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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 1—3 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Prendre soin est solidarité humaine au-delà du seul soigner. Au-delà des moyens: l’inculturation Caring is human solidarity, beyond simply providing care. Beyond means, inculturation MOTS CLÉS Soins palliatifs ; Organisation ; Financement ; Éthique KEYWORDS Palliative care; organization; funding; ethics Les pouvoirs publics semblent vouloir confirmer le développement des soins palliatifs et de l’accompagnement en France. Cette volonté affichée s’inscrit dans celle de poursuivre les efforts des différents plans mis en place par les anciens pouvoirs publics. Cette volonté s’inscrit également dans la prise en compte des conclusions de l’excellent travail effectué par le comité de suivi qu’a présidé Régis Aubry et dont le rapport est directement accessible sur le site internet du ministère de la santé [1]. On ne pourra que se réjouir si l’on constate que ce que nos experts ont analysé et proposé est pris en compte de fac ¸on effective. Les soins palliatifs et l’accompagnement pourront, à ces conditions, se développer. Beaucoup de moyens ont déjà été attribués. Ont-ils tous été utilisés de fac ¸on efficiente? Tous ont-ils été effectivement attachés à la pratique, réelle et non supposée ou pire prétendue d’un véritable accompagnement de la personne malade, de son entourage, de ceux qui le (la) soignent ? Combien de moyens ont-ils été utilisés pour ici renforcer une équipe médicale de spécialité d’organe, d’oncologie, de gériatrie ou de je ne sais quelle discipline. Chacun de nous connaît le terrain. Il est des progrès indéniables qui ont été assurés, réellement et effectivement, dans de nombreux endroits pour permettre l’accès à des soins palliatifs et un accompagnement répondant aux critères des recommandations de la SFAP. Il est aussi des endroits où rien n’a changé malgré le financement de moyens car ces moyens ont tout simplement été dévoyés. Faut-il alors renoncer à augmenter les moyens ? Mais au fond, la question est-elle réellement et surtout seulement celle des moyens ? Comment répondre objectivement à cette légitime question ? Au-delà du contenu du rapport rédigé par Régis Aubry, au-delà de la volonté affichée par le Président de la République, nous pouvons aussi compter sur le nombre croissant de patients ou d’entourage qui font appel directement aux professionnels et aux bénévoles d’accompagnement afin de bénéficier de soins et d’un accompagnement adaptés à leurs besoins, à leurs désirs. L’évolution que nous souhaitons comme patients potentiels, comme entourages, comme professionnels, comme accompagnants, comme citoyens, semble en marche. C’est un encouragement à perdurer dans les efforts et les volontés exprimés par les uns comme par les autres depuis de nombreuses années. Les enjeux du développement des soins palliatifs sont bien plus qu’une simple attribution supplémentaire de moyens. Le rapport évoqué plus haut est particulièrement précis sur ce point. Il est des « enjeux de santé publique car (les soins palliatifs et l’accompagnement sont) dans le champ de modernisation de l’organisation du système de santé, une approche transversale aux disciplines médicales, aux lieux de soins et de vie, aux champs sanitaire et médico-social ». Il est des « enjeux éthiques » par les situations de fin de vie qui interpellent l’éthique bien 1636-6522/$ — see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2007.12.001

Prendre soin est solidarité humaine au-delà du seul soigner. Au-delà des moyens : l’inculturation

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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 1—3

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

ÉDITORIAL

Prendre soin est solidarité humaine au-delà du seulsoigner. Au-delà des moyens : l’inculturation

Caring is human solidarity, beyond simply providing care.Beyond means, inculturation

