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Précis méthodologique de la thèse
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Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 6
P r em i è r e p a r t i e
LE CHAMP D’ETUDE ET LES
SOURCES DISPONIBLES
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 9
C h a p i t r e 1
DECRIRE LA MIGRATION ET QUALIFIER LE MIGRANT
Délimiter un champ d’étude implique de définir avec précision la thématique et les
concepts abordés. Aussi avons-nous souhaité présenter dans ce premier chapitre la thématique de
la recherche, de la « fuite des cerveaux » à la circulation de compétences, ainsi que deux notions
essentielles autour desquelles notre problématique s'articule : la migration et la qualification.
.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 10
1. DE LA « FUITE DES CERVEAUX » A LA CIRCULATION DES C OMPETENCES
Le thème des migrations internationales de populations suscite un intérêt croissant dans le
domaine des sciences humaines. Si la multiplication actuelle des travaux français de géographie et
de sociologie des migrations laisse présager une diversification des champs d’investigation, il
apparaît que les travaux relatifs à l’émigration des Français restent peu nombreux, et souvent
focalisés sur le débat relatif à une éventuelle « fuite des cerveaux » français. Dans la mesure où
l’un des objectifs de cette recherche doctorale est d’apporter de nouveaux éléments au thème de la
présence française à l’étranger, en nous focalisant à la fois sur une population précise, les
travailleurs français hautement qualifiés, et sur une destination spécifique, New York, il est donc
important de présenter les tenants et les aboutissants de la thématique de la « fuite des cerveaux ».
1.1 La notion de cerveaux
Qui sont les cerveaux ? Ce terme relève d'une réalité à la fois floue et complexe, un
cerveau étant simplement défini comme "une personne exceptionnellement intelligente"
(Larousse). S’il paraît difficile de déterminer si un individu peut être qualifié de cerveau, tant le
niveau d'éducation ou de formation, la culture, voire même le quotient intellectuel d'une personne
ne constituent que des indications de ses aptitudes et de ses connaissances, nous avons cependant
voulu présenter l'usage fait de ce concept dans des travaux et des enquêtes étroitement liés à notre
recherche. Ainsi, afin de déterminer quelle population pouvait être qualifiée de cerveaux, nous
avons choisi d'analyser des rapports officiels établis sur la fuite des cerveaux et concernant
presque exclusivement les migrations françaises vers les Etats-Unis {Bensimon, 1998 #142;
Térouanne, 1997 #143; François-Poncet, 2000 #424; Ministère des Finances, 2000 #429;
Térouanne, 1998 #436; François-Poncet, 2000 #445; Ferrand, 2001 #446; Gérard, 2004 #447}.
Le concept de cerveaux correspond dans ces rapports à deux profils d'individus, qui ne se
recoupent que partiellement : le statut de cerveaux est attribué d'une part aux “jeunes diplômés
français récemment arrivés” [Ministère des Affaires Etrangères, Bensimon Emmanuelle, 1998], et
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 11
d'autre part aux “cadres expatriés” et "entrepreneurs" disposant de visas de travailleurs
"hautement qualifiés” {Ministère des Finances, 2000 #429}. Par leur éducation et leur formation,
certains migrants sont qualifiés de cerveaux. En effet, dans les quatre rapports cités, une grande
attention est portée aux départs des jeunes Français hautement diplômés vers les Etats-Unis,
notamment les ingénieurs de Grandes Ecoles telles que l'Ecole Politique, Centrale, l'ENA,
Sciences Politiques, H.E.C., ou des universités prestigieuses, comme La Sorbonne ou Dauphine.
Dans une enquête du Ministère des Affaires Etrangères relative à la présence de scientifiques
français aux Etats-Unis, les cerveaux sont présentés comme des “jeunes chercheurs qui ont fait la
preuve de leurs capacités intellectuelles de haut niveau au cours de leur cursus universitaire [et
qui] constituent la principale manifestation de ce que l’on appelle communément la fuite des
cerveaux." [Ministère des Affaires Etrangères, Terrouane Damien, 1997, page 3] Il semble
cependant qu’en se focalisant sur le départ des jeunes diplômés vers l’étranger, les autorités
françaises perdent de vue des acteurs essentiels des migrations de compétences, et restreignent le
champs de la mobilité des travailleurs français hautement qualifiés à la fuite de jeunes cerveaux
fraîchement diplômés. Cette focalisation sur les diplômés est également sensible dans le rapport
réalisé par la commission sénatoriale qui s’était rendue à New York en janvier 2001. Ces
conclusions mettent en évidence une spécificité française : elles tendent à prouver que les
compétences professionnelles et intellectuelles d’une personne restent encore essentiellement
évaluées dans le système français par le niveau d’étude atteint, le diplôme constituant le garant de
la capacité intellectuelle de la personne, alors que dans le système anglo-saxon, à quelques
exceptions près, le diplôme n’a pas la même valeur symbolique : les compétences d’un travailleur
sont constamment réévaluées en fonction de son aptitude à réaliser une tâche spécifique à un
moment donné.
Le statut de cerveaux est également attribué dans ces rapports aux acteurs détenteurs de
visas spécifiques. Il s'avère en effet que la terminologie de cerveaux désigne dans un rapport établi
en 1998 “les jeunes diplômés français récemment arrivés ", c'est-à-dire "les professionnels ayant
un niveau d’études supérieur au diplôme de maîtrise français [correspondant au visa H] […] les
étudiants, chercheurs et professeurs en programme d’échanges [visa J] […] les créateurs
d’entreprises [visa E] […] les personnes disposant d’un très haut niveau dans le domaine des
sciences et de l’éducation [visa O].” [Ministère des Affaires Etrangères, Bensimon Emmanuelle,
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 12
1998]. Si les Services de l’Immigration et de la Naturalisation américains, l’INS (Immigration and
Naturalization Service), vérifient effectivement le degré de qualification des migrants avant de
leur attribuer un visa de travail, il semble plus judicieux de les définir comme des travailleurs
hautement qualifiés que comme des cerveaux.
En définitive, sans s'opposer, ces définitions ne font que se recouper : on ne parle pas
strictement de la même population dans ces rapports. En outre, ni le diplôme, ni la formation, ni le
visa détenu par un individu ne sont garants de son statut de cerveau, de ses capacités
intellectuelles élevées. Les définitions de ce concept restent par conséquent trop imprécises et son
usage peut s'avérer délicat dans le cadre d'une démonstration scientifique. Ainsi, la notion de
cerveaux ne permet pas de décrire correctement la population d’étude.
1.2 Un thème politique et médiatique récurrent
Les discussions relatives à la fuite des cerveaux, traduction française du brain drain,
apparaissent de manière récurrente depuis la fin des années 1960, d’abord dans un contexte anglo-
saxon, puis en France. Cette expression évoque en premier lieu l’émigration forcée de personnes
exerçant des professions dites “intellectuelles” (scientifiques, chercheurs, ingénieurs et
professeurs). En effet, ce terme qualifiait à l’origine, selon Ash et Sollner, l’exode des
scientifiques et chercheurs allemands vers les Etats-Unis avant, pendant et après la seconde guerre
mondiale {Ash, 1996 #57}. L’expression est ensuite utilisée de manière officielle lors d’une
assemblée générale des Nations Unies, pour décrire « l’émigration des ingénieurs et des
scientifiques britanniques partis en direction des Etats-Unis dans les années 60 », puis élargie aux
« transferts nets de compétences entre pays » {Glaser, 1978 #197}. Il est important de noter que
les expressions fuite des cerveaux ou brain drain désignaient des flux migratoires transatlantiques.
En effet, polarisant les flux de compétences internationaux, les Etats-Unis ont joué un rôle capital
dans l’émergence du concept de brain drain et dans la mise en place d’un questionnement autour
du phénomène de migration internationale des travailleurs hautement qualifiés.
L’intérêt actuel des médias {Auteurs associés, 1998 #111; Galus, 1998 #139;
Fauconnier, 1999 #202; Discazeaux, 1998 #404; Lampière, 1998 #405; Gonzague, 2005 #459 ;
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 13
Perez, 2007 #481} et du gouvernement français pour les migrations des cerveaux illustre à la fois
une prise de conscience tardive de l’importance de l’émigration française mais également une
inquiétude, peut-être injustifiée, face à une éventuelle perte des acteurs économiques les plus
compétents au profit d’autres pays développés. La France est traditionnellement présentée comme
un pays d'immigration {Noiriel, 1988 #426} mais l'on assiste à l'heure actuelle à la mise en place
d'un nouvel équilibre migratoire en France. Si l’accueil des ressortissants étrangers reste
numériquement supérieur au départ des Français vers l’étranger, il n'est plus possible d'ignorer
l'importance de l'émigration française {O.C.D.E., 1997 à présent #430}.
Lorsque l’on parle de fuite des cerveaux, on sous-entend par l’usage du mot fuite la perte
d’un potentiel intellectuel par un pays en faveur d’un autre. Ainsi, envisager ces flux migratoires
comme une perte ou un gain permet de comprendre la dimension politique du débat sur la fuite des
cerveaux, et l’intérêt qu’il peut susciter auprès des gouvernements concernés et des médias. La
plupart des analyses axées sur les notions de brain drain, de brain gain et de brain loss visent en
effet à évaluer qui est perdant et qui est gagnant dans le phénomène de migrations de personnes
très qualifiées {Prah, 1989 #55; Glaser, 1978 #197; Logan, 1992 #331; Cervantes, 2002 #457;
Auteurs associés, 2004 #458}. Le terme brain gain désigne l’arrivée de personnes disposant d’un
haut niveau de qualification dans un pays, du point de vue du pays d’accueil, alors que l’usage du
concept de brain loss exprime le départ d’une population hautement qualifiée du pays d’origine.
