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7l INTRODUCTION Un ensemble hétérogène. Éléments de littérature sur les métiers et les agents de la formation Emmanuel de Lescure * Depuis les années 1980, le nombre d’agents de la formation 1 n’a cessé de croître. En effet, les formateurs font partie de ces nouvelles professions qui ont profité de l’extension des activités éducatives vers d’autres lieux que l’école et d’autres mo- ments que l’enfance 2 . Ce processus, entamé dès les années 1950, en particulier lorsqu’est apparu le concept d’éducation permanente 3 , et renforcé après le vote de la loi du 16 juillet 1971 4 instituant la formation professionnelle continue des salariés, semble avoir été bénéfique au groupe qui, manifestement, n’a cessé de se développer. Appréhendés par l’INSEE, les effectifs de formateurs ont été multi- pliés par quatre entre 1983 et 2002. Le groupe professionnel est aujourd’hui im- portant puisqu’il est le deuxième par la taille dans la catégorie des « instituteurs et assimilés », et équivaut à un tiers des effectifs des « professeurs des écoles ». En 1999, lors du dernier recensement, si l’on inclut les cadres de la formation, 130 000 personnes ont été ainsi comptabilisées comme agents de la formation 5 . * Maître de conférences, Université Paris EST Créteil (UPEC), CIRCEFT, EA 4384. 1. En sociologie, comme dans la littérature professionnelle sur la formation, certains préfèrent le terme d’« acteur » à celui d’« agent ». Toutefois, ici, « agent » s’impose car « acteur » ne permet pas de distinguer les personnes physiques des personnes morales. 2. Notons que l’éducation n’est pas le seul secteur à voir ses activités s’étendre et ses effectifs croître, cette évolution concerne l’ensemble des professions de service et des métiers du travail sur autrui. Cf. DEMAILLY L., Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et activi- tés professionnelles relationnelles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008. 3. PROST A., « Jalons pour une histoire de la formation des adultes (1920-1980) », Recherche et formation, n° 53, 2006, p. 11-24. TANGUY L., « La construction de la catégorie de “formation” en France (1945-1970) », MOREAU G. (coord.), Les patrons, l’État et la formation des jeunes, Pa- ris, La Dispute, 2002, p. 81-93. BRUCY G., CAILLAUD P., QUENSON E. et TANGUY L., Former pour réformer. Retour sur la formation permanente (1945-2004), Paris, La Découverte, 2007. 4. LESCURE E. DE (coord.), La construction du système français de formation professionnelle conti- nue. Retour sur l’accord du 9 juillet 1970 et la loi du 16 juillet 1971, Paris, L’Harmattan, 2004. 5. Dans les catégories « cadre spécialiste de la formation ou du recrutement » et « formateur et animateur de formation continue ». À partir de 2003, avec la modification de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles, les « spécialistes du recrutement » et les « spécialistes de la formation » ont été distingués, de même, les « moniteurs d’école de con- duite » ont été exclus de la catégorie « formateur… ». Depuis, dans l’enquête emploi, les effec- tifs cumulés de ces trois catégories semblent se stabiliser autour de 140 000 individus. [« Les métiers de la formation », Emmanuel de Lescure et Cédric Frétigné (dir.)] [Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]

présentation et introduction Les métiers de la formation

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Page 1: présentation et introduction Les métiers de la formation

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INTRODUCTION

Un ensemble hétérogène. Éléments de littérature sur les métiers

et les agents de la formation

Emmanuel de Lescure *

Depuis les années 1980, le nombre d’agents de la formation1 n’a cessé de croître. En effet, les formateurs font partie de ces nouvelles professions qui ont profité de l’extension des activités éducatives vers d’autres lieux que l’école et d’autres mo-ments que l’enfance2. Ce processus, entamé dès les années 1950, en particulier lorsqu’est apparu le concept d’éducation permanente3, et renforcé après le vote de la loi du 16 juillet 19714 instituant la formation professionnelle continue des salariés, semble avoir été bénéfique au groupe qui, manifestement, n’a cessé de se développer. Appréhendés par l’INSEE, les effectifs de formateurs ont été multi-pliés par quatre entre 1983 et 2002. Le groupe professionnel est aujourd’hui im-portant puisqu’il est le deuxième par la taille dans la catégorie des « instituteurs et assimilés », et équivaut à un tiers des effectifs des « professeurs des écoles ». En 1999, lors du dernier recensement, si l’on inclut les cadres de la formation, 130 000 personnes ont été ainsi comptabilisées comme agents de la formation5.

* Maître de conférences, Université Paris EST Créteil (UPEC), CIRCEFT, EA 4384. 1. En sociologie, comme dans la littérature professionnelle sur la formation, certains préfèrent le

terme d’« acteur » à celui d’« agent ». Toutefois, ici, « agent » s’impose car « acteur » ne permet pas de distinguer les personnes physiques des personnes morales.

2. Notons que l’éducation n’est pas le seul secteur à voir ses activités s’étendre et ses effectifs croître, cette évolution concerne l’ensemble des professions de service et des métiers du travail sur autrui. Cf. DEMAILLY L., Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et activi-tés professionnelles relationnelles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008.

3. PROST A., « Jalons pour une histoire de la formation des adultes (1920-1980) », Recherche et formation, n° 53, 2006, p. 11-24. TANGUY L., « La construction de la catégorie de “formation” en France (1945-1970) », MOREAU G. (coord.), Les patrons, l’État et la formation des jeunes, Pa-ris, La Dispute, 2002, p. 81-93. BRUCY G., CAILLAUD P., QUENSON E. et TANGUY L., Former pour réformer. Retour sur la formation permanente (1945-2004), Paris, La Découverte, 2007.

4. LESCURE E. DE (coord.), La construction du système français de formation professionnelle conti-nue. Retour sur l’accord du 9 juillet 1970 et la loi du 16 juillet 1971, Paris, L’Harmattan, 2004.

5. Dans les catégories « cadre spécialiste de la formation ou du recrutement » et « formateur et animateur de formation continue ». À partir de 2003, avec la modification de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles, les « spécialistes du recrutement » et les « spécialistes de la formation » ont été distingués, de même, les « moniteurs d’école de con-duite » ont été exclus de la catégorie « formateur… ». Depuis, dans l’enquête emploi, les effec-tifs cumulés de ces trois catégories semblent se stabiliser autour de 140 000 individus.

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Au regard de l’extension des activités de formation, une telle croissance n’est pas surprenante. Durant cette période, le nombre de bénéficiaires de formation (comme la dépense globale de formation) n’a cessé de progresser : entre 1969 et 2000, on est passé de 991 000 stagiaires à 7 018 0001.

