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Trimestriel Hiver 2014 2 www.rsf.org LA REVUE DE REPORTERS SANS FRONTIÈRES POUR LA LIBERTÉ DE L’INFORMATION - N°09 SANJUANA MARTINEZ : « RSF M’A SAUVÉ LA VIE PLUS D’UNE FOIS » ÉTHIOPIE L’EXODE DES « PLUMES INDOMPTÉES » PRIX REPORTERS SANS FRONTIÈRES

pRIx REpoRTERS SANS FRoNTIÈRES SANJUANA MARTINEZ : « … · a décerné le Prix pour la liberté de la presse 2014 à la journaliste mexicaine Sanjuana Martinez pour son engagement

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TrimestrielHiver 2014

2 € www.rsf.org

La revue de reporTers sans fronTières pour La LiberTé de L’informaTion - n°09

SANJUANA MARTINEZ : « RSF M’A SAUvé lA vIE plUS d’UNE FoIS »

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l’ExodE dES « plUMES INdoMpTéES »

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2 reporters sans frontières

En vUES

1. BAyEUx oU l’HoMMAgE AUx JoURNAlISTES dISpARUS

Le secrétaire général Christophe Deloire a dévoilé le 9 octobre 2014 à Bayeux la stèle des 113 noms de journalistes tués entre avril 2013 et août 2014. Un hommage particulier a été rendu à six d’entre eux : James Foley, décapité le 19 août par le groupe État islamique ; Camille Lepage, victime d’une fusillade en mai en Centrafrique ; Anja niedringhaus, photographe allemande tuée en avril en Afghanistan ; Sardar Ahmad, abattu en Afghanistan en mars avec sa femme et deux de ses enfants par un commando taliban ; Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes à RFI assassinés au Mali en novembre 2013.

2. #FIgHTIMpUNITy

À l’occasion du 2 novembre 2014, première édition de la « Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes », Reporters sans frontières a lancé une campagne internationale intitulée #FightImpunity afin de faire pression sur les autorités pour traduire en justice les responsables de crimes contre les journalistes. La campagne se décline à travers dix cas d’impunité – torture, disparitions, assassinats -, et pointe du doigt les manquements des systèmes judiciaires et policiers. Les internautes ont pu agir à titre personnel en s’adressant directement par message électronique ou tweet aux chefs d’État ou de gouvernement des pays concernés.

3. RSF ET dES dIgNITAIRES MUSUlMANSdéNoNcENT lES cRIMES dE l'éTAT ISlAMIqUE coNTRE lES JoURNAlISTES Après les assassinats des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff par le groupe État islamique, Reporters sans frontières a initié un appel soutenu par des dignitaires musulmans pour condamner les crimes de guerre perpétrés par le groupe djihadiste à l’encontre des journalistes locaux et étrangers. Huit organisations islamiques - Égypte, Qatar, Indonésie, France, Grande-Bretagne, États-Unis et Canada - ont ainsi dénoncé l’instrumentalisation de l’islam par le groupe EI à des fins politiques et expansionnistes.

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iTo

Á l’heure où j’écris ces lignes, 40 journalistes professionnels sont morts en Syrie depuis mars 2011, tués dans l’exercice de leur profession. Dans le même temps, 132 citoyens syriens, reporters de circonstance, ont payé de leur vie le fait d’avoir voulu servir eux aussi une information vérifiée et vérifiable. Tous sont morts pour avoir tenté de raconter au monde les exactions commises dans ce pays par les soudards du groupe État islamique et de Bachar Al-Assad. Reporters sans frontières dispose d’un statut consultatif aux nations unies ; elle s’en sert. Il y a huit ans, en 2006, notre OnG a œuvré en faveur de l’adoption de la résolution 1738 par le Conseil de sécurité. Ce texte est le premier que l’OnU ait consacré au respect et à la protection des journalistes et de leurs accompagnants dans les conflits armés. Ces dix dernières années, près de 800 d’entre eux ont péri dans l’accomplissement de leur mission. Beaucoup d’autres ont subi blessures et tortures. Dans neuf cas sur dix, ces crimes sont restés impunis (*). C’est peu dire que l’application de la résolution 1738 demeure insuffisante. Il n’en reste pas moins qu’elle forme désormais le socle d’une construction juridique sur laquelle s’appuie RSF et son secrétaire général Christophe Deloire pour tenter de mettre fin à l’impunité. L’action de l’organisation s’attache à présent à faire amender l’article 8 du statut de la CPI afin que les attaques délibérées contre les journalistes soient qualifiées de « crimes de guerre ». Ceux qui assassinent la liberté d’informer narguent les institutions internationales et les États qui les composent. De Syrie et d’Irak, ils cherchent à susciter l’effroi. Via le Web, ils attirent de partout les candidats au djihad ; aimantés par les promesses des djihadistes, de jeunes Occidentaux entrevoient la possibilité de s’affirmer quand leur existence présente leur apparaît très grise, et leur avenir plus sombre encore.