Il s’agit d’un calcul très difficile à effectuer, tant les données concernant les flux de
compétences sont disparates. La définition même de la compétence professionnelle varie d’un
pays à l’autre, ce qui signifie que les données statistiques du pays d’origine et du pays d’accueil ne
peuvent la plupart du temps pas être comparées. D’autre part, seuls les flux entrants sont
généralement mesurés : il est alors pratiquement impossible de déterminer si les départs sont
définitifs, ou si les retours sont au contraire importants. Anne-Marie et Jacques Gaillard, auteurs
d’un récent ouvrage sur les migrations de compétences, se sont par exemple interrogés sur les
conséquences scientifiques et économiques de ces flux humains pour le pays d’origine et
d’accueil. Ils affirment en effet que « s’il est patent que, dorénavant, on puisse compter certains
pays d’origine parmi ceux qui bénéficient d’effets positifs des migrations internationales, il nous
semble difficile d’affirmer que la fuite des cerveaux n’est plus un handicap pour les pays qui
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 14
voient partir leurs élites, bien que l’on n’ait jamais résolu de façon convaincante la question de
savoir qui, des pays exportateurs de talents ou des pays importateurs perdait à terme ou
gagnait. » {Gaillard, 1999 #428}
L’expression fuite des cerveaux reflète en fait une vision incomplète des flux de
compétences : la migration de compétences n’est pas nécessairement et uniquement une perte pour
le pays d’origine et un gain pour le ou les pays d’accueil, mais bien un ensemble de dynamiques et
d’échanges complexes qui participent de l’intégration croissante des économies et des marchés de
l’emploi de ces pays. Au demeurant, le capital humain et les compétences professionnelles
constituent les ressources les plus recherchées dans un marché de l’emploi à envergure
internationale. Aussi, si le départ de travailleurs français qualifiés et hautement qualifiés vers
l'étranger relève d'une longue histoire d'émigration, elle ne suscite que depuis peu l'intérêt du
gouvernement français. Lorsqu'il est fait allusion, au travers de rapports et d'enquêtes officiels, à la
fuite des cerveaux, c'est pour évoquer la crainte suscitée par l'émigration de jeunes diplômés, en
particulier vers les États-unis, comme l'illustre le témoignage de Serge Plattard, conseiller pour la
science et la technologie à l’ambassade de France à Washington en 1998 : « Même si parler de
fuite de cerveaux est excessif, le phénomène préoccupe les autorités françaises qui redoutent le
départ des meilleurs. On observe une accumulation tranquille de Français aux États-unis. On ne
pourra parler de fuite que s’ils ne rentrent pas. Il est trop tôt pour le dire » {Mission scientifique
et technologique, 1998 #145}
La multiplication récente des enquêtes officielles sur la fuite des cerveaux illustre la
persistance de cette inquiétude. Ainsi, un rapport du sénateur Jean François-Poncet présente
l'émigration de travailleurs français hautement qualifiés vers l'étranger en la réduisant
implicitement aux seuls départs des jeunes travailleurs, comme "une hémorragie qu'il est essentiel
d'arrêter parce qu'elle pénalise gravement un secteur stratégique de l'économie." Sans être
condamnée, cette migration reste présentée comme une dynamique négative et défavorable pour la
France : "Positif en première analyse, l'exode des jeunes cadres et entrepreneurs porte gravement
atteinte au développement en France de la nouvelle économie." {François-Poncet, 2000 #424} Le
sénateur André Ferrand prolonge un an plus tard la réflexion sur cette « crainte de voir notre pays
se vider, à un rythme qui s’accélérait, de ses talents, de ses capitaux, qu’il s’agisse de patrimoines
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 15
privés ou d’investissements industriels, et de ses entreprises » en rédigeant un nouveau rapport sur
« l’expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises ». Celui-ci confirme l’essor
important de « l’expatriation des cerveaux, souvent les meilleurs, vers les États-unis, pôle
d’attractivité sans équivalent au monde pour les entrepreneurs de la nouvelle
économie,[…] dans les entreprises et les universités où on sait les attirer par un environnement
de travail largement plus propice et plus international, des conditions financières supérieures,
[…] conséquence de la mondialisation où le modèle américain est dominant.» Toutefois, si le
sénateur et M. Claude Allègre déplorent dans ce rapport « l’exode des compétences », notamment
celui des « jeunes chercheurs », ils identifient également les atouts de la France pour « freiner »
cette dynamique, « assurer le retour », voire tirer parti d’une « bonne expatriation », une
« mobilité internationale » permettant aux « plus jeunes [de] s’aguerrir à
l’international »{Ferrand, 2001 #446}
Enfin, l’étude réalisée par M. Jacques Gérard Jacques du Conseil économique et social sur
« les entreprises créées par les Français établis hors de France » {Gérard, 2004 #447} s’appuie
sur les rapports précédents mais parvient à faire émerger une nouvelle vision de « la fuite des
cerveaux », plus précise et plus optimiste, car elle repose sur le postulat suivant : « L’international
est un secteur vital pour la France [pour] tirer le meilleur profit de la « mondialisation ». Il est
générateur d’emplois, de revenus, de devises. Il fait connaître nos technologies, notre langue
comme notre culture. Et c’est en raison de ses retombées économiques et sociales que nos
pouvoirs publics ont, élaboré un système d’aides, conseils, études, prospection, assurances,
financements… afin d’encourager nos entreprises à exporter ou à s’exporter. Cependant, les
sources relatives à ces opérateurs économiques, sont extrêmement rares. En conséquence, le
Conseil économique et social devra […] établir une banque de données.» Monsieur Bernard
Gentil, ancien administrateur de l’INSEE et actuel responsable du service statistique du Ministère
des Affaires Étrangères, précise en effet dans ce rapport qu’ « on ne connaît pas la mesure (stock
et flux) de ce qu’on appelle « la fuite des cerveaux », s’appuyant sur une mission conduite par
l’INSEE en 2001 sur « la connaissance statistique de la population française à l’étranger » qui
souligne « une absence de données, un champ d’étude quasi vierge. » Fort de ce constat, le
Conseil économique et social réalise en 2004 une étude auprès de 258 créateurs d’entreprises
françaises répartis sur 4 continents et 45 pays afin de « dénoncer un certain nombre d’idées reçues
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 16
à leur sujet et formuler des recommandations ». Cette enquête met en évidence la difficulté à
cerner la « fuite des cerveaux », présente sous un jour nouveau le phénomène migratoire de
« fuite », tente d’identifier les « cerveaux » et souligne en particulier la nécessité d’établir « de
véritables recensements périodiques et d’enquêtes thématiques ciblées et régulièrement
renouvelées [qui] permettront de bien connaître ce réseau d’entrepreneurs créateurs français à
l’étranger. » A POURSUIVRE
Ainsi, entre la formule journalistique et la réalité du phénomène migratoire, il est donc
important de se demander en quelle mesure l’évocation d’une « fuite des cerveaux » est pertinente.
Ne constitue-t-elle pas en elle-même l’expression implicite d’une condamnation de ce départ de
ressortissants hautement qualifiés vers l’étranger ?
1.3 Entre mythe et réalité
S’il était pertinent de parler de fuite des cerveaux pour désigner l’exode de savants juifs
d’Allemagne, de l’ancienne Union Soviétique et de France vers la Grande-Bretagne et les Etats-
Unis dès 1933, la question se pose de savoir si l’usage actuel de cette expression est toujours en
accord avec la dynamique initialement décrite. En effet, si le « mythe » de la fuite des cerveaux
s’est construit à partir d’un phénomène réel, le concept qui se perpétue ne fait plus référence à la
réalité de cette situation antérieure, comme le souligne le géographe britannique Allan Findlay :
« Dans les années 60 et 70, on utilisait souvent, pour qualifier les migrations de main d’œuvre
qualifiée, l’expression de « fuite des cerveaux ». Il convient à présent de se demander en quoi
consistait, ou en quoi consiste encore, cette fuite des cerveaux, et si cette notion est toujours
adaptée aux caractéristiques et aux modalités de transferts de compétences qui se produisent
maintenant. » { O.C.D.E., 1990 #103}. Sylvie Chédemail précise effectivement que cette notion
désigne un phénomène qui a évolué : « Le brain drain , la fuite des cerveaux, a inquiété les pays
européens après la deuxième guerre mondiale. Si le terme n’est plus utilisé de façon systématique,
cette émigration persiste, mais sous une forme plus diversifiée. Les départs ne sont d’ailleurs plus
aussi définitifs qu’autrefois ; des échanges temporaires les remplacent de plus en plus. »
{Chédemail, 1998 #67}.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 17
C’est pourquoi il convient de réserver le terme de fuite à une migration d’un grand
nombre d’individus liée à une situation de crise ou de fragilité économique ou politique du pays
d’origine. Celle-ci peut en effet contraindre certains ressortissants disposant de compétences
professionnelles rares ou recherchées à immigrer vers une nation offrant un système plus stable ou
plus proche de leurs attentes. Les Etats-Unis assument pleinement la fonction de pays de refuge
puisqu’elle constitue le premier pays d’accueil des demandeurs d’asile et de réfugiés dans le
monde à l’heure actuelle{O.C.D.E., 1997 à présent #430}.
C’est pour cette raison que, d’une manière globale, les flux de travailleurs hautement
qualifiés absorbés par les Etats-Unis sont majoritairement constitués de populations issues des
pays du « sud », comme le précisent Stephen Castles {Castles, 1994 #62}, Allan Findlay {Findlay,
1982 #362; Findlay, 1984 #363; Findlay, 1986 #361}, Charles Halary {Halary, 1992 #108} ou
encore John Salt {Salt, 1987 #371; Salt, 1989 #95; Salt, 1989 #368; Salt, 1996 #396}. Ces
analyses sont corroborées par un rapport récent de la division des ressources statistiques de la
National Science Foundation {Kannankutty, 2007 #482} qui met en évidence qu’il s’agit avant
tout de chercheurs et scientifiques asiatiques (indiens, chinois, philippins), même si les flux de
travailleurs hautement qualifiés en provenance d’Amérique latine (Amérique centrale, Amérique
du sud et les Caraïbes) étudiés dès les années 1980 par Marks et Vessuri {Marks, 1983 #61} sont
aujourd'hui en essor (Cuba, Argentine) {Kannankutty, 2007 #482}.
Ainsi, le mouvement migratoire étudié n’entre pas réellement dans cette logique de
« fuite » pour deux raisons. Tout d’abord, notre population d'étude n’entre pas dans le cadre des
traditionnels échanges « nord-sud ». Les migrations s’opèrent entre deux espaces économiques
puissants, les Etats-Unis et la France au sein de l’Union Européenne : on ne peut donc pas imputer
la majorité des migrations de ressortissants français hautement qualifiés vers les Etats-Unis à une
situation de crise économique, sociale ou politique dans leur pays d’origine. Il s’agit bien d’une
des particularités du mouvement migratoire étudié : les migrants français hautement qualifiés
partent car ils sont en mesure de le faire, attirés par un environnement différent. De plus, comme
le souligne Sylvie Chédemail {Chédemail, 1998 #67}, rien n’indique a priori que le départ de ces
Français soit définitif. C’est seulement par l’analyse des motivations des migrants, dans la
troisième partie de la thèse, que l’on trouvera des éléments de réponse.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 18
Le terme fuite est donc doublement inadapté pour décrire ces migrations. Il est par
conséquent nécessaire d'envisager la mobilité des Français très qualifiés comme des flux
complexes, bilatéraux, en se plaçant aussi bien du point de vue du pays d’accueil (le départ et
l’installation) que de celui du pays d’origine (la question du retour). Cela implique d’utiliser une
terminologie différente pour décrire ce phénomène. Comme nous ne pouvons préjuger que la
mobilité géographique des travailleurs français hautement qualifiés vers l’étranger constitue une
fuite généralisée, il semble plus pertinent de préférer l’expression circulation de compétences à
celle de fuite des cerveaux. L’usage du terme circulation permet en effet d’envisager les
migrations comme des échanges plutôt que comme des départs définitifs.
En définitive, le thème de la fuite des cerveaux ne sera pas développé plus avant dans
cette étude dans la mesure où cette notion ne permet plus de décrire les flux de compétences outre
Atlantique. L’usage de cette expression semble aujourd’hui en décalage avec la réalité, du fait
d’un glissement sémantique. Ainsi, notre recherche doit s’efforcer de dépasser le débat sur la fuite
des cerveaux, en s'appuyant sur d'autres définitions, d’autres questionnements et d’autres données,
afin de proposer une approche originale et pertinente de la mobilité internationale des travailleurs
français hautement qualifiés.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 19
2 LES VISAGES D’UNE MIGRATION TRANSATLANTIQUE
La notion de migration transatlantique relève d’une réalité multiple. Afin de présenter ses
différents visages et d’éclairer le sens des termes utilisés pour la décrire, la réflexion débute sur le
concept de migration, pour se focaliser par la suite sur sa forme transnationale, et se centrer
finalement sur les deux pôles du mouvement migratoire qui fait l’objet de cette étude, la France et
New York.
2.1 Qu’est-ce que la migration ?
La migration, c’est-à-dire « la traversée de la frontière d'une entité politique ou
administrative pour un minimum de temps » {Castles, 2000 #423}, revêt de nombreuses
dimensions et implications. Sur le plan spatial, il s’agit d’un déplacement impliquant le
changement du lieu de résidence habituel, une phase d’installation au sein du nouvel espace
d’accueil et le maintien ou la rupture des contacts avec la société de départ. Du point de vue
social, la migration constitue dans une large mesure l’expression des attentes personnelles des
individus, concrétisant la recherche d’un environnement de vie ou de travail plus favorable. S’il
s’agit souvent d’un simple acte d’émancipation vis-à-vis d’un milieu social, il peut également
s’agir d’une fuite de la société d’origine, pour des motifs économiques, politiques, religieux ou
affectifs. Enfin, la venue ou le départ d’individus implique, d’un point de vue économique,
l’apport ou la perte de capitaux ou de potentiels financiers.
Ce phénomène peut être envisagé de diverses manières, dans la mesure où il met en
relation des espaces, des hommes, des cultures et relève de logiques aussi bien économiques que
sociales et politiques. Ces mouvements de populations, qui impliquent un changement de
résidence peuvent tout d'abord être envisagées du point de vue du pays d'origine ou d’accueil.
