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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article Entela Myftari et Sergio Rossi L'Actualité économique, vol. 86, n° 3, 2010, p. 355-383. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1003527ar DOI: 10.7202/1003527ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 13 mai 2013 06:42 « Prix des actifs et politique monétaire : enjeux et perspectives après la crise financière de 2007-2009 »

Prix des actifs et politique monétaire : enjeux et perspectives après la crise financière de 2007-2009

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    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

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    Entela Myftari et Sergio RossiL'Actualit conomique, vol. 86, n 3, 2010, p. 355-383.

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    URI: http://id.erudit.org/iderudit/1003527ar

    DOI: 10.7202/1003527ar

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    Prix des actifs et politique montaire: enjeux et perspectives aprs la crise financire de2007-2009

  • PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES APRS LA CRISE

    FINANCIRE DE 2007-2009*

    Entela MYFTARIUniversit dOttawa Sergio ROSSIUniversit de Fribourg [email protected]

    Rsum La crise financire de 2007-2009 a remis en question le comportement que doit adopter la banque centrale pour limiter les fluctuations des prix des actifs, qui exercent des effets aussi bien sur les activits de production que sur lconomie dans son ensemble. Malgr la multitude des analyses, aucun consensus na encore t trouv ce jour sur lattitude que doit adopter lautorit montaire pour influencer ces phnomnes et assurer la stabilit macroconomique. Cela sexplique entre autres par la complexit du sujet trait ainsi que par limportance des anticipations et des interactions des acteurs sur les marchs financiers en ce qui concerne lvolution des prix des actifs.

    Cet article propose une analyse des instruments et de la stratgie de politique mon-taire quune banque centrale doit mettre en uvre pour atteindre ses objectifs. Dans une situation inflationniste, lautorit montaire doit intervenir dans la sphre financire afin de limiter les effets ngatifs dune augmentation marque des prix des actifs rels ou finan-ciers. Notre analyse porte plus particulirement sur les avantages et les inconvnients de deux propositions. La premire prconise la mise en uvre dune politique montaire prventive et restrictive face aux volutions boursires. Elle se caractrise par une concr-tisation facile et prsente un avantage majeur en ce quelle contribue limiter loptimisme des intervenants sur les marchs financiers. Nanmoins, cette politique peut tre dsap-prouve au vu de ses rpercussions sur lensemble de lconomie relle, en particulier sur la production et lemploi. Sur ce point, la seconde proposition, qui consiste en lobligation faite tout intermdiaire financier de dtenir la banque centrale des rserves suffisantes

    LActualit conomique, Revue danalyse conomique, vol. 86, no 3, septembre 2010

    ___________

    * Une version prliminaire de ce papier a fait lobjet dune communication lors du 11me congrs international du Rseau europen de recherches en politiques macroconomiques, consacr au thme Finance-Led Capitalism? Macroeconomic Effects of Changes in the Financial Sector , Berlin, 26-27 octobre 2007. Les auteurs remercient les deux rapporteurs anonymes de cette revue pour leurs remarques dtailles et constructives, ainsi que Christiane Antoniazza-Torche et Denise Converso-Grangier pour leur apport dans la rvision linguistique de ce papier.

  • 356 LACTUALIT CONOMIQUE

    en fonction de ses propres actifs, prsente un avantage, mais tout au plus thorique. Cette proposition se heurte en effet des difficults pratiques, notamment la ncessit dinstaurer un important systme de contrle juridique et administratif.

    AbstRAct The 2007-2009 financial crisis has raised again the question about the policy stance central banks ought to adopt in order to limit fluctuations in asset prices, which affect production activities and the economy as a whole. Despite the relevant number of analyses, no consensus has been reached yet on the attitude a central bank has to adopt to influence these phenomena and thus contribute to macroeconomic stability. This does not come as a surprise, considering both the complexity of the subject matter and the impor-tance of agents expectations and interactions with regard to asset price evolution on finan-cial markets.

    This article proposes an analysis of the monetary policy strategy and instruments that central banks have to put into practice in order to attain their goals. In an inflationary envi-ronment, monetary authorities ought to intervene in the financial sphere to limit the nega-tive effects of any important increase in the prices of real or financial assets. Our analysis focuses on the pros and cons of two propositions. The first proposition suggests a preven-tive and restrictive monetary policy with respect to asset prices. It is characterised by an easy implementation and has a major advantage, because it contributes to limit agents optimism on financial markets. Nevertheless, such a policy can be inappropriate in light of its effects on the economic system as a whole, in particular as regards production and employment. In this respect, the second proposition, which consists in requiring from any financial intermediary that it has an amount of central bank reserves high enough with respect to its own assets, offers an advantage that is at best theoretical. This proposition raises in fact a number of practical issues, and notably the need to provide an important control system at the legal and administrative level.

    IntRoductIon

    La crise financire de 2007-2009 a remis en question le comportement que doit adopter la banque centrale pour limiter les fluctuations des prix des actifs, qui exercent des effets aussi bien sur les activits de production que sur le systme conomique dans son ensemble. Or, actuellement, les multiples analyses ce sujet divergent encore sur lattitude que doit adopter une banque centrale pour contrler ce phnomne et assurer la stabilit macroconomique de son espace montaire. La complexit du sujet trait ainsi que limportance des anticipations et des inte-ractions des acteurs sur les marchs financiers en ce qui concerne lvolution des prix des actifs achets et vendus expliquent en partie ces divergences.

    Notre analyse porte sur les besoins dune restructuration profonde de la rgle-mentation financire et du cadre lgal concernant tout le secteur financier, ainsi que la ncessit dune coopration renforce entre les autorits montaires et les autorits prposes la surveillance financire sur le plan international. Cepen-dant, notre principal objectif consiste reprendre les dbats, autrefois intenses, sur les instruments et la stratgie de politique montaire quune banque centrale devrait mettre en uvre afin datteindre la stabilit macroconomique de son espace montaire, dans une priode de forte intgration financire et de globali-sation pousse. Une analyse critique de plusieurs mcanismes dintervention des

  • 357PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    autorits montaires sur les marchs financiers proposs par diffrents auteurs et des banquiers centraux durant la priode 19982006 nous a amens retenir deux propositions, savoir celle de Cecchetti et al. (2000) et celle de Palley (2000). Lanalyse de ces deux propositions montrera que lutilisation par la ban-que centrale de linstrument des taux dintrt directeurs nest pas optimale, ds lors que lautorit montaire est tenue datteindre dautres objectifs de politique montaire que celui de la stabilit des prix (mesur laide de lindice des prix la consommation). Notre analyse montre aussi que lautorit montaire, mme lorsquelle est dote dun instrument additionnel de politique montaire, ne peut pas, elle seule, oprer efficacement sans tre accompagne dun cadre rglemen-taire, juridique et administratif pertinent et de taille considrable.

    La premire section portera sur les dterminants de la crise financire de 2007-2009 et les rpercussions nfastes dun secteur financier mal rglement et domin par des comportements abusifs. Lintervention des autorits montaires et de surveillance financire savre tre non seulement indispensable, compte tenu des externalits ngatives quengendrent les marchs financiers sur lconomie relle, mais aussi ncessaire afin dassurer un meilleur fonctionnement de ces marchs, jusqu prsent insuffisamment (ou mal) rglements. Nous verrons donc quelles mesures de prudence, micro et macro, les autorits de surveillance financire pourraient (devraient) appliquer. Dans la section suivante, nous tente-rons de dterminer quelles sont les mesures dintervention les plus appropries que lautorit montaire devrait prendre afin dassurer la stabilit macroconomi-que. La troisime section valuera la pertinence et les difficults dapplication dun nouvel instrument de politique montaire destin assurer la stabilit finan-cire. Pour conclure, laccent sera mis sur limportance dune restructuration de larchitecture comptable du systme bancaire.

    1. dteRmInAnts et RpeRcussIons de LA cRIse fInAncIRe de 2007-2009

    Leffondrement du march immobilier amricain, reprsent par la crise dite des subprime1, a t llment dclencheur de la crise globale de 2007. Les prts immobiliers grande chelle taient octroys dabord aux emprunteurs solvables. Lorsque la demande provenant de ces derniers a t sature, les intermdiaires financiers se sont tourns vers les mnages faibles revenus. Leur action tait encourage par la lgislation amricaine2, qui prescrit aux tablissements de cr-dit doctroyer aux mnages faibles revenus des prts hypothcaires des condi-tions avantageuses, afin de lutter contre toute discrimination sur ce march (Economiesuisse, 2009 : 1-2). En octroyant des prts hypothcaires de nom-breux emprunteurs peu fiables, les tablissements de crdit comptaient sur une importante augmentation de la valeur des biens immobiliers des mnages dfavo-

    1. Le march subprime est le march des crdits hypothcaires risque lev octroys taux dintrt variables. 2. Il sagit en particulier du Community Reinvestment Act de 1977.

  • 358 LACTUALIT CONOMIQUE

    riss, ce qui leur aurait permis de rembourser les intrts et le principal de la dette hypothcaire. Si laugmentation de la valeur du patrimoine des mnages permet ces derniers un accs accru lemprunt (Boone et al., 2001 : 4; Goodhart et Hofmann, 2001 : 23), elle conduit cependant bien des mnages une situation financire de plus en plus fragile, au fur et mesure que ces mnages augmentent leur niveau dendettement sur la base dune volution du patrimoine tributaire dune bulle spculative (qui pourrait tt ou tard clater).