De prime abord, cette explosion démographique semble justifier l’intérêt des so-ciologues. Toutefois, à y regarder de plus près, celui-ci s’avère problématique. Non seulement, dans la littérature sociologique, cette attention est antérieure à la multiplication du nombre d’agents, mais surtout, comparés à d’autres, en particu-lier aux enseignants et aux travailleurs sociaux, les agents de la formation semblent occuper un rang bien secondaire. Philippe Fritsch consacrait une grande partie de son ouvrage sur l’Éducation des adultes aux formateurs car, écrivait-il, « ce que sont les formateurs, ce qu’ils disent qu’ils font orientent d’une façon décisive le devenir des institutions de formation2

». En effet, porter attention au groupe professionnel, s’interroger sur son émergence, sa constitution et son fonctionnement, s’inscrit nécessairement dans une perspective plus large qui vise à apporter une contribu-tion à la sociologie de la sphère d’activité à laquelle le groupe prend part. Elle reste, dès lors, tributaire de la reconnaissance sociale et scientifique de cette sphère. L’activité en question étant elle-même « en voie de définition3

» et sa sociologie ne relevant pas d’une spécialité autonome et reconnue4, il n’est pas étonnant que l’at-tention pour le groupe professionnel demeure relativement peu visible.

Cette croissance numérique n’est pas sans effets. Si elle apparaît comme une réussite et impose une reconnaissance de l’existence du groupe professionnel, elle soulève plusieurs problèmes, et notamment celui de son unité. Maurice Halbwachs recommandait « d’étudier “le corps matériel”, la grandeur ou le vo-lume, la figure spatiale, la densité des groupes, leurs changements de forme et leurs mouvements dans l’espace5. » Ces éléments sont en effet déterminants pour comprendre la dynamique d’un groupe professionnel.

Le sociologue qui s’intéresse aujourd’hui aux métiers de la formation est d’em-blée frappé par un curieux paradoxe. La lecture de la littérature professionnelle l’invite à considérer que ces métiers sont en cours de professionnalisation, mais lorsqu’il remonte un peu dans le temps, il relève que cette assertion est vieille de plusieurs décennies et que ce processus ne semble jamais trouver d’issue. Le groupe est l’objet d’une réussite indéniable, cependant, il ne parvient pas à stabi-liser ses activités ni, a fortiori, sa définition, sa position et sa composition.

1. DUBAR C., La formation professionnelle continue, Paris, La Découverte, 2004, p. 5. 2. FRITSCH P., L’éducation des adultes, Paris, La Haye, Mouton, 1971, p. 20. 3. TANGUY L., « La formation, une activité sociale en voie de définition ? », DE COSTER M. et

PICHAULT F. (dir.), Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck, 1998, p. 185-212. 4. Cf. AGULHON C., « La formation dans les recherches en sciences humaines : une place à

conquérir », Éducation permanente, n° 177, 2008, p. 25-38 ; LESCURE E. DE, « “L’éducation des adultes”, un champ scientifique hétéronome » (Chapitre 1), Les formateurs d’adultes, un groupe professionnel incertain. Marché du travail et professionnalisation, Thèse de sociologie, sous la dir. de R. Establet, Université de Provence, Aix-Marseille I, 2005, p. 19-42.

5. HALBWACHS M., « La morphologie religieuse » (1re éd. 1935), Classes sociales et morphologie, Paris, Minuit, 1972, p. 225.

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La présente introduction voudrait rendre compte des travaux récents les plus marquants sur le groupe professionnel. Elle ne prétend nullement à l’exhaustivité et, procédant à une sélection, elle n’entend pas non plus observer une stricte neu-tralité. Pour rapporter les débats qui ont pris corps dans cette littérature, elle mo-bilisera principalement la sociologie mais également les sciences de l’éducation et la psychosociologie. Trois points saillants peuvent être retenus : il s’agit d’abord de l’apparition de la catégorie « métiers de la formation » et des conditions qui l’ont rendue possible, de la distinction progressive entre les différentes fonctions et du processus de division sociale du travail de formation que cette dernière a suscité et, enfin, de la fragilité identitaire du groupe pensé dans son ensemble. Si l’on voulait résumer en quelques mots les débats sur les métiers de la formation, on pourrait dire qu’on y retrouve la partition mise à jour par François de Singly entre deux grandes fonctions de la sociologie : une « fonction de dévoilement » et une « fonction d’accompagnement »1. En effet, une grande partie des travaux porte sur le processus de construction du groupe professionnel, certains auteurs choisissent d’insister sur le potentiel du processus dont ils rendent compte, alors que d’autres, les plus nombreux, relevant l’importance de son hétérogénéité, sont conduits à mettre en avant sa fragilité et l’incertitude de son développement.

L’INVENTION DES « MÉTIERS DE LA FORMATION »

La succession de noms que le groupe s’est donnés à lui-même est symptomatique de ses transformations. Aujourd’hui, le syntagme « métiers de la formation » sem-ble s’être définitivement imposé, mais c’est d’abord sous la bannière du terme « formateur » qu’il a fait son apparition2. C’est à partir de la fin des années 1980 qu’est apparu ce syntagme pour dénommer une « nébuleuse3 » de métiers. L’acte de naissance officiel de cette catégorie peut être daté avec la publication à la Do-cumentation française, en 1994, d’un ouvrage auquel il sert de titre4. Notons que ce recours au terme « métier » n’est pas l’apanage du secteur de la formation, au contraire. Après avoir en partie disparu, son usage prolifère dans les dernières dé-cennies du XXe siècle notamment comme synonyme de profession5. Notons éga-lement que ce recours n’est pas sans ambiguïté et sans malentendu en particulier en termes d’emploi6. Les agents de la formation y sont regroupés selon diverses

1. SINGLY F. DE, « La sociologie, forme particulière de conscience », LAHIRE B. (dir.), À quoi sert

la sociologie ?, Paris, La Découverte, 2002, p. 32. 2. Notamment, grâce à la réussite de l’expression « formation de formateurs », toujours usitée

aujourd’hui, et ce, même si son apparition s’avère relativement tardive (cf. LAOT F. F., « Les formateurs ont-ils jamais existé ? », Éducation permanente, n° 164, 2005, p. 13-25).

3. LIÉTARD B., « Autour de la nébuleuse “acteurs de la formation continue” », Actualité de la formation permanente, n° 103, 1989, p. 90-93.

4. GÉRARD F. et al. (coord.), Les métiers de la formation, Paris, La Documentation française, 1994. Cet ouvrage sera suivi par l’édition sous l’égide du Centre INFFO dès 1995 d’un Guide technique des métiers de la formation régulièrement actualisé (1998, 2000 & 2006).

5. Cf. PIOTET F. (dir.), « Introduction », La révolution des métiers, Paris, PUF, 2002, p. 1-19 ; OSTY F., Le désir de métier. Engagement, identité et reconnaissance au travail, Rennes, PUR, 2002.

6. PIOTET F., « Nouveaux métiers, le grand malentendu », Projet, n° 259, 1999, p. 39-50.

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modalités. L’ouvrage les appréhende dans une approche qu’il qualifie de « caté-gorielle », et les distingue en fonction des publics qu’ils forment (jeunes, migrants, illettrisme, cadres), de l’environnement institutionnel dans lequel ils interviennent (secteur public et parapublic, AFPA, fonction publique territoriale, entreprises) et des fonctions particulières qu’ils y occupent (conseil, tutorat, ingénierie).

