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Qu'est-ce que soigner?

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Qu'est-ce que soigner?

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KELLER Pascal-Henri, psychologue, université Victor-Segalen, Bordeaux. PIERRET Janine, sociologue, Centre national de la recherche scientifique, Paris.

LES AUTEURS

ARBORIO Anne-Marie, sociologue, université d'Aix-en-Provence. BÉRAUD Claude, professeur honoraire, université de Bordeaux. BUNGENER Martine, économiste, Centre national de la recherche

scientifique, Paris. CARPENTIER jean, médecin généraliste, Paris.

CLÉMENT Serge, sociologue, Centre national de la recherche scientifique, Toulouse.

KELLER Pascal-Henri, psychologue, université Victor-Segalen, Bordeaux. MARTIGNE Christian, ancien chirurgien des hôpitaux, université de Bordeaux-II.

PEDINIELLI Jean-Louis, psychologue, université de Provence. PESCHEL Philippe, ergothérapeute, université de Bordeaux. SAILLANT Francine, anthropologue, université de Québec.

TRIADOU Patrick, médecin, hôpitaux Necker-Enfants Malades, Paris. ZIMMERMAN Francis, anthropologue, École des hautes études

en sciences sociales, Paris.

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sous la direction de Pascal-Henri Keller et Janine Pierret

Qu'est-ce que soigner ? Le soin,

du professionnel à la personne

SYROS

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La collection « Société et santé »

Les questions de santé publique occupent, depuis plusieurs années, une place croissante dans les débats de société. La Mutualité française a souhaité renforcer son rôle d'acteur de santé en contribuant à la réflexion dans ce domaine. Aussi, a-t-elle décidé de créer, avec l'appui d'un comité scienti- fique, une collection consacrée aux problèmes d'économie et de sociologie de la santé et, plus généralement, aux grandes questions de santé publique.

La collection « Société et santé » poursuit un double objectif. Le pre- mier est de permettre aux professionnels de santé, mais aussi au grand public, d'appréhender certaines problématiques trop souvent réservées aux seuls experts. Le second est d'ouvrir, sur ces questions, un réel espace de discussion et de libre parole. Les analyses et opinions présentées dans ces ouvrages n'engagent, par conséquent, que leurs auteurs. Les membres du comité scientifique • Hubert ALLEMAND : médecin conseil national (CNAMTS). • Professeur Claude BÉRAUD : conseiller médical du président de la FNMF.

• Jean-Martin COHEN SOLAL : directeur de la communication et de l'infor- mation de la FNMF. • Anne BRACQUE : responsable de collection, FNMF. • Étienne CANIARD : président de la Mutuelle des agents des impôts,

membre du Haut Comité de la santé publique. • Bernard CASSOU : professeur de santé publique. • Marc DANZON : directeur du secteur « Promotion de la santé et santé publique », FNMF.

• François GÈZE : directeur général des Éditions La Découverte & Syros. • Marcel GOLDBERG : directeur de recherche à l'INSERM. • Claudine HERZLICH : directeur de recherche, CNRS. • Pascal KELLER : maître de conférences en psychologie, université de

Bordeaux. • Yves LAMACHE : FNMF. • Jean-Paul MOATTI : directeur de l'unité INSERM 379, Marseille. • Guy NICOLAS : rapporteur général du Haut Comité de la santé publique. • Janine PIERRET : directeur de recherche, CNRS. • Gérard DE POUVOURVILLE : directeur scientifique du groupe IMAGE, École nationale de la santé publique.

Catalogage Électre-Bibliographie Qu'est-ce que soigner? : le soin, du professionnel à la personne. - Éd. sous la dir. de Pascal-Henri Keller, Janine Pierret. - Paris: Syros, 2000. - (Société et santé.) ISBN 2-84146-778-3 RAMEAU : Relations médecin-patient.

Relations personnel médical-patient. Médecine et psychologie.

DEWEY : 362.1 : Services sociaux spécifiques. Hôpitaux. Centres médicaux. Politiques de santé publique. 614.1 : Santé, Médecine préventive. Santé. Prévention des maladies. Généralités.

Public concerné : Professionnel, spécialiste.

© Éditions La Découverte et Syros, Paris, 2000 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris

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INTRODUCTION

À L'HEURE OÙ LE SYSTÈME DE SOINS EST EN DÉBAT ET fait l'objet d'une profonde réorganisation, la question de la prise en charge des personnes malades est reconsidérée par les poli- tiques et les gestionnaires de la santé : comment faire pour que les malades soient mieux pris en charge et de la manière la plus économique qui soit ? C'est ainsi que depuis dix ans, certains termes comme « prise en charge globale des malades » ont ten- dance à s'imposer dans le discours soignant et que, plus officiel- lement, le code de la Santé publique a pris acte de la nécessité de tenir compte de la dimension psychologique des personnes accueillies et soignées dans les établissements de soins, publics et privés. Cette insistance est-elle révélatrice d'un nouvel intérêt porté à la personne malade ou traduit-elle une redéfinition de la mission des professionnels du soin ?