    Loctroi de crdits aux mnages bas revenus tait galement favoris par la titrisation des prts, mcanisme qui diminue le risque support par chaque acteur financier (les banques en loccurrence). Ce mcanisme a t largement favoris par le manque de rglementation des oprations bancaires, en particulier en matire doctroi de crdits bancaires, et le manque de prudence quant la sol-vabilit des emprunteurs. Cette pratique permet aux banques doctroyer des cr-dits, de diversifier les crances et de les transfrer sous la forme de titres financiers des investisseurs rsidant dans le monde entier (Borio, 2008 : 5). Les agences de notation ont facilit la diffusion de ces actifs structurs travers le monde par lattribution de trs bonnes notes leur gard. De ce fait, les banques conservaient une grande partie de ces titres dans leurs bilans, les dispositions des accords de Ble (II) nimposant quun faible pourcentage de fonds propres en contrepartie de la dtention de titres ayant une trs bonne notation. Par ailleurs, une large gamme de placements des banques tait porte hors bilan. Le march des drivs sur dfauts de crdit (credit default swaps ou CDS) a permis, par exemple, de ne plus devoir afficher des placements risqus qui auraient exig un volume lev de capital propre (Economiesuisse, 2009 : 9). Le manque de diversification de lac-tif des banques a induit un risque systmique lev, qui avait t largement sous-estim avant la crise, malgr le fait que les banques taient restes conformes aux dispositions lgales concernant le risque spcifique. Il en est dcoul un degr dopacit lev dans les pratiques bancaires et dans lidentification des prts risque, tout comme dans lidentification de leurs dtenteurs finals et lvaluation de ces actifs structurs (Buiter, 2007 : 3). De la mme manire, lorsque la crise a clat, les pertes enregistres sur ces prts taient difficilement mesurables car propages lensemble de la plante en raison de la vente des produits drivs de ces crances douteuses dans les places financires les plus importantes.

    De telles attitudes, accompagnes dune concentration accrue du secteur ban-caire, ne pouvaient quengendrer une crise financire en amplifiant la composante risque systmique des titres (non mesurable, car lie des facteurs exognes aux titres en question) au dtriment de la composante risque idiosyncratique (mesurable, car lie la situation financire de lmetteur des titres ou de son garant) (Houston et Stiroh, 2006 : 3). La forte dpendance des firmes lgard du crdit bancaire a considrablement assujetti lactivit conomique relle lvolu-tion du secteur financier (Borio, 2008 : 21; Kaas, 2009 : 9596). Par ailleurs, la politique montaire de la Rserve fdrale des tats-Unis, fortement expansion-niste, avait contribu accentuer cette corrlation par le fait que dans un contexte o le rendement du capital productif diminuait davantage, les firmes amricaines

  • 359PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    ont tir profit de laubaine de la faiblesse des cots demprunts court terme pour substituer leurs dpenses dinvestissement productifs des placements financiers afin daugmenter leurs rmunrations. Lengagement des firmes dans le march financier au dtriment des activits productives induit court (voire moyen) terme des pressions la hausse de la demande et, par consquent, des prix de leurs actions.

    Or, lorsque laugmentation des prix des actifs est entretenue par le crdit ban-caire, le risque systmique tend devenir trs important, ds lors que le risque dasymtrie dchances3 li au portefeuille des crdits bancaires octroys au sec-teur priv est faiblement matris par un systme bancaire largement endett (Fonds montaire international, 2009a : 6). Tout comme pour le patrimoine des mnages, la hausse des prix des actions augmente la valeur boursire de lentre-prise mettrice. Cela lui permet daugmenter son niveau dendettement et de financer de nouvelles dpenses dinvestissement par emprunt, en raison des bon-nes conditions conomiques et de son faible cot de refinancement4 (Mishkin, 2001 : 2). Les dpenses de lentreprise tant dtermines par des facteurs ind-pendants de sa situation financire, le risque idiosyncratique de la firme augmente considrablement en phase de prosprit conomique. Cela est d galement au fait que, durant cette priode, les firmes sont incites emprunter au-del de leur capacit (par rapport la richesse nette de lentreprise) afin de faire face au retour-nement de tendance et sengager dans des projets dinvestissement spculatifs pour maximiser les rendements (Calms, 2004 : 5, 10, 20; Kaas, 2009 : 95, 101).

    Les banques ne se sont pas non plus exclues de la course aux rendements. En misant sur la solvabilit du patrimoine de leurs emprunteurs (mnages et entrepri-ses) plutt que sur la solvabilit personnelle (lie au revenu) de ceux-ci, les ban-quiers ont indirectement augment le risque reposant sur la situation financire de leurs institutions. Lorsque la valeur du patrimoine des emprunteurs a fortement diminu, les dfauts de paiement ont augment de manire considrable. La plu-part des intermdiaires bancaires ont pris, de faon concerte, un risque lev, susceptible dengendrer un grand nombre de faillites bancaires et une diminution des prix des actifs, accompagne dune augmentation du risque dinsolvabilit des dbiteurs, diminuant ainsi les fonds propres des banques (Bordo et Jeanne, 2002a : 47).

    Durant la dcennie 1996-2005, lexposition des banques sur le march dit subprime ainsi que leur engagement dans les crdits structurs taient consid-rables. Il tait ds lors vident quen priode de retournement de tendance, un climat de mfiance sinstallerait au sein du march montaire car aucune banque ne pouvait valuer avec certitude les problmes de liquidit de ses concurrents,

    3. Cette situation se produit lorsque lchance des passifs est infrieure celle des actifs. 4. Ce phnomne reprsente ce que Gertler et Gilchrist (1994) ont nomm lacclrateur financier.

  • 360 LACTUALIT CONOMIQUE

    ni leurs positions risque. En automne 2008, le crdit interbancaire a ds lors t bloqu et loctroi de crdits soumis des conditions svres tant entre les intermdiaires montaires5 quentre les banques et leurs propres clients. Lorsque lasschement en liquidit sest gnralis sur tous les marchs, les ractions se sont enchanes : les cours boursiers ont chut davantage, les pargnants ont perdu confiance en leurs placements, la valeur des collatraux a diminu, le bilan des banques sest fragilis, les dpenses dinvestissement et de consomma-tion se sont resserres et la dcroissance conomique mondiale sest acclre. Lamplification du choc a t dautant plus forte que les banques dtenaient, au dbut, peu de fonds propres et que les bilans des entreprises et des mnages taient fragiliss (Mishkin, 2001 : 6; Levieuge, 2005 : 319-320; Msonnier, 2005 : 4-10).

    La forte variation des prix des actifs et la procyclicit du systme financier sont deux critres qui mritent dtre discuts. Les fluctuations du prix des actifs financiers et/ou rels affectent directement le niveau de revenu des mnages et des firmes et, par consquent, leurs dpenses de consommation et dinvestisse-ment travers diffrents canaux de transmission6 que nous avons dj mention-ns plus haut. Le crdit bancaire est lun des facteurs les plus importants dans lenchanement des crises conomiques et financires. Il constitue le canal par lequel les banques les acteurs principaux parmi les intermdiaires financiers contribuent intensifier les chocs financiers, accentuer leurs consquences sur les grandeurs conomiques relles et amplifier leur caractre procyclique (Kiyotaki, 1998 : 1819). Pour mieux comprendre cette affirmation, commen-ons tout dabord par illustrer le rle crucial jou par les banques commerciales dans une conomie montaire de production. Contrairement aux intermdiaires financiers, les banques secondaires exercent deux fonctions, soit la fonction din-termdiation montaire et dintermdiation financire. Dans sa fonction dinter-mdiation montaire, la banque met la disposition des parties lchange linstrument numrique du paiement (les units montaires) dont lobjet consiste en lchange dactifs rels et/ou financiers. La monnaie est le moyen de paiement et loutput produit lobjet de ce paiement (Rossi, 2008 : 286). Si lopration din-termdiation montaire consiste fournir lconomie des units de compte servant mesurer le produit national, lopration dintermdiation financire permet le transfert de pouvoir dachat (dactifs rels et/ou financiers) entre les agents conomiques. Au moment du paiement des salaires, loutput physique produit au sein de la nation prend sa forme financire (le dpt bancaire). Par consquent, lensemble des dpts bancaires dune nation reprsente le pouvoir

    5. Durant la crise de 2007-2009, les tensions au sein du march montaire sont apparues sous diffrentes formes, savoir, une volatilit accrue des taux dintrt overnight et des taux dintrt de long terme, une augmentation de la prime contenue dans les taux dintrt de court terme (entre un et trois mois), une baisse du volume des crdits et le rationnement du crdit (Borio, 2008 : 7). 6. Il sagit notamment des effets de richesse, de lacclrateur financier, du Q de Tobin et du capital bancaire.

