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16 Automne 2012 Numéro 17 La lettre de l'Itésé La lettre de l'Itésé Numéro 26 Antomne 2015 16 Eclairages Première évaluation économique de la cogénération nucléaire pour le chauffage urbain en France par Frédéric JASSERAND, JeanGuy DEVEZEAUX DE LAVERGNE, CEA/Itésé L’année 2015 est l’occasion pour la France d’affirmer ses ambitions en matière de politique environnementale. Durant l’été elle a voté la «La loi de transition énergétique pour la croissance verte», qui précise son engagement dans l’amélioration de ses performances énergétiques et de réduction d’émission de GES [1] , et en novembre et décembre elle accueille à Paris la conférence internationale COP 21 dédiée aux actions internationales de lutte contre le changement climatique [2] . Le but de cet article est donc de proposer une première approche du potentiel de la cogénération nucléaire pour le chauffage urbain en France vu sous angle économique. L a cogénération, technique associant la production simultanée d’électricité et de chaleur à partir d’un même combustible, s’inscrit parfaitement dans ces ambitions gouvernementales puisqu’elle permet de réduire très significativement la quantité d’énergie primaire consommée pour de mêmes usages finaux. Ainsi, cette technique atelle été reconnue comme l’un des moyens d’atteindre les objectifs de division des émissions de GES par un facteur 4 en 2050 par les prévisionnistes de l’alliance ANCRE qui regroupe les principaux organismes de recherche sur l’énergie en France [3] . Ces scénarios suggèrent que si de nombreuses unités de production thermiques en France fonctionnent en cogénération en produisant également de l’électricité, l’utilisation «à l’inverse» des réacteurs nucléaires électrogènes pour produire également de la chaleur pourrait ouvrir un gisement potentiel très important et actuellement totalement inexploité de plusieurs dizaines de TWh th . 1Cogénération nucléaire pour le chauffage urbain 1.1 Principaux concepts Tous les réacteurs électrogènes français en fonctionnement actuellement sont des REP dont le design a été conçu pour atteindre des rendements électriques qui varient de 32% (palier 900 MW e ) à 35% (palier N4 de 1450 MW e ). L’énergie thermique évacuée à la source froide des réacteurs est principalement dispersée dans l’environnement par le circuit tertiaire sous forme d’eau à basse température (< 40°C) ou de vapeur d’eau. Au niveau de température de ces rejets, cette énergie thermique ne peut pas être valorisée dans un usage industriel ou domestique, et il est donc nécessaire d’adapter les circuits et leurs échanges afin de récupérer une énergie utilisable… dès lors que l’on accepte une baisse de la production électrique. En effet, si une partie de la chaleur du circuit secondaire est utilisée à des fins de chauffage à une température supérieure, alors le rendement mécanique (donc électrique) baisse et la diminution de production associée constitue un coût (coût d’opportunité) dans le calcul économique de la chaleur. Dans le cas d’un réacteur nucléaire à eau, le ratio d’énergie électrique perdue par rapport à l’énergie thermique récupérée est de l’ordre de 1/5 pour de l’eau à 120°C. Fig. 1. Fonctionnement schématique de la cogénération pour le chauffage urbain (from Tuomisto [4] ) Evidemment l’utilisation de la cogénération n’est économiquement justifiée que si les recettes associées à la

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16Automne 2012 ­ Numéro 17 ­ La lettre de l'I­téséLa lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 201516

Eclairages

Première évaluation économique de lacogénération nucléaire pour le chauffageurbain en Francepar Frédéric JASSERAND,Jean­Guy DEVEZEAUX DE LAVERGNE,CEA/I­tésé

L’année 2015 est l’occasion pour la France d’affirmer ses ambitions en matière depolitique environnementale. Durant l’été elle a voté la «La loi de transitionénergétique pour la croissance verte», qui précise son engagement dansl’amélioration de ses performances énergétiques et de réduction d’émission deGES [1], et en novembre et décembre elle accueille à Paris la conférenceinternationale COP 21 dédiée aux actions internationales de lutte contre lechangement climatique [2].Le but de cet article est donc de proposer une première approche du potentiel dela cogénération nucléaire pour le chauffage urbain en France vu sous angleéconomique.