L’émergence de cette nouvelle catégorie est le fruit des transformations consécu-tives à l’explosion démographique – avec en particulier l’apparition des « nou-veaux formateurs1

» des politiques de l’emploi – et du mouvement de division sociale du travail de formation qui l’a accompagnée. Les formateurs ont d’abord maintenu une certaine indétermination de leur fonction puis, petit à petit, un processus de spécialisation et de différenciation s’est finalement imposé2.

Pendant les décennies 1960 et 1970, la professionnalisation des agents de la formation a été constamment rejetée. Les personnes concernées ont refusé que « leur action soit une spécialité de plus » car « le succès de leur activité [i.e. la généralisation de l’éducation permanente] suppose la mort de leur spécialité »3. On peut considérer que ce refus de voir instituer une clôture du marché profes-sionnel est, pour partie, le produit de la tension entre vocation et professionnali-sation qui caractérise les « métiers de l’État providence4

».

Avec l’explosion démographique du groupe professionnel, la décennie 1980 a été le théâtre d’un certain nombre de controverses entre ses différents représentants5. Deux méritent particulièrement notre attention.

Il s’agit, tout d’abord, de celle qui, en 1983, a opposé les tenants de l’instauration d’un système de qualification des agents de la formation aux partisans de l’indé-termination. Les premiers, constitués principalement d’universitaires œuvrant dans la formation de formateurs et représentés notamment par Gérard Malglaive, prennent en compte la situation des personnels des dispositifs de formation des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et cherchent à instaurer un système de qualification de ces agents. Ils déplorent leur « scandaleuse précarité 6

» et considèrent que cette situation nuit à la qualité de la formation. Les seconds, re-présentés par les associations de responsables de formation, défendent la liberté de choix des entreprises. Ils refusent que l’accès aux activités de formation soit sou-mis à la détention d’un titre scolaire ou d’un certificat professionnel. Il s’agit non seulement de laisser les entreprises désigner leurs intervenants, mais également de

1. Selon l’expression de Gérard Malglaive (MALGLAIVE G. (coord.), Observation et évaluation du

dispositif de formation des jeunes de 16 à 18 ans, Tome 2, ADEP, 1983, p. 136). 2. CAPELANI C., « Différenciations et divisions sociales dans les métiers de la formation : 1969-

2000 », FABLET D. (dir.), La formation des formateurs d’adultes, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 259-281.

3. Éducation permanente, « La formation est-elle un métier ? Éditorial », n° 25, 1974, p. 4. 4. SCHNAPPER D., « Les expériences vécues dans quelques métiers de l’État providence », MENGER

P.-M. (dir.), Les professions et leurs sociologies, Paris, Éd. de la MSH, 2003, p. 199-216. 5. Sur ces débats, cf. LESCURE E. DE, « Les formateurs d’adultes et leur professionnalisation : du

rejet à la fascination. Un exercice de rétroduction (1960-2000) », LAOT F. F. et LESCURE E. DE

(dir.), Pour une histoire de la formation, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 89-109. 6. MALGLAIVE G., La formation et la qualification des agents de la formation continue, Rapport

pour le ministère de la Formation professionnelle, multigr., 1983, p. 4.

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leur permettre de continuer à mobiliser leurs propres salariés pour assurer les for-mations en tant que formateurs occasionnels. Ils réussiront à imposer leur point de vue puisque, quelques années plus tard, André Ramoff 1, Délégué à la forma-tion professionnelle, pourra en appeler à « un peu moins de professionnalisation et beaucoup plus de professionnalisme », car, écrit-il, il a « peine à croire que l’on puisse aujourd’hui vouloir s’engager dans la recherche d’un statut ou dans la re-cherche d’une reconnaissance de la fonction de formateur ». Ainsi, rejette-t-il toute perspective de qualification des postes au motif qu’elle « stériliserait dans l’entreprise quantité de compétences disponibles ». Il reconnaît cependant une utilité particulière au formateur professionnel. Selon lui, ce dernier conservera « au minimum deux domaines d’activité où il sera strictement irremplaçable » : celui de la formation des formateurs non professionnels nécessaire à la démultipli-cation et l’expertise ou le conseil pour lesquels une position d’extériorité à la struc-ture d’intervention est requise.

La deuxième controverse a été assez virulente. Ici aussi, deux positions se sont affrontées, les apôtres de l’unité du groupe professionnel s’opposant aux défen-seurs de la reconnaissance de son caractère parcellaire. La seconde position, re-présentée par Jean-Paul Chanteloube2, part du constat d’une grande diversité d’activités, de postes et d’emplois et entend les étudier pour accompagner des négociations collectives. La première reconnaît, quant à elle, l’existence de pra-tiques partagées et la constitution d’un savoir autonome mis en œuvre dans les activités de formation. Mobilisant la sociologie fonctionnaliste des professions, Guy Jobert3 est ainsi conduit à défendre la cohérence du groupe et à affirmer la réalité d’un processus de professionnalisation. C’est à cette période que pour assurer la promotion du groupe, ses fractions intellectuelles développeront les rhétoriques professionnelles4 les plus élaborées.

L’invention du terme « métiers de la formation » est venue répondre à ces con-troverses. Si, de prime abord, on peut considérer que l’utilisation du pluriel est une manifestation de la reconnaissance de l’éclatement du groupe, il faut ce-pendant également prendre en compte le fait que l’usage du terme formateur perdure (y compris dans son sens générique). Ainsi, les deux conceptions coexis-tent-elles simultanément. De même, à partir de la signature de la convention collective des organismes de formation, en 1988, les métiers de la formation sont unanimement reconnus comme « en cours de professionnalisation » sans qu’aucune contrainte légale ne soit venue, depuis cette date, encadrer le recours aux formateurs occasionnels.

1. RAMOFF A., « Conclusion », DÉLÉGATION À LA FORMATION PROFESSIONNELLE, Quelle forma-

tion ? Quels formateurs ?, Paris, La Documentation française, 1987, p. 149-152. 2. CHANTELOUBE J.-P., « Les métiers de la formation : une approche par les pratiques profes-

sionnelles », Ibid., p. 111-128. 3. JOBERT G., « Processus de professionnalisation et production du savoir », Éducation perma-

nente, n° 80, 1985, p. 125-145. 4. Cf. PRIMON J.-L., « Une profession en train de se faire : les formateurs », Genèse et dynamique

des groupes professionnels, LUCAS Y. et DUBAR C. (dir.), Lille, PUL, 1994, p. 373-375.

