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Douleurs, 2004, 5, 5, cahier 2 2S1 SYMPOSIUM Prise en charge de la douleur en cancérologie : Standards, Options et Recommandations (SOR) de la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer (FNCLCC) D’après la communication du Dr Ivan Krakowski, oncologue médical, Centre Alexis Vautrin, Vandoeuvre-lès-Nancy (54). INTRODUCTION Depuis 1993, la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer (FNCLCC) élabore des Standards, Options et Recommandations (SOR), en collaboration avec la Société d’Étude et du Traitement de la Douleur (SETD) et des spécialistes de CHU, CH et cliniques privées. L’un des 45 documents publiés en 1996 concernait la prise en charge de la douleur chez les adultes et les enfants [1], et il vient d’être réactualisé en 2002 [2] ; cette réactualisation étant un processus permanent adapté aux questions jugées les plus pertinentes du moment. La méthodologie est validée par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES) et le projet a été financé par un budget ministériel. L’objectif est de développer et diffuser des recommandations de pratique clinique en cancérologie afin d’améliorer la qualité et l’efficience des soins. Les différentes recommandations jusqu’alors disponibles de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1986 et 1996, et à un moindre degré de l’Association Européenne de Soins Palliatifs (EAPC) entre 1996 [3] et 2001 [4] avaient l’inconvénient d’être basées en grande partie sur des avis d’experts, avec les limites inhérentes à toute expertise, une méthodologie parfois mal précisée, ou encore une validation incomplète. Les SOR* s’appuient davantage sur les données de la littérature avec l’aide de méthodologistes particulièrement expérimentés. LA MORPHINE ORALE EN 1 ère INTENTION La stratégie proposée par l’OMS pour la prise en charge de la douleur cancéreuse reste globalement pertinente : prescription par voie orale, à intervalles réguliers, en respectant l’échelle à 3 paliers, personnalisée, avec un constant souci du détail. Les traitements antalgiques doivent en effet être en permanence adaptés aux situations cliniques (étiologie, âge, état général, antécédents, effets indésirables potentiels, etc.), ainsi qu’aux mécanismes physiopatholo- giques de la douleur. Le niveau 3 d’antalgie, pour des douleurs modérées à fortes, fait appel aux opioïdes (+/- associés aux antalgiques non opioïdes ou aux coantalgiques).A l’unanimité, la morphine orale reste l’opioïde de niveau 3 de première intention, sauf situations particulières pour lesquelles les autres opioïdes récemment disponibles sont une avancée potentielle (hydromorphone, pentanyl, oxycodone), son utilisation est bien précisée. Dans tous les cas, chez un malade traité aupa- ravant par un autre opioïde, la dose de départ de morphine doit être adaptée en tenant compte des coefficients de conversion de doses équiantalgiques. Si l’application des interdoses n’était qu’une proposition dans les recommandations précédentes, elle est devenue un standard dans l’actualisation de 2002 [5,6] : le recours à une forme à libération immédiate est réaffirmée pour le trai- tement des accès douloureux spontanés ou provoqués chez les malades ayant un traitement de fond par opioïdes. Il est toujours conseillé de privilégier la sécurité à la rapidité d’action en prenant la valeur la plus faible des coefficients de conversion. Standards : interventions dont les résultats sont connus, et qui sont considérées comme bénéfiques, inappropriées ou nuisibles, à l’unanimité. Options : interventions dont les résultats sont connus, et qui sont considérées comme bénéfiques, inappropriées ou nuisibles, par la majorité. Les options sont toujours accompagnées de recommandations. Recommandations : elles ont pour but, lorsqu’il existe plusieurs options, de les hiérarchiser en fonction du niveau de preuve. Elles permettent également aux experts d’exprimer des jugements et des choix concernant notamment des situations d’exception et indications spécifiques ainsi que l’inclusion des patients dans des essais thérapeutiques. LES INTERDOSES, OU LA PERSONNALISATION DU TRAITEMENT La titration initiale et ultérieure (réajustement posologique) des opioïdes de niveau 3 peut se faire par la forme à libération immédiate seule (notamment chez les malades « fragiles ») ou associée à une forme à libération prolongée, avec dans tous les cas une évaluation quotidienne de la dou- * Les SOR sont téléchargeables sur le site de la FNCLCC : www.fnclcc.fr