La cogénération, technique associant la productionsimultanée d’électricité et de chaleur à partir d’unmême combustible, s’inscrit parfaitement dans cesambitions gouvernementales puisqu’elle permet deréduire très significativement la quantité d’énergieprimaire consommée pour de mêmes usages finaux.Ainsi, cette technique a­t­elle été reconnue comme l’undes moyens d’atteindre les objectifs de division desémissions de GES par un facteur 4 en 2050 par lesprévisionnistes de l’alliance ANCRE qui regroupe lesprincipaux organismes de recherche sur l’énergie enFrance [3].Ces scénarios suggèrent que si de nombreuses unités deproduction thermiques en France fonctionnent encogénération en produisant également de l’électricité,l’utilisation «à l’inverse» des réacteurs nucléairesélectrogènes pour produire également de la chaleurpourrait ouvrir un gisement potentiel très important etactuellement totalement inexploité de plusieurs dizainesde TWhth.1 ­Cogénération nucléaire pour le chauffage urbain1.1 ­Principaux conceptsTous les réacteurs électrogènes français enfonctionnement actuellement sont des REP dont le designa été conçu pour atteindre des rendements électriques quivarient de 32% (palier 900 MWe) à 35% (palier N4 de 1450MWe).L’énergie thermique évacuée à la source froide desréacteurs est principalement dispersée dansl’environnement par le circuit tertiaire sous forme d’eau à

basse température (< 40°C) ou de vapeur d’eau. Auniveau de température de ces rejets, cette énergiethermique ne peut pas être valorisée dans un usageindustriel ou domestique, et il est donc nécessaired’adapter les circuits et leurs échanges afin de récupérerune énergie utilisable… dès lors que l’on accepte unebaisse de la production électrique. En effet, si une partiede la chaleur du circuit secondaire est utilisée à des fins dechauffage à une température supérieure, alors lerendement mécanique (donc électrique) baisse et ladiminution de production associée constitue un coût (coûtd’opportunité) dans le calcul économique de la chaleur.Dans le cas d’un réacteur nucléaire à eau, le ratiod’énergie électrique perdue par rapport à l’énergiethermique récupérée est de l’ordre de 1/5 pour de l’eau à120°C.

Fig. 1. Fonctionnement schématique de la cogénération pour lechauffage urbain (from Tuomisto [4])Evidemment l’utilisation de la cogénération n’estéconomiquement justifiée que si les recettes associées à la

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Printemps 2010 ­ Numéro 10 ­ La lettre de l'I­téséPrintemps 2010 ­ Numéro 10 ­ La lettre de l'I­tésé 17Automne 2015 ­ Numéro 26 ­ La lettre de l'I­tésé

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vente de chaleur sont supérieures aux pertes dues à ladiminution de vente de l’électricité. Dans la mesure où lescourbes de demande dans le temps de la chaleur et del’électricité suivent approximativement la mêmecinétique, ce coût d’opportunité peut être élevé enpériode hivernale lorsque le prix de l’électricité atteint sonmaximum en Europe occidentale.Outre le coût de production, celui de distributionconstitue le plus souvent un frein au développement duchauffage urbain. Indépendamment du fait que lechauffage domestique et tertiaire en France est en bonnepart assuré par l’électricité [5], le coût de déploiement desréseaux de transport et distribution limite de facto lafourniture de chaleur aux zones suffisamment densémentpeuplées et utilisant déjà un mode de chauffagecompatible (chauffage central ou collectif déjà installé).Cet investissement est toutefois pérenne puisque la duréed’exploitation du réseau se chiffre en décennies (parexemple le réseau de chaleur français le plus ancien estcelui de Paris dont les premières canalisations datent de1927 [6]).