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UNE PLURALITÉ DE FONCTIONS

Dès les années 1970, certains auteurs ont remarqué la variété des fonctions des agents de la formation et proposé des typologies. En 1974, Guy Le Boterf et François Viallet1 identifient cinq modèles de situation professionnelle : le respon-sable de formation, le gestionnaire de formation, le spécialiste des moyens péda-gogiques, l’enseignant et le formateur-consultant. Quatre ans après, Gérard Mal-glaive et Yvon Minvielle2 définissent les grandes fonctions de la division du travail de formation et les nomment : pratique politique, pratique politique pédagogique et pratique pédagogique enseignante (déclinée en deux niveaux selon le degré de proximité avec la mise en œuvre concrète de la formation). Quelques années après, Malglaive3 construit une typologie de fonctions divisée en trois grands en-sembles. Le premier regroupe trois types de formateurs : les formateurs-enseignants qui ont une spécialité disciplinaire ou professionnelle et sont dits « formateurs en… » lorsque leur spécialité est assez précise pour être nommée, les formateurs en relations humaines (spécialisés dans l’approche psychosociologique) et les forma-teurs-animateurs qui connaissent le milieu dans lequel ils interviennent, donnent des cours, mettent en place des cursus, exercent des fonctions de conseil et d’assistance technique. Ce premier ensemble disparate est complété par deux au-tres fonctions. Les coordonnateurs de formation organisent les actions ou les pro-grammes de formation, sont en contact avec les formateurs, les stagiaires et les commanditaires, s’occupent de la gestion administrative et pédagogique. Enfin, les responsables de formation, qui sont chargés « de créer, d’animer, d’organiser, de gérer des structures de formation relativement importantes » ont une fonction stratégique et politique, ils élaborent les plans de formation, conduisent les con-certations nécessaires et établissent les conventions avec les prestataires.

La division sociale du travail de formation est l’objet de la thèse soutenue en 1996 par Claude-Alain Cardon4. Alors que la plupart des typologies proposées jusqu’ici s’appuient sur un travail analytique nourri d’une fréquentation des milieux de la formation, la sienne est plus empirique. Elle a pour base les résultats d’un ques-tionnaire administré au personnel des organismes de formation de la région Nord-Pas-de-Calais. À la question concernant la « dénomination fonctionnelle usuelle » de leur poste par leur employeur, Cardon obtient 72 appellations diffé-rentes5. Et, analysant les réponses aux questions portant sur les tâches réalisées, il remarque que les activités de formation sont divisées en trois grandes polarités fonctionnelles auxquelles correspondent trois catégories de personnel : les organi-

1. LE BOTERF G., VIALLET F., « Les formateurs sont-ils en situation professionnelle ? », Éducation

permanente, n° 25, 1974, p. 63-85. 2. MALGLAIVE G. et MINVIELLE Y., « Former et qualifier des formateurs », Éducation permanente,

n° 49-50, 1979, p. 47-83. 3. MALGLAIVE G., La formation et la qualification…, op. cit., p. 39-44. 4. CARDON C.-A., Les formateurs d’adultes dans la division du travail, Thèse de sciences de

l’éducation, sous la dir. de P. Demunter, Université de Lille 1, 1996. 5. CARDON C.-A., « Les formateurs d’adultes : contre toute apparence floue de milieu indétermi-

né », CAPELANI C. et HÉDOUX J. (coord.), Les formateurs d’adultes et leurs formations, Les Ca-hiers d’études du CUEEP, n° 37-38, 1998, p. 26.

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sateurs politiques/stratégiques qui définissent les politiques de formation, gèrent les budgets et les équipes, les organisateurs pédagogiques qui sont les « contremaîtres de la formation » et assurent la « traduction du politique en pédagogique », et, enfin, les intervenants pédagogiques dont la fonction première est le face-à-face pédagogi-que, mais aussi l’ensemble de la « chaîne pédagogique » soit la conception des ou-tils, le recrutement des publics et leur suivi. Cardon remarque également que la répartition des agents dans les places formées par ces trois polarités apparaît dé-terminée par une nécessité plus sociale que technique. Ainsi, les caractéristiques des agents ne sont pas distribuées également. Aux ascendances souvent populaires des intervenants pédagogiques s’oppose l’origine petite-bourgeoise des organisa-teurs politiques. De même, les trajectoires individuelles confirment cette division : si les formateurs ont fréquemment exercé d’autres métiers avant d’intégrer un organisme de formation, les intervenants pédagogiques ont plus souvent été ou-vriers que les organisateurs politiques. Anciens producteurs, les intervenants péda-gogiques se sont vus confier, dans la division du travail de formation, la produc-tion de la formation alors que les anciens personnels d’encadrement ont conservé des fonctions du même ordre1.

Ainsi, le pluriel de la dénomination « métiers de la formation » apparaît justifié. Il s’agit bien d’un vaste ensemble regroupant une pluralité de fonctions, mobili-sant des savoir-faire différents et s’exerçant dans des contextes institutionnels variés. La thèse de Jean-Luc Primon corrobore ce point de vue2. Examinant les caractéristiques des agents dans les données de l’INSEE, il constate que de « grandes différences » les opposent, que ce soit en termes d’activité, d’emploi, de hiérarchie, de situation comme d’origine sociale. Si ce sont finalement des métiers différents, et si les agents qui occupent ces fonctions sont eux-mêmes différents, on peut dès lors s’interroger sur cette volonté de les maintenir à tout prix regroupés3. Cette question est d’autant plus pertinente qu’à la division du travail s’ajoute une incertitude identitaire.

UNE FRAGILITÉ IDENTITAIRE

C’est peut-être sur la question des identités que les débats sociologiques sont les plus intenses. Comme en matière de professionnalisation, on retrouve deux posi-tions antagonistes, la frontière entre les partisans de l’une ou l’autre pouvant être établie en fonction des rapports qu’ils entretiennent avec le groupe professionnel ou l’activité de formation. Il y a, d’une part, les enthousiastes ou optimistes, te-nants de l’avènement d’une identité professionnelle spécifique et, d’autre part, les sceptiques, opposés à la reconnaissance de cette émergence au motif que le groupe

1. CARDON C.-A., « Devenir formateur d’adultes. Des itinéraires pluriels, des logiques spécifi-

ques », Formation Emploi, n° 63, 1998, p. 5-18. 2. PRIMON J.-L., Les agents et les professions de la formation continue. Essai d’identification et de

caractérisation sociales, Thèse de sociologie, sous la dir. de R. Potier, Université de Nice, 1991. 3. Sur cette question, cf. LESCURE E. DE, « “Les métiers de la formation” : sociologie d’une rhéto-

rique professionnelle », BRÉMAUD L. et GUILLAMIN C. (dir.), L’archipel de l’ingénierie de forma-tion, Rennes, PUR, 2010.