Ainsi, si les termes émigration et immigration évoquent deux aspects d’un même phénomène, il
est important de distinguer les problématiques que le premier terme soulève des dynamiques mises
en évidence par le second. Il convient en outre de préciser en quels termes le migrant doit être
décrit, dans la mesure où cette migration remet en perspective l'identité française.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 20
2.1.1 Quitter le pays d'origine
Afin de comprendre pourquoi certains Français décident de partir à l'étranger, il est tout
d'abord d'envisager la migration du point de vue du pays d'accueil, comme une émigration, c'est-à-
dire un « mouvement de personnes quittant un pays ». {Brunet, 1993 #30}. Parler d'émigration
permet d'évoquer un phénomène migratoire en se focalisant sur les modalités du départ des
migrants. Il est alors judicieux d'analyser les flux de ressortissants quittant un pays : il s'avère qu'il
existe en général moins de données quantitatives relatives aux départs qu'aux arrivées de migrants.
En effet, comme le précisent deux spécialistes des migrations, membres de l'O.C.D.E., "les pays
d'émigration […] cherchent rarement à contrôler les sorties de leurs ressortissants. Lorsqu'ils le
font, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des objectifs escomptés. La fuite des cerveaux en
est une excellente illustration. Du point de vue des Etats dont sont originaires ces migrants qualifiés,
c'est une perte théorique considérable […] mais pour les migrants concernés, c'est une chance de
pouvoir utiliser leurs compétences et de mieux les valoriser." {Garson, 1998 #88} Toutefois,
l'émigration des Français vers les Etats-Unis peut être connue indirectement par l'analyse du nombre
de visas accordés. Les migrations clandestines n'apparaissent bien évidemment pas dans ces chiffres.
Procéder à une analyse de l'émigration des Français hautement qualifiés suppose
également d'analyser les parcours de ces acteurs, d'identifier précisément leurs origines
géographiques et de dégager les principales raisons qui les poussent à partir. Il est enfin pertinent
de s'interroger sur l'impact et les conséquences de ces départs pour la société d'origine. Ces départs
sont-ils ressentis comme un échec pour la France ? Est-ce que cette émigration peut au contraire
s'avérer positive et contribuer au rayonnement économique et culturel de la France ? A quelle
image est renvoyé cet émigrant lorsqu'il revient en France ?
La migration peut certes être tout d'abord perçue et décrite comme un départ. On peut
effectivement chercher à quantifier cette émigration, à identifier les raisons qui poussent des
compatriotes à s'expatrier, et à évaluer l'impact que peut avoir cette dynamique migratoire pour la
France. Mais il est également indispensable d'envisager cette dynamique migratoire du point de
vue du pays d'accueil.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 21
2.1.2 Arriver et s'installer dans le pays d'accueil
Procéder à une analyse de l'immigration des Français à New York va nous permettre de
cerner les problématiques soulevées par la vie dans un autre pays. Du point de vue des Etats-Unis,
l'arrivée et l'installation des Français est perçue comme une immigration. Pour ce pays, qui doit
absorber d'importants flux migratoires, l'immigration cristallise un ensemble de problèmes liés à
l'accueil des migrants, comme celui du logement par exemple. Evoquer l'immigration des Français
à New York permet également d'envisager une phase cruciale de la migration : l'installation dans
le pays d'accueil. Les modalités de cette installation peuvent être identifiées par le biais
d'informations diverses, tant quantitatives que qualitatives. Une analyse diachronique du nombre
d'immatriculés au consulat français de New York permet par exemple de connaître l'évolution de
la présence française depuis une dizaine d'années. Pour comprendre comment l’espace
géographique pratiqué par les travailleurs français hautement qualifiés s’organise au fur et à
mesure de leur séjour à l’étranger, il est important de connaître la durée de leur séjour, ou encore
la manière dont ils choisissent leurs lieux de résidence successifs.
Mais c'est uniquement en s’appuyant sur les témoignages des acteurs que nous pouvons
démontrer qu'ils mettent en place des territoires spécifiques. En effet, entre le lieu de travail et le
logement, les acteurs pratiquent un espace géographique plus ou moins large, fonction de leurs
temps libre, de leur perception de l’espace (lieux dangereux ou libre pratique de l’espace urbain),
de leurs envies, de leurs relations avec le reste de la société ou avec la ou les communautés
immigrées, avec d’autres professionnels, de leurs loisirs et de leur situation familiale. Parmi cette
diversité de facteurs, nous devons déterminer quels sont ceux qui jouent un rôle essentiel dans la
territorialisation de l’espace urbain.
Dans la mesure où chaque acteur a, bien évidemment, une pratique personnelle de la
ville, nous tenterons systématiquement d’établir des parallèles entre les pratiques spatiales des
acteurs exerçant des activités similaires et partageant un espace social comparable. En d’autres
termes, nous désirons savoir si les professionnels français exerçant des activités comparables et
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 22
/ou fréquentant le même milieu social, vont avoir une même pratique de l’espace, vont adopter et
ont adopté des stratégies migratoires et résidentielles comparables.
2.2 Une migration internationale
Il est indispensable de recadrer la migration que nous étudions dans sa dimension
internationale. En effet, le déplacement de ressortissants français vers les Etats-Unis implique le
franchissement d'une ou plusieurs frontières, soumettant ce mouvement de populations à la
législation de l'immigration américaine. Nous présenterons séparément la situation des doubles
nationaux compris dans la population d'étude.
2.2.1 Franchir les frontières
La migration internationale consiste en un « déplacement de populations avec transfert
de résidence d’un Etat à un autre » {Simon, 1995 #77} L’obligation pour le migrant de franchir
une ou plusieurs frontières politiques va jouer un rôle primordial dans l’analyse du phénomène,
puisque les conditions de migration de chaque individu seront directement fonction du statut
juridique dont le migrant pourra bénéficier dans le pays d’accueil. L’accès de la population
d’étude sur le territoire américain est facilitée par la politique migratoire actuelle des Etats-Unis,
qui accorde la priorité aux migrants qualifiés et hautement qualifiés.
Nous appuyant sur des recherches antérieures {Valadeau, 1999 #242}, nous avons choisi
de centrer notre étude sur la migration de travailleurs hautement qualifiés français, et franco-
américains nés en France, vers New York. Seules les personnes effectuant un séjour de plus de
trois mois à New York font partie de notre population d'étude. Si le séjour à l'étranger est
temporaire, moins de trois mois, les individus effectuant un séjour court aux Etats-Unis doivent
être considérées comme des voyageurs et non comme des migrants. Les services de l'immigration
américaine ne leur délivrent en effet que le visa B1, qui attribue un droit de séjour limité : d'une
validité de trois mois, ce visa est destiné aux non migrants. Nous estimons en outre que les
Franco-Américains nés en France font partie de la population d’étude dans la mesure où ils
bénéficient de la nationalité française, sont nés et ont vécu en France, pour migrer par la suite aux
Etats-Unis, à New York.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 23
Ainsi, le fait de devoir franchir une frontière confère à la migration internationale la
dimension d'acte social aux implications juridiques et politiques. Paradoxalement, migrer à New
York implique à la fois de devenir étranger et d'être renvoyé au statut de Français.
2.2.2 Devenir étranger, immigrant ou immigré
Que ressent le migrant lors de ce déplacement et de l’installation dans le pays d’arrivée ?
Troque-t-il son identité de citoyen Français pour celle de migrant, définie par un statut juridique ?
Comment est-il perçu et décrit par la société d’accueil ?
C’est en fait dans le contexte de la migration internationale qu’un individu est amené à
s’interroger sur son identité. En effet, la migration internationale implique « le changement de
statut juridique de la population concernée. » {Simon, 1995 #77}. Amené à remettre en
perspective sa nationalité française puisque confronté à son nouveau statut juridique d’étranger, le
migrant doit se recréer une identité dans le pays d’accueil. La définition de cette nouvelle identité
repose autant sur la perception qu’à le migrant de sa propre situation que sur l’image que la société
d’accueil lui renvoie.
Pour comprendre comment les migrants français se définissent et sont perçus, il est
important de présenter les différentes terminologies utilisées pour les qualifier. Pourquoi les Français
interrogées se définissent-ils rarement comme immigrant, et jamais comme immigré ? Qu’implique
le fait d'être Français à l'étranger ?
2.2.2.1 L'immigrant
Décrits par John Fitzgerald Kennedy comme une "nation d'immigrants", les Etats-Unis
constituent encore à l'heure actuelle le premier pôle d'immigration dans le monde. Ce pays s'est
intéressé très tôt aux questions relatives à l'accueil de populations exogènes et au rôle des migrants
dans la constitution de l'identité états-unienne. La figure de l'immigrant est par conséquent au
centre des discussions sur l'homogénéité ou la diversité du peuple américain, son unité ou les
risque de son éclatement. Dans la mesure où le mot immigrant revêt par ailleurs plusieurs
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 24
acceptions, suivant le contexte dans lequel il est utilisé, peut-il définir notre population d'étude ?
Un Français se rendant aux Etats-Unis pour y travailler quelques mois, quelques années, voire
plus, peut-il être considéré comme un immigrant ?
La définition juridique du terme immigrant utilisée par les services de l'immigration
américaine se fonde sur le droit de résidence permanent : "Immigrants, as defined by U.S.
immigration law, are persons granted legal permanent residence in the United States. They either
arrive in the United States with immigrant visas issued abroad, or may just adjust their status in
the United States from temporary to permanent residence… A non-immigrant is an alien admitted
to the United-States for a specified temporary period but not for permanent residence." {Bureau
of the Census, 2007 #156}. En effet, la politique américaine d’immigration distingue deux types
de personnes émigrant aux Etats-Unis : les « immigrants », pouvant résider de manière
permanente aux Etats-Unis, et les « non-immigrants », aux Etats-Unis pour un séjour temporaire
La définition du terme immigrant par les Nations Unies se rapproche de celle des Etats-Unis,
puisque l’intention du migrant de s'installer pour une durée plus ou moins longue dans le pays
d'accueil est déterminante : "Un « immigrant » (à long terme) est une personne qui entre dans le
pays et projette d’y résider pendant une période supérieure à une année, après avoir résidé hors
du pays pendant une période supérieure à un an." {Simon, 1995 #77} Défini par les lois
d'immigration américaines comme une personne bénéficiant du droit de résidence permanent aux
Etats-Unis, il a pu d'une part arriver aux Etats-Unis avec un visa délivré à l'étranger, ou d'autre
part faire évoluer son statut d'un droit de résidence temporaire aux Etats-Unis à un droit de
résidence permanent. Un non-immigrant est un étranger admis aux Etats-Unis pour une période
temporaire spécifique qui ne bénéficie du droit de résidence permanent.
Selon Madame Body-Gendrot1, spécialiste de l'immigration vers les Etats-Unis, il est par
conséquent nécessaire de recadrer le terme immigrant dans son contexte pour en saisir le sens
exact. Dans un contexte français, le terme immigrant désigne une personne qui est encore inscrite
dans le processus d’installation dans le pays d’accueil, qui serait "en train d’immigrer" : le migrant
1 Madame Sophie Body-Gendrot enseigne à l'université Paris IV-Sorbonne, ainsi qu'à l'institut d'études politiques de
Paris. Elle étudie notamment les questions relatives à l’immigration aux Etats-Unis. {Body-Gendrot, 1988 #354; Body-Gendrot, 1990 #114; Body-Gendrot, 1990 #205; Body-Gendrot, 1991 #63; Body-Gendrot, 1992 #356; Body-Gendrot, 1992 #358; Body-Gendrot, 1993 #215; Body-Gendrot, 1994 #235; Body-Gendrot, 1998 #93; Body-Gendrot, 1992 #355; Body-Gendrot, 1998 #359}
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 25
est ainsi renvoyé à son statut précaire d’étranger, alors qu'aux Etats-Unis, le terme relève d'une
autre logique et désigne une population sensiblement différente : « le terme immigrant réfère soit
pour les Français à un processus en train de se produire, soit pour les Américains à la
construction d’une nation qui serait formée par des immigrants […] Immigrant en ce sens réfère à
une immigration de peuplement, constitutive de la nation […] fondée sur le mythe du melting-pot
et de la Terre promise. » {Body-Gendrot, 1992 #356} De fait, l’immigrant désigne aux Etats-Unis
une personne qui a exprimé le souhait de s’installer dans le pays d’accueil, puisque le statut
d'immigrant est conditionné par l'obtention du droit de résidence permanent aux Etats-Unis. Selon
la démographe et sociologue Michèle Tribalat, il faut d'ailleurs réserver le terme d’ immigrant à
toute personne détentrice d’un titre de séjour d’une durée supérieure ou égale à un an {Tribalat,
1994 #201}.