Si la société gère d'un bout à l'autre le travail de soins, depuis la formation des professionnels jusqu'à l'organisation

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des établissements concernés par ce travail, cette situation est la conséquence de changements convergents. Au cours des cinquante dernières années, les formes dominantes de la pathologie se sont transformées, résultant du vieillissement des populations occidentales et de l'augmentation du nombre des maladies chroniques avec lesquelles les personnes vont vivre parfois de nombreuses années. Pendant cette période, la méde- cine s'est imposée comme l'institution reconnue et la profession la plus légitime pour traiter la maladie, bien que la famille soit demeurée le lieu des premiers recours. Cette tendance a été encouragée par le développement des politiques de santé et d'assurance maladie. Francine Saillant étudie ces diverses trans- formations et la façon dont la place des soins familiaux a changé au cours du siècle à partir de l'exemple du Québec. En effet, l'organisation du système de santé québécois a beaucoup de points communs avec le système français et ses transformations ont souvent précédé celles qui sont effectuées en France. L'exemple du Québec est donc particulièrement suggestif.

Les professions soignantes ou paramédicales sont, chacune à leur niveau, confrontées à ces transformations et soumises à des obligations ou à des exigences parfois contradictoires mais le plus souvent enchevêtrées. Elles sont parties prenantes d'une organisation du travail socialement hiérarchisée qui leur attri- bue des tâches et des activités de mieux en mieux définies et sont quotidiennement confrontées à la personne physiquement malade. C'est pourquoi leur activité technique comporte tou- jours une part de leur propre expérience et de leur histoire, de leur subjectivité et de leurs émotions. Christian Martigne souligne combien la pratique de chirurgien, à travers le corps à corps avec le malade, est prise dans ses diverses tensions. Pratique qui se trouve aujourd'hui profondément remise en cause par le développement technique et en particulier les transplantations d'organes. Pour Jean Carpentier, la notion d'accompagnement est au cœur de la pratique du médecin généraliste qui va voir et revoir les mêmes personnes au fil des

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années avec des demandes différentes et répétées. Ce que chacun mobilise et donne de lui dans l'activité soignante avec, en retour, ce qu'implique cette activité, devrait être pris en compte et considéré comme une dimension essentielle du soin.

Mais le soin n'est pas le propre des professions médicales ; celles qu'il est convenu d'appeler les professions paramédicales se sont, depuis la Seconde Guerre mondiale, profondément diversifiées. Dans la pensée collective, l'infirmière demeure bien le personnage emblématique du soin et la référence soignante. Bien que ne faisant pas ici l'objet d'un chapitre particulier, elle n'en est pas moins présente en filigrane tout au long de l'ouvrage, comme la professionnelle à partir de laquelle et autour de laquelle l'ensemble du soin s'organise. Si Philippe Peschel rap- pelle qu'elles sont deux fois plus nombreuses que les médecins, il va s'intéresser à des paramédicaux d'un type particulier. Kinésithérapeutes et orthophonistes d'une part, ergothérapeutes et psychomotriciens d'autre part, permettent de cerner les rap- ports entre rééducation et réadaptation, corps et psychisme ainsi que leurs redéfinitions. Ce sont aussi de nouvelles soignantes que l'on voit apparaître, à la fin des années cinquante, à l'hôpi- tal. Pour Anne-Marie Arborio, les aides-soignantes se trouvent prises entre aider les autres soignants et « soigner » le malade. Les tâches qu'elles accomplissent sont diverses et s'inscrivent dans la division du travail hospitalier, comme des conditions indispensables à l'administration de soins tout en portant une attention particulière à la personne du malade.

Guérir, traiter, soigner, aider, accompagner, rééduquer, réadapter, autant de notions qui correspondent à des pratiques spécifiques et mobilisent des professionnels aux formations variées. L'activité soignante s'est alors déployée autour de l'acti- vité technique et de l'acquisition de compétences, en diversi- fiant les professions impliquées dans le soin. Mais cette activité ne relève pas des seuls professionnels et engage le soigné lui- même ainsi que son entourage familial. Si cet entourage a tou- jours eu, peu ou prou, un rôle soignant, celui-ci a été récemment

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l'enjeu de transformations profondes comme le montre Martine Bungener à travers le développement de l'hospitalisation à domicile. Les proches sont aujourd'hui de plus en plus sollicités à un niveau technique afin d'intervenir auprès de leurs malades, y compris ceux gravement atteints et nécessitant des soins spé- cialisés. Cette délégation de compétences relève d'une division du travail imposée par la réorganisation des soins qui tend de plus en plus à diminuer les durées de séjour et à développer des formes de prise en charge à domicile. C'est dans cette perspec- tive que se situe Serge Clément quand il souligne la part prise par le soin familial auprès des personnes vieillissantes. Implication et mobilisation des proches qui risquent de conduire à un désengagement des pouvoirs publics et au creusement des inégalités entre les familles les mieux pourvues et celles plus démunies financièrement et culturellement.