  • 361PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    dachat de tous les agents conomiques de cette nation. Toute mission mon-taire servant au paiement des salaires nimplique aucun dsordre du systme de paiement. Par consquent, la demande globale (montant total des dpts bancai-res enregistrs dans le systme bancaire de la zone montaire) et loffre globale (le produit national total en vente sur le march des produits) sont identiques, si bien quaucune pression inflationniste nmerge du fonctionnement correct du systme bancaire. Toute monnaie mise dans un paiement distinct de lmission des salaires doit alors avoir en contrepartie un dpt bancaire prexistant (Sch-mitt, 1984 : 306). En dautres termes, toute transaction sur le march financier doit avoir en contrepartie un dpt bancaire prexistant. Cependant, de nos jours, la structure comptable du systme bancaire nest pas correcte, parce quelle laisse la possibilit aux banques de passer des critures comptables opa-ques car elles enchevtrent en fait les deux fonctions (intermdiaire montaire et intermdiaire financire) des banques commerciales. En effet, dans ce cas la banque accorde un crdit non pas partir des dpts bancaires existants dans la priode en cours, mais partir du dpt bancaire que lemprunteur pourrait avoir dans le futur. Par cette manuvre, les banques commerciales augmentent la somme des dpts bancaires (qui reprsentent le revenu national et la demande globale) disposition de lconomie nationale (durant la priode du prt) alors que le niveau de production (loffre globale) na pas vari. Cependant, lorsque les nouveaux dpts bancaires sont dpenss pour lachat dactifs financiers ou dactifs rels (des biens immobiliers doccasion) sur le march secondaire ou pour lachat de biens doccasion sur le march des biens produits, la demande globale (lensemble des dpts bancaires) dpasse loffre globale (le produit national) et induit une augmentation du prix des biens et services lorsque les dpts sont dpenss sur le march des biens produits ou une augmentation du prix des actifs lorsque les dpts sont dpenss sur le march financier. Ces pressions inflationnistes sont de court terme et concernent la priode qui couvre lchance du crdit (Schmitt, 1984 : 257; Rossi, 2008 : 58). Ntant pas inqui-tant en soi, un tel phnomne apporte tout de mme des prjudices au systme conomique lorsque le processus de loctroi excessif de crdit persiste. Le pro-blme fondamental qui merge dune telle situation rside dans la phase de dflation ( savoir, durant la phase o les emprunteurs doivent rembourser leurs dettes au systme bancaire de la nation), durant laquelle la situation financire de certains agents conomiques peut devenir prcaire un point tel que le rem-boursement des prts devient impossible. En raison des interdpendances prva-lant sur les marchs financiers, un effet boule de neige peut jaillir en trs peu de temps et une crise systmique peut surgir en consquence.

    cela sajoute le fait que laugmentation des prix des actifs financiers et/ou rels ne correspondra pas une amlioration de leurs fondamentaux . Elle est seulement due aux missions montaires sans contrepartie relle (augmentation nominale des dpts bancaires sans une augmentation de loutput sur le plan national) qui deviennent possibles cause de la pathologie du systme bancaire actuel. Cependant, toute transaction sur le march financier implique un transfert

  • 362 LACTUALIT CONOMIQUE

    de revenu entre les parties contractantes. Laugmentation du prix des actifs signi-fie que les rentiers accaparent une part de pouvoir dachat plus leve aux dbi-teurs (les acheteurs dactifs) pour un actif dont la valeur, le risque et la qualit sont rests identiques. Lorsque toutes les banques utilisent cette chappatoire (enten-dez lintermdiation montaire) afin de maximiser leurs profits, elles contribuent en effet fragiliser la situation conomique des mnages et des entreprises dont le niveau dendettement augmente et la valeur du patrimoine diminue, ds quil y a retournement de tendance, au profit des rentiers, et cela dautant plus que les taux dintrt augmentent durant la phase dexpansion. Durant la phase de rces-sion, les besoins en liquidit augmentent pour toutes les catgories dagents (incluant les banques commerciales) paralllement une dtrioration des condi-tions daccs au crdit.

    La dtrioration des conditions daccs au crdit bancaire, la diminution du degr de solvabilit de tous les agents conomiques, le niveau dincertitude qui prvaut en phase de retournement de tendance sont autant de facteurs qui contraignent les firmes rduire leur niveau de production et exercer des pressions la baisse sur les salaires, ce qui se traduit par une rduction immi-nente du revenu national, rendant la situation conomique et financire encore plus fragile. Il existe ds lors une forte corrlation entre la situation prvalant dans le secteur financier et celle observe dans le secteur rel. En dautres termes, linstabilit financire induit des externalits ngatives sur lactivit conomique.

    En ce qui concerne la procyclicit du systme financier, force est de consta-ter quelle rsulte en partie dune large exposition des banques aux activits financires en phase dexpansion comme rsultat de la diminution de lasym-trie dinformation, et en partie de lexistence de certaines dispositions lgislati-ves incombant au march financier, qui rendent loffre de prts plus sensible au cycle conomique. En phase dexpansion, aussi bien les firmes que les institu-tions financires font appel lemprunt pour sengager dans des projets dinves-tissement ou dans des placements financiers. Cette pratique leur permet damplifier les gains. De lautre ct, les banques sont trs enclines accorder des lignes de crdit grce au fait que le ratio de fonds propres bancaires, stipul dans les accords de Ble (II), diminue en phase dexpansion conomique en raison de la rduction du risque peru. Laugmentation de loffre de fonds prta-bles sur le march financier conditionne sa propre demande, rendant les condi-tions financires plus attrayantes et contribuant pousser la hausse les cours boursiers dans un climat apparemment trs stable (Borio, 2008 : 1213). Aussi bien les firmes que les institutions financires peuvent entretenir leur demande de fonds tant donn que la valeur de leurs actifs augmente et que laccs au crdit est facile. Pour faire face cette demande soutenue de fonds, les banques sont incites orienter leurs activits vers des instruments hors-bilan ou vers des actifs plus risqus afin dchapper aux exigences de fonds propres prescrites dans les accords de Ble II (Banque du Canada, 2009 : 5154). De telle manire,

  • 363PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    les accords de Ble II contribuent accrotre la procyclicit du march financier (Buiter, 2007 : 4; Goodhart, 2009 : 40) et de lactivit conomique ainsi que le risque systmique. La rglementation sur le capital bancaire mrite ds lors dtre revue aussi bien sous langle microconomique (qui consiste rendre contracyclique le ratio de fonds propres) que sous langle macroconomique (qui consiste tre applique de manire universelle et vincer le risque systmique).

    2. mesuRes pRoposes pouR vIteR une AutRe cRIse fInAncIRe doRdRe systmIQue

    Lenvergure de la crise de 2007-2009 a fortement inquit le monde conomi-que et politique. Cette crise a mis en cause linsuffisance de la rglementation et du contrle prudentiels et la baisse de lefficacit de la politique montaire des taux dintrt dans latteinte simultane de lobjectif de rgulation macroconomi-que et de celui de stabilisation financire. Alors que jusqu prsent il tait de coutume de sparer les instruments du contrle prudentiel par rapport ceux de la politique montaire, les dbats rcents ont principalement mis laccent sur la ncessit de rformer le fonctionnement et les instruments des autorits prposes la surveillance financire et sur la ncessit de renforcer la coopration entre lautorit montaire et lautorit de surveillance financire. Aprs avoir illustr les principales mesures prudentielles, micro et macro, proposes par les analystes chargs des questions montaires et financires, lanalyse dans cette section se concentrera avant tout sur la question du rle de la banque centrale dans la rgu-lation des prix des actifs.

    2.1 Mesures prudentielles, micro et macro

    Les dbats qui ont merg laboutissement de la crise financire que nous traversons ont t principalement orients sur la ncessit de rformer et dam-liorer les mesures prudentielles, micro et macro, illustres laide du tableau 1. Laccent a t mis sur leffet de levier, le degr lev de participation des banques secondaires sur les marchs financiers (Fonds montaire international, 2009a : 1), la maximisation des profits, lvolution du risque encouru, ainsi que le caractre procyclique de la rglementation financire actuelle.

    Il mane de la lecture du tableau 1 que les mesures microprudentielles rcem-ment suggres, fidles leur objectif principal qui est celui dassurer lintrt des dposants vis--vis des banques, sinscrivent de plus en plus dans un cadre global visant assurer la stabilit du systme financier dans sa globalit par la prise en considration des risques agrgs. Lobjectif de toutes ces mesures prudentielles, micro et macro, serait dencadrer les drives dangereuses du crdit et dviter les fluctuations marques du prix des actifs susceptibles de provoquer leffondrement du systme de paiement.

  • 364 LACTUALIT CONOMIQUE

    TABLEAU 1mesuRes pRudentIeLLes, mIcRo et mAcRo

    Mesures microprudentielles Mesures macroprudentielles

    1. Il faudrait renforcer la supervision et la rgulation de lensemble des institutions financires (Carvajal et al., 2009 : 8; Fonds montaire inter-national, 2009b : 5, 25) de manire cible et efficace par un seul rgu-lateur dans tous les pays qui ont un systme financier dvelopp (Group of Thirty, 2009 : 16, 28). Plus par-ticulirement, les gestionnaires de fonds de capitaux privs qui grent des sommes substantielles devraient senregistrer auprs dune autorit de surveillance nationale, laquelle ils devraient aussi soumettre des rap-ports priodiques qui comportent des informations sur la taille et le type dinvestissement, le niveau dem-prunt et la performance du fonds sous gestion (Group of Thirty, 2009 : 3031).

    2. Il faudrait amliorer les ressources, lchange dinformations et la coor-dination entre les autorits de rgu-lation (Brunnermeier et al., 2009 : 24; Group of Thirty, 2009 : 35) et accrotre le degr dimplication du Fonds montaire international dans la rglementation et lassistance des pays affects par la crise du systme financier (par loctroi de lignes de crdit aux pays subissant les cons-quences des crises dont ils ne sont pas responsables) et la mise en place dun systme dalerte prventif des crises ventuelles.

    1. La rglementation macropruden-tielle doit tre contracyclique et tre applique de manire universelle (Brunnermeier et al., 2009 : 9, 34). Il faudrait rendre le ratio minimal de fonds propres contracyclique (Borio, 2008 : 21; Fonds montaire international, 2009b : 12), ce qui aurait comme consquence directe la contracyclicit du niveau dendet-tement et du taux de croissance du crdit.

    2. Il faudrait dvelopper des mesures plus efficaces pour valuer le risque systmique (Fonds montaire inter-national, 2009a : 11) et ses implica-tions pour le systme conomique dans son ensemble (Brunnermeier et al., 2009 : 12). Les mesures dva-luation du risque ainsi amliores devraient assurer une diminution de la procyclicit (Borio, 2008 : 21; Group of Thirty, 2009 : 48).