Fig. 2. Construction du réseau de transport (from Refuna [7])

1.2 ­Spécificités du chauffage urbain nucléaireLes réacteurs nucléaires de puissance sont généralementéloignés des agglomérations. Si cet éloignement est gérétrès efficacement pour le transport de l’électricité, laquestion du transport de la chaleur sur longue distance,qui nécessite des conduites isolées, apparait nouvelle,même si des projets ont été étudiés dans les années 70pour chauffer Paris et Grenoble par de l’énergienucléaire [8].Les coûts associés peuvent être contenus dans le cas del’utilisation de canalisations à l’air libre, mais lescontraintes environnementales et d’urbanisation incitentle plus souvent l’utilisation de canalisations enterrées entranchées ou en tunnels. L’investissement associé (del’ordre du M€/km) peut alors devenir trop lourd pourpermettre un développement compétitif du transport surlongue distance. De plus un réacteur nucléaire est capablede produire une très grande quantité de chaleur comparéaux unités de production habituelles (CTG(1), UIOM(2) ,etc.) et son indisponibilité (notamment programmée pourle chargement du combustible) est alors plus difficile à

gérer(3) : il faut plutôt raisonner par paire de réacteurs oudisposer d’une réserve de back­up régulièrementsollicitéeLa faisabilité socio­technique pourrait s’avérer aussidélicate. Si l’accident de Fukushima n’a pas modifiésignificativement la perception qu’ont les français del’énergie nucléaire [9], nous ne disposons actuellement ànotre connaissance d’aucune étude sur la faisabilitésociale du développement de cette technique en France.Peut­être des mesures techniques, telle la redondance desbarrières séparant le cœur du réacteur du circuitdomestique (4 barrières entre les 5 circuits pour Beznauen Suisse [10]) peuvent­elles contribuer à cette faisabilité,mais cette question est ouverte.1.3 ­Le chauffage urbain en EuropeComparativement aux pays d’Europe Centrale ou del’Est, la France ne dispose pas de réseaux de chaleur trèsdéveloppés puisqu’ils ne desservent que 7,4% de lapopulation. La région la plus densément fournie est l’Île­de­France (13,6 TWhth dont 5,5 pour Paris), suivie parRhône­Alpes (2,9 TWhth répartis sur 3 principalesagglomérations éloignées les unes des autres). Les autressites de consommation, presque tous situés dans le quartnord­ouest, se limitent à quelques centaines de GWhth paran [11].Pour la seule Île­de­France, qui dispose déjàd’infrastructures, le potentiel de développement desréseaux est toutefois considérable puisqu’il a étérécemment évalué que la chaleur fournie via ces réseauxdevrait doubler pour atteindre 28 TWhth d’ici à 2030 [12].Ce doublement s’explique par un triplement du nombrede foyers connectés conjointement à une améliorationglobale des performances énergétiques du parcimmobilier (la LTE va encourager les travaux derénovation des anciens logements et les nouvellesconstructions respectent des normes plus rigoureuses).La cogénération nucléaire appliquée au chauffage urbainest déjà mise en œuvre dans de nombreux paysd’Europe [10], mais ses spécificités limitent actuellementson utilisation à des projets d’envergure restreinte, que cesoit du point de vue de la chaleur produite (puissance«installée» limitée à moins de 60 MWth) ou duraccordement entre les sites de production et deconsommation (distance de transport ≤ 30 km).L’antériorité de ces réalisations ne préjuge par ailleurs pasde leur faisabilité économique aux conditions actuelles.Des projets de plus grande envergure ont toutefois déjàfait l’objet d’études mais ne sont pas encore en phase deréalisation comme Loviisa­Helsinki (1000 MWth, 60km) [4].(1 ) Centrale Thermique à Gaz(2) Unité d'incénération des ordures Ménagères(3) Analogie avec la difficulté d'implanter un réacteur nucléaire sur un réseaude faible capacité

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La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 201518