Qu’il s’agisse du chômage de masse, du creusement des inégalités, de l’opacité des circuits financiers, de l’impuissance récurrente de la communauté des nations face aux régimes dictatoriaux, de la permanence du conflit israélo-palestinien (l’énumération, hélas, n’a pas de fin), les maux du monde forment un terreau fertile dans lequel les barbares se plaisent à planter leurs racines.Il n’est pas nécessaire de se référer aux années 1930 pour s’en convaincre. Voilà pourquoi, sans renoncer à rapporter les atrocités commises à des milliers de kilomètres de nos foyers en paix, les médias ont l’impérieux devoir de pointer et d’explorer les maux qui grandissent ici, dans l’ombre de nos sociétés démocratiques si fragiles. Coûte que coûte, derrière toutes les frontières (qu’elles soient géographiques ou sociales), les journalistes doivent pouvoir témoigner. Sur tous les territoires en crise autant que devant l’OnU, Reporters sans frontières se bat avec détermination, constance, et sans dévier de son cap. Dans cet inlassable combat pour une information libre, RSF s’apparente à un médecin urgentiste qui traiterait les conséquences d’un grave accident de la route et qui plaiderait dans le même temps en faveur d’une modification des infrastructures routières. C’est la grandeur de sa mission.

Alain Le Gouguec (*) fightimpunity.org

Face à la barbarieAlain Le Gouguec I Président du Conseil d'administration de Reporters sans frontières

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« Je conçois le Journalisme comme social et citoyen »

GRAnD ANglE

De gauche à droite : Cletus Nah, représentant de Frontpage Africa, lauréat dans la catégorie « Média », Sanjuana Martinez, lauréate de la catégorie « journaliste », Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, et Balbina Flores Martínez, Correspondante au Mexique de Reporters sans frontières, lors de la cérémonie du prix Reporters sans frontières TV5Monde pour la liberté de la presse, à Strasbourg, le 5 novembre 2014.

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GRAnD ANglE

p riX rs f-Tv5monde pour La L iberTé de La presse

Virginie Dangles I Adjointe à la direction des programmes

Lors d’une cérémonie organisée à Strasbourg le 5 novembre 2014, Reporters sans frontières a décerné le Prix pour la liberté de la presse 2014 à la journaliste mexicaine Sanjuana Martinez pour son engagement en faveur des femmes et des enfants victimes de maltraitance. La journaliste livre à RSF sa vision d’un journalisme citoyen au service des plus démunis.

Vous venez de recevoir le Prix RSF 2014 qui salue votre engagement en faveur de la liberté de l’information. Que représente pour vous cette distinction ?C’est un honneur pour moi. Reporters sans frontières est très respectée au Mexique. L’organisation, à travers le combat de Balbina Flores, {nDLR : correspondante de RSF au Mexique} a sauvé la vie de plusieurs journalistes. Moi-même, j’ai été sauvée plus d’une fois par l’organisation, notamment quand j’étais en prison en 2005. Ce prix, je le partage avec tous mes confrères mexicains qui s’évertuent à améliorer la situation des droits de l’homme au Mexique en dépit des risques qu’ils courent chaque jour.

Pour avoir dénoncé des cas de corruption ou de pédophilie au sein de l’Église catholique, vous avez fait l’objet de menaces. Comment vit-on quand on sait que sa tête est mise à prix ?Lorsque j’ai publié mes deux premiers

livres sur les actes de pédophilie dans le clergé, l’archevêque de Mexico a exigé que je fasse des excuses publiques à l’Église catholique, ce que j’ai bien évidemment refusé de faire. Les pressions ont alors commencé : des appels en pleine nuit, des mails d’insultes et de menaces de mort. J’ai porté plainte mais il n’y a pas eu d’enquête. Je me suis sentie fragile, vulnérable, mais pas une seconde je ne me suis dit que j’allais arrêter mon combat. En guise de réponse à ces menaces, j’ai écrit un troisième livre.

