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L’ANNUAIRE DE LA MEDITERRANEE 2010-2011 Printemps arabe, et après ?

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L’ANNUAIRE DE LA MEDITERRANEE

2010-2011

Printemps arabe, et après ?

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L’Annuaire de la Méditerranée est publié en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert

© Groupement d’Etudes et de Recherche sur la Méditerranée

Dépôt légal : 2010 MO 3073ISBN : 978-9954-500-02-6

Pré-presse : Babel comImpression : El Maârif Al Jadida

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GROUPEMENT D’ETUDES ET DE RECHERCHES SUR LA MEDITERRANEE

L’ANNUAIRE DE LA MEDITERRANEE

2010-2011

Printemps arabe, et après ?

PUBLICATION DU GERMAssociation scientifique reconnue d’utilité publiqueB.Q. n° 5560 du 13 septembre 2007 (version arabe)

Correspondance : B.P. 8163, Agence des Nations Unies, Agdal, RabatSite web : www.germ.ma

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LEs ORGANEs DU GERM

Comité exécutifHabib El Malki (Président)

Driss Khrouz (Secrétaire général)Hamid Behaj (Trésorier)

Hakima LaalaNajat BenseghirLoubna Beraich

Anne BalenghienHouda El Khelloufi Mohammed Khariss

Abdelouahab MaalmiJalil Hajarabi

Miloud LoukiliAziz Hasbi

Fouad M. Ammor Kamal Mehadoui

Larbi Harrass

Comité scientifiqueHabib El Malki Driss KhrouzAli Amahane

Mohammed BennaniYahya Bouabdellaoui

Hakima LaalaAnne Balenghien

Abdelouahab MaalmiMiloud Loukili

Aziz Hasbi

Comité de rédactionAbdelouahab Maalmi (Rédacteur en chef)

Driss KhrouzFouad M. Ammor

Mohammed KharissNajat Benseghir

Mohammed Bennani

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sommaire

Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Axe I. Les nouvelles dynamiques en Méditerranée : le « Printempsarabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Bouleversements politiques arabes : quelle nouvelle géopolitiqueen Méditerranée ? Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Où en est le mouvement d’émancipation en Tunisie ?Annissa Ben Hassine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Changements politiques et perspectives institutionnelles en SyrieBarah Mikaïl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Onde de choc dans le monde arabe : quelle grille de lecture dela politique extérieure de la Turquie ?Didier Billion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Révoltes et réformes dans les pays du sud de la MéditerranéeDriss Khrouz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55L’islam politique au Maroc à la lumière du Printemps arabe :défis et perspectivesFouad M. Ammor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Axe II. Fonction consultative et rôle du Conseil économique etsocial dans les pays méditerranéens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

CESE et Seconde chambre au Maroc : quelle articulation ?Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Les nouvelles orientations du CESE françaisChristiane Therry . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques : expérience du Conseil économique social et environnemental deFranceElisabeth Dahan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

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Le rôle des conseils économiques et sociaux dans la promotionde l’économie sociale de marché, prospère et solidaireJosé Albino da Silva Peneda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

Axe III. Les pays du groupe de Višegrad de l’Europe centrale . . 101

Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !?Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

Le groupe Višegrad : une double intégration raisonnée, quelsenseignements pour l’Afrique du Nord ?Fouad M. Ammor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

Approches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN avecles pays du MaghrebAbdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

Etat et perspectives de l’Ordre internationalAziz Hasbi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et défisSabra Ammor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

I. Le « Printemps arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1731. Chronologie du « Printemps arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1732. Les réactions au « Printemps arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

La réaction de l’UE au « Printemps arabe » : MEMO 11/918,Bruxelles, 16 décembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179Conférence de presse du président B. Obama, Maison blanche,15/2/2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193Déclaration de Camp David du G8, 18-19 mai 2012 . . . . . . . . . 197Déclaration de Bagdad appuyant le Printemps arabe . . . . . . . . . . 199

II. Les Conseils économiques et sociaux en Méditerranée . . . . . . . . . . 201

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

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Présentation

Ce nouveau numéro de l’Annuaire du GERM est un peu particulier. Non qu’il soit double, couvrant les deux années 2010 et 2011, mais parce que les années en question ont été riches en événements inédits en Méditerranée. Il s’agit, bien entendu, et en premier lieu, des bouleversements inattendus, successifs et rapides qui, à partir de décembre 2010, se mettent à secouer quasiment l’ensemble du monde arabe, du Maghreb à l’Arabie, à l’instar des événements de novembre 1989 en Europe de l’Est qui conduisirent à la chute du mur de Berlin. De là le thème principal de ce numéro, « Les nouvelles dynamiques en Méditerranée » ou le « Printemps arabe », sur lequel l’équipe du GERM a voulu, à l’aide de chercheurs marocains et étrangers, engager une réflexion à la fois analytique et prospective. Il en ressort que, contrairement aux transitions de 1989 en Europe centrale et orientale, les événements dits du « Printemps arabe », tout en s’inscrivant dans une dynamique globalement révolutionnaire ou de changement profond, non seulement étaient moins pacifiques, mais encore étaient loin d’apparaître, malgré les espoirs soulevés, comme un processus clair et prévisible de passage de l’autoritarisme à la démocratie.

Le second événement important, auquel ce numéro fait écho, concerne le Maroc. Avant l’adoption de la nouvelle Constitution en juillet 2011, dans le sillage du « Printemps arabe » et du Mouvement du 20 février, le roi Mohammed VI installe à Casablanca en février 2011, pour la première fois depuis son institution dans la Constitution de 1992, le Conseil économique et social, après qu’une loi organique le concernant eut été votée par le parlement en mars 2010. Avec la révision constitutionnelle de juillet 2011, ce Conseil voit ses missions s’élargir aux questions de l’environnement et du développement humain, devenant ainsi le Conseil économique, social et environnemental. La création et la mise en place tardive de cette nouvelle institution soulevaient alors de nombreuses interrogations concernant les enjeux qu’elle impliquait, son rôle et ses rapports avec les autres

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organes supérieurs de l’Etat. D’où, pour répondre à ces interrogations et comprendre cette institution, l’approche comparative adoptée dans ce numéro en replaçant la problématique du CESE marocain dans le cadre plus large des institutions similaires existant dans différents pays de la Méditerranée.

Le troisième grand thème de ce numéro, enfin, porte sur un petit groupement d’Etats en plein cœur de l’Europe (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie), appelé Groupe de Višegrad, du nom de la ville hongroise où en 1335 se réunirent les rois de Pologne, de Bohème (royaume tchèque) et de Hongrie. La constitution de ce groupe en 1991, ses performances intégratives indéniables, sa survivance à l’adhésion de ses membres à l’UE et à l’OTAN et à la crise de la séparation tchéco-slovaque nous interpellent à plus d’un titre, nous les Maghrébins, vu le sort qui est celui de l’Union du Maghreb Arabe, créée à peu près à la même époque. Ce sont les leçons et les enseignements à tirer de cette expérience pour les pays du Maghreb que se sont attelés à dégager les deux contributions de A. Maalmi et F. Ammor, dédiées au Groupe de Višegrad.

Outre ces grands thèmes, le présent Annuaire reproduit dans sa rubrique « Approches » trois études portant chacune sur une problématique d’actualité. Celle de A. Maalmi s’interroge sur la dimension multilatérale de la coopération entre les pays du Maghreb et l’OTAN dont le bilatéralisme demeure le trait dominant. Celle de A. Hasbi examine les perspectives d’un nouvel ordre international au vu des nouveaux rapports de puissance qui se dessinent. Celle de S. Ammor, enfin, essaie de montrer les enjeux et les défis d’une introduction de la « finance islamique » au Maroc.

L’Annuaire s’achève enfin par quelques annexes destinées à compléter, au plan documentaire et, si nécessaire, au plan bibliographique et chronologique, les principaux thèmes qui y sont traités, notamment le « Printemps arabe ».

Abdelouhab Maalmi

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Etudes

Axe ILes nouvelles dynamiques

en Méditerranée : le « Printemps arabe »

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Bouleversements politiques arabes : quelle nouvelle géopolitique en Méditerranée ?

Abdelouhab MAALMI

A la lumière des événements que nous vivons depuis décembre 2010 sur la rive sud du bassin méditerranéen, avec le soulèvement populaire en Tunisie et son extension au monde arabe, de l’Atlantique au Golfe arabo-persique, sommes-nous à la veille d’un bouleversement géopolitique profond en Méditerranée ?

Par bouleversement géopolitique en Méditerranée nous entendons de nouvelles relations Nord-Sud qui seraient radicalement différentes de celles que nous avons connues jusqu’ici, même dans le cadre du Processus de Barcelone qui, malgré son apport indéniable et sa philosophie transformatrice profonde, n’a eu, de l’avis de tous les analystes, qu’un résultat limité.

Pourquoi penser que ces événements survenus au Maghreb et au Moyen-Orient pourraient changer la donne géopolitique dans cette partie du monde ? Depuis les années cinquante, le sud de la Méditerranée a connu bien d’autres moments aussi dramatiques avec des ondes de choc terribles, de la guerre de Suez aux deux guerres d’Irak en passant par les différentes guerres israélo-arabes. Mais les événements que vient de vivre le monde arabe, et que les media ont vite qualifiés de « Printemps arabe », sont à nos yeux uniques. Seules les luttes de libération nationale qui avaient abouti aux indépendances des années quarante-soixante dans le monde arabe peuvent prétendre revêtir un sens historique aussi important que celui que nous décelons dans les événements actuels. En effet, tandis que les premières mirent fin à la domination coloniale, les derniers visent à libérer les peuples arabes de régimes qui les oppriment et ne les représentent plus.

Aussi la Méditerranée nous semble entrer dans une phase nouvelle où les régimes qui jusqu’ici faisaient écran entre les peuples du sud et ceux du nord n’existeraient plus ou devraient changer radicalement. Est-ce le prélude à de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud dans cette région

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du monde ? Auquel cas, quelle en serait la nature ? Quel en serait l’enjeu fondamental ? Répondre à ces questions exigerait, logiquement, que l’on montre dans un premier temps ce que l’on va appeler la problématique géopolitique fondamentale en Méditerranée, celle qui a toujours défini les rapports entre le Nord et le Sud, avant d’examiner, dans un second temps, les retombées possibles ou probables sur cette problématique des bouleversements actuels dans le monde arabe.

Problématique géopolitique fondamentale en Méditerranée

Pour mettre en évidence cette problématique, le concept de la Méditerranée dégagé par Braudel nous paraît incontournable. Pour ce dernier, en effet, la « Méditerranée » c’est « toute mer fermée au milieu des terres et caractérisée par une certaine unité fondamentale physique, culturelle et économique ». Une Méditerranée est ainsi en ensemble géopolitique par excellence, riche de sens et en valeurs socio-historiques. Aussi peut-on identifier plusieurs Méditerranées dans le monde et les comparer (Méditerranées centre-américaine, sud-asiatique, baltique). D’où la particularité de notre Méditerranée – la Méditerranée euro-arabe ou l’Euro-Méditerranée – qui se distingue des autres par au moins trois caractéristiques principales :

1. Elle a été pendant longtemps, et jusqu’à la découverte des Amériques au 15e siècle, le centre du monde connu, ce qui lui a conféré une certaine personnalité et fait que des événements lointains influent encore jusqu’à l’heure actuelle sur son destin.

2. Elle a toujours fait objet de luttes hégémoniques, de l’Antiquité à nos jours : Rome-Carthage ; Chrétienté-Islam ; Est-Ouest ; Etats-Unis-Europe. Elle a été unifiée par deux fois dans son histoire. Une première fois et de façon complète par Rome (2e siècle av. J.C. - 4e siècle ap. J.C.), dont on a hérité deux notions significatives, sur lesquelles on reviendra : Pax romana et Mare nostrum. Une seconde fois, mais partiellement, économiquement et militairement, par l’Islam (entre le 9e et le 10e siècle). Depuis le 16e siècle, la Méditerranée subit, sans être unifiée, l’hégémonie européenne puis euro-américaine.

3. Elle est de nos jours traversée par une double fracture séparant le Nord et le Sud : une fracture héritée du passé, celle opposant Occident et Orient, Chrétienté et Islam, Occident et Islam ; elle est de nature culturelle

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et identitaire. Une fracture moderne, opposant Pays développés et Tiers-monde, Nord-Sud ; elle est de caractère socio-économique et politique.

Toutes ces caractéristiques déterminent encore les rapports entre les deux rives depuis les indépendances : des « rapports plus ou moins contradictoires, tout à la fois complémentaires et antagonistes » selon l’expression du géo-politologue Yves Lacoste.

Ces rapports ont toutefois connu trois étapes, peut-on dire, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale :

• La première étape est celle de la « guerre froide » au sens strict du terme, c’est-à-dire la période allant, globalement, de 1947 au début des années soixante-dix, où les tensions ont été intenses entre les deux supergrands dans les zones sensibles comme l’Europe et l’Asie du sud-est et orientale. Durant cette période, l’idéologie a exacerbé les antagonismes (Nord-Sud et aussi Sud-Sud) en Méditerranée (nationalisme, socialisme, tiers-mondisme contre atlantisme, développementalisme, libéralisme) ; mais la Méditerranée en tant que telle a été géostratégiquement marginalisée : vu ses divisions et sa proximité du centre de gravité de la lutte Est-Ouest, la Méditerranée était bien surveillée ou convoitée mais elle n’était point pensée en tant que totalité géopolitique, conformément à son concept.

• La seconde étape est celle de la « détente », et du « Processus d’Helsinki » en Europe (novembre 1972 – août 1975), à la faveur desquels l’Europe communautaire commence à concevoir un « cadre global de coopération » avec les pays méditerranéens. Aussi lance-t-elle, à la suite du premier « choc pétrolier », le « Dialogue euro-arabe » (1973-1977), tout en initiant parallèlement, et pour la première fois, une « Politique globale méditerranéenne » (1972-1990). Le monde multipolaire pointe ainsi à l’horizon, l’Europe occidentale peut désormais prétendre élaborer et mettre en œuvre des politiques régionales autonomes. Toutefois, l’antagonisme global Est-Ouest n’en continue pas moins et se fait même intense dans le tiers-monde en n’épargnant pas la Méditerranée où la présence des flottes des deux supergrands et les différentes polarisations politico-idéologiques autour de conflits locaux, tel le conflit israélo-arabe notamment, empêchent qu’une politique globale et autonome de coopération apporte pleinement ses fruits.

• La troisième étape enfin, est celle qui a suivi la fin de la guerre froide, l’effondrement de l’URSS et la disparition des blocs. Les années quatre-

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vingt-dix vont être celles de la montée en puissance de la Méditerranée, mais dans sa dimension sud à la faveur d’un certain nombre d’événements, tels que l’invasion du Koweït par l’Irak et la guerre de libération qui a suivi au nom du nouvel ordre mondial popularisé par les Etats-Unis ; la première Intifada palestinienne (1987-1993) et l’émergence du Hamas d’obédience islamiste comme nouvelle force sur la scène palestinienne ; le développement de l’islamisme politique et du djihadisme au Maghreb et au Moyen-Orient ; et surtout la guerre civile en Algérie par suite de l’interruption du processus électoral qui allait consacrer le FIS (Front islamique du salut) comme principal parti du pays.

Au même moment, en Occident, apparaissent des thèses prétendant traduire la nouvelle donne géopolitique mondiale telles que « L’empire et les nouveaux barbares », « La fin de l’histoire » et autres « Choc des civilisations ».

C’est dans ce contexte nouveau que la Méditerranée va connaître un regain d’intérêt renouvelé, être pensée en tant que telle et faire l’objet de nombre d’initiatives venant du Nord, qu’il s’agisse de pays européens particuliers (Initiative du Groupe 5+5 en Méditerranée occidentale), de l’Europe communautaire (Processus de Barcelone, PEV, UPM), de l’OTAN (Dialogue méditerranéen), ou même des Etats-Unis (Eizenstat Initiative, MEPI, MCA). Ces derniers, n’étant pas un pays méditerranéen mais une puissance mondiale pour laquelle la Méditerranée n’est qu’un des chaînons-clés sur l’échiquier géostratégique mondial, n’abordent cependant cette dernière que différenciée en pays, en groupes de pays ou en régions (Maghreb) et insérée dans des ensembles géographiques plus vastes (MENA, GMO).

Toutes ces intiatives et politiques, à les voir de plus près, oscillent en fait entre, d’une part, le rêve de Mare nostrum, c’est-à-dire une Méditerranée réconciliée, organisée, intégrée et solidaire (promesse du Processus de Barcelone) et, d’autre part, les nécessités de la Pax Romana, celles d’un ordre hégémonique où prime la Realpolitik et prévalent les considérations de sécurité et de stabilité. Et c’est, à l’évidence, la Pax Romana qui s’est imposée en définitive, perpétuant ainsi le statu quo au détriment des changements. C’est dans ce contexte qu’ont éclaté, de façon soudaine et instantanée, les révoltes populaires arabes récentes provoquant la chute de régimes apparaissant jusque-là comme solidement établis et inamovibles.

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Ces événements bouleverseront-ils la donne géopolitique fondamentale commandant jusque là les rapports Nord-Sud en Méditerranée ?

Quelles retombées géopolitiques du « Printemps arabe » en Méditerranée ?

En quelques semaines l’histoire a basculé dans le monde arabe. Il a suffi d’une petite étincelle, à partir d’un fait divers presque anodin (l’immolation de Bouazizi) dans une petite ville du centre de la Tunisie (Sidi Bouzid), pour qu’une protestation locale devenant révolution nationale prenne les dimensions d’un véritable « Printemps arabe ».

Par leurs caractères et certaines de leurs conséquences, voire de leurs revendications, les révoltes du « Printemps arabe » rappellent beaucoup les soulèvements populaires qui éclatèrent en 1989 et aboutirent à la chute du mur de Berlin et à la fin des régimes communistes en Europe centrale et orientale. Comme ces derniers, les révoltes arabes ont pris le monde par surprise, ont revêtu un caractère populaire massif et ont eu un effet de contagion rapide d’un bout à l’autre du monde arabe. De même, durant ces révoltes, ont été brandies des revendications similaires telles que la liberté et la dignité. Enfin, la chute de certains régimes (Tunisie, Egypte) a été rapide et quasi pacifique. Mais au lieu du mur de Berlin, c’est le « mur de la peur » que ces révoltes ont fait tomber.

En revanche, à la différence des soulèvements est-européens de 1989 qui furent pacifiques et homogènes quant à leurs conséquences, les révoltes arabes ont, pour la plupart, du fait de la réaction des régimes en place, viré à la violence et n’ont pas exprimé partout les mêmes revendications (changement de régime ou réformes), ni eu les mêmes conséquences (changement de régime, réformes, enlisements, chaos, outre le fait que bon nombre de pays arabes n’ont pas été touchés par le phénomène, comme l’Algérie et les monarchies du Golfe, à l’exception de Bahreïn).

Ces révoltes et leurs caractéristiques demandent bien sûr à être expliquées, mais ce n’est pas le lieu pour nous ici de le faire. D’autres l’ont fait déjà et le feront à l’avenir. Par contre, on peut s’interroger ici sur le sens de ces révoltes par rapport à Histoire, globale ou régionale.

S’agit-il d’une rupture avec ce qu’ont appelé certains analystes « l’exception arabe », par référence aux « vagues » de démocratisation

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qui ont déferlé sur le monde depuis au moins 1989 ? Est-ce donc la manifestation d’une onde de choc tardive du bouleversement mondial survenu il y a vingt ans avec les réformes de Gorbatchev, la chute des régimes communistes est-européens et l’effondrement de l’URSS ?

Sommes-nous en présence de l’ultime étape d’un long mouvement d’ensemble de libération des peuples arabes qui commença avec les révoltes contre l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, continua avec les mouvements de libération nationale contre l’impérialisme colonial après la Seconde Guerre mondiale, pour finir avec les révoltes d’aujourd’hui contre les régimes dominants vingt ans après la fin de la guerre froide?

Cette idée de sens du « Printemps arabe », même sans que l’on puisse pour l’instant y apporter une réponse définitive, nous paraît importante pour notre problématique dans la mesure où elle détermine à nos yeux l’avenir des relations Nord-Sud en Méditerranée. Les premières réactions aux révoltes arabes de l’UE, des Etats-Unis, de l’OTAN et, plus globalement, du G8, d’abord prudentes, puis plus ouvertement favorables aux revendications populaires, prouvent que l’on parie sur un certain avenir dans lequel le Sud et le Nord seraient significativement et résolument rapprochés au plan des institutions et de certaines valeurs. Au fond, n’était-ce pas cela le pari de toutes les initiatives de dialogue et de coopération qui ont été entreprises à l’égard du Sud depuis la fin de la guerre froide ? Autrement dit, prévenir le choc des civilisations ou des cultures entre les deux rives, voire construire un espace de valeurs communes ? Mais, au-delà des discours, l’échec a été patent à cet égard. Les systèmes de gouvernance, les régimes politiques s’étaient révélés non réformables, sinon en surface. La conditionnalité politique était demeurée sans effectivité.

Le « Printemps arabe », tel qu’il est perçu dans son élan libérateur, rend-il maintenant ce pari possible ? C’est du moins ce qui ressort par exemple des réactions de l’UE, pour nous limiter à celle-ci, au cours des mois de mars, mai et juillet 2011.

Le 8 mars 2011, en effet, la Commission européenne et la Haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Ashton, publient une communication conjointe appelant à « un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée » où l’accent est mis, entre autres, sur la transformation

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démocratique et la réforme des institutions (libertés fondamentales, constitutions, justice, lutte contre la corruption). Le 25 mai, une seconde Communication conjointe plus développée et adaptée est publiée, mettant en place « une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation » où il est question de « démocratie solide et durable » et de conditionnalité renforcée. Entre-temps, le 11 mars, un conseil européen extraordinaire adopte une déclaration où il appelle l’UE à tirer les « leçons de ce qui vient de se passer » et « revoir les missions de l’Union pour la Méditerranée afin de promouvoir la démocratie et de renforcer la stabilité dans la région ». Enfin, en juillet, le président de la Commission européenne, José M.D. Barroso, annonce au Caire le programme SPRING (Support for Partnership, Reform, and Inclusive Growth), d’un montant de 350 millions d’euros pour la période 2011-2012, destiné au soutien à la transition démocratique dans les pays partenaires du Sud.

Or, au seuil de l’année 2012, des inquiétudes, des déceptions et des doutes commencent à se faire jour. Non seulement à cause de la violence et des difficultés de la transition dans la plupart des pays du « Printemps arabe », mais aussi de la tournure islamiste qu’a prise finalement ce dernier dans sa globalité, que ce soit dans sa phase transitoire (processus de transition) ou post-transitoire (processus électoraux). Dès lors, et pour revenir à notre problématique géopolitique, des interrogations peuvent être soulevées sur le sens du « Printemps arabe » pour la Méditerranée. Allons-nous vers une Méditerranée Mare nostrum ? Ou revenons-nous à la Méditerranée de toujours, celle de la Pax romana, mais sur un mode peut-être encore plus exacerbé ?

Aussi deux scénarios typiques d’avenir s’imposent-ils à nous : un scénario qu’on pourrait appeler idéal et un scénario contrasté.

Le scénario idéal, c’est celui de la Méditerranée Mare nostrum. Il suppose que les transitions vers la démocratie soient accomplies, que la modération l’emporte sur les extrémismes, que les violences et les désordres soient maîtrisés ou résorbés et que les conflits et divisions Sud-Sud soient dépassés. Le but ultime étant d’évoluer vers une communauté méditerranéenne à caractère kantien proche plus ou moins de l’Europe actuelle. Il va sans dire que dans ce scénario le rôle du Nord est capital, de même que celui de la Turquie dont l’exemple reste à méditer par les islamistes du monde arabe, notamment pour ce qui est de la question cruciale de la conciliation entre islam et modernité.

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Le scénario contrasté, c’est celui de la Méditerranée Pax Romana. C’est le scénario qui a prévalu jusqu’ici. Mais avec les convulsions du « Printemps arabe », il peut même être un scénario catastrophe si les transitions vers la démocratie échouent et marquent un retour vers l’autoritarisme ou si le fondamentalisme (version Frères musulmans, salafisme wahhabite, etc.) l’emporte sur le modernisme, ou si les sociétés en mutation tombent dans l’anarchie, le terrorisme et les guerres civiles. Contrasté ou catastrophe, un tel scénario verrait, d’une part, l’accentuation des divisions sud-sud, de par les divergences inévitables qui naitraient des évolutions politiques internes, et, d’autre part, la multiplication des crises Nord-Sud liées aux questions de l’identité (religion, charia), des libertés fondamentales (liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression) et des droits de l’homme (femmes, minorités). Il en résulterait en Méditerranée un ordre de type hobbesien tendu, instable et incertain où prévalent le bilatéralisme, la peur de menaces et risques en tous genres (terrorisme, ingérences ou interventions étrangères), et des « clashes » culturels à répétition (genre « caricatures du prophète Mohammad », affaires du foulard, de la burqa, etc.). Les rapports Nord-Sud s’apparenteraient alors ici au type de rapports qu’ont déjà les Occidentaux avec certains pays du Moyen-Orient ou d’Afrique comme l’Iran, la Syrie ou le Soudan, ou certains groupes politiques comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais.

Conclusion

La Méditerranée depuis fin 2010 est à coup sûr à un tournant géopolitique. La montée au créneau des masses révoltées contre leurs régimes sur la rive sud, met le Nord, pour la première fois depuis les indépendances, directement face à des peuples qui veulent reprendre leur destin en main.

Toutefois, l’avenir demeure incertain, qu’il s’agisse de la nature et de la direction des transitions en cours ou de leur impact sur les rapports entre les deux rives de la Méditerranée. Entre le rêve de Mare nostrum (version kantienne) et la réalité présente de la Pax romana (ordre hégémonique), tous les avenirs sont possibles, du meilleur au pire. Ce que l’on pourrait raisonnablement espérer cependant, c’est qu’au Sud triompheront le réalisme ou la sagesse et qu’au Nord on saura faire preuve d’empathie, ainsi l’on évitera de tomber dans le choc des cultures prédit par Huntington ou dans l’orgueil arrogant du prétendu triomphe final de l’idéologie libérale annoncé dans la Fin de l’Histoire de Fukuyama.

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Où en est le mouvement d’émancipation vers plus de justice sociale, de liberté et de dignité initié par

les Tunisiens en 2011 ?

Anissa BEN HASSINE *

Introduction

L’histoire des révolutions nous enseigne que rien n’est plus difficile à gérer que ces étapes post-révolutionnaires où les peuples, libérés du joug totalitaire qui les emprisonnait, sont pris dans un tourbillon euphorique de réclamations tous azimuts, où des opportunistes tentent de profiter du vide laissé par les anciens maîtres de la nation, où des contre-révolutionnaires cherchent à semer le chaos, etc. Tous ces phénomènes, et bien d’autres plus contextuels, ont été vécus en Tunisie, depuis que les Tunisiens ont chassé le dictateur corrompu qui régnait sans partage sur leur pays depuis vingt-trois ans.

Nous allons essayer de reprendre le cours des événements qui ont secoué ce pays, pourtant réputé paisible, qu’est la Tunisie, pour étudier la genèse de la révolution du 14 janvier 2011, ses principales étapes-clés et la situation qui prévaut plus d’une année et demi plus tard.

La révolution tunisienne, un événement prévisible ?

Il est facile d’expliquer les crises a posteriori, mais dans le cas de la Tunisie, cela faisait vraiment longtemps que la situation était explosive. Quelques chiffres qui datent de 2010 en témoignent : 26 % des jeunes Tunisiens de moins de 30 ans étaient au chômage, 23 % des jeunes diplômés l’étaient aussi. 70 000 diplômés sortaient chaque année de l’Université, mais l’économie tunisienne ne pouvait en absorber que 25 000. Près d’un Tunisien sur neuf vit en état de pauvreté, et près du quart de la population tunisienne se trouve dans une situation précaire et vulnérable. Pour compléter le tableau, de grandes disparités régionales entre des villes côtières ouvertes à l’économie mondiale et des régions intérieures enclavées et oubliées caractérisent le modèle économique

* Maître de conférence à l’ESSEC de Tunis, Université de Tunis.

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et social tunisien. A titre d’exemple, le taux de chômage des diplômés à Gafsa (le plus élevé en Tunisie) s’élève à 47,4 %, soit le double de la moyenne nationale.

Ceci explique que c’est dans cette région, et plus exactement dans ce que l’on appelle le bassin minier de Gafsa, qu’éclate, en 2008, une révolte liée au chômage des jeunes dans cette région pour qui le travail dans les mines de phosphate constituait l’un des principaux et rares débouchés professionnels. Plusieurs manifestations, sit-in et grèves ont eu lieu autour du principal employeur public de la région, la Compagnie Phosphate Gafsa, la CPG. Elles ont tout de suite été toutes réprimées, plusieurs arrestations arbitraires de manifestants et de syndicalistes ont été rapportées par des militants des droits de l’homme. Mais très peu d’informations parvenaient à filtrer. Les routes menant aux villes rebelles de Redeyf, Metlaoui et Oum Larayes sont même surveillées par la police, et les entrées sont filtrées. Le mouvement est finalement maté par une répression démesurée, certains manifestants ne seront libérés qu’après le 14 janvier 2011.

L’autisme dont a fait preuve le régime de Ben Ali dans le traitement de cette affaire en répondant à la détresse de milliers de familles par les arrestations arbitraires et les mauvais traitements a augmenté la colère et la frustration ressenties par tous les Tunisiens face au manque de libertés individuelles et publiques mais aussi à la corruption endémique que l’on retrouve à tous les niveaux de l’Etat et parmi les proches de l’ancien président.

Un homme s’immole, un pays s’embraseL’immolation de Bouazizi le 17 décembre 2010 a été le facteur

déclencheur qui a cristallisé toute cette colère et la frustration générale ressenties dans tout le pays, un pays que l’on peut diviser en deux parties : une partie qui a faim et qui veut travailler, celle des régions intérieures, et une partie qui veut être libre de s’exprimer et de participer à la vie publique, celle des grandes villes côtières et de la capitale. En fait, ce qui s’est passé dès les premiers jours de la révolte de Sidi Bouzid, c’est que la deuxième partie de cette Tunisie, riche et cultivée, s’est sentie solidaire de la première partie de la Tunisie qui a crié son désespoir. Plusieurs jeunes, qu’on appelle communément les blogueurs, sont partis munis de leurs téléphones portables filmer les manifestations qui défilaient, la police qui tirait, les blessés et les morts qui tombaient. Les blogueurs ont

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partagé leurs photos et leurs vidéos sur les réseaux sociaux. Entre-temps, les médias nationaux minimisaient la portée des événements et répétaient qu’ils sont le fait de bandes de voyous qui veulent nuire à la stabilité du pays. Mais cela faisait longtemps que la confiance était rompue entre les Tunisiens et leurs médias. Le journalisme alternatif et citoyen a donc pris le relais pour dénoncer les exactions, et El Jazzera a fait le reste.

La différence entre la révolte de 2008 dans le bassin minier et celle de 2011 à Sidi Bouzid a été la plus grande présence, trois ans après, des TIC dans la population tunisienne : des téléphones plus sophistiqués, des réseaux sociaux bien diffusés dans la population (deux millions de comptes facebook pour 11 millions d’habitants), une couverture du réseau internet sur la grande majorité du territoire tunisien avec une bonne qualité de débit à un prix relativement modéré.

Le chaos évité, des élections organiséesLa fuite du président Ben Ali laisse le pays dans une situation

explosive. Ainsi, trois gouvernements sont nommés en moins de deux mois, les sit-in se succèdent, les manifestations sont incontrôlables et l’armée est omniprésente dans les rues des villes. Finalement, la situation se stabilise, et des élections pour une assemblée nationale constituante ont lieu le 23 octobre 2011, organisées, pour la première fois, par une instance indépendante du pouvoir exécutif. 1 000 candidats se sont inscrits sur 1 711 listes pour 217 sièges, dont 50 % sont des femmes mais seulement 5 % parmi elles sont tête de liste. La campagne électorale s’est bien déroulée à part quelques perturbations, et pourtant les Tunisiens avaient du mal à y croire, et plus les élections approchaient, plus le sentiment d’inquiétude que quelque chose allait arriver pour gâcher cette fête électorale prédominait. Des familles ont même stocké de la nourriture, et il y eut pénurie de certains produits de grande consommation, dont le lait et l’eau minérale.

Le résultat des élections a pris de court tous les observateurs même les plus avertis. Si tout le monde s’accordait à dire que le parti islamiste Ennahda allait arriver en tête, peu de personnes (même parmi les propres dirigeants du parti) le créditaient de 37 % des voix, ce qui correspondait à 41 % des sièges (91 sièges sur 217). L’autre surprise a été l’émergence d’une troisième force politique complètement inconnue dirigée par un homme d’affaires tunisien établi à Londres, Hechmi El Hamdi, qui a

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fait connaître cette liste à travers sa chaîne satellitaire El Moustakila et qui a fait toute sa campagne dans les zones rurales en promettant des allocations sociales aux plus démunis. Le Congrès pour la République (CPR), parti nationaliste arabe de centre gauche, a aussi fait un score inattendu (deuxième après Ennahda). Ettakatol, un parti laïc socialiste, arrive quatrième. Du côté des défaites, inattendues elles aussi, le Parti démocrate progressiste (PDP) fait un score très faible et crée la surprise lui aussi, de même que le Pôle démocratique moderniste (PDM). L’échec des personnalités indépendantes est aussi remarquable, des spécialistes de droit constitutionnel comme Sadok Belaïd ou Jawhar Ben M’barek ne sont pas élus, alors qu’on voit un chauffeur de voiture collective élu dans le cadre de la liste El Aridha et beaucoup d’inconnus au détriment de militants historiques tels que l’avocate et militante Radhia Nasraoui et son mari Hamma Hammami, qui croupissait dans les geôles du ministère de l’Intérieur le 14 janvier 2011.

Trois partis s’allient alors pour gouverner, à savoir Ennahda, le CPR et Ettakatol. Ils se partagent les trois présidences, celle de l’Assemblée nationale (Ettakatol), de la République (CPR) et du gouvernement (Ennahda) ainsi que les portefeuilles ministériels dont les principaux sont accaparés par le parti Ennahda qui non seulement veille à contrôler des ministères régaliens comme celui de l’Intérieur, la Justice ou les Affaires étrangères mais s’immisce dans tous les autres en plaçant si ce n’est un ministre, un secrétaire d’Etat.

La troïka, comme on l’appelle alors, avance à pas incertains. A l’incompétence de plusieurs de ses ministres, dont plusieurs sont d’anciens prisonniers politiques, se rajoute une situation sociale instable avec des syndicats très actifs et un environnement économique mondial en crise. Six mois après sa formation à la fin du mois de décembre 2011, le gouvernement peine encore à trouver ses marques, et l’Assemblée constituante, qui doit préparer une constitution dans un délai n’excédant pas une année, s’enlise dans des discussions byzantines avec une opposition minoritaire, mais virulente, et une société civile active.

Une économie en panne et des politiques qui se cherchent A la fin du mois de mai 2012, l’agence de notation Standard & Poors

dégrade la note de la Tunisie pour les investissements sur le long terme à BB. La Tunisie devient ainsi une zone spéculative. En 18 mois, le pays a

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perdu trois niveaux passant de BBB à BBB- puis BB+ et enfin BB. Fait assez rare aussi, l’agence S&P commente cette dégradation en disant que « le gouvernement de transition, en place depuis décembre 2011, ne semble pas être en mesure de redresser suffisamment l’économie ».

En fait, l’économie tunisienne est la première victime de sa révolution : à l’attentisme des premiers mois de l’année 2011 a succédé une vague de fermetures de filiales de multinationales qui délocalisaient leur production en Tunisie. Les entreprises qui appartenaient au clan de l’ancien président, confiées à des administrateurs judiciaires, sont en attente d’une solution, des dizaines d’hommes d’affaires demeurent encore interdits de voyage en attendant leur jugement, et la consommation locale est en berne, et ce sans parler de la situation du tourisme qui s’est largement rétracté. Tout ceci a donné un taux de croissance qui avoisine les -2 % en 2011, alors que le pays était habitué à des taux de 3 à 5 % durant les dernières années.

Afin de contrer ces mouvements, plusieurs membres du gouvernement se sont relayés depuis le début du mois de juin 2012 dans les médias pour affirmer que les indicateurs s’améliorent depuis qu’ils sont au pouvoir. Problème, chacun d’eux cite des chiffres différents, rien qu’en matière de croissance. En effet, alors que le Premier ministre parle de +4,8 %, son conseiller politique avance le chiffre de +2,2 % alors que le ministre de la Justice parle, lui, de +6,6 %. Il n’en fallait pas moins pour qu’une véritable polémique s’installe dans le pays sur la récupération politique des chiffres. Pour l’anecdote, certains disent que l’économie tunisienne se porte mieux depuis que le nouveau gouvernement a nommé un nouveau PDG à la tête de l’Institut national de la statistique.

Côté politique, l’Assemblée constituante, toutes composantes politiques confondues, est l’objet de vives critiques pour sa lenteur et son enlisement dans des affaires secondaires par rapport à sa mission principale de rédaction de la Constitution. Les interventions spectaculaires de certains députés créent le buzz sur le Net. Le dernier scandale est relatif à l’augmentation des indemnités des députés, discutée à huis-clos, qui s’élèveraient à 2 100 euros soit plus de 16 fois le SMIG. La troïka qui gouverne le pays semble pleine de bonne volonté, mais elle avance en ordre dispersé, les déclarations contradictoires sont légion et certains conseillers du président de la République sont même ouvertement critiques vis-à-vis de certains ministres. L’un d’eux, Chawki Abid, le conseiller économique, va jusqu’à demander publiquement la démission du gouvernement à la fin

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du mois de mai 2011. Il a d’ailleurs lui-même démissionné quelques jours après. Tout cela fait désordre. Il faut dire que le manque de compétence est le grief qui est le plus souvent adressé aussi bien aux membres de l’Assemblée constituante, dont le plus célèbre est sans nul doute Kassas, le chauffeur de louage du Sud, qu’à ceux du gouvernement où là l’ancienne star du football tunisien, Tarak Dhiab, a défrayé la chronique quand il a été nommé ministre des Sports, lui dont le niveau scolaire ne dépasse pas les premières années du secondaire. Les autres sont surtout d’anciens prisonniers politiques islamistes ou qui sont revenus de l’exil après avoir été des opposants notoires à l’ancien régime de Ben Ali. Il faut aussi dire que mis à part le parti islamiste Ennahda, qui a gardé son unité et une certaine discipline dans ses rangs, les deux autres partis qui composent la troïka, le CPR et Ettakatol, deux partis de la gauche laïque, ont implosé et on n’y compte plus les défections, venues parfois de militants historiques qui n’ont pas accepté cette alliance, que certains qualifient de contre-naturelle, entre deux partis laïcs de gauche et un parti libéral islamiste.

Quant aux partis qui ne sont pas dans le gouvernement et qui se sont déclarés dans l’opposition à la troïka, ils souffrent d’un émiettement dont ils essaient de sortir en vain (37 % des électeurs ont voté pour Ennahda mais pratiquement autant n’ont pas été représentés et ont vu leurs voix dispersées entre les dizaines de listes qui se sont présentées dans chaque circonscription). Plusieurs tentatives de fusion, de regroupement, d’alliance ont bien eu lieu, mais il y a encore trop de dispersions et de voix discordantes. Des initiatives comme celle de l’ancien Premier ministre, Béji Caïd Essebdi, peinent à rassembler large, tout comme celle issue de la fusion entre le PDP, Afek et le Parti républicain ou venant des démissionnaires des partis de la troïka.

Une société plus que jamais diviséeCe que le citoyen tunisien lambda retient de cette période chaotique,

c’est surtout que son pouvoir d’achat est en chute libre, avec un taux d’inflation qui a atteint 5,5 % durant le premier trimestre de 2012 selon la note de conjoncture de la banque centrale de Tunisie, et que les produits alimentaires, particulièrement les produits frais, atteignent des prix historiques, avec la difficulté de contrôler les filières de distribution (contrôleurs des prix agressés, fuite de marchandises vers la Libye voisine, etc.).

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Quant à la société tunisienne, elle est fragmentée en trois parties.

Tout d’abord, la catégorie la plus démunie, pauvre et oubliée, celle du bassin minier de Gafsa d’où est partie la révolte de 2008 et des villes du centre-ouest d’où est partie la révolution de 2011 mais aussi des quartiers populaires des grandes villes, a voté massivement pour le parti Ennahda croyant en ses promesses électorales (400 000 emplois en une année, entre autres) et pensant que des gens religieux ne seraient pas corrompus. Très impatiente, cette catégorie des plus démunis s’est rapidement insurgée contre les nouveaux gouvernants réclamant aides, emplois et infrastructures de base à coups de blocage de routes et d’usines, de sit-in, de grèves de la faim et même de tentatives d’immolation spectaculaires devant les gouvernorats et les ministères.

La deuxième catégorie, très insatisfaite elle aussi de la dynamique actuelle, est l’élite, en grande partie occidentalisée, qui compose le pays. Autant cette dernière avait adhéré au discours et à la posture de l’ancien gouvernement de la première phase transitoire, essentiellement composé de technocrates issus du monde des affaires et de la société civile, autant elle est en opposition farouche avec l’approche islamiste. Un véritable dialogue de sourds en l’occurrence. En cause, les références qui ne sont pas les mêmes : les islamistes parlent à partir du cadre référent de l’islam et de la charia, alors que l’élite, représentée par tous les partis qui se disent démocrates progressistes, parle à partir de cadres tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme, les libertés individuelles et publiques et le « vivre ensemble ». Une radicalisation de ces deux camps s’est ainsi opérée en faveur du clan islamiste qui a obtenu l’adhésion des couches populaires de la société en prônant un retour à des valeurs traditionnelles religieuses et a isolé l’élite qui est apparue en décalage total avec les revendications de la grande masse (pauvreté, emploi, etc.) en se concentrant sur la question des libertés individuelles et publiques.

La troisième catégorie, la plus importante, est cette fameuse classe moyenne qui fait la force de la Tunisie, celle désignée par l’ancien Premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghanouchi lors de sa démission à la fin du mois de février 2011 comme la majorité silencieuse, cette masse de travailleurs, salariés du privé et fonctionnaires, qui manifeste une totale indifférence par rapport à toutes ses luttes intestines. Une bonne partie ne s’est même pas inscrite sur les listes électorales, n’est pas allée voter et ne comprend pas grand-chose aux débats actuels et aux enjeux tactiques et

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géostratégiques qui secouent le pays. Tout ce que veulent ces Tunisiens-là, c’est vivre en paix, ils sont même de plus en plus nombreux à dire, de plus en plus ouvertement, « c’était mieux avant », « rien n’a changé » ou bien « on en a assez ».

Une bonne partie d’entre eux veut laisser une chance au gouvernement actuel et ne comprend pas l’insistance de l’élite et des partis d’opposition à critiquer l’action gouvernementale ainsi que l’impatience des classes défavorisées. Là-aussi, il y a un clivage entre cette classe moyenne et la classe pauvre que la première accuse de ne pas vouloir travailler, de chercher l’assistance, un travail dans le secteur public où elle n’aura pas à fournir beaucoup d’efforts. La classe moyenne en veut également à son élite qu’elle accuse d’avoir toujours profité du système et d’avoir gardé le silence sous le règne de Ben Ali.

Les salafistes s’invitent dans le paysage

Quelle attitude adopter envers ce phénomène qu’on appelle le « salafisme » récemment apparu avec force dans le paysage social et politique tunisien ? Les attitudes divergent entre les partisans de la méthode dure et ceux qui prônent le dialogue, et les débats passionnés à ce propos sont sans fin.

Entre-temps, de plus en plus de groupes de personnes, reconnaissables à leur longue barbe, leur kamis (robe) et leurs drapeaux noirs, tentent d’imposer leur loi, celle de la charia, par la force. Leurs cibles préférées sont des artistes, des professeurs d’art, des universitaires, des journalistes, des intellectuels et… les femmes non voilées. Un lieu symbolique où ils ont campé plus d’un mois a été l’université de la Manouba où ils ont agressé doyen et enseignants pour imposer par la force l’entrée d’étudiantes en niqab dans les salles de classe et d’examen. Sans succès. Ces derniers temps, ils ont déclaré la guerre aux bars et aux hôtels dans les villes de l’intérieur du pays. Ainsi, Sidi Bouzid, Jendouba et El Kef ont vu des débits de boissons alcoolisées et des bars incendiés. Leurs rassemblements sont aussi souvent le théâtre d’appels à la haine, à la violence et au meurtre, comme cet appel au meurtre scandé contre l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi sur l’avenue Habib Bourguiba même et ces chants « Obama, Obama, nous sommes tous Oussama » scandés aux abords de la grande mosquée de Kairouan ou encore ces cris « mort aux

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juifs » répétés en chœur dans l’aéroport de Tunis-Carthage à l’accueil d’un de ces prédicateurs invités par des associations islamistes.

Le Tunisien moyen ne semble pas conscient de la gravité de ces mouvements parce que ceux-ci demeurent encore périphériques et sporadiques et ne le touchent pas directement. Par ailleurs, lorsque les salafistes s’attaquent aux bars, il est difficile pour un Tunisien de défendre publiquement ceux qui consomment de l’alcool même si lui-même en consomme. De même, les Tunisiens sont gênés de défendre la liberté de la presse lorsque le directeur du journal qui a été emprisonné l’a été parce qu’il a publié la photo d’une femme presque nue, difficile aussi de défendre un film qui s’appelle Ni dieu ni maître et un autre, Persépolis, qui représente Dieu, même si c’est en dessins animés.

Comment en est-on arrivés là ?

D’un mouvement d’émancipation vers plus de justice sociale, de liberté et de dignité, le printemps tunisien serait en train de muer vers une révolution religieuse et des luttes sur des lignes de fractures étrangères comme celles entre chiisme et sunnisme.

C’est avec nostalgie que les Tunisiens se rappellent les jours qui ont suivi le 14 janvier 2011, lorsque le monde entier regardait avec admiration comment un peuple, muni de sa seule volonté et de son courage, a mis un terme à l’une des pires dictatures qui existaient encore dans le monde contemporain. Malgré l’absence d’Etat durant ces jours-là et surtout l’absence de sécurité, les Tunisiens étaient tous unis pour protéger, ville par ville, quartier par quartier, leurs biens et leurs enfants. Les images de ces jeunes veillant à la belle étoile, gourdins à la main, pour empêcher que les bandes de délinquants, de contre-révolutionnaires et de gardes restés fidèles à l’ancien régime n’envahissent leurs maisons sont encore dans tous les esprits comme un moment de communion exceptionnel.

Les citoyens tunisiens ont vécu les premiers mois de l’après 14 janvier 2011 dans une sorte d’euphorie, un état second. D’ailleurs, dès le mardi 18 janvier 2011, la plupart des travailleurs ont repris le chemin de leurs usines et de leurs entreprises avec beaucoup d’enthousiasme malgré la peur et l’incertitude de la situation. Ils avaient envie d’y croire, qu’ils seraient capables de reconstruire, seuls, leur pays maintenant qu’il était débarrassé de ses voleurs, de ses corrompus et de son dictateur. Le mur de

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la peur était brisé. Il y avait un humour décapant sur les réseaux sociaux, et les médias (re)découvraient la liberté de s’exprimer et de rire de tout ou presque. Des milliers d’associations ont été créées, dans l’humanitaire, la citoyenneté, les micro-crédits, le développement régional, etc. Tous les jours, des conférences, des initiatives, des débats avaient lieu dans les centres culturels, les hôtels, et pour la première fois la télévision organisait des débats politiques.

Beaucoup d’ONG, d’entreprises et d’associations allaient dans les régions pour scruter les besoins, offrir des aides, rebâtir… Il y avait tant de choses à faire car le miracle tunisien que racontait Ben Ali était juste le fait d’une classe de favorisés sur les villes côtières … et encore !

Mais la communion a été de courte durée. Très vite, les dissensions ont pris le dessus, au fur et à mesure qu’approchait la date des élections de la Constituante, prévue initialement le 24 juillet 2011. Les réseaux sociaux ont joué là aussi un rôle déterminant. Après avoir été un mouvement spontané citoyen qui a servi de relais pour informer le peuple sur les exactions qui avaient lieu dans les villes insurgées de Sidi Bouzid, Tala, Kasserine, pendant la révolution, facebook, notamment, est devenu le siège des rumeurs les plus folles sur tout et n’importe quoi.

Des pages entières sur facebook ont été dédiées (on cherche toujours par qui) à l’organisation d’actions bien orchestrées avec des dénonciations, des diffamations, des calomnies, des injures, des menaces, des attaques personnelles contre des personnalités politiques ou civiles qui prônent la laïcité. Ceux qu’on appelle les « admins » des pages facebook seraient grassement payés. Des montages photo et vidéo circulaient ainsi que des photos montrant beaucoup de personnes publiques dans leur intimité, dans des rencontres privées, etc. Lina Ben M’henni, courageuse bloggeuse, égérie de la révolution tunisienne mais humiliée sur les réseaux sociaux suite à sa nomination pour le prix Nobel de la paix en est une illustration.

