête pendant l’été 2011 sur 11 alpages de la Drôme avec une ouverture sur des alpages d’Isère (2), de Savoie (4) et de Haute-savoie (2). Ce document en propose une synthèse des résultats.

Certains produits antiparasitaires, utilisés pour protéger les troupeaux, sont potentiellement nocifs pour les insectes coprophages : les matières actives, après avoir agi chez l’animal, peuvent être rejetées dans les fèces. Les insectes coprophages sont alors exposés aux effets négatifs de ces molécules, qui sont létaux (ex : mort des adultes et des larves) et/ou sub-létaux (ex : ralentissement de la croissance des larves). Cet impact ne concerne que certains produits et dans certaines conditions d’administration. Evaluer ce risque pour les insectes des alpages nécessite de connaître les pratiques sanitaires des éleveurs et bergers.

PRATIQUES SANITAIRES ET ENTOMOFAUNE SUR 19 ALPAGES DES ALPES DU NORD Quel impact de s tr aiteme nts antipar asit aire s sur le s insecte s coprophages de s alpage s ?

Les insectes coprophages : un rôle agronomique indispensable

Les insectes coprophages sont des diptères (mouches) ou coléoptères (bousiers) qui colonisent les fèces du bétail. Selon les espèces, ils s’en nourrissent, y creusent des galeries, y pondent pour que les larves s’y développent, enfouissent la matière dans le sol… Ainsi, ces insectes sont les 1ers acteurs de l’aération de la matière fécale, de son humidification, de son ensemencement par d’autres microorganismes…. Ces processus participent à la dégradation et à la dispersion des excréments et au renouvellement de la matière organique. Les coprophages jouent donc un rôle phare dans la fertilité des sols des espaces pâturés.

Des entretiens pour connaître les méthodes de gestion du parasitisme

Un échantillon de 19 alpages, collectifs ou individuels, dont 11 alpages dans la Drôme. ; 35 éleveurs (pour 38 troupeaux) et 6 bergers rencontrés en Drôme, Isère, et Savoies ; Des productions ovins viandes et bovins viande, bovins lait et équins viande représentées. ; Des entretiens sur la conduite des troupeaux (organisation technique, calendrier de pâturage…), la gestion du

parasitisme (problèmes, diagnostics, prévention, traitements…), et l’entomofaune (connaissance de l’impact des produits, observations sur les insectes…).

GERER LE PARASITISME : UNE DIVERSITE DE PRATIQUES D’ELEVEURS ET DE BERGERS

Chez les éleveurs enquêtés, la pression parasitaire semble moins contraignante dans des milieux secs (sud Drôme) que dans des zones plus humides (comme dans les Savoies). Les parasites internes les plus courants sont les strongles intestinaux et la petite douve. Les parasites externes les plus fréquents sont les mouches et les myases.

Pratiques sanitaires en exploitation…

Les pratiques antiparasitaires sont très variées : selon le type de production et de lots d’animaux ciblés, en terme de produits choisis, mais aussi de période et de fréquence d’application, de mode d’administration… La prise de décision de déparasiter est raisonnée selon : les parasites présents et le niveau d’infestation,

éventuellement repéré par un diagnostic. des facilités pratiques, et des motivations

économiques, ou environnementales, propres à chaque éleveur.

Des influences extérieures : conseils du vétérinaire, règlement sanitaire du groupement pastoral.

Les éleveurs pastoraux enquêtés réalisent peu de traitements antiparasitaires dans l’année (cf. graphe). Ceci est probablement lié à des pratiques d’élevage extensives, qui permettent souvent de prévenir le parasitisme par la valorisation de surfaces importantes et pâturées seulement une ou deux fois dans l’année.

… et pratiques sanitaires en alpage.

Les troupeaux font généralement l’objet d’un tri des animaux les plus faibles avant la transhumance. Des troupeaux montés en alpage en bon état de santé limitent les interventions sanitaires du berger.