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1.4 ­ Intérêt du chauffage urbain nucléaire dans laperspective de la transition énergétiqueOn a vu plus haut que l’ANCRE propose et étudiedifférents scénarios prospectifs d’évolution énergétique enFrance [3]. Dans son scénario «vecteurs diversifiés» (DIV),les réseaux de chaleur et la cogénération nucléaireparticipent fortement à la diminution de la consommationd’énergie primaire par le secteur résidentiel/tertiaire. Lescénario DIV table ainsi en 2050 sur la productiond’environ 240 TWh de chaleur, produits par destechnologies «bas carbone», soit pour moitié par des EnR,et pour moitié par cogénération nucléaire.Une des dispositions de la loi de transition énergétiquevise à réduire la part du nucléaire dans la productionélectrique à 50% à l’horizon 2025 contre 75%actuellement [1]. Avec cette disposition, le potentiel trèsimportant d’utilisation des réacteurs pour la cogénérationpermettrait de bénéficier de la disponibilité des réacteurstout en diversifiant la production de chaleur. Cettedémarche est très cohérente avec un prolongement de ladurée d’exploitation des réacteurs de 10 voire 20 ans. Untel prolongement, fréquemment réalisé dans d’autrespays [13] présente un intérêt économique certain puisqueles centrales sont déjà construites et largement amorties etque les montants des travaux de jouvence restent trèsinférieurs à ceux de construction d’une nouvelle unité,ceci même en corrigeant ces montants d’investissementsde la durée prévisible des équipements, évidemmentnettement supérieure dans le cas d’un nouveau réacteur.Dans le cas français, la forte standardisation du parc (58réacteurs constituant 4 «paliers») pourrait permettre unemutualisation d’une partie des coûts liés audéveloppement de la cogénération (études, décrets).2 ­Modèle technico­économique2.1 ­Principaux objectifsLe but de cet article est de proposer une premièresynthèse du potentiel de développement de lacogénération nucléaire pour le chauffage urbain à partirde centrales nucléaires existantes. Pour ce faire, unmodèle technico­économique générique est conçu, quiintègre les principaux éléments caractéristiques de lacogénération et permet de décrire chaque éventualité defourniture de chaleur par une des centrales nationalesselon ses propriétés techniques et d’en déduire desindicateurs économiques afin en particulier d’identifier lesprojets les plus intéressants, selon leur localisation.Notons aussi que le modèle qui suit est adapté à l’étudede la mise en œuvre de la cogénération au sein desréacteurs existants. Il est aussi possible d’examiner cettequestion pour de nouveaux réacteurs, sachant que, dansce cas, le projet permet tout à la fois une meilleureconception d’ensemble, l’absence des perturbations liées

aux modifications d’une tranche en exploitation et unedurée d’exploitation attendue plus longue.2.2 ­Description du modèleNous proposons de structurer l’ensemble des coûtscaractéristiques du projet en trois grandes catégories :1. «Conception» : les dépenses nécessaires à l’étude d’unsite (couple centrale nucléaire – réseau de chauffageurbain) : études techniques, de marché, aspectsréglementaires (dossier de sûreté, enquête publique…)etc. ;2. «Investissement» : les dépenses relatives à laréalisation du projet une fois qu’il a été retenu :modifications de la centrale pour extraire la chaleur (dontcoût lié à l’immobilisation de la production électriquependant les travaux), construction du réseau de transport(achat des tuyaux et installation en tranchées ou tunnels),connexion au réseau de distribution (construction desous­stations accueillant les échangeurs de chaleurs), etc. ;3. «Fonctionnement» : les coûts opérationnels mis enœuvre durant la vie technique du projet (salaires,maintenance, pompage, etc.) et les recettes liées à la ventede chaleur.