Les pouvoirs publics semblent vouloir confirmer le développement des soins palliatifs etde l’accompagnement en France. Cette volonté affichée s’inscrit dans celle de poursuivreles efforts des différents plans mis en place par les anciens pouvoirs publics. Cette volontés’inscrit également dans la prise en compte des conclusions de l’excellent travail effectué

par le comité de suivi qu’a présidé Régis Aubry et dont le rapport est directement accessiblesur le site internet du ministère de la santé [1]. On ne pourra que se réjouir si l’on constateque ce que nos experts ont analysé et proposé est pris en compte de facon effective. Lessoins palliatifs et l’accompagnement pourront, à ces conditions, se développer. Beaucoupde moyens ont déjà été attribués. Ont-ils tous été utilisés de facon efficiente ? Tous ont-ils

MOTS CLÉSSoins palliatifs ;Organisation ;Financement ;Éthique

KEYWORDSPalliative care;organization;funding;ethics

été effectivement attachés à la pratique, réelle et non supposée ou pire prétendue d’unvéritable accompagnement de la personne malade, de son entourage, de ceux qui le (la)soignent ? Combien de moyens ont-ils été utilisés pour ici renforcer une équipe médicalede spécialité d’organe, d’oncologie, de gériatrie ou de je ne sais quelle discipline. Chacunde nous connaît le terrain. Il est des progrès indéniables qui ont été assurés, réellement eteffectivement, dans de nombreux endroits pour permettre l’accès à des soins palliatifs etun accompagnement répondant aux critères des recommandations de la SFAP. Il est aussides endroits où rien n’a changé malgré le financement de moyens car ces moyens ont toutsimplement été dévoyés. Faut-il alors renoncer à augmenter les moyens ?

Mais au fond, la question est-elle réellement et surtout seulement celle des moyens ?Comment répondre objectivement à cette légitime question ?Au-delà du contenu du rapport rédigé par Régis Aubry, au-delà de la volonté affichée

par le Président de la République, nous pouvons aussi compter sur le nombre croissant depatients ou d’entourage qui font appel directement aux professionnels et aux bénévolesd’accompagnement afin de bénéficier de soins et d’un accompagnement adaptés à leursbesoins, à leurs désirs.

L’évolution que nous souhaitons comme patients potentiels, comme entourages, commeprofessionnels, comme accompagnants, comme citoyens, semble en marche. C’est unencouragement à perdurer dans les efforts et les volontés exprimés par les uns comme parles autres depuis de nombreuses années. Les enjeux du développement des soins palliatifssont bien plus qu’une simple attribution supplémentaire de moyens.

Le rapport évoqué plus haut est particulièrement précis sur ce point. Il est des « enjeuxde santé publique car (les soins palliatifs et l’accompagnement sont) dans le champ demodernisation de l’organisation du système de santé, une approche transversale auxdisciplines médicales, aux lieux de soins et de vie, aux champs sanitaire et médico-social ».Il est des « enjeux éthiques » par les situations de fin de vie qui interpellent l’éthique bien

1636-6522/$ — see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.medpal.2007.12.001

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u-delà de sa seule branche médicale ou médico-socialeais, aussi, de par la nécessité d’une justice distributive. »

’accès à des soins palliatifs et à un accompagnement’ayant pas à être tributaire du bon vouloir d’un médecinu d’une équipe soignante, mais uniquement du désirt/ou du besoin du patient comme de son entourage. Ilst « des enjeux économiques ». Les besoins augmentent,es ressources ne sont pas inépuisables. Il faut doncue chaque moyen attribué pour les soins palliatifs et’accompagnement soit strictement et effectivementffecté à ces activités et non plus comme on peut leonstater parfois, ca et là, « détourné » pour « pallier » lesanques, les déficits ou les dysfonctionnements d’autres

hamps, d’autres organisations médico-soignantes. En’autres termes, les moyens, l’argent, prévus pour financern(e) infirmier(e) temps plein au sein d’une équipe deoins palliatifs doivent être utilisés ou dépensés de facon àssurer effectivement ce type de prestation et aucune autreusse-t-elle urgente à assurer. L’infirmier(e) en question’a pas à assurer d’autres fonctions soignantes dans leservices de soins pour pallier au manque de personnelu aux défaillances de gestion des structures. De mêmees moyens et l’argent investis pour le développementes soins palliatifs ne devrait pouvoir l’être que sur desrojets avérés, validés et portés par les professionnels,es associations d’usagers et non les seules administrationsocales ou les commissions médicales locales dont lesotivations peuvent être à mille lieux de l’aspirationdévelopper la culture palliative telle que la SFAP