Prise en charge de la douleur en cancérologie : Standards, Options et Recommandations (SOR) de la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer (FNCLCC)

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Douleurs, 2004, 5, 5, cahier 2 2S1

SYMPOSIUM

Prise en charge de la douleur en cancérologie : Standards,Options et Recommandations (SOR) de la FédérationNationale des Centres de Lutte Contre le Cancer (FNCLCC)D’après la communication du Dr Ivan Krakowski, oncologue médical, Centre Alexis Vautrin, Vandoeuvre-lès-Nancy (54).

INTRODUCTION

Depuis 1993, la Fédération Nationale des Centres de LutteContre le Cancer (FNCLCC) élabore des Standards, Optionset Recommandations (SOR), en collaboration avec laSociété d’Étude et du Traitement de la Douleur (SETD) etdes spécialistes de CHU, CH et cliniques privées. L’un des45 documents publiés en 1996 concernait la prise en chargede la douleur chez les adultes et les enfants [1], et il vientd’être réactualisé en 2002 [2] ;cette réactualisation étant unprocessus permanent adapté aux questions jugées les pluspertinentes du moment. La méthodologie est validée parl’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé(ANAES) et le projet a été financé par un budget ministériel.L’objectif est de développer et diffuser des recommandationsde pratique clinique en cancérologie afin d’améliorer la qualitéet l’efficience des soins. Les différentes recommandationsjusqu’alors disponibles de l’Organisation Mondiale de laSanté (OMS) en 1986 et 1996, et à un moindre degré del’Association Européenne de Soins Palliatifs (EAPC) entre1996 [3] et 2001 [4] avaient l’inconvénient d’être basées engrande partie sur des avis d’experts,avec les limites inhérentesà toute expertise, une méthodologie parfois mal précisée, ouencore une validation incomplète. Les SOR* s’appuientdavantage sur les données de la littérature avec l’aide deméthodologistes particulièrement expérimentés.

LA MORPHINE ORALE EN 1ère INTENTION

La stratégie proposée par l’OMS pour la prise en chargede la douleur cancéreuse reste globalement pertinente :prescription par voie orale, à intervalles réguliers, enrespectant l’échelle à 3 paliers,personnalisée,avec un constantsouci du détail. Les traitements antalgiques doivent en effetêtre en permanence adaptés aux situations cliniques(étiologie, âge, état général, antécédents, effets indésirablespotentiels, etc.), ainsi qu’aux mécanismes physiopatholo-giques de la douleur.Le niveau 3 d’antalgie,pour des douleurs modérées à fortes,fait appel aux opioïdes (+/- associés aux antalgiques non

opioïdes ou aux coantalgiques).A l’unanimité, la morphineorale reste l’opioïde de niveau 3 de première intention, saufsituations particulières pour lesquelles les autres opioïdesrécemment disponibles sont une avancée potentielle(hydromorphone, pentanyl, oxycodone), son utilisation estbien précisée.Dans tous les cas, chez un malade traité aupa-ravant par un autre opioïde,la dose de départ de morphine doitêtre adaptée en tenant compte des coefficients de conversionde doses équiantalgiques.Si l’application des interdoses n’était qu’une propositiondans les recommandations précédentes, elle est devenueun standard dans l’actualisation de 2002 [5,6] : le recoursà une forme à libération immédiate est réaffirmée pour le trai-tement des accès douloureux spontanés ou provoqués chezles malades ayant un traitement de fond par opioïdes. Ilest toujours conseillé de privilégier la sécurité à la rapiditéd’action en prenant la valeur la plus faible des coefficientsde conversion.

Standards : interventions dont les résultats sont connus,et qui sont considérées comme bénéfiques, inappropriéesou nuisibles, à l’unanimité.Options : interventions dont les résultats sont connus,et qui sont considérées comme bénéfiques, inappropriéesou nuisibles, par la majorité. Les options sont toujoursaccompagnées de recommandations.Recommandations : elles ont pour but, lorsqu’il existeplusieurs options, de les hiérarchiser en fonction duniveau de preuve. Elles permettent également aux expertsd’exprimer des jugements et des choix concernantnotamment des situations d’exception et indicationsspécifiques ainsi que l’inclusion des patients dans desessais thérapeutiques.