Et puis il y a eu les élections avec les résultats que l’on connaît…

Mais la relative stabilité que l’on attendait avec l’élection de la Constituante n’est pas au rendez-vous. Le pays est soulevé continuellement de manifestations sociales. Comme les partis d’opposition sont trop faiblement représentés dans les nouvelles instances politiques et sont dispersés, la première force d’opposition est devenue la société civile. Ce sont même souvent les acteurs concernés par une cause qui descendent

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eux-mêmes dans la rue pour manifester sans attendre d’être encadrés par des partis politiques ou des organisations et des associations. Seul le syndicat historique, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), auréolé de son rôle d’opposant historique et de son activisme lors de la révolution, (le 14 janvier était jour de grève générale décrété par l’UGTT à Tunis) a gardé sa crédibilité.

On voit ainsi les habitants d’une région qui ont des revendications que ce soit pour l’emploi, l’eau, la destruction de leurs habitats construits sans autorisation, etc. sortir sur la grande route la plus proche, une autoroute parfois, pour la couper. Les médias arrivent alors et cela leur permet de parler de leur problème. D’autres fois, ce sont les fonctionnaires d’un ministère qui manifestent pour l’augmentation de leurs salaires ou pour résoudre des problèmes particuliers, les blessés de la révolution, les salafistes, ceux qui veulent appliquer la charria, etc. Quant à ceux qui veulent défendre les libertés, ils saisissent des occasions nationales comme la Journée de la femme le 8 mars quand des centaines de femmes se rassemblent devant l’Assemblée constituante pour réclamer la préservation des acquis des femmes tunisiennes. Puis le 20 mars, jour de commémoration de l’indépendance du pays, est l’occasion de réaffirmer l’attachement des Tunisiens à leur liberté et leur indépendance.

Mais force est de constater que les manifestations des salafistes n’étaient ni réprimées ni même condamnées. Le leader islamiste Rached Ghanouchi déclara même publiquement une fois que « ce sont des jeunes enthousiastes qui nous rappellent notre jeunesse », alors que celles des sans-emploi, des blessés de la révolution, etc. sont vivement condamnées, un des députés d’Ennahda, se référant à un verset du Coran, ayant même suggéré en pleine assemblée publique de leur couper les pieds et les mains. Quant à l’élite, lorsqu’elle se mobilise pour les libertés, les droits des femmes, les libertés académiques, elle est raillée et considérée comme se préoccupant de causes secondaires et non des vraies préoccupations du peuple.

De plus en plus de gens parlaient de deux poids deux mesures …

Et puis il y a eu le 9 avril 2012. Cette date a constitué un véritable tournant dans la phase transitoire que vit la Tunisie. Alors que la bipolarisation était à son comble, le 27 mars 2012, deux manifestations sont autorisées sur l’avenue Habib Bourguiba, l’une pour les gens du théâtre à l’occasion de la

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Journée mondiale du théâtre et l’autre pour les salafistes. Des affrontements ont lieu à cette occasion, des artistes sont agressés par les salafistes qui en profitent pour escalader l’horloge qui se trouve sur cette avenue. Du coup, le ministère de l’Intérieur décide d’interdire toute manifestation sur l’avenue Habib Bourguiba. Or une marche était prévue le 9 avril, jour de commémoration des martyrs tunisiens tombés pour l’indépendance du pays en 1938. Cette journée devait être aussi une occasion pour rendre hommage aux martyrs de la révolution du 14 janvier 2011 et rappeler aux politiques en place les objectifs de la révolution. Cette interdiction a été vécue comme un affront par les manifestants qui voyaient dans cette avenue le symbole même de la révolution, une avenue qui était interdite aux manifestations à l’époque de Ben Ali justement et qui a été libérée par les « dégage » scandés par des milliers de citoyens devant le ministère de l’Intérieur le 14 janvier 2011.

Et ce fut l’affrontement, ce jour-là. Les manifestants sont descendus malgré l’interdiction. Ils ont été sauvagement tabassés. Plusieurs personnalités politiques dont des membres de l’ANC et de la société civile sont blessées par les matraques et les gaz lacrymogènes. Le plus surprenant, c’est qu’il y avait des hommes en civil qui aidaient les policiers. Ils se présentaient comme des sympathisants d’Ennahda. Depuis, on a commencé à parler de milices.

Le ministère de l’Intérieur a accusé les manifestants d’avoir jeté des pierres sur la police et s’en tient à cette ligne de défense jusqu’à ce que des photos et des vidéos montrent la hargne des policiers et de la milice qui les accompagnait qui frappaient, sans distinction aucune, sur femmes et enfants. Une commission d’enquête se constitue alors au niveau de l’ANC… dont on attend toujours les résultats. Mais tout de même, la fronde des manifestants aura permis de lever l’interdiction de manifester sur l’avenue Habib Bourguiba.

Le 1er mai 2012 à l’occasion de la fête du travail, des milliers des manifestants envahissent l’avenue Bourguiba sous la conduite de l’UGTT, qualifiée de plus grande force du pays, et là les sympathisants d’Ennahda changent de stratégie et se rallient aux manifestants dans une union factice.

Mais la confiance est définitivement rompue.

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Les associations de défense de droits de l’homme, les partis laïques, les syndicats, les médias sont plus que jamais en guerre ouverte contre le gouvernement et particulièrement le parti dominant Ennahda sur fond d’insécurité entretenue par les violences des salafistes On en est là, on ne sait pas où on va… mais on y va ensemble !

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Changements politiques et perspectives institutionnelles en syrie

Barah MIKAïL *

Le dossier syrien n’a pas fini de faire la une de l’actualité. Prévalant depuis le mois de mars 2011, le mouvement de contestation populaire qui s’est inscrit dans le droit fil des événements du « Printemps arabe » semblait parti, croyaient beaucoup d’observateurs, pour tourner la page du régime de Bachar al-Assad. Or, un an et demi plus tard, force est de constater qu’il n’en a rien été. Alors que les violences sur le terrain oscillent entre prévalence d’un reste de contestation pacifique et affrontements violents entre l’armée syrienne et des opposants armés, des configurations sans cesse étendues de « guerre civile » aux relents confessionnels ont aussi pris forme par-ci par-là.

Et pourtant, aucune solution effective ne semble pointer à l’horizon, à ce stade s’entend. La fin du régime du colonel libyen Mouammar Kadhafi avait, aide de l’Otan à l’appui, pris sept mois, certes ; mais les risques y afférents en semblaient relativement contrôlés. Alors qu’en Syrie, une transition hasardeuse semble pouvoir prendre le risque de plonger l’ensemble de la sous-région dans un capharnaüm sans fin.

L’impératif est pourtant d’agir, même si nul ne semble savoir comment. Certes, le régime syrien est loin d’être composé d’enfants de chœur, comme en témoignent les actions lourdes de l’armée syrienne. Mais dans le même temps, aussi barbare que puisse être la situation en Syrie, elle ne peut faire l’économie de deux éléments-clés, entre autres : la cohésion du pouvoir en place et l’extrême sensibilité des logiques confessionnelles. Le tout sans oublier que, pour déterminés qu’ils paraissent à vouloir en finir avec Bachar al-Assad, beaucoup des Etats voisins de la Syrie ne semblent pas pour autant prêts à prendre le risque d’une transition brutale et non calculée.

* Directeur de recherche sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à la FRIDE (www.fride.org). Dernier ouvrage paru : Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », éditions du Cygne, 2012.

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Un enchaînement d’événements prévisible ?

En février 2011, dans un entretien au Wall Street Journal, le président syrien affirmait que, contrairement à la Tunisie ou l’Egypte, son pays était prémuni contre toute forme de révolte. Principale raison selon lui, l’idéologie, le fait que son pays ne soit pas inféodé aux Etats-Unis. Pour autant, son diagnostic s’avérera erroné. Dans la ville méridionale de Deraa, l’arrestation en mars 2011 de jeunes écoliers ayant dessiné par mimétisme des tags en appelant à la chute du régime donnera lieu à leur arrestation brutale par les forces de sécurité. La contestation populaire qui s’ensuivra ne manquera pas de s’étendre progressivement à l’ensemble du pays. La sévérité de la répression du régime ne fera qu’en ajouter à cette extension de la vague contestataire. Dans le même temps, il faut aussi convenir de ce que les logiques en cours en Syrie ne pouvaient supposer l’existence exclusive d’une contestation pacifique réprimée dans le sang.

Probablement l’histoire nous permettra un jour de retracer le fil précis des événements ayant permis la naissance de ce que l’on qualifie aujourd’hui d’« oppositions syriennes », eu égard à leur grande diversité. Il convient cependant de battre en brèche l’idée selon laquelle le recours de certains opposants aux armes n’a été privilégié qu’après de longs mois de combat. S’il faut insister sur le caractère légitime et sincère de ceux des contestataires syriens appelant à des réformes et un changement de la gestion politique du pays, il faut aussi voir que les volontés de réappropriation des logiques des événements syriens à des fins partisanes et idéologiques ont aussi prévalu très tôt. La manière par laquelle des éléments islamistes se sont retrouvés mêlés dès le début à diverses manifestations et actions anti-gouvernementales ne saurait réellement étonner : outre que les Frères musulmans ont connu un massacre lors des événements de Hama (1982), leur idéologie reste opposée à la reconnaissance d’un système réputé être phagocyté par des membres de la minorité alaouite. Mais d’un point de vue plus large, le rôle de certains acteurs régionaux ne saurait non plus être passé sous silence. Le Qatar en particulier, actif et frénétique en termes de soutien aux opérations menées contre le régime libyen en 2011, a également tôt fait d’exprimer sa volonté de voir un processus de transition prévaloir en Syrie. Celui-ci ne s’est pas affiché dès le début des événements, mais la faveur des Qataris à voir péricliter le régime syrien ne fait aucun doute. Le Conseil national syrien (CNS), formation la plus audible parmi les structures de représentation des

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opposants syriens et dominée par les Frères musulmans, est née à la fin du mois d’août 2011 avec la bénédiction (non officiellement révélée) et le financement du Qatar.

Le régime syrien a évidemment les torts principaux dans l’empoi-sonnement d’une situation qu’il aurait été mieux inspiré d’aborder avec plus d’ouverture. Mais l’esprit de réforme et la souplesse n’étant pas le fort d’un appareil d’Etat que des années d’animosité avec l’Occident et certains voisins régionaux (dont Israël) ont rendu méfiant et paranoïaque, les mouvements de contestation qui le toucheront seront vite interprétés comme étant l’expression d’un complot. Accusations envers l’Arabie saoudite et le Qatar parfois, Israël et les Etats-Unis aussi, seront le lot d’un régime soucieux de prouver à sa population, ainsi qu’à un grand nombre de citoyens arabes, que la Syrie répond nécessairement à un état d’excep-tion régionale. Mais il faut croire que cet argument n’était pas entièrement écarté par toute la population syrienne. Certes, images et témoignages assoient l’idée selon laquelle l‘armée syrienne n’a pas hésité à développer une politique ultra-répressive à l’encontre des mouvements d’opposition. La réticence des autorités à permettre l’entrée de journalistes étrangers sur son territoire demeurait elle-même un signe de ce que celles-ci avaient forcément quelque chose à cacher. Mais quand bien même certaines villes et quartiers ont fait parler d’eux du fait de l’ampleur de la violence y ayant sévi (avec l’exemple notable de Baba Amr à Homs), il ne faut pas oublier que plus d’un an passera avant que l’on assiste à des violences significati-ves dans les deux villes les plus importantes de la Syrie : Alep, la capitale économique, et Damas, la capitale politique. Or, l’on oublie souvent que ces villes réunissent à elles seules près de la moitié des 23 millions de Syriens. La violence étatique peut certes avoir un effet dissuasif sur des contestataires craintifs. Cela étant dit, il est également légitime de penser que, loin du grossissement parfois provoqué par la lentille des médias, ces deux villes ont fait le choix d’un quiétisme par leur adhésion à la politique du régime. Non que celui-ci leur convienne forcément ; mais dans le même temps, si changement il devait y avoir, quelle était l’alternative clairement posée à Bachar al-Assad ?

Une alternative manquanteLe régime syrien donnant, vu de l’extérieur, l’image d’un pouvoir

similaire à celui opérant en Corée du Nord, une majorité d’observateurs

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auront été prompts à prévoir une nécessaire chute de celui-ci du fait d’une volonté supposée de la population de passer à un système politique plus ouvert et respectueux de ses droits. Mais si ces pronostics ont été vite démentis, cela ne s’attribue pas seulement à la main de fer exercée par Bachar al-Assad. Avant lui, Ben Ali, Moubarak et Kadhafi avaient également développé des stratégies de répression vis-à-vis de leurs citoyens, sans pour autant pouvoir s’éviter une chute.

Dans les faits, il faut ainsi garder à l’esprit que, si populaire soit-il ou pas, Bachar al-Assad a bénéficié d’un ensemble de facteurs lui ayant permis d’affermir son assise. De confession alaouite, il relève ainsi d’une minorité dans un pays dans lequel plus de 70% de la population est sunnite. Si le facteur confessionnel était si omniprésent dans l’esprit des Syriens, comme certains se plaisent souvent à le répéter, alors la majorité de la population syrienne serait effectivement sortie dans la rue pour faire valoir son opposition au régime.

Or, on peut porter crédit à l’hypothèse voulant que, à ce jour, l’adhésion d’une partie significative de la population au pouvoir de Bachar al-Assad est toujours de mise. Il ne faut pas en déduire pour autant qu’il existerait un amour sans bornes en faveur du chef de l’Etat. Mais la peur du changement, l’exemple irakien toujours aussi frais dans les esprits, ainsi qu’une méfiance quasi atavique de tout ce qui touche, de près ou de loin, à « l’Occident », expliquent pourquoi, tout en se trompant sur son pronostic, Bachar al-Assad exprimait aussi une réalité en parlant, dans son interview au Wall Street Journal de février 2011, de l’importance de l’idéologie dans la structuration des aspirations de la population syrienne. Evidemment, cette affirmation peut paraître choquante ou erronée pour qui suit les évolutions syriennes à travers les rapports des médias. Force est de constater pourtant que, si une majorité de Syriens avait voulu effectivement faire chuter le régime en place, elle serait beaucoup plus rapidement arrivée à ses fins. Le soulèvement de la capitale Tunis a provoqué la chute de Ben Ali ; Moubarak n’aurait pas connu son sort sans la mobilisation du Caire ; quant à la fin de Kadhafi, elle n’a pu être actée qu’après la prise de Tripoli par les rebelles. Pourquoi dans ce cas Damas n’a-t-elle pas suivi ? La question mérite d’être posée, même s’il est plus compliqué d’y répondre.

Ce qui demeure certain, par contre, c’est que la difficulté pour une opposition syrienne digne de ce nom à émerger et à prouver sa pertinence et sa cohésion a joué en faveur du régime syrien. Les projets et mouvements

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d’opposition ont été légion, en effet, si nombreux au final qu’ils en sont venus à affaiblir l’élan potentiel de la contestation anti-Bachar al-Assad. Si personne ne saurait nier combien le régime syrien a agi de manière à affaiblir et décontenancer tout projet potentiel interne d’opposition, il ne faut pas oublier non plus qu’une grande partie des opposants situés à l’extérieur de la Syrie ont aussi leur part de responsabilité dans cette situation. Ce reproche pourrait principalement être adressé au Conseil national syrien (CNS), la structure la plus visible de l’opposition syrienne, mais peu représentative de la population syrienne aussi. Consacré à l’international, le CNS n’a ainsi pas moins tenté de fédérer un noyau d’opposition au régime syrien. Cependant, si ces tentatives ont avorté, c’est aussi parce que le CNS refusait d’admettre une posture autre que celle d’un acteur principal de la transition. Si l’on ajoute à cela le grand manque de cohésion politique aussi bien qu’idéologique prévalant parmi les membres de ce Conseil, on comprend vite pourquoi la machine oppositionnelle syrienne s’est enlisée. Le résultat en sera, outre un affaiblissement supplémentaire des mouvements syriens internes d’opposition (à commencer par les fameux Comités locaux de coordination), l’émergence d’une opposition armée incarnée par l’Armée syrienne libre (ASL), formation déconnectée d’à peu près tous les mouvements syriens d’opposition, contrairement à ce que l’on pense parfois. Bon nombre d’opposants syriens « de l’intérieur » demeurent en effet attachés à une stratégie combinant absence de violence armée et refus de tout scénario d’ingérence militaire étrangère. La tâche n’en demeure pas moins compliquée, évidemment, les opposants internes ne pesant pas grand-chose face à la machine de répression syrienne. Reste posée la question de savoir quelle contribution la « communauté internationale » pourrait apporter.

Quel rôle pour la « communauté internationale » ?

On ne peut globaliser l’expression « communauté internationale » en ce sens que le consensus ne prévaut pas en son sein pour ce qui concerne les modalités d’action vis-à-vis de la Syrie. Le fait que la Chine, la Russie et bien sûr l’Iran soient en faveur du régime syrien suffit en soi à limiter la réflexion potentielle sur le rôle soudé que pourrait jouer « la » communauté internationale.

Cela étant dit, les acteurs omnipotents (et/ou importants voire déterminants) existent. Figurent parmi eux les Etats-Unis, éventuellement

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la Grande-Bretagne, mais aussi la France. Cette dernière ne fait plus mystère de son soutien à des composantes de l’opposition syrienne, même si les détails logistiques en la matière peinent à filtrer. On sait que l’aide de type humanitaire et le soutien en termes de renseignements et d’informations transmises par satellite sont bel et bien fournis . Mais rien de plus n’est réellement révélé. La même chose pourrait être dite à propos d’acteurs intéressés par l’affaiblissement du régime d’ al-Assad, comme la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, dont les modalités effectives d’intervention manquent aussi de précision.

Cependant, la question centrale consiste à savoir si une forme d’intervention similaire à ce qui prévalut en Irak (2003) ou en Libye (2011) pourrait être tentée dans le cas syrien. Evidemment, n’étaient les craintes de beaucoup d’Etats occidentaux, ce scénario aurait déjà eu lieu. Pour autant, à la rhétorique menaçante développée par ces acteurs contre le régime répond en contrepartie une plus grande timidité quant à la possibilité de créer les conditions effectives d’une chute d’el-Assad. Les opposants armés sont en effet limités dans leurs possibilités d’accès à de l’armement conséquent, cependant qu’aucun Etat ne souhaite réellement se voir engagé physiquement et directement sur le sol syrien, du moins dans l’état actuel des choses.

Sur qui compter dans l’hypothèse d’une chute soudaine de Bachar al-Assad ? Voilà probablement le nœud de la question. La Syrie répond à des enjeux stratégiques qui dépassent de loin ce que l’on pouvait retrouver dans les cas de l’Irak et de la Libye. Sa relation avec l’Iran et le Hezbollah libanais lui procure des atouts certains. Le fait que le pays ait, en dépit de sa rhétorique, observé un relatif quiétisme face à Israël depuis la guerre d’octobre 1973 joue tout aussi en sa faveur. Mais plus particulière est la question confessionnelle et la manière dont elle se décline à l’intérieur du pays. Avec le pourrissement de la situation syrienne, les affrontements de type confessionnel se sont faits de plus en plus évidents. Instrumentalisée par le régime syrien, cette question n’en a pas moins été utilisée aussi par certains groupes d’opposition. Bien que n’ayant pas encore franchi un stade structurant sur le plan sociétal, les tensions socio-confessionnelles n’en font pas moins partie des réalités locales. Les incidents et affrontements entre membres de communautés différentes ont ainsi été présents depuis le début des événements ; mais limités dans un premier temps, ils ont connu un effet crescendo par la suite. Par extension, cela pose forcément

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des questions sur la viabilité et la sécurité d’un après-Bachar, dans un contexte où le président syrien est, paradoxalement, facteur de chaos et de stabilité à la fois. Que le régime tombe, en effet, et les aspirations politico-communautaires des Syriens pourront se traduire, outre les affrontements et la formation de zones autonomes, par un débordement au-delà des frontières syriennes. Le Liban a déjà prouvé sa perméabilité aux évolutions syriennes ; l’Irak voisin a aussi évolué au diapason de celles-ci, comme le montre l’octroi par certaines tribus irakiennes (sunnites) d’armes à des forces de l’opposition syrienne ; quant à la Turquie, elle redoute de voir les Kurdes syriens se renforcer, s’affirmer, joindre leurs efforts à ceux des kurdes irakiens et inspirer fortement dans le même sens les Kurdes de Turquie.

Ces craintes paraissent conforter l’idée d’un scénario du pire, évidemment. Pour autant, si elles n’étaient pas avérées, pourquoi le monde hésiterait-il à en finir une bonne fois pour toutes avec un régime qui serait très probablement rapidement remplacé par une alternative plus « occidentalo-compatible » ? La focalisation sur le risque islamiste ne suffit en rien à résumer les enjeux de la situation. Bien qu’ils aient une base populaire, il est douteux que les Frères musulmans puissent emporter l’adhésion de la majorité de la population au cas où des élections démocratiques seraient organisées. Les orientations générales des Syriens tendent plutôt vers des formes (quoique diverses) de laïcisme, de libéralisme et de progressisme.

Dans les faits, les déchirements d’ores et déjà avérés entre les forces d’opposition syriennes ne permettent que peu d’optimisme quant à la possibilité pour eux de prendre en main la transition d’un pays aussi stratégiquement important que la Syrie. Qui plus est, la forte cohésion de l’appareil d’Etat syrien en fait une machine dont il n’est pas si facile de se débarrasser, du moins à ce jour. Les défections qui ont touché les rangs du gouvernement et de l’armée syrienne, tout comme les assassinats de hauts officiels, n’ont en rien fait plier le régime. Les opposants armés, à partir du moment où ils proclament leur contrôle sur des quartiers et des zones, ne se voient pas moins délogés par la force de frappe de l’armée syrienne. A cela s’ajoute l’incertitude quant à la possibilité pour des troupes étrangères « de libération » d’être accueillies favorablement par la population. L’Irak a donné un exemple significatif des risques courus par des forces perçues comme des troupes d’occupation.

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Dans ce contexte, on croit pouvoir comprendre que des soutiens en armes fournis à certains opposants cherchent à leur permettre d’affaiblir le régime syrien, sans que cela implique nécessairement la chute soudaine ou prochaine de ce dernier. Mais à quelle fin ? A part jouer la montre et attendre des jours plus favorables à une action, voire que le régime tombe sous l’effet d’un dépit plus large de la population, on voit mal ce que sous-tend concrètement cette stratégie. Le véto russe à toute action significative contre le régime syrien fait partie des raisons du blocage ; mais concrètement, qui serait réellement prêt à laisser des plumes dans le pays ? Au mieux, c’est le souhait d’un départ volontaire ou sous pression de Bachar al-Assad du pouvoir qui paraît entretenu par ses adversaires. Même les missions diligentées par l’ONU se voient déployées sans grand espoir, comme si l’on voulait attribuer à la diplomatie le mérite d’exister, sans nécessairement obtenir des résultats tangibles. Dit autrement, on voit à travers le dossier syrien que les choses s’enlisent, sans horizon effectif, sans porte de sortie perceptible. Tout le monde ou presque s’est mis d’accord sur le nécessaire départ de Bachar al-Assad, mais sans que grand monde n’y croie sincèrement. Et à moins d’un enchaînement inattendu des événements, on pourrait se diriger vers une situation qui perdurera d’ici au début de l’année 2012.

Conclusion

Le régime syrien a montré de fortes capacités de résistance à la vague du « Printemps arabe ». Partie pour faire tomber la majorité des leaders les plus autoritaires de la région, celle-ci aura finalement eu des effets parfois inattendus. Le maintien de Bachar al-Assad et de son régime, en dépit de l’embargo contre son pays et du grand nombre d’acteurs désirant sa fin, aura constitué pour beaucoup d’observateurs l’une de ces surprises.

Les opposants politiques à Bachar al-Assad ne paraissent néanmoins pas encore au bout de leurs peines. Leurs divisions et différends jouent amplement contre eux, cependant que leurs soutiens étatiques ne paraissent pas eux-mêmes vouloir dépasser à ce jour le cadre d’une stratégie basée sur un affaiblissement progressif du pouvoir syrien. Or, plus le temps passe, plus celui-ci paraît à même de résister.

Faut-il pour autant se résigner et continuer à assister à ce qui se passe en Syrie ? Evidemment non. Mais quelles options y a-t-il au demeurant ?

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Changements politiques et perspectives institutionnelles en Syrie 43

Une intervention militaire, fût-elle occidentale ou non, serait porteuse de gros risques pour la cohésion du pays et la stabilité de la sous-région. Le soutien aux opposants armés, quant à lui, outre qu’il a prouvé ses limites, ne peut non plus faire fi du fait que personne n’est à même de déterminer quelle adhésion aux principes d’une transition pacifique toutes ces forces se révéleraient prêtes à faire valoir. Les Etats voisins de la Syrie, en dépit parfois de certaines apparences, en ont conscience.

On ne saurait ainsi souhaiter mieux qu’une capacité des opposants syriens, particulièrement ceux de l’intérieur, à se mettre d’accord sur des principes communs qui leurs permettraient de montrer leur maturité. Aussi basique que cela puisse paraître, cela n’a pu se matérialiser jusqu’ici. Or, c’est de cette cohérence et de cette cohésion de l’opposition de l’intérieur que dépend réellement son aptitude à ramener vers elle les opposants de l’extérieur et leurs soutiens, à étendre son influence à de larges pans de la population syrienne et à pouvoir opposer un bras de fer non militaire au régime. Cela peut paraître peu satisfaisant de prime abord. Mais si d’autres options viables étaient jouables, elles auraient probablement d’ores et déjà été pensées et mises en application. Telle est la dure réalité syrienne, confirmation en soi des sévères lois de la Realpolitik…

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Onde de choc dans le monde arabe : quelle grille de lecture de la politique

extérieure de la Turquie ?

Didier BILLION *

Alors que les analyses de la politique extérieure de la Turquie sont restées durant une longue période circonscrites à des cercles restreints de chercheurs, elles se sont multipliées depuis quelques années pour verser dans des raccourcis qui ne sont guère satisfaisants. Une des caractéristiques qui s’affirme réside dans le fait que les nombreuses analyses produites sont fréquemment démenties par les faits, notamment celles qui veulent décliner l’idée d’une hypothétique nouvelle politique extérieure turque. Le propos de cette contribution est de mettre en perspective cette politique extérieure pour tenter d’en discerner les éléments véritablement nouveaux et ceux qui, a contrario, s’inscrivent dans la longue Histoire. Il s’agira ensuite de tenter de hiérarchiser les éléments les plus déterminants pour en saisir les contenus.

La répétition conformiste de formules incantatoires

Parmi les thèmes abordés dans les analyses de la politique extérieure de la Turquie, certains sont récurrents, nous n’en retiendrons que trois.

Le premier d’entre eux est le fameux – fumeux ? – concept de néo-ottomanisme, abondamment utilisé sans comprendre qu’il soulève un problème de méthode élémentaire : comment en effet comparer un Empire qui, au milieu du XVIIe siècle, s’étend des frontières de l’Autriche au golfe arabo-persique et des rivages de la mer Noire aux confins algéro-marocains, avec une République qui, à ce jour, n’a pas de velléités expansionnistes ? Dans le système ottoman, seules les conquêtes constantes apportaient de nouveaux revenus qui à leur tour finançaient les conquêtes suivantes. Or, quand le cycle a été rompu, l’absence de nouvelles conquêtes impliqua l’absence de nouvelles ressources. Comment sérieusement comparer cela à la situation actuelle…

* Directeur-adjoint, Institut de relations internationales et stratégiques.

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En outre, celles et ceux qui utilisent sans guère de discernement cette expression renvoient, sans le formuler explicitement, à ce qu’ils considèrent comme le caractère islamiste/islamique du Parti de la justice et du développement (AKP) et donc à une prétendue islamisation de la politique extérieure de la Turquie. Bien que cela fasse référence à d’autres débats, que nous n’avons pas le loisir d’aborder ici (1), il est nécessaire de souligner l’inanité du concept de politique extérieure islamiste, autant que celle de politiques extérieures chrétienne, bouddhiste ou animiste… C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a pas de solidarité musulmane en tant que telle dans le champ des relations internationales.

Le second s’exprime dans l’affirmation répétée de l’existence d’un « modèle turc », qui induit à nouveau un problème de méthode. Il faut tout d’abord manier le concept de modèle dans le champ des relations internationales avec beaucoup de circonspection, les exemples de l’histoire récente ayant toujours accouché de catastrophes politiques.

Ensuite, il est utile de souligner que les dirigeants turcs eux-mêmes, pas plus qu’ils se réfèrent à une politique extérieure néo-ottomane, ne revendiquent ce terme de modèle. Ainsi le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, expliquait-il, dans un entretien accordé à l’Agence France Presse (2), que la Turquie ne se considérait pas comme un modèle mais plutôt comme une source d’inspiration, propos repris par le président Gül en visite au Caire le 3 mars 2011 – premier chef d’Etat à se rendre en Egypte après la démission d’Hosni Moubarak – dans un débat avec de jeunes Egyptiens ayant participé au mouvement de révolte. Au-delà de la formule, il faut s’interroger sur la pertinence du raisonnement. Comment en effet comparer une Turquie qui, depuis des décennies, construit patiemment, certes de façon non linéaire, voire même avec des périodes régressives, un Etat de droit, une démocratie parlementaire et pluraliste, une pratique de l’alternance, avec des Etats qui, pour leur part, n’ont connu jusqu’alors que des régimes autoritaires ou dictatoriaux ? Bien sûr cette expérience peut, et doit, être objet de réflexion et de débat, ce qui est différent. Il est ainsi utile de rappeler les résultats d’une enquête menée par un think tank turc en août et septembre 2010, donc avant le début des révoltes dans le monde arabe, auprès de près de 2 300 individus dans sept pays moyen-orientaux, dont 66 % considéraient que « la Turquie peut être un exemple pour la région »

(1) Voir à ce propos Didier Billion, « Laïcité, islam politique et démocratie conservatrice en Turquie », Confluences Méditerranée, n° 76, hiver 2010-2011, p. 37-49.(2) AFP, 24 février 2011.

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car elle constituait « une synthèse entre islam et démocratie (3) ». Le même think tank, lors d’une nouvelle enquête réalisée entre octobre et décembre 2011, donc après le début de l’onde de choc qui traverse le monde arabe, auprès de 2 300 individus dans seize pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, confirmait l’appréciation avec 67 % sur la même question et plus généralement un taux d’appréciation positive de la Turquie de 78 % (4).

Le troisième thème récurrent s’est incarné à maintes reprises ces dernières années dans la formule « sommes-nous en train de perdre la Turquie ? ». Outre que le « nous » est d’une insupportable condescendance désignant prétentieusement, mais par ellipse, un Occident qui n’ose pas dire son nom et qui se serait accaparé la Turquie. Outre que les puissances occidentales ne sont plus en situation d’imposer leur ordre au reste du monde – nous y reviendrons – les dernières évolutions de la politique extérieure d’Ankara montrent à l’envi que ce pronostic est radicalement erroné. De plus, les relations internationales ne sont pas un jeu à somme nulle, et ce n’est pas parce que la Turquie affirme sa présence et son influence dans son environnement géopolitique qu’elle abandonne pour autant les alliances qu’elle a contractées au cours des décennies précédentes, notamment avec les Etats-Unis.

Le point commun entre ces affirmations et interrogations est qu’elles sont la plupart du temps formulées dans la fièvre de l’écume des événements et sont l’expression d’un défaut de mise en perspective de la politique extérieure turque. Pourtant celle-ci est nécessaire si l’on veut s’interroger sur la pertinence du concept de « nouveauté » dans la diplomatie ankariote. D’autant que les tentatives de réponse à cette question ne sont pas univoques et qu’il est possible, et nécessaire, d’y répondre à la fois affirmativement et négativement.

D’incontestables éléments de « nouveauté » dans la politique extérieure de la Turquie

Affirmativement d’abord, par une conjonction de raisons complémen-taires qui permet de saisir que de multiples nouveautés se conjuguent en effet dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique extérieure d’Ankara.

(3) M. Akgün, S. Senyücel Gündogar, J. Levack, G. Percinoglu, The perception of Turkey in the Middle East 2010, TESEV Publications, Istanbul, 2011.(4) M. Akgün, S. Senyücel Gündogar, The perception of Turkey in the Middle East 2011, TESEV Publications, Istanbul, 2012.

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Tout d’abord, force est de constater que, depuis une vingtaine d’années, la Turquie a connu de considérables évolutions aux niveaux politique, économique, social, sociétal et culturel et qu’elle n’est donc plus la même. Dans ce processus de transformation radicale, il serait pour le moins paradoxal que sa politique extérieure ne se modifie pas.

Ensuite, deuxième paramètre, constatons que, dans la même période, la configuration du monde s’est elle-même considérablement modifiée et que les rapports de force ont radicalement évolué. Bien qu’il soit très rare que la politique extérieure des Etats change brutalement, il n’en demeure pas moins que les adaptations et les inflexions sont nécessaires pour ceux qui veulent agir efficacement sur une scène politique internationale en pleine transition.

Troisième facteur, la Turquie est désormais consciente de son potentiel, ce qui constitue une indéniable nouveauté pour un Etat qui, pendant longtemps, a hésité à s’affirmer sur la scène internationale et régionale. Ankara s’est en effet longtemps contenté de fidèlement remplir sa fonction dans un système d’alliances occidental et a préféré se concentrer sur son propre développement en vertu d’une prudence exacerbée érigée en principe. Cette remarquable évolution de sa propre perception explique la multiplication de ses initiatives politico-diplomatiques au cours des années récentes.

A ce propos, nous pouvons remarquer que ce sont les initiatives en direction du Moyen-Orient qui sont le plus fréquemment évoquées. C’est évidemment essentiel, mais en même temps fort restrictif. Les Balkans, la Russie, le Caucase, l’Asie centrale, le rôle croissant de hub énergétique, l’Afrique sub-saharienne, plus lointainement l’Amérique du Sud et l’Asie sont aussi l’objet d’un intérêt croissant de la part d’Ankara. En ce sens le terme de « diplomatie à 360 degrés » nous paraît totalement justifié, ce qui constitue un véritable élément novateur.

Nouveauté aussi parce que la formule forgée par Ahmet Davutoglu de « zéro problème avec ses voisins (5) », même si elle a conjoncturellement de fortes difficultés à être mise en œuvre – mais elle a toujours été présentée comme un objectif à atteindre dans un environnement compliqué et non comme une réalité déjà atteinte –, ce n’est pas la même chose que

(5) A. Davutoglu, « Turkey’s Zero-Problems Foreign Policy », Foreign Policy, 20 mai 2010.

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« le Turc n’a pas d’autre ami que le Turc » qui a longtemps été un des adages de la politique extérieure turque. Qui ne comprend le changement de paradigme fondamental que cela exprime ?

C’est en fonction de ces évolutions qu’il faut saisir le rôle nouveau de médiateur dont la Turquie cherche à se doter dans de nombreuses crises ou dossiers régionaux délicats. On se souvient ainsi de la facilitation entre la Syrie et Israël en 2008, malheureusement avortée à cause de la très meurtrière opération « Plomb durci » déclenchée par l’Etat hébreu contre la bande de Gaza en décembre 2008-janvier 2009. Moins connu et moins médiatisé fut le rôle de la Turquie qui, au cours de l’année 2010, joua un rôle, parfois déterminant, dans les crises gouvernementales en Irak et au Liban, dans les tentatives de rapprochement entre les organisations palestiniennes, à propos du dossier nucléaire iranien ou encore dans les Balkans entre la Serbie et la Bosnie Herzégovine.

Au titre des paramètres expliquant les novations de la politique étrangère de la Turquie, il faut aussi mentionner l’importance de l’AKP, acteur et produit les profondes transformations mentionnées précédemment, parti décomplexé, pragmatique, voire opportuniste, capable d’une grande réactivité et d’une non moins grande plasticité, parti qui exprime les intérêts de nouvelles catégories sociales qui cherchent à influencer les inflexions de la politique extérieure du pays en fonction de leurs intérêts économiques, concurrents avec ceux de la grande bourgeoisie turque mondialisée. La multiplication des initiatives en direction de pays émergents ou en voie de développement s’explique aussi par ce facteur.

Enfin, dernier paramètre dans cette esquisse non exhaustive : l’institution militaire qui pendant des années a fortement participé à l’élaboration de la politique extérieure, tentant même d’en faire un de ses prés carrés, n’est plus désormais en situation de le faire. Ce que vit la Turquie est la sortie d’une situation de mainmise de l’armée sur la société. A ce stade, on peut considérer que l’institution militaire n’est plus réellement capable d’exercer sa tutelle sur le régime républicain, ce qui constitue une évolution potentielle radicale de la vie politique turque et de l’élaboration de sa politique extérieure.

Ces quelques pistes indiquent la multiplicité des raisons qui explique les inflexions, les adaptations qui, si elles étaient sous-estimées, ne permettraient pas de saisir les dynamiques à l’œuvre. Ces inflexions signifient-elles

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rupture ? Nous ne le pensons pas. C’est pourquoi il est alors nécessaire de placer cette politique extérieure en perspective, car cette dernière s’inscrit dans la longue Histoire, comme c’est le cas pour toutes les nations qui possèdent une forte tradition d’Etat et de pratique diplomatique.

La nécessaire mise en perspective historique pour saisir le cours de la politique extérieure de la Turquie

Nous pouvons considérer qu’une véritable réorientation de la politique extérieure s’est effectuée à partir de 1964 par la diversification multidimensionnelle de ses axes, puis par son autonomisation à l’égard de ses alliés afin de mieux maximiser ses ressources nationales. C’est pourquoi, dès cette date, les dirigeants turcs ne sont plus inconditionnellement alignés sur les Etats-Unis comme ils avaient pu l’être entre 1945-1946 et 1964, c’est-à-dire pendant l’acmé de la Guerre froide. Considérons que cette évolution constitue un élément fondamental pour qui veut tenter de décrypter les évolutions les plus récentes.

Sous l’impulsion de Bülent Ecevit, l’un des deux principaux dirigeants politiques turcs des années soixante-dix, une idée – longtemps restée plus théorique et idéologique que pratique – va officiellement s’enraciner au centre de la réflexion politique nationale. La critique du type de rapports que le pays entretient avec l’Alliance atlantique aux niveaux politique, économique et militaire, va ainsi émaner de l’appareil d’État lui-même et non d’organisations révolutionnaires et anti-impérialistes. Toutefois, les responsables turcs n’ont jamais voulu en revenir à une politique neutraliste, laquelle aurait probablement abouti à une « finlandisation » du pays en raison de la disproportion entre sa puissance économico-militaire réelle et celle de l’URSS.

Les modifications des axes de la politique extérieure n’en sont pas moins essentielles et révèlent la quête de l’affirmation de la Turquie dans le concert international. Cela se manifeste notamment par la réduction de la perception mutuelle des convergences d’intérêts entre la Turquie et l’Alliance atlantique. La difficulté, pour les stratèges, diplomates et politiques turcs, consiste alors à conceptualiser la façon dont leur pays, en tant que puissance secondaire, peut appréhender une nouvelle problématique des questions de sécurité au moment où la perception de la menace soviétique et la crédibilité de la protection assurée par les

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États-Unis sont toutes deux en train de décliner. La volonté turque de réaménager sa relation au système occidental dans le sens d’une plus grande indépendance, sans jamais aller jusqu’à sa remise en cause en tant que telle, est toutefois porteuse de changements significatifs dans l’équilibre régional des forces.

Si l’on ne craint pas de sauter allègrement quelques décennies, on retrouve les mêmes problématiques lorsque, en mars 2003, la Turquie refuse de satisfaire à la demande de George W. Bush de déployer 62 000 soldats sur le sol turc pour attaquer l’Irak par le Nord. Ayant accepté d’être partie aux projets de reconfiguration de la politique étatsunienne au Moyen-Orient élaborée par le président Clinton au cours des années précédentes – d’où les accords de coopération militaire avec l’Etat hébreu signés en 1996 – les dirigeants turcs ne peuvent suivre la politique unilatéraliste fomentée par les néoconservateurs de l’administration Bush. Outre le risque d’accentuation de l’isolement régional de la Turquie qu’aurait constitué l’autorisation du déploiement étatsunien, l’AKP, au gouvernement à Ankara depuis seulement le mois de novembre 2002, ne pouvait s’opposer frontalement à son électorat. Or, tous les sondages effectués à l’époque indiquaient que l’opinion publique était non seulement très majoritairement contre la guerre mais aussi marquée par une forte défiance vis-à-vis de la politique extérieure des Etats-Unis.

Les mois et les années qui suivent ne manquent pas d’étonner plus d’un observateur puisque un spectaculaire réchauffement des relations avec la Syrie et, dans une moindre mesure, avec l’Iran va se manifester, au grand dam des dirigeants étatsuniens qui considèrent ces évolutions, qui plus est avec des pays de l’« axe du mal », pour le moins inquiétantes. Ainsi Paul Wolfowitz déclare : « Je pense que tout ce que la Turquie fait avec la Syrie ou avec l’Iran devrait s’inscrire dans le cadre d’une politique générale établie avec nous et visant à obtenir que ces pays changent leur mauvais comportement (6). »

Ces quelques rappels, loin d’être exhaustifs, ne doivent pas être mal interprétés. Si, par ces décisions, la Turquie indique qu’elle affirme sa souveraineté nationale, cela ne s’opère jamais en rupture avec ses alliances traditionnelles mais dans un rapport critique et dans une volonté de réarticulation desdites alliances.

(6) AFP, 25 juillet 2003.

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Tous ceux qui aujourd’hui s’inquiètent d’un soi-disant tournant par trop exclusif vers les pays culturellement musulmans devraient d’ailleurs se souvenir que la Turquie a adhéré à l’Organisation de la conférence islamique en 1976 au sein de laquelle elle prend une part importante dans les domaines économique et financier, qu’en 1983 et 1984 les importations turques en provenance des pays du Moyen-Orient et du Maghreb sont supérieures à celles provenant de la Communauté économique européenne et que le phénomène est identique pour les exportations turques dans la même région de 1983 à 1985. N’en déplaise aux commentateurs impatients, le retour sur l’Histoire, fût-elle récente, est singulièrement instructif pour mieux hiérarchiser les faits et parvenir à discerner où sont les véritables éléments novateurs de la politique extérieure de la Turquie.

En guise de conclusion temporaire…

C’est à la lumière de ces quelques points de repère que le concept même de « nouvelle politique extérieure » doit être questionné et manié avec précaution. Il vaudrait mieux parler d’évolution que de nouveauté. Les questions sémantiques ont souvent leur importance dans le champ des relations internationales : le concept d’évolution, d’une part, signifie qu’il n’existe pas de bouleversement des paradigmes de la politique extérieure de la Turquie et exprime, d’autre part, la volonté de cette dernière de sans cesse tenter de s’adapter et de s’affirmer dans un environnement international en pleine mutation. Cette évolution s’inscrit pleinement dans la longue quête d’identité de la politique extérieure de la Turquie depuis l’avènement de la République en 1923 (7).

Dans la période actuelle, cette quête d’identité s’inscrit au cœur des nouveaux paradigmes qui commencent à structurer les relations internationales autour de nouveaux axes. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tous les peuples de la planète sont politiquement actifs (8). Les puissances occidentales ne parviennent plus à faire valoir leur hégémonie sur le reste du monde. Désormais leurs valeurs, qu’elles continuent plus ou moins confusément à considérer comme universelles,

(7) Didier Billion, la Politique extérieure de la Turquie : une longe quête d’identité, Paris, l’Harmattan, 1997.(8) Voir à ce propos l’entretien avec Hubert Védrine, « La fin du monopole occidental », New African, septembre-octobre 2009 et plus exhaustivement du même auteur Continuer l’Histoire, Paris, Fayard, 2007.

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ne parviennent plus à s’imposer ni militairement, ni politiquement, ni culturellement. De plus en plus nombreux sont les États qui refusent manifestement de rester sous les fourches caudines du monde occidental. Au-delà de leurs diversités évidentes, les puissances, dites émergentes, s’affirment sur la scène internationale, participent de la diffusion de la puissance et bousculent les équilibres anciens. C’est dans ce cadre que ces Etats affirment leurs ambitions et leur volonté d’un partage mieux équilibré du pouvoir au niveau mondial. En effet, si leur percée économique est déterminante, elle ne suffit pas, et les pays émergents sont conscients de la nécessité de développer des politiques extérieures susceptibles de leur fournir un statut d’acteur à part pleine et entière sur l’échiquier international.

La Turquie est une illustration de ce « bouleversement du monde ». On l’a vu en mai 2010 lors de la signature de l’accord tripartite avec le Brésil et l’Iran, qui proposait une alternative au nouveau jeu de sanctions que le Conseil de sécurité s’apprêtait à voter à l’encontre de Téhéran à propos du dossier nucléaire. Cela, contrairement à ce que d’aucuns ont prétendu, ne signifiait pas un début de rupture d’Ankara avec ses alliés occidentaux mais la volonté de promouvoir un nouvel ordre multilatéral et multipolaire. La réaction n’a pas tardé puisque, le lendemain même, l’encre de la déclaration conjointe à peine sèche, les États-Unis parvenaient à convaincre les membres permanents du Conseil de sécurité de mettre à l’étude un nouveau projet de sanctions. Décision formalisée et soumise au vote le 9 juin suivant. Or, la Turquie, membre non permanent du Conseil de sécurité depuis le 1er janvier 2009, votait, aux côtés du Brésil, contre ce quatrième train de sanctions contre l’Iran. Ainsi la diplomatie turque affirmait une véritable cohérence, même si ce vote allait lui attirer une bordée de critiques plus ou moins acerbes.

Toutefois, la profonde onde de choc qui traverse le monde arabe depuis la fin de l’année 2010 est venue rappeler quelques évidences. Si la Turquie a été surprise par ces révoltes – qui ne l’a pas été ? – et a, dans une première séquence, connu quelques hésitations, il n’a échappé à personne que, sur l’essentiel, elle a adopté une posture politique très proche de ses alliés traditionnels. On peut même considérer que les profondes modifications à l’œuvre dans le monde arabe ont contribué à un resserrement et à une fluidification des relations turco-étatsuniennes qui, nous l’avons vu, avaient été quelque peu malmenées à l’époque des deux mandats de George W. Bush. De ce point de vue, gardons en mémoire l’acceptation par

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Ankara du principe de l’installation sur le sol turc du radar de pré-alerte du bouclier antimissile de l’OTAN actée au sommet de l’OTAN de Lisbonne en novembre 2010 – donc avant même le début des révoltes arabes… Mise en œuvre en septembre 2011, elle indiquait assez clairement que la rupture des fondamentaux de sa politique extérieure n’était pas à l’ordre du jour du calendrier politique d’Ankara. Le même constat peut être formulé à propos de la politique mise en œuvre par la Turquie concernant les turbulences induites par la crise syrienne depuis mars 2011.

Ainsi, dans un contexte d’incontestable montée en puissance régionale de la Turquie, l’un des effets collatéraux des mouvements de contestation dans le monde arabe a été de faire ressortir ses limites, voire ses contradictions. Ankara n’est pas à ce stade un leader régional et ne le revendique d’ailleurs pas comme tel. Cela ramène à leur juste mesure toutes les analyses qui lui attribuent un rôle qu’elle-même ne revendique pas. On peut se demander en outre si sa participation aux initiatives de l’OTAN ne risque pas d’amoindrir son prestige vis-à-vis d’un certain nombre de ses partenaires moyen-orientaux.

On peut donc considérer que la politique extérieure de la Turquie connaît d’incontestables évolutions mais que ces dernières ne constituent pas des ruptures. En ce sens, les inquiétudes formulées il y a quelques années par des commentateurs un peu trop pressés ne sont pas véritablement fondées. Le qualificatif de « nouvelle », non dénué de fondement, ne peut néanmoins être repris dans l’acceptation étroite du terme. La mise en perspective des évolutions de la politique extérieure turque nous fournit de ce point de vue de précieux enseignements. C’est néanmoins la capacité de la Turquie à se trouver à la confluence d’intérêts divergents, ou opposés, qui fait sa force et fonde sa capacité d’attraction potentielle. Le nouveau rôle qu’elle est en train d’acquérir est moins une rupture que l’affirmation des intérêts nationaux d’un pays qui mesure ses atouts.

Au risque de manier le paradoxe, on peut même considérer que l’AKP reprend à son compte certains des axes de la politique extérieure de la Turquie initiée par Mustafa Kemal, à l’époque où le kémalisme n’avait pas été ossifié par nombre de ses épigones. En évoquant cette piste, je m’expose aux mêmes types de critique méthodologique que celle adressée à celles et ceux qui manient le concept de « néo-ottomanisme » avec beaucoup de légèreté. Comparaison est rarement raison, et les contextes sont évidemment radicalement différents, mais la volonté politique d’insérer la Turquie dans le jeu international comme puissance autonome est la même.

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Révoltes et réformes dans les pays du sud la Méditerranée

Professeur Driss KHROUZ

Les bouleversements que des pays de la rive-sud de la Méditerranée vivent depuis janvier 2011 interpellent à plusieurs égards.

Présentées comme un « printemps arabe », en référence aux révolutions qu’avaient connues l’Europe au printemps 1948, les révoltes en Tunisie et en Egypte s’apparentent de plus en plus à des soulèvements complexes, confus, diffus et brouillés dans les relents identitaires.

Avant d’analyser leur contenu, leurs acteurs et leurs portées, il est utile de suggérer quelques pistes de réflexions susceptibles de mieux éclairer leur nature.

Toutes ces révoltes ont explosé dans des pays dominés depuis des décennies par des régimes politiques autocratiques où des clans familiaux règnent sans partage par la violence, la répression, la corruption, la peur et le spectre de l’intégrisme. Il n’est pas étonnant que dans ces pays, comme c’est le cas en général dans tous les soulèvements populaires, la spontanéité affichée ne soit qu’une façade et que les forces apparentes, visibles dans les manifestations, ne soient en fait qu’un voile, un « front office » manipulé et guidé par un « back office » qui détient les rênes des foules et des forces en présence.