Il est également intéressant d’envisager le point de vue des acteurs interrogés, afin de
savoir ce qu’évoque pour eux le mot immigrant. Nombreux sont ceux qui se présentent comme
« de passage », n’envisageant pas que leur séjour puisse s’inscrire à terme dans la longue durée.
Ce terme est, en outre, souvent lié dans le discours des acteurs au thème de l’emploi. Pour Mlle C.
D., une journaliste travaillant pour un magazine américain, "le critère d’être immigrant ne rentre
pas tellement en compte dans le recrutement si l’anglais est parlé. En tant qu’immigrant, il y a
une remise en question constante au niveau des compétences, et c’est positif car cela nous pousse
à faire plus de travail. »" [Entretien réalisé le 8 janvier 1999]. Mlle H. B., cartographe aux Nations
Unies, nous précise que "le départ, pour la plupart des immigrants, se fait pour trouver un
premier boulot." [Entretien réalisé le 11 janvier 1999]. Madame S. K., journaliste pour un
quotidien français, distingue quant à elle le statut d’expatrié à celui d’immigrant : "Quand vous
êtes expatrié, vous avez les moyens de faire face, la vie d’expatrié français n’est pas du tout
pareille que celle de l’immigrant qui arrive aux Etats-Unis." [Entretien réalisé le 3 février 1999].
Selon elle, il faut distinguer les Français bénéficiant du statut juridique d’expatriés, disposant d’un
salaire et d’autres avantages financiers importants, pour qui l’installation aux Etats-Unis se fait
sans trop de difficultés car ils sont pris en charge, et les autres Français immigrant aux Etats-Unis,
confrontés quant à eux à de nombreuses difficultés, pour la plupart financières (prix des loyers,
entre autres) et juridiques (la question du visa revient souvent).
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 26
Dans toutes ces définitions, le sens du mot immigrant est directement lié au projet
migratoire, au motif que sous-tend l’acte migratoire, à savoir l’intention (ou non) de s’implanter
de manière permanente aux Etats-Unis, en lien avec le thème de l’emploi. Ainsi, ce terme désigne
à la fois la façon dont la société désigne l’immigrant, la façon dont les chercheurs le désigne, et la
manière dont l’immigrant perçoit sa condition. Mais il est délicat de statuer entre la définition
française et la définition anglo-saxonne, dans la mesure où le contexte de vie est anglo-saxon et la
population d’étude est française. S'il s'avère possible de désigner chaque membre de la population
d'étude comme une personne qui s’est déplacée d’un pays vers un autre, traversant une ou
plusieurs frontière(s), dans le but de s’établir dans le pays d’arrivée pour une durée supérieure à
trois mois et d’y exercer un emploi, le terme immigrant au sens américain introduit une autre
condition : le droit de résidence permanent aux Etats-Unis. Sans ce droit de résidence permanent,
le migrant reste une non-immigrant au sens américain. Seuls certains travailleurs français
hautement qualifiés résidant à New York peuvent donc être considérés comme immigrants au sens
américain.
2.2.2.2 L'immigré
Selon le ministère de l’intérieur français, "toute personne étrangère qui séjourne en
France pour un délai supérieur à trois mois " (durée du séjour en tant que touriste) est considérée
comme immigrée. Mais au-delà de cette définition officielle, le concept d’immigré, comme celui
d'immigrant d'ailleurs, nous informe sur la perception par la société d’accueil du migrant et des
conditions de son séjour. Utilisé en France, ce terme n'a pas d'équivalent américain. Véronique De
Rudder explicite dans la Revue « Pluriel » la distinction qu’il faut faire entre immigré et
immigrant : "Ce n’est guère qu’en France, du moins jusqu’à aujourd’hui, que s’est vulgarisée la
désignation d’immigré, à l’inverse des Etats-Unis où les émigrés sont des immigrants, vocable
rare en Français. Ce terme d’immigré est censé correspondre à un statut et permettrait
d’identifier un groupe de population alors qu’immigrant indique un mouvement et donc un
moment. Dire « immigrant », comme aux Etats-Unis, c’est reconnaître que ces arrivants sont
susceptibles d’entrer dans la société américaine qui est donc pensée comme formant une nation
par immigration… En assignant à un état, immigré(s) en Français pérennise la précarité de la
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 27
condition immigrante, entretenant l’idée que les immigrés restent à part de la société nationale."
{De Rudder, 1993 #1}.
Dans cette optique, le terme immigré ne peut être utilisé pour désigner les élites
françaises ayant immigré à New York et à Londres,. puisqu'il fixe ad vitam aeternam le migrant
dans sa situation précaire : il est désigné comme celui qui a immigré, en marge vis-à-vis de la
population autochtone. Ce terme assigne de manière définitive le migrant à son statut d'étranger
dans le pays d’accueil alors qu'une partie de la population d'étude est double nationale ou souhaite
le devenir, comme l’explique Abdelmalek Sayad dans ses recherches sur les souffrances de
l’intégration pour les populations migrantes{Sayad, 1992 #210; Sayad, 1994 #214; Sayad, 1999
#483}. En outre, comme le souligne Madame Body-Gendrot, l'usage de ce terme est péjoratif
puisqu'il évoque en France « une main d’œuvre d’appoint, destinée à repartir dans le pays
d’origine. » (Body-Gendrot 1992) C'est sans aucun doute pour cette raison qu'aucune des
personnes interrogées ne s'est définie comme immigré.
Il convient par conséquent d’utiliser le terme “immigrer” avec précaution. Nous
emploierons ce terme pour désigner le fait de se rendre dans un nouvel espace, une nouvelle entité
politique, avec franchissement d’une ou plusieurs frontières, pour une durée supérieure à 3 mois
(en deçà, il s’agit d’un séjour assimilé à du tourisme).
2.2.3 Etre Français hors de France
2.2.3.1 Nationalité et citoyenneté
Si en France les notions de nationalité et de citoyenneté sont étroitement liées, il n’en va
pas de même aux Etats-Unis. Si la citoyenneté est « la qualité d’un membre d'un État considéré du
point de vue de ses devoirs et de ses droits civils et politiques » (Larousse), la nationalité renvoie
au concept de nation, « un groupement d'individus de même origine ou partageant une histoire et
des traditions communes, mais qui n'est pas constitué en État. » (Larousse). Il faut par conséquent
distinguer le fait d'être citoyen américain de celui d'être effectivement membre de la nation
américaine. Celle-ci est souvent décrite comme une mosaïque de populations d'origines
géographiques les plus diverses, notamment par Sophie Body-Gendrot dans son ouvrage intitulé
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 28
"Les Etats-Unis et leurs immigrants. Des modes d'insertion variés." {Body-Gendrot, 1991 #63}.
Léon Bouvier présente également dans un article de la Revue Internationale des Migrations
Européennes l'impact de l'immigration sur la structure démographique de la population américaine
{Bouvier, 1990 #99}. Pour noircir le trait, on pourrait même dire que le fait de résider aux Etats-
Unis pendant une longue période soit un critère suffisant pour être considéré comme Américain, la
citoyenneté paraissant alors secondaire. Ce constat s'appuie sur deux éléments : les régularisations
accordées de manière récurrente aux immigrants clandestins résidant depuis plus de cinq ans aux
Etats-Unis, et le fait que le seul document officiel attestant de la citoyenneté américaine soit le
passeport, le concept de carte d'identité n'existant pas aux Etats-Unis. En France, chacun peut à
tout moment et en toute occasion être amené à présenter sa carte d'identité attestant de sa
citoyenneté française. La distinction entre citoyenneté et nationalité aux Etats-Unis est d'autant
plus importante qu'à New York, on peut réellement se sentir et être considéré comme Américain
sans en posséder la citoyenneté. En effet, lorsqu'on vit depuis de nombreuses années dans une
métropole américaine où le mélange de populations atteint un paroxysme, on se sent aussi
Américain qu'un enfant de Porto-Ricains né dans le Queens, qu'un Haïtien ou un Polonais vivant à
Brooklyn depuis vingt ans, parce qu'on partage avec eux des repères spatiaux et culturels new
yorkais. Sophie Body-Gendrot met d'ailleurs en évidence l'importance de cette diversité
géographique au travers de l'exemple new yorkais {Body-Gendrot, 1994 #235}.
2.2.3.2 Français de l’étranger et Français à l’étranger
Une question se pose : comment se définir comme Français dans un contexte anglo-saxon ?
Pour répondre à cette interrogation, il faut tout d'abord faire la distinction entre les expressions
Français de l’étranger et Français à l’étranger. Si l’on en croit les travaux de Béatrice Verquin, la
nuance tiendrait à la durée du séjour. « Entre ces deux appellations généralement admises, une
nuance apparaît dans l’usage. L’expression « Français de l’étranger » est souvent employé lorsque
l’on parle du ressortissant résidant à l’étranger pour une longue durée tandis que l’expression
« Français à l’étranger » de plus en plus utilisé, fait couramment allusion aux Français en mission
de courte durée.» {Verquin, 1995 #26} En outre, une expression plus globale permet de définir
l'ensemble de la population française établie à l'étranger, celle de Français hors de France. En nous
basant sur toutes ces distinctions, il paraît plus pertinent d'utiliser l’expression Français de New York
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 29
que l’expression Français à New York, puisque nous ne nous intéressons pas simplement aux
personnes résidant pour une courte période à New York.
2.2.3.3 Le rôle des autorités françaises à l’étranger
Les Français de New York bénéficient de plusieurs interlocuteurs français lors de leurs
séjours à l'étranger. Il est en effet indispensable de mettre en avant le rôle de représentation de l'Etat
que doivent assumer l'Ambassade et les consulats français aux Etats-Unis. Une brochure disponible
dans l’ensemble des consulats français à l’étranger, ainsi qu’à la Maison des Français de l’Etranger,
au Ministère des Affaires Etrangères, précise ainsi le rôle du consulat : « Résidant dans un pays
étranger, vous êtes automatiquement soumis à sa législation. Mais vous restez un Français à part
entière sous la protection de la France, représentée par son consul. Le consul et ses collaborateurs
peuvent vous conseiller dans les démarches que vous avez à accomplir et vous assister en cas de
difficulté. Le rôle du consul est aussi de vous protéger contre les éventuels abus, exactions ou
discriminations dont vous pourriez faire l’objet. ». Ainsi, les consulats permettent d'assurer un
soutien et un lien administratif avec la France, mais une de leurs principales tâches consiste
également à recenser le nombre de ressortissants rattachés chaque année à un consulat.
L’immatriculation consulaire permet ainsi aux autorités françaises de conserver un contact
avec les ressortissants français établis dans la circonscription, mais celle-ci n’est malheureusement
plus obligatoire depuis 1961. Un extrait de la brochure citée précédemment indique avec précision le
rôle de l’immatriculation : « Vous avez le plus grand intérêt à vous faire immatriculer au consulat.
Cette démarche se matérialisera par la remise d’une carte d’immatriculation consulaire, gratuite,
valable 5 ans, avec possibilité de renouvellement.. Lorsque vous êtes immatriculé, le consul vous
connaît et sait que vous êtes en situation régulière. Il peut vous venir en aide lors d’évènements
susceptibles de menacer votre sécurité ou en cas de problème avec les autorités locales.