L'ensemble de ces transformations dans l'organisation du système de santé comme dans les implications des divers types de professionnels, du malade lui-même et de son entourage familial, conduisent à interroger la notion de soin. Selon Claude Béraud, les sens successifs donnés aux mots « soin » et « soi- gner » ont contribué à la confusion entre fonction thérapeutique et fonction soignante. Si traiter la maladie et soigner les malades sont deux activités différentes, elles sont complémentaires, et il devient urgent d'apprendre à soigner. Qu'on le veuille ou non, c'est bel et bien dans le cadre de la relation soignant-soigné et dans l'intimité du face-à-face, que s'inscrit le soin.

C'est en changeant de nature que la prise en charge peut permettre à l'individualité du soigné de retrouver sa place. Pour Jean-Louis Pedinielli, la reconnaissance de la «maladie du malade » est un préalable nécessaire aux soins. Constituée par l'ensemble des croyances, interprétations et définitions qui pui- sent dans l'expérience du malade, dans son histoire et dans sa culture familiale, elle lui permet de se représenter, donner du sens et comprendre sa maladie. Mais, si elle peut compléter le savoir du médecin qui porte sur la maladie, elle vient le plus

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souvent s'y heurter. Comme le souligne Pascal-Henri Keller, c'est bien dans le face-à-face entre soignant et malade que le recours à l'analogie entre corps et psychisme peut servir au soi- gnant à surmonter les difficultés auxquelles le confronte la souffrance existentielle, que celle-ci escorte ou non la souf- france physique. Ce mode de fonctionnement mental qu'est l'analogie semble donner au médecin et au malade le sentiment de se comprendre mutuellement.

Si la médecine occidentale, anatomopathologique, s'est développée autour de la spécialisation et de la technicisation, accentuant ainsi la dissociation entre l'organe malade, l'ensem- ble des fonctions corporelles et la personne malade, il en va très différemment pour d'autres médecines savantes. Francis Zimmermann montre comment le médecin, tout en occupant une place centrale dans la médecine indienne ayurvédique, est soucieux de la prise en compte globale de la personne. Et Patrick Triadou souligne la place centrale de la prévention dans la médecine chinoise. Ces deux médecines participent d'une philosophie du monde et interviennent sur la personne pour éviter l'apparition d'une maladie tout en maintenant l'inté- gration du corps et de l'esprit. Notre médecine occidentale, en se centrant sur le rétablissement du fonctionnement de l'organe malade, a finalement délaissé la personne en tant que telle ainsi que la prise en compte de ses problèmes non strictement patho- logiques et médicaux.

Cet ouvrage collectif traite du soin comme d'une démarche qui situe l'individu, soigné ou soignant, dans son environne- ment social. Quel que soit le contexte économique, politique et culturel dans lequel s'exerce l'activité de soigner, le social et l'individuel sont toujours intimement mêlés. Il s'agit alors de retrouver ce qui relève des institutions et des politiques, ainsi que la façon dont leurs interventions respectives imposent aux partenaires du soin comme modalités d'engagement intersub- jectif. Ces différentes dimensions, propres à l'activité soignante, se répondent au fil de l'ouvrage et s'organisent à travers les

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différents chapitres. En partant des transformations du système de soins, le lecteur sera guidé à travers les interrogations des divers auteurs, professionnels du soin et universitaires, de l'uni- versalité du soin jusqu'à sa valeur singulière.

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TRANSFORMATIONS DES SOINS FAMILIAUX ET LIEN SOCIAL

Francine SAILLANT

LES SYSTÈMES DE SANTÉ SONT ACTUELLEMENT confrontés au développement des politiques néolibérales. Partout, les États exercent des contrôles accrus sur leurs dépenses « sociales » et réduisent leurs investissements dans les sphères de l'éducation et de la santé. Avec, entre autre consé- quence, un appui plus grand de la part de ces derniers sur les «ressources locales», «communautaires» et «familiales». La part des soins familiaux tend ainsi à augmenter substantielle- ment, mais la nature des soins prodigués subit des change- ments. Les restructurations des systèmes de santé frappent particulièrement les pays qui avaient opté, au cours de la deuxième moitié de ce siècle, pour une certaine socialisation des moyens de lutte contre les conséquences de la maladie. N'avait-on pas voulu, dans les années soixante, qu'enfants et parents ne souffrent plus des conséquences d'une trop longue maladie, qu'ils ne s'endettent pas, qu'ils aient accès aux progrès de la biomédecine ? Les restructurations atteignent également

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les pays les moins riches, à travers les politiques d'ajustement structurel, dans leurs efforts de construction de systèmes de santé plus adéquats.