Fig. 3. Structure des coûtsParmi les autres postes de coûts, les frais financiers(impôts, taxes, assurances) ne sont pas évalués ici dans lecadre de cette première approche. Inversement,

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d’éventuelles subventions au titre de l’usage d’uneénergie fortement décarbonnée ne sont pas envisagées ici(cf. infra). Un autre poste de coûts non modélisé estconstitué de la mise en place d’un «back­up» (parexemple une centrale thermique à gaz), capable deprendre le relai en cas d’indisponibilité du réacteurnucléaire connecté. Il faut considérer cette question avecsouplesse, selon par exemple que de tels moyens existentdéjà ou que –par exemple – l’équipement de plusieurstranches d’un même site permettrait de limiter les risquesde rupture d’approvisionnement. Le premier cas présentel’avantage de limiter l’investissement en matière depuissance de back­up, puisque des unités de productionsont déjà en place. Leur amortissement et leurfonctionnement quelques centaines d’heure par an, selonles cas, doit toutefois être pris en compte puisqu’elles neseront pas autant sollicitées que ce qui avait été prévu lorsde leur conception.Enfin, l’évaluation économique doit être faite en seprojetant à un horizon de l’ordre de la dizaine d’années,voire plus. A cet horizon, l’effet de mécanismes destinés àrenchérir l’usage d’énergies carbonées (taxe carbone,marché de quotas…) peut être pris en compte, dans lecas où la cogénération nucléaire se substitue à un moyende production émettant des GES (chaufferie au gaz, fioulou UIOM).2.3 ­Paramètres techniquesLes principaux paramètres caractérisant les sites étudiéssont la chaleur produite et la distance de transport entre lesite de production et le réseau de distribution. La duréed’appel de la chaleur sur le site de distribution retenue estde t = 3000 h/an (soit 3 mois à pleine puissance et 3 mois àmi­puissance). Etant définie (par extrapolation à la date decouplage) la chronique de fourniture de la chaleurappelée, on peut dimensionner la puissance thermiquemaximale P (MWth) qui doit être extraite de la centralenucléaire. Couplée à la puissance, la distance de transportD (km) détermine notamment les besoins en termes depompage (la pression du fluide surchauffée doit êtremaintenue entre deux bornes limites) et d’isolation destuyaux de transport (afin de limiter les pertes thermiques).Les pertes de charge et thermiques nécessitent toutefoisde connaître le diamètre (mm) des tuyaux de transport dufluide caloporteur.Dans tous les cas nous avons supposé quele fluidecaloporteur retenu est de l’eau surchauffée à 110°C, à unepression de l’ordre de 10 à 20 bars. L’interface avec leréseau de distribution est supposée ajustée de manière àce que la température de retour soit de 60°C. La ligne detransport est constituée de deux tuyaux (un pour l’aller,un pour le retour) en fonte et calorifugés par un isolant detype polyuréthane couramment utilisé pour ce typed’applications [14].