    3. Il faudrait rformer les agences de notation en introduisant des mesu-res visant amliorer leurs mthodes dvaluation1 et leurs mesures du ris-que, en les ouvrant la concurrence2 et en renforant la surveillance et la rgulation laquelle ces agences sont soumises (Group of Thirty, 2009 : 5051).

  • 365PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    Or, lobjectif de notre analyse nest pas dvaluer la pertinence et lefficacit des solutions proposes ce jour, tant donn que ces mesures tombent sous la responsabilit et les comptences des autorits de surveillance financire. Nous souhaitons en revanche porter notre attention sur les objectifs et le rle de la ban-que centrale dans le maintien de la stabilit financire, un rle que nous jugeons adquat ds lors que la stabilit financire garantit la stabilit montaire et macro-conomique.

    Les dbats concernant le rle de la banque centrale pour assurer la stabilit des marchs financiers furent trs nourris durant la priode 1998-2006. Malheu-reusement, ces discussions nont pas t approfondies lors de la crise de 2007-2009 et aucun consensus na t dgag quant au comportement que la banque centrale devrait adopter par rapport lvolution des prix des actifs. La gravit et lenvergure de la crise de 2007-2009 ont montr que lintervention des banques

    TABLEAU 1 (suite)

    Mesures microprudentielles Mesures macroprudentielles

    3. Il faudrait augmenter la rgulation et la transparence pour les produits titriss et structurs (notamment en interdisant la titrisation plus dun niveau de crance ainsi que la mise sur le march de produits financiers jugs trop complexes). Il faudrait diffuser linformation aux inves-tisseurs intresss afin de garantir un bon niveau de confiance (Fonds montaire international, 2009b : 15; Group of Thirty, 2009 : 49, 55).

    4. Il faudrait limiter la concentration sectorielle du crdit bancaire et rgu-ler lasymtrie dchances lies au crdit bancaire (Fonds montaire international, 2009b : 12).

    5. Il faudrait interdire au secteur ban-caire de placer du capital dans les hedge funds (Group of Thirty, 2009 : 28).

    6. Il faudrait imposer aux institutions financires le maintien dun stock dactifs liquides et de bonne qua-lit (Fonds montaire international, 2009b : 14).

    note : 1. Actuellement, ces agences sont rmunres par les metteurs des titres quelles doivent va-luer (Brunnermeier et al., 2009 : 50), ce qui explique un systme dincitations biais et per-vers (Buiter, 2007 : 5). Les mthodes dvaluation du risque utilises par les agences de notation ont jou un rle important dans lvaluation des actifs financiers et dans lencoura-gement de la prise excessive de risque au niveau de ltablissement (Borio, 2008 : 17), et par effet de ricochet dans le risque systmique.

    2. La grande concentration dans le march des agences de notation pousse ces dernires surestimer la qualit des actifs nots.

  • 366 LACTUALIT CONOMIQUE

    centrales (et des gouvernements) tait tout autant indispensable pour le maintien de la stabilit des marchs montaires et financiers que pour lconomie dans son ensemble. Il convient ds lors danalyser le moyen le plus appropri, pour les ban-ques centrales, dintervenir lorsquon connat les difficults dvaluer les indica-teurs de crise dans les dlais de transmission dtermins par leur politique montaire, et de respecter des objectifs parfois contradictoires lorsquil sagit de les raliser simultanment (la stabilit montaire, la stabilit financire et la sta-bilit macroconomique).

    2.2 Mesures proposes pour une politique montaire contribuant assurer la stabilit financireLautorit montaire doit-elle ragir aux variations des prix des actifs au

    mme titre quelle ragit aux variations des prix dune partie des biens et services ( savoir, les produits utiliss pour le calcul de lindice des prix la consomma-tion, lindice considr par bien des banques centrales pour prendre leurs propres dcisions de politique montaire)? Nous rpondrons cette question en tenant compte de deux constatations. Premirement, limpact de la variation des prix des actifs sur loutput et sur les conditions futures de la demande globale a t reconnu par un trs grand nombre dconomistes et de banquiers centraux7. Deuxime-ment, les prix des actifs semblent tre des indicateurs avancs de linflation. La logique de ce point de vue rside dans le fait que la valorisation des actifs est calcule de manire prospective et que les prix des actifs intgrent, par cons-quent, les anticipations relatives la croissance conomique et aux tensions infla-tionnistes venir (Trichet, 2002 : 40). Il convient cependant de remarquer que, jusqu prsent, les autorits montaires ont toujours pris en compte les effets anticips des variations du prix des actifs financiers sur le taux dinflation alors que la stabilit financire ne constitue pas un objectif final de la politique mon-taire.

    Si lon soutient lide dune raction directe des autorits montaires la variation des prix des actifs, force est de reconnatre que les autorits montaires seront confrontes de nombreuses difficults. La premire consiste savoir de quelle manire les autorits montaires doivent ragir aux prix des actifs. Faut-il tablir un indice de prix intgrant les actifs financiers? Faut-il introduire les prix des actifs dans la rgle de Taylor en fixant ainsi, ct des objectifs traditionnels, une cible pour la variation des prix des actifs? Le cas chant, la raction de lautorit montaire doit-elle tre symtrique ou asymtrique? Quel sera le coeffi-cient de raction aux variations des prix des actifs? Il faudrait de surcrot dtermi-ner la valeur de rfrence partir de laquelle toute dviation des prix des actifs fera lobjet dune intervention des autorits montaires. Une question encore plus

    7. Voir cet gard Bernanke et al. (1999 : 1341-1375); Cecchetti et al. (2000 : 2); Filardo (2001 : 2); Goodhart (2001 : 346-352); Goodhart et Hofmann (2001 : 4-9); Bordo et Jeanne (2002b : 5-7); Ahearne et al. (2005 : 8-10).

  • 367PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    importante consiste savoir adapter la raction de lautorit montaire la nature des chocs lorigine dune fluctuation des prix des actifs. tudions ces questions de plus prs.

    2.2.1 La cration dun indice des prix incorporant les prix des actifsEn se basant sur largument selon lequel les prix des actifs sont des indicateurs

    avancs de lvolution future des prix des biens et services et que leur variation peut induire une perte du pouvoir dachat de la monnaie au mme titre quune variation des prix des biens et services, certains conomistes, linstar de Bryan et Cecchetti (1993) et Goodhart (1995), ont essay de construire un nouvel indice des prix permettant de mesurer le taux dinflation utilis comme cible par les banques centrales. Deux problmes se posent alors8. Le premier est de dterminer le poids quil faudrait attribuer aux prix des actifs dans le nouvel indice des prix. En admettant que laugmentation du prix des actifs nest pas ncessairement lie linflation, le second problme tient la difficult dvaluer le moment partir duquel une intervention de la banque centrale pourrait tre justifiable pour contre-carrer les fluctuations, juges excessives, des prix des actifs. ce propos, certains auteurs, tels que Shiratsuka (1999 : 107-123) et Filardo (2001 : 15), mettent lac-cent sur limpact nfaste dune forte variation du taux dintrt directeur. De for-tes fluctuations des taux dintrt peuvent avoir des effets bien plus dommageables sur lactivit conomique que leurs prtendus effets positifs sur la stabilit des prix et la stabilit financire.

    2.2.2 La raction des autorits montaires en fonction de la nature des chocsLa construction dun nouvel indice des prix intgrant les prix des actifs finan-

    ciers et/ou des actifs rels nayant pas suscit grand intrt jusqu prsent, cer-tains auteurs suggrent, linstar de Goodhart et Hofmann (2001 : 10-15), dintroduire les prix des actifs dans la fonction de raction des banques centrales. Nanmoins, ces auteurs refusent le principe que la banque centrale devrait ragir de manire automatique aux variations des prix des actifs. Les autorits montai-res devraient en revanche analyser les causes de ces variations, sur la base des facteurs de loffre ou de la demande.

    Ce point de vue a t expos de manire plus constructive dans le travail de Durr (2001 : 12-24). Lauteur montre que les autorits montaires ne doivent pas ragir de la mme manire toutes les variations des prix des actifs. Lanalyse de la nature des chocs affrant la variation des prix des actifs est primordiale, dautant plus que certaines volutions financires peuvent tre dstabilisantes ou stabilisantes. A fortiori, la raction des autorits montaires en cas de cible din-

    8. En ce qui concerne lagrgation des prix des actifs, nous renvoyons le lecteur intress la mthode propose par Borio et al. (1994 : 7186) afin de calculer lindice des prix des actifs rels et financiers.

  • 368 LACTUALIT CONOMIQUE

    flation et dcart de production ne sera pas identique celle des autorits montai-res dont lobjectif est la stabilit financire. La fonction de raction de la banque centrale dans le dernier cas de figure prendrait la forme dune rgle de Taylor augmente des prix des actifs dont la fonction de perte stablit comme suit :

    = Et ((y

    t y*

    ts)2 + (

    t *)2 + (l

    t l*)2) (1)

    o y reprsente loutput, est le taux dinflation, l reprsente les prix des actifs, ts reprsente les diffrents types de chocs technologiques qui peuvent frapper

    lactivit conomique, et Et reprsente lesprance au temps t de la perte. Les

    objectifs poursuivis par la banque centrale savrent tre les suivants : minimisa-tion de la dviation du niveau de production par rapport au niveau de production potentiel (ou de plein-emploi, y*), minimisation de la dviation du taux dinflation par rapport la cible fixe (*) et stabilisation des prix des actifs par rapport leur cible (l*). Cela signifie que la politique montaire sintresse seulement aux dviations des prix des actifs par rapport aux valeurs fondamentales de ces mmes actifs. Cela suppose donc que la banque centrale soit toujours en mesure de connatre ces valeurs fondamentales, ce qui est assurment une hypothse trs forte. Sur la base de cette hypothse, nous pouvons maintenant tudier le compor-tement de la banque centrale face chaque type de choc.