Les pesanteurs historiques, religieuses et idéologiques dans ces pays sont de véritables chapes qui ont maintenu ces sociétés sous le poids de pouvoirs autoritaires, illégitimes. Cela ne signifie pas que leurs peuples soient hors de l’histoire, incapables et immatures pour la démocratie, comme cela se dit abusivement.

Ce n’est pas parce que les populations sont dominées, assujetties et méprisées qu’elles n’aspirent pas à la liberté, au respect, à la sécurité, à la dignité et au bien-être.

Après l’Asie et avec les chocs qu’ont connus des pays comme la Chine et la Russie et que connaissent d’autres pays comme le Pakistan,

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Driss Khrouz 56

l’Afghanistan, l’Indonésie et les Philippines ; après la chute du mur de Berlin et l’implosion du monde communiste et après les avancées démocratiques en Amérique latine, l’Afrique et le Moyen Orient ne peuvent plus continuer à évoluer en marge de la mondialisation. Cette extraordinaire diffusion de l’information et de la culture de liberté de parole, de contestation et surtout des droits humains, est une lame de fond universelle qui balaie les uns après les autres, à des degrés différents et selon des niveaux différents, les régimes totalitaires.

Les bouleversements dans les pays du sud de la Méditerranée s’inscrivent dans la même dynamique. Cela constitue un démenti évident à tous les discours sur l’incompatibilité entre ce qui est appelé les « spécificités culturelles du monde arabo-musulman » et les cultures universelles, comme si une civilisation était fatalement et définitivement rétrograde, en soi et en tant que telle.

La revendication de la stabilité et son affichage comme fondement des politiques des régimes totalitaires se sont transformés en cauchemar.

Quand la stabilité devient un leitmotiv qui justifie répression, régression, corruption, censure et autocratie, elle engendre le blocage.

Les sociétés arabes ne sont pas stables, elles sont bloquées, verrouillées.

Dans un environnement mondial, mouvant, contestataire, fluide par l’information et les relais des réseaux sociaux, les verrous sautent brutalement et violemment.

La liberté ne peut exister dans le blocage, en l’absence totale de réformes et de progrès social. Les pays arabes n’ont pas connu de révolution ces deux dernières années, ils ont subi des explosions. Les mots d’ordre revendiqués sur les réseaux sociaux ne renvoient ni à des programmes, ni à des idéologies, encore moins à des projets de société. Cela explique que seules les forces antérieurement structurées contre les régimes en place aient profité des soulèvements de la rue. Les foules, sans programme mais sincèrement révoltées, ont servi de première ligne et de force de frappe.

L’histoire, qui ne marche pas en reculant, nous apprend que les révoltes, comme les révolutions d’ailleurs, ne profitent pas à ceux qui les déclenchent. Elles sont toujours récupérées et instrumentalisées par les réseaux à l’affût, qui sont aguerris par la clandestinité.

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Révoltes et réformes dans les pays du sud la Méditerranée 57

Quand une situation sociale atteint des niveaux de non-retour, les ruptures sont brutales, elles donnent l’impression d’être des accidents et semblent fortuites.

En Tunisie comme en Egypte, les régimes en place, avant janvier 2011, ont atteint des niveaux de déni, de corruption et d’anachronisme tels, qu’il suffit d’un détonateur minime pour que les verrous sautent, et le raz-de-marée social déferle. Ce n’est pas l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi qui est à l’origine de la révolte, elle n’est que l’étincelle alibi qui a précipité l’explosion.

Le contexte mondial, particulièrement depuis l’universalisation du libéralisme et l’implosion du monde soviétique, a diffusé les exigences de liberté et de la culture des droits humains.

La justification de la répression des islamistes par les pouvoirs en place au nom de leur rôle de « pare-chocs contre l’intégrisme » est un argument court et évanescent en l’absence de réformes, de progrès, de justice et de liberté.

Les réseaux sociaux et les moyens technologiques dont ils disposent transmettent, en temps réel et au-delà des distances, toutes les informations, quelles soient vertueuses ou désastreuses. Les mobilisations sociales des jeunes n’ont plus besoin de meetings, de partis politiques ou d’idéologies pour éclater sur les places.

En Tunisie, comme en Egypte et ailleurs, le totalitarisme – autocratique, clanique, corrompu, dans des sociétés bloquées où les crises sociales et le chômage ont trouvé des terreaux féconds dans les transitions démographiques, l’absence de mobilité sociale, les pannes de l’ascenseur social et la scolarisation des jeunes – est devenu anachronique et obsolète.

Les mouvements islamistes – inspirés et encadrés par l’internationale islamiste politique Wahabite, Jihadiste ou Chiite – financés par les pétrodollars de même source ont largement diffusé leur morale et leur version du jihad, en guise de projet de société et de programme politique. Le monde d’après le 11 septembre 2001, les guerres sans fin en Afghanistan et en Irak ont largement vulgarisé pour l’islam les valeurs de jihad et de mort. Cette exorcisation de la mort a vaincu la peur. Toutes les limites ont reculé. Les jeunes ont vaincu la peur et le mépris. Cette culture du refus dans des sociétés bloquées explique en grande partie ce qui s’est passé.

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Ces jeunes qui ont manifesté sans peur en Tunisie et en Egypte n’avaient pas de leader, pas d’idéologie. Leurs slogans sont puisés dans les réseaux sociaux mondiaux, leurs drapeaux et mots d’ordre sont la revendication de la dignité, de la liberté, de la justice et du bien-être. Aussi bien en Egypte qu’en Tunisie, les réformes économiques entamées, l’afflux des touristes et des investissements étrangers ont créé une illusion de stabilité, avec l’adhésion de la population. Le discours justificatif étant que le peuple a besoin seulement de travail, d’enseignement, de logement et de sécurité. La démocratie et la pauvreté, dit-on, ne sont pas compatibles entre elles. La richesse matérielle créera par elle-même les conditions du libéralisme économique et politique. Le peuple a besoin d’abord de pain et de paix, dit-on.

Comme si la stabilité imposée allait créer à elle seule la richesse.

L’analyse des faits sociaux et religieux depuis l’émergence du protestantisme – avec Luther et Calvin et depuis l’échec de la Renaissance en Egypte avec Mohamed Abdou et Djamal al-Din al-Afghani, sans remonter jusqu’à Ibn Maïmoun et à Ibn Rochd – nous apprend que les populations qui sont coincées dans les pressions de la survie se soumettent au totalitarisme. En même temps, quand le poids des populations pauvres est dominant dans une société, celles-ci cèdent vite aux discours et aux rhétoriques des populistes et des moralisateurs.

Les attentes crées par ces illusions de changement et de « paradis acquis » tournent vite au désenchantement face aux réalités économiques difficiles et aux attentes portées au paroxysme par les promesses populistes.

Les révoltes en question signifient qu’en l’absence de réformes politiques et institutionnelles et sans la force du droit et de la justice, les réformes économiques s’épuisent, minées par les inégalités sociales, les privilèges, la corruption et la marginalisation de larges couches de la population, des jeunes en majorité.

La spontanéité de leurs mouvements, qui est leur force, est vite devenue leur faiblesse. Seules les forces politiques et sociales organisées sont capables de récupérer les révoltes et les canaliser.

Des partis et mouvements politiques en Egypte et en Tunisie ont une longue histoire d’expériences politiques et de luttes pour la liberté, la démocratie et l’émancipation de la femme. La nature des régimes

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politiques d’Anouar Essadat puis Hosni Moubarak et de Ben Ali ont segmenté les forces sociales pour les affaiblir. Les frères musulmans en Egypte et la mouvance Annahda en Tunisie, utilisés pendant les années soixante-dix – quatre-vingt contre les groupes se revendiquant de la gauche mais maintenus en état de faiblesse et à la marge, ont su maintenir leur lame de fond à l’intérieur et surtout à l’extérieur grâce aux appuis des régimes islamistes proches. Le rôle des Etats-Unis d’Amérique et de l’Europe, au nom de la liberté d’opinion et d’expression pour le soutien des mouvements islamiques, est loin d’être une simple position de principe.

Les bouleversements politiques et culturels qui se sont produits et qui continuent en Tunisie, en Egypte, en Lybie, en Syrie et au Yémen augurent probablement de longues périodes d’instabilité dans toute la région.

Les révoltes ont réveillé toutes les revendications réprimées et refoulées. Les rapports de forces en présence vont donner lieu à des règlements de compte et à des recherches de positionnement et de repositionnement réciproques. Dans certains pays comme l’Egypte, deux acteurs majeurs canalisent les enjeux : l’armée d’un côté et les frères musulmans de l’autre.

La stabilité régionale, la nécessaire maîtrise des voies d’approvisionne-ment en pétrole et gaz naturel sont les variables-clefs dans la géostratégie en mouvement. La sécurité de la Jordanie, des monarchies du Golfe et surtout d’Israël sont des paramètres essentiels dans la présence en éveil des Etats-Unis d’Amérique. Le poids de l’Iran et de la puissance turque émergente donnent à toutes ces mutations une dimension mondiale par excellence. Les rivalités et de plus en plus la guerre d’influence entre le chiisme et le sunnisme poseront de nouvelles questions. Une nouvelle ère d’instabilité s’ouvre.

Le « printemps arabe » est bel est bien une régression culturelle et politique. La liberté a perdu en échange. Le retour des communautarismes, des clochers et des sectes est une menace évidente. Les femmes, les laïques, les démocrates, les minorités religieuses (particulièrement les chrétiens d’Orient, les premiers habitants de ces pays), vont sûrement subir les affres de l’instrumentalisation et de la politisation revancharde et inculte de ceux qui veulent s’approprier l’islam.

Si une seule leçon était à tirer de tous ces soulèvements populaires, c’est que l’islam ne peut pas être laissé entre les mains de mouvements sans

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culture et sans connaissance, historique, philosophique et sociologique approfondie, des religions et de l’humanité.

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L’islam politique au Maroc à la lumière du printemps arabe :

Défis et perspectives

Fouad M. AMMOR *

Le printemps arabe, expression de l’existence et de la vivacité de l’opinion publique arabe, a montré sans ambages que la composante religieuse représente, sans aucune prétention à l’omniscience ou omnipotence, un des constitutifs majeurs de la culture arabe.

En effet, dans les sociétés arabo-musulmanes dont le Maroc, l’islam est une source essentielle de légitimité politique. Le contrôle du champ religieux apparaît, par conséquent, comme une nécessité pour ces régimes en quête de stabilité et de légitimation (1). Le Maroc jouit d’une culture religieuse profonde et diverse dans ses manifestations (soufisme, confréries, zaouïas, maraboutisme) (2).

En effet, au Maroc, l’islam politique (3) est traversé par trois tendances :

1. Un courant minoritaire constitué par les salafistes purs et durs (« islam radical »). Ce mouvement reste fortement minoritaire et peu présent dans la société marocaine.

2. Un courant contestataire de l’ordre établi et voulant instaurer un Etat islamique au Maroc. Il est représenté par le mouvement politique « al Adl wal Ihsane » (Justice et Charité) de Abdeslam Yassine. Ce mouvement s’active dans une organisation « illégale » et disposant de nombreux militants actifs. Il fait montre d’une grande capacité de mobilisation.

* GERM-Maroc, [email protected], [email protected](1) Hassan Zouaoui « La régulation politico-institutionnelle du champ religieux au Maroc », Université de Paris I, la Sorbonne (France), Cahiers politiques, n° 4, janvier 2011. (2) Mohammed Tozy, le Maroc actuel : une modernisation au miroir de la tradition ?, Paris, éd. du CNRS, 1992.(3) L’islam politique est entendu ici comme l’usage sinon l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques.

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3. Un courant modéré, comptant 42 députés depuis 2002, contre 14 en 1977, représenté par le Parti de la Justice et du Développement (PJD). Aujourd’hui, le PJD assume la responsabilité gouvernementale avec 3 autres formations politiques (Parti de l’Istiqlal, Parti du Progrès et du Socialisme et le Mouvement Populaire). Depuis son congrès de 2004, le PJD a confirmé sa stratégie « d’institutionnalisation négociée et consensuelle dans le champ politique marocain ».

La dialectique de l’ouverture du champ politique aux acteurs de la mouvance islamique au Maroc, d’une part, et le processus de refondation idéologique au sein de cette mouvance, d’autre part, a permis une meilleure compréhension/entente entre le Makhzen(4) et cette mouvance. Suite aux attentats terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, le mouvement a vécu des moments difficiles. Il a même été désigné du doigt comme assumant une part de responsabilité dans ce qui s’est passé, dont notamment la quarantaine de victimes qui ont péri lors de ces attentats. Ce mouvement a eu l’intelligence de faire profil bas le temps que toute cette crispation passe.

Trois facteurs expliquent l’ascension du PJD au Maroc :

1. Une volonté exprimée clairement par le PJD de faire clairement la distinction entre la religion et la politique. Dans son idéologie actuelle, la lutte contre la corruption et l’injustice (5) constitue le point fort de son programme ;

2. Le printemps arabe a montré la fragilité possible et/ou réelle des régimes en place. Ce qui les a obligés à lâcher du lest. Au Maroc, la réforme constitutionnelle et l’ouverture du champ politique à l’islam politique furent précipitées par ce printemps arabe (6) ;

3. La perte de vitesse des partis dits traditionnels, de droite comme de gauche, a catapulté au premier plan de la scène politique le PJD qui reste, in fine, vierge politiquement parlant dans la mesure où il n’a jamais assumé de responsabilité institutionnelle par le passé.

(4) Le Makhzen entendu ici comme composé par le roi et son cercle restreint (le sérail). (5) « La mise en œuvre des préceptes religieux passe par la loi, sinon le reste relève des positions individuelles. » Cette position légaliste est mise en avant par les leaders du PJD dans leur nouveau programme électoral. (6) Certains n’hésitent pas à dire, avec une note d’humour, que selon le calendrier arabe, on a en fait deux printemps (Rabia premier (Aouall) et Rabia II (Thani) signifiant par là que ce processus enclenché en 2010 reste, somme toute, ouvert à tous les possibles.

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Le PJD : parti islamique majoritaire : histoire d’une genèse

L’islam politique au Maroc a commencé avec l’expérience de la Chabiba islamiyya (littéralement, la jeunesse islamique) au début des années 70, un mouvement clandestin dominé par une tendance révolutionnaire. Ses leaders furent poursuivis en justice comme étant les acteurs de l’assassinat en 1975 du journaliste et théoricien militant socialiste Omar Benjelloun. Cet événement se solde par l’arrestation d’un des leaders du mouvement (Kamal Ibrahim) et l’exil du chef de Chabiba (Abdelkrim Moutii‘).

Durant les années soixante-dix, le Makhzen a même encouragé certaines associations de prédication islamique à s’activer au sein du mouvement estudiantin afin de contrer la gauche marocaine qui était syndicalement dominante. Il y a eu des tentatives d’instrumentalisation de ce mouvement islamiste, encore embryonnaire à l’époque, par le ministère de l’Intérieur afin de faire contrepoids aux mouvements de gauche.

Le champ de prédilection du débat idéologique du mouvement n’est autre que les campus universitaires, et les thématiques de discussion étaient liées fondamentalement aux valeurs véhiculées par l’enseignement et au contenu des manuels scolaires. Le mouvement est resté tiraillé entre la direction résidant à l’étranger et le groupe des militants vivant au Maroc (7).

La première participation de ce mouvement islamique aux élections législatives a eu lieu en 1996 par le truchement d’un parti politique légal, le Mouvement populaire démocratique et constitutionnel. Celui-ci a remporté 7 sièges au parlement. Ce n’est qu’une année plus tard (1997) qu’il se constitua en tant que PJD.

Le débat au sein du mouvement (la Chabiba islamiyya) engendra un schisme à partir duquel un groupe décida de sortir de l’anonymat en fondant en 1983 l’association Jamaa Ismaliyya. Ce groupe auquel appartient l’actuel chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s’est distancé de la violence et a décidé de s’ouvrir aux autres forces du champ islamique.

De 1987 jusqu’en 1990, un débat intense s’est déployé au sein de la Jamaa Islamiyya pour préciser l’orientation politique de ce mouvement.

(7) Bilal Talidi, « Les islamistes et le printemps arabe » (en arabe), in nama-center-com 2012.

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De ce débat est sorti un Waraka Siassia, une sorte de plateforme politique dans laquelle la ligne politique fut précisée.

En 1990, le groupe décida de participer au jeu politique du pays. Dorénavant, les slogans tournaient autour de la perspective fondatrice du religieux à la fois à l’échelle de l’individu et de l’Etat. Dans son évolution, le mouvement, qui prit la forme de parti politique en 1997, est passé d’un discours fortement moralisateur (daawa) à un discours véritablement politique où les questions de la démocratie et de la gestion des affaires publiques commencent à se préciser.

L’idéologie du PJD : Soft islamisme ou Wassatiyya (modération)

Trois périodes caractérisent l’évolution de l’idéologie du PJD.

La première est celle qui peut être qualifiée de « putschiste ». En effet, de 1970 à 1975, la Chabiba islamiyya durant les années de plomb au Maroc (1962-1998) s’est radicalement positionnée par rapport au régime politique, aux partis politiques et à la pratique de l’islam. Elle a considéré que le régime était altéré et « areligieux », les partis politiques de simples pions entre les mains du pouvoir et la pratique de l’islam loin de la norme et du référent islamique. La seule réponse ne pouvait être qu’un coup d’État. La structure organisationnelle de la « Jeunesse islamique » était fortement hiérarchique, avec un rôle omniscient de son chef qui y disposait de tous les pouvoirs.

La deuxième période peut être nommée l’« idéologie participative ». Elle débute avec l’assassinat du leader socialiste Omar Benjelloun en 1975 : la Jeunesse islamique fut accusée par le pouvoir et les partis de gauche d’être derrière cet assassinat. Le chef du mouvement (A. Moutii’) s’est exilé à l’étranger. En 1981 et après une période de flottement, la Jeunesse islamique a connu une scission, d’où la constitution de la Jamaa Islamiyya (la communauté islamique), ancêtre du PJD. L’idéologie sous-jacente de la Jamaa fut de rompre avec le radicalisme islamique et de réfléchir à participer au jeu politique en rompant avec la clandestinité. Un débat intense a jalonné entre 1987 et 1990 le parcours de la Jamaa, à l’issue duquel une sorte de manifeste politique est sorti (waraqa siyasiya). Les principales idées de cette nouvelle ligne politique tournent autour du

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fait que la participation politique est le meilleur moyen d’impacter la vie politique du pays, la légalisation de l’organisation lui permettra de mieux contacter les gens et de faire la daawa. Cette nouvelle ligne politique a été adoptée en 1990.

La troisième phase commence à partir de 1990 et continue jusqu’à nos jours. L’idéologie qui y domine peut être qualifiée d’« idéologie conciliatrice ». Certains y voient une négation des principes islamiques de ce mouvement. La mise en œuvre de cette option politique impose un certain nombre de conditions : notamment la création d’un parti ou, à défaut, l’alliance avec un parti existant. Aussi, dans la mesure où il s’est vu interdire la constitution de son propre parti politique (Parti du renouveau national), le mouvement a intégré le Parti du mouvement populaire démocratique constitutionnel qui fut dirigé par un grand monarchiste, Abdelekrim El Khatib. Cette alliance a duré peu de temps avant que le PJD ne soit légalisé comme parti politique. Depuis 1997, le nouveau parti a évolué dans sa conception de la politique et de la religion et surtout de la nature du rapport entre les deux instances.

Progressivement, l’option politique du PJD commence à se préciser. Pour dépasser l’ambivalence entre le politique et le religieux, le mouvement a eu l’intelligence de se constituer en entité fonctionnellement bicéphale : le religieux est géré par l’association appelée le Mouvement pour l’Unicité et la Réforme (MUR) s’occupant de l’éducation et de la formation religieuse, alors que les questions proprement politiques sont gérées par le parti, le PJD, où la religion reste à l’arrière-plan, et qui constitue le cadre des choix stratégiques d’ordre politique, social, syndical et culturel.

Par rapport au printemps arabe, le PJD, qui a refusé de rejoindre le Mouvement de 20 février, a bien exploité ce contexte critique pour négocier son positionnement politique. Sa non-participation officielle (certains de ses leaders y ont pris part à titre personnel) au M20F ne s’est pas faite sans mettre en exergue l’urgence des réformes constitutionnelles. Les résultats des élections législatives de 25 novembre 2011 ont corroboré la manière de faire de la politique par le PJD.

Par ce rappel historique, il s’avère que le PJD n’a rien à voir avec l’idéologie des « Frères musulmans » d’Egypte et l’idéologie du Hamas. C’est à partir de l’avènement du gouvernement d’alternance de 1998,

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présidé par le leader socialiste Abderrahmane Youssoufi, que le mouvement islamique a gagné en popularité.

Aux élections législatives de 2011, le PJD se veut être le seul parti et la principale force d’opposition crédible ; les autres formations politiques, proches du pouvoir, avaient peu de légitimité aux yeux d’une bonne partie de la population marocaine. La popularité du PJD s’explique aussi par sa participation caritative et son travail sur le terrain social qui s’est avéré très productif politiquement.

Le PJD n’a pas hésité à s’approprier le référentiel démocratique. Selon lui, il n’y a pas de contradiction entre la démocratie et la culture islamique. Il fait montre d’un grand pragmatisme en acceptant le pluralisme économique et social. Même si le religieux reste la dimension fondatrice de l’individu, de la famille, de la société et de l’Etat, pour lui le changement doit émaner de la légalité.

Les perspectives de l’islam politique au Maroc

Au Maroc, l’influence politique et sociale de cet islamisme de la wassatiya (voie médiane) lui confère une fonction de stabilité et de rempart contre de l’extrémisme (8). Le pouvoir a bien vu qu’intégrer une force politique bien ancrée dans la société marocaine dans un contexte marqué par la précarité de larges couches sociales (avec une nette volonté de ne pas répéter l’exemple algérien) est une opération gagnante. De ce fait, cela permet d’isoler relativement cet autre mouvement islamiste radical (Adl walihsane) (justice et charité) qui remet en cause la monarchie.

En guise de conclusion, un certain nombre d’interrogations restent posées :

1. Le PJD, pourra-t-il résister au rouleau compresseur du pouvoir marocain et surtout du Makhzen. Si on se fie à la fois à la théorie (J. Waterbury, le Commandeur des croyants ; R. Levau, le Fellah défenseur du trône, entre autres) et à la pratique (déglutition du parti de gauche l’Union socialiste de forces populaire, suite à sa participation quasi inconditionnelle au gouvernement d’Alternance de la fin des années

(8) Gema Mart’n Muñoz, « L’islamisme réformiste marocain, l’influence politique et sociale de l’islamisme réformiste fait de lui un facteur de stabilité du pays et de la lutte contre l’extrémisme » in AFKAR/IDEES, été 2004.

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quatre-vingt dix), ce serait une prouesse sans précédent si ce parti sortait indemne de cette aventure !

2. Le PJD par ses alliances dans le gouvernement actuel (parti de l’Istiqlal, parti du Mouvement Populaire et surtout Parti du progrès et du socialisme) n’est-il pas entrain de perdre (ou de gagner) son âme ? Sa marge de manœuvre est fortement limitée et ce, à plusieurs niveaux : économique (le déficit, le chômage, la précarité...), politique (résistance des groupes de pression et des potentats de la rente)... Les positions politiques du PJD poussent certains à voir en lui un parti en train de faire trop de concessions! Ce parti saura-t-il traduire ses convictions islamiques dans des formulations politiques tout en respectant les engagements internes et internationaux ?

3. La moralisation de la vie politique – cheval de bataille du PJD à la fois lors de ses campagnes électorales et dans son discours politique tout court – aura besoin du soutien d’autres formations politiques marocaines mais aussi d’acteurs externes (Union européenne et Etats-Unis d’Amérique). Si cette expérience ne réussit pas, elle ouvrira probablement la voie à une radicalisation non pas seulement des mouvements islamistes mais aussi d’une bonne partie de la population marocaine qui nourrit de grands espoirs en la capacité dont dispose ce gouvernement pour ramener le paradis sur terre.

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Axe IIFonction consultative et rôle

du Conseil économique et social dans les pays méditerranéens

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CEsE et seconde chambre du parlement au Maroc : quelle articulation ?

Abdelouhab MAALMI

Ce n’est que lors des révisions constitutionnelles intervenues en 1992 et 1996 que le Maroc s’est vu doter d’un Conseil économique et social, d’abord, et d’une seconde chambre (Chambre des conseillers) au parlement, ensuite. Ces deux révisions s’expliquent largement par le contexte politique d’alors au Maroc. Outre l’exacerbation des conflits sociaux suite à une dure décennie des années 80 marquée par la fameuse PAS (politique d’ajustement structurel), le pouvoir et l’opposition (la Koutla démocratique) étaient, depuis la fin de la guerre froide, en discussions difficiles en vue des réformes constitutionnelles, politiques et sociales, et une éventuelle participation de celle-ci au gouvernement. L’institution du CES en 1992 répondait ainsi à l’exigence de la mise en place d’une structure de dialogue social que des problèmes sociaux aigus rendaient indispensable. Quant à la création d’une seconde chambre au Parlement en 1996, elle incarnait la réponse du Roi feu Hassan II à la revendication par l’opposition de l’élection de la totalité des membres de la Chambre des représentants, alors chambre unique, au suffrage universel direct, et la suppression du tiers qui, élu au suffrage indirect, était réservé à la représentation des catégories socioprofessionnelles et des communes. Celles-ci vont être désormais représentées dans la seconde chambre.

Toutefois, la mise en place effective du CES va attendre dix-neuf ans avant de se réaliser. La loi organique portant organisation de l’institution et le décret d’application n’ont vu le jour respectivement qu’en mars et juin 2010. L’installation officielle du CES, elle, n’est intervenu qu’en février 2011. Entre-temps, des évolutions ont eu lieu. Il y a eu d’abord le discours du 9 mars 2011, où le Roi Mohammed VI annonce une révision globale de la Constitution de 1996, puis le discours du 17 juin, où il présente au peuple les grandes lignes du projet de révision constitutionnelle élaboré par la commission désignée à cet effet, et, enfin, le nouveau texte de la Constitution adopté par référendum le 1er juillet 2011. Dans le discours du 9 mars, le Roi pose le principe, entre autres, d’une recomposition de la

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seconde chambre dont la caractéristique principale sera la « consécration de sa représentativité territoriale des régions ». Tandis que dans son discours de février 2011, prononcé à l’occasion de l’installation du CES, il précise en quelque sorte la “philosophie” selon laquelle devrait fonctionner la nouvelle institution. Mais la nouvelle Constitution a, d’un côté, gardé l’ancienne composition de la seconde chambre, et ce sur insistance des organisations syndicales et patronales tel que l’a justifié le Roi dans son discours du 17 juin, et, de l’autre, modifié la dénomination du CES qui devient CESE (Conseil économique, social et environnemental), comme en France.

Conçu avant ces évolutions, pour la rencontre annuelle du GERM qui s’était tenue en janvier 2011 à Rabat, ce travail se proposait d’un côté, d’analyser les rapports entre le CES et la seconde chambre et, de l’autre, de se demander si l’existence à la fois d’un CES et d’une seconde chambre dans la Constitution de 1996 ne créait pas une certaine redondance et n’imposait pas par conséquent une réforme de celle-ci. Or, la réforme que nous préconisions était celle-là même qui avait été retenue dans le discours royal du 9 mars évoqué plus haut, ce qui allait rendre une bonne part de notre appréciation critique pratiquement sans objet ; mais en maintenant la même composition de la Chambre des conseillers que dans l’ancienne Constitution, le nouveau texte constitutionnel rétablit la validité de nos analyses d’origine.

Aussi, on exposera, dans un premier temps, les rapports entre la seconde chambre et le CESE tels qu’ils ressortent des textes y afférents, et on examinera, dans un second temps, la problématique que pose le maintien de l’ancienne composition de la seconde chambre, vu la mise place en du CESE et le rôle qui lui est assigné.

Les rapports entre le CEsE et la seconde chambre

Bien que la révision constitutionnelle de 2011 ait atténué le bicaméralisme quasi égalitaire instauré par la Constitution amendée de 1996, les rapports du CESE avec la seconde chambre demeurent les mêmes qu’avec la première chambre. Ils se situent au double niveau des fonctions et de la composition du CESE.

Les rapports au niveau des fonctions du CEsSelon l’article 152 de la nouvelle Constitution, le CESE peut être

consulté à la fois par le gouvernement, la Chambre des représentants et la

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Cambre des conseillers sur toutes les questions à caractère économique, social et environnemental. Le règlement intérieur de la Chambre des conseillers prévoit en son article 324 que celles-ci et ses commissions peuvent consulter le CES (CESE) sur les questions relevant de ses attributions. Mais c’est la loi organique (n° 60-90, mars 2010) portant organisation du CES (CESE) qui détaille le mieux ces rapports :

– La Chambre des conseillers (au même titre que la Chambre des représentants et le gouvernement) est tenue de soumettre pour avis au CES (CESE) tout projet ou proposition de loi-cadre traçant les objectifs fondamentaux de l’Etat dans les domaines économiques et de la formation ainsi que les projets fixant les grands choix et stratégies dans ces mêmes domaines (art. 3).

– La Chambre des conseillers a la faculté de demander avis au CES (CESE) à propos de projets et propositions de loi qui lui sont soumis en matière économique, sociale, environnementale et de formation. Elle peut saisir directement le Conseil par l’intermédiaire de son président (art. 4).

– Le CES (CESE) est tenu d’informer la Chambre des conseillers d’une auto-saisine tendant à donner son avis, faire une proposition ou effectuer une étude ou une recherche sur une question relevant de ses attributions (art. 6).

– La Chambre des conseillers est tenue de fournir au CES (CESE) qui les demande, les informations, documents et données que celui-ci juge nécessaires pour accomplir sa mission (art. 8).

– La Chambre des conseillers doit informer le CES (CESE) de la suite qu’elle a donnée aux avis reçus de celui-ci, que ce soit à sa demande ou sur initiative du Conseil (art. 9).

– Les membres des commissions permanentes de la Chambre des conseillers peuvent assister à titre d’observateurs à l’Assemblée générale du CES (CESE), après en avoir informé le président de celui-ci. Ils peuvent être entendus soit par Assemblée, soit par les commissions du CES (CESE) (art. 27).

De ce qui précède il semble que soient les rapports entre les deux institutions semblent très étroits, non seulement au nom du bicaméralisme égalitaire voulu par l’ancienne Constitution de 1996, mais du fait aussi et surtout du caractère économico-social prépondérant de la seconde chambre, ce qui établit une proximité évidente de celle-ci avec le CES (CESE).

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Outre les fonctions du CES (CESE), ces rapports apparaissent également au niveau de sa composition.

Les rapports au niveau de la composition du CEs

Institution constitutionnelle consultative et non élue, tous les organes politiques supérieurs de l’Etat (roi, gouvernement, parlement) participent à la désignation des membres du CES (CESE). Ainsi, sur les 99 membres que compte celui-ci (en plus du président), le président de la Chambre des conseillers en nomme 16 (à égalité avec la Chambre des représentants), représentant les syndicats, les organisations et associations professionnelles ainsi que les organisations et associations de la société civile. Mais c’est un décret du Premier ministre qui, sur la base d’une coordination préalable avec les présidents des deux chambres du Parlement, fixe la liste des formations syndicales, professionnelles et de la société civile qui sont habilitées à être représentées au CES (CESE) ainsi que le nombre des représentants imparti à chaque formation. Les organes de désignation (Premier ministre, présidents des deux chambres parlementaires) ont en plus, en vertu du décret d’application de juin 2010, la possibilité de choisir entre les deux candidats que chaque formation se voit obligée de présenter pour chaque siège à pourvoir.

Si tels sont les rapports entre la seconde chambre du Parlement et le Conseil économique, social et environnemental, on peut se demander si ces deux institutions ne font pas double emploi, si elles ne sont pas concurrentes, au point soit de rendre inutile la Chambre des conseillers, soit, au contraire, de condamner le CES (CESE) à n’être, à la longue, qu’un organe marginal, comme cela a été le cas du CES français avant la réforme de 2008.

CES et seconde chambre : complémentarité ou redondance ?

Pour répondre à cette question, il nous faut comparer les deux institutions au double niveau de leurs missions et de leur représentativité respective.

Au niveau des missionsLa création d’un Conseil économique et social au Maroc n’est pas

en soi originale, car c’est là un phénomène général depuis la Seconde

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Guerre mondiale, qui traduit une idée de progrès et qu’expriment au niveau des Nations Unies à la fois la création d’un Conseil économique et social (Ecosoc), un des cinq ou six organes principaux de l’ONU, et l’adoption en 1966 du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels. La multiplication des CES dans le monde, à l’image de l’Ecosoc onusien, a conduit même à la création de l’Association internationale des CES dont le siège est à la Haye, tandis que se tiennent depuis la Déclaration de Barcelone de 1995 des sommets annuels Euromed des CES et institutions similaires du bassin méditerranéen.

C’est pourquoi l’institution du CES en 1992 au Maroc a été bien accueillie, tandis que l’a été bien moins celle de la seconde chambre en 1996. Le CES a été vu comme un nouvel espace d’expression des catégories socioprofessionnelles et de la société civile, alors que la seconde chambre a été considérée comme visant à constituer un frein ou un contrepoids à la première chambre, expression directe de la volonté du peuple.

La Constitution (de 2011, comme celle de 1996) et la loi organique (de mars 2010) attribuent au CES (CESE) la triple mission de conseiller le gouvernement et le Parlement, d’éclairer les pouvoirs publics ainsi que l’opinion publique sur les questions relevant de ses compétences et de promouvoir le dialogue social et la coopération entre les partenaires économiques et sociaux. Précisant encore plus ces missions dans son discours lors de l’installation du CES le 21 février 2011, le Roi insiste sur la promotion de la bonne gouvernance en matière de développement, sur le dialogue constructif, sur les études de prospective et, dans l’immédiat, sur l’élaboration d’une nouvelle charte sociale en vue d’édifier un « environnement sain pour gagner les paris liés à la modernisation de l’économie, au renforcement de sa compétitivité et à la dynamisation de l’investissement productif ».

A l’origine, dans l’entre-deux-guerres en France, l’idée d’un conseil économique et social visait à créer une structure d’aide à la décision des pouvoirs publics en matière économique et sociale. Puis, sous la 5e République et jusqu’à la réforme de 2008, le but était à la fois d’en faire une structure de conseil pour le gouvernement et un instrument de paix sociale. Mais depuis la révision constitutionnelle de 2008 et afin de sortir le CES français (devenu CESE) de sa marginalité et de sa léthargie, ses saisines (désormais il peut être consulté autant par le gouvernement que par les deux chambres du Parlement), sa composition ainsi que son champ de

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compétences ont été étendus. Aussi le CESE français est-il désormais appelé à être un lieu à la fois d’expression la plus fidèle des forces économiques, sociales et culturelles du pays, de consensus et de réflexion et de diffusion discrète auprès des pouvoirs publics des idées demandant du temps pour se concrétiser. C’est la même conception qui semble animer le CES (CESE) marocain, notamment après le discours royal de février 2011.

Quant à la seconde chambre, elle est une structure politique et un lieu de décision. Elle légifère et contrôle l’action du gouvernement. De par son mode d’élection, sa composition et la durée de son mandat, elle a pour mission aussi de modérer ou, le cas échéant, de contrebalancer l’action de la première Chambre. Aussi, au niveau de leurs missions, le CES (CESE) et la chambre des conseillers sont deux institutions a priori différentes. Mais rien ne garantit que le CES (CESE) ne puisse glisser vers un forum qui reproduirait les confrontations politiques propres au Parlement. C’est probablement le sens de l’avertissement exprimé par le Souverain dans son discours de février 2011 précité, quand il a déclaré : « Nous ne sommes nullement disposé à laisser ce Conseil se muer en une sorte de troisième chambre. » Auquel cas, peut-être, les pouvoirs publics cesseraient de recourir à ses conseils, et le CES (CESE) tomberait dans l’oubli.

Au niveau de la représentativitéDepuis la première expérience parlementaire (1963-1965) et dès

la Constitution de 1962, le souci a été constant au Maroc de réserver aux catégories socio-économiques et professionnelles une certaine représentativité au Parlement à côté des collectivités locales, soit dans la seconde chambre de la Constitution de 1962 et celles amendées de 1996 et 2011, soit dans la Chambre unique des Constitutions révisées de 1970, 1972 et 1992. La raison était sans doute à l’origine politique : tempérer les effets du suffrage universel direct. Mais aussi du fait que le Maroc n’avait pas de CES, et quand il l’a institué en 1992, il a attendu longtemps avant de le mettre sur pieds. Toutefois, maintenir la représentativité des catégories socioprofessionnelles dans la seconde chambre des Constitutions révisées de 1996 et 2011 malgré l’existence du CES (CESE) crée probablement une redondance entre les deux institutions. Cela rappelle le projet avorté de réforme du Sénat français proposé en 1969 par le général de Gaulle qui, afin de le diminuer, visait à transformer ce dernier en un super-conseil économique et social.

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La nouvelle Chambre des conseillers dans la Constitution révisée de 2011 (art. 63) est moins nombreuse (entre 90 et 120 membres), a moins de pouvoirs (elle ne peut plus renverser le gouvernement) et est élue au suffrage universel indirect non plus pour neuf (avec renouvellement par tiers tous les trois ans), mais pour six ans. Elle est ainsi composée pour les trois cinquièmes de représentants des collectivités territoriales et pour les deux cinquièmes de représentants des chambres professionnelles, d’organisations patronales et de salariés. Le CES (CESE), quant à lui, dans sa formation actuelle, outre les membres de droit et ceux désignés par le roi, est composé de représentants de 5 syndicats, 24 organisations professionnelles (entreprises, employeurs, patronat, chambres professionnelles) et 16 organisations issues du tissu associatif, coopératif et mutualiste (à l’exception d’aucune représentation territoriale au titre d’activités économiques et sociales comme en France). Il s’agit donc d’une duplication partielle par rapport à la seconde chambre. Cela peut présenter des inconvénients pour les deux institutions :

– Pour la seconde chambre, le CES (CESE) peut apparaître comme un concurrent. C’est d’ailleurs sur cette base que d’aucuns demandent la suppression de la Chambre des conseillers et de revenir au monocaméralisme d’antan.

– Pour le CES (CESE), il y a risque de télescopage en son sein de deux logiques antinomiques : celle, politique, de la seconde chambre et celle, consensuelle, du CES (CESE). La première risque de l’emporter sur la seconde et de transformer ainsi le CES en une troisième chambre, comme a prévenu le Roi.

Ces appréhensions auraient pu n’avoir plus aucune raison d’être si la dernière révision de la Constitution s’en était tenue aux termes du discours du Roi du 9 mars 2011 proposant de consacrer la seconde chambre à la seule représentativité des régions, comme cela est le cas en général dans les pays de tradition démocratique. Cela aurait été en parfaite adéquation avec le nouveau statut de la région au titre de la régionalisation élargie consacrée par la nouvelle Constitution révisée de 2011. Mais, aux termes du discours du Souverain du 17 juin 2011, il semble que ce soient les centrales syndicales qui cette fois, probablement dans un souci d’autonomie plus grande par rapport aux partis politiques, ont insisté pour que soit maintenue leur représentation an niveau de la seconde chambre. Ainsi celle-ci garde-t-elle l’une de ses fonctions initiales depuis 1962,

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celle d’assurer la représentativité politique des forces socio-économiques, notamment patronales et professionnelles, comme contrepoids aux forces politiques proprement dites, autrement dit les partis politiques et leurs syndicats, plus dominantes dans la première chambre.

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Les nouvelles orientations du CEsE français

Christiane THERRY *

Pour épargner à nos lecteurs l’historique du CES français qui débute dès le roi Henri IV, je ne retiendrai que quelques dates-clés pour me pencher plus particulièrement sur les nouvelles orientations de cette mandature.

1958 : la consécration d’une longue histoire

Le Conseil économique et social s’inscrit dans un courant d’idées déjà ancien, favorable à une représentation organisée des forces économiques et sociales.

Dès 1925, à la demande des syndicats ouvriers, une assemblée est créée. La Constitution de la IVe République crée, en 1946, le Conseil économique. Elle donne déjà au Conseil les moyens d’affirmer son indépendance et son rôle représentatif auprès du Parlement et du gouvernement.

En 1958, la Constitution de la Ve République crée le Conseil économique et social.

C’est une assemblée :– constitutionnelle, ce qui garantit son indépendance vis-à-vis des

pouvoirs législatif et exécutif ;– représentative, car composée principalement de membres désignés

par les organisations socioprofessionnelles nationales ;– consultative, parce que placée auprès des pouvoirs publics pour les

conseiller.

2008 : Changement de dénomination du CES qui devient le Conseil économique social et environnemental.

En juin 2010, le Conseil économique, social et environnemental est rénové :

– des missions nouvelles et élargies ;

* Membre du CESE français.

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– une composition en phase avec l’évolution de la société ;– une institution désormais accessible aux citoyens ;– une assemblée féminisée ;– une assemblée rajeunie.

La loi constitutionnelle de juillet 2008 et la loi organique de juin 2010 ont profondément remanié la troisième assemblée constitutionnelle de la République française.

Troisième assemblée constitutionnelle de la République, le Conseil économique social et environnemental représente les forces vives du pays. Lieu de dialogue et de débat, il favorise leur collaboration et assure leur participation à la politique économique, sociale et environnemental de la nation.

Le président Jean-Paul Delevoye, dans son discours inaugural affirmait :

« Nous ne sommes ni un lieu de décision ni un lieu de pouvoir. Notre rôle n’est pas de plaire ou de déplaire, de peser dans un sens ou dans un autre, mais d’éclairer le décideur politique. Soit en explorant de pistes nouvelles, soit en dégageant des convergences fortes sans taire les points de désaccord ni exclure aucun débat, si difficile soit-il. »

Le président de la République française est venu présenter ses vœux aux membres du CESE. Quelques mots d’accueil du président Delevoye s’adressant à Monsieur le Président Sarkozy.

« Vous avez intégré l’environnement et la jeunesse, vous avez élargi les modalités de saisine au gouvernement et au Parlement, vous avez ouvert le Conseil au droit de pétition citoyenne. Vous l’invitez à l’évaluation des politiques publiques, vous le renforcez dans son rôle pour anticiper les évolutions de la société et participer ainsi aux réformes de demain. »

« Le CESE peut aider à porter les débats à la hauteur des enjeux et non des intérêts. Il peut aider à mettre en place des solutions durables quand la société exige et ne vit que de court terme. Il peut permettre la préparation des réformes pour le décideur et surtout l’appropriation des enjeux par les acteurs de la réforme et les citoyens. Il peut concilier la compétitivité économique de notre pays, le souci du pacte républicain et social de notre Nation, la préservation de notre environnement. Il peut amener le débat sur le champ des valeurs : celles du travail, du respect, de l’éthique, de la

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Les nouvelles orientations du CESE français 81

morale. Il peut le recentrer sur ce que l’on a quelquefois oublié ou négligé ces dernières années : le respect de l’homme et de sa dignité. »

Le Président de la République dans son préambule déclarait :

« C’est en effet un nouveau chapitre de l’histoire de ce Conseil qui s’est ouvert avec la révision constitutionnelle, puis la loi organique, qui ont modifié en profondeur votre champ de compétences ainsi que votre organisation, l’idée étant de vous permettre de mieux répondre aux nouveaux défis de notre société. Avec l’approfondissement des droits du Parlement, l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, la création prochaine du Défenseur des droits, la réforme de votre Conseil illustre clairement notre politique de renforcement des libertés publiques et de rénovation de notre démocratie.

Votre Conseil occupe une place à part dans nos institutions. Troisième assemblée reconnue par la Constitution, elle représente l’instance d’expression des différentes composantes de ce qu’on appelle la société civile. »

Quelles sont ces nouvelles orientations ?• Des missions nouvelles et élargies

Depuis 1958, le Conseil économique et social, par des saisines gouvernementales ou autosaisines, avait pour mission principale d’assurer la participation de la société civile à la politique économique et sociale du gouvernement.

En vertu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, il peut aujourd’hui être également saisi par l’Assemblée nationale ou le Sénat sur tout sujet à caractère économique, social et désormais environnemental.

En outre, il doit favoriser le dialogue entre les catégories socio-professionnelles, contribuer à l’évaluation des politiques publiques entrant dans son champ de compétences, promouvoir un dialogue constructif avec ses homologues, tant au plan régional, local qu’international et contribuer à l’information des citoyens.

En conséquence, le Conseil peut être saisi par :– le Premier ministre ;– le président de l’Assemblée nationale ;– le président du Sénat ;– par voie de pétition.

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• Une composition en phase avec l’évolution de la sociétéLa composition du Conseil économique, social et environnemental

a été modifiée pour permettre notamment l’entrée au Palais d’Iéna de représentants de la protection de la nature et de l’environnement, des jeunes et des étudiants.

Les 233 membres du Conseil sont répartis en trois grands pôles : le premier rassemble les acteurs de la vie économique et du dialogue social ; le deuxième représente les acteurs de la vie associative et de la cohésion sociale et territoriale. Le handicap, le sport, le monde scientifique et le monde culturel sont intégrés au titre des personnalités qualifiées. Le troisième pôle est constitué, dans la logique du Grenelle de l’environnement, de représentants des associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de l’environnement et du développement durable.

Les groupes représentés sont : les associations, l’environnement, la mutualité, l’Union nationale des associations familiales, les étudiants, les syndicats représentatifs, les professions libérales, les entreprises, les personnes qualifiées, les artisans, la coopération, l’outre-mer, l’agriculture.

Chaque conseiller ne pourra pas renouveler plus d’une fois son mandat de 5 ans.

La mission donnée par le président Delevoye à chaque conseiller : exemplarité, exigence et ambition.

Les rapports devront être plus courts.

• Une institution désormais accessible aux citoyensDésormais, le Conseil peut être saisi par voie de pétition de toute

question à caractère économique, social et environnemental. Cette pétition – signée par au moins 500 000 personnes majeures (de nationalité française ou résidant régulièrement en France) – est adressée, par un mandataire unique, au président du Conseil. Le bureau statue sur sa recevabilité, et dans un délai d’un an le Conseil se prononce, par un avis en assemblée plénière, sur les questions soulevées et les suites à y donner.

• Une assemblée féminiséeLa loi précise que toute « organisation […] appelée à désigner plus d’un

membre […] procède à ces désignations de telle sorte que l’écart entre le nombre des hommes désignés, d’une part, et des femmes désignées,

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d’autre part, ne soit pas supérieur à un. La même règle s’applique à la désignation des personnalités qualifiées ». En conséquence, alors que le pourcentage de femmes était de 21,50 % pour la mandature précédente, il est de plus de 40 % pour la mandature 2010-2015.

• Une assemblée rajeunieL’âge minimum requis pour être désigné membre du Conseil était

jusqu’à présent de 25 ans. La loi organique abaisse ce seuil à 18 ans.

L’adoption du nouveau règlement intérieur en décembre 2010 définit les sections et leur champ de compétence.

Chaque section peut compter jusqu’à 30 membres et tous les groupes siègent dans les sections. Elles sont présidées par un président et un vice-président élus au sein de la section pour le temps du mandat.

Les sections se réunissent une fois par semaine en général, et il est prévu de réunir une séance plénière sur deux jours toutes les deux semaines.

• Une assemblée souhaitant une évolution en 8 sections et 3 délégations– Section du travail et de l’emploi : relations de travail, politique de

l’emploi, organisation, contenu et qualité du travail, mobilité, conditions de travail et droits des travailleurs salariés et non salariés, formation professionnelle et tout au long de la vie.

– Section de l’économie et des finances : politiques économiques et financières, rapport annuel sur l’état de la France, répartition et évolution du revenu national, information économique et financière, questions relatives à l’épargne et au crédit, au système bancaire et d’assurances, aux finances publiques et à la fiscalité.

– Section de l’aménagement durable des territoires : décentralisation, développement régional, planification et organisation territoriales, développement local et aménagement du territoire, urbanisme et logement, équipements collectifs, transports, communications, tourisme.

– Section des affaires européennes et internationales : coopération et aide au développement, questions bilatérales et multilatérales, relations internationales, questions migratoires des populations, questions européennes, relations avec les institutions internationales, Union européenne, francophonie.

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– Section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation : agriculture, monde rural, économie sociale agricole, pêche maritime et aquaculture, forêt et bois, sécurité et indépendance alimentaires, industries agroalimentaires et productions agricoles non alimentaires.

– Section de l’environnement : protection et valorisation de l’environnement, changement climatique, biodiversité, mer et océans, transition énergétique, prévention, gestion et réparation des risques environnementaux, qualité de l’habitat.

– Section des activités économiques : matières premières énergies, industrie, commerce, artisanat, services, économie sociale, production et consommation, protection des consommateurs, recherche et du développement, innovation technologique, compétitivité.

– Section de l’éducation, de la culture et de la communication : formation initiale, orientation et insertion des jeunes, enseignement supérieur et recherche, citoyenneté, accès aux droits, société de l’information, diffusion des savoirs, activités culturelles, sportives et de loisirs.

– Délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques.

– Délégation à l’Outre-mer.– Délégation aux droits des femmes et à l’égalité.