2.4 ­Evaluation économiqueLes calculs liés à la durée de vie du projet intègrent untaux d’actualisation variant de 3% (qui serait homogèneavec un soutien fort du projet par les instances publiques)à 8% (taux convenant à un investisseur privé).En période hivernale où la chaleur est principalementconsommée, le prix de l’électricité est actuellement aumaximum de 80 €/MWhe sur le marché SPOT (prix enpointe en déc. 2013) et inférieur à 50 €/MWhe sur lemarché à terme [15]. Pour les calculs effectués ici, nousnous plaçons dans une perspective de hausse modéréemais continue du prix de l’électricité, en cohérence avecde très nombreux travaux sur les trajectoires detransitions, tels que ceux de l’ANCRE. Deux hypothèsesseront ainsi retenues : un prix «favorable» à lacogénération de 60 €/MWhe et un second plus prudentde 70 €/MWhe.La chaleur doit être produite à un coût tel qu’elle puisseêtre vendue dans des conditions proches du marchéactuel. En 2014 le prix moyen en France était de70 €/MWhth répartis en 25 € de part fixe (abonnement) et45 € de part variable liée à la consommation [11].Les grandeurs économiques suivantes sont évaluées :montant des investissements (CapEx actualisés etovernight), flux opérationnels (OpEx) et leurs évolutionau cours de la vie du projet (cash­flows). Ces différentesinformations permettent d’évaluer la valeur actuelle nette(VAN) du projet et le temps de retour sur investissement(TRI). L’ensemble des dépenses est également représentésous la forme d’un coût actualisé de la chaleur (LCOH).3 ­Cas d’étude Nogent­Paris3.1 ­Principaux paramètresLa centrale de Nogent­Sur­Seine est constituée de deuxréacteurs de type PWR­1300 MW mis en service en 1987et 1988 respectivement. Ils ont affiché des taux de charge(Kp) de 83 et 80% en 2014 [16].La centrale de Nogent est la plus proche de Paris, elle estdistante de 95 km de Notre­Dame à vol d’oiseau soitenviron 90 km de Créteil en suivant les principaux axesde communication existants. Afin d’optimiser les coûts deconstruction des lignes de transport, on sépare cettedistance en deux composantes. La première située enzone «rurale» serait constituée de lignes de transportprincipales en tranchées. Une fois en zone «urbaine», letracé de la ligne devient plus complexe et sa mise enœuvre délicate, on considère alors que la fin del’acheminement serait réalisée dans un tunnel. Ladistance de base de 90 km reste en toute rigueurhypothétique, les contraintes techniques et de tracéimposeront en réalité un tracé plus important. Deuxhypothèses seront donc étudiées, qui majorentrespectivement les distances de transport de 25 et 50%.

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La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 201520

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Fig. 4. Aperçu de la liaison Nogent s/Seine ­ ParisLa région parisienne a consommé, en 2013, 13,6 TWh dechaleur fournis par des installations dont la puissancecumulée est de 10000 MWth [11]. La seule agglomérationparisienne a consommé 5 TWh fournis par la CPCU(Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain) pourParis [17]. Comme première hypothèse on retient unepuissance thermique «de référence» fournie par unréacteur de 1500 MWth ce qui correspond à la fourniturede 4,5 TWhth pour un fonctionnement de 3000 h. Cettevaleur peut paraître élevée en regard de la consommationactuelle mais elle s’inscrit dans les projections de lademande de chaleur sur les décennies à venir. La DRIEE(4)de l’Île­de­France a ainsi évalué l’augmentation de laconsommation à 28 TWhth en 2030 [12]. A cette date, la partde la cogénération nucléaire ne serait alors que de 12,5%dans le Mix total, ce qui reste très raisonnable.Sur ces bases, nous avons calculé le débit massique d’eauet le diamètre des tuyaux afin de minimiser le coût del’investissement.Le Tableau 1 synthétise les principales hypothèsesretenues et les associe à deux scenarios d’étude. Lepremier, dit “Bas” cumule des paramètres défavorablesau calcul économique de la cogénération. Le second, dit“Haut” est au contraire optimiste puisqu’il retient deshypothèses opposées. Ces deux scénarios extrêmes sontsupposés encadrer le modèle réel d’un recours à lachaleur de la centrale de Nogent pour chauffer une partiede l’agglomération parisienne.

Tableau 1 : Hypothèses d'entrée Nogent­Paris

3.2 ­Étude économique : résultatsLe Tableau 2 présente les principaux résultats fournis parles deux scénarios présentés ci­avant :

Tableau 2 : Evaluation économique pour Nogent­ParisLes deux scénarios analysés encadrent le champ despossibles. Le scénario «bas» est clairement défavorable àl’emploi de la cogénération tandis que dans le scénario«haut» la vente de la chaleur produite par le réacteurnucléaire permet de rentabiliser le projet en moins de 15ans. Pour explorer plus en profondeur cet aspect temporeldu projet, la Fig. 5 présente la variation des VAN dechacun des deux scénario sur une durée defonctionnement étendue, ce qui est bien entendu fonctionde la prolongation de la durée d’exploitation desréacteurs.