Les soins familiaux constituent un ensemble de pratiques multiformes et sont particulièrement intéressants pour compren- dre l'orientation et la signification des soins actuels. Le décou- page en trois périodes qui s'appuie sur l'exemple de la société québécoise permettra de rendre compte de l'évolution et de la transformation des soins familiaux, de même que des forces majeures qui ont influé sur ces pratiques. Nous apporterons au besoin des éléments comparatifs, sans pour autant prétendre à une comparaison au sens fort du terme. La société québécoise, comme ailleurs dans le monde occidental, a évolué à travers les mêmes paradigmes et modèles qui ont caractérisé le champ thérapeutique : elle n'est pas, dans ses grandes tendances, très différente des autres, sauf peut-être par une acceptation plus grande du pragmatisme américain. Son système de santé fut souvent cité comme l'un des meilleurs au monde, par sa qualité et son accessibilité ; le Québec initie souvent, par son avant-gar- disme, des pratiques que l'on retrouvera, à quelques années près, dans d'autres sociétés du monde occidental, les pays fran- cophones tout particulièrement.

Du début du siècle aux années soixante La famille fut, à une époque encore récente, un acteur de

premier plan dans les soins dispensés aux individus. Jusqu'à la fin du XIX siècle, le réseau hospitalier québécois ne comptait qu'un nombre restreint d'institutions hospitalières, concentrées dans les grandes villes. Les soins, peu médicalisés et technicisés, se déroulaient principalement au domicile des individus. La visite médicale s'effectuait lors d'accouchements, de maladies graves, à l'agonie et au constat de la mort. L'hospitalisation était non systématique et les professions de santé ne florissaient pas [Guérard, 1996]. Les soins institutionnels, coûteux, faisaient de

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l'hospitalisation une cause fréquente de ruine familiale ; pour cette raison, et aussi parce que les profanes doutaient facilement de l'efficacité de la médecine, elle était plus crainte que désirée. Pour bien des personnes âgées, il n'y a pas encore si longtemps, l'entrée à l'hôpital était synonyme de mort.

On pourrait dire, de façon générale, que ce que l'on appelle aujourd'hui « la communauté », incluant la famille, était nor- malement une ressource d'aide et de soutien quand la maladie survenait, quelle que soit sa gravité. Le modèle familial domi- nant était celui de la « famille-communauté » [Lacourse, 1989], définie par le partage des responsabilités et la solidarité face à la survie du groupe. Pendant longtemps, les femmes constituèrent une ressource régulière de soins au quotidien (soins appris des réseaux féminins transmis à travers les générations) [Saillant, 1999 ; Cresson, 1991]. Bien que toutes les femmes participaient aux soins, il existait souvent, dans la famille, une femme céli- bataire, une «vieille fille», considérée comme le «bâton de vieillesse » de ses parents au moment où ils ne suppléaient plus complètement à leurs besoins. Les personnes handicapées et celles qui sont limitées intellectuellement pouvaient également recevoir les soins de cette personne. On vivait alors sous un régime de cohabitation de parenté étendue, associant la famille nucléaire à des collatéraux (sœurs, frères) et/ou à des membres de la génération ascendante Des institutions comme l'hospice, l'hôpital ou même l'asile n'étaient, le plus souvent, que des institutions de dernier recours. À cela s'ajoutait le tableau de la philanthropie et du bénévolat Les soins dispensés aux per- sonnes âgées étaient des soins de base (alimentation, entretien, confort, présence) ; ils s'inscrivaient dans la continuité du temps cyclique de la société ancienne et ils s'intégraient dans une

1. Des différences existaient toutefois selon les milieux socio-économiques et les contextes urbain et rural. 2. Cependant, Ferrand-Bechmann [1992] rappelle que la France a été tradi-

tionnellement réfractaire au bénévolat, préférant l'encadrement plus serré de l'État.

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temporalité définie par les membres de la maisonnée en fonc- tion des devoirs et impératifs de l'univers domestique. Les per- sonnes âgées étaient certes dépendantes de leurs enfants, qui constituaient à l'époque leur seule sécurité ; mais les valeurs tra- ditionnelles (famille, religion, patrie, solidarité) faisaient qu'on ne dérogeait pas à l'obligation de s'occuper des aînés.

Il ne faudrait cependant pas idéaliser une situation dont nous connaissons, somme toute, assez peu de choses, notam- ment quant aux significations que soignants et soignantes attri- buaient à leurs expériences. Les soins familiaux constituaient d'abord une obligation que marquaient la tradition et la reli- gion, obligation liée également aux contraintes sociales, écono- miques et institutionnelles de l'époque. On ne choisissait pas de soigner et de participer aux soins. Et il était certes moins ques- tion de participation que de tout faire soi-même en fonction des ressources et des connaissances disponibles.

Des années soixante au milieu des années quatre-vingt Cette situation change avec l'avènement des assurances uni-

verselles développées dans le contexte de l'État-providence [Ewald, 1986 ; Flora et Heidenheimer, 1990], mesures un peu plus tardives au Canada. Au Québec, l'assurance hospitalisation [1966] et l'assurance maladie [1971], associées aux autres changements de la Révolution tranquille, de même qu'à la modernisation du réseau des services publics, ont transformé le paysage du Québec en matière de soins familiaux La famille- communauté qui avait commencé à disparaître à partir des années cinquante, a pris plutôt la figure de la famille-couple [Lacourse, 1989]. La cohabitation intergénérationnelle est deve- nue moins fréquente, la famille se réduisant au couple et à leurs enfants, se fondant sur des valeurs plus individualistes et de

3. L'avènement de la Sécurité sociale a joué en France un rôle similaire.

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moins en moins communautaires. Les liens familiaux se priva- tisent et se fondent de plus en plus sur le sentiment et l'atta- chement que sur l'obligation et le devoir. On devient plus libres, sans être pourtant affranchis de toute responsabilité. L'accès aux soins institutionnels s'est vu économiquement facilité par la mise en place des systèmes de protection universelle et par l'augmentation de la richesse collective.