• Fonctionnement de l’assemblée– Un Président élu.– Un bureau élu composé ainsi : 1 président, 6 vice-présidents,

2 questeurs, 4 secrétaires et 6 membres.– Un budget de 37,596 millions d’euros.

Près des deux tiers de ce budget sont consacrés au paiement des indemnités des conseillers, de leurs frais de déplacement et au financement de leur caisse de retraites. Le dernier tiers représente la rémunération des fonctionnaires de l’assemblée, les dépenses de fonctionnement courant et l’entretien du Palais d’Iéna, siège de l’assemblée.

• Chronologie de la saisine du Conseil à la parution de l’avisBureau– Adoption / Enregistrement des saisines– Transmission à une formation de travail

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– Fixation du délai des travaux– Examen des suites à donner aux pétitions– Saisine du gouvernement– Saisine du président de l’Assemblée nationale– Saisine du président du Sénat– Autosaisine émanant d’un groupe ou d’une section– Saisine par voie de pétition

Section– Désignation d’un rapporteur– Rédaction d’un projet d’avis et vote pour transmission à l’assemblée

plénière

Séance plénière– Exposé du rapporteur– Discussion générale– Intervention du ministre– Dépôt des amendements

Section– Examen des amendements

Séance plénière– Réponse du rapporteur aux orateurs– Examen et vote des amendements– Explication des votes– Vote final

Communication-diffusion– Gouvernement / Parlement– Opinion publique :

Présence du publicInformation médiasPublication Journal officielMise en ligne sur www.ces.fr

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La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques :

expérience du Conseil économique social et environnemental de France

Elisabeth DAHAN

Le Conseil économique social et environnemental (CESE) de France est une institution ancienne, créé sous sa forme initiale en 1925 et qui su se moderniser récemment (1) pour s’adapter aux mutations de la société française et aux évolutions du monde qui impactent directement nos groupes sociaux professionnels.

Quatre mesures ont contribué à un renouvellement important des membres (2) du Conseil, tout en maintenant le nombre de conseillers (233), désormais inscrit dans la Constitution :

– Le CESE intègre le développement durable. C’est une tendance forte de notre société qui répond à une attente des organisations de la protection de la nature et de l’environnement, dont l’engagement et l’esprit militant sont remarqués. Le CESE a ainsi travaillé ces derniers mois sur des sujets majeurs en matière environnementale (3). Et lors de la conférence française préparatoire au sommet de Rio+20 qui s’est tenue au CESE en janvier 2012, les pouvoirs publics français aux côtés de la société civile se sont déclarés favorables à la création d’une Organisation mondiale de l’environnement.

– La parité imposée à chaque groupe aboutit à une représentation proche de la parité (47 % de femmes (4)).

(1) Révision constitutionnelle de 2008 et loi organique de 2010.(2) Le CESE est organisé autour de trois grands pôles : 140 acteurs de la vie économique et du dialogue social dont 10 personnalités qualifiées ; 60 acteurs de la vie associative et de la cohésion sociale et territoriale parmi lesquels 15 personnalités qualifiées ; 33 représentants de la protection de la nature et de l’environnement, réparties en deux catégories, à savoir 18 représentants des associations et fondations et 15 personnalités qualifiées.(3) La sécurité des plate-formes pétrolières, les négociations climatiques à l’aune de la conférence de Durban, les énergies renouvelables en Outre-Mer, l’évaluation du Grenelle de l’environnement, la biodiversité, Rio+20, l’efficacité énergétique, la valorisation de la forêt française.(4) Soit un taux deux fois plus élevé que dans les deux assemblées parlementaires. Il était de 21% dans la précédente mandature.

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– La limite d’âge des conseillers a été abaissée de 25 à 18 ans. La jeunesse (5) y est ainsi représentée et s’est constituée en groupe.

– Le nombre de mandats consécutifs est limité à deux au maximum (soit dix ans). La moyenne d’âge passe de 63 ans (mandature précédente) à 57 ans.

Le Conseil est doté de nouvelles attributions, qui lui permettent d’inscrire ses réflexions dans une approche du temps long et moins dans l’immédiateté du temps politique :

– il peut à présent être saisi par le gouvernement mais aussi par les présidents des deux assemblées ;

– il donne son avis sur les projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, domaine réservé jusqu’alors du Parlement ;

– il peut être saisi par les citoyens par voie de pétition (500 000 personnes majeures(6), de nationalité française ou résidant régulièrement en France) ;

– il dispose d’une plus large part laissée à l’initiative, et peut appeler l’attention du Gouvernement et du Parlement sur les réformes qui lui paraissent nécessaires ;

– enfin, il peut s’appuyer dorénavant sur une base juridique pour développer son activité internationale : le CESE « promeut une politique de dialogue et de coopération avec les assemblées consultatives créées auprès des collectivités territoriales et auprès de ses homologues européens et étrangers (7) ».

Ces modifications d’ordre constitutionnel et législatif ont entraîné de nouvelles méthodes de travail. Ainsi, pour traiter de l’avenir de notre jeunesse et des générations futures, deux nouvelles sections ont été créées par la fusion d’autres sections : « l’environnement », et « l’éducation, la culture et la communication ». Deux nouvelles délégations ont également été créées : délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques et délégation à l’outre-mer. Par ailleurs, les avis sont plus polémiques, plus « clivants », pour intégrer explicitement les éléments faisant débat qui sont aussi utiles aux décideurs politiques que les éléments

(5) Représentation des organisations étudiantes et des mouvements de la Jeunesse.(6) Soit environ 2 % du corps électoral.(7) Article 1 de la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010.

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La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques 89

de consensus. En parallèle, une politique de communication accompagne ces changements pour une meilleure utilisation des avis, pendant et après la réalisation des travaux. Cela s’est traduit par la création d’un nouveau site internet permettant notamment de s’abonner à des flux d’information par avis ou par formation de travail. Les travaux sont également diffusés sur les réseaux sociaux twitter et facebook. Les relations avec la presse se sont intensifiées également. Ces innovations et mutations ont été voulues et accompagnées par le président Jean-Paul Delevoye pour projeter le CESE sur le temps long. Alors que l’Assemblée nationale est l’espace des partis politiques, le Sénat l’espace de la représentation des territoires, le CESE s’inscrit dans une dynamique qui doit échapper aux aléas des élections. Le rôle de la société civile n’est pas d’entrer en concurrence ou en compétition avec les politiques, mais il est complémentaire afin d’assurer une vision à long terme recueillant le plus large consensus possible.

Depuis 2011, le Conseil a noué des relations beaucoup plus étroites avec le gouvernement et le Parlement. Sur dix mois, les saisines gouvernementales ont été deux fois plus nombreuses que la moyenne des dix dernières années et cinq fois plus que la dernière année de la mandature précédente (8).

De plus, le Conseil a fait l’objet de plusieurs visites de la part des responsables politiques, et nos rapporteurs ont été auditionnés dans les cabinets ministériels et dans les commissions parlementaires. Et des travaux ont été réalisés en commun avec les délégations prospectives du Sénat et du Conseil. Cette tendance de concertation avec les acteurs politiques devrait se confirmer et s’intensifier, ainsi que l’a indiqué M. François Hollande, président de la République, lors de sa venue au Conseil le 12 juin 2012. Le CESE accueillera d’ailleurs, les 9 et 10 juillet 2012, la Conférence sociale qui devra permettre l’ouverture d’une réflexion et d’un dialogue

(8) Aperçu des thèmes sur lesquels le CESE a travaillé ou travaille depuis sa rentrée en janvier 2011 : la future PAC après 2013 ; la dépendance des personnes âgées (saisine gouvernementale) ; la réforme du service public de l’emploi ; la biodiversité (saisine gouvernementale) ; la protection sociale (saisine gouvernementale) ; les énergies renouvelables outre-mer ; les enjeux du G20 (saisine gouvernementale) ; les inégalités à l’école ; le Programme national de renouvellement urbain ; la compétitivité (Saisine gouvernementale) ; les négociations climatiques internationales ; pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer ; droits formels / droits réels : améliorer le recours aux droits sociaux des jeunes ; la dette : un pont entre passé et avenir ; femmes et précarité ; l’emploi des jeunes ; l’investissement public ; les défis de la transition de la filière automobile ; le coût économique et social de l’autisme ; principe de précaution et dynamique d’innovation…

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Elisabeth Dahan90

entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics (9). A travers la tenue de très nombreux événements en son sein, le Conseil s’est transformée en maison des citoyens. Il s’est ouvert aux colloques, aux événements où se côtoient les jeunes, les parlementaires, les retraités, les media, les acteurs du dialogue socio-professionnel et de l’économie sociale, les artistes. Le Conseil accueille des événements dans une démarche de participation citoyenne (avec les Conseils de jeunesse de la ville de Paris, l’université populaire ATD Quart-Monde) et caritative (conférence de presse Trisomie, aide alimentaire, ventes aux enchères au profit de SOS-Racisme, accueil de la Croix Rouge, du Secours populaire). De plus, le Conseil étant un lieu neutre, apolitique, il a accueilli le colloque Laïcité, avec toutes les religions et obédiences. Il organise chaque année un grand colloque international pluridisciplinaire sur le vivre ensemble. Bien qu’il n’ait aucun lien de hiérarchie avec les institutions régionales, le Conseil cherche à assurer la meilleure prise en compte des intérêts des régions. Il sollicite donc systématiquement les conseils économiques sociaux et environnementaux régionaux (CESER) sur des saisines ayant des aspects locaux importants, notamment dans le domaine de compétence des régions : dépendance, formation professionnelle, ouverture à la concurrence du rail.

Cette collaboration au niveau local s’accompagne d’un fort engagement au niveau européen et international. Le Conseil s’est recentré sur les réseaux européens, méditerranéens (10) et francophones. Avec le Comité économique et social européen, l’engagement est de fond : déplacement de l’ensemble des présidents de section et des délégations pour une rencontre avec leurs homologues européens ; co-organisation d’un colloque avec le Conseil de l’Europe sur la charte sociale. Le futur de nos sociétés sera commun et sera européen. En parallèle, le Conseil est membre de l’Union des conseils économiques et sociaux et institutions similaires des Etats et gouvernements membres de la Francophonie (UCESIF) ; l’un des quinze membres des réseaux institutionnels de la Francophonie qui représentent autant d’appuis à la bonne gouvernance. En effet, les conseils

(9) Les tables rondes porteront sur l’emploi (et tout particulièrement la priorité de l’emploi des jeunes) ; la formation professionnelle, initiale et tout au long de la vie ; la rémunération et le pouvoir d’achat ; le redressement de l’appareil productif national ; l’égalité professionnelle entre hommes et femmes et la qualité de vie au travail ; l’avenir des retraites et le financement de la protection sociale ; l’Etat, les puissances publiques, les collectivités et le service public.(10) Convention de partenariat avec le CESE du Maroc, mise en place en février 2011.

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La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques 91

économiques et sociaux favorisent ainsi la consultation de la société civile pour une meilleure décision publique.

Le Conseil économique, social et environnemental de France constitue donc un lieu d’échanges et d’événements où l’on parle tous les jours des citoyens, un lieu de convergence facilitant le dialogue nécessaire pour répondre aux défis (11) majeurs à relever.

(11) Nos sociétés doivent trouver des solutions au défi alimentaire et agricole, au défi climatique et énergétique, au défi social et au défi économique ; ces défis étant liés entre eux.

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Le rôle des conseils économiques et sociaux dans la promotion de l’économie sociale de marché,

prospère et solidaire

José ALBINO DA SILVA PENEDA *

Introduction

J’ai la forte conviction qu’à l’heure actuelle les systèmes basés sur l’économie sociale de marché sont mieux placés que les autres pour consolider la paix et la prospérité. Dans cette communication je vais essayer de souligner l’importance qu’une nouvelle culture – laquelle j’appellerais de coopération, de négociation et de compromis – peut avoir dans les économies sociales de marché, dans le but de favoriser la naissance d’une ambiance dans laquelle puissent être développées des formes de dialogue structuré entre les gouvernements et les agents économiques et sociaux.

Dans la dernière partie de ce texte j’aurais encore l’opportunité de définir un ensemble de conditions pour que l’exercice de cette forme de dialogue ne reste pas associée à des simples figures de rhétorique sans aucun contenu pratique, mais contribue à la définition et au suivi des politiques économiques et sociales.

Les avantages d’un système basé sur l’économie sociale de marché

Un système basé sur le concept d’« économie sociale de marché » consiste dans l’idée qu’il y a une complémentarité évidente entre les mécanismes du marche libre et l’équité sociale. En fait, l’économie sociale de marché exige non seulement une dimension matérielle ou économique mais aussi une autre, tout aussi importante, appelée dimension sociale ou humaine. Ainsi, si le concept d’économie sociale de marché recouvre le souci de lutter contre les inégalités sociales, en créant les conditions de l’égalité des chances ; il reste préoccupé aussi par l’inefficacité dans la

* Président du CES du Portugal.

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répartition des ressources, et dans ce sens il devrait promouvoir une saine concurrence entre les différents acteurs économiques.

Une économie sociale de marché ne présuppose ni la centralisation de l’activité économique, ni la déréglementation totale du marché sans aucune forme de redistribution des revenus. En fait, dans le concept d’économie sociale de marché, l’équité et l’efficacité ne sont pas considé-rées comme contradictoires, mais comme des aspects complémentaires et interdépendants.

Le concept d’économie sociale de marché exige également l’existence d’une société où les êtres humains vivent dans la liberté, une liberté qui trouve cependant ses limites dans l’exigence de justice, et, par conséquent, l’économie sociale de marché ne peut fonctionner ni dans une société où il y a la liberté mais sans la justice, ni dans celle où il y a la justice mais sans la liberté. On est seulement libre quand on vit dans une société de paix, de prospérité et démocratique où règnent l’égalité de tous devant la loi, le respect de l’État de droit et des droits de l’homme et où chacun peut profiter d’une véritable égalité des chances dans l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi. La solidarité est également un pilier fondamental d’une société basée sur l’économie sociale de marché, ce qui signifie que l’organisation des pouvoirs publics doit prévoir et développer des systèmes privés ou mixtes de protection contre les vicissitudes de la vie telles que la maladie, la vieillesse, le chômage, l’invalidité ou le décès.

Le respect des valeurs associées à la liberté, la démocratie et les droits de l’homme ne se limite pas aux élections. A notre époque, le chemin pour la paix et la prospérité exige la mise en place de platesformes pour permettre la tenue d’un dialogue structuré entre les gouvernements et les représentants des différents intérêts économiques et sociaux. Il suppose l’existence des processus qui permettent la coopération entre les agents économiques, sociaux et autres, pour la conception et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales.

Dans la situation de crise que nous vivons, cette conviction se trouve renforcée parce que la solution des problèmes auxquels nous sommes confrontés n’est compatible ni avec les approches simplistes, ni avec les modes d’action individuels, même si on a un pouvoir étendu. En effet, le phénomène de la mondialisation a conduit à la restructuration de presque tous les secteurs de l’économie et à de profonds changements dans les

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Le rôle des conseils économiques et sociaux 95

marchés du travail et dans les relations sociales, tout cela dans le but de rechercher des niveaux plus élevés de compétitivité. Définitivement, la mondialisation n’est pas une question d’économie. À cet égard, je cite le prix Nobel, Joseph Stiglitz, pour qui « le débat sur la mondialisation est devenue si intense, non seulement en raison du bien-être économique, mais aussi à cause de la nature de notre société, peut-être parce que ce qui est en question c´est la survie de cette société que nous connaissons si bien ».

Une nouvelle culture de coopération, de négociation et de compromis

Dans ce cadre, il sera très important de développer une culture fondée sur la coopération, la négociation et le compromis, qui va remplacer progressivement celle basée sur le conflit.

Le chemin qui y mènera sera beaucoup plus facile si le niveau de confiance mutuelle existant entre les partenaires sociaux est élevé. Les niveaux de confiance seront, d’un autre côté, d’autant plus élevés que le dialogue social sera intense. De même, plus la transparence est grande dans les processus décisionnels liés à l’ajustement ou à la restructuration, plus le dialogue social est intense. Ainsi, les acteurs politiques, économiques et sociaux ne devraient pas manquer de tenir compte de la nécessité de réviser et de moderniser les mécanismes concernant la consultation et la participation des agents économiques et sociaux pour être en mesure d’obtenir un cadre légal et efficace capable de promouvoir l’articulation d’un dialogue structuré. C’est dans ce contexte que le rôle joué par les Conseils économiques et sociaux peuvent avoir une grande importance.

A un moment où partout l’on voit des changements qui se produisent à un rythme qu’aucune autre époque n’avait connu auparavant, on doit, par tous les moyens, essayer de minimiser les risques associés à ces changements. La façon la plus directe pour les réduire, c’est la promotion d’une meilleure sécurité dans le changement, parce que plus il y a de risques, plus la sécurité doit être assurée. La sécurité doit précéder la flexibilité, car seuls ceux qui sont sûrs d’eux et des conditions qui les entourent peuvent devenir plus flexibles. C’est là que devraient intervenir les systèmes de dialogue structuré pour permettre une analyse commune des problèmes et, si possible, obtenir des platesformes de compréhension

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José Albino da Silva Peneda96

entre les gouvernements et les partenaires sociaux pour la définition des responsabilités autour de stratégies qu’ils décident de concevoir et mettre en œuvre ensemble.

Les caractéristiques des sociétés des temps présents sont très différentes de celles d’une époque assez récente. Les sociétés d’aujourd’hui se présentent avec une plus grande diversité et une plus grande mobilité. Elles sont plus complexes et fragmentées. Les migrations, les différences culturelles, économiques et les changements dans les structures familiales et sociales ont contribué à la diversité croissante de la société. L’expansion des valeurs démocratiques a facilité aux individus et aux groupes d’intérêt l’action, l’organisation et l’expression de leurs intérêts. Aussi assiste-t-on à l’émergence de nouvelles formes d’organisation et d’action pour faire pression sur les gouvernements afin de s’assurer que les processus d’élaboration des politiques associent de nouveaux participants. La réponse à cette évolution ne peut être assurée que sur la base d’un dialogue structuré.

Une autre caractéristique des temps modernes est l’importance croissante des interdépendances, qu’elles soient financières, économiques, entre les marchés ou les processus. Ce niveau élevé d’interdépendance entre tout et tout le monde explique que les processus de prise de décision sont devenus plus complexes car ils doivent tenir compte des différents intérêts, même les plus opposés. Une bonne perception des risques associés à la prise de décisions exige que l’on connaisse en détail les motivations des agents impliqués, et cela ne peut être accompli que sur la base d’un dialogue structuré.

Le moment présent exige que les gouvernements suivent et essayent de comprendre et d’anticiper les intérêts des groupes dans la société. L’approche adaptative, qui se traduit par une réaction aux situations dans la seule mesure où elles deviennent des problèmes, a donné lieu à des réponses inadéquates et tardives parce que passé le temps que les gouvernements réagissent à un problème donné, l’éventail des options se trouve déjà très rétréci.

Les gouvernements n’ont plus le monopole des services, ni celui de l’autorité. L’idée traditionnelle d’une autorité unique, avec des responsabilités pour la population d’un territoire défini et avec des ressources relativement fixes, n’existe plus. Au niveau international, les

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gouvernements abdiquent volontairement une part de leur autorité en échange d’une plus grande sécurité, de la coopération et de la poursuite des économies d’échelle. La mondialisation a ouvert la société à d’autres influences et à de nouveaux modèles de gouvernance. La démocratisation a mis les citoyens en présence d’une plus grande diversité d’utilisations possibles des nouvelles technologies et de nouvelles façons pour les groupes de s’organiser et de faire passer leurs messages aux électeurs. Bien que les groupes d’intérêt ne soient pas nouveaux, la prolifération et l’évolution du pouvoir d’influence de ces groupes sont en train de presser les gouvernements et les pouvoirs publics d’élargir l’accès aux processus d’élaboration des politiques à de nouveaux partenaires et participants. Nous devons comprendre que les gouvernements ne sont qu’un “acteur” parmi d’autres, dont certains sont très puissants. La participation accrue de ces groupes renforce le processus démocratique et place les gouvernements dans une meilleure position pour prévoir les désirs des citoyens, mais il exige aussi qu’ils définissent les règles de participation. D’où l’importance d’accroître le développement des systèmes de dialogue structuré.

Il est à espérer que les gouvernements jouent un rôle important dans de nouveaux domaines comme la sécurité alimentaire, la protection des consommateurs, la promotion de la concurrence, la réduction des coûts des soins de santé et la protection de l’environnement, entre autres responsabilités. Cette approche différente de l’activité des gouvernements a tendance à être élaborée dans un cadre beaucoup plus exigeant parce que la tendance est pour les gouvernements de faire plus, mais avec l’obligation de le faire au moindre coût pour le contribuable. Ce processus de satisfaire plus de besoins collectifs avec moins de ressources exige une clarification des critères qui devraient être à la base de la définition des priorités et que chacun peut comprendre. Dans ce processus politique, un dialogue structuré peut être un outil très efficace pour maintenir la paix sociale.

Pour toutes ces raisons, la pratique du dialogue structuré est la méthode qui devrait être privilégiée. Ce point de vue, qui est un signe de modernité, exige un grand effort de la part les différentes forces politiques et des acteurs économiques et sociaux afin de s’habituer à distinguer l’essentiel de l’accessoire dans leurs activités quotidiennes. Cette attitude sera en mesure de contribuer à la réalisation de l’objectif le plus important : faire croître l’économie à un rythme qui permette de réduire très significativement le

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volume du chômage, aspect essentiel pour parvenir à une économie de marché prospère et solidaire.

Une culture fondée sur le dialogue, la négociation et le compromis pourra contribuer à la promotion d’une économie sociale de marché prospère et unie, seulement si elle est développée en conformité avec les modèles culturels de chaque pays ou région. Ce sera toujours une erreur d’essayer d’importer des modèles ou d’essayer de suivre un modèle unique. Mais il est important d’apprendre des expériences des autres, et, dans ce sens, une coopération aussi étroite que possible devrait être érigée entre les différents acteurs qui, dans chaque pays, cherchent à développer des formes de dialogue structuré.

D’ailleurs, cette réunion tenue à Rabat sur le rôle consultatif des conseils économiques et sociaux dans les pays méditerranéens est un bon exemple à cet égard.

Conditions pour un dialogue structuré plus efficace

Un processus de dialogue structuré ne peut pas être réduit à un simple exercice de formalités de nature légale ou administrative. Si l’on emprunte ce chemin, le résultat en serait une dévaluation du processus aux yeux de l’opinion publique, et ce ne sera qu’une étape avant que soit remise en question sa raison d’être même.

L’affirmation d’une réalité politique forte fondée sur le dialogue, la négociation et le compromis ne sera possible que si, au départ, sont définies quelques conditions préalables. Comme exemples, je retiens ici quelques-unes des conditions que je considère comme indispensables, fondées sur les leçons tirées de l’expérience d’un passé encore récent.

La première leçon, c’est que l’ère de l’expérience néolibérale a échoué, et la soi-disant autorégulation du marché n’est seulement qu’une théorie sans prise sur la réalité parce que, tout simplement, et comme cela a été démontré récemment, le marché ne peut pas, par lui-même, s’autoréguler. L’intervention des gouvernements est essentielle.

La deuxième leçon découle du rôle excessif joué de plus en plus par le secteur financier depuis une époque récente. Le système financier dans son ensemble doit être restructuré pour devenir plus transparent et au service de l’économie réelle. Il faut pénaliser les spéculations et encourager

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les investissements productifs. En termes simples, nous devons mettre l’argent au service de ceux qui créent les richesses et les emplois. Ceux qui spéculent doivent être pénalisés financièrement, ceux qui créent richesses et emplois doivent être encouragés.

La troisième leçon est que l’économie doit être constamment surveillée, auditée et évaluée. C’est seulement de la sorte qu’elle peut être mieux considérée par la plupart des citoyens et mériter leur confiance.

La quatrième leçon est que les politiciens doivent exclure de leurs discours l’utopie des lendemains qui chantent et les fausses promesses que demain tout ira mieux. De telles pratiques ne mènent qu’aux désillusions et tuent l’espoir, car personne ne croit plus à ces discours ni ne croit ceux qui les prononcent. Seules la vérité et la réalité peuvent donner l’espoir.

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Axe III

Les pays du groupe de Višegrad de l’Europe centrale

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Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !?

Abdelouhab MAALMI

Il n’est pas inutile d’étudier les rapports entre le Maroc et le groupe de Višegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et la Slovaquie), même s’ils restent limités et demandent à être développés dans l’intérêt des deux parties : le Maroc cherche toujours la diversification, source d’enrichissement ; les pays de Višegrad, groupement encore jeune, testent leur capacité à agir ensemble et cherchent à s’affirmer sur la scène internationale.

Mais les vraies perspectives à cet égard sont, à nos yeux, non pas tant les relations entre le groupe de Višegrad et le Maroc, lesquelles demeureront toujours asymétriques, que celles entre le groupe de Višegrad et le Maghreb. Or, tandis que le groupe de Višegrad semble monter et s’affirmer, l’Union du Maghreb Arabe (UMA), elle, est tombée dans l’oubli et n’existe pratiquement plus que sur le papier. De sorte qu’on est ici en présence d’une véritable dissymétrie : une succes story face à une failure story. D’où notre interrogation : quels enseignements peut-on tirer, du côté-ci de la Méditerranée, de l’expérience des pays du groupe de Višegrad ? Et aussi notre admiration : quelle belle leçon ces derniers administrent aux pays du Maghreb !

Notre propos ici est de comparer ces deux expériences d’intégration et de tenter d’expliquer pourquoi l’une a réussi et l’autre a échoué. On peut mettre en doute ce rapprochement entre les deux expériences ou la réductibilité de l’une à l’autre. Or, à les regarder de près on est frappé par le nombre de ressemblances qu’il y a entre les deux ensembles au point que la comparaison de leurs marches respectives vers l’union et de leurs résultats n’est pas sans utilité. Aussi trois questions s’imposent-elles d’elles-mêmes à cet égard, auxquelles on va tenter de répondre dans trois sections différentes de ce travail :

– quelles sont les clés du succès du groupe de Višegrad ? – comment apparaît l’échec de l’UMA à la lumière de l’expérience du

groupe de Višegrad ?

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– et quels enseignements l’expérience du groupe de Višegrad autorise-t-elle à tirer pour les pays du Maghreb ?

Les clés de succès du groupe de Višegrad

Malgré les difficultés de départ, l’expérience d’intégration du groupe de Višegrad (GV) peut être considérée comme une réussite. Dans quelle mesure l’est-elle ? Et comment cela s’explique-t-il ?

Le GV : une expérience réussie

Créé en 1991 à Višegrad (Hongrie) par trois pays de l’Europe centrale (Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie) et après une rupture qui a duré cinq ans, de 1993 à 1998, provoquée par la scission à l’amiable de la Tchécoslovaquie en deux pays séparés et souverains (Tchéquie et Slovaquie), le GV, désormais composé de quatre nations, a pu réaliser deux choses qui sont deux manifestations essentielles de tout intégration réussie : triompher des divisions internes et des plaies du passé ; taire les divergences et parler d’une seule voix vis-à-vis de l’extérieur.

Triomphe sur les facteurs de divisionMalgré la proximité géographique, les pays du GV n’ont connu

que de rares moments d’unité par le passé entre le 14e et le 17e siècle, autour de la Pologne et de la Hongrie. Leur histoire a été plutôt jalonnée, dans sa majeure partie, d’invasions, de partages, d’amputations et de regroupements imposés par des puissances étrangères, qu’il s’agisse des Germains, des Russes, des Turcs ou des Suédois. D’autre part, l’harmonie n’a jamais été le fort de ces pays, même après 1945 et sous la domination communiste. Les ambitions historiques de la Pologne et de la Hongrie, les nationalismes exacerbés au lendemain de la Première Guerre mondiale et l’effondrement de l’Empire austro-hongrois, le ralliement nazi de la Hongrie et de la Slovaquie durant la Seconde Guerre mondiale, les interventions des forces du Pacte de Varsovie en Hongrie (Printemps hongrois de 1956) et en Tchécoslovaquie (Printemps de Prague en 1968) ont laissé des souvenirs douloureux et des plaies durables parmi les membres du GV (Hongrois et Slovaques contre Polonais et Tchèques, Slovaques contre Hongrois, Slovaques contre Tchèques, Polonais contre Slovaques et Hongrois, Hongrois, Tchèques et Slovaques contre Polonais)

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et qui, dès le glacis soviétique effondré, ont ressurgi à la surface et failli emporter à jamais le projet d’union du groupe.

En effet, dès la chute de l’ordre communiste en 1989, des idéologies nationales font un retour en force pour reconstruire les Etats, ce qui va susciter des ambitions et des craintes et diviser les nouvelles élites dirigeantes. Le problème des minorités hongroises, notamment en Slovaquie (20% de la population), met en péril la coexistence de la Hongrie avec ses voisins. La Pologne, de par son poids à la fois territorial et démographique (pratiquement le double de celui des trois autres pays réunis) et de par son histoire soulève crainte et méfiance chez ses partenaires du groupe. Le désir des pays du groupe d’adhérer à la Communauté européenne attise encore leurs rivalités pour s’assurer les faveurs de celle-ci. Les nouvelles élites dirigeantes, enfin, n’ayant pas la même perception des menaces extérieures ni de l’avenir en commun, portent leur espoir ailleurs et privilégient de nouer des relations bilatérales avec les organisations et les puissances extérieures.

Aussi en 1993, deux ans après l’accord de Višegrad, un coup d’arrêt est donné à la dynamique d’intégration, les Tchèques, suite à la partition de la Tchécoslovaquie dont les inégalités territoriales nourrissaient le ‘complexe slovaque’, ayant choisi de prendre leurs distances par rapport au processus de Višegrad.

Toutefois, la crise de 1993 va être surmontée, et les quatre pays de l’Europe centrale vont pouvoir reprendre leur processus d’intégration en 1998. Depuis, le groupe de Višegrad accumule les succès : des sommets et rencontres ministériels se tiennent régulièrement; une présidence annuelle responsable est assurée sur la base d’un plan d’action sérieux en vue d’une meilleure coopération sous-régionale sur le plan à la fois intérieur et extérieur; mise en place d’un fonds, le Fonds international de Višegrad, qui, conçu d’abord pour financer des projets culturels et d’éducation pour mieux rapprocher les peuples des quatre nations et consolider leur union et leur solidarité, va se consacrer ensuite à d’autres domaines tels que l’énergie et l’environnement en termes d’expertise, de réflexions et de recherches; création enfin d’une zone de libre-échange (avant intégration dans l’UE en 2004) et enclenchement d’un processus d’harmonisation des politiques commerciales qui ont vite conduit à un développement vertigineux des échanges commerciaux entre les quatre pays du groupe.

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Parler d’une seule voix vis-à-vis de l’extérieurLe GV, grâce à sa position géopolitique, devait à sa naissance relever

de grands défis quant à ses rapports avec son voisinage à l’est (Europe de l’Est, Russie), à l’ouest (Europe occidentale, OTAN), et au sud (Balkans). Ainsi les pays ont-il pu négocier ensemble leur accord d’association avec la CEE, puis leur intégration dans l’UE (2004) et leur adhésion à l’OTAN et à d’autres organisations européennes. Ils se sont imposés comme un groupe influent au sein de l’UE, que ce soit pour peser sur ses politiques extérieures telles que la PESC, la PESD ou la PEV, ainsi ont-ils été derrière le Partenariat oriental initié par l’UE en 2008 avec les pays européens de l’Est et les Balkans, ou pour défendre leurs intérêts propres. De même, ils essaient d’harmoniser leurs positions vis-à-vis du reste du monde (Espace euro-méditerranéen) et sur des questions telles que la sécurité ou l’énergie, leur ambition étant d’apparaître, notamment depuis 2004, comme un acteur international uni et solidaire, bien que des divergences les séparent sur des questions telles que l’euro, la PAC, les institutions européennes ou le bouclier anti-missiles américain en Europe de l’Est.

Bref, le GV subsiste et se renforce. Il a pu conserver sa cohésion et survivre à de multiples crises et difficultés : la désintégration de la Tchécoslovaquie et la suspension du processus qui s’est ensuivi (1993-1998), la crise de 2002 entre la Slovaquie et la Hongrie à propos du traitement des minorités hongroises, les divergences sur les relations avec l’Allemagne et la Russie et l’intégration même dans l’UE, qui était pourtant le but ultime et la motivation principale de la création du GV. Comment alors cela s’explique-t-il ?

Les déterminants de la réussite

Plusieurs facteurs peuvent être évoqués pour expliquer le succès du GV :

• En premier lieu, la conscience forte chez les pays du GV d’occuper une position géographique particulière au centre de l’Europe, laquelle, sans frontières naturelles, a pu les exposer pendant des siècles aux invasions extérieures, ce qui a pu forger chez eux, malgré tout, le sentiment d’un destin commun.

• Deuxièmement, l’inquiétude née du vide laissé par la chute du Mur en Europe centrale et orientale, de la réunification allemande, de la désintégration de la Yougoslavie et de la guerre des Balkans qui s’est ensuivie.

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• Troisièmement, la méfiance commune à l’égard de Moscou, qui a non seulement créé un désir ardent de s’unir mais aussi de chercher protection à l’Ouest, notamment au sein de l’OTAN.

• Quatrièmement, le désir de s’affirmer sur la scène européenne face à des solidarités qui existent déjà ou qui se forment à la faveur de la fin de la guerre froide, comme le couple franco-allemand, la solidarité ibérique, le Bénélux, le Conseil de la Baltique, la Communauté économique de la Mer noire, etc.

• Cinquièmement, le rôle crucial qu’a pu jouer V. Havel, figure charismatique de la dissidence anti-soviétique, dans la réalisation de l’union sous-régionale, conséquence directe des rencontres effectuées entre les dissidences des pays du glacis soviétique dans les années 70 et 80. A cela il faut aussi ajouter le comportement mûr de la Pologne, qui n’a pas cherché à jouer à l’hégémon, ainsi que l’entente cordiale qui a pu s’établir entre cette dernière et sa vieille rivale, la Hongrie,

• Sixièmement, les pays du GV ont pu bénéficier aussi de leur longue expérience de complémentarité et d’intégration, même sous l’égide de Moscou, au sein du COMECON.

• Septièmement, le ressort fort qu’a constitué pour les membres du GV la perspective d’adhésion à la fois à l’UE et l’OTAN.

• Huitièmement, l’appui et l’encouragement apportés par les Etats-Unis au projet d’union des pays d’Europe centrale pour des raisons géostratégiques évidentes liées aux luttes d’influence qui les opposent à la Russie pour déterminer l’architecture de la nouvelle Europe centrale et orientale de l’après-guerre froide.

• Neuvièmement enfin, l’engagement définitif des quatre pays du GV dans la voie démocratique, combiné à la conviction réelle de ces pays quant à la nécessité de l’intégration, notamment après 2004 quand le groupe a accompli son objectif ultime initial d’adhérer à l’UE.

Le succès du Groupe de Višegrad et le cas des pays du Maghreb

Avant d’examiner les facteurs d’échec du Grand Maghreb à la lumière de l’expérience du groupe de Višegrad, essayons de voir si cette approche est pertinente en faisant une brève comparaison entre les deux entités.

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Comparaison Grand Maghreb / Groupe de Višegrad

Laissons ici de côté les différences, et concentrons-nous sur les ressemblances :

Comme le GV, les pays du Maghreb forment un petit groupe de pays qui partagent une identité géographique, historique et culturelle commune. Ils appartiennent également à une zone géographique qui a des caractéristiques assez semblables : absence pratiquement de frontières naturelles, exposition aux invasions étrangères, position de carrefour. Ils ont aussi un passé commun qui remonte, quant à lui, à l’Antiquité, durant lequel des phases d’unification ont alterné avec des phases de division, et ce jusqu’au 13e siècle (fin de l’empire almohade et partage définitif du Maghreb central en trois entités distinctes). Ils ont connu également un embryon de nationalisme maghrébin pendant leur combat pour l’indépendance contre les puissances coloniales dans les années 30-50 (l’équivalent des rencontres des dissidences sous l’ordre soviétique pour le GV). Une fois l’indépendance acquise, ils développent, comme les pays de Višegrad, des idéologies nationales (voire nationalistes) pour construire le nouvel Etat post-colonial ; ils nouent des relations étroites et fortes avec l’Europe communautaire ; ils ont un environnement géographique varié (Europe, Afrique, monde arabe) qui leur impose une politique extérieure de voisinage, de solidarité et d’intérêt multidimensionnelle ; ils tentent enfin de se regrouper à trois, à quatre, puis à cinq à deux reprises, entre 1964 et 1975 (Comité permanent consultatif maghrébin, CPCM) et entre 1989 et 1994 (Union du Maghreb Arabe, gelée depuis 1994).

Échec du Grand Maghreb à la lumière de l’expérience du Groupe de Višegrad

Contrairement au Groupe de Višegrad, les pays du Maghreb n’ont pu réunir les conditions d’une intégration réussie. Ils n’ont pas eu d’abord une convergence d’intérêts forts, les régimes politiques maghrébins et leurs politiques extérieures ayant pris, après les indépendances, des trajectoires fort différentes. Ils n’ont pu, deuxièmement, régler leurs contentieux territoriaux hérités de l’ère coloniale (revendications marocaines, tunisiennes et libyennes, méfiance algérienne et mauritanienne), d’où des guerres (Algérie-Maroc, en 1963 et 1976) et des ruptures (Algérie-Maroc, Maroc-Mauritanie). Ils n’ont pu, troisièmement, éviter les rivalités mutuelles, les divisions et les malentendus pour des raisons idéologiques

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Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !? 109

(Maroc, Algérie, Libye de Kadhafi), de sécurité (Maroc) ou de puissance (Algérie). Ils ont manqué, quatrièmement, d’un fédérateur extérieur comme l’UE ou les USA pour le GV et d’une perception commune de la sécurité comme le GV à l’égard de la Russie. Ils n’ont pu enfin, étant engagés dans des voies politico-idéologiques divergentes, bénéficier d’un attachement à des valeurs politiques communes, qu’elles fussent dynastiques (à l’instar des pays du Conseil de coopération du Golfe) ou démocratiques (comme les pays du GV).

Tels nous semblent être les principaux facteurs de l’échec du Grand Maghreb comparés aux facteurs de réussite du Groupe de Višegrad. Quels enseignements peut-on en tirer ?

Les leçons du Groupe de Višegrad pour les pays du Maghreb

Ces leçons sont au nombre de cinq.

• La première leçon concerne le rôle crucial de la diplomatie, conjugué à la détermination des dirigeants du GV à réussir leur projet d’intégration. Etant un instrument de négociation et de résolution pacifique des conflits, la diplomatie n’a pas connu le même succès au Maghreb qu’en Europe centrale (scission à l’amiable de la Tchécoslovaquie, règlement du problème des minorités hongroises, dépassement de la crise de 1993-1997). L’Union du Maghreb arabe (UMA) a échoué parce que les diplomaties maghrébines n’ont pas réussi à contourner les obstacles, à surmonter les conflits ou du moins à les contenir ou les neutraliser. A rappeler que le conflit du Sahara n’a pas empêché le rapprochement entre l’Algérie et le Maroc dans les années 80 et la création de l’UMA en 1989, grâce justement à la diplomatie, celle de Hassan II et de Chadli Bendjedid, et à l’aide de pays amis.

• La deuxième leçon réside dans la priorité donnée dans le processus de Višegrad aux échanges commerciaux, aux relations culturelles, à la coopération en matière d’éducation et de recherche scientifique et aux rapports au niveau des sociétés civiles, objectif principal de la mise en place en l’an 2000 du Fonds international de Višegrad. Il s’agissait de développer des perceptions nouvelles et positives, de dépasser les stéréotypes hérités du passé et de consolider le rapprochement entre les peuples du GV. Ce ne fut pas le cas pour l’UMA, où les rapports politiques l’ont emporté sur le reste,

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au point que quand les relations se détériorent entre les gouvernements, cela déteint sur l’ensemble des relations liant les pays membres.

• La troisième leçon réfère à la conviction ou l’intérêt que portent les dirigeants et les élites des pays concernés au projet d’union. Les membres du groupe de Višegrad n’ont pu reprendre le processus d’intégration après la période d’interruption 1993-1998 que grâce aux changements de direction intervenus en 1997-1998 dans chacun d’eux. Au Maghreb, en dépit d’une rhétorique officielle sur l’unité maghrébine, il n’est nullement sûr que toutes les élites dirigeantes ou intellectuelles partagent la même conviction quant à la construction du Grand Maghreb, au-delà d’un objectif lointain ou d’un idéal à atteindre.

• La quatrième leçon a trait à l’organisation de l’intégration. Le groupe de Višegrad montre qu’il n’est nullement besoin d’une structure lourde pour bien fonctionner. Fondé sur une simple déclaration (et non sur un traité comme l’UMA), le GV fonctionne autour d’une présidence annuelle tournante, d’un fonds commun de financement de projets, de sommets annuels des premiers ministres et de réunions régulières des ministres sectoriels et d’experts. On est loin de la structure autrement plus pesante, mais infiniment moins efficace, adoptée par l’UMA. Comme si la forme ici importait plus que le contenu, qu’elle était une fin en soi.

• La cinquième leçon enfin, intéresse les objectifs du projet de regroupement. Le groupe de Višegrad s’est constitué d’abord autour d’objectifs forts, peu nombreux, limités, clairs et réalisables, notamment l’ouverture aux échanges commerciaux mutuels et l’adhésion à l’UE et à l’OTAN, et ce n’est que dans une seconde étape, à partir de 2000-2004, qu’une coopération plus large et plus approfondie a été entamée. Pour l’UMA, dès l’abord, les objectifs étaient beaucoup plus ambitieux (voir préambule, art. 2 et 3), relevant en fait plus de la rhétorique que d’un projet réellement réalisable dans un temps raisonnable.

Tels sont, à nos yeux, les principales leçons qu’a pu nous inspirer l’examen comparé des parcours respectifs du groupe de Višegrad en Europe centrale et de l’UMA au Maghreb. Peut-on espérer qu’elles soient retenues, et que surgiront des mouvements révolutionnaires ou contestataires qui secouent le monde arabe depuis quelque temps, un autre Maghreb, plus démocratique et plus intégré, comme hier le groupe de Višegrad à l’issue des révolutions de 1989 ? Seul l’avenir nous le dira.

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Le groupe Višegrad : une double intégration raisonnée, quels enseignements

pour l’Afrique du Nord ?

Fouad M. AMMOR *

La constitution du groupement régional Višegrad fut, dès le départ, propulsée par un processus bicéphale : d’une part, la volonté de couper avec le modèle de développement centralisé qui caractérisait ces pays (leur appartenance au Comecon et au pacte de Varsovie avait fortement impacté la configuration de leur système productif respectif), et, d’autre part, la volonté de jeter les bases d’un développement régi par les lois du marché.

Notre contribution se compose de deux parties : 1. l’établissement et le cheminement commun du groupe Višegrad ; 2. les leçons à tirer de cette expérience unique pour le Maroc dans son environnement régional.

1. L’établissement et le cheminement commun du groupe Višegrad (V4)

Six grands moments scandent l’évolution de ce groupement régional, sachant que ces pays à travers leur histoire respective et commune, ont connu des évènements douloureux et des guerres récurrentes. Pour cette expérience, il est à relever que la dynamique du changement commun réduit le poids des legs historiques aussi douloureux soient-il. Il s’agit ici d’une périodisation récente.

C’est dans ce sens qu’après la chute du rideau de fer en 1989, le groupe (V4) a opté pour une économie ouverte sur son environnement à la fois européen et international. Pour mieux se positionner sur l’échiquier européen, il a décidé de jeter les bases d’une coopération régionale :

Au départ et avant la dissolution de la Tchécoslovaquie en 1993, Višegrad se composait de 3 pays seulement (Triangle de Višegrad).

* GERM.

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(La République tchèque et la Slovaquie deviennent membres du Višegrad après la dissolution de la Tchécoslovaquie en 1993.) Ces trois pays se sont réunis dans la ville hongroise du nom de Višegrad, en février 1991, pour mieux négocier leur coopération, d’une part, et leur intégration européenne, d’autre part.

Les quatre pays du groupe Višegrad deviennent membres de l’Union européenne le 1er mai 2004.

Face à leurs multiples problèmes (des infrastructures à mettre à jour, des disparités économiques entre les régions, surtout en Pologne, la lutte contre la corruption), les V4 ont tout fait pour réussir leur transition d’une économie centralisée à une économie de marché. Ils sont partis de l’existant et de leurs performances. La République tchèque et la Slovaquie ont une industrie automobile très performante : les principaux producteurs sont Skoda, Peugeot-Citroen, Toyota et Hundai, Kia. La République tchèque, quant à elle, possède des réserves d’uranium (village de Lower). La Hongrie et la Slovaquie possèdent une bonne industrie textile et alimentaire.

Certes, la crise financière puis économique de 2007-2008 a constitué un premier examen d’envergure pour les V4. Ceux-ci ont été obligés de revoir leur politique financière et de consolider leur politique fiscale (Slovaquie). Mais toujours est-il que l’environnement des V4 est d’une grande importance quant à l’issue de la crise.

Aujourd’hui, les V4 occupent le 7e rang en Europe en termes de revenu par habitant, avec un revenu moyen pour les quatre pays de 20 000 dollars américains (République tchèque, 25 500, Slovaquie 22 000, Pologne et Hongrie 19 000).

Selon, le rapport « Doing business » de 2011 de la Banque mondiale, concernant le degré de facilité des décisions d’investissement, ces pays sont bien classés : 41 pour la Slovaquie, 46 pour la Hongrie, 63 pour la République tchèque et 70 pour la Pologne (contre le rang 128 pour le Maroc).

2. Quels enseignements pour le Maroc ?

Les V4 sont de plus en plus concurrencés par les pays d’Asie (Chine, Inde) et même par la Russie. Cette concurrence n’est pas étrangère au Maroc, surtout s’agissant de secteurs très sensibles en termes d’emploi,

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Le groupe Višegrad : une double intégration raisonnée 113

d’exportation... Il s’agit plus précisément de l’industrie textile qui, après la fin de certains privilèges dont jouissait le Maroc dans le cadre de l’accord multifibre (AMF), se trouve fortement exposée à la concurrence étrangère.

A ce niveau, la coopération sous-régionale pourrait atténuer l’effet de cette concurrence. En fait, l’un des gages, et non des moindres, d’un développement soutenu sont la coopération régionale et l’ouverture maîtrisée à la mondialisation.

Il a été constaté que si les économies des V4 étaient relativement semblables au moment de leur entrée dans l’UE, la dynamique de l’intégration européenne a fait qu’elles connaissent plutôt une importante diversification et, par conséquent, la complémentarité. Autrement dit, dans le langage des économistes, une allocation rationnelle de leurs ressources productives dans le cadre d’avantages compétitifs est de plus en plus avérée.

Cela montre, encore une fois, que l’élan régional est un processus synergique quant à la configuration des économies des pays concernés.

Le dynamisme économique de ces pays est tributaire d’une ambiance politique porteuse. Les dernières élections ont permis un changement profond de leurs classes dirigeantes. Elles se sont déroulées dans la transparence et la responsabilité avec des taux de participation importants. La stabilité de l’espace V4 dépend, fortement, du mariage heureux entre l’économique et la liberté et le respect de certaines valeurs.

Moralité : lorsque les citoyens savent que leurs voix pèsent sur l’avenir politique de leur pays, ils n’hésitent pas à se mobiliser.

En effet, les pays de V4 considèrent prioritaire le secteur énergétique. A ce propos, le groupe d’experts sur l’énergie créé en 2002 pourrait avec bonheur collaborer avec le Maroc sur les énergies renouvelables qui constituent pour le Maroc une de ses grandes priorités et un de ses grands chantiers pour l’avenir. Le programme Tempus de coopération interuniversitaire, entre autres, pourrait y être mis à contribution avec bonheur.

Last but not least, l’approche qui a présidé à la constitution du groupe V4 est téléologique, privilégiant l’avenir plutôt que s’empêtrant dans les méandres du passé. Malgré ce passé commun jalonné de bons nombres

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d’événements douloureux, ces pays ont décidé de construire ensemble leur avenir sur des bases utilitaires, rationnelles et dépassionnées.

C’est une leçon pour nous à méditer, nous qui continuons, dans notre pré-carré maghrébin, à chanter notre passé commun, notre langue commune, nos religion et culture communes, en oubliant de réfléchir à l’essentiel, à savoir notre futur, sinon déjà notre présent, commun.

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Approches

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Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN avec les pays du Maghreb

Abdelouhab MAALMI *

Le 17 septembre 2010, la veille de l’adoption du nouveau concept stratégique par le sommet de l’OTAN de novembre à Lisbonne, se tenait au Collège de la défense de l’OTAN à Rome, avec des chercheurs maghrébins, un atelier destiné à réfléchir aux voies et moyens de « relancer la dynamique du dialogue méditerranéen de l’OTAN avec les pays du Maghreb (1) ». Et parmi les sujets à débattre figurait celui de savoir comment accroître la dimension multilatérale et politique de ce dialogue. Mais c’était quelques mois avant les bouleversements qui allaient secouer le monde arabe de l’Atlantique au Golfe et créer une dynamique nouvelle qui ne va pas laisser d’interpeller les partenaires de cette région, notamment l’OTAN, dont le rôle dans le succès de la révolution libyenne (l’opération Unified Protector) a été décisif (2). Est-ce une chance pour l’Alliance pour un partenariat élargi, plus dynamique et plus efficient ? Ou est-ce le début d’une autre phase d’incertitudes, de malentendus (triomphe de l’islamisme), voire de nouveaux défis pour la sécurité (faillites d’Etats) nés des changements politiques brutaux survenus en Tunisie, en Libye, en Egypte et des crises de régime sévères qui secouent encore (en janvier 2012) des pays comme le Yémen ou la Syrie, pour ne citer que ceux-là ? Telles sont à notre avis les grandes interrogations qui vont marquer pour les quelques années à venir, et de manière profondément renouvelée, les débats sur le futur des partenariats de l’OTAN avec les pays d’Afrique du nord et du Moyen-Orient (Dialogue méditerranéen, Initiative de coopération d’Istanbul).