L’immatriculation est en outre indispensable pour l’inscription sur une liste électorale en France,
pour donner procuration de vote valable plus d’un an, pour obtenir la délivrance d’une carte
nationale d’identité ainsi que pour effectuer une demande de bourse scolaire. Dans tous les cas,
votre immatriculation au consulat facilite et accélère les formalités administratives. » .
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 30
Dans le cadre de cette recherche, il s’avère que l’immatriculation reste de toute évidence un
des seuls outils statistiques permettant de mesurer l’évolution de la présence française aux Etats-
Unis. Précisons que la population consulaire ne recouvre absolument pas l'ensemble de la population
française établie à New York : les estimations du consulat de New York prennent en compte le
nombre d’immatriculés mais ne font qu'évaluer le nombre de non immatriculés. En effet, pour
l'ensemble des circonscriptions consulaires françaises dans le monde, le rapport entre population
consulaire et population réelle est arbitrairement fixé, de manière plus ou moins formelle, à un pour
trois. Lors d’un entretien avec monsieur le consul Duquet, il apparaît que « si l’on compte environ
20000 immatriculés, le nombre de Français à New York est en réalité trois fois supérieur, même si
personne n’est allé les compter. Cependant, le recensement de l’administration américaine permet
de connaître le nombre de Français détenteurs de la Green Card ou de tel ou tel visa ainsi que le
nombre de doubles nationaux. » [R. Duquet, 13 décembre 2000] Ces propos sont corroborés par
ceux du monsieur le vice-consul Roland Menu, chef de Chancellerie, notamment responsable de
l’établissement et de la mise à jour annuelle des données statistiques relatives à la population
française et double nationale immatriculée dans la circonscription consulaire de New York.
Monsieur Menu affirme en effet que « on estime à 70 à 80000 la population française dans la
circonscription. On estime à 50000 les non immatriculés, mais c’est impossible de savoir,
notamment parce que les illégaux ne se font pas connaître. En plus, 300000 Français viennent à
New York chaque année, et on ne sait pas combien reste. Sur 60 à 80000 Français, on compte un
tiers d’immatriculés par rapport au nombre total. » [R. Menu, 13 décembre 2000] Il est par
conséquent fortement probable que la proportion de Français non immatriculés soit supérieur à deux
tiers de la population totale. Par conséquent, les données consulaires ne sont strictement valables que
pour les Français immatriculés de New York, et pas forcément l'ensemble des Français de New
York.
2.2.4 Les Franco-Américains nés en France
Nous estimons que les Franco-Américains hautement qualifiés nés en France font partie de
la population d'étude dans la mesure où ils sont détenteurs de la nationalité française, ont effectué
une migration pour se rendre à New York, et disposent d'un haut niveau de qualification
professionnelle. Ils sont nés en France d'un parent américain et d'un parent français, ou nés en
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 31
France de parents français et ont par la suite accédé à la double nationalité, par naturalisation ou par
mariage avec un ressortissant américain.
Cependant, les problématiques que peuvent susciter le départ et l'installation des Français
hautement qualifiés à New York doivent être envisagées sous un jour sensiblement différent. En
effet, le fait de se rendre aux Etats-Unis ne signifie pas forcément pour ces personnes de quitter le
pays d'origine pour s'installer dans un pays d'accueil. La France et les Etats-Unis peuvent
représenter, à des degrés divers suivant l'éducation et les expériences vécues par chaque individu,
deux "chez soi". La migration vers New York représente alors un passage d'une patrie à un e autre.
En effet, une grande partie de ces acteurs témoigne d'un profond attachement pour les Etats-Unis
sans pour autant rejeter leur identité française. Qu'ils soient nés de parents américains ou qu'ils aient
acquis la citoyenneté américaine ultérieurement, nombre de Franco-Américains nés en France que
nous avons interrogés affirment se sentir à la fois "100% Français et 100% Américains".
En outre, d'un point de vue purement administratif et juridique, le franchissement de la
frontière et l'arrivée aux Etats-Unis ne rencontrent aucune contrainte particulière. Au contraire du
reste de la population d'étude, ils ne sont pas confrontés au problème de visas de travail et de séjour
aux Etats-Unis, dans la mesure où ils disposent d'un passeport américain et sont par conséquent
considérés comme des ressortissants des Etats-Unis à part entière. Il s'avère que la très grande
majorité des Franco-Américains que nous avons interrogés voyagent uniquement avec leur passeport
américain parce qu'ils rencontrent généralement moins de problèmes administratifs pour pénétrer
dans un autre pays.
Une autre thématique doit également être abordée différemment, celle du statut du double
national en France et aux Etats-Unis. Pour le reste de la population d'étude, l'installation dans le pays
d'accueil soulève la question du changement de statut juridique, les ressortissants français étant alors
renvoyés à leur situation de migrants et d'étrangers. Pour les Franco-Américains, la question ne se
pose généralement pas en ces termes : bilingues, ils seront perçus comme des Américains, et ne
seront ni considérés comme étrangers, ni comme migrants. Mais nous avons également rencontré
des doubles nationaux ne disposant pas d'un très bon niveau d'anglais, et dans ce cas de figure, ils
peuvent être considérés comme Français aux Etats-Unis, même s'ils ne revendiquent pas
ouvertement leur identité française. Leur faible niveau de locution en anglais interfère alors avec la
reconnaissance de leur citoyenneté américaine.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 32
2.3 De la France vers New York
Un des objectifs de cette étude est de rendre manifeste la spécificité de cette migration
vers New York, de montrer le rôle unique de cette métropole américaine dans la dynamique de
départ des compétences françaises vers l’étranger. Nous souhaitons mettre en évidence les raisons
qui poussent les Français à choisir cette destination privilégiée.
2.3.1 Un parcours migratoire
Pour rendre compte de la dynamique migratoire qui amène des ressortissants Français et
Franco-Américains à quitter la France pour partir travailler à New York, il est nécessaire de définir
avec précision les conditions dans lesquelles cette migration s'est déroulée pour être représentative
du phénomène que nous souhaitons présenter. Nous nous intéressons donc aux déplacements de
travailleurs français et Franco-Américains hautement qualifiés du territoire français, la France
métropolitaine et les Départements et Territoires d’Outre-Mer, vers l’aire métropolitaine de New
York (voir carte n°2). En outre, l’analyse de ce déplacement porte sur l’itinéraire complet suivi par
les migrants entre la France et New York, et peut évidemment être ponctué d’étapes dans des lieux
et pour des durées variables. Les personnes ayant vécu dans un autre pays étranger avant de se
rendre à New York font par conséquent partie de la population d'étude.
2.3.2 Une destination spécifique : New York
Comme l'explique Saskia Sassen, New York revêt la particularité d'être un métropole
globale {Sassen, 1994 #233; Sassen, 1996 #231}. Elle constitue avec Tokyo et Londres un des
trois pôles de la Triade, les trois principaux centres de la finance internationale, et pèse donc très
fortement sur le monde de la finance internationale. Sa population est cosmopolite, globalement
qualifiée voire très qualifiée. L'importance de l'immigration y permet un brassage de populations
d’origines sociales et géographiques diverses. D'un point de vue spatial, la métropole new
yorkaise fait partie d’une nébuleuse urbaine plus vaste, la mégalopole du nord-est des Etats-Unis,
qui s’étend de Boston au nord, à Washington au sud (voir carte n° 1).
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 33
Carte n°1
Carte n°2
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 34
S'il est primordial de connaître le parcours migratoire suivi par les acteurs, nous
souhaitons également étudier les modalités de leur installation à New York. C'est pourquoi l’aire
métropolitaine de New York constitue notre échelle de référence : regroupant plus de huit millions
d’habitants, elle comprend selon l'organisme responsable de l’aménagement et du développement
de l’espace urbain métropolitain, le City Planning of New York, les cinq divisions administratives
suivantes, appelées Boroughs : Manhattan, Brooklyn, Queens, Staten Island, Bronx. New York est
située sur la côte atlantique des Etats-Unis, au sud-est de l’Etat portant le même nom, à
l’embouchure de l’Hudson river. Ses quartiers centraux sont délimités physiquement par les rives
de l’île de Manhattan, et les différents quartiers périphériques sont associés à des entités
topographiques distinctes : à l’est de l’East River, sur la partie occidentale de l’île de Long Island,
les quartier de Brooklyn et du Queens. Au sud de Manhattan et de la baie de New York, l’île de
Staten Island. Enfin, séparé physiquement de l’île de Manhattan et du Queens par l’Harlem River
et l’East River, le quartier du Bronx, limité au nord par la province du Westchester.
Néanmoins, cette définition administrative ne reflète que partiellement l’étendue de la
ville de New York, et certaines données porteront sur un cadre plus large que cette échelle de
référence. En effet, l’ile de Long Island, le comté du Westchester ainsi que les côtes du New
Jersey font partie intégrante de la métropole, dans la mesure où le tissu urbain y est continu et
dense et que l’économie des quartiers centraux et des espaces périphériques sont intimement liés,
comme en témoigne l’importance des migrations pendulaires quotidiennes. Cet ensemble urbain
regroupe plus de 10 millions d’individus en l’an 2000, selon le City Planning of New York. Le
recensement mené en 1990 dénombrait plus de 7,3 millions pour Manhattan et les cinq quartiers
proches, plus de 8,8 millions pour l’aire métropolitaine new yorkaise et près de 19,2 millions pour
la Greater Metropolitan area. Le Grand New York, représenté sur la carte n°3, correspond à une
aire urbaine étendue, ou Tri State Area, qui regroupe plus d’une vingtaine de millions d’habitants
et comprend les cinq boroughs ainsi que la partie orientale du New Jersey, le sud-est de l’Etat de
New York et le sud du Connecticut.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 35
Carte n°3
Dans cette optique, si nous avons choisi de mener principalement nos recherches de
terrain à partir des quartiers centraux, des centres financiers et commerciaux, des pôles d’emplois
de cette métropole, nous avons mené aussi mené des enquêtes dans les quartiers périphériques.
Ainsi, les investigations ont tout d’abord débuté à New York sur l’île de Manhattan, en particulier
dans Midtown, le Upper East Side et le Upper West Side. Puis nous avons interrogés des
personnes dans le reste de l’île de Manhattan, mais également dans le Westchester et à Brooklyn,
dans le New Jersey et dans le Queens.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 36
2.3.3 Un champ migratoire transatlantique
Il est indispensable de réinscrire cette migration dans un contexte plus large du point de
vue spatial et temporel, celui des relations et des échanges transatlantiques. Depuis près de deux
siècles, les Etats-Unis et l'Europe entretiennent des liens constants de tout point de vue. Les
échanges économiques et culturels, les alliances politiques ont entraîné la constitution progressive
de véritables filières migratoires transatlantiques : jusqu'au début du vingtième siècle, les
ressortissants européens constituaient la plus grande partie de l'immigration vers les Etats-Unis,
New York constituant une porte d'entrée de première importance.
C'est dans cette logique qu'il faut envisager les migrations actuelles, qui bénéficient des
jalons fixés par les générations précédentes de migrants. Les flux et les échanges de travailleurs
français vers les Etats-Unis s'appuient donc en partie sur des filières organisées de longue date.
Cette circulation des compétences constitue une des principales dynamiques animant à l'heure
actuelle le champ migratoire transatlantique.
2.4 En résumé, une migration à plusieurs facettes
En définitive, le regard porté sur le migrant est directement fonction de la manière
d'appréhender le fait migratoire. La migration des travailleurs français hautement qualifiés à New
York présente en effet différents visages. Vécue comme un départ par le pays d'origine ou perçue
au contraire comme une arrivée par le pays d'accueil, cette migration est alternativement le fait
d'émigrés ou d'immigrants. Faisant figure d'étranger dans ce nouveau cadre de vie, le Français
vivant hors de France est amené à lentement reconstruire son identité. Mais ces Français hors de
France présentent une autre caractéristique qui les distingue des autres migrants : leur haut niveau
de qualification professionnelle.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 37
3 DES MIGRANTS HAUTEMENT QUALIFIES
Afin de déterminer qui peut être considéré comme hautement qualifié parmi les Français
ayant migré à New York, il est nécessaire de proposer une définition du concept de qualification
professionnelle, centrale dans cette recherche. Le concept de travailleur hautement qualifié relève
en effet de réalités diverses : il convient par conséquent de préciser les critères sur lesquels nous
nous basons pour déterminer si un acteur peut ou non être considéré comme hautement qualifié,
voire comme une élite professionnelle.