Vous avez été correspondante en Europe puis aux États-Unis. Face à la violence à laquelle vous avez été confrontée, vous auriez pu faire le choix de quitter votre pays…J’ai été correspondante de la revue Proceso à Madrid et à Londres, puis j’ai vécu en Californie. De retour au Mexique en 2005, j’ai été choquée de voir à quel point mon pays était devenu

dangereux pour les journalistes. Mais ce qui m’a le plus dérangée, c’est le silence autour de ces centaines d’assassinats, d’agressions et de médias vandalisés. Beaucoup de confrères s’autocensurent par peur de représailles. Après avoir perdu un ami journaliste, tué de 26 coups de poignard devant son domicile, j’ai décidé d’écrire pour dénoncer cette omerta, cette hypocrisie. Le journalisme ne se limite pas à informer, il doit œuvrer pour l’amélioration de la société et le respect des droits de l’homme. C’est une question de dignité. Je conçois le journalisme comme social et citoyen, et en cela, je ne pourrai plus jamais quitter mon pays.

Comment expliquez-vous cette accroissement de la violence au Mexique ces dernières années ?Avant 2006, il y avait plusieurs cartels de drogue bien identifiés. En décidant de déclarer la guerre

MEXIQUESuperficie : 1 972 550 km²Population : 122,3 millions (2013)Capitale : MexicoChef de l’état : Enrique Peña nieto

152e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2013

Mexico

« Je conçois le Journalisme comme social et citoyen »

« reporters sans Frontières m’a sauvé la vie plus d’une Fois »

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GRAnD ANglE

aux cartels, le président de l’époque, Felipe Calderón, a favorisé leur diversification. Désormais, les activités des cartels sont plus nombreuses, plus insidieuses. La corruption a gagné du terrain et la connivence entre mafia et politique est très forte. Les barons de la drogue décident de qui sera gouverneur de telle ou telle province, quand ils ne se nomment pas eux-mêmes. Les hommes politiques sont responsables de cette violence faite aux journalistes. 60% des crimes commis contre des professionnels

des médias sont l’œuvre de la police, des militaires et des officiels. Dans un tel contexte, l’impunité est reine, la protection des journalistes une chimère.

Le fait d'être une femme journaliste influence-t-il la manière de travailler?Oui, c’est encore plus compliqué pour une femme d’être journaliste au Mexique. Les menaces sont terribles. Une violence sexuelle pèse sur elles. Beaucoup de mes amies et moi-même avons été menacées de viols et de

torture. Pourtant, de plus en plus de femmes enquêtent sur le crime organisé, le marché de la prostitution, les mères de disparus… En fait, les femmes traitent de la violence sous des angles différents de ceux que privilégient les hommes.

Le quotidien libérien Frontpage Africa a reçu le Prix RSF 2014 pour ses reportages mettant en lumière de nombreuses affaires de corruption et de népotisme dans les classes dirigeantes du Liberia. Ce média d’investigation rigoureux s’est récemment illustré par sa couverture complète et qualitative de l’épidémie d’Ebola qui ravage une partie de l’Afrique de l’Ouest. Premier net-citoyen récompensé par le Prix RSF, Raef Badawi est un blogueur saoudien de 32

ans,cofondateur du site internet Liberal Saudi Network, un réseau de discussions en ligne dont l’objectif est d’encourager les débats politiques, religieux et sociaux en Arabie saoudite. Ce site internet lui a valu d’être arrêté en juin 2012 et d’être accusé d’« insulte à l’islam ». Le 1er septembre 2014, la cour d’appel de Riyad le condamnait à dix ans de prison ferme, 1 000 coups de fouet ainsi qu’à une amende d’un million de rials saoudiens (environ 200 000 euros).