* Professeur de relations internationales, Université Hassan II, Faculté de droit, Casablanca.(1) Voir le compte-rendu de P. Razoux, « How to revitalize the dialogue between Nato and the Maghreb countries ? », Research Paper, Nato Defense College (NDC), Rome, n° 64, December 2010, p. 1-12 ; et de Donatella Scatamacchia, « How Nato can help in th Maghreb ? », Atlantic-Community.Org, February 28, 2011, sur le lien http://www.atlantic-community.org/index/articles/view/How_NATO_Can_Help_in_the_Maghreb(2) P. Razoux, « Six months after the start of the Arab Spring : Impact and challenges for the countries of North Africa and the Middle East and for Nato partnerships », Workshop Report, NDC, Rome, June 2011. Pour une description de la nouvelle situation au Maghreb, voir A. Belhaj et al., The changing security situation in the Maghreb, sur le lien http://www.amo.cz/publications/n-273.html?lang=en (20/1/2012).

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L’objet du présent travail est de reprendre le thème de la dimension multilatérale dans le Dialogue méditerranéen (DM) de l’OTAN abordé lors de l’atelier de septembre 2010 évoqué plus haut, pour l’examiner à la lumière à la fois du nouveau concept stratégique de l’OTAN et de la nouvelle donne géopolitique née des événements survenus dans le monde arabe depuis janvier 2011. Nous commencerons par clarifier les données du problème pour savoir de quoi il s’agit. Nous ferons un petit détour conceptuel pour voir en quoi consiste le multilatéralisme par rapport au bilatéralisme, avant de montrer comment ces deux dimensions se présentent concrètement dans le DM. Nous présenterons enfin, dans une dernière section, ce qui nous semble être l’approche multilatérale la mieux adaptée pour contribuer à un DM plus ambitieux, dynamique et rénové.

Le problème

Avant les événements dits du »Printemps arabe », la question du DM de l’OTAN, lequel existe depuis 1994 et auquel participe l’ensemble des pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, à l’exception de la Libye), se posait à peu près dans les termes suivants :

– La tendance à la banalisation du DM, en ce sens que, à l’instar du Partenariat euro-méditerranéen (PEM), celui-ci se réduisait de plus en plus à une coopération routinière dans laquelle l’OTAN, en contrepartie d’une certaine collaboration en matière sécuritaire, offre à ses partenaires des avantages de type technique et militaire, mettant ainsi en question les objectifs politiques à long terme du DM que sont la construction de la confiance, la compréhension mutuelle, les consultations politiques et la prévention des conflits (3).

– La conscience de plus en plus grande, perceptible chez plusieurs analystes de l’OTAN et dans les milieux mêmes de l’Alliance, de l’existence dans le DM d’un déséquilibre dommageable, non perçu ailleurs dans les autres aires de partenariat de l’OTAN (Mer baltique, Europe

(3) Pour le texte fondateur du DM de l’OTAN, voir le communiqué final du Conseil de l’Atlantique Nord réuni en session ministérielle en date du 1er décembre 1994 à Bruxelles, sur le lien http://www.nato.int/cps/en/natolive/official_texts_24430.htm. Pour une évaluatioon de DM, voir Kadry Said, « Assessing Nato’s Mediterranean Dialogue », Nato review, spring 2004 ; et P. Razoux, « Nato Mediterranean Dialogue at a crossroads », Research Report, NDC, Rome, n° 35, april 2008.

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Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 119

de l’Est, du Centre et du Sud, Caucase, Asie centrale), entre un format bilatéral dominant et un format multilatéral peu développé.

– La reconnaissance qu’un vrai DM progressif, à même d’atteindre pleinement ses objectifs à long terme – ceux d’une véritable sécurité coopérative – est celui qui évoluerait vers un processus élargi de coopération multilatérale (28+n), sans pour cela remettre en cause ou minimiser la coopération bilatérale qui demeure fondamentale et pratique quel que soit le type de partenariat considéré, comme l’a montré l’expérience du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA)/Partenariat pour la Paix (PpP).

Si tels étaient les éléments du problème avant le « Printemps arabe », sont-ils toujours les mêmes après ? L’intervention de l’OTAN, sous couvert de l’ONU, aux côtés des révolutionnaires libyens et les changements démocratiques qui s’annoncent au Maghreb ne vont-ils pas contribuer à consolider le DM d’abord en permettant d’y inclure la Libye, puis en renforçant sa dimension multilatérale dès lors que les divergences de régime entre les pays au Maghreb risquent de se dissiper et les écarts de valeurs entre le Nord et le Sud de se rétrécir ? Ou bien le DM (ainsi que l’ICI) ne va-t-il pas marquer le pas, accentuant sa dimension bilatérale et sélective, voire régresser face à une montée en puissance des pouvoirs islamo-nationalistes moins ouverts sur l’Occident, plus sensibles à la solidarité islamique, plus hostiles à Israël et plus critiques à l’égard des politiques occidentales au Moyen-orient et en Asie centrale ? Cette seconde hypothèse à la Huntington (4) pouvant même s’aggraver avec la fragilisation ou l’effondrement de certains Etats de la région (Egypte, Libye, Syrie, Yémen) si les processus de sortie de l’autoritarisme échouent et débouchent sur le chaos, l’instabilité chronique ou la guerre civile, posant à l’OTAN et à la communauté internationale des dilemmes insurmontables (intervenir ou pas ? et à quel prix ?) et ôtant par voie de conséquence toute pertinence à la question d’une multilatéralisation accrue du DM. Mais ce ne sont là encore que des hypothèses, les processus de

(4) Partant d’une analyse asymétrique ou en termes d’hégémonie du Dialogue méditerranéen de l’Otan, Alaa A.H. Abdal Aziz prévoit, dans une étude effectuée en 2003, un scénario proche de cette seconde hypothèse : une révolte des peuples arabes contre les régimes autocratiques en place supposés soutenus par l’OTAN entamerait une nouvelle phase de confrontation avec cette dernière, voir Alaa A. H. Abdal Aziz, « Balance of threat perception and prospects of Nato Mediterranean Dialogue », Research Fellowship Programme, NDC, Rome, Final Report, 2003, p. 42-43, disponible sur le lien : http://www.nato.int/acad/fellow/01-03/alaziz.pdf

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transition ne sont pas encore terminés et suivent des cours différents d’un pays à l’autre, mettant le reste du monde dans une position d’attente dont il est difficile de prévoir la durée.

S’agissant du Maghreb, qui est l’objet de notre travail ici, des signes encourageants d’une amélioration des rapports intermaghrébins, notamment entre l’Algérie et le Maroc (5), se profilent à l’horizon. Si la transition démocratique se consolide au Maroc, réussit en Tunisie et se réalise pour de bon en Algérie – où des élections législatives sont prévues en mai 2012 – et que les Algériens et les Libyens dépassent leurs derniers malentendus nés de la révolution contre le régime de Kadhafi, une opportunité historique se présente alors aux pays du Maghreb et à l’OTAN pour élever le DM à un niveau non atteint jusque-là, non seulement pour aider à la reconstruction de l’Etat libyen (6) et éviter que ce pays ne sombre dans l’anarchie, mais aussi pour s’attaquer de manière plus coopérative et efficace aux autres défis de la sécurité qui menacent la région tant au Sahel (7) qu’en Méditerranée occidentale. C’est donc dans le cadre cette hypothèse un peu optimiste d’un contexte apparemment prometteur que nous examinerons ici la problématique de la dimension bilatérale et multilatérale dans les relations de l’OTAN avec les pays du Maghreb.

Le nouveau Concept stratégique de l’OTAN de 2010, qui remplace celui de 1999, n’aborde pas directement la question de savoir s’il y a lieu de renforcer le format multilatéral du DM, mais les Alliés s’engagent à renforcer les partenariats « suivant des formules souples […] à travers les

(5) On constate en effet depuis mars 2011, en liaison sans doute avec le “Printemps arabe”, des signes d’un certain rapprochement entre le Maroc et l’Algérie en termes de déclarations de bonnes intentions venant de hauts dirigeants, notamment algériens, d’échange de visites ministérielles, de signature d’accords de coopération dans le domaine de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture et du sport. Le nouveau ministre des Affaires étrangères marocain du gouvernement Benkirane nommé le 3 janvier 2012 à la suite des élections de novembre 2011 se rend à Alger les 23-24 janvier 2012, ce voyage étant le premier qu’un chef de la diplomatie marocaine effectue dans ce pays voisin depuis 2003. De même, une réunion des MAE de l’Union du Maghreb Arabe est prévue en février 2012 à Alger. Pour ces développements voir le site info. http://www.magharebia.com (6) Pour un rôle post-conflit de l’OTAN en Libye, voir P. Razoux, « Nato in Libya : The Alliance between emergency help and nation-building », Research Division Report, NDC, Rome, 29 March, 2011 ; et P. Razoux, « What future for post-Gddafi Libya ? » Research Report, NDC ? Rome, December 2011. (7) Pour une vue d’ensemble sur les problèmes de sécurité dans cette zone, voir l’excellente étude de Mehdi Taje, « Sécurité et stabilité dans le Sahel africain », NDC Occasionnal Paper, NDC, Research Branch, Rome, n° 19, December 2006.

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Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 121

cadres existants et au-delà », et à « approfondir la coopération avec les pays qui participent au Dialogue méditerranéen (8) ». Peut-être les changements récents dans la région MENA et l’intervention de l’OTAN en Libye jusqu’à la chute du régime de Kadhafi amèneraient-ils le Comité de l’Alliance chargé de la gestion des partenariats à mieux expliciter le contenu d’un tel engagement des Alliés. Reste à savoir pourquoi, selon nous et aux yeux de nombre d’analystes, le développement du multilatéralisme, entre autres, dans le DM en rehausserait les résultats qui, de l’aveu même du Groupe d’experts pour le nouveau concept stratégique de l’Alliance (9), restent modestes ? Cela nous renvoie à la problématique théorique du concept de multilatéralisme et de son apport à la vie internationale par rapport au bilatéralisme, le mode traditionnel des relations interétatiques.

Multilatéralisme vs bilatéralisme

Se mettre à plus de deux pour entreprendre une action commune ou œuvrer à la réalisation d’un objectif commun est une forme de coopération qui a de tout temps existé entre unités politiques indépendantes ou Etats, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la défense sous forme d’alliances, de ligues ou de coalitions. Mais, outre le fait que ce multilatéralisme embryonnaire (10) ne dérogeait pas à la logique des intérêts et de la puissance, conformément au modèle hobbesien des relations internationales fondé sur les considérations de survie et de self-help, c’est le bilatéralisme qui, jusqu’à une date récente, a été en réalité le mode dominant de la vie internationale. Or, depuis le milieu du XIXe siècle la coupure est nette et significative (11) : le multilatéralisme, sous des formes diverses allant des conférences internationales aux organisations internationales, s’impose comme une donnée majeure de l’action internationale qui révolutionne la vie internationale, surtout

(8) Voir le document de l’OTAN, « Engagement actif, Défense moderne », sur le lien http://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_68580.htm (9) Voir le document « OTAN 2020 : une sécurité assurée, un engagement dynamique. Analyse et recommandations du Groupe d’experts pour un nouveau concept stratégique de l’OTAN, 17 mai 2010 », sur le lien http://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_56626.htm (10) A. de Hoop Scheffer, « Alliances militaires et sécurité collective : contradictions et convergences », in B. Badie et G. Devin (dir.), le Multilatéralisme, nouvelles formes de l’action internationale, éd. La Découverte, Paris, 2007, p. 57.(11) M. Vaïsse, « Une invention du XIXe siècle », Ibid., p. 13-22.

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depuis 1945 (12) : gestion collective des crises, idée de sécurité collective, apparition d’acteurs collectifs, universels ou globaux (SDN, ONU), autres que les Etats ou les empires, multilatéralisation de la coopération dans des domaines autres que la sécurité, à l’aide de mécanismes inédits (entreprises ou établissements internationaux, OIG), etc. Ainsi les Etats, par nature méfiants, égoïstes, jaloux de leur autonomie, n’acceptant pas volontiers de se soumettre à des contraintes internationales qui soient incompatibles avec leurs intérêts immédiats ou qui restreignent leur liberté d’action (13), ont-il dû, petit à petit, souvent par pragmatisme plus que par idéalisme, s’adapter à la nouvelle donne de la vie internationale et voir leurs diplomaties nationales transformées (14). Aussi des écoles de pensée, d’obédience essentiellement libérale, allant de l’idéalisme au constructivisme, en passant par le fonctionnalisme et l’institutionnalisme, vont y voir non pas seulement un simple mode d’action dont les Etats, poussés par leur besoin de coopération et contraints par leur interdépendance croissante, se servent au mieux de leurs intérêts, mais le prélude à une remise en cause radicale de l’ordre ancien, dit ordre westphalien, modèle de référence de l’école réaliste par excellence, en faveur d’un ordre plus organisé, plus intégré, plus solidaire, plus démocratique et plus pacifique (15). Dès lors, le multilatéralisme apparaît, pour certaines de ces écoles, voire pour une large frange de l’opinion publique internationale, plus qu’un simple arrangement pragmatique et institutionnel des intérêts étatiques, mais une valeur et un projet ayant trait à l’ordre international idéal ou souhaitable. Pour J.G. Ruggie, le premier à tenter de conceptualiser le multilatéralisme (16), ce qui distingue celui-ci des autres formes traditionnelles de coopération, ce n’est pas le nombre des participants

(12) P. Grosser, « De 1945 aux années 80 : une efflorescence sur fond de Guerre froide et de décolonisation », ibid., p. 23-40.(13) M. Vaïsse, op. cit., p. 15.(14) D. Placidi, « La transformation des pratiques diplomatiques nationales », in B. Badie et G. Devin (dir.), op. cit., p. 95-112.(15) Pour un aperçu sur les transformations ayant affecté l’ordre westphalien ancien, voir M.W. Zacher, « The decaying pillars of the Westphalian temple : Implications for international order and governance », in J.N. Rosenau and E-O. Czempiel (edit.), Governance without government : Order and change in world politics, N.Y., Cambridge University Press, 1992, p. 58-101.(16) J.G. Ruggie, Multilateralism : The anatomy of an Institution, International Organization, vol. 46, n° 3, Summer 1992, p. 561-598. Le multilatéralisme est ainsi défini (p. 571) : « Is an institutional form which coordinates relations among three or more states on the basis of ‘generalized’ principles of conduct – that is, principles which specify appropriate conduct for a class of actions, without regard to the particularistic interests of the parties or the strategic exigencies that may exist in any specific occurrence. »

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(plus de deux), ni même l’institutionnalisation de la coopération (règles, organisation, régime), qui restent à ses yeux de simples caractéristiques formelles ou nominales, mais la qualité des rapports qu’il instaure entre les acteurs. Contrairement au bilatéralisme (qui peut prendre des formes multilatérales (17)), le multilatéralisme, dans sa philosophie profonde, soumet les relations entre les acteurs à des règles générales, élimine les distinctions entre les participants et crée entre eux des attentes mutuelles et durables quant aux retombées finales de la coopération. C’est d’ailleurs à cause de ces exigences élevées à l’égard des Etats que, fait noter J.G. Ruggie, le vrai multilatéralisme reste une denrée rare et a été historiquement moins fréquent. C’est pourquoi C. Bouchard et J. Peterson, afin de pouvoir mieux rendre compte des différentes expressions du multilatéralisme dans le passé et le présent des relations internationales, optent pour une conception plus souple du multilatéralisme, en introduisant l’idée de degré et en insistant sur le volontariat, l’institutionnalisation, l’effectivité ou l’efficacité, les fonctions ainsi que les différents usages plus ou moins louables qui peuvent être faits du multilatéralisme (18).

Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire que la Charte des Nations Unies et le système institutionnel qui en est issu ainsi que l’Europe communautaire (19) préfigurent plus ou moins l’ordre multilatéral conforme à son concept.

L’OTAN, quant à elle, celle de l’après-guerre froide, qui se veut plus qu’une simple alliance classique, un instrument de projection de puissance et d’équilibre, se présente de plus en plus pour ses membres comme une « communauté de sécurité » au sens deutschéen du terme (K. Deutsch, 1954) et ambitionne d’être pour le monde qui l’entoure un partenaire de sécurité commune (partenariats bilatéraux et multilatéraux) et un outil de sécurité collective (au service de l’ONU ou des organisations régionales), donc une extension en quelque sorte vers l’extérieur des éléments de la communauté

(17) Ainsi l’exemple donné par J.G. Ruggie du régime international du commerce nazi imaginé par H. Schacht en 1934 où, derrière une façade multilatérale, les partenaires de l’Allemagne sont soumis à des régimes de dépendance négociés bilatéralement. (18) C. Bouchard et J. Peterson, « Conceptualising multilateralism. Can we all just get along ? » Mercury, E-paper n° 1, January 2011, accessible sur le lien http://www.mercury-fp7.net/fileadmin/user_upload/E_paper_no_1__Revised_Version.pdf(19) E. Lazarou et al., « The evolving “doctrine” of multilateralism in the 21st century », Mercury, E-paper n° 3, February 2010, accessible sur le lien : http://fgv.academia.edu/ElenaLazarou/Papers/961105/The_Evolving_Doctrineof_Multilateralism_in_the_21st_Century

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de sécurité dont jouissent ses membres à l’intérieur, notamment à travers le multilatéralisme (20). Or, comme on l’a vu, si celui-ci demeure, de par les vertus qui lui sont reconnues, la seule voie qui puisse garantir un réel progrès en ce sens, il n’en reste pas moins vrai que, dans le cas des politiques partenariales de l’OTAN, particulièrement en Méditerranée, il est la voie la plus difficile, la plus problématique à mettre en œuvre de façon effective et efficiente. D’où la place centrale qu’y occupe le bilatéralisme.

Multilatéralisme, DM et pays du Maghreb

Le Dialogue méditerranéen, auquel participent sept pays du sud de la Méditerranée (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Egypte, Jordanie et Israël), se fonde, on le sait, sur cinq principes : progressivité, bilatéralisme, non-discrimination, complémentarité (avec d’autres initiatives de coopération nord/sud dans la région) et autodifférenciation (21). Le choix dès le départ par l’OTAN du format bilatéral contraste, on l’a dit, avec celui fait par exemple pour les pays européens de l’ex-bloc soviétique au lendemain de la fin de la bipolarité, en instituant d’abord un mécanisme multilatéral en 1991, le Conseil de coopération nord-atlantique, CCNA, (qui deviendra Conseil de partenariat euro-atlantique, CPEA, en 1997), avant d’introduire en 1994 un mécanisme bilatéral, le PpP ouvert à tous les pays de l’OSCE non membres de l’OTAN. L’option bilatérale de l’OTAN pour le cas du DM trouve son explication principale dans les circonstances où fut lancé ce dernier. Initié dans un contexte de relatif optimisme quant au processus de paix israélo-palestinien (Conférence de Madrid, accords d’Oslo), l’Otan voulait par prudence ou réalisme éviter que le DM ne fût hypothéqué par les incertitudes liées aux aléas dudit processus et par la présence d’Israël en son sein. Conjugué au bilatéralisme, le choix initial des partenaires (Maroc Mauritanie, Tunisie, Egypte, Israël et, un peu plus tard, la Jordanie) visait le même objectif : lancer le dialogue avec les pays arabes dits modérés,

(20) Sur le multilatéralisme de l’OTAN, voir A. de Hoop Scheffer, « Alliances militaires et sécurité collective », in B. Badie et G. Devin (dir.), le Multilatéralisme, op. cit. ; F. Schimmelfennig, « Multilateralism in post-cold war Nato : Functionnal, form, identity-driven cooperation », accessible sur le lien http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Schimmelfennig.pdf ; J.J. Sokolosky, « Projecting stability : Nato and multilateral naval cooperation in the post-cold war era », Nato Fellowship Program, 1995-1997, Final report, accessible sur le lien http://www.nato.int/acad/fellow/95-97/sokolsky.pdf(21) Nato Policy Document : « A more ambitious and expanded framework for Mediterranean Dialogue », http://www.nato.int/docu/comm/2004/06-istanbul/docu-meddial.htm

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autrement dit disposés à accepter qu’Israël soit membre à part entière du DM.

Ainsi la voie bilatérale (OTAN+1), qui combine à la fois non-discrimination (du côté de l’Alliance offrant une même base de coopération aux participants au Dialogue) et autodifférenciation (du côté des participants adaptant l’offre de l’Alliance à leurs besoins, possibilités et intérêts), s’est-elle incarnée dans deux instruments principaux : le Programme de travail du Dialogue méditerranéen, et le Programme de coopération individuelle, devenus respectivement depuis la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN à Berlin en avril 2011 le Menu de la coopération de partenariat (Partnership Cooperation Menu, PCM) et le Programme de coopération individuelle et de partenariat (Individual and Partnership Cooperation Programme, IPCP) (22). Trois pays maghrébins (Mauritanie, Tunisie, Maroc) ont conclu des PCI avec l’Alliance après Israël, l’Egypte et la Jordanie. Mais la coopération bilatérale pratique avec l’OTAN n’est nullement prisonnière d’un tel cadre. En témoigne l’exemple particulier du Maroc qui n’est sous le règne d’un PCI que depuis 2010, alors que sa coopération avec l’OTAN n’a cessé de se développer depuis 1995, allant de l’appui aux Forces Alliées dans les Balkans jusqu’à la participation à l’opération Active Endeavour (depuis 2007) dans le bassin méditerranéen, en passant par la formation et l’entraînement de ses forces armées (Forces armées royales, FAR) à travers stages, exercices conjoints et échange d’expertises avec l’Organisation atlantique (23). Le format de coopération bilatérale reste donc le pivot du DM de l’OTAN en Méditerranée.

Pourtant, la voie multilatérale n’a pas été négligée (24). En fait elle s’est imposée d’elle-même à l’Otan après les événements tragiques du 11 septembre 2001 (25), l’appui de l’Alliance à l’intervention des Etats-Unis en Afghanistan en octobre 2001 et le lancement à la même date en Méditerranée de l’opération de surveillance maritime anti-terroriste Active

(22) Voir à cet effet le site de l’OTAN, Bruxelles, sur le lien : http://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_60021.htm (23) T. Marrakchi, « L’initiative de dialogue de l’OTAN en Méditerranée », thèse de doctorat (dir. Abdelouhab Maalmi), Faculté de droit, Casablanca, 2009, p. 234-260. (24) A.B. Boening, « Multilateral security in the Mediterranean post cold war : Nato’s Mediterranean Dialogue and Euro-Med Partnership », Jean Monnet/Robert Shuman Paper Series, vol. 7, n° 10, May 2007, sur le lien http://aei.pitt.edu/8182/1/Boening_NATO_Med_Long07edi.pdf(25) Alaa A.H. Abdal Aziz, « Balance of threat perception and prospects of Nato Mediterranean Dialogue », op. cit., p. 7.

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Endeavour (26). Le besoin d’un dialogue multilatéral se fit en effet sentir des deux côtés du DM, vu la gravité de la situation, la cassure Nord/Sud menaçant une fois de plus d’évoluer vers une guerre de civilisations prédite par S. Huntington. D’où la création d’un nouveau forum de dialogue, de type multilatéral cette fois (OTAN + 7), au niveau des ambassadeurs, qui tient sa première réunion en octobre 2001 et qui va continuer à se réunir de façon régulière par la suite, au moins deux fois par an. Une réunion du même type mais au niveau des experts sous l’égide du Groupe consultatif de la politique atlantique de l’OTAN (Atlantic Policy Advisory group, APAG) avait été également prévue au printemps 2009 en Italie, mais elle n’a finalement eu lieu que récemment, en septembre 2011 (27). Enfin, à cause des difficultés politiques de la réunion d’un forum de consultation d’un niveau plus élevé, les milieux de l’OTAN ont été conduits à imaginer une autre formule, celle dite 19+n (aujourd’hui 28+n) qui vise à organiser à un plus haut niveau des consultations sur la sécurité avec au moins deux partenaires du DM qui le voudraient bien, autrement dit un multilatéralisme à géométrie variable, ou ce qu’a été appelé dans la littérature le minilatéralisme (28) : participation des Etats qui y ont intérêt ou multilatéralisme minimal pour une efficacité accrue. Aussi un certain nombre de rencontres ont-elles bien eu lieu au niveau des ministres des Affaires étrangères (Bruxelles 2004, Rabat 2006, Bruxelles 2007) et de la Défense (Taormina 2006, Séville 2007), mais elles n’ont pu gagner en régularité suffisante, ni s’inscrire dans un cadre général multilatéral à la fois institutionnel et juridique qui organise le dialogue et planifie la coopération que ce soit à l’échelle régionale (la Méditerranée) ou sous-régionale (Méditerranée occidentale, Méditerranée orientale).

On peut se demander pourquoi, après maintenant seize ans de DM, un tel cadre fait encore défaut ? Pourquoi ce qui a été possible par

(26) R. El Houdaigui, « L’opérarion Active Endeavour et son impact sur le Dialogue méditerranéen de l’OTAN », NDC Occasionnal Paper, NDC, Research Branch, Rome, n° 22, June 2007.(27) Récemment encore, le 12 janvier 2012 à Bruxelles, à l’occasion de sa 166e session, le Comité militaire de l’OTAN a tenu une réunion avec les 7 membres du DM au niveau des chefs d’état-major pour discuter des problèmes de sécurité et de coopération militaire dans le cadre du DM suite aux changements politiques survenus en Méditerranée et au Moyen-Orient. Cette réunion a associé aussi les représentants des autres partenariats de l’Alliance en vue de préparer la réunion des ministres de la Défense en février et le sommet de l’OTAN en mai à Chicago, voir communiqué de presse sur le site de l’OTAN, Bruxelles, Presse/Nouvelles, 19 janvier 2012. (28) M. Naïm, « Minilateralism : The magic number to get real international action », Foreign Policy, n° 73, July-August 2009, p. 135-136, cité par C. Bouchard et J. Peterson, Conceptualising Multilateralism, op. cit., p. 9.

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exemple en mer Baltique (l’expérience de Baltic Peacekeeping Battalion, ou BALTBAT (29)) sous l’égide du CPEA ne trouve-t-il pas écho en Méditerranée ? Est-ce que le format actuel, essentiellement bilatéral, se suffit à lui-même pour réaliser les objectifs du DM ? Ou est-ce que ce sont des obstacles inhérents aux conflits sud-méditerranéens restés insolubles, combinés aux disparités politiques et culturelles Nord/Sud, qui empêchent le DM d’avancer suffisamment sur le plan multilatéral (30) ? S’agit-il d’une simple question de priorités pour les pays du Sud, arabes en l’occurrence, dont la perception de la sécurité, axée essentiellement sur les problèmes internes et les conflits de voisinage, ne recouperait pas totalement celle de l’OTAN, ou dont la coopération avec l’OTAN ne s’impose que parce que la présence et l’action de cette dernière dans la région ne saurait être ignorées ? Tous ces éléments d’explication, pris dans leur ensemble, sauf le premier, sont valables et se complètent et sont largement abordés dans la littérature sur le DM. Dans ces conditions, comment et dans quel sens l’OTAN, qui a conçu et initié le DM, peut-elle s’y prendre, avec le concours bien sûr de ses partenaires, pour que ce dernier retrouve un nouvel élan et aller au-delà du bilatéralisme prédominant actuel dont le seul résultat a jusqu’ici été de rapprocher l’OTAN des membres du Dialogue pris individuellement, négligeant la portée régionale d’un véritable régime de sécurité commune qui ne peut être obtenu que grâce à un multilatéralisme à la fois développé et adapté ?

Quel multilatéralisme pour un DM rénové ?

Il est paradoxal que l’approche multilatérale du DM, pourtant encouragée par les instances suprêmes de l’OTAN, notamment les sommets de Washington de 1999, de Prague de 2002 et d’Istanbul de 2004, n’ait pas retenu l’attention qu’elle mérite de la part des analystes et autres spécialistes de l’OTAN en Méditerranée, qu’ils soient du Sud ou du Nord. Jugée par certains experts comme non prioritaire, et en tous cas

(29) Pour une comparaison entre les deux partenariats, voir E. Johansson, « Nato and subregional security construction in Europe’s periphery : Dialogues in the Mediterranean and the Baltic sea », Nato Final Report 2000-2002, disponible sur le lien http://www.nato.int/acad/fellow/99-01/Johansson.pdf(30) Cherif Dris, « Rethinking Maghrebi security: The challenge of multilateralism », inY.H. Zoubir and H. Amirah-Fernádez, North Africa. Politics, region and the limits of transformation, Routledge, N.Y., 2008, p. 245-265.

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peu praticable (31), la dimension multilatérale du DM a été en revanche considérée par d’autres comme essentielle si l’on veut que le DM devienne un véritable partenariat (32), incarne un projet en vue d’un véritable cadre régional de sécurité (33), ou serve de moyen de promouvoir les mesures de confiance et de sécurité parmi les partenaires (34).

Le sommet de l’OTAN de novembre 2010 à Lisbonne et l’adoption du nouveau Concept stratégique pour l’OTAN 2020 ont été, on l’a dit, l’occasion d’un réexamen approfondi des différents partenariats et dialogues de l’Alliance, dont le DM, que les Alliés ont pris l’engagement d’approfondir et de développer. Car non seulement les défis de sécurité sont devenus plus préoccupants, les problèmes du Sahel s’ajoutant à ceux du Maghreb et du Moyen-Orient, mais les relations transméditerranéennes ne sont toujours pas sereines et la confiance mutuelle Nord-Sud ou Sud-Sud fait toujours défaut. De plus, le nouveau contexte né des événements du ”Printemps arabe“ expose la région à toutes les éventualités, autant les rassurantes que les inquiétantes. L’OTAN, après son engagement en Libye, se dit certes prête à accompagner les transitions en cours vers la stabilité et la démocratie, mais une vision à plus long terme s’impose. Pour le DM, cette vision passerait, selon nous, par une approche multilatérale plus vigoureuse mais adaptée, l’approche bilatérale ayant atteint ses limites au regard des objectifs ultimes du Dialogue, même si, sur le plan de la coopération pratique, elle est loin d’avoir épuisé toutes ses potentialités.

L’approche multilatérale d’un Dialogue rénové que nous préconisons ici consiste, en effet, en trois types d’évolution complémentaires ou convergents que nombre d’auteurs, notamment maghrébins, ont plus ou

(31) Cf. les deux rapports des experts de la Rand Corporation, F.S. Larrabee, J. Green, I.O. Lesser, M. Zanini, le premier en date de 1997 sous le titre Nato’s Mediterranean initiative : Policy issues and dilemmas (p. 45), disponible sur le lien http://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR957.html ; le second en date de 2000, intitulé, The future of Nato’s Mediterranean initiative. Evolution and next steps (notamment ch. 6, p. 46-50), disponible sur le lien http://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR1164.html(32) R. Aliboni, « Strenthening Nato-Mediterranean relations : A transition to partnership », Institut italien des affaires internationales, IAI, Rome, 2002 disponible sur le lien http://www.iai.it/pdf/mediterraneo/September_Seminar_inglese.PDF(33) L. Borgomano-Loup, « Nato’s Mediterranean Dialogue and Instanbul Cooperation Initiative: Prospects for development », Research Paper, Academic Research Branch, NDC, Rome, n° 21, June 2005, p. 2-3. (34) P. Razoux, « The Nato Mediterranean Dialogue at a crossroads », Research Paper, Research Division, NDC, Rome, n° 35, April 2008; A. Benantar, « Contribution à l’établissement de la confiance et de la sécurité au Maghreb », Fellowship Monograph, NDC, Rome, n° 3, 2010.

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moins mis en évidence : s’orienter vers une institutionnalisation accrue, contribuer à la résolution des conflits et surtout tenir compte de la diversité régionale.

Concernant l’institutionnalisation, sans laquelle aucun multilatéralisme n’est concevable, il s’agit d’opérer un triple changement au sein du DM. D’abord, une meilleure participation des partenaires à la définition de l’agenda de la coopération sécuritaire (identification des menaces et de la manière de les affronter) (35) à travers des consultations régulières et ad hoc au niveau des ministres des Affaires étrangères. Les pays du Sud (maghrébins en l’occurrence) doivent avoir en effet le sentiment, chaque fois qu’il s’agit de leur région, qu’ils sont traités en véritables partenaires, non en de simples sous-traitants de la sécurité, partageant non seulement les tâches, mais aussi les responsabilités (36). Pour cela, deuxièmement, il est peut-être temps de penser à mettre en place un organe commun dédié au dialogue entre l’OTAN et ses partenaires méditerranéens. Il pourrait être appelé le Conseil de partenariat méditerranéen (CPM) et pourrait se réunir à différents niveaux, des ministres aux chefs d’Etat et de gouvernement, et selon différents domaines intéressant la sécurité. La préparation des délibérations du CPM peut être assurée par la structure actuelle au niveau des ambassadeurs et experts appropriés dans le cadre du Political and Partnership Committee de l’OTAN successeur depuis 2011 du Mediterranean Cooperation Group (MCG). Le CPM doit être, du moins dans une seconde étape, l’instance non pas seulement d’échange de points de vue et de prise de positions s’il y a lieu, mais aussi de décision pour tout ce qui touche le partenariat de l’OTAN en Méditerranée, du moins dans ses grandes lignes. Troisièmement, et c’est le plus important, il faut au DM un texte de base, un document fondateur comme l’appelle le Groupe d’experts pour le nouveau concept stratégique de l’OTAN évoqué plus haut, élaboré d’un commun accord entre l’Alliance et ses partenaires et qui définirait les objectifs du dialogue, fixerait l’organisation et les compétences du CPM et régirait les relations de celui-ci avec les autres instances de dialogue et de coopération en Méditerranée.

Concernant la résolution des conflits, c’est certes une tâche qui n’a jamais fait partie des missions traditionnelles de l’OTAN. En témoigne le conflit à propos de Chypre entre la Grèce et la Turquie, pourtant

(35) A. Benantar, idem, op. cit., p. 60.(36) Idem.

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deux membres de l’Alliance. Elle reste absente des missions nouvelles de l’Organisation atlantique telles que les rappelle le nouveau Concept stratégique de 2010, c’est-à-dire gérer les crises, prévenir les conflits, participer au maintien de la paix et stabiliser les situations post-conflit. Pourtant, rien n’empêche l’OTAN de jouer un certain rôle dans la résolution des conflits conformément à l’article 2 du Traité de Washington, selon lequel « les parties contribueront au développement de relations internationales pacifiques et amicales », et l’article 1er qui engage ces dernières à « régler par les moyens pacifiques tous différents internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées ». Dans son évaluation des partenariats de l’OTAN en Méditerranée et au Moyen-Orient le Groupe d’experts pour le nouveau concept stratégique n’hésite pas à souligner l’absence d’un rôle diplomatique actif de l’Alliance dans le règlement du problème palestinien comme un des indicateurs de la modestie des résultats de ces partenariats (37). De même, des analystes maghrébins comme B. Saidy (38), A. Benantar (39) ou F. Ammor (40) conditionnent, chacun à leur manière, leur vision d’une véritable relance du DM à une implication active de l’OTAN dans la résolution des conflits majeurs de la région, Sahara occidental et conflit israélo-palestinien en tête.

En effet, l’avenir du DM resterait incertain si l’amélioration du climat de sécurité était « limitée à la dimension verticale sans incidence sur la dimension horizontale (41) », si la méfiance continuait de dominer les rapports entre les partenaires du Sud en raison de conflits demeurés non résolus. Non seulement le DM, mais l’OTAN elle-même perdrait à terme de sa crédibilité et ne gagnerait pas en légitimité en tant que partenaire de paix, aux yeux des opinions publiques des pays concernés (42). Certes, les conflits en question (conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe, conflit du Sahara occidental, affaire de Chypre, question de Ceuta et Melilla) sont complexes et difficiles, et l’OTAN, comme on l’a dit, n’a pas a priori vocation à s’en occuper, sauf peut-être à titre de prévention pour empêcher

(37) « Otan 2020 : une sécurité assurée, un engagement dynamique. Analyse et recommandations du groupe d’experts pour un nouveau concept stratégique de l’OTAN », doc. cit., p. 30.(38) B. Saidy, « Quel rôle pour l’OTAN dans la prévention et la gestion des crises en Méditerranée et au Moyen-Orient ? » NDC Fellowship Monograph, Research Division, NDC, Rome, 2010. (39) A. Benantar, « Contribution de l’OTAN à l’établissement… », op. cit.(40) F. Ammor, « Le futur du Dialogue méditerranéen de l’OTAN : pour un DM « Plus » », NDC Fellowship Monograph, Research Division, NDC, Rome, 2010.(41) A. Benantar, op. cit., p. 46.(42) B. Saidy, op. cit. p. 32-35.

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toute escalade ou détérioration grave des rapports entre alliés ou partenaires comme entre la Grèce et la Turquie à propos de Chypre. Mais dans la crise gravissime de l’été 2002 entre le Maroc et l’Espagne au sujet de l’îlot Leila, non seulement l’OTAN n’a rien prévenu (ce rôle étant revenu aux Etats-Unis) mais elle s’est déclarée solidaire de l’Espagne (43) !

En tout état de cause, pour une Alliance de l’après-guerre froide qui se métamorphose, il devient de plus en plus inconcevable qu’elle ne développe pas, même à titre informel ou selon des modalités qu’il reste à imaginer, des capacités de résolution des conflits, alors qu’elle a des atouts que n’ont pas d’autres organisations, tels la proximité par rapport aux décideurs politiques et militaires des pays concernés, la discrétion et surtout les leviers d’influence que lui procurent ses liens d’alliance, de partenariat ou de coopération avec lesdits pays. L’OTAN n’a pas à se substituer à l’Onu ou aux puissances engagées dans des processus de paix, mais à aider en arrière-plan, dans la discrétion et par de multiples moyens, à trouver des solutions ou des compromis, fussent-ils partiels ou provisoires, aux conflits en suspens. C’est peut-être plus facile à dire qu’à faire, mais l’OTAN doit se montrer audacieuse, agir plus en acteur (facilitateur) qu’en simple outil de sécurité si elle veut gagner le pari d’un dialogue ambitieux en Méditerranée.

Enfin, troisième type d’évolution, le plus décisif : l’option sous-régionale. Tant que le DM est conduit avec les sept pays du sud de la Méditerranée sur un mode principalement bilatéral, la question de l’approche sous-régionale ne se pose pas. Mais les choses se compliquent dès que l’on veut passer au mode multilatéral (28+7). Les conflits (notamment le conflit israélo-arabe) et les spécificités sous-régionales réduisent en effet les chances d’un réel partenariat multilatéral global embrassant l’ensemble de la Méditerranée. Jusqu’ici, la solution tentée pour transcender l’obstacle des conflits a été la fameuse formule 28+n, ou multilatéralisme à géométrie variable, ou minilatéralisme. Cela n’a pas, semble-t-il, donné grand résultat. Cela peut même aggraver les divisions et les méfiances Sud-Sud en créant des axes multilatéraux opposés ayant pour point commun l’OTAN. Or, ce qui est proposé ici, c’est de prendre modèle sur la mer Baltique avec BALTBAT ou la Méditerranée occidentale avec le Groupe 5+5, pour un multilatéralisme sous-régional qui se conjuguerait

(43) Ibid., p. 55. Sur ce conflit, voir, R. Gillespie, « “This stupid Island” : A neighbourhood confrontation in the western Mediterranean », International Politics, n° 43, 2006, p. 110-132.

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avec les deux autres approches, bilatérale et multilatérale globale. L’approche sous-régionale permettrait en effet de satisfaire plusieurs objectifs. Elle collerait d’abord aux réalités spécifiques de chaque sous-région, par exemple dans le cas de la Méditerranée occidentale, la proximité de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne, l’absence des ADM ou la prédominance des défis de sécurité plus soft que hard. Elle isolerait chaque sous-région des influences préjudiciables pouvant venir des autres sous-régions (les conflits du Moyen-orient par exemple). Elle permettrait de nouer des relations fructueuses avec les organisations régionales, telles que l’UMA ou la Ligue arabe. Elle contribuerait enfin à l’intégration régionale en aidant à la résolution des conflits et en mettant en place des mesures adaptées de confiance et de sécurité. En Méditerranée occidentale, par exemple, une coopération OTAN-UE-UMA-5+5, autour des cinq pays du Maghreb, rendrait un grand service à la région en termes de confiance, d’intégration, de paix et de sécurité. Pour cela l’OTAN doit, comme l’écrit fort à propos A. Benantar, « renoncer à privilégier les pistes bilatérales au profit d’une stratégie visant à faire de la construction maghrébine un objectif central (44) », envisager de créer au sein du DM « une composante maghrébine [avec laquelle] elle testera pour la première fois une approche multilatérale (45) ».

Conclusion

Le DM de l’OTAN est aujourd’hui plus que jamais à la croisée des chemins. L’approche à la fois globale et bilatérale a montré ses limites. Le DM risque de se banaliser et de rater ainsi les objectifs ambitieux qu’il s’est fixés. Seule une relance audacieuse sur une base multilatérale et sous-régionale tendant à la mise en place d’une véritable région de sécurité commune ou coopérative, notamment en Méditerranée occidentale autour du Maghreb, pourrait lui donner un nouveau souffle et rehausser sa crédibilité aux yeux des peuples de la région.

(44) A. Benantar, op. cit., p. 60.(45) Ibid., p. 48-49.

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Etat et perspectives de l’ordre international

Aziz HASBI

Il semble justifié d’aborder la question de l’ordre international à un moment où le monde connaît une accélération de phénomènes qui interpellent les règles et standards sur lesquels repose la régulation des relations internationales. Une redistribution, une diversification et une diffusion des composantes de la puissance sont en action, depuis au moins la fin de la guerre froide. Ceci donne lieu à une recomposition économique, technologique, voire militaire du monde. Puissances émergentes ou ré-émergentes se renforcent et revendiquent une position internationale digne de leurs capacités matérielles.

La partie visible du débat sur le changement se focalise certes sur la nécessité de réformer la composition et le fonctionnement du Conseil de sécurité de l’ONU, mais elle inclut aussi d’autres dimensions, dont le réaménagement de la gouvernance financière, monétaire et commerciale internationale. La globalisation a perturbé les données classiques, liées à la souveraineté de l’Etat et à son rôle de régulateur.

Pour ce qui est du Conseil de sécurité, l’enjeu est donc fondamental, aussi bien pour le directoire des 5 Permanents que pour les nouveaux compétiteurs. Sans oublier la majorité des autres pays qui fait peser une pression sur les uns et sur les autres. Parmi les « nouvelles » puissances, il y a des pays émergents comme l’Inde et le Brésil et les deux grands vaincus de la Seconde Guerre mondiale, le Japon et l’Allemagne, qui aimeraient effacer l’humiliation subie. La Chine, qui figure parmi les pays qui ont bénéficié des privilèges que se sont accordés les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, cherche, avec succès, à mettre en adéquation sa puissance matérielle avec son statut politique de membre permanent du Conseil de sécurité.

Mais tout cela constitue-t-il les prémices d’une remise en cause radicale de l’ordre international actuel ? Si l’on part de la définition de l’ordre international comme une « entente implicite entre les acteurs internationaux autour des règles et des principes régissant leurs relations

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et des objectifs généraux qu’ils devraient poursuivre (1) », les nombreuses critiques de l’ordre mis en place depuis 1945 et les revendications de démocratisation de la gouvernance internationale créent une tendance lourde allant dans le sens du changement des règles du jeu tant politique qu’économique au niveau international. Mais cela veut-il dire pour autant que l’on s’achemine vers l’avènement d’un nouvel ordre, se substituant à l’actuel ?

Pour répondre à cette question, il faudrait rappeler les facteurs de transformation en cours et leur impact, les atouts des puissances révisionnistes et leurs objectifs ainsi que les forces et les failles de l’équilibre des puissances sur lequel repose le système international contemporain.

La problématique qui sous-tend cette réflexion part de l’idée que, dans l’état actuel de l’évolution du rapport des puissances, les pays révisionnistes ne disposent pas des capacités matérielles et symboliques pour remettre en cause l’ensemble des fondements de l’ordre établi. Par ailleurs, les regroupements, qui se sont formés pour soutenir les demandes de changements au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies, ne constituent pas des alliances destinées à rééquilibrer le rapport des puissances mais sont de simples groupes de négociation. Et, enfin, en dehors de quelques revendications excessives provenant justement de pays ou de groupes de pays dont la puissance ne pèse pas lourd sur la balance, les nouveaux compétiteurs ne cherchent pas à détruire le club des grands mais à l’intégrer, sous certaines conditions. Tout cela nous poussera à nous poser la question sur le devenir du rapport entre les règles qui sous-tendent l’ordre international établi, d’un côté, et les tendances à de grands bouleversements de la position des puissances sur l’échiquier international, de l’autre.

Mais, avant d’aller plus loin, il faudrait rappeler brièvement ce que l’on entend par ordre international, et en particulier les caractéristiques de celui qui régente le monde contemporain. Car, dans son expression, le vocable « ordre international » se présente aujourd’hui comme un concept polymorphe, polysémique, mais surtout largement ambivalent. Mais je n’entrerai pas dans ce débat théorique.

(1) Alex Macleod et al., Relations internationales : théories et concepts, CEPES, Canada, 2008, p. 299.

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J’aborderai donc trois séries de considérations en essayant de répondre à trois questions : Qu’est-ce que l’ordre international ? Vers quelles transformations de l’ordre établi s’achemine-t-on ? Quelles sont les perspectives d’avenir ?

1. Qu’est-ce que l’ordre international ?

Pour résumer, l’ordre international, c’est la période pendant laquelle le système international jouit d’une stabilité, plus précisément celle où les grandes puissances d’une époque donnée trouvent un terrain d’entente autour de normes, de règles et d’institutions afin de réguler les relations internationales dans un monde anarchique qui tend en permanence vers la guerre. Car l’ordre international ne correspond pas à l’ordre public interne propre à un Etat organisé, parce qu’il n’existe pas d’autorité centrale au-dessus des Etats souverains. Par conséquent, la régulation du système international se fait à travers des principes d’organisation dictés par les nécessités et les conditions que crée le rapport des puissances issu généralement de ruptures graves, comme les grandes guerres, régionales ou mondiales. Cela fut généralement le cas jusqu’ici.

Les paramètres d’un ordre international donné sont donc définis par de grandes puissances, souvent les vainqueurs. L’ordre est, dans la pratique, piloté par la puissance du moment dont les capacités matérielles sont supérieures à celles des autres membres de l’alliance victorieuse et dont le leadership est admis par ses alliés. Mais tout ordre est amené à générer des règles et des mécanismes, institutionnels notamment, acceptables par tous les Etats du système international concerné. La tendance des artisans d’un ordre est donc de le rendre le plus large possible.

La stabilité prévaut jusqu’à ce qu’une ou plusieurs nouvelles puissances soient capables de disposer des moyens de la remettre en cause et d’imposer de nouvelles réalités et un nouvel ordre.

L’ordre international est ainsi créé, piloté et, le cas échéant, transformé par les grandes puissances. De ce fait, il est changeant ; il a évolué, jusqu’ici, en fonction des modifications des rapports des puissances entre elles.

Ainsi, le système westphalien et le concert des nations avaient généré en leur temps des ordres régionaux fondés sur l’équilibre des puissances

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européennes, sous la surveillance d’un équilibreur qui permettait aux Etats moyens ou faibles de survivre. La Grande-Bretagne avait joué ce rôle au moins jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Un nouvel ordre, à prétention universelle, fut établi après le premier conflit mondial. Il était fondé sur le rejet de l’équilibre des puissances comme fauteur de guerre et sur la construction d’un système de sécurité collective. Mais les normes et l’organisation, inspirées des idées internationalistes libérales du président américain de l’époque, Woodrow Wilson, n’avaient pas pu réguler les rapports internationaux de l’entre-deux-guerres. Les raisonsen sont bien connues : non-adhésion américaine à la Société des nations (SDN) ; grande crise économique des années 30 ; montée des nationalismes agressifs et particulièrement les ambitions guerrières de l’Allemagne nazie et de ses alliés de l’Axe ; retrait ou exclusion de nombre de pays membres de la SDN, comme l’Allemagne, l’Italie, le Japon, l’Union soviétique, etc.

Affaiblie et amenée à pratiquer une politique conciliante à l’égard de l’Allemagne hitlérienne, la Grande-Bretagne ne pouvait jouer le rôle d’équilibreur de cet ordre de l’entre-deux-guerres. Celui-ci prit d’ailleurs fin avec le déclenchement, en 1939, de la Seconde Guerre mondiale.

Sous la férule des Etats-Unis d’Amérique, les Alliés et vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale allaient progressivement s’acheminer vers un nouvel ordre fondé sur les réalités du monde de l’après-guerre et la volonté de changement. Ce souci était présent dans les négociations qui avaient donné naissance à l’ONU, consacrée par la Conférence de San Francisco, et aux institutions de Bretton-Woods.