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resterait caractérisé par l’éclatement. Parmi les premiers, on compte notamment Joëlle Allouche-Benayoun et Marcel Pariat pour qui, même si « les formateurs d’adultes constituent une population difficile à cerner et à caractériser », à partir de la signature de la convention collective, c’est « d’un groupe professionnel pos-sédant des outils et un savoir-faire en référence à un champ de compétences in-contestées qu’il s’agit »1. On trouve également cette prise de position optimiste chez Jean-Paul Géhin2 qui fait état d’une « identité professionnelle émergente », met l’accent sur des « points communs et des caractéristiques partagées » et décèle des « facteurs d’homogénéisation en cours ». Ces points communs sont constitués en premier lieu par le rapport ambivalent, fait de défiance et de critiques virulen-tes, qu’entretiennent les formateurs vis-à-vis de la formation initiale3. Puis par leur conception de la formation continue : les formateurs sont de grands utilisateurs de formations au point que cela constitue un trait distinctif du groupe profes-sionnel, ils la pensent comme une « seconde chance » qui offre une opportunité de « développement culturel de la personne ». Enfin, troisième facteur, « l’emploi devient la référence centrale »4

; cela constitue « la transformation la plus significa-tive des pratiques et des représentations des formateurs, sans doute la plus structu-rante de leur identité professionnelle5

». Ces éléments tendent à faire des forma-teurs les membres d’un groupe professionnel unifié. Mais, il faut relever que dans la conclusion de son texte, Géhin, prudent, insiste sur le caractère aléatoire de cette émergence, l’issue du processus décrit ne pouvant être tenue pour certaine.

En effet, comme le précisent les directeurs de l’ouvrage collectif qui a accueilli le texte de Géhin, si la profession de formateur tente bien une « unification identi-taire », elle « n’en est pas moins fragmentée selon des profils d’emplois nombreux et instables6

». Cette affirmation s’appuie sur l’enquête dont rendent compte Éli-sabeth Charlon et Marie-Christine Vermelle qui, analysant « le processus de pro-duction de la formation », dégagent cinq types de configurations organisationnel-les coïncidant avec un ou plusieurs « profils d’emplois » et concluent à l’impos-sibilité de parler d’une profession de formateur7. De même, une approche en termes de marché du travail m’amène à conclure à l’éclatement de l’espace profes-

1. ALLOUCHE-BENAYOUN J., PARIAT M., La fonction formateur. Analyse identitaire d’un groupe

professionnel, Toulouse, Privat, 1993, p. 25 & p. 3. Sur le qualificatif d’optimiste adressé à ces auteurs, cf. la note critique de l’ouvrage signée par Jacques Hédoux (Revue française de pédago-gie, n° 109, 1994, p. 144).

2. GÉHIN J.-P., « Le métier de formateur : quelques contours d’une identité professionnelle émergente », BOURDONCLE R. et DEMAILLY L. (dir.), Les professions de l’éducation et de la for-mation, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1998, p. 395-405.

3. Sur cette question cf. GEAY B., « Le travail des formateurs : une approche sociologique », Ac-tualité de la formation permanente, n° 150, 1997, p. 30-32.

4. Notons que cette attention ne porte qu’assez peu sur l’emploi des agents de la formation. En ce qui les concerne, on observe un déficit flagrant de statistiques d’emploi (LESCURE E. DE, « Compter les formateurs : du réalisme au nominalisme », Les Dossiers des sciences de l’éduca-tion, n° 11, 2004, p. 37-50).

5. GÉHIN J.-P., « Le métier de formateur… », op. cit., p. 401. 6. BOURDONCLE R. et DEMAILLY L., « Introduction », op. cit., p. 18. 7. CHARLON E. et VERMELLE M.-C., « La production de la formation pour l’entreprise : organi-

sations, professions et compétences des acteurs de la formation », Ibid., p. 393.

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UN ENSEMBLE HÉTÉROGÈNE. ÉLÉMENTS DE LITTÉRATURE…

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sionnel des agents de la formation, le secteur d’activité jouant un rôle déterminant sur les statuts d’emploi des agents1. Ce caractère émergent semble être une cons-tante dans la description des formateurs. Au milieu des années 1960, Philippe Fritsch décelait déjà à leur sujet des « indices de professionnalisation2

». Une ving-taine d’années plus tard, lors d’un grand colloque consacré à la formation des formateurs dans les universités, François Marquart révélait une « fragilisation » accrue et décrivait une « professionnalité fragmentée et éclatée3

». Selon lui, les agents de la formation professionnelle continue se répartissent en deux grandes catégories, celle des « accompagnateurs de survie » des politiques de l’emploi et celle des « super-pros » de la formation en entreprise.

De même, la recherche menée par Patrick Gravé, au milieu des années 1990, l’a conduit à distinguer plusieurs types de formateurs (les formateurs-insertion, les formateurs-animateurs, les formateurs techniques et les conseillers en entre-prise)4, à conclure à l’absence de sentiment collectif et à insister sur le caractère « indécidable » de leur identité 5. Qu’elles s’attachent au processus de construc-tion identitaire dans des dispositifs de formation des formateurs6 ou qu’elles enquêtent auprès de formateurs en exercice7, les recherches d’autres psychoso-ciologues confirment ce constat.

Le métier de formateur est « poreux8 », rappelle Lise Demailly. Les formateurs sont « attirés » par les univers professionnels dans lesquels ils forment. Il n’est donc pas étonnant que ce qui les caractérise le plus soit bien la grande variété de leurs situations. Le rapport qu’ils entretiennent avec leur activité peut être pro-fondément différent selon l’institution dans laquelle ils travaillent et le type de formation qu’ils dispensent. La manière dont ils sont entrés dans le métier est, elle aussi, déterminante. Les formateurs de l’AFPA, étudiés par Bernard Bonnet, tirent leur légitimité de leur expérience professionnelle antérieure, leur « par-cours exceptionnel » marqué par l’« excellence » au sein de différents métiers les conforte dans leur activité de formateur9.

1. LESCURE E. DE, Les formateurs d’adultes…, op. cit., p. 223-226. 2. FRITSCH P., « Formateurs d’adultes et formation des adultes », Revue française de sociologie,

vol. X, 1969, p. 430. 3. MARQUART F., « Formateur, une professionnalité segmentée et éclatée », Actes du colloque

« Les formateurs d’adultes et leurs qualifications : réponses des universités », Lille 29, 30 nov. & 1er déc. 1989, Les cahiers d’études du CUEEP, n° spécial, juin, 1990, p. 83-104.

4. GRAVÉ P., Formateurs et identités, Paris, PUF, 2002. 5. « Que reste-t-il de commun ?, interroge-t-il, une désignation de formateurs d’adultes, à moins,

paradoxe supplémentaire, de penser que c’est justement cette diversité, cette hétérogénéité, cette pluralité, cette faible organisation en profession qui soient la marque distincte de ceux que l’on désigne ainsi… » GRAVÉ P., « Comment peut-on être formateur d’adultes ? », Les Dossiers des sciences de l’éducation, n° 11, 2004, p. 34.

6. LECLERCQ G., « Comment prend-on place dans les métiers de la formation continue ? », Les Dossiers des sciences de l’éducation, n° 11, 2004, p. 11-23.

7. BOUYSSIÈRES P., « Les formateurs : représentations et identités professionnelles », Éducation permanente, n° 132, 1997, p. 83-95.

8. DEMAILLY L., Politiques de la relation, op. cit., p. 87. 9. BONNET B., La formation professionnelle des adultes, Une institution et ses formateurs, Paris,

L’Harmattan, 1999, p. 265.