Sur les 13 alpages ovins viande, peu de problèmes sanitaires : le travail des bergers est limité à quelques bêtes par saison. Les traitements ne concernent pas tellement des parasites mais plutôt des plaies, boiteries… Les produits à voie locale, souvent à base de plantes (ex : huile essentielle de lavandin), sont privilégiés et les traitements antibiotiques ne sont utilisés qu’en second recours. Sur les 8 alpages bovins, surtout des parasites externes (ex : mouches, taons) : le contrôle de l’infestation se fait par des traitements répétés ou avec des produits rémanents. Ce parasitisme est surtout présent sur les alpages humides, notamment laitiers. En période de lactation, le suivi du parasitisme est rigoureux pour ne pas risquer une baisse de production. Les 4 troupeaux laitiers reçoivent donc plus de traitements pendant l’année (entre 2 et 5), notamment lors de la période d’alpage.

La coprologie, un diagnostic utile

La coprologie est l’examen au laboratoire des excréments prélevés par l’éleveur. Elle permet de détecter les œufs de parasites, et sert ainsi à évaluer le niveau de parasitisme d’un troupeau. Ce diagnostic est utilisé par 18 des 35 éleveurs enquêtés afin de mieux cibler le traitement, de le supprimer s’il n’est pas nécessaire, ou au contraire, de détecter des infestations insoupçonnées.

PRATIQUER L’ALPAGE : QUELLE INFLUENCE SUR LA STRATEGIE ANTIPARASITAIRE ?

La période d’alpage représente un changement de milieu pour les bêtes qui peut nécessiter un déparasitage spécifique du troupeau. 3 types de pratiques sont identifiés : 1. Déparasiter le troupeau avant l’alpage pour monter des animaux sains : 18 troupeaux de l’enquête, dont 16 ovins allaitants et 2 bovins allaitants, sont traités dans les quelques jours précédant la montée en alpage. L’objectif est de laisser au berger des animaux en bonne santé, de ne pas infester les autres troupeaux, ou encore de se prémunir de parasites typiques de l’alpage (ex : œstre). Pour les alpages collectifs, ce peut être une condition indiquée dans le règlement sanitaire des groupements pastoraux avant le mélange des troupeaux.

2. Déparasiter le troupeau pendant l’alpage pour répondre à une pression parasitaire nouvelle : Ce sont 8 troupeaux, dont 5 troupeaux bovins allaitants ou laitiers sensibles aux parasites externes, 1 troupeau équin et 2 troupeaux ovins que les éleveurs préfèrent vermifuger pendant l’été. Ils ne traitent souvent que les animaux les plus faibles ou les plus sensibles (agneaux notamment).

3. Pas de déparasitage en relation avec l’alpage : Pour les 12 autres troupeaux, la période d’alpage n’est pas le moment d’un déparasitage spécifique. 7 éleveurs déparasitent à d’autres périodes clés de l’année (rentrée d’hiver ou après la mise à l’herbe le plus souvent). 5 éleveurs n’effectuent aucun traitement systématique sur le troupeau en raison d’un faible risque parasitaire, soit supposé d’après le bon état des bêtes, soit avéré par des coprologies.

ESTIMER LE RISQUE DES TRAITEMENTS ANTIPARASITAIRES SUR LES INSECTES COPROPHAGES La toxicité des produits antiparasitaires dépend de la molécule active et du mode d’administration. La nocivité d’une molécule active se caractérise notamment par : son impact sur les coprophages : avec des effets nuls, sub-létaux ou létaux ; sa rémanence : durée pendant laquelle les fèces déposés par le troupeau sont nocifs après traitement.