Certes, la Charte de l’Organisation est adossée à une démarche noble qu’expriment, notamment, les dispositions relatives au règlement pacifique des différends, aux préoccupations concernant le développement économique et social, à l’attachement aux droits fondamentaux de l’Homme, etc. Il est également vrai que les missions de l’Organisation se sont élargies depuis sa création. Ainsi, à la demande des pays du tiers-monde, absents au moment de la mise en place des règles et institutions de l’après-guerre, de très nombreuses résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU ont traduit de différentes manières la quête d’un ordre international idéal, exprimant les aspirations de la nouvelle majorité.

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Mais la colonne vertébrale du système onusien demeure constituée des règles et institutions qui établissent un équilibre des puissances entre les grands de l’époque. Les dispositions de la Charte, qui protègent cet ordre, ont cadenassé les perspectives d’avenir. Elles bloquent la loi naturelle du changement liée aux transformations des réalités internationales.

En effet, l’ONU repose sur la contradiction générale existant entre les principes de liberté et d’égalité de tous les Etats et la place qu’elle fait aux grandes puissances en leur attribuant à titre nominatif le droit de veto au sein du Conseil de sécurité (article 23 de la Charte) et donc celui de bloquer toute décision opérationnelle qui ne cadre pas avec leurs intérêts, ainsi que le droit d’empêcher l’aboutissement de tout amendement ou révision de la Charte (articles 108 et 109). On considère que, sans ce droit de veto et celui de la légitime défense (article 51), l’ONU n’aurait jamais existé (2). Le principal but des Nations Unies est essentiellement le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Donc le souci de stabilité sous-tend l’édifice échafaudé en 1945.

Les « privilèges » des vainqueurs de la guerre avaient pourtant soulevé des critiques de la part d’un certain nombre de pays participant à la Conférence de San Francisco, mais ceux-ci n’avaient pas les moyens de modifier la ligne arrêtée par les puissances invitantes, en particulier les Etats-Unis d’Amérique. Une conférence générale des membres des Nations Unies destinée à la révision de la Charte est prévue par son article 109, mais elle ne s’est pas tenue.

Ces divergences avaient cependant été vite masquées par l’émergence de la guerre froide. Celle-ci avait donné naissance à deux grands pôles, chacun dominé par une superpuissance. Ces deux pôles étaient fondés sur la solidarité et la discipline de leurs membres. Ce qui explique le silence des alliés respectifs sur la démarche hégémonique des deux superpuissances. Si le bloc de l’Est avait commencé à se fissurer avec la révolution du Printemps de Prague de 1968, les désaccords au sein du bloc occidental ont trouvé un terreau fertile dans le domaine économique, notamment entre les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Les différends sont devenus ouverts depuis la fin de la guerre froide.

(2) Paul Quilès et Alexandra Novosseloff, le Monde du 9 décembre 2011.

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Cette guerre larvée n’avait pas détruit les fondements de l’ordre mis en place par les Alliés, mais elle l’avait utilisé. La stabilité relative entre les grandes puissances avait, dans l’ensemble, fonctionné. En plus, et malgré les contradictions générées entre les membres permanents du fait de la guerre froide, ceux-ci s’étaient avérés des alliés objectifs pour sauvegarder leurs privilèges au sein du Conseil de sécurité. Ils continuent toujours à l’être et à le faire.

De ce fait, l’ordre de l’après-guerre froide n’est pas à proprement parler un nouvel ordre international, comme l’avaient proclamé les présidents George Bush et François Mitterrand, en 1990, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Il s’agit en fait d’un ordre ambigu :– il se veut le prolongement de l’ancien ordre, expurgé de la rivalité

des blocs ;– il est aussi tout à la fois le résultat d’une unipolarité américaine,

contestée plus ou moins ouvertement, d’une multipolarité balbutiante et d’un équilibre des puissances confus ;

– l’ordre post-bipolaire demeure également singulier, parce qu’il ne résulte pas d’une guerre généralisée. Les ordres précédents sont nés des guerres et du chaos.

Aujourd’hui, les données sur la base desquelles fut construit l’ordre établi en 1945 ont changé. De ce fait, la position-clé des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale est convoitée par des pays qui ont acquis une puissance économique importante et qui veulent parachever leur statut de grande puissance en intégrant le cercle des meneurs du jeu international.

L’ordre international va se trouver ainsi au cœur des débats relatifs aux Nations Unies. Il est tout à la fois contesté et convoité par les nouvelles puissances, celles qui ont le moyen d’être révisionnistes.

Mais quel est l’objectif des puissances insatisfaites par l’ordre international ? Un simple réaménagement ? Ou bien la mise en place d’un ordre international nouveau ? De quels moyens disposent-elles alors pour obtenir satisfaction ?

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2. Vers quelles transformations de l’ordre international ?

Les revendications allant dans le sens de la correction de l’ordre international de l’après-guerre sont anciennes. Elles ont accompagné l’émergence des pays du tiers-monde, comme elles ont exprimé la volonté d’intégrer le cercle des grands de la part des pays qui ont acquis progressivement une forte puissance économique.

Face aux critiques de la gouvernance internationale, aux pressions sur la réforme des règles du jeu international, les grandes puissances ont fini par s’ouvrir à la négociation. Certains enjeux, dus à l’existence des blocs et de deux principaux modèles idéologiques, ont disparu après la chute du Mur de Berlin. Le système libéral impulsé par les Etats-Unis et leurs alliés n’est plus contesté, étant donné que l’écrasante majorité des pays ont intégré les institutions de Bretton-Woods et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), hauts lieux du libéralisme. Ce qui fait que les revendications de changement se font de l’intérieur du système, auquel il est seulement reproché de ne pas être démocratique.

Certaines réponses ont été fournies aux demandes les plus insistantes, mais elles demeurent insuffisantes.

La réponse aux revendications relatives à la réforme du Conseil de sécurité tarde à venir. Elle est pourtant fondamentale. Car elle est liée à la transformation ou non de l’ordre régi par certaines dispositions relatives à la composition et au fonctionnement de cet organe principal et au passage obligé que constitue l’accord des cinq membres permanents pour tout changement afférent à la Charte des Nations Unies. Aussi les réformes du Conseil de sécurité et de l’ordre international sont-elles indissociables.

Le tiers-monde et la quête d’un ordre plus équitableLa revendication d’un ordre international idéal, qui transcende les

lois d’airain de l’ordre établi, a constitué une demande permanente des pays du tiers-monde impréparés à affronter une économie internationale fondée sur la compétitivité. Elle a, d’abord, trouvé son expression dans les nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies relatives à la quête d’un nouvel ordre économique international, à la suite de la vague des indépendances des années 60. Cette quête de justice et d’équité a embrassé progressivement tous les domaines : l’information, le transfert de technologie, la santé, etc. Elle continue.

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Pour ne prendre que les textes les plus récents, en feuilletant les comptes-rendus des débats de la 67e session de l’Assemblée générale (2012-2013) et la liste des résolutions adoptées, on constate la diversité des objectifs et de la terminologie qui caractérisent la nébuleuse d’un ordre international idéal :

– promotion d’un ordre international démocratique et équitable (A/RES/67/175 du 20 décembre 2012) ;

– vers un nouvel ordre économique international (A/RES/67/217 du 21 décembre 2012)(3) ;

– le rôle des Nations Unies dans la promotion d’un nouvel ordre mondial privilégiant l’humain (A/RES/67/230 du 21 décembre 2012).

La recherche d’ordres idéals a ainsi alimenté la vulgate internationaliste, sans trop de frais. Car les réalisations n’ont jamais assouvi les attentes et les espoirs. Et pour cause : l’ONU est loin d’être peuplée de boy-scouts…

La revendication des pays nouvellement indépendants avait également visé la composition du Conseil de sécurité. La pression de la nouvelle majorité quantitative et l’ambiance de compétition des deux blocs pour faire bonne figure devant celle-ci ont permis de faire passer le nombre des membres non permanents de 6 à 10 et la composition du Conseil de 11 à 15 ; amendements intervenus en 1963 et entrés en vigueur à partir de 1965. C’est d’ailleurs la seule réforme qu’a connue le Conseil de sécurité au niveau de sa composition.

Par conséquent, la pression s’est poursuivie pour obtenir une réforme du Conseil de sécurité.

La difficulté de réformer le Conseil de sécurité de l’ONUSi, pendant de longues décennies, les grandes puissances avaient

fait la sourde oreille aux demandes de réforme du Conseil de sécurité, des conditions plus propices se présentèrent à la fin de la Guerre froide et surtout après le 11 septembre 2001. Ceci a permis la naissance et la consolidation d’un consensus sur la nécessité d’élargir la composition

(3) Selon cette résolution : l’Assemblée générale « 2. Réaffirme qu’il faut continuer de s’employer à instaurer un nouvel ordre économique international fondé sur les principes d’équité, d’égalité souveraine, d’interdépendance, d’intérêt commun, de coopération et de solidarité entre tous les Etats ; 3. Réaffirme également qu’il est nécessaire que les pays en développement participent davantage à la prise des décisions économiques internationales et à la définition des normes économiques internationales et soient mieux représentés dans les instances compétentes ».

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du Conseil et de l’adapter aux nouvelles réalités internationales. Cette évolution vise formellement la rectification des déséquilibres inhérents à l’ordre établi en 1945.

La revendication de réformer le Conseil de sécurité est récurrente dans les débats des Nations Unies. « La question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres » est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale depuis 1979. Mais il fallu attendre la fin de la Guerre froide pour organiser la réflexion à ce sujet, à travers la création, en décembre 1993, du « Groupe de travail à composition non limitée » qui a été chargé d’« examiner tous les aspects de la question de l’augmentation du nombre des membres du Conseil de sécurité, ainsi que d’autres questions ayant trait au Conseil de sécurité (4) ». Le Groupe a commencé ses travaux en janvier 1994 et a présenté, depuis, des rapports à toutes les sessions de l’Assemblée, donnant l’espoir d’un déblocage (5) de la situation. En effet, cette demande insistante a été, depuis de la chute du mur de Berlin, confortée par des puissances industrialisées non représentées au Conseil, comme l’Allemagne et le Japon. Depuis 1993, la candidature de ces deux pays est soutenue par certains membres permanents du Conseil de sécurité. De leur côté, de grands pays émergents, comme l’Inde et le Brésil, ont aussi montré leur volonté d’en faire partie.

Depuis lors, de nombreux projets ont été déposés et d’interminables débats ont été dédiés à cette réforme. L’échec a été le lot commun de toutes ces tentatives.

Une nouvelle impulsion a été donnée à l’issue de la 62e session de l’Assemblée générale (2007-2008), au cours de laquelle il a été décidé de lancer des « négociations intergouvernementales » pour sortir de l’impasse (6). Ces négociations ont effectivement débuté le 19 février 2009. Elles ont déjà à leur actif 8 cycles.

(4) AG. Rés., 48/26 du 10 décembre 1993.(5) L’Assemblée générale, par sa résolution en date du 1er décembre 1998 (A/RES/53/30), a mis en place un garde-fou consistant pour elle à se « déterminer » « à n’adopter aucune résolution ou décision sur la question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres et questions connexes, sans le vote affirmatif des deux tiers des membres de l’Assemblée générale ».(6) Décision 62/557 du 15 septembre 2008.

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Avec la réunion du 16 avril 2013, les négociations inter-gouvernementales sur la réforme du Conseil de sécurité ont entamé leur 9e cycle. En effet, l’Assemblée a pris la décision, le 13 septembre 2012, de les poursuivre en séance plénière lors de sa 67e session (2012-2013). Elle a également décidé de réunir le Groupe de travail à composition non limitée et d’inscrire à l’ordre du jour de cette session le point intitulé « Question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres, ainsi que d’autres questions ayant trait au Conseil de sécurité (7) ».

L’objectif est de faire du Conseil de sécurité un organe « plus représentatif », « plus transparent », « plus légitime », « plus efficace ». Ce qui, en soi, constitue une quadrature du cercle.

Après vingt ans de travaux, dont huit cycles de négociations intergouvernementales, les débats sur la réforme du Conseil continuent, mais sans avoir abouti, jusqu’ici, à un résultat concret. Lors des deux séances plénières de l’Assemblée générale du 15 novembre 2012, les délégations ont de nouveau manifesté leur impatience devant la lenteur des négociations, réclamant « un texte de négociation concis et assorti d’un calendrier raisonnable pour faire avancer la réforme du Conseil de sécurité (8) ».

Le point sur les négociations montre qu’il y a, à la date du 15 novembre 2012, un consensus de tous les groupes sur les principes de l’amélioration des méthodes de travail du Conseil, de la présence permanente de l’Afrique et de l’augmentation du nombre des membres non permanents (9).

Mais les divergences continuent sur l’augmentation et l’attribution des sièges permanents. Le G4 (Allemagne, Brésil, Inde et Japon) réclame pour chacun de ses membres un siège permanent sans droit de veto. L’Union africaine et son Comité des Dix pays (C10) en revendique deux avec droit de veto. Le groupe « Unis pour le consensus » (Italie, Argentine, Pakistan, Mexique, etc.) propose de ne créer que des sièges non permanents, dotés cependant d’un long mandat, plus de six ans. Le L.69 (qui regroupe plusieurs pays en développement d’Afrique, d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Asie) réclame un siège non permanent réservé à titre exclusif

(7) Assemblée générale, AG/11280 du 13 septembre 2012.(8) Assemblée générale, AG/11313 du 15 novembre 2012.(9) Assemblée générale, AG/11313 du 15 novembre 2012

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à un petit Etat insulaire en développement. Les « Small Five » (Costa Rica, Jordanie, Liechtenstein, Singapour et Suisse) demandent la non-utilisation par les membres permanents du droit de veto lorsqu’il s’agit des situations où des crimes graves sont commis, en attendant son abolition totale. Les Etats-Unis et la Fédération de Russie s’opposent à tout changement relatif au veto. La Chine rejette l’idée de calendrier pour les négociations intergouvernementales, et donc le principe d’un butoir (10). La France et le Royaume-Uni proposent, depuis 2008, une réforme intérimaire consistant dans la création de sièges non permanents pourvus d’un long mandat. A l’issue de cette période intérimaire, ces sièges pourraient devenir permanents (11).

L’opposition des membres permanents à tout changement relatif au droit de veto montre les difficultés à adapter le Conseil de sécurité aux nouvelles réalités internationales, caractérisées par une redistribution ascendante de la puissance. La difficulté vient justement du fait que la réforme est bien liée à la révision de l’ordre international mis en place en 1945.

Il y a donc impasse. Celle-ci pousse à douter de la faisabilité même de cette la réforme.

Mais étant donné les fortes pressions entourant la question de l’élargissement du Conseil, on peut quand même s’attendre à l’aboutissement d’un compromis sans grands bouleversements de l’ordre réel des choses, menant à la création de sièges permanents et non-permanents, pour un Conseil de 21 à 25 membres. Mais l’exercice du veto ne serait pas affecté, du moins pendant un certain temps. Les candidats les plus à même de peser sur la décision sont disposés à accepter un tel compromis. Il en est ainsi du G4 dont les membres ne revendiquent pas le droit de veto et ne remettent pas en cause celui des 5 Permanents. Pour le reste, les contrariétés que peuvent créer les autres groupes seront tempérées par leur manque réel de moyens de pression et leur rivalité, comme l’illustre l’opposition des Etats voisins des pays du G4 à l’octroi en faveur de ceux-ci du rang de membres permanents.

Mais, à terme, un tel compromis, si on arrive à l’atteindre, peut-il mettre fin aux assauts contre le directoire que constitue le Conseil de

(10) Assemblée générale, AG/11313 du 15 novembre 2012.(11) http://www.franceonu.org, novembre 2012.

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sécurité, quelle que soit la forme qu’il prendra ? Si la Charte des Nations Unies a prévu le veto pour éviter que les grandes puissances de l’époque ne se trouvent engagées individuellement ou collectivement dans un affrontement contre leur gré, que vaudra ce droit, nommément attribué aux actuels cinq membres permanents, si demain d’autres puissances se substituent à eux ? Que deviendra la stabilité, objectif de l’ordre international, si la règle de l’unanimité au sein du Conseil de sécurité ne joue pas comme garde-fou en faveur des futures et imminentes grandes puissances ? Questions légitimes qui montrent la difficulté qu’affrontera l’adaptation de l’ordre international aux réalités présentes et futures.

Maintenant, qu’en est-il des réponses fournies aux revendications en matière de gouvernance économique mondiale ?

La question de la gouvernance économique internationaleAu niveau économique, le club des grands a essayé de satisfaire

les demandes des puissances émergentes au niveau de la gouvernance économique mondiale. Ainsi le G20, créé en 1999, a été redynamisé à la faveur de la crise économique de 2007-2008. Il comprend les membres du G8 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon et Russie depuis 1998), l’Union européenne, l’Australie et 10 pays émergents (Arabie saoudite, Argentine, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique et Turquie). Lors de la réunion du G20 à Londres, le 2 avril 2009, une décision fut prise pour accélérer le calendrier de transfert de droits de vote aux pays émergents à la Banque mondiale (avril 2010) et au FMI (janvier 2011). Au sommet dudit groupe, à Pittsburgh en septembre 2009, il fut décidé de transférer 5 % des droits de vote des pays développés au FMI à la Chine, au Brésil et à l’Inde.

Mais face aux attentes de ce monde ascendant, ces réponses ne semblent pas être suffisantes.

Ainsi, même si l’ordre international n’est pas menacé pour le moment dans ses règles, mais dans leur application, et même si les revendications des puissances révisionnistes se font de l’intérieur du système, le manque de réponses convaincantes à ces revendications exerce une forte pression sur l’ordre établi.

Mais les conditions de l’avènement d’un ordre international différent sont-elles pour autant remplies ?

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3. Quelles perspectives d’avenir ?

Le monde d’aujourd’hui n’est pas à l’abri des débordements guerriers. L’actualité est ponctuée par des bruits insistants de bottes : Corée du Nord, menace d’attaque israélienne contre l’Iran, suspecté lui-même de se doter de l’arme nucléaire. Le monde arabe est en pleine ébullition. Sans oublier qu’avec la multiplication des interventions militaires américaines dites préventives (comme en Irak), la dissuasion perd de son efficacité. Le terrorisme a également largement contribué à cette situation.

Parallèlement, on constate le renforcement des nouvelles puissances. Ainsi, ayant relativement bien résisté à la crise de 2008, la Chine est devenue, en 2010, la deuxième puissance économique mondiale devant le Japon (son PIB, exprimé en PPA, a atteint 11 300 milliards de dollars en 2011 (12)) et le premier exportateur mondial devant l’Allemagne, en 2011. Elle détient également les premières réserves de change au monde. Du fait du ralentissement économique mondial et de la baisse des échanges dus à la récession mondiale actuelle, la croissance chinoise a certes décéléré. Mais, soutenue par la forte demande intérieure, elle a quand même atteint 7,8 % en 2012. La croissance devrait se maintenir autour de 8 % en 2013.

De son côté, le budget militaire de la Chine est le deuxième en importance après celui des Etats-Unis, bien qu’il lui soit quantitativement bien inférieur (143 contre 711 milliards de dollars en 2011 (13)). En atteignant 238,2 milliards de dollars en 2015, comme cela semble être prévisible (14), il restera loin derrière le budget américain actuel, même si ce dernier doit être amputé de 487 milliards de dollars en dix ans (15).

De même, la Chine a détrôné le Royaume-Uni du cinquième rang mondial des plus grands exportateurs d’armes (16).

La Chine devrait devenir la première puissance économique du monde dès 2016 et, à plus long terme, la deuxième place devrait être occupée par

(12) Encyclopédie de l’état du monde, bilan annuel 2011-2012.(13) Selon le SIPRI (idem, p. 9), le top 10 des dépenses militaires se présente comme suit en 2011 : 1. Etats-Unis : $711 b ; 2. Chine : $143 b ; 3. Russie : $71.9 b ; 4. RU : $62.7 b ; 5. France : $62.5 b ; 6. Japon : $59.3 b ; 7. Inde : $48.9 b ; 8. Arabie saoudite : $48.5 b ; 9. Allemagne : $46.7 ; 10. Brésil : $35.4 b.(14) lemonde.fr du 17 février 2012.(15) le monde.fr du 5 janvier 2012.(16) SIPRI, communiqué de presse du 18 mars 2013.

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l’Inde. C’est la conclusion à laquelle est parvenue l’OCDE dans une étude sur la croissance mondiale à l’horizon 2060. En effet, d’après ce rapport :

« Les 50 prochaines années seront marquées par de profonds changements dans la contribution des pays au PIB global.

« Sur la base des PPA (17) de 2005, la Chine devrait dépasser la zone euro en 2012 et les États-Unis quelques années plus tard, devenant ainsi la plus grande économie du monde, tandis que l’Inde passerait devant le Japon un ou deux ans plus tard et devant la zone euro dans une vingtaine d’années.

« Le taux de croissance plus rapide de la Chine et de l’Inde signifie que leur PIB cumulé pèsera plus lourd que celui des sept principales économies de l’OCDE (G7) vers 2025 et qu’il sera 1,5 fois plus important en 2060, alors qu’il n’en représentait pas même la moitié en 2010. Mieux, en 2060, le PIB cumulé de ces deux pays sera plus important que celui de l’ensemble de la zone OCDE (c’est-à-dire de tous les pays qui en font partie aujourd’hui), alors qu’il en représente seulement un tiers à l’heure actuelle (18). »

Bien qu’à moindre échelle, le même dynamisme caractérise l’ensemble des cinq principales économies émergentes, désignées par l’acronyme anglais BRICS (Brazil, Russia, India, China, South Africa). En matière militaire, l’effort d’armement est remarquable. Outre la Chine, la Russie compte réserver 590 milliards d’euros à la défense, entre 2012 et 2020, avec un doublement du budget entre 2012 et 2015. Le budget militaire de l’Inde connaît une croissance annuelle de 10 % (19).

De son côté, le leadership américain incontesté de l’après Seconde Guerre mondiale a été entamé par sa tendance à faire cavalier seul ; démarche qui lui crée parfois des dissensions avec ses proches alliés. C’est notamment le cas de la guerre lancée contre l’Irak en 2003, à laquelle s’étaient opposées la France et l’Allemagne. Ce qui explique l’absence de soutien américain à la candidature de l’Allemagne comme membre permanent du Conseil de sécurité.

(17) Parités pouvoirs d’achat.(18) OECD Home › Département des Affaires économiques › Perspectives économiques, analyses et projections › Horizon 2060 : perspectives de croissance économique globale à long terme, OCDE, 2012. Souligné dans le texte.(19) Jean-Pierre Maulny (IRIS), lemonde.fr du 29 février 2012

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Il ne s’agit pas de la seule fissure des rangs des ex-alliés du bloc de l’Ouest. La disparition du bloc adverse a démobilisé les uns et les autres. En plus, la récession économique que connaissent les pays industrialisés, et particulièrement ceux de l’Europe occidentale, affecte les rapports des puissances. L’avenir semble être encore plus sombre, comme le prédisent les prévisions.

Mais cela constitue-t-il un changement fondamental quant aux bases de l’ordre international actuel ?

Si l’on se penche sur la place des Etats-Unis sur l’échiquier international, équilibreur de l’ordre international depuis 1945, on constate que, malgré l’image héritée de l’administration George W. Bush et la démarche musclée des néoconservateurs après le 11 septembre 2001, les éléments de leur hégémonie n’ont pas disparu pour autant. Ils disposent d’une prédominance militaire incontestable et totalisent à eux seuls plus de 40 % des dépenses militaires mondiales : elles étaient en 2011 de 711 milliards de dollars sur un total mondial de 1738 milliards (20). Le président Obama a d’ailleurs déclaré que les Etats-Unis « vont maintenir leur supériorité militaire (21) ».

Avec un PIB total de 15 094 milliards de dollars (PPA), le plus important du monde, ils occupent également une position économique qui leur permet d’influer sur les termes de l’échange international. Ils jouissent d’une place de choix dans les organisations internationales (ONU, OTAN, FMI, BM, OMC, etc.). Leur influence culturelle est certaine, notamment à travers la production universitaire, les médias, le cinéma, la prédominance de la langue anglaise, etc. La position modérée adoptée par les Etats-Unis sous l’administration Obama a de fortes chances de se prolonger et de contribuer à la renaissance d’une diplomatie américaine d’influence et à la longévité de l’hégémonie de ce pays. Sans oublier que l’OTAN demeure toujours une alliance dominée par les Etats-Unis qui sont capables d’en coaliser les membres à tout moment. La faiblesse relative de l’Europe renforcera l’arrimage de celle-ci au bouclier américain.

(20) SIPRI (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), Yearbook, Armaments, Disarmament and International Security, juillet 2012, p. 8.(21) lemonde.fr du 5 janvier 2012. Mais cette déclaration accompagnait la décision de réduire le budget du Pentagone de 487 milliards de dollars en dix ans.

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Par ailleurs, au moins pendant de longues années, la stabilité relative du monde actuel servira le développement des puissances émergentes. Elles s’abstiendront de la perturber, du moins tant qu’elle ira dans le sens de leurs intérêts nationaux. Sans oublier que les compétiteurs des Etats-Unis, en dépit des errements impérialistes américains passés et peut-être à venir, ne disposent pas, ou pas encore, d’une attraction suffisante pour faire accepter leur leadership au niveau international. Il faudrait des efforts réels pour faire rapidement de la Chine ou de l’Inde des leaders incontestés du monde. D’autant plus que ces pays affronteront les revendications de leurs populations, même si leur revenu par habitant sera multiplié par sept à l’horizon 2060. La Chine sera seulement « à 25 % au-dessus du niveau de revenu actuel (2011) des États-Unis, tandis que l’Inde n’atteindra qu’environ la moitié de ce niveau (22) ». D’après l’OCDE, « le classement des pays en fonction de leur PIB par habitant devrait rester à peu près inchangé ».

En plus, l’Inde consent un effort militaire essentiellement à cause de la double menace de la Chine et du Pakistan. Sans parler des craintes du Japon (23) et de la Corée du Sud. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de rééquilibrer les puissances en Asie et peut être ailleurs. L’administration Obama a d’ailleurs réorienté sa politique militaire vers ce continent (24). Cela attisera probablement la rivalité sino-américaine. Mais, tout en renforçant la coopération militaire avec le Japon, les Américains ont évité d’intervenir dans la crise sino-japonaise sur les iles Sensaku, appelant les deux pays à trouver une solution diplomatique (25).

D’aucuns considèrent que la situation dans laquelle se trouve la Chine par rapport aux Etats-Unis ressemble à celle, à la fin du XIXe siècle, de l’Allemagne par rapport à l’Angleterre (26). Mais d’autres envisagent l’émergence d’un couple Etats-Unis-Chine qui régenterait le monde et

(22) OECD Home › Département des Affaires économiques › Perspectives économiques, analyses et projections › Horizon 2060 : perspectives de croissance économique globale à long terme, OCDE, 2012, op. cit.(23) Crise des iles Sensaku et rétorsions économiques de la Chine contre le Japon. Par ailleurs, la Chine fait souvent des démonstrations de ses forces à l’adresse de ce dernier, alors qu’elle en est le premier partenaire commercial. Cette situation pousse le Japon à des achats d’armes offensives pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Edouard Pflimlin, de l’IRIS, « La troisième guerre mondiale éclatera-t-elle en Asie ? », Atlantico, 29 novembre 2012).(24) Idem ; voir également lemonde.fr du 5 janvier 2012.(25) Idem.(26) Le Figaro du 11 avril 2013.

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maintiendrait l’essentiel de l’ordre régnant, étant donné que les deux puissances sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et jalouses de leurs privilèges.

Par ailleurs, le National Intelligence Council (NIC), chargé aux Etats-Unis de l’analyse stratégique et de la prospective dans le domaine du renseignement, prévoit dans son rapport Global Trends 2030, publié en décembre 2012, qu’« à l’horizon 2030, le monde devrait être multipolaire en l’absence de tout acteur hégémonique, les Etats-Unis, la Chine ou un autre Etat n’étant plus ou pas en mesure de jouer un tel rôle(27) ». Mais cela signifie aussi que même si les Etats-Unis cessaient d’être l’hyperpuissance, ils continueraient à influer sur l’équilibre des puissances dans un monde multipolaire.

En attendant, tant que les mutations ne créent pas de conditions de rupture définitive et belligène entre puissances capables d’embraser le monde, avec le risque de destruction que recèle l’existence d’armes de destruction massive, les termes géopolitiques de l’ordre international ont des chances de survivre encore longtemps. La persistance des guerres locales n’est pas une menace contre l’ordre international actuel. Et, la dissuasion nucléaire aidant, il est maintenant difficile d’imaginer que de nouvelles grandes puissances puissent chercher un rééquilibrage par les armes.

(27) Affaires-Stratégiques.info, 4 janvier 2013. Pour le rapport de la NIC, voir http://www.dni,gov/files/documents/Global Trends 2030.pdf

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Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et défis

Sabra AMMOR

Après plusieurs mois passés au Secrétariat général du gouvernement (SGG), le projet de loi sur la finance islamique au Maroc – après trois mois de retard sur le calendrier initial – refait surface et atterrit à l’exécutif. Le conseil de gouvernement tenu le 16 janvier 2014 devait adopter le projet relatif aux établissements de crédit et organismes assimilés qui réglementent le statut de la banque islamique, les produits qu’elle peut commercialiser et les organes de contrôle. Il est prévu que la nouvelle loi soit adoptée avant la fin de l’année 2014 par le pouvoir législatif.

Ce nouveau projet de loi prévoit la mise en place d’un « Comité charia pour la finance », pour veiller sur la conformité à la charia des opérations et produits offerts au public, et c’est le Conseil supérieur des oulémas qui se chargera de cette mission.

Le nouveau texte parle, en s’inscrivant dans le cadre de la refonte de la loi bancaire, de « banques participatives » ; il évite de ce fait de reprendre les dénominations de « produits alternatifs » et de « banques islamiques » (cf. plus loin).

Le Conseil supérieur des oulémas, qui remplace le Comité charia pour la finance, sera chargé de se prononcer sur la conformité à la charia des opérations et produits offerts au public, de répondre aux consultations des banques et de donner un avis préalable sur le contenu des campagnes de communication des établissements de crédit exerçant l’activité de banque participative.

Le Conseil pourrait également proposer des mesures de nature à contribuer au développement des produits ou services financiers conformes à la charia. L’article 65 du projet de refonte de la loi bancaire souligne que « les avis prononcés par le Comité charia pour la finance sont opposables aux banques participatives et à toute autre institution financière offrant des produits ou des services conformes à la charia. Ils prévalent sur toute interprétation contraire ».

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Sur un niveau plus global, ce débat sur la finance islamique connaît un essor soutenu depuis la crise financière internationale de 2007-2008. Cette crise a révélé qu’un grand nombre de règles prudentielles n’ont pas été observées. Mieux ou pis encore, certains analystes, et non des moindres, ont tourné leur regard sur le système financier islamique (SFI) en tant que champ plein d’enseignements et de promesses.

La crise bancaire et financière de 2008-2009 appelle, par son importance et ses conséquences économiques et sociales, de multiples réactions, questions et inquiétudes dans l’opinion publique quant à l’organisation et à la solidité des systèmes financiers à l’échelle nationale et mondiale.

L’élément déclencheur de cette crise financière est la crise immobilière aux États-Unis née du retournement d’une politique monétaire laxiste. Cette crise, commençant dans une certaine indifférence dès 2006, a atteint son paroxysme au deuxième semestre 2008 quand on a observé, jour après jour, la chute des cours des actions simultanément sur toutes les places financières dans tous les secteurs d’activité, des faillites ou des quasi-faillites de certains établissements bancaires prestigieux (1).

Ces événements ont entraîné des interventions inhabituelles des autorités publiques, interventions qui sont devenues de plus en plus massives et coordonnées pour endiguer un risque de perte de confiance dans le fonctionnement des systèmes financiers, et limiter la gravité de la récession économique.

En fait, cette crise est le résultat d’un ensemble de comportements délibérés de la part des acteurs. C’est une crise d’un système qui s’est révélé basé sur les excès d’une des activités financières à savoir le transfert du risque du prêteur à des contreparties diversifiées.

En revanche, cette crise financière a eu le mérite de mettre en évidence la fragilité du système capitaliste face aux dérives spéculatives et face à la spirale de la dette. Le fort impact qu’a eu la crise financière sur les économies des pays développés et pays en développement a poussé plusieurs économistes et analystes à se pencher sur les raisons de la crise, ses conséquences, ainsi que les moyens qui doivent être mis en place afin d’éviter que cela ne se reproduise.

(1) Le scandale Enron, révélé en octobre 2001, a conduit à la banqueroute de Enron Corporation, une compagnie américaine spécialisée entre autres dans l’exploitation de l’énergie, basée à Houston au Texas.

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A ce propos, la finance islamique est érigée comme un rempart face à la crise financière internationale (2). Certains vont plus loin en parlant, carrément, de la finance islamique comme « alternative » pour les entreprises et en disant que la « finance islamique est un outil d’avenir (3) ». D’autres avancent que la finance islamique est « la solution à la crise (4) ». La solution à la crise, mais aussi à la prospérité dans la mesure où une bonne partie de la clientèle potentielle, dans les pays islamiques, reste en dehors des services bancaires pour des raisons éthiques. La pratique des banques islamiques est riche d’enseignements à ce propos.

Les questions qui ont présidé à cet essai, et auxquelles nous avons essayé d’apporter quelques éléments de réponse, sont les suivantes :

De quelle importance jouit la finance islamique (FI) à l’échelle internationale ? Comment expliquer l’engouement dont la FI fait l’objet aujourd’hui, surtout suite à sa capacité à résister à la crise financière internationale ? Quels sont les ressorts de force de la FI, et dans quelle mesure sont-ils prometteurs ? Quid de la position des principaux acteurs bancaires marocains à l’égard de la FI et de l’ouverture du marché marocain aux banques (islamiques) étrangères ? Dans quelle mesure l’introduction/confirmation de la finance alternative au Maroc permet-elle de dynamiser un secteur financier en perte de vitesse, et quels sont les moyens d’y parvenir (marketing situé) ?

1. La finance islamique : importance et enjeux

La finance islamique connaît, ces trente dernières années, une croissance exponentielle. Les actifs islamiques ont enregistré une croissance moyenne annuelle de 15 % au cours des dix dernières années pour atteindre, selon certains experts, plus de 1 000 milliards d’US$ en 2010. Le nombre de fonds investis en actions, cotées et non cotées, en immobilier, en sukuks… a connu un bond en avant fondamental (5).

(2) Imad Benlahmar (2010) « La finance islamique est-elle un rempart à la finance conventionnelle face à la crise ? » Mémoire. http://www.scribd.com/doc/55136947/La-Finance-Islamique-Face-La-Crise-Imad-Benlahmar(3) Ces propos sont de Jamie Bowden, ambassadeur britannique à Bahreïn », op. cit. (4) Olivier Pastré et Elies Jouiny, la Finance islamique, une solution à la crise, édition EuroPlace « Economica », 2009.(5) Michel Ruimy, la Finance Islamique, édition Sefi, 2008.

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En effet, l’une de ses caractéristiques fondamentales de la FI est son souci d’être en conformité avec les principes islamiques. Le système bancaire islamique (SBI), manifestation de la finance islamique, refuse d’être un simple mécanisme d’intermédiation entre la banque et ses clients et a l’ambition d’être un partenaire qui prend des risques.

Le SBI se caractérise par des opérations bancaires réfractaires à l’utilisation de l’intérêt. A cause de ce principe fondamental, on a assisté à une résistance de taille au développement des outils financiers modernes dans de nombreuses régions du monde arabe et musulman.

Le prêt à intérêt (riba (6)), assimilé à l’usure, est interdit par le Coran. Il est remplacé par une clé de répartition déterminée à l’avance par un « partage » des risques et des profits entre l’épargnant, la banque et le capital productif. Ainsi la relation prêteur-emprunteur laisse place à une relation axée sur un partage plus équitable du risque entre le prêteur et le propriétaire d’entreprise.

Sur le plan pratique, dès 1996, la Citibank avait établi sa propre filiale islamique à Bahreïn. La plupart des grandes institutions financières occidentales sont désormais engagées dans ce type d’activité, sous la forme de filiales, de « guichets islamiques » (Islamic windows) avec des produits financiers destinés à une clientèle musulmane.

Historiquement, la première banque à appliquer les principes islamiques est apparue en Egypte en 1963, la Banque d’Epargne Misr Ghams, qui deviendra plus tard la Nasser Social Bank. La création, en 1970, de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) regroupant les pays musulmans remit les préceptes économiques à l’ordre du jour.

Il est à rappeler que le concept de “banque islamique” est né suite au sommet islamique de Lahore de 1974 qui avait recommandé la création de la

(6) Il s’agit du surplus qui est perçu lors du remboursement d’un prêt et qui avait été stipulé comme condition. L’intérêt est donc présent dans un prêt dès que trois conditions sont présentes: 1) il y a un surplus par rapport à la somme initiale fixée dans le cas d’une vente, ou la somme prêtée dans le cas d’un prêt ; 2) ce surplus est la pure contrepartie du délai ; 3) ce surplus fait l’objet d’une condition dans la transaction, que cette condition ait été mentionnée explicitement ou qu’elle soit considérée comme présente à cause de l’usage. Il n’y a pas de différence en islam entre intérêt et usure. Il n’y a pas non plus en islam de différence entre les prêts à intérêt destinés à la consommation et les prêts à intérêt destinés à l’investissement. Il n’y a pas non plus en islam de différence entre les intérêts qui augmentent au fil du temps quand le débiteur ne parvient pas à régler sa dette et les intérêts fixés une fois pour toutes au moment du prêt.

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Banque islamique de développement (BID). Basée à Djedda, cette institution posa les jalons d’un système d’entraide fondé sur des principes islamiques. En 1975, la Dubaï Islamic Bank (DIB) fut la première banque privée islamique à voir le jour. Une association internationale de banques islamiques fut créée pour établir des normes et défendre des intérêts communs.

En 1979, le Pakistan devint le premier pays à décréter l’islamisation de l’ensemble du secteur bancaire. Il fut suivi, en 1983, par le Soudan et l’Iran.

Les Institutions financières islamiques (IFI) ont aussi fait leur apparition dans des pays non musulmans où vit une communauté musulmane relativement importante. Aussi, ces dernières années, des banques conventionnelles comme la banque Amanah aux Philippines et la Citibank à Bahreïn et la HSBC aux Emirats arabes unis ont-elles ouvert dans certains pays musulmans des succursales où coexistent deux guichets de dépôt et d’emprunt : l’un conventionnel, l’autre islamique.

L’Union des banques suisses n’hésite pas à ouvrir des comptes conformes à la charia, destinés aux clients musulmans. A côté de la Banque islamique de développement, créée en 1975 et à laquelle participent 44 pays musulmans, et des banques nationales de certains Etats du Golfe, certains groupes bancaires jouissent d’une stature internationale (comme Dallah Al-Baraka et Al-RajhiBanking and Investment Co basés en Arabie saoudite, Kuwait Finance House et International Investor (Koweït), Dar Al-Maal Al-Islami Trust en Suisse et la Faysal Islamic Bank à Bahreïn).

Le premier indice islamique a été lancé sur le marché en 1998, il s’agit du Socially aware muslim index (SAMI). Depuis, les principaux fournisseurs d’indices classiques ont étendu leur gamme et proposent aujourd’hui un large panel d’indices charia pour accompagner le développement accéléré de la finance islamique, en particulier les fonds Sharia Compliant.

Dow Jones Islamic Market compte près d’une centaine d’indices charia. A travers cet éventail d’indices charia, toutes les zones géographiques sont couvertes ainsi que tous les secteurs d’activité et tous les niveaux de capitalisation.

Les banques islamiques tirent leur spécificité de l’application des règles islamiques dans leurs activités et de leur prohibition de l’intérêt (7).

(7) Par référence, notamment, aux versets du Coran, sourate “La vache”, verset 275 : « … Dieu a permis la vente et il a interdit l’usure. »

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L’argent est considéré par l’islam comme un simple moyen d’échange ; si sa circulation ne traduit pas une activité économique réelle, il sera immoral qu’elle rapporte quelque prime que ce soit. Au lieu d’une simple relation prêteur-emprunteur, le système financier islamique repose sur un partage plus équitable du risque entre le prêteur et le propriétaire de l’entreprise. Cette pratique découle de l’interdiction par le Coran du riba (8).

Les deux principales formes juridiques des contrats islamiques sont la Moucharaka et la Moudaraba. (Dans le cas du Moudaraba, une partie apporte le capital financier, l’autre le capital humain. Le type de contrat est traditionnellement appliqué aux activités commerciales de courte durée.)

En vertu du contrat de Moucharaka, la banque et le client apportent simultanément les capitaux nécessaires à l’élaboration du projet. Les bénéfices qui s’en dégagent sont distribués au prorata de la participation de chacune des parties au contrat. Les pertes sont également supportées par la banque et par le client à concurrence de leur apport en capital respectif.

Le contrat Moudaraba porte sur une relation entreprise-bailleur de capitaux. De ce fait, contrairement à un contrat de Moucharaka, la gestion du projet revient entièrement à l’entreprise. La rémunération de l’entrepreneur consiste en un pourcentage des bénéfices fixé à l’avance. Concernant les pertes, elles ne peuvent être supportées que par le bailleur de capitaux.

A l’origine, l’entrepreneur (moudareb) propose un projet à financer par la banque (Raab al-mal), chargée de fournir les capitaux. Aujourd’hui, l’application du contrat de Moudaraba peut être envisagée dans d’autres activités économiques.

Les banques islamiques disposent de différents instruments financiers tels que les placements et prêts ou les assurances mais investissent également dans d’autres activités. Dans le cadre du placement, les institutions financières islamiques proposent à leurs clients des services de gestion de capital (Moudareb) tout en sollicitant les dépôts (Raab al-mal).

(8) « Ô Vous qui croyez, craignez Dieu. Renoncez, si vous êtes croyants à ce qui vous reste des profits de l’usure. Si vous ne le faites pas, attendez-vous à la guerre de la part de Dieu et de son Prophète. Si vous vous repentez, votre capital vous restera. Ne lésez personne et vous ne serez pas lésés… » Coran, sourate “La vache”, versets 278-279 « …Ce que vous avez prêté à intérêt pour qu’il se multiplie aux dépens des biens des gens ne se multipliera guère auprès de Dieu. » Coran, sourate “Les Gréco-Romains”.

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Des instruments à terme fixe tels que le compte de placements ou le compte de titres sont proposés au client qui doit partager avec la banque les risques de participation. Parallèlement, aucun bénéfice ni rendement intégral du capital n’est assuré.

En général, ces banques soumettent à un « Comité de la charia » les projets qui leur sont proposés afin de s’assurer de leur conformité avec les principes de l’islam.

Les banques islamiques tirent profit des bénéfices générés par les transactions auxquelles elles participent. Les banques islamiques sont plus exposées au risque financier que les banques classiques, ce qui les oblige à avoir une structure de décision beaucoup plus lourde.

Une étude empirique portant sur Bahreïn (Metawa et Almossawy, 1988) a bien conclu que l’observance de la religion avait été le facteur déterminant de l’augmentation des fonds déposés dans les banques islamiques de ce pays. Bien que les banques islamiques assurent les mêmes fonctions que les banques conventionnelles, elles s’en distinguent par certaines caractéristiques.

La caractéristique la plus importante du système bancaire islamique est l’encouragement du partage des risques entre le pourvoyeur de fonds (l’investisseur), d’une part, et l’intermédiaire financier (la banque) et l’utilisateur des fonds (l’entrepreneur), d’autre part.

Par contre, dans le cadre bancaire conventionnel, l’investisseur est assuré d’un taux d’intérêt prédéterminé. Etant donné que le monde est de nature incertaine, les résultats d’un projet ne sont pas connus ex-ante d’une manière certaine. Par conséquent, il y a toujours certains risques à prendre.

Dans le système bancaire conventionnel, tous les risques sont supportés, en principe, par l’entrepreneur. Le propriétaire du capital tire un rendement prédéterminé que le projet réussisse et produise un rendement prédéterminé ou qu’il échoue et entraîne une perte.

Dans le cadre du système bancaire conventionnel, ce qui importe le plus est le remboursement à temps du principal et des intérêts. L’octroi des prêts dépend fondamentalement de la solvabilité de l’emprunteur. Par contre, une banque islamique s’intéresse plus à la viabilité du projet, à la personnalité et aux compétences de l’entrepreneur qu’à sa rentabilité exclusive. Une telle caractéristique a des implications importantes aussi bien sur la distribution du crédit que sur la stabilité du système.

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Même dans le cadre des modes de non-partage tels que la Mourabaha, le financement se trouve être lié à une marchandise ou à un actif. Cela assure la contribution de la finance au processus productif et minimise la spéculation ou le gaspillage de fonds.

Les banques conventionnelles accordent généralement peu d’attention aux implications morales des activités qu’elles financent. A l’inverse, dans le cadre du système islamique, tous les agents économiques doivent observer des valeurs de l’islam, non seulement au regard de l’intérêt mais aussi au regard des types de projet à financer (interdiction de financer des activités illicites liées à la production et à la distribution de vin, aux jeux de hasard…).

D’après un rapport récent du Sénat américain (9), environ 40 % des actifs à caractère islamique seraient portés par des banques conventionnelles. La finance islamique s’intègre ainsi peu à peu dans l’économie mondiale et, notamment, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Suisse et aussi en France. La Banque mondiale, par l’intermédiaire de la Société de financement internationale, participe à la création de banques islamiques.

Les pays les plus actifs en finance islamique

Rang 2007 PaysActifs conformes

à la charia (millions de dollars)

123456789

101112

IranArabie saouditeMalaisieKoweïtÉmirats arabes unisBrunei BahreïnPakistanLibanRoyaume-UniTurquieQatar

154 61669 37965 08337 68435 35431 53526 25215 91814 31610 42010 06609 460

Source : The Banker, cité par François Guéranger, 2009, « Finance islamique », une illustration de la finance éthique, édit. DUNO, p. 199.

(9) Voir Rapport d’information du Sénat du 14 mai 2008 sur la finance islamique.

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En matière de finance islamique, L’Iran s’avère en être l’un des pays majeurs. Les raisons en sont, d’une part, sa forte démographie et, d’autre part, l’ancienneté de sa révolution. Il est l’un des trois pays où l’ensemble du système bancaire est islamisé. Au niveau asiatique, la Malaisie est l’un des principaux pôles asiatiques de la finance islamique.

On compte environ trois cents institutions islamiques travaillant dans près de cinquante pays. C’est surtout dans le Golfe Persique qu’on les rencontre, avec quarante-trois organismes actuellement, dont un, originaire de Malaisie, fonctionne à Bahreïn. On en dénombre quinze, dont trois originaires du Golfe persique, en Malaisie.

Sur le plan de la taille, les banques islamiques les plus importantes se trouvent à Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et en Iran. Elles peuvent y opérer dans un environnement entièrement islamisé, par exemple en Arabie saoudite où fonctionne la Banque islamique de développement. Cet organisme a un rôle international dans la mesure où son objectif est de renforcer le développement économique et le progrès social des pays membres et des communautés musulmanes.

Concernant les banques islamiques des pays occidentaux, Londres est le centre occidental de la finance islamique depuis l’implantation d’une première banque en 2004, l’Islamic Bank of Britain. Il est vrai que le gouvernement britannique a fait en sorte que la réglementation locale permette à cette finance de prospérer.

On compte aujourd’hui quatre autres banques islamiques à Londres : l’European Islamic Investment Bank (2005), the Bank of London and the Middle East (2007), the European Finance House (janvier 2008) et the Gate House (avril 2008) (10).

Enfin, la Turquie dispose de quatre banques islamiques sur son territoire, dont trois sont contrôlées par des investisseurs bancaires du Golfe persique.

En effet, le système bancaire islamique a démarré sur une échelle réduite au début des années soixante. La plupart des premiers essais bancaires islamiques ont été effectués grâce à l’initiative individuelle

(10) François Guéranger, Finance islamique : une illustration de la finance éthique, Paris, Coll. Marchés financiers, Dunod, 2009 ; et Aldo Lévy, Finance islamique : opérations financières autorisées et prohibées, vers une finance humaniste, Coll. Gualino LextensoEditions, mars 2012.

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avec des gouvernements ne jouant aucun rôle ou du moins adoptant un rôle passif. Plus tard, le mouvement bancaire islamique s’est développé grâce à l’encouragement des gouvernements de certains pays musulmans. L’établissement de banques islamiques dans un certain nombre de pays a été rendu possible par la promulgation de lois spéciales et le changement de la législation bancaire.

Trois raisons expliquent le boom de la finance islamique : l’envol des prix du pétrole en 2007 et en 2008, qui a généré un afflux de liquidités sans précédent vers les pays exportateurs de pétrole ; le rapatriement des capitaux vers le Moyen-Orient après le 11 septembre 2001 (11) et le renforcement du sentiment religieux dans les pays musulmans.

Il est utile de mentionner que ces changements ne visent pas à conférer des avantages non justifiés à ces banques par rapport aux banques conventionnelles. Ils sont, en fait, entrepris pour éliminer certains obstacles à la création d’institutions financières islamiques.

En matière de pratique bancaire islamique, trois approches différentes peuvent être relevées :

1. Coexistence du système conventionnel et du système islamique : dans les pays où les gouvernements ne se sont pas engagés à abolir l’intérêt, les banques islamiques opèrent à côté de celles basées sur l’intérêt.

2. Islamisation généralisée du système bancaire : le Pakistan et l’Iran poursuivent une approche différente visant l’élimination généralisée de l’intérêt de l’économie. Au Soudan, alors que les banques islamiques coexistaient avec celles à intérêt pour une longue période, le gouvernement a récemment opté pour une islamisation généralisée du système bancaire.