Durant cette période, qui s'étend du milieu des années soixante au milieu des années quatre-vingt, la famille demeure toutefois présente lorsque l'institutionnalisation n'est pas possible mais progressivement, elle se désengage, phénomène s'accentuant avec le temps Les soins familiaux constituent encore une obligation importante, mais les savoirs anciens de la tradition orale sont de plus en plus oubliés et se dévalorisent au profit de l'expertise technique et professionnelle. Ce processus s'amorce d'ailleurs dès le début du siècle avec le travail des vulgarisateurs de l'hygiène [Boltanski, 1979 ; Saillant et Fortin, 1994]5. Si le travail de soin n'est plus entièrement le lot de la famille, il y a malgré tout des tâches qui lui incombent (suivi en milieu hospitalier, communication avec les professionnels, accompagnement...). La famille doit être aussi prête à recevoir convalescents et malades. Cette période annonce, dans les ins- titutions, le début du phénomène qualifié de « mort sociale » pour les personnes âgées et les malades chroniques. Les soins familiaux aux proches dépendants ne sont plus entièrement marqués par l'obligation et le devoir ; ils peuvent tomber, selon le nouveau contrat social qui fait de l'État un pourvoyeur de services et de sécurité en cas d'indigence, sous la responsabilité des «étrangers» (professionnels, travailleurs, bénévoles). L'État-providence instaure alors un régime de soins pour le

4. Cette situation a sans doute été moins marquée en France ; les changements familiaux y ayant été moins rapides et intenses qu'au Québec dans les années soixante.

5. En France, ce processus est amorcé plus tôt sous l'influence de Pasteur.

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moins paradoxal : mi-contractuel et mi-traditionnel, dans le sens où une société de services se crée mais fonctionne simul- tanément sous le régime du don, par les soins que doivent encore prodiguer la famille et les femmes [Tahon, 1995; Kauffman, 1997]. Ce paradoxe constitue la face cachée du nou- veau système qui s'instaure.

Au cours de cette période, on s'inquiète de l'abandon des personnes dépendantes (âgées, handicapées, psychiatrisées) dans les institutions de soins prolongés, de leur isolement, et l'on commence à interroger le rôle que pourraient jouer malgré tout la famille et la communauté. On dénonce les institutions pour malades chroniques, lieu de « parcage » et d'abandon. Les soins institutionnels, s'ils consistent surtout en des soins de base, se dépersonnalisent. Le temps des soins, plus linéaire et fragmenté, répond aux besoins des routines hospitalières.

Durant cette période, le rôle, la place et les actions de la famille dans les soins s'effacent au profit de l'expertise institu- tionnelle, marque de la modernité avancée, période qui amène avec elle les valeurs du « progrès » et de l'individualisme. On assiste toutefois à des mouvements institutionnels et sociaux qui vont préparer une partie de ce que nous connaissons aujourd'hui.

Les réalités de l'institutionnalisation, de la médicalisation, de la professionnalisation, de la technicisation seront mises en cause à travers divers mouvements sociaux porteurs de préoc- cupations diverses : écologie, humanisation, autonomie en santé, santé des femmes, dignité du mourir, entraide communautaire. Dans certains secteurs, des individus, souvent les plus instruits, recherchent plus d'autonomie et veulent retrouver une certaine autonomie. Le système de santé, qui semblait pouvoir se déve- lopper à l'infini, montre des signes d'essoufflement : l'hospitali- sation et l'internement coûtent cher, la technique ne solutionne pas tout et il faut souvent « faire autrement ». Enfin, les jeunes institutions que sont les Centres locaux de services commu-

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nautaires (CLSC) appuient de leur côté une définition élargie de la santé par la promotion de l'approche communautaire. Ils vont jusqu'à contribuer au développement des groupes communautaires ou si l'on préfère du tiers-secteur L'approche communautaire valorise la participation et l'expertise de la famille comme de la communauté dans la résolution des problèmes sociaux et de santé. C'est ainsi que le mouvement féministe commencera, au début assez timidement, à critiquer le rôle des femmes dans les soins familiaux et à prendre conscience des difficultés posées par cette situation

Ainsi, les tendances lourdes qui caractérisent l'évolution des soins familiaux en les plaçant à l'ombre des institutions furent, au cours de cette période, contrecarrées par d'autres tendances, qui ont conduit les individus, les groupes et les institutions à les réclamer au nom de valeurs telles que l'autonomie, l'humanisa- tion, la globalité, l'efficience, la solidarité. Il s'agissait moins de revenir au régime de la tradition que de renégocier le contrat social pensé dans le contexte d'un État bienfaisant mais centra- lisateur, redéfinissant ainsi les rôles et les articulations des indi- vidus, groupes, institutions, familles, État, par rapport aux soins et au souci des personnes dépendantes.