    En cas de chocs positifs de demande, les trois carts dans la fonction de perte (1) tendent augmenter. Dans ce contexte, la demande globale augmente, provo-quant par l des pressions la hausse sur les prix des biens et des services ainsi que sur les prix des actifs financiers. La banque centrale intervient alors en aug-mentant le taux dintrt nominal, afin de minimiser lcart du taux dinflation par rapport sa cible. Laugmentation du taux dintrt conduit une diminution des prix des actifs, qui, son tour, entrane une diminution de la demande globale par lintermdiaire de leffet de richesse. Or, cette augmentation du taux dintrt ren-chrit le cot du capital et dprime alors les dpenses dinvestissement. Ainsi, la raction de la banque centrale aux chocs positifs de demande devrait tre plus faible lorsque celle-ci vise galement la stabilit financire que dans le cas de lobjectif traditionnel de stabilit des prix. Il convient de prciser que la variation du taux dintrt directeur sera dautant plus faible que la ractivit de la demande globale la variation des prix des actifs est forte (donc lorsque les effets de richesse sont importants).

    En cas de chocs doffre, les autorits montaires sont tenues de dtecter la nature de ce choc. Lors dun choc technologique, les banques centrales ne devraient gnralement pas intervenir. Un choc technologique contribue aug-menter les capacits de production. Or, les prix des actifs tendront fortement la hausse grce une augmentation permanente des dividendes futurs anticips. Dun ct, la demande globale augmente suite la hausse des prix des actifs lie un effet de richesse. Dun autre ct, le niveau de production long terme aug-mente grce au progrs technologique. Lorsque la banque centrale vise son objec-tif traditionnel, elle peut ragir aux chocs positifs de loffre par une baisse des

  • 369PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    taux dintrt dans le but de relancer la demande globale. Or, dans un modle de ciblage de linflation avec des effets de richesse (rgle de Taylor augmente dune cible pour la variation des prix des actifs), la banque centrale ne doit pas toujours intervenir en situation de choc technologique car, dans ce cas, la demande globale arrive galiser loffre globale grce limpact positif de laugmentation des prix des actifs sur le niveau de la demande globale. En effet, le degr dintervention de la banque centrale dpendra de la sensibilit de la demande globale la variation des prix des actifs. En situation de choc technologique, la variation du taux din-trt sera dautant plus faible que les effets de richesse seront forts et vice-versa. Selon les calculs de Durr (2001), partir dune lasticit de la demande globale par rapport aux prix des actifs de 0,7 (ce qui signifie quune augmentation de 10 pour cent des prix des actifs va induire une augmentation de 7 pour cent de la demande globale), lintervention de la banque centrale nest plus ncessaire. Cet exemple met en exergue le rle rquilibrant des prix des actifs.

    Il convient toutefois dajouter une prcision dans le cas o la banque centrale est confronte un choc doffre. Lorsque llasticit de la demande globale par rapport aux prix des actifs est faible, la banque centrale doit faire un arbitrage entre la stabilisation de lactivit conomique et celle des prix des actifs. La dimi-nution des taux dintrt, outre la relance de la demande globale, induit une vola-tilit plus forte des prix des actifs. Dans ce cas de figure, la banque centrale sera confronte au respect dobjectifs contradictoires. Est-ce quelle va accepter un taux dinflation plus lev afin de contrecarrer les fluctuations des prix des actifs, ou va-t-elle prfrer matriser linflation au prix dune variabilit des prix des actifs? Cela dpendra des prfrences de la banque centrale et, par consquent, des coefficients attribus chacun de ses objectifs (Levieuge, 2005 : 323).

    Si lon considre maintenant le cas o le march des actifs est affect par un choc financier positif, laugmentation de la prime de risque va diminuer les prix des actifs conformment au modle des dividendes escompts. La diminution des prix des actifs va alors influencer ngativement la demande globale. Dans la pers-pective dune production inchange, toute pression la baisse sur la demande globale peut affecter ngativement les prix des biens et services. Afin dviter la diminution des prix, la banque centrale ragit par une diminution du taux dint-rt directeur, ce qui aura pour corollaire une augmentation de la demande globale. Plus la sensibilit de la demande globale la variation des prix des actifs est forte, plus forte sera la variation du taux dintrt suite un choc financier. En effet, les autorits montaires devront non seulement contrecarrer les fluctuations de lacti-vit conomique, mais aussi celles des prix des actifs. La rponse de la banque centrale un choc financier sera plus forte lorsque celle-ci aura pour objectif la stabilit financire que dans le cas contraire. Cela sexplique par le fait quun choc financier (tout comme un choc technologique) affecte directement les prix des actifs. Avec un objectif de stabilit financire, les autorits montaires doivent, dun ct, ragir la diminution des prix des actifs et, dun autre, la diminution de la demande globale.

  • 370 LACTUALIT CONOMIQUE

    La raction des autorits montaires la variation des prix des actifs ne sera pas systmatique. Celles-ci doivent rpondre avec force aux chocs financiers qui dstabilisent lconomie, mais elles doivent se montrer beaucoup plus rigoureuses en cas de choc doffre, laissant ainsi les prix des actifs jouer leur rle rquili-brant. La force avec laquelle le taux dintrt directeur doit rpondre aux diff-rents chocs dpend du poids relatif accord chaque objectif dans la fonction de raction de la banque centrale. Plus le poids attribu lobjectif de stabilit finan-cire est lev, plus la variation du taux dintrt suite un choc financier ou un choc doffre sera leve. Dans le cas dun choc de demande, la variation du taux dintrt sera plus faible.

    2.2.3 Lintgration des prix des actifs dans la fonction de raction des banques centrales

    Bernanke et al. (1999 : 1341-1393)9 sont parmi les premiers conomistes avoir reconnu limpact de la variation des prix des actifs sur les grandeurs relles. Considrant les effets de richesse et le mcanisme de lacclrateur financier comme les deux principaux canaux de transmission de lactivit financire lconomie relle, ils se sont intresss la pertinence de lintroduction des prix des actifs dans la fonction de raction de la banque centrale.

    Partant dune conomie ferme, les auteurs intgrent la possibilit dun choc exogne, ce qui signifie que leur modle repose sur lhypothse de la cration dune bulle spculative. La bulle apparat de faon imprvisible (tant donn quelle est exogne), se dveloppe de manire doubler chaque priode et clate au terme de cinq priodes. Lorsque la bulle clate, les prix des actifs reviennent leurs valeurs fondamentales, savoir la valeur actualise des dividendes que ces actifs sont supposs rapporter.

    Cette hypothse dexognit a des implications importantes pour la politique mon-taire. Tout dabord, elle sous-tend que la naissance, la vie et la mort dune bulle dac-tifs, de mme que la faon dont celle-ci ragira un changement de politique mon-taire, comportent un lment dimprvisibilit du fait que les sources de dsquilibre ne sont pas explicites dans le modle conomique. En consquence, il est difficile pour les autorits montaires de savoir comment ragir un dsquilibre des prix des actifs : faut-il resserrer la politique montaire et aller contre-courant du march ou au contraire sassouplir pour amortir londe de choc que la bulle provoquera? (Selody et Wilkins, 2004 : 6).Bernanke et Gertler (1999 : 17-51) ont tent de rpondre cette question. Ils

    se sont intresss lopportunit, pour les autorits montaires, dadopter un com-portement accommodant ou agressif face une inflation anticipe et de ragir une variation des prix des actifs. Une rgle accommodante consiste varier le taux dintrt nominal dans le mme sens et avec la mme ampleur que les varia-tions anticipes du taux dinflation futur, de manire maintenir inchang le taux

    9. Voir aussi Bernanke et Gertler (1999 : 22-42).

  • 371PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    dintrt rel. Il sagit, ds lors, dune rgle qui respecte la fameuse relation dIrving Fisher. Au contraire, une rgle sera agressive lorsque le banquier central a une forte aversion linflation. Ainsi, le taux dintrt nominal ragira fortement une anticipation inflationniste. Cela signifie que le taux dintrt rel sera affect et la politique montaire aura un impact sur lactivit conomique.

    Ces deux rgles montaires seront appliques la relation suivante (nous sim-plifions) :

    it = i

    t1 + Ett+1 + Yt + (S S*) t (2)o i

    t est le taux dintrt nominal fix par les autorits montaires au temps t,

    Et

    t+1 exprime lanticipation en t de lcart inflationniste qui sera cr en t+1, Yt reprsente loutput gap en t et (S S*)

    t reprsente lcart au temps t entre la valeur

    boursire des actifs, ou prix de march des actifs (S), et leur valeur juge fonda-mentale (S*).

    Il convient de prciser que les auteurs mettent lhypothse que la banque centrale ne va pas rpondre loutput gap ( = 0). Linclusion du prix des actifs parmi les objectifs de la banque centrale se traduit par la valeur 0, et par la valeur = 0 dans le cas contraire. Lorsque les autorits montaires appliquent une rgle accommodante, vaut 1,0110. Dans le cas o elles appliquent une rgle agressive, est gal 2,0.