Durée des effets létaux sur l’entomofaune coprophaqe après traitement

Non toxique Faiblement toxique Fortement toxique

Familles de molécules Durée des effets létaux Exemples de produits

Benzimidazoles 0 jour Panacur, Valbenzen, Disthelm, Synanthic Pro-benzimidazoles 0 jour Hapadex, Rintal

Salicylanilides 0 jour Supaverm, Seponver, Duotech Mylbémycines 10 jours (injection) Cydectine

Pyréthrinoïdes de synthèse 14 jours (pour-on) Butox, Versatrine, Arkofly, Flectron Avermectines < 4 semaines (injection) Eprinex, Ivomec, Qualimec, Virbamec

Répartition des troupeaux selon les pratiques de déparasitage

Les Benzimidazoles, Pro-benzimidazoles et Salicylanilides sont considérés comme sans danger. Réfléchir l’impact réel sur les alpages des Mylbémycines, Pyréthrinoïdes et Avermectines oblige à tenir compte de facteurs techniques : lieu d’intervention (exploitation ou alpage), écart entre date de traitement et date de montée, effectif traité, gestion du troupeau après traitement, autres.

PRESERVER LES INSECTES COPROPHAGES : DEUX ALPAGES SUR TROIS ONT DES PRATIQUES SANITAIRES ADAPTEES

Pour 12 des 19 alpages de l’enquête, le risque des traitements antiparasitaires pour l’entomofaune est nul. Sur ces alpages, soit aucun antiparasitaire n’est utilisé, soit les produits utilisés appartiennent à des familles de molécules non toxiques, soit ils sont administrés suffisamment tôt et ne sont plus toxiques au moment de la montée en alpage. Pour 7 alpages, il existe un risque à des degrés variables. Ils sont situés dans les territoires les plus humides de l’échantillon : Plateau des Glières (74), Haute Maurienne (73), Oisans (38), Vercors (38 et 26). Dans 5 cas sur 7, il s’agit de se prémunir contre des parasites externes sur des alpages bovins. Les principaux facteurs déterminant le choix de traiter pendant l’alpage, et ainsi l’impact sur l’entomofaune : Le milieu, le type de parasite et la pression parasitaire : les

produits vétérinaires contre les parasites externes sont plus nocifs pour les insectes coprophages que ceux utilisés contre les parasites internes.

Le type de production : les éleveurs ne tolèrent pas tous le même niveau de parasitisme et il est maintenu faible pour les bovins laitiers en production, ou pour des troupeaux de brebis avec leurs agneaux.

La réalisation de diagnostics par les éleveurs (coprologies…) D’autres influences (conseil vétérinaire, appartenance à un groupement pastoral…).

En confrontant les études scientifiques sur les produits vétérinaires (type d’impact et rémanence notamment) avec les conditions réelles des traitements, nous proposons un niveau de risque graduel de « Nul » (aucun impact négatif) à « Élevé » (effets létaux sur les larves et insectes adultes).

Limiter les antiparasitaires défavorables aux insectes coprophages. La gestion du parasitisme sur les troupeaux enquêtés se caractérise par une volonté des éleveurs de limiter leurs traitements («moins on drogue, mieux c’est»). Les pratiques extensives sur les exploitations et les alpages le permettent souvent. Les produits utilisés sont majoritairement des vermifuges à base de molécules non nocives pour les insectes coprophages ((pro-)benzimidazoles ou salicylanilides). Notre enquête révèle que 2/3 des alpages sont gérés sans risque pour l’entomofaune coprophages du point de vue des pratiques sanitaires.

Pour en savoir plus : www.pastoralpes.com. Rapport de stage disponible en téléchargement.

Des perspectives pour la suite du projet Faire connaître l’importance des insectes coprophages dans la bonne gestion des pâturages Etablir des indicateurs pratiques pour observer sur le terrain l’activité des insectes coprophages Réaliser des inventaires d’insectes coprophages sur les alpages et faire le lien avec les pratiques d’éleveurs

Ce travail a été réalisé par les partenaires du réseau Pastor’@lpes (coordination Adem Drôme, avec la collaboration de deux vétérinaires, de la chambre d’agriculture de la Drôme et du Conservatoire Rhône-Alpes des Espaces Naturels)

Crédits photos : ADEM et JP Lumaret