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Ainsi, même lorsqu’on examine la situation d’un des segments du groupe pro-fessionnel, force est de constater qu’en terme d’identité sa caractéristique prin-cipale est la fragilité. S’attachant aux agents des politiques de l’emploi dont ils déplorent les conditions d’exercice, certains auteurs insistent sur le « côté dra-matique de la situation des formateurs1

». Cependant, il ne faut pas surestimer cet aspect. Contre toute attente, la recherche menée par François Dubet sur le déclin du programme institutionnel l’a conduit à constater que, à l’inverse des autres groupes étudiés (instituteurs, professeurs, infirmiers, travailleurs sociaux et médiateurs), les formateurs du centre syndical de rééducation professionnelle où il a enquêté apparaissent très fortement intégrés ; proches du modèle institu-tionnel, ils font preuve d’une « conscience fière de leur métier2

».

*

Les métiers de la formation sont faiblement institutionnalisés. Certains auteurs considèrent que cette fragilité résulte de l’absence de reconnaissance par l’État3. Aussi fondée soit-elle, cette interprétation paraît incomplète. Pour comprendre cette situation, il faut y ajouter le fait que la catégorie recouvre des réalités dis-parates et peine à former un ensemble cohérent. Certes, selon la définition pro-posée par Yvette Lucas4, cette caractéristique n’interdit pas de les considérer comme un groupe professionnel. De même, d’après les travaux des sociologues interactionnistes, en particulier ceux d’Anselm Strauss, l’unité des professions est souvent factice5. Reste que, tout en reconnaissant l’existence d’une pluralité de modes de professionnalisation, il faut bien admettre que le groupe ainsi cons-titué souffre d’éclatement, en particulier en raison du fait que les individus qui le composent ne se situent objectivement pas à la même place dans la division technique et sociale du travail. Ce constat donne alors raison à l’« axiomatique française des professions » qui tient le fait d’y occuper une position « similaire et relativement stable »6 pour une condition nécessaire à la pleine émergence d’un groupe professionnel.

1. CASTALAT-FOUNEAU A.-M., « Une étude sur la représentation de soi professionnelle : les for-

mateurs », Identité sociale et dynamique représentationnelle, Rennes, PUR, 1997, p. 105. 2. DUBET F., « La place du métier : les formateurs d’adultes », Le déclin de l’institution, Paris,

Seuil, 2002, p. 176. 3. HÉDOUX J., « Formateurs d’adultes », Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la forma-

tion, Paris, Nathan, 2000, p. 455-458. 4. « Les groupes professionnels constituent des processus dynamiques ayant une histoire et présen-

tant variations et diversité selon notamment les champs professionnels, les conditions sociales d’émergence, les modes de construction, de légitimation et éventuellement d’institutionnalisa-tion » (LUCAS Y., « Introduction », Genèse et dynamique…, op. cit., p. 20).

5. Il est, selon eux, préférable de définir les professions comme des « agrégations de segments poursuivant des objectifs divers, plus ou moins subtilement maintenus sous une appellation commune à une période particulière de l’histoire » (STRAUSS A. et BUCHER R., « La dynamique des professions », STRAUSS A., La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interaction-nisme, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 69).

6. DEMAILLY L., « Une spécificité de l’approche sociologique française des groupes profession-nels : une sociologie non clivée », Savoir, Travail et Société, vol. 2, n° 2, 2004, p. 111.

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Emmanuel de Lescure et Cédric Frétigné *

Le présent ouvrage s’inscrit dans le prolongement d’un colloque organisé à l’Université Paris 12 Val-de-Marne1 les 28 et 29 octobre 20082. Considérant que depuis quelques années les activités de formation se sont diversifiées (sous l’effet notamment de la loi du 17 janvier 2002 instituant la validation des ac-quis de l’expérience et de celle du 4 mai 2004 portant création du droit indivi-duel à la formation et les observatoires de branche) et que leurs modes de régu-lation se sont transformés (en particulier avec la loi du 13 août 2004 attribuant compétence intégrale aux régions en matière de formation), l’ambition poursui-vie était de réunir différentes contributions sociologiques proposant l’étude des divers segments du groupe professionnel des « métiers de la formation ». Plus généralement, il s’agissait de brosser un état du champ sociologique.

Du fait de la grande variété des appellations aujourd’hui recensées3, l’appel à communication invitait à s’interroger sur chacun des segments susceptibles de faire partie du vaste ensemble que constituent les « métiers de la formation ». Sans prétention à l’exhaustivité, il proposait également de mettre l’accent sur différents niveaux d’analyses. Un premier ensemble invitait à étudier les trans-formations du marché du travail et de l’emploi, il insistait sur les effets des transformations des politiques publiques et de la définition des activités de for-mation, les systèmes de certification et de qualification des personnes et des or-ganismes, les carrières et trajectoires individuelles des agents de la formation, les politiques salariales et les modes de représentations des employeurs comme des salariés, les modes de représentation collective. Un deuxième ensemble s’organi-

* Maîtres de conférences, Université Paris EST Créteil (UPEC), CIRCEFT, EA 4384. 1. Depuis, l’Université Paris 12 est devenue l’Université Paris EST Créteil (UPEC). 2. Colloque organisé par l’ERTe « Reconnaissance, Expérience, Valorisation » du département

des Sciences de l’éducation et sciences sociales de l’UPEC et le Réseau thématique n° 1 « Savoirs, travail et professions » de l’Association française de sociologie.

3. On peut notamment citer : animateur de formation, chargé de formation, formateur, moni-teur de formation, instructeur, coordinateur de formation, coordinateur-formateur, coordina-teur pédagogique, formateur-consultant, intervenant en formation, conseiller en formation, conseiller en formation continue, responsable pédagogique, responsable de formation, respon-sable de formation dans les entreprises, ingénieur de formation, consultant en formation, tu-teur, tuteur en entreprise, spécialistes des dispositifs de formation ouverte et à distance, ac-compagnateur, spécialistes du bilan de compétences ou de la validation des acquis de l’expé-rience, coachs, etc.

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sait autour des comparaisons internationales : la dynamique européenne de structuration des métiers de la formation et les réseaux de formateurs européens. Enfin, un troisième ensemble encourageait la production de comparaisons entre un ou des métiers de la formation et d’autres groupes professionnels de l’éducation, du travail social, de l’insertion ou plus généralement des services. Au regard de la vaste littérature existante sur le sujet, l’appel (comme le présent ouvrage) laissait délibérément de côté les travaux relatifs à la formation de for-mateurs1.

Assurément, tout n’y est pas dans les réponses reçues et dans les communica-tions effectivement présentées dans le cadre du colloque. Il en va de même dans cet ouvrage. On peut regretter ce qui, de prime abord, apparaît comme autant de manquements de la recherche. Plus au fond, ces carences ne font que tra-duire l’état du champ de la recherche sociologique sur la formation d’adultes. Avec lucidité, il faut convenir que les forces sont comptées et qu’il est donc au-jourd’hui impossible de développer, autour de l’objet « formation », les pro-grammes de recherches que sociologues de l’éducation d’un côté, du travail de l’autre, sont en mesure de mettre en œuvre2.