3.1 Une définition consensuelle difficile à atteindre
Difficile à cerner, c’est un concept très large, qui repose sur un ensemble de données liées
à des expériences, des connaissances, des savoir-faire divers, rares et recherchés, et qui évoque des
réalités différentes en France, aux Etats-Unis et à l'échelle internationale.
Dans un dossier du Monde consacré à la notion de qualification professionnelle, la
compétence professionnelle est présentée comme un concept ne faisant pas l'objet d'un consensus
au niveau international {Bellier, 1998 #348}. Si le Bureau International du Travail définit le
travailleur migrant comme toute « personne qui émigre d'un pays vers un autre pays en vue
d'occuper un emploi autrement que pour son propre compte; il inclut toute personne admise
régulièrement en qualité de travailleur migrant. » [Lien Internet : Convention révisée de 1949 sur
les travailleurs migrants], il n'apporte pas une définition universelle de la notion de qualification
internationale. En effet, si l'Annuaire des statistiques du travail du B.I.T. "catégorise l'emploi sur
la base de la Classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d'activité
économique (CITAE),", cette base commune n'est pas utilisée par l'ensemble des nations dans le
monde : "la plupart des pays utilisent cette classification, mais il arrive que la teneur des groupes
d'industrie varie d'un pays à l'autre." D'une manière plus globale, il s'avère que chaque Etat
adopte sa propre définition de la notion de qualification ou de compétence professionnelle,
reconnaissant d'une manière spécifique les savoir-faire, les connaissances et les aptitudes
professionnelles des individus. Du Japon à la Mauritanie, de la Malaisie à la Nouvelle Zélande et
du Mexique à la France, le travailleur qualifié ou très qualifié ne présente jamais le même profil.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 38
Il est cependant nécessaire de s'appuyer sur une définition théorique précise et pertinente
du concept de qualification professionnelle. Nous retiendrons par conséquent les définitions de
trois géographes anglo-saxons. L’approche d’Allan M. Findlay, géographe britannique, consiste à
analyser les flux migratoires de travailleurs hautement qualifiés en s’appuyant sur des données
statistiques relatives au nombre de permis de travail accordés au Royaume-Uni. Ainsi, lorsque
Findlay évoque l’importance économique des travailleurs hautement qualifiés, ou « highly skilled
workers », il fait référence au « professional and managerial staff », des travailleurs disposant de
permis de travail attestant de leur statut de dirigeant ou de cadre d’entreprise {Findlay, 1993
#104}. Un autre géographe britannique, Stephen Castles, étudie depuis de nombreuses années les
migrations internationales de main d’œuvre {Castles, 1994 #62}, mais c’est dans une publication
récente qu’il définit de la manière la plus précise le migrant hautement qualifié. Selon lui, il s’agit
de « personnes possédant des qualifications en tant que directeurs, cadres, spécialistes,
techniciens ou autres, qui se déplacent sur le marché du travail interne d'entreprises
transnationales et d'organisations internationales, ou qui cherchent un emploi par l'intermédiaire
des marchés du travail internationaux où se négocient les compétences rares. » {Castles, 2000
#423}. Enfin, la définition la plus large est proposée par un géographe américain, Peter Stalker,
qui présente les travailleurs hautement qualifiés comme des « personnes qui possèdent un haut
niveau d’instruction ou de formation et dont les compétences se transfèrent aisément d’un pays à
l’autre. Beaucoup travaillent pour des sociétés multinationales et passent d’une filiale à l’autre,
la plupart en tant que cadres techniques ou administratifs, certains en tant que stagiaires. Dans
cette catégorie, on peut aussi ranger les universitaires et les étudiants. ». {Stalker, 1993 #107}
Cette vision de la migration de compétences est à mettre en parallèle avec la notion de « migration
fine », qui concerne un nombre limité de migrants, mais dont « la « valeur ajoutée» en termes de
savoir–faire, d’expérience professionnelle, de créativité, est par contre élevée. » {Simon, 1995
#77}.
Si ces définitions fournissent un cadre théorique satisfaisant pour définir la notion de
qualification professionnelle, il reste indispensable de préciser l'usage que nous faisons de ce
concept dans le cadre de notre recherche, tant il est central dans notre problématique. Il est par
conséquent indispensable de présenter les critères que nous avons utilisés pour identifier les
travailleurs hautement qualifiés parmi la population française ayant migré à New York.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 39
3.2 Des caractéristiques communes à l'ensemble des acteurs
Avant de proposer notre définition du travailleur hautement qualifié, nous désirons
présenter les critères que nous avons adoptés pour mettre en place notre échantillon d'étude. C'est
en discutant avec les acteurs rencontrés à New York que nous avons pu affiner ces critères, qui
permettent d'identifier les travailleurs hautement qualifiés.
Il faut souligner l'importance du statut juridique, de l’emploi exercé, mais d'autres critères
entrent en compte, comme les responsabilités assumées, les compétences professionnelles réelles,
mais aussi le créneau économique exploité dans le marché local. Amené à diversifier la population
interrogée lors de la seconde enquête, nous avons notamment interrogés des restaurateurs, des
artistes, des commerçants et chefs d’entreprise, notamment dans les Start-ups.
3.2.1 L'importance du statut juridique
Si l’on en croit Gildas Simon, « le degré de qualification, le niveau de compétence
constitue l’un des caractères les plus discriminants sur le plan migratoire dans la mesure où le
niveau professionnel influe non seulement sur le montant de la rémunération, sur le statut social
afférent à la profession exercée, mais aussi sur l’attitude du pays d’emploi à l’égard du migrant et
la protection que les autorités sont prêtes à lui accorder ou non. » {Simon, 1995 #77} La barrière
administrative constitue un facteur de sélection migratoire, facilitée pour les travailleurs
hautement qualifiés. Nous faisons cependant exception des Franco-Américains dans cette partie,
dans la mesure où ils sont considérés comme américains par les services de l'immigration. Dans le
cas des Etats-Unis ou de la France, l’obtention d’un visa de travail s’effectue selon des modalités
différentes mais nécessite toujours des efforts, des démarches administratives fastidieuses, de
nombreux documents administratifs à fournir. Les gens les plus éduqués sont favorisés, sont plus à
même de gérer et de remplir ces formalités.
Le statut juridique du migrant peut constituer une bonne indication de ce haut niveau
d’expertise dans la mesure où l’attribution des visas de séjour et de travail des immigrants, au sens
américain, c'est-à-dire des migrants ayant obtenu un droit de résidence permanent aux Etats-Unis,
est notamment fonction, depuis l’IMMACT de 1990, du niveau de formation et de qualification
professionnelle atteinte par le migrant. L’IMMACT, ou Immigration Act de 1990, correspond à la
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 40
politique migratoire mise en place par les services de l’immigration américains, ou I.N.S.
(Immigration and Naturalization Service) deux ans plus tard, en 1992. Les quotas d’immigration
liés à l’origine géographique des migrants sont remplacés par le système des préférences, qui se
fonde sur des critères professionnels et familiaux, favorisant notamment les entrées de travailleurs
qualifiés et hautement qualifiés sur le territoire américain. Il s'avère que la politique migratoire
américaine actuelle est intimement liée, voire orientée, par les besoins du marché de l'emploi, et il
est par conséquent indispensable de recadrer le phénomène que nous étudions dans ce contexte
juridique. La question du visa de travail et de séjour du migrant s'avère donc cruciale dans la
réflexion globale sur le pourquoi de cette migration. Le tableau n°1 présente les principaux visas
dont sont détenteurs les acteurs interrogés.
Tableau n°1
Les visas de la population d’étude D’après {Livio, 1994 #17}
Organismes et entreprises internationales A Diplomatie Ambassadeurs, ministres, diplomates,
fonctionnaires internationaux G Organisation internationale Représentants et fonctionnaires
L Détachement dans une filiale américaine
Dirigeants et employés
Investissement commercial E Investissement E-1, négociants
E-2, créateurs d’entreprises Education et communication J-1 Programme d’échange Etudiants, chercheurs et professeurs, coopérants
du service national I Média Journalistes, représentants de la presse
Haute qualification professionnelle H Professionnels ayant un niveau
d’études supérieur au diplôme de maîtrise français
H-1B, employés hautement qualifiés étrangers travaillant pour un employeur américain
O Personnes disposant d’un très haut niveau dans le domaine des sciences et de l’éducation
Artistes, scientifiques, hommes d’affaires, de haut niveau
De fait, le type de visa dont est détenteur un individu constitue sans aucun doute une des
marques les plus objectives de sa compétence professionnelle, dans la mesure où les Services de
l'immigration américains, ou I.N.S. (Immigration and Naturalization Service), imposent à chaque
migrant d'apporter la preuve de sa qualification, notamment du point de vue des expériences
professionnelles et du niveau de formation et d'éducation reçu.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 41
Cependant, nous ne limitons pas notre population d’étude aux seuls détenteurs de visas de
travailleurs hautement qualifiés, H (employés hautement qualifiés) et O (personnes disposant de
compétences exceptionnelles), puisque d’autres migrants correspondent à notre population
d’étude. Il peut en effet s’agir de membres d’organisations internationales, disposant de visas A
(diplomates), G (organisations internationales) et L (personnel détaché ou expatrié de
multinationales), mais aussi d’investisseurs avec un visa E (négociants et créateurs d’entreprises),
de professeurs et de stagiaires avec un visa J, ou de membres de la presse avec un visa I
(journalistes). En outre, certaines personnes interrogées ont changé de type de visa depuis leur
arrivée aux Etats-Unis, sans que cela ne puisse remettre en cause leur haut niveau de qualification.
Enfin, la population d’étude comprend également des personnes hautement qualifiées sans visa de
travail, qui bénéficient soit de la double nationalité, soit du droit de résidence permanente grâce à
la carte verte.
En outre, nous avons rarement été en mesure de connaître à l'avance les visas des
interlocuteurs. Il est en effet impossible de connaître l'identité des Français disposant des visas
présentés plus haut (A,G,L,E,I,J,H,O) puisqu'il n'existe aucune liste nominative précisant le type
de visa détenu par le migrant français à son arrivée aux Etats-Unis. C'est pourquoi nous n'avons
pas pu établir notre échantillon d'étude en fonction des visas dont les individus étaient détenteurs,
mais en nous basant sur d'autres critères pour déterminer de manière indirecte leur niveau de
compétences. Pour apprécier le haut niveau de qualification et de compétences professionnelles,
nous avons parfois pu nous baser sur le statut juridique dont le travailleur français bénéficiait à
New York, qu'il était plus facile d'établir a priori. Nous nous sommes intéressés à quelques profils
d’acteurs, détaillés par la suite.
3.2.1.1 L’employeur américain en contrat local
Un Français ne peut être employé en contrat local que si l’employeur apporte la preuve
que son job ne peut être fait par un Américain. Il s’agit donc d’un travailleur bénéficiant de savoir-
faire rares et recherchés. Parmi les acteurs interrogés bénéficiant d’un contrat local, l’analyse des
questionnaires a révélé que la majorité (83%) disposait d’un visa de type H1B, qui permet à une
entreprise américaine, française ou internationale d’engager un travailleur migrant hautement
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 42
qualifié aux Etats-Unis pendant une période donnée, à savoir 3 ans renouvelable une fois. Sur
l’ensemble des acteurs engagés localement, 69% travaillaient pour un employeur américain. Parmi
ces Français hautement qualifiés pouvant bénéficier d’un contrat local avec un employeur
américain, on dénombre également quelques artistes interrogés lors des enquêtes, bénéficiant du
visa O1, délivré aux artistes et sportifs de haut niveau.