3. Des fenêtres bancaires islamiques au sein des banques conventionnelles : en Malaisie, un système mixte est en train d’être promu au niveau officiel. Des fenêtres bancaires islamiques sont encouragées dans les banques conventionnelles ainsi que certaines institutions financières islamiques. Les autorités monétaires reconnaissent et régissent à la fois le système bancaire conventionnel et le système islamique.

(11) Selon le journal Al Hayat, 8,2 milliards de dollars de capitaux saoudiens ont été rapatriés dans les quatre mois qui ont suivi le 11 septembre 2001. Saeed, Ahmed et Mukhtar, « International Marketing Ethics from an Islamic Perspective : A Value Maximisation Approach », Journal of Business Ethics, 32, p. 139, 2001.

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Dans la pratique, les banques islamiques ont réussi à mobiliser de grandes sommes. Dans les années quatre-vingt, les dépôts dans à peu près l’ensemble des banques islamiques ont crû à un rythme rapide. Plusieurs études reconnaissent le grand succès des banques islamiques dans la mobilisation des dépôts.

La croissance relative des banques islamiques est meilleure dans la plupart des cas que celle des banques conventionnelles. Ceci s’est traduit par une augmentation de la part des banques islamiques dans le total des dépôts consacrant leur succès en termes de pénétration du marché.

Au regard de la finance islamique, l’entrée d’un certain nombre de banques conventionnelles proposant des produits islamiques dans plusieurs pays, en augmentation continue, constitue une preuve incontestable de la viabilité du système bancaire islamique.

Un observateur occidental du système bancaire islamique a fait remarquer très justement que « le succès du système bancaire islamique se reflète par le fait que plusieurs banques commerciales conventionnelles offrent actuellement à leurs clients des services financiers islamiques ». Il est prévu que le volume total des fonds gérés par le système bancaire islamique puisse doubler dans les 10 prochaines années. A long terme, le système bancaire islamique doit, pour sa viabilité et sa survie, compter sur sa puissance en tant que modèle alternatif.

La banque islamique a connu ces dernières années une croissance sans précédent, ses avoirs atteignant plus de 1 000 milliards de dollards US dont 300 milliards investis dans des fonds communs de placement islamiques, soit une progression annuelle d’au moins 20 % en 2007 et 2008 (12).

La question qui se pose est celle de savoir comment, en l’absence de taux d’intérêt, se fait la rémunération du capital financier. Quelle serait la nature de l’intermédiation financière dans le système islamique ? La réponse réside dans le principe de « partage de profit et de perte » ou encore « Profit and Loss Sharing (PLS) ».

En tout état de cause, la pratique a montré que les IFI peuvent cohabiter avec les institutions conventionnelles et s’intègrent parfaitement dans

(12) Centre du commerce international, 2009, « Le système bancaire islamique », Guide à l’intention des petites et moyennes entreprises, http://legacy.intracen.org/publications/Free publications/Islamic_Banking_French.pdf

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le système financier international. Les IFI peuvent parfaitement être un véritable complément et non un substitut à la finance conventionnelle.

2. La finance islamique au Maroc

En 2006, la plus haute autorité monétaire du Maroc, Bank Al-Maghrib, par le biais de son wali M. Abdellatif Jouahri, dans son discours daté du 5 juillet 2006 destiné au secteur bancaire à l’occasion des travaux du Conseil de la monnaie et de l’épargne tenus à Casablanca, a déclaré publiquement « le refus formel de toute implantation d’institution financière islamique au Maroc ».

Une année après, le Maroc a dû, suite à des pressions externes notamment celles venant du Moyen-Orient, changer de discours. Aussi en 2007 Bank Al-Maghrib publie-t-elle sa circulaire intitulée : « Recommandation n° 33/G relative aux produits Ijara, Moucharaka et Mourabaha ». Ces produits « alternatifs » selon la dénomination officielle sont entrés en pratique le 1er octobre de la même année. Un certain nombre d’articles précisent les conditions de commercialisation de ces produits. La circulaire précise ainsi que la mise en œuvre de ces produits doit être réalisée en conformité avec les standards internationaux.

Aussi, seules quelques banques marocaines (Attijariwafabank, le Groupe Banques Populaires, la BMCE et la BMCI) se sont-elles lancées en 2007 dans la commercialisation de ces produits alternatifs et ce, de façon discrète. L’assujettissement de la commercialisation de ces produits aux règles comptables et prudentielles définies par Bank Al-Maghrib en est une contrainte. La consigne de la BAM est qu’aucune allusion ne devra être faite à la dimension religieuse de ces produits alternatifs.

Sur le plan international, un ensemble d’opérateurs financiers islamiques, essentiellement des pays du Golfe, a manifesté son intérêt pour le marché marocain. Ces postulants ont contacté le ministère des Finances et le gouverneur de Bank Al-Maghrib, la réponse à leur demande a été négative.

En fait, sur le plan local, déjà dans les années 90, Moulay Ali Kettani, fondateur du groupe Wafabank, avait tenté d’introduire des produits islamiques dans le cadre des activités de sa banque. Son projet avait été tout simplement refusé par le wali de Bank Al-Maghrib (Mohammed Sekkat à

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l’époque). Par la suite, Miloud Chaâbi, homme d’affaires marocain, a lui aussi soumis, sans succès, à plusieurs reprises des demandes pour la création d’une banque islamique. Des contacts ont été déjà pris dans ce sens mais sans résultat.

Cédant aux pressions des banques et du marché, Bank Al-Maghrib a enfin décidé de donner son accord pour la commercialisation de trois produits conformes à la charia. Une guerre sémantique est depuis livrée par BAM, ces produits sont dits « alternatifs » (Ijara, Moucharaka et Mourabaha), et toute référence à l’islam est bannie.

Attijariwafabank fut la première à mettre sur le marché les produits alternatifs, une lettre du 9 octobre 2007 (Circulaire du 09/10/2007) adressée aux différents responsables les incitant à proposer deux formules Miftah al Kheir dérivée de Mourabaha pour l’acquisition de biens immobiliers et Miftah al Fath dérivée de Ijara Wa Iqtinaa pour la location d’immeubles avec option d’achat.

Concernant, le financement de l’automobile, la filiale Wafasalaf, a essayé de promouvoir le produit Ijar Al Wafaa et Taksit auto qui est une déclinaison de Mourabaha (13).

Avec le temps, seule Attijariwafabank a pu créer en 2010 un établissement spécialement dédié aux produits alternatifs (Dar Assafaa), les autres banques qui ont participé à cette nouvelle activité ont dû référer leur enthousiasme et leur intérêt à l’égard de ces produits alternatifs, et seul le Groupe Banques Populaires a maintenu son enthousiasme jusqu’en 2010.

Dar Assafaa est une société de financement marocaine et une filiale à 100 % du groupe Attijariwafabank. Elle est la première société de financement marocaine, et pour le moment la seule strictement conforme

(13) Miftah Al Kheir est un contrat en vertu duquel l’établissement acquiert, à la demande du client, un bien immobilier construit à usage d’habitation ou professionnel en vue de le lui revendre moyennant une marge bénéficiaire convenue d’avance. Ce produit, dont le règlement par le client se fait par mensualités constantes, respecte les prêts conventionnels en termes d’assurance en cas de décès, de frais de dossier, de pénalités de retard. Miftah al Fath est un contrat en vertu duquel l’établissement de crédit met à la disposition du client un titre locatif, ou un bien immobilier assorti de l’engagement ferme du client d’acquérir le bien au terme du contrat. La pratique de ces deux produits montre que ces produits sont plus chers que les produits conventionnels. Mais la rentabilité générée par l’établissement sur ces produits est équivalente à celle des produits classiques.

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aux pratiques internationales en matière de finance alternative ayant obtenu l’agrément de Bank Al-Maghrib le 13 mai 2010.

Dar Assafaa a mis en place un modèle de financement novateur et unique lui permettant de se financer exclusivement au moyen d’instruments de capital et de dette alternatifs. Ce modèle est qualifié d’équitable entre les parties du fait du partage des risques. Le financement de Dar Assafaa se fera dans un premier temps à travers des fonds propres institutionnels et un financement à travers plusieurs instruments de dettes alternatives.

Dar Assafaa offre à ses clients la possibilité de réaliser leurs projets d’acquisition de biens meubles ou immeubles au moyen d’un produit alternatif parmi ceux définis et autorisés par Bank Al-Maghrib. Ces produits ont en plus la particularité d’être eux-mêmes conçus et financés selon un schéma particulier où le financement est assuré au moyen d’instruments de dette alternatifs.

Grâce à son modèle, Dar Assafaa ne facture pas d’intérêts à ses clients et ne paye pas non plus d’intérêts aux bailleurs de fonds. Par ailleurs, Dar Assafaa dispose d’un réseau d’agences propre pour la distribution de ses produits. A son lancement, Dar Assafaa dispose d’un réseau de neuf agences situées dans les plus grandes villes du Royaume : Casablanca, Rabat, Marrakech, Agadir, Tanger, Oujda, Fès et Meknès. Par la suite, Dar Assafaa projette d’étendre progressivement son réseau d’agences, actuellement au nombre de onze pour couvrir les principales localités du Maroc.

Aujourd’hui, Dar Assafaa présente quatre produits alternatifs dans ses brochures commerciales, mais ne maîtrise techniquement et ne commercialise que le produit Safaa Immo qui correspond au produit Mourabaha.

Les quatre types de service mis sur le marché marocain par Dar Assafaa sont : 1. Safaa Immo pour financer les projets immobiliers (logement, terrain, local commercial) ; 2. Safaa Auto pour acquérir un véhicule neuf ou ancien ; 3. Safaa Conso pour l’achat de produits et services et pour la consommation des ménages ; 4. Safaa Tahjiz pour équiper le logement.

Le Groupe Banques Populaires a opté pour deux formules en reprenant les mêmes appellations de BAM : IjarawaIqtinaa pour le crédit leasing, et Mourabaha pour l’achat pour le compte du client. La marge bénéficiaire

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est fixée à l’avance sous forme de pourcentage du coût d’acquisition de la banque.

La BMCE Bank s’est contentée d’un seul produit alternatif, Ijara qui est un contrat selon lequel l’établissement achète un bien immobilier désigné par le client. Le client dispose du bien immobilier pendant vingt-cinq ans contre un loyer périodique prédéfini assorti d’un engagement ferme de l’acquérir au terme du contrat. Pour ce faire, la banque ne prête pas d’argent au client mais elle achète le bien pour son compte.

La BMCI a proposé des produits alternatifs identiques à ceux de Attijariwafabank. Il s’agit de IjarawaIqtinaa pour le financement d’un bien immobilier et Mourabaha, pour le financement de l’achat d’équipement ou d’un véhicule. Le coût de revient de ces produits est assez proche des financements conventionnels déjà proposés par le groupe.

En fait, ces trois tentatives (GBP, BMCE et BMCI) sont restées très limitées et dans le temps et dans leur ampleur.

3. Quelle appréciation des produits islamiques au Maroc ?

Le constat est que les produits alternatifs n’ont pas eu l’engouement attendu, certains même parlent d’échec de la commercialisation des produits alternatifs au Maroc (14).

Selon la BAM au Maroc, les transactions relevant de la finance islamique ont réalisé à peine 800 millions de dirhams (72 millions d’euros) au troisième trimestre de 2011, soit une baisse de 100 millions de dirhams (9 millions d’euros) par rapport à 2010.

Effectivement, au regard des attentes, le résultat laisse à désirer. Les raisons en sont, a priori, nombreuses :

Le nombre limité des produits proposés

Seuls trois produits ont été autorisés par la circulaire de BAM en vertu des recommandations du 7 septembre 2007 : Mourabaha, Ijara et Moucharaka. Malgré ce nombre réduit, en réalité seuls les deux premiers produits ont été opérationnalisés. Le troisième, Moucharaka (semblable

(14) La Vie économique du 26 février 2008 ; le quotidien l’Economiste du 4 mars 2008.

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au capital-risque) n’a pas été proposé par les établissements de crédit. A la date d’aujourd’hui il n’existe sur le marché que le produit Mourabaha.

Le coût élevé des transactions halal par rapport à celles proposées par les banques conventionnelles

Dans la pratique, ces produits se sont avérés plus chers que leurs semblables conventionnels. La double transaction immobilière et le coût du risque dont les frais sont supportés par le client rendent le coût de l’acquisition immobilière plus élevé que dans le cadre d’une transaction conventionnelle (15).

Les nouveaux taux de l’emprunt signifient que les produits bancaires alternatifs conformes à la charia seront désormais taxés au même taux que les produits bancaires et les prêts traditionnels

Une réglementation pénalisante pour les produits alternatifs

Cependant, la dernière révision du taux de la TVA sur les produits bancaires sans intérêt tend à réparer cette injustice. En effet, à partir de janvier 2010, la TVA sur les produits bancaires alternatifs comme la Mourabaha et l’Ijara sera de 10 %, au lieu des 20 % préalablement appliqués. De même, les frais d’enregistrement ne sont plus comptabilisés qu’une seule fois. Malgré cela, les produits alternatifs restent plus chers pour des raisons fiscales.

Un marketing inadéquat

La promotion de ces nouveaux produits n’a pas été suffisamment pertinente pour informer et inciter les Marocains à s’intéresser à ces produits alternatifs. En fait, cette promotion était soumise aux recommandations préparées sous forme de guide par BAM et un groupement professionnel (GPBM), qui avait pour finalité l’orientation de la communication des établissements qui décidaient de mettre ces produits sur le marché.

Les principes directeurs devant être respectés sont les suivants : 1. la politique de communication doit être validée par la direction générale des établissements de crédit ; 2. préalablement à leur diffusion au public,

(15) La banque doit gérer une double opération commerciale d’achat et de revente qui se substitue à l’opération financière classique. D’où de nombreux frais supplémentaires.

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le contenu des messages publicitaires est soumis à un droit de regard de la part de BAM ; 3. éviter toute comparaison avec les produits bancaires conventionnels ; 4. doivent être bannies toutes les références à caractère religieux, telles que halal, islamique, charia, conseil religieux et assimilé ; 5. les établissements de crédit doivent éviter de faire de la surenchère entre elles pour s’accaparer les parts du marché ; 6. les chargés de clientèle doivent être formés et sensibilisés au langage à adopter à l’égard de la clientèle et veiller au respect des disposition de la recommandation.

Une politique publique frileuse et peu ouverte sur le reste du monde

La mosquée aurait pu être l’endroit idéal pour faire la promotion de ces produits halal. Or, rien n’a été fait dans ce sens. La frilosité de cette politique est conjuguée à une fiscalité inadaptée, sinon pénalisante, de ces produits, ce qui se traduit par leur cherté par rapport aux autres produits classiques.

Une politique publique audacieuse à l’égard de la finance islamique pourrait drainer une partie des pétrodollars, à un moment où le Maroc en a vraiment besoin du fait du tarissement de l’épargne marocaine, de la chute des flux des investissements européens en direction du Maroc et surtout de la baisse du stock des réserves en devises dans les caisses de l’Etat.

Aujourd’hui, plus d’une douzaine de demandes d’agrément sont sur le bureau du gouverneur de la banque centrale. Celui-ci a toujours résisté à cette demande, prétextant que le « Maroc n’a pas besoin de nouvelles banques, les établissements déjà en place répondent à tous les besoins de l’économie ». Parmi les prétendants on trouve le groupe saoudien Al Rajhi, Kuwait Finance House, Dubai Islamic Bank, le Bahreini Al Baraka, Islamic Bank of Britain… Des mastodontes de la finance “verte”, qui opèrent dans les pays du Golfe, dans les places émergentes d’Indonésie ou de Malaisie et même au cœur de la City à Londres.

Mais tous les pronostics semblent pencher en faveur de Faisal Islamic Bank, un des géants de la banque islamique dans le monde, dont l’actionnaire de référence n’est autre que la famille régnante d’Arabie saoudite.

« Nous avons pensé qu’il est préférable de commencer avec une seule institution de finance islamique, pour évaluer de près l’expérience »,

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explique le ministre des Affaires économiques, Najib Boulif, à l’agence Reuters. « Si l’expérience réussit dans les six mois, plus rien ne devrait nous empêcher d’autoriser plus de prêteurs islamiques à investir au Maroc », poursuit l’économiste en chef du PJD, comme pour rassurer les insatisfaits.

Un système bancaire réticent et mal préparé Un certain attentisme, sinon un accord tacite, caractérise le

comportement des banques marocaines envers les produits alternatifs. Cette attitude ne s’est pas traduite par l’enclenchement d’une compétitivité quant à la mise sur le marché de ces nouveaux produits.

Les acteurs politiques et mêmes les banquiers décideurs ont toujours fortement politisé la finance islamique qui apparemment favoriserait la mouvance islamique au Maroc. Est-ce une raison de priver et le Maroc et une partie des citoyens marocains d’un supplément de fonds à même d’atténuer le problème de liquidité au Maroc et, parallèlement, de répondre à des attentes culturellement justifiées par cette partie de la population qui continue à bouder le système bancaire conventionnel pour des raisons éthiques ?

Pour conclure, nous pouvons annoncer que, contrairement aux attentes, ces nouveaux produits n’ont suscité que très peu d’enthousiasme dans les banques qui les voient comme des produits concurrents aux produits qu’elles proposent habituellement.

Aussi, faut-il reconnaître que les banques qui ont décidé d’introduire les produits alternatifs ont été très discrètes quant à la communication autour de ces produits.

Le coût élevé des transactions halal par rapport à celles proposées par les banques conventionnelles, d’une part, et une réglementation pénalisante des produits alternatifs, d’autre part, conjuguée à une politique publique frileuse et peu ouverte sur le reste du monde, ont fortement limité la promotion de ces produits.

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Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et défis 169

Bibliographie sélective

Racha Mohamad Arab Ghayad (2008), les Banques islamiques : défi de la performance et de la gouvernance, Union of Arab Banks, Bahrein.

Imane Karich (2004), Finances et Islam, Le Savoir éditions, Belgique.

Aldo Lévy (2012), Finance islamique : opérations financières autorisées et prohibées, vers une finance humaniste, Gualino Lextenso éditions, France.

Malika Kettani (2005), Une banque originale, la banque islamique, Dar Al-Kotob Al-Ilmiya, Liban.

Tarik Bengarai (2010), Comprendre la finance islamique : principes, pratiques et éthique, France.

François Guéranger (2009), Finance islamique : une illustration de la finance éthique, Dunod, France.

Michel Ruimy (2008), la Finance islamique, Edition Sefi.

Al Nagar (1971), Extrait de « Des banques sans intérêt : une stratégie de développement économique et social dans les pays islamiques », conférence à l’université de Jeddah.

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Annexes

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I. Le « Printemps arabe »

1. Chronologie du « Printemps arabe », 2010-2012

TUNIsIE

17 décembre 2010. Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant, s’immole à Sidi Bouzid pour protester contre la saisie de sa marchandise par la police. Début d’une vague de contestation.11 janvier 2011. Les affrontements gagnent Tunis.14 janvier. Fuite du président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, vers l’Arabie saoudite.17 janvier. Nouveau gouvernement d’union nationale, dans lequel l’équipe sortante conserve des postes-clés.24 janvier. L’armée se porte « garante de la révolution ». Les manifestants exigent la démission du gouvernement.26 janvier. Mandat d’arrêt international contre Ben Ali et son épouse. 7 mars. Nouveau gouvernement provisoire sans aucun ancien ministre de Ben Ali.23 octobre. Le parti islamiste Ennahda remporte les élections à l’Assemblée constituante. 13 décembre. Moncef Marzouki est élu président et nomme le numéro deux d’Ennahda, Hamadi Jebali, Premier ministre.

ÉGYPTE

25 janvier 2011. Première manifestation sur la place Tahrir au Caire. Début de plusieurs semaines de mobilisation des Égyptiens en vue de la chute du régime.11 février. Le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, quitte le pouvoir.19 mars. Référendum sur la Constitution égyptienne, avec 77 % des voix en faveur des amendements proposés (limitation du nombre et de la durée

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du mandat présidentiel, assouplissement des conditions de candidatures électorales).3 août. Ouverture du procès de Hosni Moubarak, rapidement ajourné et reporté au 15 août. L’ancien président égyptien est accusé du meurtre de plus de 800 manifestants et de détournement de fonds publics.15 août. Nouvelle audience du procès Moubarak, ajourné puis reporté au 5 septembre.10 janvier 2012. Le Parti de la liberté et de la justice, issu des Frères musulmans, remporte les élections législatives. 17 juin. Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans, est élu président. 22 novembre. Le président égyptien s’attribue par décret des pouvoirs élargis et fait face à une vague de contestation.22 décembre. Adoption d’une nouvelle Constitution.

sYRIE

15 mars 2011. Rassemblement à Damas après un appel lancé sur facebook.21 avril. Levée de l’état d’urgence. Plus de 80 manifestants sont tués le lendemain.25 avril. L’armée entre à Deraa. Au moins 25 personnes sont tuées.13 juin. Alep, deuxième ville du pays, est gagnée par la contestation.8 juillet. Les ambassadeurs français et américain se rendent à Hama pour manifester leur soutien aux manifestants.29 juillet. Des officiers de l’armée syrienne font défection et créent l’Armée syrienne libre.31 juillet. L’armée syrienne entre dans Hama. En quelques jours, le bilan est d’au moins 90 morts, selon des organisations de défense des droits de l’homme.3 août. Le Conseil de sécurité de l’ONU condamne « les violations généralisées des droits de l’homme ».14 août. L’armée syrienne lance une opération navale sans précédent à Lattaquié, au nord-ouest du pays, faisant une trentaine de morts.24 août. L’ONU vote une résolution demandant l’ouverture d’une commission d’enquête internationale sur la violation des droits de l’homme.2 octobre. Création par l’opposition du Conseil national syrien.

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12 novembre. La Ligue arabe suspend la Syrie.1er mars 2012. L’armée syrienne reprend le quartier de Baba Amro, à Homs, après des semaines de bombardements.25 mai. Massacre de 108 villageois sunnites à Houla.19 juillet. Pour la troisième fois, Moscou et Pékin opposent leur veto à une résolution de l’ONU condamnant la Syrie.20 juillet. Les rebelles syriens entrent dans Alep.22 août. Le président américain Barack Obama qualifie l’usage d’armes chimiques en Syrie de « ligne rouge ».14 novembre. La France est le premier pays à reconnaître la Coalition nationale syrienne comme seule représentante du peuple syrien.

ALGÉRIE

Début janvier 2011. 5 jours d’émeutes contre la vie chère et le chômage font 5 morts et plus de 800 blessés.Du 14 au 30 janvier. 2 décès par immolation et 7 tentatives.19 février. La marche organisée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) interdite, elle se transforme en rassemblement.24 février. Levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1993.7 mars. Des gardes communaux, chargés de suppléer la gendarmerie, se rassemblent pour réclamer de meilleures conditions de travail.15 avril. Le président Abdelaziz Bouteklika, au pouvoir depuis 1999, commande la tenue de consultations en vue de réformes politiques. Ces consultations débutent le 21 mai sans la participation de plusieurs partis d’opposition.

LIBYE

15 février. Des émeutes éclatent à Benghazi. 17 février. Des manifestations de la « Journée de la colère » réclament le départ du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969. Elles se heurtent à une violente répression policière.26 février. Une résolution de l’ONU impose un embargo sur les armes, une interdiction de voyager et un gel des avoirs du clan Kadhafi, et demande la saisine de la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité ».

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27 février. Les opposants forment un Conseil national de transition à Benghazi.2 mars. Début de la contre-offensive des forces de Kadhafi dans l’est du pays.17 mars. La résolution 1973 de l’ONU qui autorise le recours à la force pour protéger les populations civiles et crée une zone d’exclusion aérienne. 19 mars. Début des frappes aériennes de la coalition contre les forces de Kadhafi.27 mars. L’OTAN prend officiellement le commandement des opérations militaires menées dans le pays.27 juin. La Cour pénale internationale délivre des mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité à l’encontre de Mouammar Kadhafi, de son fils, Saïf Al-Islam Kaddafi, et du chef des services de renseignements, Abdullah al-Senoussi.15 août. Les rebelles affirment être entrés dans une « phase décisive » et contrôler la « majeure partie » de Zaouiah, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale libyenne, ainsi que les villes de Gariane et Sourmane.21 août. Les rebelles entrent dans la capitale, Tripoli. Lundi 22, ils encerclent la résidence de Kadhafi. Le Conseil national de transition fait prisonnier le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam.23 août. Le quartier général de Kadhafi tombe aux mains des rebelles. Kadhafi affirme dans un message audio l’avoir quitté pour des « raisons tactiques ».20 octobre. Mouammar Kadhafi est tué. 7 juillet 2012. L’Alliance des forces nationales de Mahmoud Djibril (libéral) remporte les législatives.11 septembre. L’ambassadeur américain en Libye, Chris Stevens, et trois Américains sont tués dans l’attaque du consulat américain à Benghazi.

MAROC

20 février 2011. Manifestations de milliers de Marocains dans plusieurs villes du pays, dont Rabat, Casablanca et Marrakech… Ils réclament un gouvernement aux pouvoirs élargis et des réformes politiques. 9 mars. Le roi Mohammed VI annonce une réforme constitutionnelle. Le « mouvement du 20 février » poursuit ses manifestations les semaines

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suivantes, réclamant plus d’égalité, de justice sociale et une lutte efficace contre la corruption. 17 juin. Le roi Mohammed VI présente le projet de réforme constitutionnelle. Les militants du « mouvement du 20 février » se disent insatisfaits de ce projet et demandent des réformes politiques plus profondes : recul plus net des prérogatives royales, séparation des pouvoirs plus marquée…1er juillet. Référendum portant sur la nouvelle Constitution marocaine, avec plus de 98 % des voix en faveur de celle-ci.3 juillet. Nouvelle vague de manifestations dans plusieurs villes du pays, à l’appel du Mouvement du 20 février, qui exige davantage de réformes politiques, à la suite du référendum constitutionnel.16 août. Le ministre de l’Intérieur, Taïeb Cherkaoui, annonce la tenue d’élections législatives anticipées le 25 novembre.25 novembre. Le Parti de la justice et du développement (islamiste) remporte les législatives anticipées au Maroc. Son secrétaire général, Abdelilah Benkirane, devient chef du gouvernement.

YÉMEN

27 janvier 2011. Premières mobilisations dans la capitale yéménite, Sanaa. Les manifestants réclament le départ du président yéménite Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978.5 mars. Le président Saleh refuse de quitter son poste d’ici la fin de l’année, comme le souhaite l’opposition. Il affirme qu’il restera au pouvoir jusqu’en 2013, terme de son mandat.18 mars. Plusieurs dizaines de personnes sont tuées lors de mobilisations contre le pouvoir.30 avril. Le président Saleh refuse de signer un plan de sortie proposé par les monarchies du Golfe prévoyant sa démission, alors qu’il avait donné son accord de principe quelques jours plus tôt. 3 juin. Le président Saleh est blessé dans un tir d’obus à Sanaa. Il est transporté en Arabie saoudite pour y être soigné.7 juillet. Première apparition télévisée du président Saleh depuis son hospitalisation en Arabie saoudite. Il n’évoque ni sa démission ni un éventuel retour au Yémen.

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16 juillet. L’opposition annonce la création d’un conseil transitoire présidentiel.16 août. Le président Saleh annonce son retour prochain au Yémen. 23 novembre. Le président yéménite signe le plan des monarchies du Golfe. Il cède le pouvoir contre son immunité.21 février 2012. Abd Rabbo Mansour Hadi élu président.

BAHREÏN

14 février 2011. Des milliers de manifestants se rassemblent sur la place de la Perle dans la capitale du Bahreïn, Manama, pour réclamer des changements politiques et sociaux. Les forces de sécurité répriment ces mobilisations.14 mars. Des soldats saoudiens de la force commune du Conseil de coopération du Golfe (CCG) entrent au Bahreïn. L’opposition bahreïnie dénonce une « occupation étrangère ». 15 mars. Le roi du Bahreïn décrète l’état d’urgence pour trois mois dans un contexte de manifestations anti-gouvernementales.8 mai. Ouverture d’un procès d’exception pour plusieurs militants d’opposition.1er juin. Levée de l’état d’urgence. Annonce d’un « dialogue national » et instauration d’une commission indépendante pour enquêter sur les abus commis durant la répression du soulèvement.2 juillet. Ouverture officielle du « dialogue national » au Bahreïn. Malgré ses réticences, le groupe d’opposition El Wefaq accepte de participer à ces discussions destinées à relancer le processus de réforme politique.7 août. Libération de deux anciens députés chiites du parti d’opposition El Wefaq. Devant être initialement jugés par un tribunal d’exception, ils seront finalement jugés par une cour civile.

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2. Les réactions au « Printemps arabe »

La réaction de l’UE au « Printemps arabe » MEMO/11/918 Bruxelles, le 16 décembre 2011

Depuis les premières manifestations en Tunisie en décembre 2010, une vague de mécontentement populaire secoue le monde arabe, les citoyens appelant à la dignité, à la démocratie et à la justice sociale. Malgré l’ampleur inattendue de ces révoltes, l’Union européenne n’a pas tardé à reconnaître les difficultés que pose la transition politique et économique dans l’ensemble de la région. Elle a également reconnu la nécessité d’adopter une nouvelle stratégie concernant ses relations avec ses voisins du Sud.

L’UE a noué un dialogue politique avec un large éventail d’interlocuteurs de la région – des membres de gouvernement, de l’opposition, des parlements et de la société civile – lors de visites du président de la Commission, du président du Parlement, de la Haute Représentante et vice-présidente et de plusieurs commissaires.

Sa réaction stratégique au Printemps arabe ne s’est pas fait attendre puisque, dès le 8 mars 2011, elle a présenté une communication conjointe de la Haute Représentante et vice-présidente, Mme Catherine Ashton, et de la Commission proposant « Un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée ». Cette communication souligne que l’Union doit soutenir pleinement la demande de participation à la vie politique, de dignité, de liberté et de nouveaux emplois qui est exprimée et présente une stratégie fondée sur le respect des valeurs universelles et des intérêts communs. Elle propose aussi un principe selon lequel une aide plus importante – qu’il s’agisse d’une assistance financière, d’une mobilité accrue ou de l’accès au marché unique de l’UE – doit être apportée aux pays partenaires qui progressent le mieux dans la consolidation des réformes, sur la base d’une responsabilité mutuelle. Cette stratégie a été précisée dans une autre communication conjointe, du 25 mai, marquant le lancement d’« Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation ».

L’UE s’est engagée, à court comme à long terme, à aider ses partenaires à relever deux grands défis, en particulier :

– premièrement, « approfondir la démocratie », c’est-à-dire non seulement rédiger des constitutions démocratiques et organiser des

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élections libres et régulières, mais aussi mettre et maintenir en place un pouvoir judiciaire indépendant, une presse libre et florissante, une société civile dynamique et toutes les autres composantes d’une démocratie qui est arrivée à maturité et qui fonctionne ;

– deuxièmement, garantir une croissance économique et un dévelop-pement solidaires et durables, éléments indispensables à l’ancrage de la démocratie. Un enjeu particulier à cet égard consistera à assurer une forte création d’emplois.

Tout en reconnaissant un certain nombre de défis communs à tous les pays partenaires, l’Union soutiendra chaque pays de façon différenciée, de manière à tenir compte des besoins et des priorités de chacun. Elle concentrera son aide sur trois éléments : le financement, la mobilité et les marchés.

1. Financement

En mai 2011, l’Union européenne s’est engagée à mettre jusqu’à 1,2 milliard d’euros supplémentaire à disposition pour les subventions en faveur du voisinage durant la période 2011-2013, en plus des 5,7 milliards d’euros déjà inscrits au budget. En outre, la Banque européenne d’investissement (BEI) peut désormais accorder des prêts supplémentaires à la région, un milliard d’euros ayant été ajouté aux 4 milliards disponibles avant le Printemps arabe. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a l’intention d’étendre son terrain d’action aux pays du Sud concernés par la politique de voisinage et d’investir jusqu’à 2,5 milliards d’euros chaque année dans les secteurs public et privé afin de soutenir la création et le développement d’entreprises et le financement d’infrastructures.

Par ailleurs, la Commission européenne a adopté le 26 septembre un nouvel ensemble de mesures prévoyant l’octroi de subventions à la région. Cet ensemble comprend :

– le programme SPRING (aide au partenariat, aux réformes et à la croissance inclusive), doté d’un budget de 350 millions d’euros de fonds supplémentaires pour 2011 et 2012, l’aide disponible étant octroyée prioritairement aux pays partenaires qui se sont engagés durablement et progressent de manière soutenue sur la voie des réformes démocratiques ;

– la création d’une facilité de soutien à la société civile pour le voisinage (tant au sud qu’à l’est), dotée d’un budget total de 26,4 millions d’euros pour 2011 ; elle vise à améliorer la capacité de la société civile à

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promouvoir les réformes et à renforcer l’obligation de rendre des comptes dans les différents pays ;

– une enveloppe de près de 30 millions d’euros au titre d’Erasmus Mundus pour l’année universitaire 2011-2012, destinée en particulier au voisinage méridional et devant servir à financer des bourses pour les étudiants et les enseignants de la région qui souhaitent étudier, réaliser des travaux de recherche ou enseigner pendant une certaine période dans l’Union européenne ; il s’agit là du double du montant initialement prévu pour cette région (voir IP/11/1558).

Ces montants viennent s’ajouter à ceux qui ont été affectés à l’aide humanitaire de première urgence : à ce jour, la Commission européenne a consacré 80,5 millions d’euros à la crise des réfugiés en Afrique du Nord. Les États-membres de l’UE ont fourni 73 millions d’euros supplémentaires.

Dans les propositions budgétaires qu’elle a présentées le 7 décembre pour la période 2014-2020, la Commission européenne recommande d’affecter plus de 18,1 milliards d’euros au soutien des seize pays partenaires concernés par la politique de voisinage (à l’est et au sud). Un tel montant représenterait une nette augmentation (d’environ 40 %) par rapport à l’appui financier fourni au cours de la période 2007-2013. Le nouvel instrument européen de voisinage (IEV) permettra d’apporter l’aide plus rapidement et avec plus de souplesse, en appliquant une différenciation accrue et en récompensant les pays qui progressent le mieux, conformément au principe consistant à donner davantage à ceux qui fournissent davantage d’efforts.

2. Mobilité

La mobilité des citoyens des pays partenaires à destination de l’Union européenne sera facilitée, notamment par les mesures suivantes :

– un développement important des bourses (voir Erasmus Mundus ci-dessus) et des échanges universitaires ; l’enveloppe du programme Tempus a également été augmentée pour soutenir la modernisation de l’enseignement supérieur dans les pays situés au sud de la Méditerranée et accroître leur collaboration avec les universités de l’UE en 2012 et en 2013 ;

– la création de « partenariats pour la mobilité », portant notamment sur l’assouplissement des procédures en matière de visas et sur des accords

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de réadmission. Des dialogues ont déjà été entamés avec la Tunisie et le Maroc, et l’Union espère en engager d’autres sous peu.

3. Marchés

L’amélioration de l’accès aux marchés ainsi que l’intégration progressive des économies de ces partenaires dans le marché unique de l’UE seront les principaux objectifs des futures négociations concernant les zones de libre-échange approfondi et complet avec le Maroc, la Jordanie, l’Égypte et la Tunisie, qui seront entamées dès que les travaux préparatoires nécessaires seront terminés (voir IP/11/1545). À la différence des relations commerciales actuelles entre l’UE et ces pays, ces zones iront au-delà de la simple suppression des droits de douane, l’objectif étant de prendre en compte toutes les questions réglementaires en rapport avec le commerce, telles que la protection des investissements et la passation des marchés publics.

Un nouveau mécanisme d’investissement en faveur des PME dénommé Sanad (« soutien » en arabe) a également été mis sur pied en août 2011, en collaboration avec la banque allemande Kreditanstalt Für Wiederaufbau (KFW), pour un total de 20 millions d’euros. Ce fonds cible les PME du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, en particulier celles qui sont trop petites pour recourir aux banques mais trop grandes pour faire appel aux établissements de microfinance. Enfin, les travaux visant à établir un nouveau système de « sécurité des investissements » pour la Méditerranée, en collaboration avec l’Agence multilatérale de garantie des investissements, l’Organisation de coopération et de développement économiques et l’Union pour la Méditerranée, progressent et pourraient aboutir pour la fin 2011.

Une priorité majeure consiste à renforcer le soutien aux organisations de la société civile ainsi que la coopération avec ces dernières, car elles ont un rôle de premier plan à jouer pour améliorer la gouvernance et faire en sorte que les gouvernements puissent rendre des comptes. La société civile dans toutes ses composantes (ONG, universités, groupes de réflexion, médias) ainsi que les parlements et les assemblées constituantes seront des acteurs-clés de la construction de l’avenir de la région. Les femmes et les jeunes auront une contribution importante à apporter à cet égard, et l’UE lance actuellement des projets concrets visant à favoriser leur participation active à la vie politique et économique.

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L’Union européenne continuera à soutenir la société civile à la fois par la fourniture d’une aide bilatérale différenciée dans chaque pays et par la revitalisation de forums euro-méditerranéens existants. Elle a déjà mis en place la facilité de soutien à la société civile. Elle consultera plus systématiquement les organisations de la société civile lors de l’élaboration et du suivi de plans d’action bilatéraux et de projets de coopération financière. Des travaux sont également en cours pour créer un Fonds européen pour la démocratie, ciblé dans un premier temps sur le voisinage. Ce Fonds apportera une valeur ajoutée aux instruments européens et traduira la volonté de l’UE de permettre à certains bénéficiaires d’obtenir un soutien et un financement plus facilement. Enfin, la Commission européenne, à l’initiative de sa vice-présidente, Mme Neelie Kroes, a commencé à appliquer la stratégie « No Disconnect », qui contribuera à faire en sorte que les droits de l’homme soient respectés sur l’internet (voir IP/11/1525). Cette stratégie consistera à fournir des outils technologiques destinés à améliorer la protection de la vie privée et la sécurité lors des communications en ligne, à sensibiliser les militants aux possibilités et aux risques inhérents aux communications numériques, à contrôler le niveau de surveillance et de censure par la collecte de renseignements présentant un haut niveau de fiabilité et à aider les parties concernées à partager des informations et à établir une coopération transrégionale.

La nomination d’un représentant spécial de l’Union européenne pour la région du sud de la Méditerranée, M. Bernardino León, renforce le dialogue politique avec nos voisins du Sud et contribue à garantir une coordination optimale des efforts des institutions de l’UE, de ses États-membres, des institutions financières comme la BEI et la BERD et du secteur privé. La création de groupes de travail de haut niveau, coprésidés par la Haute Représentante et vice-présidente et par les dirigeants des pays partenaires, constitue un outil important à cet égard. Le premier groupe, concernant la Tunisie, s’est réuni fin septembre ; d’autres devraient être mis sur pied dans les mois à venir. L’UE est aussi un acteur-clé du « partenariat de Deauville » établi par le G8, dans le cadre duquel 20 milliards d’euros ont déjà été promis aux pays du sud de la Méditerranée.

Les transitions vers la démocratie prendront du temps et continueront de poser de grands défis. Dans ce contexte, l’Union européenne reste déterminée à coopérer avec les pays de la région, les institutions financières

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internationales, le secteur privé et les organisations de la société civile afin qu’une réponse coordonnée et utile puisse être apportée rapidement et efficacement.

La réaction de l’Union européenne pays par pays

ALGÉRIE

En réaction immédiate au Printemps arabe en Algérie, l’Union a instauré un « programme d’appui Jeunesse-Emploi », doté d’une enveloppe de 23,5 millions d’euros, qui soutiendra le ministère de la Jeunesse et des Sports aux niveaux national et local ainsi que les associations de jeunes par des mesures d’information et de formation et le financement de projets. Ce programme vise à renforcer la participation des jeunes à la société, à améliorer leurs perspectives d’emploi et à favoriser l’application de la politique nationale de la jeunesse. Le dialogue politique, la sécurité et les droits de l’homme figurent aussi parmi les priorités; la première réunion du sous-comité UE-Algérie chargé de ces questions a eu lieu à Alger en septembre dernier, et une deuxième réunion est prévue pour décembre. Le commissaire européen responsable de la politique européenne de voisinage (PEV), M. Štefan Füle, s’est rendu à Alger en mai 2011 pour discuter en particulier du renforcement de la participation de l’Algérie à la PEV et progresser sur la voie de l’adoption d’un plan d’action. Le 8 décembre, M. Abdelkader Messahel, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, a annoncé à Bruxelles que l’Algérie était prête à entamer les négociations concernant ce plan d’action. En outre, l’UE a proposé de fournir une assistance technique et d’envoyer une mission d’observation lors des prochaines élections législatives qui se tiendront au premier semestre de 2012. L’Algérie bénéficie d’un soutien de 172 millions d’euros au titre de l’instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) pour la période 2011-2013.

BAHREÏN

Dès le début des manifestations à Manama, l’UE a demandé à l’ensemble des parties en présence à Bahreïn de s’abstenir de toute violence et d’entamer un dialogue. Après les lourdes mesures de répression prises à l’encontre des protestataires en février et en mars, la Haute Représentante

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a dépêché un envoyé de l’UE à Manama et transmis en personne les messages de l’Union au ministre bahreïni des Affaires étrangères et au roi Hamad. Un flux continu de déclarations publiques et de contacts diplomatiques avec les autorités bahreïnies a permis d’attirer l’attention de l’opinion publique sur la situation des droits de l’homme et sur la nécessité que les auteurs d’exactions en tous genres soient obligés de rendre compte de leurs actes, que le pays accueille une mission du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et que la société bahreïnie s’engage sur la voie d’une véritable réconciliation. La Haute Représentante a mis la situation à Bahreïn à l’ordre du jour de plusieurs réunions des ministres des Affaires étrangères de l’UE et porté la question jusqu’au niveau des chefs d’État ou de gouvernement. La pression appliquée par l’Union européenne et de nombreuses organisations de la société civile a donné des résultats concrets, parmi lesquels la constitution d’une commission d’enquête indépendante en juin 2011 et la révision de procès et de verdicts des tribunaux militaires.

ÉGYPTE

Dès le début de la crise, l’Union européenne défend le droit des Égyptiens de manifester pacifiquement et condamne le recours à la force par les autorités. Juste après le départ de l’ancien président Moubarak et en réponse directe à la demande de droits civiques, politiques et socio-économiques du peuple égyptien, l’Union européenne a adopté un train de mesures en faveur de la société civile, assorti d’une enveloppe de 20 millions d’euros. Compte tenu de cette situation nouvelle, l’aide au développement prévue pour la période 2011-2013 a été revue. Des programmes à hauteur de 132 millions d’euros ont été approuvés pour 2011 et des initiatives pour un montant de 95 millions d’euros sont déjà en préparation pour 2012. Les programmes de 2011 soutiendront l’amélioration des conditions de vie dans les zones défavorisées du Caire, le commerce et la croissance économique (et, par conséquent, la création d’emplois), les PME agricoles, ainsi que la réforme des secteurs de l’énergie et de l’eau.

L’UE a également proposé d’envoyer des missions d’observation à part entière lors des élections législatives et présidentielles. Les autorités égyptiennes ont préféré décliner les offres des missions internationales d’observation, mais elles ont accepté un programme d’appui de l’UE d’une

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valeur de 2 millions d’euros au titre de l’instrument de stabilité, qui aidera la Haute Commission électorale dans ses travaux et apportera un soutien aux organisations de la société civile. Par ailleurs, l’Union a entamé des discussions préparatoires au Caire en vue de la création d’un partenariat pour la mobilité, mais les autorités égyptiennes ont indiqué qu’aucun engagement ne serait possible avant la mise en place d’un nouveau gouvernement élu. Afin d’intégrer progressivement l’économie égyptienne dans le marché unique de l’UE et d’améliorer l’accès des produits égyptiens aux marchés européens, l’Union se prépare aussi à engager des négociations concernant l’instauration d’une zone de libre-échange approfondi et complet dès que l’Égypte sera disposée à le faire. Le 1er décembre, le conseil « Affaires étrangères » s’est félicité du démarrage pacifique et bien organisé des élections législatives et a pris note de l’intention d’organiser des élections présidentielles avant la fin du mois de juin 2012. Toutefois, il a exprimé de vives préoccupations face à la violence et aux troubles qui ont précédé le premier tour des élections et à la détérioration de la situation économique en Égypte.

JORDANIE

S’appuyant sur le partenariat « avancé » conclu entre l’UE et la Jordanie en octobre 2010, la Haute Représentante et vice-présidente a déclaré à plusieurs reprises que l’Union était prête à aider ce pays sur la voie des réformes. Elle a salué l’annonce du roi Abdallah concernant les amendements à la Constitution adoptés par le parlement jordanien, qui représentent un pas positif vers la concrétisation des aspirations du peuple puisqu’ils renforcent les droits des citoyens et l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Afin d’aider le gouvernement jordanien à relever les défis économiques actuels, l’Union européenne a décidé en mai de transférer vers 2011 40 millions d’euros supplémentaires initialement prévus pour les programmes 2012-2013. Cette enveloppe servira à soutenir la création de PME dans le but de lutter contre la pauvreté et le chômage dans les zones moins favorisées, à accroître la contribution de la recherche et de l’innovation à la croissance et à l’emploi et à renforcer davantage la gestion des finances publiques. Les programmes en cours (y compris ceux qui sont financés par l’enveloppe de 71 millions d’euros prévue initialement pour 2011) favorisent déjà les réformes dans divers secteurs,

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dont l’efficacité énergétique, l’éducation, la gouvernance démocratique et le développement économique local. Par ailleurs, le processus de préparation des futures négociations concernant l’établissement d’une zone de libre-échange approfondi et complet avec la Jordanie sera engagé au début de l’année 2012. La première réunion du groupe de travail UE-Jordanie devrait avoir lieu au premier trimestre de 2012.

LIBYE

L’extrême brutalité de la répression des manifestations par l’ancien régime a conduit l’Union européenne à suspendre immédiatement toute coopération technique ainsi que les négociations sur l’accord-cadre UE-Libye. Un conseil européen extraordinaire sur la Libye s’est tenu en mars, et la question libyenne a été examinée lors de tous les conseils « Affaires étrangères » ultérieurs. Le pays a connu une guerre de libération qui a duré plusieurs mois et a seulement pris fin le 23 octobre, après la capture et la mort du colonel Kadhafi. L’Union européenne a participé à des réunions internationales de première importance, comme celles du groupe de contact international sur la Libye, et la Haute Représentante et vice-présidente a contribué à rapprocher les positions divergentes des grands partenaires internationaux en participant au « groupe du Caire » (qui rassemble l’Union africaine, la Ligue arabe, l’UE, l’Organisation de la coopération islamique et les Nations Unies). L’UE a fait de nombreuses déclarations pour défendre les droits humains des opposants et condamner la répression sanglante menée par le régime. Elle a adopté une série de sanctions à l’encontre de personnes physiques et morales pour empêcher le régime Kadhafi de se procurer des armes et de l’argent. La participation active de ses États membres aux travaux réalisés à l’échelle internationale a conduit à l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui invitait la communauté internationale à prendre des mesures pour protéger les civils et établissait la base juridique nécessaire à une intervention militaire de l’OTAN.

La Haute Représentante et vice-présidente a ouvert un bureau de l’Union européenne à Benghazi le 22 mai et inauguré une délégation de l’Union européenne à Tripoli lors de sa visite en Libye du 12 novembre. Elle a été le premier dignitaire étranger à rencontrer le nouveau premier ministre, M. Abderrahim Al-Kib.

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Depuis le début de la crise, l’UE a fourni plus de 155 millions d’euros d’aide humanitaire et mobilisé ses équipes et ses ressources de protection civile pour améliorer le sort des civils, tant en Libye qu’aux frontières du pays. En outre, la Commission européenne met à disposition 30 millions d’euros pour soutenir les priorités de stabilisation immédiates du Conseil national de transition (CNT) et mettra 50 millions d’euros supplémentaires à disposition pour des programmes d’appui à plus long terme. Comme convenu lors de la conférence internationale qui s’est tenue à Paris en septembre, l’Union évalue actuellement les besoins dans les domaines des communications, de la société civile et de la gestion des frontières. Elle a déjà déployé des experts dans ces domaines ainsi que pour la sécurité et les passations de marchés. Enfin, d’importants projets portant sur la migration qui avaient été interrompus en février 2011 sont sur le point de reprendre.

MAROC

Le 2 juillet 2011, la Haute Représentante et vice-présidente, Mme Catherine Ashton, et le commissaire chargé de la PEV, M. Štefan Füle, ont salué le résultat positif du référendum sur la nouvelle Constitution, à savoir l’approbation des réformes proposées par le roi Mohammed VI. Ils ont également réaffirmé le soutien de l’Union européenne au Maroc dans la mise en œuvre de ces réformes ambitieuses. L’Union a dépêché une mission d’experts sur place pour suivre les élections législatives du 25 novembre. Le partenariat pour la mobilité avec le Maroc a été inauguré à Rabat en octobre, et l’UE a relancé les négociations en vue de l’adoption d’un nouveau plan d’action lié au statut avancé, qui ont repris en décembre. Par ailleurs, le processus de préparation des futures négociations concernant l’établissement d’une zone de libre-échange approfondi et complet avec le Maroc sera engagé au début de l’année 2012.