Il manque donc de nombreux segments. Pensons aux formateurs en français langue étrangère, segment numériquement consistant et qui dispose, par sur-croît, d’associations professionnelles indépendantes, ou aux formateurs de la lutte contre l’illettrisme3, ou encore aux agents des Gréta, des Centres académi-ques de formation continue (CAFOC), du Centre national de fonction publi-que territoriale (CNFPT) et de l’Association nationale pour la formation profes-sionnelle des adultes (AFPA)

4. Si la comparaison internationale est représentée, la comparaison entre métiers de la formation et d’autres métiers relationnels n’a pas été l’objet de proposition. Enfin, les dynamiques collectives ou l’aspect poli-tique de la représentation syndicale sont peu présents sauf dans le chapitre

1. Sur ce sujet, on peut mentionner : FOUDRIAT M., Les formations de formateurs dans les univer-

sités, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986 ; ORSONI M.-A., « Une revue des travaux sur la formation des formateurs, 1970-1989 », Recherche et formation, n° 19, 1995, p. 112-136 ; CAPELANI C. et HÉDOUX J. (coord.), « Les formateurs d’adultes et leurs formations », Les Cahiers d’études du CUEEP, n° 37-38, 1998 ; FABLET D., La formation de formateurs, Paris, L’Harmattan, 2001 ; LAOT F. F. et LESCURE E. DE (dir.), « Formation de formateurs d’adultes : approche historique », Dossier de la revue Recherche et formation, n° 53, INRP, 2006.

2. Si l’ont peut mettre en cause l’attention des sociologues, on doit surtout considérer la faiblesse des investissements publics à l’endroit des agents de la formation. Avec la meilleure volonté du monde, les sociologues peinerait à mettre en œuvre des programmes de recherche de l’ampleur de ceux dont, par exemple, les travailleurs sociaux ont pu faire l’objet (CHOPART J.-N. (dir.), Les mutations du travail social. Dynamiques d’un champ professionnel, Paris, DREES, MIRE, Dunod, 2000).

3. Sur ce segment, cf. LECLERCQ V., « La professionnalisation du formateur spécialisé en forma-tion de base », Éducation permanente, n° 164, 2005, p. 105-118.

4. De même, les formateurs dont l’activité est centrée sur la transmission d’un métier précis – formateurs en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), en Institut de formation aux soins infirmiers (IFSI), en Écoles d’assistant de service social, etc. – n’ont pu être pris en considération dans cet ouvrage.

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consacré à une association de formateurs. Remarquées, ces absences se doivent surtout d’être interrogées à l’aune de grilles d’analyses sociologiques.

Cet ouvrage est organisé en quatre parties qui sont précédées d’un prologue dans lequel Charles Gadea précise le cadre théorique et les conditions de consti-tution du champ auquel l’ouvrage voudrait contribuer. Revenant sur le déve-loppement de la sociologie des groupes professionnels en France, il clarifie les contours de cette sous-discipline et décrit les conditions de son institutionnali-sation progressive. Ce faisant, il relève que dans l’histoire de la sociologie fran-çaise, l’objet « groupe professionnel » a subi plusieurs « reflux » et bénéficié de plusieurs « floraisons ». La dernière, toujours actuelle, la plus active et la plus in-tense, a commencé dès le milieu des années 1980. En conclusion, Charles Gadea souligne la fragilité de cette spécialité et s’interroge sur sa capacité à se maintenir en pôle attractif de recherche.

Une première partie traite de la composition du groupe professionnel et de ses différents segments. Quatre contributions permettent ainsi de repérer les ques-tions qui se présentent au sociologue. Philippe Fritsch (chapitre 1) revient sur la recherche qu’il a menée au milieu des années 1960. Premier sociologue à s’être intéressé au groupe professionnel des formateurs, il explique comment il a cons-titué son objet et éclaire les éléments qui l’ont amené à mettre en avant le carac-tère « marginal » de ces « agents de changement » « occupant des positions in-termédiaires entre le monde de l’école et le monde de l’entreprise ». Jean-Paul Géhin (chapitre 2) revient quant à lui sur une enquête conduite en Poitou-Charentes pendant les années 1990. Il relate l’émergence lente et difficile du groupe professionnel et, dans une perspective programmatique, il articule cette émergence avec la construction sociale et institutionnelle des régions pour les-quelles la formation est une dimension centrale tant d’un point de vue budgé-taire que symbolique. À l’aide d’une analyse textuelle d’entretiens biographi-ques, Emmanuel de Lescure (chapitre 3) montre l’existence de deux modes antagonistes de développement de la professionnalité des agents de la forma-tion, l’un centré sur l’entreprise, le client ou commanditaire et l’autre tourné vers le stagiaire. Enfin, Pierre Hébrard (chapitre 4) ouvre une perspective inter-nationale, s’appuyant sur une étude commanditée par la Commission euro-péenne concernant la situation des formateurs dans trente-deux États membres, il interroge les conditions de possibilité de telles synthèse et comparaison.

La deuxième partie de l’ouvrage se focalise sur l’un des grands secteurs de la formation, i.e. la formation en entreprise. Deux segments particuliers des agents de la formation y sont appréhendés. S’intéressant à une association de forma-teurs-consultants, François Hoarau (chapitre 5) donne un aperçu d’une des multiples lignes de segmentation professionnelle. Il montre comment l’associa-tion est traversée par un clivage opposant deux conceptions du métier, l’une « artisanale » et l’autre « en cours d’industrialisation ». Emmanuel de Lescure et Cédric Frétigné (chapitre 6) s’interrogent sur la réussite d’un segment. Alors qu’ils sont souvent perçus comme le pôle le mieux établi des métiers de la for-mation, les responsables de formation en entreprises restent en quête de légiti-mité professionnelle car, selon les entreprises, ils n’ont pas les mêmes activités,

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peuvent être rattachés à des services différents, et parfois, certains employeurs se passent de leurs services. Enfin, c’est en s’intéressant aux inégalités d’accès à la formation qu’Emmanuel Quenson (chapitre 7) appréhende l’une des activités des responsables de formation et montre l’ambivalence de leur position : tout en écoutant les demandes des salariés lors d’entretiens annuels, ils doivent surtout s’adapter aux choix stratégiques de l’entreprise.

La troisième partie considère un autre grand secteur de la formation, celui des politiques de l’emploi destinées aux jeunes et demandeurs d’emploi. Sophie Divay (chapitre 8) examine la situation des formateurs travaillant dans un orga-nisme de formation visant la réinsertion professionnelle de publics féminins. Plus largement, il s’agit par cet exemple de retracer les adaptations et aménage-ments que ce type de structure a dû opérer pour faire face aux nouvelles exigen-ces de la logique gestionnaire qui structure le marché de l’accompagnement des chômeurs. Étudiant les politiques d’insertion mises en œuvre en Andalousie, Jean-Baptiste Leclercq (chapitre 9) montre comment le personnel encadrant et les moniteurs, pris entre des rapports de formation et de production, sont conduits à participer à la production de discriminations comme d’une division du travail. La partie se clôt sur la contribution de Laurent Riot (chapitre 10) qui observe les activités concrètes des formateurs et leurs interactions avec les jeunes bénéficiaires des politiques d’insertion. Il souligne l’importance de la « pédago-gie du projet » et le développement d’un style socio-éducatif « souple ».