    Bernanke et Gertler (1999) ont fait les quatre simulations suivantes : rgle accommodante avec objectif de stabilit des prix (i

    t = 1,01 E

    t

    t+1); rgle agressive avec objectif de stabilit des prix (i

    t = 2,0 E

    t

    t+1); rgle accommodante avec objectifs de stabilit des prix et de stabilit financire (i

    t = 1,01 E

    t

    t+1 + 0,01 (S S*)

    t), et, enfin, rgle agressive avec objectifs de stabilit des prix et de stabi-

    lit financire (it = 2,0 E

    t

    t+1 + 0,01 (S S*) t). On note que le coefficient de rac-tion des autorits montaires la variation des prix des actifs est extrmement faible, tel point que lon peut dire que la stabilit financire ne constitue pas un objectif en tant que tel. Nanmoins, ce coefficient tant tout de mme positif et non nul, il a le mrite dintgrer les comportements des agents ds lors que cet objectif fait partie des proccupations de la banque centrale.

    Sur la base des rsultats de leurs tests conomtriques, les auteurs privilgient le choix dune rgle de politique montaire agressive avec pour seul objectif la stabilit des prix des biens et des services. Cette conclusion peut sexpliquer de la faon suivante : sachant que le banquier central rpondra par une augmentation trs forte du taux dintrt nominal toute anticipation inflationniste, les agents conomiques vont intgrer cette donne dans leur comportement de consomma-tion et vont de suite rduire leurs dpenses de consommation et dinvestissement. De mme, une diminution future des cours boursiers (en raison de laugmentation

    10. est suppose suprieure lunit pour indiquer que lobjectif premier du banquier central est de lutter contre linflation.

  • 372 LACTUALIT CONOMIQUE

    du taux dintrt) ne peut pas tre attendue sans une diminution future de la richesse nette des agents et, par consquent, une diminution du niveau des dpen-ses de consommation, si lon se situe dans lhypothse du cycle de vie avec objec-tif de lissage des dpenses de consommation.

    Lapplication dune rgle rigoureuse de politique montaire avec un objectif supplmentaire de stabilit financire napporte pas de rsultats trs diffrents de ce que nous venons de prsenter. Cest pourquoi lintroduction des prix des actifs dans la fonction de raction des banques centrales nest, selon Bernanke et Gertler (1999), ni ncessaire ni souhaitable. Les banques centrales nont donc pas besoin de se proccuper de la nature des chocs qui frappent les marchs financiers et ne sont pas confrontes un arbitrage dobjectifs lors de chocs de demande.

    Lapplication dune rgle accommodante ( = 1,01), qui permet de maintenir le taux dintrt rel constant, conduit des rsultats pervers et insatisfaisants dans les deux cas de figure suivants. Lorsque la banque centrale a pour seul objec-tif la stabilit des prix, lapplication dune rgle accommodante nest pas opti-male. La cration dune bulle spculative stimule la demande globale par le canal de lacclrateur financier et des effets de richesse. Les dpenses de consomma-tion et dinvestissement augmentent, de mme que le taux dinflation et loutput. Lorsque la bulle clate, la richesse nette des firmes diminue et leur prime de financement externe augmente, ce qui conduit une diminution rapide de lout-put. La diminution de la production en phase descendante du cycle est plus forte que laugmentation de la production en phase ascendante du cycle. Dans le cas o les autorits montaires souhaitent atteindre les deux objectifs de stabilit des prix et de stabilit financire, lapplication dune rgle accommodante conduit des rsultats pervers. La raison en est que

    the expectation by the public that rates will rise in the wake of the bubble pushes down the fundamental component of stock prices, even though overall stock prices (inclusive of the bubble component) rise. Somewhat counterintuitively, the rise in rates and the decline in fundamental values actually more than offset the stimulative effects of the bubble, leading output and inflation to decline an example of the possible collateral damage to the economy that may occur when the central bank responds to stock prices. However, the general point here is that a monetary policy regime that focuses on asset prices rather than macroeconomic fundamentals may well be actively destabilizing. The problem is that the central bank is targeting the wrong indicator (Bernanke et Gertler, 1999 : 28).Il nous parat important de prciser que lanalyse de Bernanke et Gertler

    (1999) repose sur lhypothse que la banque centrale est en mesure didentifier la prsence dune bulle. Cela signifie quelle peut distinguer ce qui, dans le prix dun actif, relve de sa valeur fondamentale de ce qui rsulte de composantes non fon-damentales. Cette hypothse est forte car elle suppose que les banques centrales sont mieux informes que le march et quelles ont un degr de rationalit plus lev que les autres agents (Bordo et Jeanne, 2002b : 3). Or, il convient de prciser que, mme dans un cadre de rationalit et dinformations parfaites la disposition des banques centrales, la dfinition dune bulle (sa cration, son ampleur et sa

  • 373PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    dure) repose sur des apprhensions fortement subjectives et quaucun moyen ne permet dvaluer, de manire totalement objective, la valeur fondamentale du prix dun actif financier ou dun actif rel.

    lappui des conclusions de Bernanke et Gertler (1999), Bordo et Jeanne (2002b : 8-12) proposent un argument supplmentaire, selon lequel les bulles financires ne vont pas toutes clater. Il ressort de leurs calculs que la probabilit quune bulle clate sur le march des actions nest que de 16,7 pour cent, ce qui est somme toute trs faible. Par contre, cette mme probabilit slve 55 pour cent pour les bulles concernant les actifs immobiliers. Aussi, certaines bulles nentra-nent-elles pas de rpercussions douloureuses sur lactivit conomique lorsquel-les clatent. Ce qui signifie que la dtection dune bulle ne suffit pas justifier lintervention des autorits montaires, ce dautant plus que la capacit des mod-les actuels distinguer entre les bonnes et les mauvaises bulles est faible (Fonds montaire international, 2009c : 7). La question qui doit proccuper les banquiers centraux nest donc pas tant lexistence dune bulle en tant que telle, mais la com-binaison dvnements se produisant dans le secteur rel et dans le secteur finan-cier (un niveau lev de crdit bancaire par rapport au revenu national, un niveau lev dendettement de tous les acteurs conomiques, un niveau lev des prix des actifs) qui exposent le systme financier un niveau de risque lev (Borio et Lowe, 2002 : 11).

    Cecchetti et al. (2000 : 22-36)11 rfutent les rsultats de Bernanke et Gertler (1999). Ils considrent une fonction de raction de la banque centrale comme celle utilise par Bernanke et Gertler (1999), tout en attribuant lcart de production un poids positif et gal lunit (contrairement au choix de Bernanke et Gertler, qui attribuent un coefficient de raction nul lcart de production), et laborent une fonction de perte pour chaque rgle de politique montaire (une rgle de poli-tique montaire qui vise uniquement la stabilit des prix et une rgle de politique montaire qui vise la stabilit des prix et la stabilit financire). Leur objectif est de choisir la rgle de politique montaire qui minimise la (fonction de) perte. Il ressort des calculs de Cecchetti et al. (2000 : 22-36) que la rgle optimale est celle qui intgre les prix des actifs. linverse de Bernanke et Gertler (1999), Cec-chetti et al. (2000) proposent ainsi une raction systmatique des autorits mon-taires aux variations des prix des actifs qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales. Ils prcisent que la banque centrale doit tre en mesure de bien estimer les msalignements des prix des actifs et de ragir diffremment en fonc-tion des chocs qui sont lorigine de ces msalignements. La raction des autori-ts montaires doit tre active et prventive en priode dexpansion afin de limiter lampleur des consquences de la bulle (Fonds montaire international, 2009a : 11). La prvention des crises dans le secteur bancaire est bien plus importante que dans dautres secteurs en raison des externalits qui caractrisent ce secteur. Les effets de dbordement qui se manifestent ds quune crise financire clate justi-

    11. Voir aussi Cecchetti et al. (2002 : 3-9).

  • 374 LACTUALIT CONOMIQUE

    fient une prvention des crises financires sur le plan international par une colla-boration accrue entre les banques centrales, alors que la gestion des crises devrait se faire au niveau national de par le cot lev quelle implique (Brunnermeier et al., 2009 : 51-52).

    Or, la difficult de bien dceler la prsence dune bulle a veill linquitude de plusieurs conomistes12. Non seulement les autorits montaires doivent dter-miner si la bulle conduit la cration dun risque systmique et un dsquilibre financier potentiel (Fonds montaire international, 2009a : 5), mais elles doivent galement veiller ne pas ragir trop rapidement aux fluctuations boursires afin dviter une intervention errone de la banque centrale. Dans ce cas, une mau-vaise raction de la banque centrale serait trs dstabilisante (Levieuge, 2005 : 324) et lourde de consquences en termes de perte de richesse pour le systme conomique. Cela entranerait de surcrot une perte de crdibilit de la banque centrale et de sa politique montaire.

    Plusieurs auteurs rejettent par consquent le point de vue de Cecchetti et al. (2000), parce que la dtection des msalignements dont il a t question prc-demment nest pas simple, ce dautant plus que la dtermination de la valeur fon-damentale des actifs relve de critres subjectifs (Selody et Wilkins, 2004 : 10). Qui plus est, lutilisation de linstrument dont disposent les banques centrales actuellement na pas deffets assurs : linfluence dune variation des taux dintrt directeurs sur les cours boursiers nest pas univoque. Linterprtation quen don-nerait le march financier est primordiale. Cela signifie aussi que la banque cen-trale na pas le contrle absolu sur les prix des actifs financiers, ce qui constitue une difficult supplmentaire au problme considr ici.

    Pour viter le risque dune mauvaise apprciation des dviations des prix des actifs de leur valeur fondamentale, ainsi que celui dune intervention trop rapide des autorits montaires, Cecchetti et al. (2002) proposent une intervention sur les taux dintrt directeurs, uniquement en cas de dviations marques des prix des actifs par rapport leurs valeurs fondamentales long terme, afin de sassurer que ces dviations auront des rpercussions importantes sur les grandeurs relles. Selon Cecchetti et al. (2002), les petites dviations ne semblent pas avoir deffets dstabilisateurs inquitants. Ces auteurs sont toutefois davis quil est ais de dtecter des dviations trs marques des prix des actifs sur le long terme telles que celles quont connues le Japon en 1989 et les tats-Unis en 2000.