a préconise. Ces moyens ne devraient pas seulementoncernés des postes de médecins ou de soignants dans lestablissements, les réseaux etc. Il est des besoins dans lehamp social notamment qu’il faut impérativement honorerour assurer la cohérence de l’idée d’inculturation des soinsalliatifs. De plus une telle idée nous ancre parfaitementans la volonté d’une approche globale des situations queous avons à connaître.

Il est des « enjeux citoyens qui renvoient à l’expression’une véritable solidarité pour qu’émerge une réelleémocratie sanitaire. » L’objectif qu’il faut, aujourd’hui,iser est de « créer, de suffuser une culture de soinsalliatifs et d’accompagnement intégrés à la pratiqueoignante d’une part et à l’éducation citoyenne d’autreart. »

Le rapport l’affirme tel quel. C’est sûrement une deslés de voute de l’aboutissement de l’engagement desrofessionnels et bénévoles, des personnes malades etes associations d’usagers. Cette inculturation pourraitermettre de repositionner le sujet malade au cœur mêmee la préoccupation soignante. Par ce souci de l’hommeouffrant, la science médicale, la technologie soignanteffirment, au-delà de leurs nécessités, leurs noblessesremières. Prendre soin devient solidarité humaine,u-delà du seul soigner.

Développer les soins palliatifs et l’accompagnement’est bien plus qu’une simple augmentation de moyens.ertes, les moyens sont nécessaires. Mais avant tout ne

audrait-il pas que certains sortent et de leurs certitudest de leurs habitudes qui ne répondent plus aux besoins etux attentes des patients, des familles, de la société. Cesoyens, quand ils sont nécessaires, il faut les optimiser

n les renforcant si besoin avéré est. Ceux qui arrivent à

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aire sans moyen prouvent exactement qu’il ne faut pasréer de nouveaux moyens mais redéployer des moyens quint rendu possible cette activité car ils étaient « en trop »à où ils sont de fait affectés. Si l’on arrive à faire deuxctivités dans le même temps, c’est sûrement que l’unees deux est soit déjà fait par un autre, soit qu’il s’agit’un gaspillage de moyens affectés à une activité un tantoit peu factice. Les grincements de dents, les froncementse sourcils sont déjà perceptibles quand on lit ce genree propos. Honnêtement, ces propos sont-ils si « fous » ? Si’on veut être crédible de tous, alors il faut dire les faits,ous les faits et rien que les faits. Tout moyen ne devraittre maintenu, optimisé ou renforcé que si et seulement si’on peut prouver l’effectivité, l’accentuation de la qualitéu service rendu aux patients et à leurs entourages. Ilaudrait également prouver la bonne utilisation antérieurees moyens affectés et corriger ce qui devrait l’être.

Pour donner corps à cette idée et s’inscrire dans laapacité à prétendre non seulement à voir ses moyensptimisés mais, aussi et surtout, ses moyens actuelsaintenus il serait logique que tout établissement, tout

ecteur sanitaire, ait reconnu sa (ses) structure(s) deoins palliatifs et d’accompagnement comme au minimumtructure interne autonome inscrite dans un contrate transversalité s’étendant au-delà des pôles et destablissements eux-mêmes. En dehors des établissements,es réseaux ou autres organisations doivent pouvoir êtrelairement identifiés et intégrés dans les projets médicaux,anitaires et sociaux de leur secteur d’influence.