Des années quatre-vingt à la situation actuelle La désinstitutionnalisation, le maintien à domicile [1985-1995]

Trois ordres de réalité allaient encore changer le cours des choses à partir des années quatre-vingt : l'explosion démogra- phique des personnes âgées, le développement de certaines

6. Réseau de services de première ligne. 7. Les institutions de santé n'ont certes pas joué ce rôle en France. 8. L'exception française quant aux rapports sociaux de sexe et la timidité des

luttes depuis les années quatre-vingt se modifie progressivement, un nouvel éveil se faisant. Mais cela ne va pas jusqu'à la création d'un mouvement similaire à celui du Québec autour de luttes semblables.

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formes de savoir médical faisant qu'une quantité accrue de malades chroniques nécessitent moins de temps d'hospitali- sation, l'apparition du sida qui a suscité des nouveaux modèles de prise en charge faisant du malade l'acteur premier de ses soins, la crise économique sur fond de néolibéralisme et enfin, l'essoufflement du budget de l'État « Il faut faire plus, autre- ment et avec moins », tel est le leitmotiv. Ces divers phéno- mènes ne surviennent pas simultanément, mais ils se combinent certainement au cours de la période allant environ du milieu des années quatre-vingt à aujourd'hui. Ils se tradui- sent par la désinstitutionnalisation des personnes psychiatrisées et par le développement des programmes de maintien à domi- cile créés principalement pour les personnes âgées. On veut mieux répondre aux besoins de ces personnes en les « inté- grant » dans la « communauté », ce qui signifie le plus souvent la famille ou... la rue. Ce processus de diminution du réseau des services dispensés par l'État, s'accompagne d'un gonflement du réseau communautaire qui se transforme en « partenaire ».

Par rapport à la période précédente, l'institution se fait de moins en moins accessible, réservée aux plus malades et aux plus dépendants. En son sein, les soins s'alourdissent, se tech- nicisent, portés par les routines hospitalières. Dans la commu- nauté, les soins se transforment et l'on sollicite de plus en plus la famille en réaffirmant son rôle et, de façon à peine déguisée, celui des femmes, transformées en « aidantes naturelles » Le domicile redevient, peu à peu, un lieu de soins. Le double régime du don et du contrat, implicite dans la période précé- dente, devient alors explicite. Non seulement on sollicite direc- tement les familles, mais on fait de la publicité pour le bénévolat qui... se professionnalise [Ferrand-Bechman, 1992 ; Robichaud,

9. À cela s'ajoutent au Québec les travaux de la Commission Rochon [19851, traduits politiquement par la Réforme [MSSS, 1992]. 10. Il existe une association nationale des «aidantes naturelles», des cours sont donnés dans des CLSC, etc.

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1998] : comme les familles, les bénévoles se transforment à leur tour en « partenaires ». Les soins familiaux viennent en complé- ment des soins professionnels dont ils suivent étrangement la direction, en se technicisant. On introduit, par exemple, cer- taines pratiques médicales dans la maisonnée et on éduque pour cela les individus malades et leurs familles. Des responsa- bilités nouvelles s'ajoutent. On exige de plus en plus d'auto- nomie de la personne malade [Gagnon, 1995] qui doit se constituer en bon sujet, attentif aux prescriptions médicales et comportementales, en «sujet compétent», conformément au nouveau rôle de malade qui s'instaure dans le contexte de la prévalence de maladies chroniques [Herzlich et Pierret, 1984]. La compétence n'est plus héritée de la tradition familiale, ou encore extirpée par l'expertise, elle est déléguée et conférée par un professionnel qui la valorise, l'oriente et la mesure. Le domicile est aussi recherché comme lieu de soin au nom du « désir » des personnes âgées et des malades, dans un processus « d'enchantement du communautaire ». Par ailleurs, ces trans- formations s'effectuent sur des familles dont le modèle s'est lui aussi modifié : de la famille-couple, on est passé à la famille- individu et aux diverses formes de reconfigurations familiales.

Face à la communautarisation de la santé, pointent des résistances. Des personnes âgées notamment craignent de perdre au change, des femmes aussi, qui questionnent le « retour à la tradition ». À qui revient, dans la famille, le fardeau des soins? Qui accomplira dorénavant la tâche? On s'inquiète aussi du poids de certains problèmes de santé mentale (schizo- phrénie, Alzheimer, démence sénile). La charge familiale devient plus lourde et mue en objet multiforme, réfractaire aux modèles professionnels uniformisants et opaques aux diffé- rences régionales et de quartier, aux différences culturelles. Enfin, la conscience féministe se cristallise avec le poids des res- ponsabilités familiales qui s'ajoutent, ce qu'appuient des recherches nombreuses et ce que décrient des associations

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nationales. Le communautaire ainsi naturalisé perd des plumes et avec lui, peut-être malheureusement, l'idéal de la commu- nautarisation de la santé.