    On peut conclure sur la base de ces dveloppements que moins les banques centrales sont en mesure destimer avec prcision les retentissements de la varia-tion des prix des actifs sur les grandeurs relles et plus elles sont tenues de ragir rapidement en rajustant les taux dintrt, moins il convient de classer la stabilit financire parmi les objectifs de la banque centrale car la probabilit que cette dernire commette une erreur dans ce cas est assez leve. Lintroduction dune

    12. Voir Trichet (2002 : 39).

  • 375PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    cible portant sur les prix des actifs financiers et des actifs rels dans la rgle de Taylor comporte une difficult norme pour les autorits montaires en raison des retentissements dune variation des taux dintrt directeurs sur lconomie toute entire et de la difficult dagrger les prix des diffrents actifs.

    2.2.4 Doit-on proposer une raction asymtrique par les banques centrales?

    tant donn les difficults que peuvent rencontrer les banques centrales lorsquelles doivent intervenir au moment de la naissance dune bulle pour amor-tir son impact, nous pourrions nous demander si une raction asymtrique, mais systmatique, de la part de la banque centrale serait justifiable. Un tel comporte-ment des autorits montaires a t qualifi de benign neglect dans la littra-ture. La banque centrale joue alors le rle de prteur en dernier ressort. Il sagit pour elle de rduire le taux dintrt directeur la suite dune baisse des cours boursiers, afin de limiter les pertes des agents et dviter que lconomie entre dans une phase de rcession. Ce comportement se justifie par le fait quune ven-tuelle injection de liquidits, qui est ncessaire lors dune instabilit financire, sera de trs courte dure et ne risque donc pas de se heurter aux objectifs macro-conomiques de la politique montaire portant sur un horizon temporel de moyen long terme.

    Lala moral provoqu par une intervention systmatique et asymtrique de la banque centrale risque en revanche dengendrer des comportements dstabilisa-teurs chez les investisseurs. Sachant que la banque centrale adoptera des politi-ques montaires accommodantes systmatiquement aprs tout effondrement des cours boursiers, les investisseurs seront tents de sengager dans des projets encore plus risqus et rendement lev. Ainsi, nous pourrions reprocher aux autorits montaires davoir contribu la cration dune bulle spculative (Illing, 2001 : 1; Trichet, 2002 : 39-40).

    Dautre part, si la banque centrale manque dintervenir face lmergence dune bulle pour une raison aussi simple que celle dune mauvaise apprciation de la situation, elle peut donner au march un signal trompeur, qui naurait pour consquence que dalimenter la bulle. Les agents pensent que la situation cono-mique et financire est saine, alors quelle ne lest pas, et sengagent dans des projets encore plus risqus. En rsum, le manque de clairvoyance de la part des autorits montaires aggrave le problme dala moral.

    3. veRs une nouveLLe peRspectIve dActIon

    Jusqu prsent, nous avons relev que les variations des prix des actifs bran-lent la fois la stabilit financire, conomique et montaire de lconomie natio-nale. La politique montaire est directement concerne par ces volutions et elle doit assurer un certain degr de stabilit des prix des actifs. Un relvement des taux dintrt directeurs dans la phase ascendante du cycle conomique permet de freiner leuphorie des intervenants sur les marchs financiers. Certes, lapplication

  • 376 LACTUALIT CONOMIQUE

    de cette politique naboutit pas ncessairement un rsultat optimal malgr le rle primordial que jouent les anticipations dans ce domaine. Nanmoins, long terme, une telle politique, si elle est clairement dfinie et mise en application de manire adquate, permet de transmettre aux marchs et au public un message clair, et de temprer loptimisme des agents. Or, une telle raction comporte beau-coup de difficults. La dtection de la bulle ainsi que lvaluation de ses rpercus-sions et du choc qui la alimente sont ncessaires. Mais la politique montaire aura immanquablement des rpercussions sur les prix des actifs dans un dlai relativement court, alors mme que les canaux quelle utilisera pour dployer ses effets ne sont pas encore dfinis. Le recours loutil habituel de la politique mon-taire peut reprsenter un grand inconvnient lorsque des drglements apparais-sent sur un march bien spcifique. Si laugmentation des taux dintrt directeurs aura probablement des consquences bnfiques sur le prix des actifs considrs (par exemple sur les actifs immobiliers lors dune bulle immobilire), elle psera cependant ngativement sur le cours des autres types dactifs dont le prix navait pas augment, ainsi que sur lconomie dans son ensemble.

    Pour pallier ce grand nombre de difficults, la proposition de Palley (2000, 2004) nous semble pertinente. Lauteur propose un systme de rserves obligatoires13 (ROBA) bases sur les actifs immobiliers et financiers figurant dans les bilans de lensemble des intermdiaires financiers, savoir banques, fonds de placement et compagnies dassurance. Il sagit ds lors de passer dun systme de rserves obli-gatoires bases sur les passifs (appliqu uniquement aux banques) un systme de rserves obligatoires bases sur les actifs (appliqu tous les intermdiaires financiers)14. Les intermdiaires financiers dtiennent des actifs en contrepartie des prts quils octroient ou par de simples oprations dachat de titres. Lobjectif dun systme ROBA consiste attribuer aux autorits montaires le droit dimpo-ser un ratio de rserves sur chaque type dactifs dtenus par les intermdiaires financiers, ainsi que sur les types de crdit que les banques accordent. Le montant des rserves requis sera dpos sans intrt auprs de la banque centrale. Le ratio de rserves peut varier en fonction de plusieurs critres tels que le niveau du ris-que support par un actif, la demande attache cet actif, et ainsi de suite. Laug-

    13. loppos de linstrument traditionnel de rserves obligatoires, le systme ROBA prescrit la dtention dactifs supplmentaires par (tous) les tablissements financiers en fonction de la compo-sition et du risque de (la totalit de) leurs actifs et non pas en fonction de la composition et du risque de leurs dettes (dpts bancaires). Le systme ROBA se diffrencie aussi des exigences rglementaires fixes actuellement dans le cadre des accords de Ble I et II (ainsi que des nouvelles exigences de dtention dactifs liquides contracycliques) par le fait que le systme ROBA lie la dtention dactifs liquides avec le risque de lactif lui-mme (et ce pour chaque type dactif) alors que les accords de Ble lient la dtention dactifs liquides (ladquation en fonds propres) avec le risque agrg encouru par ltablissement financier en question et le risque agrg encouru par les dbiteurs de ces tablisse-ments. Par ailleurs, le systme ROBA prescrit des ratios diffrents reposant sur chaque type dactif, loppos de la rglementation actuelle qui assigne un ratio fixe en fonction de la composition du por-tefeuille bancaire. Lapplication dun taux de rserves obligatoires (diffrent) tous les types dactifs et toutes les institutions financires dtenant des actifs devrait par la mme occasion dissuader ces institutions de mettre en uvre des stratgies de ramnagement de leurs passifs. 14. Pour une explication dtaille du fonctionnement dun tel systme, voir Palley (2004 : 47-54).

  • 377PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    mentation du ratio de rserves sur une catgorie spcifique dactifs tend diminuer leur rendement par rapport dautres catgories dactifs. Par consquent, les inter-mdiaires financiers leur prfreront dautres actifs plus rentables (Palley, 2000 : 7).

    Illustrons cette approche par deux exemples. Supposons que la Banque cen-trale europenne (BCE) ait dtect lexistence dune bulle immobilire Paris. Dans ce cas, elle donnera lordre la Banque de France dexiger que les banques aient en dpt chez elle un montant suprieur de rserves non rmunres en fonction du montant de crdit immobilier quelles octroient en loccurrence Paris. Ds lors, les banques franaises doivent avoir plus dun euro en rserve leur banque centrale pour octroyer un euro de crdit sur le march immobilier local. Dans ce but, elles vont augmenter le taux dintrt qui rmunre les crdits immobiliers, et ainsi rduire la demande pour les actifs immobiliers et freiner laugmentation des prix dans ce march. Les dsquilibres sur le march immo-bilier parisien sen trouveraient attnus, sans que la BCE nait augmenter les taux dintrt directeurs pour lensemble de la zone euro. Pour donner un autre exemple, supposons que, dans un pays donn, lon observe une forte tendance de la part des investisseurs (spculateurs) demander des prts spculatifs de court terme. Si lon augmente le ratio de rserves obligatoires sur les prts de court terme, les cots de lemprunt pour ce type doprations augmentent, ce qui permet de freiner, si ce nest dviter, les investissements spculatifs de court terme.

    Un pareil systme devrait permettre de remdier certaines des difficults dont il a t question prcdemment. Un systme ROBA devrait permettre, avant tout, de prserver une stabilit financire accrue, de par la diminution du risque associ aux diffrentes catgories dactifs. Il en rsulte une plus grande stabilit conomique, tant donn que la variation des dpenses dinvestissement et de consommation sera contrecarre. Enfin, la stabilit montaire serait prserve par le fait que la banque centrale nest plus tenue de manipuler les taux dintrt pour matriser la variation des prix des actifs. Cela permettrait aux banques centrales de lutter contre les instabilits sectorielles sans plus perturber lconomie entire. La banque centrale garderait linstrument des taux dintrt dans le but dassurer la stabilit des prix des biens et des services, et bnficierait dun nouvel instru-ment pour garantir la stabilit financire. Lefficacit de la politique montaire sen trouverait accrue pour deux raisons. Premirement, les autorits montaires pourraient ainsi influencer loffre de crdit. Deuximement, le rle de la banque centrale sur le march interbancaire augmenterait grce une extension de la demande de rserves en monnaie de banque centrale. Qui plus est, ce systme de ROBA reste entirement cohrent avec le systme de contrle montaire actuel, qui opre par des oprations de march ouvert (Palley, 2000 : 7-9; Palley, 2004 : 45-47).