Pour ce qui est du soutien financier, les cinq domaines de coopération prioritaires restent inchangés: il s’agit de l’élaboration de politiques sociales, de la modernisation économique, de l’appui institutionnel, de la bonne gouvernance et des droits de l’homme et de la protection de l’environnement. Le budget indicatif pour la période 2011-2013 s’élève à 580,5 millions d’euros, ce qui représente une augmentation de 20 % par rapport au budget 2007-2010. Le Maroc bénéficie également d’autres programmes thématiques et régionaux et recevra une aide supplémentaire au titre de la facilité de soutien à la société civile et d’Erasmus Mundus.

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sYRIE

Les manifestations populaires ont commencé en Syrie à la mi-mars 2011. Ce qui était à l’origine un simple appel aux réformes s’est rapidement transformé en une série de manifestations dirigées contre le régime. Elles ont fait l’objet de la part du régime syrien d’une violente répression que l’Union européenne a fermement condamnée dès le 22 mars dans une déclaration qui devait être suivie de plusieurs autres. Face à l’escalade de la violence perpétrée contre des manifestants pacifiques, l’Union européenne a introduit, en mai dernier, des sanctions ciblées comprenant, notamment, un embargo sur les armes et les équipements utilisés pour la répression, un gel des avoirs et une interdiction d’entrer sur le territoire de l’Union à l’encontre des personnes ayant participé de près ou de loin à la répression (dont Bashar al-Assad lui-même), ainsi que la suspension des programmes de coopération bilatérale (y compris les nouvelles opérations de la BEI). Aucune des réformes annoncées par le gouvernement ne s’est traduite par une quelconque amélioration sur le terrain. À la suite d’une nouvelle escalade et du recours massif, une fois de plus, à l’armée contre les manifestants, en août, l’Union européenne a pris acte de la perte de crédibilité et de légitimité du régime syrien et appelé Bashar al-Assad à se retirer, tout en encourageant un dialogue national ouvert à tous. Ne constatant aucun progrès, l’Union européenne n’a cessé de renforcer ses sanctions – à nouveau par le conseil « Affaires étrangères » du 1er décembre – en désignant d’autres personnes et entités concernées par un gel des avoirs et l’interdiction d’entrer sur son territoire, en ajoutant un embargo sur les importations de pétrole brut syrien et l’interdiction de procéder à des investissements dans le secteur pétrolier (ce qui a nécessité une suspension partielle de l’accord de coopération UE-Syrie) et en poursuivant la suspension de la coopération, notamment régionale, et des autres programmes bilatéraux. L’Union européenne a joué un rôle actif sur le plan international en adoptant une résolution du Conseil des droits de l’homme sur la Syrie et en militant en faveur d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies visant à mettre à mal la capacité du régime à mener la répression en cours. L’Union s’est employée à étudier les possibilités d’une nouvelle coopération avec les partenaires de la société civile en Syrie, en soutenant notamment les militants et les défenseurs des droits de l’homme.

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L’UE soutient toutes les actions qui tendent à mettre fin à la violence en Syrie, telles que l’initiative de la Ligue arabe. Elle a également adopté en interne un engagement coordonné avec des représentants de l’opposition syrienne soucieux de non violence et de respect des valeurs démocratiques. La Haute Représentante et vice-présidente a rencontré des représentants du Conseil national syrien et salué les efforts en cours visant à établir une plateforme unie et à élaborer une vision commune de l’avenir de la Syrie et de la transition vers un système démocratique.

TUNIsIE

La révolution tunisienne a ouvert la voie au « Printemps arabe ». Le soutien politique rapide apporté par l’UE au processus de transition s’est manifesté sous la forme d’une série de visites à haut niveau, dont la première, celle de la Haute Représentante et vice-présidente, Mme Catherine Ashton, a eu lieu quelques semaines à peine après le déclenchement de la révolution, le 14 février 2011, et a été suivie par la visite du président de la Commission européenne, M. Barroso, des commissaires Füle, Malmström, Georgieva, Barnier et de Gucht, ainsi que de M. Buzek, le président du Parlement européen.

Tous les instruments financiers de l’UE ont été rapidement mobilisés pour relever les nouveaux défis. Une aide humanitaire considérable a été mise à la disposition du pays, en particulier pour aider la Tunisie à faire face à l’afflux de réfugiés fuyant la guerre en Libye. L’UE a apporté un soutien immédiat à la préparation des élections, en fournissant une assistance technique aux autorités de transition ainsi qu’un soutien direct aux organisations de la société civile. Elle a également augmenté les fonds disponibles pour la coopération bilatérale : elle a ainsi doublé la dotation pour 2011 et, pour la période 2011-2013, le budget a été augmenté, passant de 240 millions à 400 millions d’euros. Les nouveaux fonds visent en particulier à soutenir la relance économique, la société civile et la transition démocratique.

En outre, un groupe de travail UE-Tunisie, le premier dans la région, a été constitué en vue d’assurer une meilleure coordination de l’aide européenne et internationale en faveur de la transition politique et économique en Tunisie. Sa première réunion, présidée conjointement par la Haute Représentante et vice-présidente, Mme Catherine Ashton, et le

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Premier ministre tunisien, M. Béji Caĭd Essebsi, les 28 et 29 septembre à Tunis, a donné lieu à une large participation des partenaires européens et internationaux. Au total, près de 4 milliards d’euros (y compris des aides non remboursables et des prêts) ont pu être dégagés en faveur de la transition en Tunisie pour les trois prochaines années : 3 milliards d’euros provenant des institutions et des banques de l’UE ainsi que des institutions internationales (Banque africaine de développement, Banque islamique de développement, Banque mondiale) et un milliard d’euros provenant des États-membres de l’UE. L’UE et la Tunisie ont également exprimé l’ambition commune de forger un partenariat privilégié au moyen d’un « statut avancé », tout en convenant de la reprise des négociations sur un certain nombre d’accords, notamment sur la libéralisation des échanges et un partenariat pour la mobilité. Par ailleurs, le processus de préparation des futures négociations concernant l’établissement d’une zone de libre-échange approfondi et complet avec la Tunisie sera engagé au début de l’année 2012.

Le 23 octobre, les citoyens tunisiens ont, pour la première fois, pu choisir librement et démocratiquement leurs représentants. Une mission d’observation électorale de l’UE était présente à l’occasion des élections de l’Assemblée nationale constituante, qui ont été considérées, dans l’ensemble, comme libres et équitables. La Haute Représentante et vice-présidente et le commissaire Füle ont rendu hommage aux candidats et aux partis qui ont pris part au processus démocratique et ont félicité le parti Ennahdha, qui a recueilli le plus grand nombre de voix.

YÉMEN

Depuis les débuts de la vague de protestation, en février 2011, l’UE a exercé une pression constante sur l’ensemble des parties en présence au Yémen afin de mettre un terme à la violence et de faciliter une passation de pouvoir pacifique. La Haute Représentante et vice-présidente a formulé un certain nombre de déclarations condamnant la violence et est en contact régulier avec les principaux membres du régime et ses opposants. La crise politique, sociale et économique qui sévit au Yémen ayant pour effet d’aggraver une situation humanitaire déjà critique, la communauté internationale a maintenu sa pression ferme et unie en faveur de la mise en place sans délai d’une transition sans heurts et d’un processus de réforme globale. À la suite de l’action engagée par l’UE au Conseil des

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droits de l’homme des Nations Unies, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité une résolution incitant toutes les parties en présence au Yémen à mettre en œuvre les mesures nécessaires à la transition politique. Le 23 novembre, après des mois de blocage politique, la Haute Représentante et vice-présidente s’est félicitée de la signature, à Ryad, de l’accord pour la transition politique signé par le président Saleh et les principaux représentants du parti en place et des partis d’opposition au Yémen, sous les auspices du Conseil de coopération du Golfe. Elle a invité tous les partis politiques à contribuer à la mise en œuvre de l’accord en toute bonne foi, de sorte qu’il serve de fondement à un processus de réconciliation de tous les Yéménites et permette une transition pacifique et démocratique.

Cet engagement politique constant n’est qu’une facette de notre engagement vis-à-vis du Yémen : l’UE veille à ce que l’aide au développement et l’aide humanitaire continuent d’aller à ceux et celles qui en ont le plus besoin, à savoir la population du Yémen, qui a payé un lourd tribut à la crise. Une enveloppe supplémentaire de 20 millions d’euros d’aide humanitaire a été octroyée par l’Union européenne depuis le début de 2011, certains États membres ayant ajouté au moins 40 millions d’euros à cette somme.

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Conférence de presse du Président B. Obama, Maison Blanche, 15/2/2011

THE PREsIDENT (….) Now, with respect to the situation in the Middle East, obviously, there’s still a lot of work to be done in Egypt itself, but what we’ve seen so far is positive. The military council that is in charge has reaffirmed its treaties with countries like Israel and international treaties. It has met with the opposition, and the opposition has felt that it is serious about moving towards fair and free elections. Egypt is going to require help in building democratic institutions and also in strengthening an economy that’s taken a hit as a consequence of what happened. But so far at least, we’re seeing the right signals coming out of Egypt.

There are ramifications, though, throughout the region. And I think my administration’s approach is the approach that jibes with how most Americans think about this region, which is that each country is different, each country has its own traditions; America can’t dictate how they run their societies, but there are certain universal principles that we adhere to. One of them is we don’t believe in violence as a way of – and coercion – as a way of maintaining control. And so we think it’s very important that in all the protests that we’re seeing in – throughout the region that governments respond to peaceful protesters peacefully.

The second principle that we believe in strongly is in the right to express your opinions, the freedom of speech and freedom of assembly that allows people to share their grievances with the government and to express themselves in ways that hopefully will over time meet their needs.

And so we have sent a strong message to our allies in the region, saying let’s look at Egypt’s example as opposed to Iran’s example. I find it ironic that you’ve got the Iranian regime pretending to celebrate what happened in Egypt when, in fact, they have acted in direct contrast to what happened in Egypt by gunning down and beating people who were trying to express themselves peacefully in Iran.

And I also think that an important lesson – and I mentioned this last week -- that we can draw from this is real change in these societies is not going to happen because of terrorism; it’s not going to happen because

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you go around killing innocents – it’s going to happen because people come together and apply moral force to a situation. That’s what garners international support. That’s what garners internal support. That’s how you bring about lasting change.

Patricia Zengerle

Q . Thank you, Mr. President. Getting back to the unrest in the Middle East and North Africa, what concerns do you have about instability, especially in Saudi Arabia, as the demonstrations spread? Do you see – foresee any effects on oil prices? And talking about Iran, can you comment about the unrest there more? What is your message to the Iranian people – in light of there was some criticism that your administration didn’t speak out strongly enough after their last – the demonstrations in Iran after their elections? Excuse me.

THE PREsIDENT: That’s okay. Well, first of all, on Iran, we were clear then and we are clear now that what has been true in Egypt should be true in Iran, which is that people should be able to express their opinions and their grievances and seek a more responsive government. What’s been different is the Iranian government’s response, which is to shoot people and beat people and arrest people.

And my hope and expectation is, is that we’re going to continue to see the people of Iran have the courage to be able to express their yearning for greater freedoms and a more representative government, understanding that America cannot ultimately dictate what happens inside of Iran any more than it could inside of Egypt. Ultimately these are sovereign countries that are going to have to make their own decisions. What we can do is lend moral support to those who are seeking a better life for themselves.

Obviously we’re concerned about stability throughout the region. Each country is different. The message that we’ve sent even before the demonstrations in Egypt has been, to friend and foe alike, that the world is changing; that you have a young, vibrant generation within the Middle East that is looking for greater opportunity, and that if you are governing these countries, you’ve got to get out ahead of change. You can’t be behind the curve.

And so I think that the thing that will actually achieve stability in that region is if young people, if ordinary folks end up feeling that there are

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pathways for them to feed their families, get a decent job, get an education, aspire to a better life. And the more steps these governments are taking to provide these avenues for mobility and opportunity, the more stable these countries are.

You can’t maintain power through coercion. At some level, in any society, there has to be consent. And that’s particularly true in this new era where people can communicate not just through some centralized government or a state-run TV, but they can get on a smart phone or a Twitter account and mobilize hundreds of thousands of people.

My belief is that, as a consequence of what’s happening in Tunisia and Egypt, governments in that region are starting to understand this. And my hope is, is that they can operate in a way that is responsive to this hunger for change but always do so in a way that doesn’t lead to violence.

Ed Henry

Q. Thank you, Mr. President. I want to go back to Egypt because there was some perception around the world that maybe you were too cautious during that crisis and were kind of a step behind the protesters. I know that, as you said, there was dramatic change in three weeks, and some of us wanted it to go even faster than that. But having said that, I realize it’s a complicated situation. It was evolving rapidly. But now as these protests grow throughout the Mideast and North Africa – you said before your message to the governments involved was make sure you’re not violent with peaceful protesters. But what’s your message to the protesters? Do you want them to taste freedom? Or do you want them to taste freedom only if it will also bring stability to our interests in the region?

THE PREsIDENT: Well, first of all, without revisiting all the events over the last three weeks, I think history will end up recording that at every juncture in the situation in Egypt that we were on the right side of history. What we didn’t do was pretend that we could dictate the outcome in Egypt, because we can’t. So we were very mindful that it was important for this to remain an Egyptian event; that the United States did not become the issue, but that we sent out a very clear message that we believed in an orderly transition, a meaningful transition, and a transition that needed to happen not later, but sooner. And we were consistent on that message throughout.

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Particularly if you look at my statements, I started talking about reform two weeks or two-and-a-half weeks before Mr. Mubarak ultimately stepped down. And at each juncture I think we calibrated it just about right. And I would suggest that part of the test is that what we ended up seeing was a peaceful transition, relatively little violence, and relatively little, if any, anti-American sentiment, or anti-Israel sentiment, or anti-Western sentiment. And I think that testifies the fact that in a complicated situation, we got it about right.

My message I think to demonstrators going forward is your aspirations for greater opportunity, for the ability to speak your mind, for a free press, those are absolutely aspirations we support.

As was true in Egypt, ultimately what happens in each of these countries will be determined by the citizens of those countries. And even as we uphold these universal values, we do want to make sure that transitions do not degenerate into chaos and violence. That’s not just good for us; it’s good for those countries. The history of successful transitions to democracy have generally been ones in which peaceful protests led to dialogue, led to discussion, led to reform, and ultimately led to democracy.

And that’s true in countries like Eastern Europe. That was also true in countries like Indonesia, a majority Muslim country that went through some of these similar transitions but didn’t end up doing it in such a chaotic fashion that it ended up dividing the societies fundamentally.

Q. But has it improved the chances of something like Mideast peace, or has it made it more complicated in your mind?

THE PREsIDENT: I think it offers an opportunity as well as a challenge. I think the opportunity is that when you have the kinds of people who were in Tahrir Square, feeling that they have hope and they have opportunity, then they’re less likely to channel all their frustrations into anti-Israel sentiment or anti-Western sentiment, because they see the prospect of building their own country. That’s a positive.

The challenge is that democracy is messy. So there – and if you’re trying to negotiate with a democracy, you don’t just have one person to negotiate with; you have to negotiate with a wider range of views.

But I like the odds of actually getting a better outcome in the former circumstance than in the latter.

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Déclaration de Camp David Camp David, Maryland, États-Unis

18 et 19 mai 2012Extraits

Préambule1. Nous, chefs d’État et de gouvernement du Groupe des Huit, nous

sommes réunis à Camp David les 18 et 19 mai 2012, afin de traiter des grands enjeux économiques et politiques mondiaux.

(…)

Transition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient25. Un an après le début des événements historiques qu’ont connus

l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, les aspirations des peuples de la région à la liberté, aux droits de l’homme, à la démocratie, à l’emploi, à l’autonomie et à la dignité sont toujours aussi vives. Nous reconnaissons que des progrès importants ont été accomplis dans plusieurs pays pour répondre à ces aspirations et nous appelons de nos vœux la poursuite de la mise en œuvre des réformes promises. Une croissance économique forte et qui profite à tous, avec un secteur privé florissant qui offre des emplois, sont le fondement d’un État démocratique et participatif fondé sur l’état de droit et le respect des libertés fondamentales, notamment le respect des droits des femmes et des filles et le droit de pratiquer sa religion en toute sécurité.

26. Nous réaffirmons notre engagement en faveur du Partenariat de Deauville avec les pays arabes en transition lancé lors du Sommet du G8 de mai dernier. Nous nous félicitons des progrès déjà accomplis, en partenariat avec d’autres acteurs de la région, à l’appui de la réforme économique, d’un gouvernement transparent, du commerce, de l’investissement et de l’intégration.

27. Nous notons en particulier : les mesures prises pour élargir le mandat de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin qu’elle apporte son expertise dans les économies en transition ainsi que des soutiens financiers à la croissance du secteur privé dans cette région ; la plateforme mise en place par les institutions financières internationales pour améliorer la coordination et recenser les possibilités de travailler ensemble

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pour soutenir les efforts de réforme des pays en transition ; les progrès réalisés en lien avec les partenaires de la région pour mettre en place un nouveau fonds de transition à l’appui des réformes menées par les pays, en complément des mécanismes existants ; l’augmentation des engagements financiers des institutions financières internationales et régionales, du G8 et des partenaires régionaux à l’égard des pays qui mènent des réformes ; les stratégies destinées à accroître l’accès aux marchés de capitaux pour stimuler l’investissement privé ; et les engagements pris par nos pays et par d’autres pour aider les petites et moyennes entreprises, offrir la formation et l’assistance technique nécessaires et faciliter les échanges internationaux et les programmes de formation pour des groupes-clés dans les pays en transition.

28. Répondant à l’appel des pays partenaires, nous approuvons un plan d’action sur la restitution des avoirs afin de promouvoir la restitution des avoirs volés et nous nous félicitons des plans d’action élaborés dans le cadre du Partenariat, que nous nous engageons à soutenir, pour promouvoir un gouvernement transparent, réduire la corruption, renforcer la responsabilité et améliorer l’environnement réglementaire, en particulier pour permettre la croissance des petites et moyennes entreprises. Ces réformes en matière de gouvernance favoriseront la croissance économique pour tous, l’état de droit et la création des emplois nécessaires au succès de la transition démocratique. Nous travaillons avec les pays du Partenariat pour consolider, partout dans la région et avec les pays du G8, nos relations commerciales et d’investissement qui sont essentielles pour soutenir la croissance et la création d’emplois. Dans ce contexte, nous nous félicitons de la déclaration des pays du Partenariat sur l’ouverture à l’investissement international.

29. Les pays du G8 ont pris l’engagement d’instaurer un partenariat durable et productif à l’appui des transformations historiques en cours dans la région. Nous nous engageons par ailleurs, d’ici la fin 2012, à soutenir l’engagement du secteur privé, la restitution des avoirs, le renforcement des relations commerciales et la fourniture de l’expertise et de l’assistance nécessaires, notamment par le biais d’un fonds de transition. Nous appelons de nos vœux l’organisation en septembre d’une réunion des Ministres des Affaires étrangères pour dresser le bilan des progrès accomplis dans le cadre du Partenariat.

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Déclaration de Bagdad appuyant le Printemps arabe à l’occasion du 23e sommet arabe en Irak, 29 mars 2011

Extraits

اإعلان بغداد )القمة العربية الثالثة والع�شرين، بغداد(

]...[

نحن قادة الدول العربية المجتمعين في الدورة الثالثة والع�شرين لمجل�س جامعة

الدول العربية على م�شتوى القمة في بغداد المحبة وال�شلام، في جمهورية العراق

29 مار�س/ اآذار 2012،

نعلن ما يلي:

]...[

ي�شمن بما والاجتماعي والاقت�شادي ال�شيا�شي للاإ�شلاح �شاملة روؤية تبني .5مت�شارعا - تطوراً ي�شهد عالم في ظل وتعزيز حقوقه العربي المواطن كرامة �شون

- فـي و�شائل الات�شال، وبما يلبي مطالب ال�شعوب العربية فـي الحرية والعدالة الاجتماعية

اإلى والدعوة العربية، �شعوبنا تعي�شها التي التطورات ج�شدتها التي ال�شيا�شية، والم�شاركة

هذه �شهدت التي الدول باقتـ�شادات للنهو�س العربي الاقت�شادي التكامل تحقيق

جيالها. التغيرات مما يتطلب دعماً عربياً يوؤمن م�شتقبلا اآمناً وزاهراً لالأ

�شادة بالتطورات والتغييرات ال�شيا�شية التي جرت فـي المنطقة العربية وبالخطوات 6. الاإوالتوجهات الديمقراطية الكبرى التي رفعت مكانة ال�شعوب العربية وعززت من فر�ص بناء

الدولة على اأ�ش�ص احترام القانون وتحقيق التكافل والعدالة الاجتماعية، ونحيي �شعوبنا التي

�شادة بالمجهودات التي بذلت حديثاً - لتفعيل موؤ�ش�شات قادت هذه الخطوات، والاإ

اتحاد المغرب العربي في الأفق عقد قمة مغاربية في تون�س قبل نهاية ال�شنة الجارية،

واعتبار ذلك لبنة الأ�شا�شية في دعم العمل العربي الم�شترك.

انتقالية ب�شفة الأن�شىء الذي العربي للبرلمان الالأ�شا�شي النظام على الموافقة .7ال�شعوب لتطلعات ا�شتجابة وذلك 2005 الجزائر قمة عن ال�شادر القرار بموجب

قامة نظام عربي يكون ف�شاء لممار�شة مبادئ ال�شورى والديمقراطية والحرية العربية التواقة لاإ

ن�شان، ويحقق اأمانيها في التنمية ال�شاملة والم�شتدامة. وحقوق الاإ

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Annexes200

]...[

14. التالأكيد على دعمنا الكامل للتطلعات والمطالب الم�شروعة لل�شعب ال�شوري فـي الحرية والديمقراطية وحقه في ر�شم م�شتقبله، وفي التداول ال�شلمي لل�شلطة، واإدانة

والحوار ال�شيا�شي بالحل والتم�شك الدم، نزيف واإيقاف والقتل العنف الأعمال

�شورية على وحدة - ال�شورية حفاظاً زمة الالأ في الالأجنبي التدخل ورف�س الوطني

و�شلامة �شعبها، ونوؤكد دعمنا والتزامنا بالقرارات ال�شادرة عن جامعة الدول العربية

المتحدة للالأمم الم�شترك المبعوث الأنان كوفي ال�شيد مهمة ودعم ال�شالأن، بهذا

والجامعة العربية في مهمته اإلى �شورية.

15. الأخذنا العلم بالر�شائل المتبادلة بين الحكومة ال�شورية والمبعوث الم�شترك بها تقدم التي ال�شت للنقاط �شورية قبول حول العربية والجامعة المتحدة للالأمم

النقاط حتى لهذه الفوري والكامل التنفيذ الأنان ويوؤكد على �شرورة ال�شيد كوفي

يمكن وقف نزيف الدماء والبدء بحل �شيا�شي �شلمي للالأزمة ال�شورية وفقـاً لقرارات

المجل�س الوزاري في هذا ال�شالأن.

الدعم على والتالأكيد ال�شقيقة، ليبيا �شهدتها التي الهامة بالتطورات الترحيب .16الليبية والحكومة الانتقالي الوطني المجل�س قبل من المبذولة للجهود القوي

اإقامة دولة ديمقراطية تحقق اإلى من والا�شتقرار اللازمين للانتقال بليبيا لتحقيق الالأ

العدل والم�شاواة والحرية والرخاء لجميع الأبناء ال�شعب الليبي، وبما ي�شمن وحدتها

عمال حكم الأر�شاً - و�شعباً -، ودعم الاإجراءات المبذولة من قبل الحكومة الليبية لاإ

القانون وحق ال�شعب الليبي في ا�شترداد الأمواله.

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فخامة بها فاز التي الرئا�شية الانتخابات بنجاح ال�شقيق اليمني ال�شعب تهنئة .18الرئي�س عبد ربه من�شور هادي، ون�شيد بعملية انتقال ال�شلطة، والتالأكيد على �شرورة

تقديم الدعم اللازم لليمن في مختلف المجالات ال�شيا�شية والاقت�شادية والتنموية،

وتداعياتها �شرار الالأ اإزالة في لم�شاعدته اللازمة الخبرات توفير على والعمل

الاقت�شادية والاجتماعية.

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II. Les conseils économiques et sociaux en Méditeranée

L’initiative TREsMEDL’Association euro-méditerranéenne, cadre de TREsMED

Les pays de l’Union européenne et du bassin méditerranéen ont mis en œuvre en 1995, à Barcelone, un processus de collaboration, en vue de faire de cet espace géographique commun une zone de stabilité et de prospérité partagées. La Déclaration de la Conférence de Barcelone a alors souligné l’importance que revêt, pour la réussite de la collaboration euro-méditerranéenne, le fait de parvenir à une totale implication et à la participation pleine de la société civile dans son développement.

Les conseils économiques et sociaux et les institutions semblables de la région ont maintenu pendant ces dernières années, à la demande des instances politiques du Processus de Barcelone, une collaboration pour contribuer à la construction de cet horizon commun, aux principes qui l’ont inspiré et à ses objectifs. Les conférences au sommet économico-sociales euro-méditerranéennes, tenues annuellement, sont donc une opportunité de rapprochement des sociétés civiles, permettant d’établir les voies de la collaboration entre les partenaires économiques et sociaux sur les questions et les problèmes d’intérêt commun relatifs au processus de construction de l’Association euroméditerranéenne. Dans ce cadre, le Programme TRESMED apparaît comme une initiative commune des CES euro-méditerranéens et ouvrent de cette façon une nouvelle étape dans leur collaboration, concrétisée par des actions et des programmes spécifiques et tangibles.

TRESMED, dont la réalisation revient au Conseil économique et social d’Espagne, repose sur une large participation des conseils économiques et sociaux d’Europe et de la Méditerranée. Il est financé par des ressources provenant de l’outil financier de la Commission européenne pour la Méditerranée (MEDA).

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Annexes202

Objectif de TRESMED : promouvoir la consultation et la participation des partenaires sociaux

TRESMED souhaite renforcer les organisations représentatives des intérêts économiques et sociaux et promouvoir leur participation dans les instances institutionnelles de consultation et de dialogue. Dans ce but, il se fixe pour objectifs une large diffusion, parmi les acteurs sociaux et les organes politiques décisionnels des pays partenaires méditerranéens, des pratiques de dialogue et de consultation existant dans les pays de l’Union européenne et, en particulier, du rôle des conseils économiques et sociaux. Cet objectif, en recherchant une plus grande implication des partenaires sociaux dans le processus de collaboration euro-méditerranéenne, est envisagé comme une contribution au développement de la démocratie et à la formation commune d’une société euro-méditerranéenne sur la base des principes partagés.

Le Programme TREsMED répond ainsi aux objectifs suivants :– développer et structurer le rôle consultatif des partenaires économiques

et sociaux dans un cadre national et régional ;– contribuer à une meilleure connaissance mutuelle des organisations

économiques et sociales des deux rives de la Méditerranée, dans laperspective d’une collaboration euro-méditerranéenne ;

– promouvoir une meilleure connaissance des différentes réalités qui existent en Europe et dans les pays méditerranéens quant aux structures sociales et politiques socio-économiques ;

– améliorer l’information sur les différents modèles de participation des partenaires économiques et sociaux ainsi que sur les rapports entre eux et les pouvoirs publics ;

– promouvoir le rôle des partenaires économiques et sociaux dans la structuration de la société civile et soutenir les mécanismes institutionnalisés de rencontre et de dialogue entre eux et avec les gouvernements.

Avec ces objectifs généraux, le Programme s’adresse aux représentants des syndicats, aux associations patronales et autres organisations de nature socio-économique, ainsi qu’aux parlementaires, aux hommes politiques et aux représentants institutionnels des pays du sud et de l’est de la Méditerranée : Algérie, Autorité nationale palestinienne, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie et Turquie.

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Les conseils économiques et sociaux en Méditeranée 203

TRESMED souhaite contribuer au développement des relations euroméditerranéennes en encourageant les échanges et une meilleure connaissance mutuelle des personnes ayant des responsabilités importantes dans différentes organisations des deux rives de la Méditerranée et dont les connaissances et le savoir-faire pourraient avoir un effet multiplicateur dans un proche avenir.

Activités de TREsMED séjours et séminaires

séjours de formation

Trois séjours pour des représentants des pays du sud et de l’est de la Méditerranée comptant déjà sur une institution consultative des acteurs sociaux.

Ce chapitre du Programme comprend trois séjours de deux semaines. Chaque séjour se déroule dans trois capitales européennes où siègent les conseils économiques et sociaux des pays membres de l’Union européenne et du Comité économique et social européen.

Au total, soixante représentants de diverses institutions d’Algérie, du Liban, de Malte, du Maroc et de Tunisie prennent part à ces séjours.

Les participants acquièrent des connaissances sur le terrain, à la charge des acteurs sociaux eux-mêmes, de l’organisation et du fonctionnement dans chaque pays des mécanismes institutionnels de consultation et de participation lors de l’élaboration des politiques publiques de nature socioéconomique, en abordant des sujets tels que la représentation des intérêts économiques et sociaux dans un système démocratique, le rôle consultatif des partenaires économiques et sociaux, le fonctionnement du Conseil économique et social de chaque pays ou l’importance du rôle consultatif dans la mise en place d’une zone de libre commerce euro-méditerranéenne.

Les délégués participants prennent également connaissance sur place de la réalité socioprofessionnelle et économique de chaque pays grâce à des visites institutionnelles dans les organisations et les entités relatives aux relations industrielles, au marché du travail, à la formation professionnelle, à l’économie sociale et autres de nature et d’objectifs similaires.

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Annexes204

séminaires

Ils sont organisés pour les représentants des pays où il n’y a pas de Conseil économique et social ni d’institution similaire.

A ces séminaires, d’une durée de deux jours, participent cent représentants des organisations socio-économiques, membres du gouvernement et parlementaires de Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Syrie, Territoires de l’Autorité autonomie palestinienne et Turquie. Ils sont dispensés par d’importants conférenciers rattachés aux différentes expériences nationales en divers domaines institutions, universités, membres des conseils économiques et sociaux, experts syndicaux, patronaux et autres organisations représentatives des intérêts socio-économiques.

Les programmes des conférences entendent exposer et débattre de la grande diversité des sujets impliqués dans la pratique de la consultation et de la participation institutionnalisée des organisations socio-économiques des systèmes démocratiques, puis connaître les diverses expériences nationales sur ces questions, sur les deux rives de la Méditerranée.

Pour les projets Tresmed voir le lien : http://www.ces.es/TRESMED/docum/Proy_tresmed_fr.pdf

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Bibliographie

Ouvrages

Abdel Salam, Shahinaz, Egypte, les débuts de la liberté, avec la collaboration de Tangi Salaün Paris, Michel Lafon, 2011, 1 vol. 189 p.

Abidi, Hasni, le Manifeste des Arabes, Paris, Encre d’Orient, 2011, 1 vol. 97 p.

Albichari, Mohamed, le Cauchemar libyen, Lausanne, Favre, 2012, 1 vol. 116 p.

Amin, Samir, le Monde arabe dans la longue durée : le printemps arabe ? Paris, Temps des cerises, 2011, 1 vol. 251 p.

Amin, Samir, le Monde arabe dans la longue durée : un printemps des peuples ? Paris Alger, les Editions APIC, 2011, 1 vol. 255 p.

Anna, Bozzo et Pierre-Jean Luizard (dir.), les Sociétés civiles dans le monde musulman, [contributions de Fariba Adelkhah, Lahouari Addi, Cristiana Baldazzi, et al.] ; sous la direction de Anna Bozzo et Pierre-Jean Luizard, Paris, la Découverte, 2011, 1 vol. 477 p.

Aourid, Hassan, Occident, est-ce le crépuscule ? Paris, Rabat Bouregreg, DL 2011, 1 vol. 151 p.

Azzouzi, Abdelhak, le Néo-constitutionnalisme marocain à l’épreuve du printemps arabe, Abdelhak Azzouzi & André Cabanis, Paris, l’Harmattan, 2011, 1 vol. 232 p.

Basbous, Antoine, le Tsunami arabe, Paris, Fayard, 2011, 1 vol. 383 p.

Beau, Nicolas, Notre ami Ben Ali l’envers du « miracle tunisien », Nicolas Beau, Jean-Pierre Tuquoi ; avant-propos et postface inédits des auteurs ; préface de Gilles Perrault, Paris, la Découverte, 2011, 1 vol. 245 p.

Ben Chrouda, Lotfi, Dans l’ombre de la reine, avec la collaboration d’Isabelle Soares Boumalala Neuilly-sur-Seine Michel Lafon, 2011, 1 vol. 185 p.

Ben Hammouda, Hakim, A quoi rêve un Oriental ? de nouvelles modernités pour les printemps arabes, Paris, éd. du Cygne, 2011, 1 vol. 201 p.

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Printemps arabe, et après ?206

Ben Jelloun, Tahar, l’Etincelle révoltes dans les pays arabes, Paris, Gallimard, 2011, 1 vol. 122 p.

Ben Jelloun, Tahar, Par le feu récit, Paris, Gallimard, 2011, 1 vol. 49 p. Ben Mhenni, Lina, Tunisian girl blogueuse pour un printemps arabe,

Paris, Montpellier Indigène, 2011, 1 vol. 32 p.Benhamouche, Zoubir, Algérie, l’impasse pourquoi l’Algérie se retrouve-t-

elle dans une impasse à l’aube du cinquantenaire de son indépendance et comment peut-elle en sortir ? Paris, Publisud, 2011, 1 vol. 178 p.

Benslama, Fethi, Soudain la révolution ! de la Tunisie au monde arabe la signification d’un soulèvement, Paris, Denoël, 2011, 1 vol. 117 p.

Bouamoud, Mohamed, Bouâzizi ou l’étincelle qui a destitué Ben Ali, Tunis, Almaha éditions, 2011.

Bradley, John R., After the Arab spring how the Islamists hijacked the Middle East revolts, New York Palgrave Macmillan, 2012, 1 vol. 347 p.

Bravin, Hélène, Khadafi vie et mort d’un dictateur, Paris, François Bourin éditeur, 2012, 1 vol. 265 p.

Brugère, Fabienne, Faut-il se révolter ? Paris, Montrouge (Hauts-de-Seine) Bayard, 2012, 1 vol. 120 p.

Bussac, François-G., E la nave va, « et vogue la navire » vers une Tunisie libre ? Chroniques comme une flamme au vent les premiers temps, décembre 2010-mars 2011 ; [préface de Youssef Seddik], Tunis, Arabesques édition, 2011, 1 vol. 169 p.

Cherni, Amor, la Révolution tunisienne s’emparer de l’histoire, Paris, Albouraq, 2011, 1 vol. 252 p.

Collon, Michel, Libye, OTAN et médiamensonges manuel de contre-propagande ; Investig’Action Paris, Charleroi (Belgique) Couleur livres, 2011 1 vol. 191 p.

Dakhlia, Jocelyne, Tunisie le pays sans bruit, Paris, Actes Sud, 2011, 1 vol. 118 p.

Day, Stephen W., Regionalism and rebellion in Yemen a troubled national union, ParisCambridge ; New York, Cambridge University Press, 2012.

Dégage la révolution tunisienne, 17 décembre 2010-14 janvier 2011, [Tunis] Alif ; Paris , Editions du Layeur, 2011, 1 vol. 239 p.

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Bibliographie 207

Dréano, Bernard, la Perle et le colonel réflexions sur les révolutions arabes, Paris, Non-lieu, 2011, 1 vol. 240 p.

El Aswani, Alaa, Chroniques de la révolution égytienne ; traduit de l’arabe, Égypte par Gilles Gauthier Arles Actes Sud, 2011, 1 vol. 346 p.

Essid, Yassine, Chronique d’une révolution inachevée, 17 décembre 2010-23 octobre 2011, Tunis MC, 2012, 1 vol. 249 p.

Estival, Jean-Pierre, l’Europe face au printemps arabe de l’espoir à l’inquiétude, Paris, l’Harmattan, 2012.

Feki, Masri, les Révoltes arabes géopolitique et enjeux, Paris, Studyrama, 2011, 1 vol. 142 p.

Fellous, Colette, Dégage ! une révolution, photographies de Akram Belaid, Amine Boussoffara, Saif Chaabane... [et al.] ; textes de Colette Fellous, Abdelwahab Meddeb et Georges Wolinski ; ouvrage établi sous la direction éditoriale de Lionel Besnier et Narges Temimi ; Paris, Editions Phébus, 2012, 1 vol. 170 p.

Fierro, José Daniel, Túnez, la revolución, Alma Allende (Santiago Alba Rico) ; prólogo, Santiago Alba Rico, Paris, Hondarribia, Guipúzcoa Hiru, c2011 1 vol. 224 p.

Filiu, Jean-Pierre, la Révolution arabe dix leçons sur le soulèvement démocratique, Paris, Fayard, 2011, 1 vol. 280 p.

Geisser, Vincent, Renaissances arabes 7 questions clés sur des révolutions en marche, Michaël Béchir-Ayari, Paris, Ivry-sur-Seine, éd. de l’Atelier, 2011, 1 vol. 160 p.

Ghonim, Wael, Révolution 2.0 le pouvoir des gens, plus fort que les gens au pouvoir ; traduit de l’anglais par Maxime Berrée, Paris, Issy-Les-Moulineaux Steinkis éditions, 2012, 1 vol. 400 p.

Giudicelli, Christian, Tunisie, saison nouvelle, Paris, Gallimard, 2012, 1 vol. 145 p.

Gozlan, Martine, Tunisie, Algérie, Maroc la colère des peuples, L’archipel, 2011, 1 vol. 188 p.

Gröndahl, Mia, Tahrir square, the heart of the Egyptian revolution, Paris, Cairo, The American University in Cairo Press, 2011.

Guellaty, Moncef, Tunis 2011, le pouvoir piégé par la toile, Paris, Michel de Maule, 2012, 1 vol. 96 p.

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Printemps arabe, et après ?208

Guetta, Bernard, l’An I des révolutions arabes décembre 2010, janvier 2012, chroniques de Bernard Guetta, Paris, Belin, 2012, 1 vol. 272 p.

Guibal, Claude, l’Egypte de Tahrir anatomie d’une révolution, Claude Guibal & Tangi Salaün, Paris , éd. Seuil, 2011, 1 vol. 243 p.

Guidère, Mathieu, Atlas des pays arabes des révolutions à la démocratie ? cartes Claire Levasseur, Paris, Autrement, 2012, 1 vol. 96 p.

Guidère, Mathieu, le Choc des révolutions arabes, Paris, Autrement, 2011,1 vol. 210 p.

Guidère, Mathieu, le Printemps islamiste démocratie et charia, Paris, Ellipses, 2012, 1 vol. 192 p.

Haddad, Mezri, la Face cachée de la révolution tunisienne Islamisme et Occident, une alliance à haut risque, Paris, Apopsix, 2011, 1 vol. 411 p.

Haddad, Slaheddine, Au nom du temps je vous arrête ; photographies Agence France press Tunis Nirvana, 2012, 1 vol. 123 p.

Hibou, Béatrice, Anatomie politique de la domination, Paris, la Découverte, 2011, 1 vol. 297 p.

Institut québécois des hautes études internationales, les Conflits dans le monde 2011 un rapport annuel sur les conflits internationaux ; sous la direction de Gérard Hervouet et Michel Fortmann Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2011, 1 vol. VIII-282 p.

Jean-François Coustillière (dir.), le 5+5 face aux défis du réveil arabe, ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Coustillière, Paris, l’Harmattan, 2012, 1 vol. 178 p.

Jean-Luc Chappey, [et al.], Pour quoi faire la Révolution, Jean-Luc Chappey, Bernard Gainot, Guillaume Mazau et al., Paris-Marseille, Agone éditeur, 2012, 1 vol. 224 p. ; 19 x 12 cm.

Justin C. de Leon and Charlotte R. Jones (eds.), Tunisia and Egypt unrest and revolution, editors, Justin C. de Leon and Charlotte R. Jones, Paris, Hauppauge, N.Y. Nova Science Publishers, 2011.

Karray, Cyril Grislain, la Prochaine guerre en Tunisie la victoire en cinq batailles, Cyril Grislain Karray, Tunis, Cérès, 2011, 1 vol. 143 p.

Kchir-Bendana, Kmar, Chronique d’une transition, Tunis Script, 2011, 1 vol. 213 p.

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Bibliographie 209

Khadija, Mohsen-Finan (dir.), le Maghreb dans les relations internationales ; [préface Mohammed Harbi], Paris, CNRS, 2011, 1 vol. 336 p.

Khalil, Karima, Messages from Tahrir signs from Egypt’s revolution, Paris, Cairo , The American University in Cairo Press, 2011.

Khiari, Nadia, Willis from Tunis chroniques de la révolution, Paris, la Découverte, 2012.

Kristianasen, Wendy, Voyages au coeur de la planète islam diversité des sociétés musulmanes, Paris, éd. du Cygne, 2011, 1 vol. 161 p.

Kymiungur, Bahar, Syriana regard transfrontalier sur le printemps syrien ; préface Michel Collon, Paris Charleroi (Belgique) Couleur livres, 2012, 1 vol. 140 p.

Les Printemps arabes, sous la direction de Michel Peterson, Paris, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011, 1 vol. 192 p.

Lévy, Bernard-Henri, la Guerre sans l’aimer journal d’un écrivain au coeur du printemps libyen, Paris Grasset, 2011, 1 vol. 639 p.

Liskai, Laszlo, Khadafi, du réel au surréaliste, Paris, Encre d’Orient, 2011, 1 vol. 152 p.

Littell, Jonathan, Carnets de Homs 16 janvier-2 février 2012, Paris, Gallimard, 2012, 1 vol. 233 p.-[2] p. de pl.

Lledo, Jean-Pierre, Révolution démocratique dans le monde arabe ah ! si c’était vrai..., Paris A. Colin, 2012, 1 vol. (338 p.)

Lubrano, Marie-Lys, Un taxi pour Benghazi, Paris, Jacob Duvernet, 2011, 1 vol. 293 p.

Marbot, Jean, Un pick-up pour Tripoli journal de l’insurrection libyenne, Paris, Rennes Marines, 2012, 1 vol. 320 p.

Martinelli, Giovanni, Evêque chez Kadhafi ; avec la collaboration de Samuel Lieven, Paris , Bayard, 2011, 1 vol. 123 p.

Marzouki, Moncef, Dictateurs en sursiss la revanche des peuples arabes ; entretien avec Vincent Geisser ; préface Noël Mamère Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), éd. de l’Atelier, 2011, 1 vol. 191 p.

Meddeb, Abdelwahab, Printemps de Tunis la métamorphose de l’Histoire, Paris Albin Michel, 2011, 1 vol. 173 p.

Minoui, Delphine, Tripoliwood, Paris Bernard Grasset, 2011, 1 vol. 205 p.

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Printemps arabe, et après ?210

Missaoui, Najeh, Dégage, dégage, dégage, ils ont dit dégage ! essai, Najeh Missaoui, Oussama Khalfaoui Velle Le Châtel Franco-berbères, 2011, 1 vol. 225 p.

Moati, Serge, Dernières nouvelles de Tunis ; en collboration de Claude Mendibil Neuilly-sur-Seine M. Lafon, 2011, 1 vol. 288 p.

M’rad, Hatem, Libéralisme et liberté dans le monde arabo-musulman de l’autoritarisme à la révolution, Paris, éd. du Cygne, 2011, 1 vol. 171 p.

Naba, René, Erhal la France face aux rebelles arabes, Villeurbanne Golias, 2011, 1 vol. 150 p.

Naba, René, Kadhafi portrait total les leçons d’une insurrection, Paris, Villeurbanne Editions Golias, 2011, 1 vol. 87 p.

Naba, René, les Révolutions arabes & la malédiction de Camp David, Paris, Bachari, 2011, 1 vol. 128 p.

Noueihed, Lin, The battle for the Arab spring, New Haven Yale University Press, 2012.

Osman, Tarek, Révolutions égyptiennes de Nasser à la chute de Moubarak ; traduit de l’anglais par Laurent Bury, Paris, Belles Lettres, 2011, 1 vol. 255 p.

Petras, James F., The Arab revolt and the imperialist counterattack, Atlanta Clarity Press, 2012, 1 vol. 130 p.

Piot, Olivier, la Révolution tunisienne dix jours qui ébranlèrent le monde arabe, Paris, Petits matins, 2011, 1 vol. 150 p.

Puchot, Pierre, Tunisie une révolution arabe ; avant-propos Edwy Plenel ; préface de Radhia Nasraoui ; postface Saber Mansouri, Paris, Galaade éditions, 2011, 1 vol. 229 p.

Quéméner, Jean-Marie, Docteur Bachar, mister Assad ses secrets et ses mystères, Paris, Encre d’Orient, 2011, 1 vol. 147 p.

Ramadan, Tariq, l’Islam et le réveil arabe, Paris, Presses du Châtelet, 2011, 1 vol. 300 p.

Remili, Boujemaa, Quand le peuple réussit là où toute la société a échoué ou Eléments de compréhension politique pour une révolution sans les politiques, Tunis, Editions Nirvana, cop. 2011, 1 vol. 191 p.

Retour sur les révolutions arabes, coordination Julien Salingue ; Antoine Grégoire, Khadija Guebache-Mariass, Samuel Mehli, ... [et al.] Paris, éd. du Cygne, 2011, 1 vol. 76 p.

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Bibliographie 211

Révoltes arabes premiers regards, sous la direction de Pierre Blanc, Paris, l’Harmattan, 2011, 1 vol. 168 p.

Sébastien Boussois (coord.), le Moyen-Orient à l’aube du printemps arabe sociétés sous tension, coordonné par Sébastien Boussois ; Jean-Baptiste Beauchard, Julie Chapuis, Pekka Hakala... [et al.], Paris, éd. du Cygne, 2011, 1 vol. 143 p.

Solé, Robert, le Pharaon renversé dix-huit jours qui ont changé l’Egypte, Paris, Les Arènes, 2011, 1 vol. 243 p.

Stora, Benjamin, le 89 arabe réflexions sur les révolutions en cours ; dialogue avec Edwy Plenel, Paris, Stock, 2011, 1 vol. 200 p.

Tayara, Bassam, le Printemps arabe décodé faces cachées des révoltes, Paris, Beyrouth Albouraq, 2011, 1 vol. 295 p.

Todd, Emmanuel, Allah n’y est pour rien, Emmanuel Todd sur les révolutions arabes et quelques autres, Paris le Publieur, 2011, 1 vol. 96 p.

Vanderpooten, Gilles, Unissons-nous ! des révolutions arabes aux indignés, Youssef Seddik ; entretiens avec Gilles Vanderpooten ; [préface Stéphane Hessel] Paris, La Tour-d’Aigues, l’Aube, 2011, 1 vol. 117 p.

Vermeren, Pierre, Maghreb les origines de la révolution démocratique, Paris, Pluriel, DL 2011, 1 vol. XVII-420 p.

Vincent, Pierre-Marie, Libya hurra ! journal d’un médecin en temps de guerre ; en collaboration avec Véronique Anger, Paris, Nouveaux auteurs, 2012, 1 vol. 251 p.

Wassila Tamzali, Histoires minuscules des révolutions arabes, Wassila Tamzali avec Noria Adel, Malika Allel, ... [et al.] ; [sous la direction de Wassila Tamzali], Paris, Montpellier, Chèvre-feuille étoilée, 2012, 1 vol. 300 p.

Yazbak, Samar, Feux croisés journal de la révolution syrienne ; traduit de l’arabe par Rania Samara, Paris, Buchet Chastel, 2012, 1 vol. 256 p.

Zitouni, Mustapha, la Lutte des verts contre la dictature de Ben Ali, Tunis, Arabesques, 2012, 1 vol. 113 p.

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Printemps arabe, et après ?212

Revues

Afkar = idées revue trimestrielle pour le dialogue entre le Maghreb, l’Espagne et l’Europe, dir. Andreu Claret y Dario Valcarcel, n° 33, 2012, « Jusqu’à quand la Syrie ? Les frontières des révoltes ».

Afrique magazine le mensuel francophone international, réd. en chef Ziyad Limam, n° 310, 2011, « Monde arabe : six mois d’un stupéfiant printemps ».

Afrique magazine le mensuel francophone international, réd. en chef Ziyad Limam, n° 319, 2012, « Les femmes dans la révolution ».

Afrique magazine le mensuel francophone international, réd. en chef Ziyad Limam, n° 309, 2011, « Maroc : la monarchie face aux révolutions ».

Alternatives Sud éd. par le Centre tricontinental et l’Harmattan, V. 19, n° 2, 2012, « Le printemps arabe un premier bilan »

Annales histoire, sciences sociales fondée par Lucien Febvre et Marc Bloch, n° 2, 2011, « Migrations, exodes, diasporas, mobilités, révolutions ».

Commentaire revue trimestrielle dir. Jean-Claude Casanova, n° 134, 2011, « Le monde et le printemps arabe ».

Confluences Méditerranée revue trimestrielle dir. de publ. Denis Pryen, n° 77, 2011, « Révoltes arabes premiers regards ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1058, 2011, « Le printemps arabe vu par la presse arabe ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1098, 2011, « Egypte révolution acte II ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1060, 2011, « Révolutions arabes l’islamisme dépassé ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1094, 2011, « Tunisie, l’année zéro la révolution, les libertés, l’islamisme ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1055, 2011, « Vive la Tunisie ! Questions sur une révolution en marche ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1054, 2011, « Tunisie, Algérie la révolte, jusqu’où ? ».

Courrier international, dir. de publ. Jacques Rosselin, n° 1057, 2011, « Egypte portrait d’un peuple en colère ».

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Bibliographie 213

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