LES INTERDOSES, OU LA PERSONNALISATION DU TRAITEMENT

La titration initiale et ultérieure (réajustement posologique)des opioïdes de niveau 3 peut se faire par la forme àlibération immédiate seule (notamment chez les malades« fragiles ») ou associée à une forme à libération prolongée,avec dans tous les cas une évaluation quotidienne de la dou-

* Les SOR sont téléchargeables sur le site de la FNCLCC :www.fnclcc.fr

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leur. Il n’y a pas de limite supérieure aux doses d’opioïdesagonistes purs tant que les effets indésirables peuvent êtrecontrôlés.Le calcul des interdoses se fait en fonction de la dosejournalière d’opioïdes.Chaque interdose d’opioïde à libérationimmédiate correspond à un dixième (10 %) de la dosejournalière d’opioïde à libération prolongée. Le groupe aretenu 1/10 sur le principe de la simplicité et toujours de lasécurité (1/6e correspondant à des doses plus importantes).En contrepartie, il est recommandé de prendre si besoindes interdoses toutes les heures et non toutes les 4 heuressans dépasser 4 prises successives en 4 heures, avant d’enréférer au médecin (pratique proche de celle validée enpostopératoire).En cas de survenue d’effets indésirables, dont l’origine doitêtre rattachée à la morphine (éliminer un trouble métaboliqueou des interactions médicamenteuses), il peut être envisagéde diminuer la dose de morphine orale (à privilégier encas de bon contrôle de la douleur), de changer de moded’administration de l’opioïde, ou de changer d’opioïde(= rotation) en présence d’effets indésirables rebelles.La rotation peut se faire entre tous les agonistes purs (morphine,fentanyl,hydromorphone,oxycodone),en l’absence de critèresde choix validés permettant d’en privilégier l’un d’eux, en

dehors de précautions d’emploi et contre-indications dechacun. Le fentanyl en patch à 25 µg/h est recommandé en casde voie orale impossible,de risque occlusif, de malabsorptiondigestive, d’insuffisance rénale ou de polymédicationorale. L’oxydocone ou l’hydromorphone sont indiqués encas de douleurs intenses résistantes ou intolérantes à lamorphine.

RÉFÉRENCES

1. Traitement de la douleur cancéreuse. Première édition. Organisation Mondialede la Santé ; 1986.

2. Traitement de la douleur cancéreuse. Deuxième édition. Organisation Mondialede la Santé ; 1996.

3. Expert Working Group of the Reseach Network of the european associationfor palliative care - Morphine in cancer pain : modes of administration.BMJ. 1996, 312: 823-6.

4. Expert Working Group of the Research Network of the european associationfor palliative care - Morphine and alternative opioïdes in cancer pain : theEAPC recommendations. Br. J. Cabcer. 2001, 84: 587-93.

5. Krakowski I. et coll. Recommendations for a successful cancer pain managementin adults and children. Bull Cancer. 1996 Nov; 83 (suppl 1): 9s-79s.

6. Standards, Options et Recommandations 2002 sur les traitements analgiquesmédicamenteux des douleurs cancéreuses par excès de nociception chezl’adulte, mise à jour. Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre leCancer, septembre 2002. Disponible sur le site www.fnclcc.fr

La morphine orale : Extraits

• Sauf situation particulière, la morphine orale est l’opioïde de niveau 3 OMS de premièreintention (standard, accord d’experts).

• Dans tous les cas, chez un malade traité auparavant par un autre opioïde fort, la dose dedépart de morphine doit être adaptée en tenant compte des coefficients de conversion dedoses équiantalgiques (standard, accord d’experts).

• Le recours à une forme à libération immédiate est indispensable pour le traitement desaccès douloureux spontanés ou provoqués chez les malades ayant un traitement de fond paropioïdes (standard, accord d’experts).

• Compte tenu du recours possible aux interdoses, il est toujours conseillé de privilégier lasécurité à la rapidité d’action en prenant la valeur la plus faible des coefficients de conversion(standard, accord d’experts).