Enfin, la quatrième et dernière partie prête attention à une catégorie d’agents de la formation qui est souvent laissée dans l’ombre. Bien qu’ils soient régulière-ment mentionnés, les formateurs occasionnels ne sont que rarement pris en compte par la recherche car, tout en assurant une part importante des activités de formation, ils ne participent pas directement à la définition du groupe pro-fessionnel. Nicolas Divert (chapitre 11) propose d’appréhender les effets de l’arrivée de « professionnels » issus du monde du travail dans les formations pro-fessionnelles supérieures de la filière mode. Il note qu’ils apparaissent de plus en plus comme les garants de la légitimité de ces formations et qu’ils deviennent une source de valeur indispensable dans un contexte de marchandisation. En étudiant la formation continue des inspecteurs et techniciens de santé publique vétérinaire, c’est une formation assurée par les pairs que Philippe Fritsch (chapi-tre 12) décrit. La dépendance envers l’administration centrale, comme le re-cours aux « experts privés », l’amènent à interroger l’autonomie de cette forma-tion et à mettre en avant son caractère instrumental et normatif. Au moyen d’une enquête ethnographique, Vanessa Pento (chapitre 13) observe les normes et les valeurs de formateurs du Brevet d’aptitude à la fonction d’animateur en centres de vacances et de loisirs (BAFA). Cet univers, relevant du champ « péri-scolaire », tend à valoriser l’expérience et les « savoir-être » et à mettre en œuvre une forme « anti-scolaire » de pédagogie. Enfin, c’est sur l’accompagnateur à la validation des acquis de l’expérience (VAE) que se clôt la partie. Pascal Lafont (chapitre 14) voit dans cette figure émergente une nouvelle facette de la « fonc-tion formateur », source probable d’une nouvelle « hybridation ».

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L’ouvrage se clôt sur un chapitre de Lise Demailly, qui témoin du colloque, en a assuré la conclusion. Elle revient sur son expérience personnelle de formatrice de formateurs d’enseignants et remarque l’ambiguïté de leurs résultats et leurs importantes mutations sous l’effet du « paradigme de l’efficacité ». Puis, relevant la faible unité du groupe professionnel des formateurs, elle met l’accent sur une tendance à l’homogénéisation des métiers relationnels. Enfin, elle termine en interrogeant la pertinence du paradigme de la sociologie des groupes profes-sionnels pour appréhender les métiers de la formation.

Au final, sans que cela relève des intentions des organisateurs du colloque, ce qui se dégage du tableau ainsi brossé est d’une tonalité plutôt sombre. Si l’on fait l’addition des constats proposés, que reste-t-il ? La structuration des métiers de la formation à la faveur de la régionalisation des politiques de formation (chapitre 2) – mais cette affirmation mériterait d’être empiriquement validée par une enquête postérieure aux transformations législatives – ; ou encore, l’émer-gence d’une « fonction inédite », « source probable d’une identité de passage », qui a vu le jour à la faveur de la mise en œuvre de la loi sur la VAE (chapi-tre 14). Cependant, c’est surtout une somme de restrictions et de faiblesses qui se dégagent des enquêtes dont les auteurs rendent compte. À la lecture des diffé-rents chapitres, les métiers de la formation apparaissent principalement comme des métiers dont la reconnaissance fait défaut, malmenés qu’ils sont par les orientations les plus récentes des politiques de formation – même si, à cette oc-casion, ils peuvent faire preuve de ressources inattendues.

Alors que les agents de la formation sont nombreux à avoir perçu l’indivi-dualisation de la formation comme une amélioration, il semble que celle-ci ne leur laisse finalement que peu d’autonomie. Dans l’accompagnement des chô-meurs, on observe un mouvement de « dé-psychologisation » car, sous la pres-sion de l’« activation » des politiques de l’emploi, associations et formateurs sont tenus de modifier leurs pratiques (chapitre 8) ; trop liés au marché du travail, les formateurs qui participent aux programmes de lutte contre les discriminations ne parviennent pas à les atténuer (chapitre 9) ; c’est en composant dans une « logique de compromis et d’ajustement permanents » que les formateurs des dispositifs jeunes parviennent à « faire preuve d’utilité publique » et pour cela, ils doivent jongler entre les maîtres de stage, les financeurs et les stagiaires qui ont chacun des objectifs divergents (chapitre 10). Dans les entreprises, les for-mateurs-consultants sont soumis à l’« industrialisation » de la formation (chapi-tre 5) ; les responsables de formation échouent à stabiliser leur position (chapi-tre 6) et lorsqu’ils participent à la mise en œuvre du droit individuel à la formation, simples relais de décisions qui les dépassent, ils ne constituent fina-lement qu’un des « maillons » de la « chaîne de causalité » à l’origine des inégali-tés que ce nouveau droit était pourtant censé atténuer (chapitre 7). Dans la fonction publique, si la formation vise à garantir l’efficacité des agents, elle est aussi un instrument de diffusion et de promotion de la nouvelle doxa managé-riale et, prenant part à la réforme de l’État, elle « contribue à reproduire la struc-ture des rapports sociaux » (chapitre 12). Les « professionnels » mobilisés pour participer à l’enseignement professionnel supérieur tendent à renforcer « l’in-

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Page 16: présentation et introduction Les métiers de la formation

LES MÉTIERS DE LA FORMATION : APPROCHES SOCIOLOGIQUES

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fluence de la sphère du travail sur la sphère éducative ». Présumés garants d’une adéquation au final impossible, ils servent à légitimer les formations par la rela-tion à l’emploi qu’ils permettraient d’instaurer. Ce faisant, ils sont surtout une pièce maîtresse dans le développement de la concurrence entre établissements (chapitre 11).

Doit-on conclure de ce tableau que les agents de la formation gardent le carac-tère de marginalité qui les caractérisait à leurs débuts (chapitre 1) ? Les forma-teurs BAFA semblent confirmer ce point de vue. Paradoxalement, tout en déve-loppant une pédagogie « anti-scolaire », ils se trouvent étroitement liés à l’insti-tution qu’ils décrient (chapitre 13).

En se focalisant sur différents segments des « métiers de la formation », cet ou-vrage invite à interroger l’unité du groupe professionnel. Si, au niveau national (chapitre 3) et, a fortiori, au niveau européen (chapitre 4), la présence de ces segments est sans équivoque, la fragmentation de l’espace professionnel est telle que l’on peut révoquer la thèse de l’existence d’un groupe professionnel unique et cohérent. Qu’on l’éclaire sous l’angle, rarement mis en avant, des places oc-cupées par les hommes et les femmes dans l’espace professionnel ou sous le jour des emplois et fonctions voire des tâches réalisées, l’unité du groupe profession-nel apparaît si faible qu’on est porté à la qualifier d’introuvable.

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