    Un autre avantage de ce systme rside dans le fait que celui-ci agit en tant que stabilisateur automatique. Lorsque les prix des actifs augmentent, le systme ROBA gnre une restriction montaire automatique travers laccumulation des rserves que les institutions financires doivent dposer la banque centrale.

  • 378 LACTUALIT CONOMIQUE

    Inversement, en priode de rduction des prix des actifs, la diminution du ratio de rserves permet de librer les dpts prexistants, approvisionnant les tablisse-ments financiers en liquidit dans une phase o ceux-ci en ont le plus besoin (Palley, 2000 : 7-8).

    Lapplication dun tel systme acquitte lautorit montaire de la lourde tche de la dtection au pralable de lmergence dune bulle, dans le cas o celle-ci serait tenue dagir de manire prventive travers sa politique des taux dintrt. La banque centrale doit, certes, toujours dtecter lapparition des bulles spcula-tives15, mais la variation du ratio de rserves devient un instrument beaucoup moins contraignant et moins consquent que la manipulation des taux dintrt. Les inconvnients relatifs une variation des taux dintrt dans le but damortir limpact dune bulle spculative seraient ainsi carts. Parmi ces inconvnients, nous pouvons mentionner les effets nfastes dune telle politique sur les dpenses dinvestissement et de consommation des agents conomiques, ainsi que la dimi-nution des liquidits en circulation dans le pays. Autant dlments qui aggravent la situation de dtresse dans laquelle se trouve le pays. Nous pouvons encore citer, comme autre inconvnient, lincertitude quant limpact dune augmentation du taux dintrt directeur sur les cours boursiers. Le systme ROBA ajout aux ins-truments dont disposent dj les banques centrales16 permettrait ces dernires datteindre non seulement leurs objectifs traditionnels, mais aussi lobjectif de la stabilit financire, tout en prservant un degr lev de transparence et de crdi-bilit face au public.

    Cette approche offre des avantages qui la rendent trs intressante. Nan-moins, une telle proposition repose sur un grand nombre dhypothses quil reste vrifier en pratique. Premirement, la variation du ratio des rserves requis doit tre dtermine partir dune rgle prcise, simple, claire et facilement compr-hensible par tous les agents conomiques. Qui plus est, lvaluation des prix des actifs est problmatique et leur estimation trs subjective. Les critres dapprcia-tion de la sous- ou survaluation dun actif dpendent du type mme dactif, du

    15. Borio et Lowe (2002) font ressortir, partir dune tude empirique, au moins trois varia-bles ( savoir, lexpansion du crdit par rapport au PIB, une accumulation du capital suprieure la moyenne et de larges oscillations des prix des actifs) qui peuvent tre utilises par les autorits mon-taires en tant quindicateurs servant dtecter les dsquilibres ex ante. Les auteurs montrent que la combinaison de ces variables provoque des tensions sur les marchs financiers et dans lconomie relle. 16. La critique (voir Johnson, 1968) mettant en exergue linefficacit et les distorsions induites par lapplication de linstrument des rserves obligatoires ne sapplique pas dans ce contexte. En effet, linstrument des rserves obligatoires nest pas utilis ici afin de matriser le taux de croissance de la masse montaire, conformment lobjectif que les banques centrales ont longtemps poursuivi sur la base des thories montaristes. Utilis cette fin, cet instrument serait entirement inefficace. Par contre, Palley (2000, 2004) recommande cet instrument dans le but dinfluencer la rentabilit des actifs dtenus par les institutions financires (bancaires et non bancaires) sans aucune considration lie la thorie quantitative de la monnaie. Aprs ladoption dun systme ROBA, la banque centrale poursuivra des oprations dfensives qui ont pour objet daccorder loffre de monnaie de banque cen-trale la demande de monnaie centrale, sans exercer aucun pouvoir sur la quantit dunits montaires en circulation dans lensemble de lconomie nationale.

  • 379PRIX DES ACTIFS ET POLITIQUE MONTAIRE : ENJEUX ET PERSPECTIVES...

    secteur de lindustrie concern et dautres lments. Cela revient dire quil fau-drait considrer des critres diffrents selon quon analyse lvolution dun actif financier du secteur de la mtallurgie ou du secteur de la biochimie, par exemple.

    Le fait que certaines firmes soient actives dans plusieurs secteurs en mme temps pose un autre problme. Lorsque le cours de leurs actions est (ou suppos tre) survalu, le systme ROBA pnalise lentreprise toute entire, quel que soit le secteur qui a dclench laugmentation du prix de ses actions. En outre, le degr avec lequel il faut modifier le ratio de rserves afin descompter leffet souhait sur le prix dun actif spcifique nest pas connu lavance. Cet effet sera fonction de llasticit de la demande de lactif en question par rapport au taux dintrt qui laffecte. cela sajoutent les comportements stratgiques des banques secondai-res. Afin de garder la demande de crdit intacte, ces dernires pourraient mainte-nir des taux dintrt inchangs en priode de boom conomique car elles anticipent des rendements quasi certains, mme si cela se fait au prix dune dimi-nution de leur marge bnficiaire. Dans ce cas, les banques misent plutt sur la quantit que sur la qualit des prts. Par ailleurs, les types de comportement, ainsi que le degr de rationalit, dinformation et daversion au risque des agents co-nomiques intervenant sur les marchs financiers, sont des lments influenant lvolution des cours boursiers. Les banques centrales devraient ainsi mettre davantage laccent sur la transparence et la clart de leurs politiques montaires. Elles devraient divulguer continuellement au public linformation relative la situation boursire et les mesures quelles vont prendre pour atteindre leurs objec-tifs. La priode partir de laquelle lapplication de leurs politiques sera exerce devrait aussi tre annonce et respecte.

    Une autre difficult dans lapplication dun systme ROBA rside dans le fait que les autorits de surveillance financire devraient en tout temps connatre lac-tif des bilans des institutions financires. Cela demande un degr de transparence qui, lheure actuelle, nest pas assur. Somme toute, la mise en uvre dun tel systme de rserves obligatoires demande un effort juridique et administratif considrable, ainsi quune meilleure collaboration entre les autorits montaires et les autorits de surveillance financire sur le plan international. Afin dcarter toute possibilit dvasion juridictionnelle, lapplication dun systme ROBA doit notamment stendre lensemble des pays et doit concerner tous les intermdiaires financiers. Cet enjeu est colossal.

    concLusIon

    La forte corrlation qui existe entre, dune part, la stabilit financire et, dautre part, la stabilit montaire et macroconomique, justifie linclusion de la stabilit financire parmi les objectifs dune banque centrale (Fonds montaire international, 2009b : 5; Group of Thirty, 2009 : 36) et une coopration plus troite entre les autorits montaires et les autorits de surveillance financire (Borio et Lowe, 2002 : 1). Les banques centrales devraient avoir un rle important dans toute dcision concernant un changement des politiques prudentielles, mais

  • 380 LACTUALIT CONOMIQUE

    aussi un rle de superviseur lgard des plus grandes institutions bancaires sus-ceptibles dinduire un risque systmique (Group of Thirty, 2009 : 36). Cet article a prsent un survol de la littrature existant ce sujet et a analys la pertinence et la faiblesse de quelques propositions de rforme formules cet gard.

    La complexit du problme trait rend difficile le dgagement dune solution optimale. Parmi les propositions dveloppes dans cet article, celles de Cecchetti et al. (2000) et Palley (2000) ont retenu notre attention. La proposition de Cec-chetti et al. (2000) se distingue par la simplicit de sa mise en application, mais elle se heurte des difficults relatives la dtection titre prventif des bulles spculatives, aux lments dclencheurs de ces bulles, ainsi quaux incertitudes des rpercussions de la politique montaire sur le systme financier. La principale critique qui nous amne finalement rejeter la proposition de Cecchetti et al. (2000) porte sur le caractre non souhaitable dune politique montaire qui pna-liserait lconomie toute entire afin de pallier des dsquilibres mergeant dans des secteurs spcifiques. La proposition de Palley (2000) offre ce propos une solution, semble-t-il, plus judicieuse. Lapplication dun systme ROBA comporte un grand nombre davantages tant sur le plan macroconomique que sur le plan microconomique. Nanmoins, son application requiert une restructuration pro-fonde de la rglementation financire et du cadre lgal concernant la sphre finan-cire, ainsi quun degr de coopration lev entre les autorits montaires et les institutions prposes la surveillance financire dans les pays. Son application serait bien plus efficace si elle tait accompagne par une restructuration compta-ble du systme bancaire sparant les oprations bancaires en deux dparte-ments au sens du Bank Charter Act adopt en 1844 au Royaume-Uni. La sparation entre les oprations montaires, qui consistent en une mission duni-ts montaires chaque fois quun paiement a lieu (Dpartement I), et les opra-tions financires, qui consistent en lutilisation des dpts bancaires prexistants pour octroyer des crdits aux clients remplissant toutes les exigences de solvabi-lit (Dpartement II), est indispensable ds lors que toute confusion entre ces deux types doprations induit moyen, voire long terme, une augmentation des prix des biens et services et/ou des actifs rels ou financiers. La structure comp-table des institutions bancaires devrait ds lors tre modifie, afin dviter quune crise systmique se reproduise (voir Rossi, 2010).

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