3.2.1.2 L’employeur français expatrié et détaché
Nous avons également cherché à rencontrer des travailleurs expatriés ou détachés, parce
qu’ils correspondent à un des profils du travailleur hautement qualifié. L’expatrié ou le détaché a
pu présenter spontanément sa candidature pour un poste à l’étranger, avoir accepté une offre qu’il
a jugée intéressante, ou plus rarement être contraint à une mutation professionnelle dans une filiale
à l’étranger. Dans tous les cas de figures, le système de sélection s’opère avant l’immigration. Les
personnes sont notamment choisies pour leurs compétences professionnelles, qui sont adaptées à
des tâches locales. Selon le Livret du Français à l’étranger, si pour le détaché « l’employeur a seul
l’initiative des formalités à remplir [et] doit s’engager à verser l’intégralité des cotisations dues
en France », pour l’expatrié « qui ne remplit pas (ou plus) les conditions pour bénéficier du
régime français en tant que détaché, la situation de l’expatrié dépend du pays dans lequel il
exerce une activité professionnelle. » {Ministère des Affaires Etrangères, 2002 #431} Ainsi le
départ à l’étranger ne s’opère pas de la même manière pour les expatriés et les détachés : il
convient par conséquent de distinguer ces deux statuts.
Par abus de langage, toute personne travaillant dans une filiale étrangère d’une société ou
d’une organisation française est communément appelée « expatrié ». Or, il s’avère que le statut
d’expatrié est aujourd’hui bien différent de celui de détaché. La distinction entre ces deux termes a
récemment été réaffirmée lors d’un forum sur l’expatriation au Royaume-Uni organisée par la
Maison des Français de l’Etranger au Ministère des Affaires Etrangères. Organisé le 10 avril 2002
au centre de Conférences Internationales du ministère des Affaires Etrangères, le forum, présidé
par Monsieur Evain, directeur de la Maison des Français de l’Etranger, avait plusieurs objectifs :
afin d’accompagner le départ d’éventuels candidats à l’émigration, ont été présentés
successivement le rôle du consulat à l’étranger, la nature de la protection sociale dont un Français
peut bénéficier à l’étranger, les formalités fiscales, douanières et administratives à remplir au
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 43
départ et au retour, et surtout le contexte de l’emploi au Royaume-Uni. Un représentant du Centre
Charles Péguy de Londres, chargé de l’insertion professionnelle des jeunes français (18-25 ans) à
Londres, opposait ainsi les deux notions : « Un détaché est une personne qui travaille pour le
compte d’un employeur français à l’étranger pendant au moins deux ans et qui bénéfice de la
sécurité sociale française. Au contraire un expatrié, c’est une personne qui est sous contrat local
résident. Son contrat français est suspendu pour ensuite passer sous contrat local. L’expatrié ne
bénéficie pas de la couverture sociale française. » [Forum sur l’expatriation au Royaume-Uni, 10
avril 2002]. Ainsi, la distinction majeure à opérer entre le détaché et l’expatrié réside dans la
nature de son contrat de travail, et par conséquent au type de visa dont l’un et l’autre peuvent
bénéficier. Si le premier est couvert par la sécurité sociale, l’adhésion du second aux régimes
français de retraite, de sécurité sociale et d’assurance chômage est facultative. En effet, comme le
précise le Livret du Français à l’étranger « étant réputé résider et travailleur en France, le détaché
est maintenu à l’ensemble de la protection sociale française y compris donc la vieillesse, les
retraites complémentaires et le chômage. » {Ministère des Affaires Etrangères, 2002 #431}
L’expatrié est au contraire amené à souscrire spontanément à la C.F.E., la Caisse des Français de
l’Etranger. Le Livret du Français à l’étranger stipule que « en principe, vous relevez du régime de
sécurité sociale du pays d’accueil […] Si vous le souhaitez, vous pouvez également adhérer au
régime des assurance volontaires des travailleurs salariés expatriés. » {Ministère des Affaires
Etrangères, 2002 #431}
Il va sans dire que le coût pour l’entreprise ou l’organisme français d’une expatriation est
bien moindre que celui d’un détachement. Si les détachés restent plus nombreux que les expatriés
au sein de la population d’étude (12,3% contre 11,2%), les discussions avec de nombreux acteurs
permettent d’affirmer que les détachements de personnels dans une filiale étrangère se raréfient au
profit d’une embauche locale, d’une part d’expatriés français engagés sous contrat local, et d’autre
part, et de plus en plus, d’employés américains et internationaux, représentant un moindre coût
pour l’employeur. Les expatriés français engagés localement représentent en fait 31% des
détenteurs de contrats locaux au sein de la population d’étude. Il s’avère que parmi les expatriés
interrogés, si 62% d’entre eux peuvent bénéficier d’un contrat local grâce au visa H1B, 29% sont
en mesure d’être employés localement car ils disposent de la carte verte, et 9% parce qu’ils sont
franco-américains nés en France.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 44
3.2.1.3 Les travailleurs indépendants et les créateurs d’entreprises
Un critère pertinent pour évaluer les compétences professionnelles est la capacité
d’adaptation au marché économique et professionnel local. La réussite professionnelle démontre la
capacité à s’adapter, apporte la preuve que le travailleur est parvenu à acquérir ou à exploiter des
compétences professionnelles adaptées au monde du travail anglo-saxon. La terminologie
"travailleurs indépendants" concerne en fait les travailleurs exerçant des professions dite libérales,
qui ne sont pas employés par une entreprise mais qui exercent soit en Free Lance, soit dans leur
propre entreprise ou cabinet. Il peut s'agir notamment de photographes, de médecins ou de
psychologues, de danseurs ou chanteurs. Il est délicat de les dénombrer au sein de la population
d'étude dans la mesure où il s'agit d'une catégorie d'acteurs transversale du point de vue du statut
juridique, qui concerne à la fois une partie des résidents permanents interrogés, des journalistes et
des artistes.
Nous avons cherché à rencontrer des créateurs d'entreprise lors de nos enquêtes. Si l'on
compte de nombreuses personnes souhaitant fonder leur propre entreprise parmi les "travailleurs
indépendants", notamment par la création de Start-Ups dédiées au e-business entre 1999 et 2001, il
s'avère que la création d'entreprise reste principalement le fait de grandes sociétés françaises qui
souhaitent créer une filiale américaine aux Etats-Unis : si les détachés détenteurs de visas L1
peuvent être notamment chargés de l'administration ou de la gestion d'un filiale nouvellement
créée, représentant 11% de la population d'étude, ce sont d'autres catégories de détachés qui sont à
même de créer une filiale à l'étranger, disposant alors d'un statut spécifique, celui d'investisseur
créateur d'entreprise, voire d'investisseur commercial. Ils sont titulaires d'un visa E1 pour les
premiers, et E2 pour les seconds, mais ne représentent que 2% de la population d'étude.
Toutefois, d'autres travailleurs français hautement qualifiés ont été en mesure de créer
une entreprise. Ils ne sont pas détenteurs d'un visa spécifique lié à la création d'entreprise, mais
bénéficient d'un meilleur atout : le droit de résidence permanent, soit par la double nationalité
franco-américaine, par le mariage avec un conjoint américain, ou l'obtention de la carte verte. Les
exemples ne manquent pas au sein de la population d'étude, et de nombreux travailleurs hautement
qualifiés, auparavant employés sous contrat local par une entreprise américaine, expatriés ou
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 45
encore détachés ont décidé de franchir le pas après l'obtention du droit de résidence permanent en
créant leur propre entreprise.
3.2.2 L'emploi
Hormis la focalisation sur ces trois grands profils, la connaissance de la branche d'activité
et du métier exercé par les acteurs ont constitué des indicateurs essentiels de la haute qualification.
Cependant, force est de constater que la reconnaissance des compétences professionnelles ne
semble pas être la même d’un pays à l’autre, suivant le secteur d’emploi concerné. Si l’on en croit
Sylviane Diouf Kamara, « c’est plutôt le bon Chef et le coiffeur plein d’idées que les Etats-Unis
recherchent » {Diouf-Kamara, 1992 #11}, des professions qui, bien qu’appréciées en France,
n’ont pas le prestige dont elles jouissent aux Etats-Unis. La « French Touch » s’applique aux
Etats-Unis à des professions reconnues comme typiquement françaises par le marché de
consommation américain. C'est pourquoi nous nous sommes systématiquement basés sur le
définition que nous avions retenue du travailleur hautement qualifié pour déterminer si tel ou tel
acteur entrait dans notre population d'étude : "Est-ce que cette personne exerce une activité
nécessitant la maîtrise de savoir-faire ou de compétences professionnelles rares ou recherchées
sur le marché de l’emploi new yorkais ?"
Il peut alors s’agir aussi bien d’un universitaire effectuant un stage post-doctoral
rémunéré par un organisme français ou américain, qu’un cadre supérieur transféré dans une filiale
établie aux Etats-Unis d’une société française, mais il peut également être question d’un Chef
français, un cuisinier dont le niveau de compétences professionnelles est reconnu comme
supérieur aux Etats-Unis. Sur ce principe, le tableau n°2 présente un aperçu des professions et des
professionnels retenus comme hautement qualifiés lors de nos enquêtes new yorkaises.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 46
Tableau n°2
Secteurs d'activités et emplois de la population d' étude Enquêtes menées de 1999 à 2001
Secteurs d'activité Emplois exercés
Agroalimentaire Responsables d'entreprises import-export (P.D.G. et cadres supérieurs)
Artisanat Ouvriers hautement qualifiés (compagnons serruriers et ébénistes)
Artistes Sculpteur, photographes, musiciens, chanteuses, danseurs et danseuses
Secteur bancaire et financier, expertise comptable et assurance
Très nombreux banquiers, consultants et analystes financiers, experts-comptables, cadres supérieurs commerciaux et techniques dans le domaine des assurances
Cabinet de recrutement Chasseur de têtes
Diplomatie Diplomates, Fonctionnaires internationaux des Nations Unies et membres des Consulats
Enseignement et formation
Responsables d’établissements d’enseignements français, professeurs du Lycée français de New York, professeurs d’université
Immobilier Agents immobiliers, architectes
Industrie automobile Responsable de filiales françaises (cadres supérieurs)
Industrie du luxe Responsables d'entreprises de textiles, cosmétiques, et décoration d’intérieur (P.D.G. et cadres supérieurs)
Justice Avocat
Média Travailleurs indépendants dans le journalisme, le cinéma, la production et la programmation musicale, graphistes et commerciaux dans le secteur de la publicité.
Nouvelles technologies Informaticiens (cadres et techniciens supérieurs), créateurs d’entreprises spécialisées dans le commerce électronique
Restauration et hôtellerie
Patrons et responsables financiers de grands restaurants français, maîtres d'hôtel
Santé Psychologues et médecins
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 47
Afin de proposer une définition encore plus précise des domaines d'activité des acteurs
concernés, nous avons utilisé la grille internationale établie par le Bureau International du Travail.
Les secteurs d'activités des acteurs interrogés lors des enquêtes de terrain, présentés dans le
tableau n°3, correspondent à la catégorie 1, les cadres supérieurs et dirigeants administratifs ou de
société, et à la catégorie 2, les professions "intellectuelles" et scientifiques. Quelques acteurs
exerçaient un emploi dans d'autres catégories, notamment les employés du secteur bancaire et
financier ne disposant pas du statut de cadre supérieur, en catégorie 3, mais aussi les membres de
la restauration, tels les responsables de restaurants réputés et leurs chefs de rang, dans la catégorie
5, et enfin les Compagnons, ouvriers spécialisés en Serrurerie, ferronnerie et métallurgie d'art ou
en ébénisterie, en catégorie 7.
3.2.3 Le degré de spécialisation et le niveau de responsabilité
Si le secteur d'activité et l'emploi exercés peuvent donner une bonne indication du niveau
de qualification atteint, la connaissance du degré d'expertise nécessaire pour accomplir une tâche
ou l'importance des responsabilités assumées constituent également de bons indicateurs d'une
haute qualification.