Fig. 5. Evolution de la VAN en fonction de la durée defourniture de la chaleurCette figure montre que le scénario «bas» pénalisé par uninvestissement plus important (+33% que pour le scénario«haut»), dispose de cash­flows insuffisants qui nepermettent pas de rentabiliser cet investissement sur lelong­terme.(4) Direction Régionale et interdépartementale de l'Environnement et del'Energie

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Automne 2015 ­ Numéro 26 ­ La lettre de l'I­tésé 21

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La durée de fourniture de la chaleur est également reliée àcelle de fonctionnement des réacteurs. Pour Nogent, ledécret d’exploitation des réacteurs de 1300 MWe prévoitune durée de fonctionnement de 40 ans, soit des arrêtsthéoriques vers 2027 et 2028. Les études et travauxnécessaires avant la production de la chaleur pouvantdurer de l’ordre de 10 ans, il apparaît évident que lacogénération sur ce site ne peut être envisagée qu’en casde prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs.La question peut aussi être posée en termes d’opportunitéde déployer une nouvelle paire de réacteurs sur ce sitedans le cadre du renouvellement du parc, auquel cas laquasi­totalité des investissements réalisés pour letransport de la chaleur pourrait continuer à être amortieIndépendamment des grandeurs intégrées analysées ci­dessus, la répartition des différents postes de coût estprésentée sur la base du coût moyen actualisé dans laFig. 6 .

Fig. 6. Structure du LCOH pour Nogent­Paris (scénario «bas»)Pour ce projet, la majeure partie des coûts est liée à laconstruction de la ligne de transport. La perte deproduction électrique est également importantepuisqu’elle représente un quart du coût de la chaleur dansle scénario le plus défavorable.4 ­Autres sites4.1 ­Situation actuelleUne fois examiné le cas des réacteurs de Nogent sur Seine,il est intéressant de généraliser l’approche en examinantles autres sites présentant le plus d’intérêt vis­à­vis de lacogénération nucléaire pour le chauffage urbain. Pouraller au plus juste on se focalise en premier lieu sur lesrégions les plus consommatrices de chaleur par lesréseaux. En­dehors de l’Île­de­France il s’agit de Rhône­Alpes, Nord­Pas­de­Calais, Lorraine, Alsace et Centre (cf.Fig. 7).La Fig. 8 présente la localisation des centrales nucléairesfrançaise. On y a fait figurer des cercles d’un rayon de100 km autour de chacune d’elle. Leur répartitionhomogène sur l’ensemble du territoire permet d’envisager

l’usage de la cogénération pour la majorité des principalesagglomérations.

Fig. 7. Chaleur fournie sur des réseaux urbainsen 2013 en France [11]

Fig. 8. Evaluation économique d'autres sites français(scénarios «haut»)Pour évaluer le potentiel économique de la cogénération,une recherche des réseaux de ces régions a été menée, etles principaux sites de consommation (assortis de leurpuissance «raisonnable» que la cogénération pourraitfournir) ont été reliés à la centrale nucléaire la plusproche.Pour chaque site étudié on réalise alors un calcul dérivéde celui présenté plus haut pour Nogent­Paris, enadaptant notamment le calcul du coût de modification dela centrale à la puissance extraite, et en tenant compte dufait que pour tous les projets hors région parisienne unpremier examen laisse augurer qu’il est possible d’éviterle recours à des tunnels .In fine cette étude est plus prospective et ne cherche àfournir en premier lieu que des éléments de réflexionamenant à hiérarchiser les sites, pour retenir ceux quiapparaissent les plus intéressants.

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La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 201522

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4.2 ­RésultatsLa Fig. 9 présente un comparatif en relatif des coûtsactualisés de la chaleur (LCOH) évalués pour les plussignificatifs des sites étudiés avec des courbes de niveausituant les zones de compétitivité par rapport aux prixactuel de la chaleur.