Il est nécessaire que soit assurée et vérifiée la dimension’extériorisation des équipes mobiles en dehors destablissements de santé au sein desquelles elles existentar le biais des réseaux ville — hôpital, par le biais de laoordination des lits identifiés par secteur sanitaire. Celaermettrait d’évaluer véritablement le respect du fléchagees moyens et la bonne utilisation de ceux-ci pour facilitereur adaptation quand cela se justifie. Il est impératifu’au-delà des écrits d’un projet médical intégrant,rétendument, les soins palliatifs et l’accompagnement,n puisse, effectivement, vérifier que les pratiquesssurées auprès des patients, de leurs entourages, desquipes soignantes et accompagnantes sont non seulementonforme à ce que prétend le projet mais aussi auxecommandations de bonnes pratiques validées par la SFAPt les organismes officiels d’accréditation.

Il faudra aller au-delà de la simple déclaration desestionnaires ou représentants des commissions médicalesu autres. Ceux-ci peuvent, parfois, ne voir dans lerocessus de développement des soins palliatifs et de’accompagnement qu’une possibilité, parmi d’autres, deécupérer des moyens supplémentaires qu’ils utiliseraientce que bon leur semble.Les professionnels engagés comme les usagers doivent

tre consultés et entendus car eux savent ce qui est dans’ordre du vrai et ce qui reste du domaine du prétendu.

C’est parce que de telles dérives existent, certes deacon minoritaire, qu’il faut s’atteler à empêcher ceanquement à l’éthique, à la transparence.

Il faut tenir compte des besoins générés par l’aspiration

mourir chez soi, près des siens, dans un environnementumain, démédicalisé (ou médicalisé au strict indispensableu confort du sujet mourant) dans le déploiement des

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moyens attribués. Il faut que notre société acceptede replacer la mort comme un évènement humain, unévènement social à la fois ordinaire (il est inéluctable,indiscutable) et extraordinaire (à chaque fois, c’est unesingularité qui s’éteint).

Des moyens il en faudra aussi pour développerl’enseignement et la recherche dans le domaine dessoins palliatifs et de l’accompagnement. L’université devras’impliquer à son niveau, reconnaître l’intérêt de cetemps de réflexion, de ce temps de conceptualisation, designification comme de ce temps de validation des pratiquesqu’il faut transmettre à chaque médecin, à chaque soignant,à chaque acteur social.

Former, enseigner, chercher, valider ses pratiques, celane s’improvise pas, cela demande du temps et quelquesmoyens mais aussi une véritable reconnaissance.

Si les pouvoirs publics, sous l’impulsion du Président dela République s’appuient sur les conclusions et propositionsdu rapport de régis Aubry, si l’on implique sur leterrain les professionnel et bénévoles de soins palliatifset d’accompagnement, alors nous pourrons nous montrerconfiant pour l’avenir et le repositionnement de l’humain

comme préoccupation première. Alors les moyens ne serontpas un cran inflationniste de plus mais bien une véritableavancée. Des dents grinceront car des attitudes ne pourrontplus perdurer sans être interrogées. Oui et alors ? Qu’est-ce qui prime ? Le patient affirmons nous tous d’une seule

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oix. Alors la cohérence s’impose, nous saurons consoleres attristés en leur démontrant toute la gratification qu’il

a à être humain dans des situations humaines et queela repose aussi sur nos qualifications tant scientifiquesu’humaines.

éférence

1] Régis Aubry. Rapport annuel. Comité National de suivi dudéveloppement des soins palliatifs et de l’accompagnement.2007.Rapport disponible sur le site du ministère francaisde la santé, de la jeunesse et des sports : http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/IMG/pdf/rapport soins palliatifs091007.pdf.

Marcel-Louis Viallarda,b

a Équipe mobile de soins palliatifs, centrehospitalier Bretagne Atlantique, B.P. 70555,

56017 Vannes cedex, Franceb Équipe mobile de soins palliatifs, hôpital

Necker—Enfants malades, 156, rue de Vaugirard,75730 Paris cedex 15, France

Adresse e-mail :[email protected]

Recu le 19 novembre 2007;accepté le 21 novembre 2007

Disponible sur Internet le 1 février 2008