Le virage ambulatoire est un vaste programme du gouver- nement québécois qui consiste à orienter les soins et services de santé vers des ressources plus légères (entendre non hospita- lières), à écourter le temps d'hospitalisation et à maintenir la personne malade dans son milieu de vie « naturel » [Côté et al., 1998]. Le virage ambulatoire est dirigé vers toutes les catégories de malades qui ne nécessitent pas, aux yeux des experts, des services et traitements médicaux disponibles uniquement dans un environnement doté d'une technologie médico-technique élaborée. L'esprit de la désinstitutionnalisation et du maintien à domicile s'étend ainsi à toutes les catégories de malades pou- vant demeurer hors de l'institution hospitalière.

Ce programme fut instauré au Québec en 1996 et consti- tuait l'une des mesures devant permettre d'atteindre le déficit zéro du Conseil du trésor conformément aux politiques de l'après-État-providence. Il s'inspirait des programmes améri- cains de type ambulatory care, mis en place depuis le début des années quatre-vingt.

Dans ce contexte, les milieux hospitaliers tendent à se sur- spécialiser et à accentuer leurs processus technicistes. Du côté familial, on observe l'introduction en douce des pratiques hos- pitalières à domicile11. Des services médicaux autrefois prodi- gués exclusivement en milieu hospitalier, telles les perfusions d'antibiotiques, sont dorénavant réalisés à domicile, voire ensei- gnés aux malades et à leurs proches. Familles et femmes voient

11. Il n'y a pas au Québec de services formels d'hospitalisation à domicile.

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augmenter leur fardeau par la délégation de tâches plus nom- breuses et plus complexes dans un écheveau de services et d'institutions dont les accès sont de plus en plus abstraits. La nature des soins familiaux se trouve modifiée. Il ne s'agit plus seulement d'accompagner et de donner des soins de base (hygiène, alimentation), mais d'apprendre des techniques médicales et de suppléer aux professionnels. Ces derniers deviennent de plus en plus des « coordonnateurs », des « ges- tionnaires de processus et de ressources », délaissant l'accompa- gnement et des fonctions diverses au profit de subalternes (auxiliaires familiales ou aides-soignantes) et aux familles. Cette nouvelle configuration des relations soins professionnels/ profanes implique une temporalité et une rationalité nouvelle. Les familles « décident » de leurs soins à partir des logiques et rythmes des professionnels et institutions gestionnaires « de services et de programmes ». Cela a pour conséquence, d'une part, de désenclaver les soins familiaux déterminés en fonction de temps et espaces extérieurs, et d'autre part de les délocaliser. Pour les malades, la norme demeure celle de l'autonomie, plus que jamais accentuée, transformant l'expérience de la maladie elle-même.

Paradoxalement, l'autonomie du patient est dépendante du travail familial de soins et de la présence constante d'un proche. Dit autrement, la norme autonomiste n'est applicable qu'à travers l'existence d'un lien social (la plupart du temps familial) exigeant présence et souci constant face à un autre dépendant. Les pratiques familiales de soins sont imprégnées de valeurs apparemment contradictoires : l'individualisme qui s'articule à l'idéal d'autonomie (celle du malade, mais aussi celle de la personne soignante) et l'altruisme (par la préoccupation constante et le souci de l'autre). Cette cohabitation contradic- toire s'explique entre autres par le prolongement du double régime du don et du contrat. On s'attend à ce que les familles (et les femmes) soient présentes pour leurs proches et utilisent ce « puits de savoir naturel » logé dans l'expérience familiale

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et reproductive. Mais le contrat social (rapport planifié de l'articulation services publics/privés) se modifie, sans véritable volonté collective, sans négociation avec les principaux intéres- sés. La famille devient un réceptacle passif de la « Réforme » amorcée par l'État qui s'attend à la générosité, à la solidarité et au don des proches. Cette situation entraîne un questionne- ment public sans précédent sur l'imputabilité des soins dans la société actuelle

Conclusion Au Québec, comme dans la plupart des pays occidentaux,

les familles, principales ressources de soins pour toutes les per- sonnes dépendantes, assujetties à la morale d'une société tradi- tionnelle et relationnelle, ont d'abord été dans l'obligation morale de soigner, sans choix réel. Par la suite, on assiste à une implica- tion effacée des familles en raison de la dominance étatique du « providentialisme » et du terrain gagné par l'idéologie de l'expert. La famille semble un appendice auquel on fait appel en cas de nécessité, sans qu'elle soit valorisée. Nommer, expliciter les soins dans l'espace profane et domestique s'avère ardu au cours de cette période, comme le souligne Cresson [1991]. Enfin, c'est à une obligation et surtout à une sollicitation des familles que l'on assiste durant la troisième période, obligation qui se fait dans une direction différente de la première période. Cette fois-ci, en effet, l'obligation ne se fait pas par défaut de ressources professionnelles, mais par souci de complémentarité entre professionnels et profanes, les premiers englobant les seconds. On cherche à préserver le rôle et l'expertise profes-

12. Celle de la santé et des services sociaux en tant que politique. 13. Le projet étatique de l'économie sociale, engagé depuis 1996, suscite des

interrogations de la part des milieux communautaires qui craignent la création d'emplois à bas salaire se substituant aux emplois des services publics.