Nous nous sommes par conséquent adressés aux Français exerçant un métier requérant des
compétences rares ou recherchées et/ou occupant des postes de hautes responsabilités. Il s'agit ainsi
de P.D.G. [ou C.I.O.] et de cadres supérieurs au sein de grandes entreprises françaises ou
américaines, de diplomates et de hauts fonctionnaires travaillant pour l'Etat Français (Consulat,
services de l'Ambassade, représentants des différents ministères) ou des Organisations
Internationales (ONU, Unesco). Les créateurs et responsables de petites et moyennes entreprises
entrent également dans la population d'étude lorsque leur emploi implique d'assumer de grosses
responsabilités, ou requiert un haut niveau de spécialisation. Compte tenu de la spécificité des
compétences requises dans des domaines tels que les Nouvelles Technologies, le secteur bancaire et
financier, l'Assurance, notre population d'étude comprend également des postes de "techniciens
supérieurs" (informaticiens et analystes financiers par exemple). En suivant ces critères, d'autres
professionnels peuvent correspondre aux profils recherchés dans des domaines divers, tels que l'art,
l'éducation, la justice et la santé par exemple.
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 48
Tableau n°3
Code Activité
Secteurs d'activités et intitulés des professions des personnes interrogées
BIT Source : Organisation Internationale du Travail, OIT, BIT, 2001
1 Membres de l'exécutif et des corps législatifs, cad res supérieurs de l'administration publique, Dirigeants et cadres supérieurs d'entreprise
11 Membres de l'exécutif et des corps législatifs, et cadres supérieurs de l'administration publique
111 Membres de l'exécutif et des corps législatifs
112 Cadres supérieurs de l'administration publique
114 Dirigeants et cadres supérieurs d'organisations spécialisées
12 Directeurs de société
121 Directeurs
122 Cadres de direction, production et opérations
123 Autres cadres de direction
13 Dirigeants et gérants
131 Dirigeants et gérants
2 Professions intellectuelles et scientifiques
21 Spécialistes des sciences physiques, mathématiques et techniques
211 Physiciens, chimistes et assimilés
212 Mathématiciens, statisticiens et assimilés
213 Spécialistes de l'informatique
214 Architectes, ingénieurs et assimilés
22 Spécialistes des sciences de la vie et de la santé
221 Spécialistes des sciences de la vie
222 Médecins et assimilés (à l'exception des cadres infirmiers)
23 Spécialistes de l'enseignement
231 Professeurs d'université et d'établissements d'enseignement supérieur
232 Professeurs de l'enseignement secondaire
233 Instituteurs de l'enseignement primaire et préprimaire
235 Autres spécialistes de l'enseignement
24 Autres spécialistes des professions intellectuelles et scientifiques
241 Spécialistes des fonctions administratives et commerciales des entreprises
242 Juristes
244 Spécialistes des sciences sociales et humaines
245 Ecrivains et artistes créateurs et exécutants
3 Professions intermédiaires
34 Autres professions intermédiaires
341 Professions intermédiaires des finances et de la vente
342 Agents commerciaux et courtiers
7 Artisans et ouvriers des métiers de type artisanal
73 Artisans et ouvriers de la mécanique de précision, des métiers d'art, de l'imprimerie et assimilés
731 Mécaniciens de précision sur métaux et matériaux similaires
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 49
3.3 Une élite professionnelle ?
Si nous retenons la terminologie travailleur hautement qualifié pour décrire la population
d’étude, nous avions d’abord utilisé au début de l’enquête le terme d’élite professionnelle. Nous
sommes effectivement en droit de nous demander si cette migration ne concerne qu’une élite.
Mais que recouvre la notion d’élite ? Peut-on présenter la population d’étude comme une élite
professionnelle ?
3.3.1 La polysémie du terme élite
Le terme élite ne désigne pas une population précise, suscitant auprès des personnes
interrogées de nombreuses remarques :
« Estimez-vous faire partie des élites professionnelles résidant à l’étranger ?
_ Eh bien, ça dépend de ce que vous entendez par “élites”. Pour moi, quelqu’un qui a
fait une Grande Ecole et qui ne réussit pas, ce n’est pas une élite. Peut-être qu’il pense que oui,
mais je crois que quelqu’un sans formation supérieure qui vient à New York et qui devient Chef
pâtissier chez [un grand restaurateur] fait, quant à lui, vraiment partie des élites. » [Entretien
avec Monsieur O. P., 17 janvier 2001].
La polysémie du terme élite rend en effet son utilisation délicate, pouvant entraîner la
confusion entre les notions d’élites sociales, d’élites éducatives, de cerveaux ou de riches
entrepreneurs. Lorsqu’on évoque la notion de hiérarchie tant au niveau social qu’au niveau
politique, il est alors question de l’élite sociale. Le terme élite renvoie dans ce cas de figure aux
notions de rang et de pouvoir au sein d’une société, thèmes développés dans les travaux de Marc
Martiniello. Dans un article intitulé « Elites, leadership et pouvoir dans les communautés
ethniques d’origine immigrée. Vers une approche théorique. » {Martiniello, 1988 #259}, Marc
Martiniello s'intéresse à la notion d'élites dans le contexte des migrations, et précise qu’il est
nécessaire de comprendre la place et l’influence des élites immigrées non seulement dans la
société d’accueil, mais également au sein de la population migrante, pour connaître les
caractéristiques de ce groupe social. En outre, cette même notion peut également faire référence,
au niveau éducatif et intellectuel, à la matière grise ou au quotient intellectuel, au niveau d’étude
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 50
atteint ou aux diplômes obtenus : les cerveaux ou l’élite éducative. Enfin, il peut s’agir de la
réussite professionnelle, liée à l’esprit d’entrepreneur : les élites professionnelles.
Nous nous sommes basés lors d'une première enquête menée à New York sur une
définition de la population d'étude proche de celle d'élite éducative. En effet, nous fondant sur le
niveau de formation des individus, nous avons établi l'échantillon d'étude parmi les listings des
anciens élèves de Grandes Ecoles, ainsi que dans des secteurs d’activités ou dans des entreprises
françaises où l’éducation et le caractère élitiste du recrutement semblent liés : même si cette
population fait réellement partie de la population d’étude, elle n’en représente qu’une partie. De
fait, ce n’est pas seulement l’éducation qui peut faire les travailleurs hautement qualifiés, et ce
n’est pas non plus une nécessité, mais il se trouve que les savoirs acquis permettent pour la
majorité de disposer de hautes compétences professionnelles. La formation ne s'avère d'ailleurs
efficace que lorsque les individus savent exploiter les savoirs acquis dans une perspective
professionnelle.
Nous avons par conséquent élargi par la suite notre échantillon pour être plus
représentatif de la population d'étude, en nous inspirant de la vision d'Alain Tarrius. Lorsque
celui-ci s’intéresse à la « circulation des élites professionnelles », il s’adresse en fait « aux
personnes de haute qualification (bac+5) ou de grandes responsabilités, ayant une capacité de
prise de décision dans l’exercice des fonctions à l’étranger, de préférence occupant des emplois
créés ces vingt dernières années (sur-représentation d’informaticiens, d’ingénieurs aéronautiques
et chimistes, de juristes internationaux, de cadres financiers, de fonctionnaires internationaux,
d’organisateurs de foires commerciales). » {Tarrius, 1992 #326}
Cependant, si la notion d’élite peut nous permettre d'aborder des thématiques
intéressantes et promptes à éclairer notre recherche lorsqu'elle est définie de manière précise et
pertinente, elle reste mal accueillie par les personnes interrogées
3.3.2 Un concept mal accueilli
Le terme élite a interpellé de nombreuses personnes interrogées, et quelques-uns le
trouvent inadapté pour décrire la population d’étude. Celui-ci renvoie pour les acteurs à la notion
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 51
de hiérarchie, c'est pourquoi ils opposent à cette notion celle de réussite professionnelle. Certains
estiment en effet que les Français qui réussissent professionnellement à New York ne sont pas
forcément des élites, associant plutôt le terme aux plus grands chefs d’entreprise, mais aussi aux
“stars du show business” [sic]. Il est vrai que si certains individus ne correspondent pas au pseudo
profil type de l'élite professionnelle française, le cadre supérieur de 30 à 35 ans disposant d'une
formation d'ingénieur, ils peuvent néanmoins être très reconnus professionnellement par le marché
économique local, comme l'exprime monsieur L. P. dans ce témoignage : “En France, le terme
élite est lié au niveau d’étude, un chef est tout de suite classé comme cuistot.[…] Aux Etats-Unis,
ce sont les savoir-faire qui sont reconnus, un chef est une star, il occupe un haut niveau dans la
hiérarchie sociale, au même rang qu’un banquier ou un avocat.”[Entretien réalisé le 18 décembre
2000]
Ce concept est imposé aux acteurs, qui se voient désignés comme élites professionnelles
lors des premiers entretiens, et peut ne pas correspondre à leur propre conception du terme élite, ce
qui peut les amener à s’interroger sur la nature de la population d’étude et du domaine
d’investigation : “Vous allez rencontrer des élites professionnelles, mais de qui s’agit-il ? Je vous
avoue que je ne pensais pas pouvoir vous aider, dans la mesure ou, pour moi, les élites ce sont des
personnes comme le patron de Saint Gobain ou de Rhône Poulenc, ou encore les stars du Show
Business.” [Entretien avec Serge Bellanger, date ?] Le concept d’élite professionnelle provoque
des réactions diverses parce qu’il n’entre pas forcément en adéquation avec la conception
personnelle qu’ont les acteurs du terme. Mais cela signifie-t-il pour autant que cette expression ne
permet pas de cerner clairement et précisément la population d’étude ? L’expression élites
professionnelles ne décrit-elle pas correctement les acteurs ?
3.3.3 Un concept inadapté à la population d'étude
Si des critères objectifs sont utilisés pour déterminer le niveau de compétences
professionnelles d’une personne, comme le niveau d’étude atteint, l’expérience professionnelle
dans le secteur d’activité, la demande du marché local pour le secteur d’activité ou, plus
spécifiquement, pour l’emploi exercé, mais aussi la nature du visa ou le statut juridique dans le
pays d’accueil, le statut d’élite professionnelle ne repose pas sur ces critères : il s'agit en partie
d'une construction mentale faite a posteriori par l’enquêteur. Bien que la notion recoupe en grande
Le champ d’étude et les sources disponibles, chapitre 1, page 52
partie la population d’étude, nous ne pouvons utiliser cette terminologie qu'à l'issue de nos
investigations. Comment les désigner comme élites professionnelles sans connaissance préalable
de leur place et leur rôle au sein de la collectivité française établie à l’étranger, et qui plus est au
sein de la société d’accueil ?
En définitive, nous avons du écarté cette notion dans la mesure où elle ne permettait pas
de définir avec précision la population d’étude. Ne recouvrant pas entièrement la population que
nous souhaitons atteindre et étudier, cette terminologie présentait également une dimension
quelque peu emphatique selon certains acteurs interrogés.
3.4 Qui sont les Français hautement qualifiés à New York ?
En définitive, sont considérés comme travailleurs français hautement qualifiés à New York
les travailleurs français ou doubles nationaux résidant aux Etats-Unis, pour une période supérieure à
trois mois, disposant d’un visa temporaire de travail ou du droit de résidence permanente (carte verte
ou citoyenneté américaine), exerçant un emploi ou une fonction rémunérée qui nécessite la maîtrise
de connaissances, de compétences ou de savoir-faire professionnels rares ou recherchées sur le
marché de l’emploi new yorkais, impliquant souvent un haut niveau de responsabilités. Le marché
de l’emploi new yorkais revêt en effet la particularité d’être multiscalaire, répondant à des besoins
spécifiques au niveau local, régional, national et international.
Ainsi, ce premier chapitre visait à définir les limites thématiques de cette recherche. En
cherchant à qualifier le mouvement migratoire étudié et à identifier les acteurs concernés par cette
enquête, de nombreux concepts ont été abordés et définis. Dans cette même perspective
méthodologique, il convient maintenant de présenter les sources statistiques utilisées.