Fig. 9. Evaluation économique d’autres sites français (scénario«haut»)Le projet Lyon­Bugey se dégage nettement, il présente unLCOH final inférieur à celui de Paris­Nogent résultantd’un bon compris entre la distance de transport et unepuissance thermique à fournir (300 MWth). Il se révèleainsi être un meilleur candidat au déploiement de lacogénération nucléaire.Il ressort également que la distance n’est pas le seuldéterminant de la viabilité du projet : c’est bienl’adéquation entre cette distance et la puissance fourniequi joue un rôle majeur. Ainsi le potentiel d’emploi de lacogénération pour Metz (35 km de Cattenom) estsupérieur à celui de Dunkerque (15 km de Gravelines) :pour le premier la consommation actuelle de chaleur estcompatible avec l’installation de la cogénération alors quepour le second il faut envisager de doubler cetteconsommation pour atteindre la zone de «viabilité»économique du projet. Il pourrait à ce propos être trèspertinent de mobiliser une partie de la chaleur produitepour alimenter des industries grosses consommatriceslocales, ce qui pourrait améliorer l’économie d’ensemblede façon significative.A l’instar des études réalisées pour l’Île­de­France, desétudes spécifiques peuvent évaluer le potentiel dedéveloppement des réseaux de ces villes. Si de manièresommaire on considère que comme pour la régionparisienne, il est possible d’envisager un doublement dela consommation de chaleur d’ici 2030, un bon nombredes villes présentées sur la Fig. 9 peut atteindre la zoned’intérêt. De plus, une extension de nos travaux pourraprendre en compte le besoin de chaleur industrielle, quidans certaines zones du territoire français peut être

localement supérieur à celui du chauffage du secteurrésidentiel et tertiaire (cf. supra, le cas de Dunkerque).5 ­ConclusionsLe chauffage urbain par cogénération nucléaire estactuellement utilisé dans plusieurs pays d’Europe.L’orientation actuelle de nombreux pays vers unepolitique énergétique volontariste de transition ainsi queles progrès techniques réalisés en matière de transport dela chaleur sur longue distance amènent à réétudier cettetechnologie dans le cadre français. Les premiers résultatsfournis ici, même s’ils sont encore partiels et doivent êtreconfirmés par des analyses complètes, permettentd’espérer un développement significatif de cettetechnologie, en région parisienne, mais aussi dansquelques agglomérations urbaines du reste du pays.Ces résultats demandent validation. Ainsi, les étudesfutures pourraient porter sur l’évaluation du coût duback­up, la prise en compte des potentialités dedéveloppement des réseaux de chaleur existants ouenvisagés, une meilleure caractérisation des coûts decertains éléments prépondérants dans l’analyse (tuyauxde transport et leur installation, modifications de lacentrale...). En règle générale, il faut maintenant menerdes approches d’une part très ciblées sur des cas précis, et,d’autre part, d’échelle nationale. Il faudrait ainsi évaluerau plan du pays les mesures qui permettraient dedépasser les obstacles inhérents à cette technologie, àl’instar des actions menées pour d’autres énergies « bascarbone » dans le cadre de la transition énergétique qui sestructure actuellement en France.Au final, le déploiement de la cogénération nucléaire enFrance, à des fins de chauffage urbain, sera, s’il s’engage,un processus graduel. Cette première analyse montrequ’il peut disposer d’un réel intérêt, étant donné lesperspectives de la transition énergétique, lerenchérissement annoncé de l’énergie fossile à terme, lesprogrès technologiques des techniques de transport.

Eléments de bibliographie[1] http://www.developpement­durable.gouv.fr/­La­transition­energetique­pour­la­.html[2] http://www.cop21.gouv.fr/[3] ANCRE, “Scénarios de l’ANCRE pour la transitionénergétique”, Rapport 2013, Agence Nationale de Coordinationde la Recherche sur l’Energie[4] H. Tuomisto, “ CHP Study for Loviisa Unit 3 in Finland ”,private communication at CEA, 01/31/12[5] ADEME, “Catalogue Climat, Air et Energie”, edition 2014

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Eclairages

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