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sionnelle, et la famille devient à la fois un objet et un moyen à travers des pratiques dites éducatives.

Ainsi la présence de la famille dans les soins est une constante, qu'elle soit obligée, effacée ou sollicitée. Mais le désir des experts est de la contrôler au nom de l'ignorance, de la bien- faisance, ou de la perfection d'un système conçu comme une conjonction de partenaires orientés vers un même but : l'auto- nomie. À chaque fois, l'univers multiforme des soins familiaux tels qu'ils se sont développés au cours de ces années échappe cependant à ces mêmes experts, qui négligent l'histoire des savoirs locaux et leurs logiques internes.

Dans chaque type de famille, et à chaque époque, les femmes demeurent extrêmement présentes dans cet espace, fai- sant des soins un univers marqué «au féminin». Elles repré- sentent un réservoir naturel de savoir et d'énergie, mais surtout de présence, que les structures (État, système de santé, système expert) s'approprient au besoin et cherchent à modeler à leur image. La naturalisation des fonctions de la reproduction (donner vie et s'occuper des enfants) et son assimilation à l'expérience des soins (accompagner toutes les personnes dépendantes quel que soit l'âge et entretenir la vie), ainsi que l'intériorisation de la représentation femme = soignante par les femmes et la société tout entière, légitimise et rend possible la reproduction sociale de cette situation dans le temps et dans l'espace. On retrouve une situation identique dans la plupart des sociétés du monde.

Pourtant les relations de soins ne sont pas sans problèmes. Dans le contexte des soins prolongés par exemple, on a peu exa- miné les transformations des liens de filiation et d'alliance ainsi que leurs effets sur les soins familiaux. On s'est également peu interrogé sur ce que ces expériences supposent comme repré- sentation des solidarités entre les personnes et les générations, et selon les conditions vécues par les malades.

Dans l'étymologie du mot « soin », il y a cette idée de pré- occupation pour l'autre. Le travail de soin, formel ou informel,

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professionnel ou familial, implique une relation qui participe du lien social : un lien social dans le sens où s'occuper de l'autre, malade et dépendant, est constitutif de l'humanité elle-même, de l'avenir du groupe, à travers la reconnaissance de l'interdé- pendance. Mais les expériences des liens dans les soins se trans- forment au gré des représentations de la personne, de la maladie, des obligations et devoirs envers l'autre. Il n'y a pas une forme de soins unique et idéale pour tous, comme le souhaiteraient certains professionnels, mais plutôt des pratiques multiformes qui ne se définissent qu'au sein de configurations sociohisto- riques spécifiques.

Les questions essentielles qui se posent de façon ultime sont les suivantes : comment penser la relation de soin, dans les socié- tés actuelles, en reconnaissant la part de la famille, incontour- nable et essentielle ? Comment faire pour que cette relation ne soit ni épuisante ni étouffante, pour les femmes et pour les autres proches qui participent aux soins ? Comment favoriser la reconnaissance des logiques propres à l'univers domestique ? Et enfin, comment penser la part du don dans les soins ?

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Les établissements de soin, publics ou privés, ainsi que les profes- sionnels qui y travaillent, sont soumis à des impératifs économiques de plus en plus contraignants. Par ailleurs, depuis 1991, le code de la Santé publique impose de prendre en compte la dimension psychologique des personnes accueillies et soignées. Deux impératifs souvent contradic- toires et qui ne vont donc pas de soi. L'intérêt enfin porté à l'aspect individuel de la démarche de soin se traduit par une redéfinition des pratiques professionnelles, mettant en jeu la formation des soignants et leur motivation à s'engager dans une relation singulière avec le soigné. Mais aussi la responsabilité des pouvoirs publics, qui peuvent favoriser cette évolution ou la freiner au nom d'une rationalisation des activités concernées.

Ce livre, qui réunit des contributions d'anthropologues, de socio- logues, de psychologues et de médecins, tente de répondre aux questions que se posent à ce propos les professionnels de la santé, les responsables d'établissements de soin, les formateurs et les décideurs en santé publique : la prise en compte de la souffrance psychique par le médecin habitué à traiter la souffrance physique va-t-elle de soi ? Où se situe la frontière entre le médical et le social, le technique et le relation- nel dans l'acte de soigner ? Comment mesurer la part du soin qui revient de fait à l'entourage du soigné ? Quelle est la part de la culture du soignant et du soigné dans leur rencontre ? Comment apprendre à soigner, aujourd'hui, en tenant compte de ces différents paramètres ? Comment envisager pour l'avenir la formation des soignants ?

devoir de Claude

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