FRoNTpAgE AFRIcA ET RAEF BAdAwI RÉCOMPEnSÉS

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les Journalistes étrangers, persona non grata en papouasie occidentale

Pourquoi la police indonésienne n’a-t-elle pas immédiatement expulsé les reporters Thomas Dandois et Valentine Bourrat, après les avoir arrêtés le 6 août 2014 en plein cœur de la Papouasie alors qu’ils enquêtaient sur le conflit armé entre séparatistes papous et forces de sécurité ? Cette question taraude l’équipe de Reporters sans frontières mais aussi de nombreux journalistes indonésiens spécialistes de la province de Papouasie. Selon eux, la sensibilité du sujet couvert par les deux reporters ne suffit pas à expliquer leur détention prolongée. Certains membres de l’Association des journalistes indépendants (AJI), la principale organisation de presse indonésienne, estiment que Thomas Dandois et Valentine Bourrat « ont été instrumentalisés à des fins politiques ».

Pour comprendre les raisons de cette procédure judiciaire, il faut remonter au 5 juin 2014, quelques semaines avant l’élection présidentielle. Ce jour-là, le candidat et futur président Joko Widodo annonce qu’en cas de victoire,

il ouvrira la Papouasie aux journalistes et organisations de la société civile. Pour les militaires qui dirigent la région d’une main de fer, et à l’abri des regards, cet engagement oral sonne comme une remise en cause de leur légitimité et de leur domination dans la région, mais aussi comme une menace à l’encontre des activités illégales dont ils tirent parti, telle la déforestation.

Les circonstances préfigurant la détention des journalistes constituent une autre partie de la réponse. Le 29 juillet, soit neuf jours avant l’arrestation des deux reporters, deux policiers sont abattus lors d’une embuscade par des séparatistes à quelques kilomètres de la ville de Wamena, où les journalistes sont alors basés. Leur arrestation survient alors que la police est déjà en état d’alerte maximale. Au moment de leur interpellation, l’impossibilité pour les journalistes de prouver leur identité – ils n’avaient pas de carte de presse – a également instauré un doute dans l’esprit déjà échauffé des forces de sécurité.

Intervenant en pleine transition politique, RSF a œuvré à la libération de Thomas et Valentine en mobilisant l’opinion locale et internationale, notamment à travers une pétition qui a récolté plus de 8 000 signatures. Le déplacement à Jakarta du responsable du bureau Asie-Pacifique de l’organisation fin septembre et les actions de plaidoyer consécutives, relayées par la presse internationale et indonésienne, ont finalement contribué au retour des journalistes, néanmoins reconnus coupables et condamnés pour « violation de visa ».

En condamnant Thomas Dandois et Valentine Bourrat à deux mois et demi de prison, les autorités ont cherché à faire passer un message dissuasif à destination de tous les journalistes étrangers et des OnG de défense des droits de l’homme. Malheureusement pour eux, leur action n’aura eu pour effet que d’augmenter l’intérêt des médias pour la province et le conflit qui s’y déroule.

83 jours de détention, un procès et une condamnation à de la prison ferme pour un reportage effectué sans visa de presse. Que cache réellement la mésaventure policière et judiciaire des deux journalistes français Thomas Dandois et Valentine Bourrat ?

Benjamin Ismaïl I Responsable du bureau Asie

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Valentine Bourrat et Thomas Dandois au siège de Reporters sans frontières.

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ASSISTANcE

Martial Tourneur I Responsable du bureau Assistance

l’exode des « plumes indomptées »é T H i o p i e

Reporters sans frontières et le Committee to Protect Journalists se sont également entretenus avec des représentants du Haut commissariat pour les réfugiés des Nations unies et du ministère de l’Intérieur kenyan au cours de la mission. Les organisations les ont exhortés à œuvrer à un traitement rapide des demandes de protection des journalistes et à examiner la possibilité pour eux de bénéficier d’une réinstallation

dans un état sûr dans les meilleurs délais.De retour de mission, RSF et le CPJ ont partagé les informations relatives aux besoins de soutien matériel et financier récoltées sur le terrain avec une dizaine d’ONG de soutien aux journalistes et défenseurs des droits humains, afin que les besoins urgents de chacun soient couverts.

The untamed pens - les plumes indomptées. C’est le titre d’un documentaire diffusé le 25 août 2014 sur la chaîne d’État ETV. Dans ce film, le gouvernement éthiopien intente un procès public aux six principaux magazines et journaux privés du pays. Musique anxiogène à l’appui, les journalistes d’Addis Guday, d’Enku, de Fact, Jano, Lomi et de The Afro-Times sont présentés comme des criminels par la propagande d’État. Au cours des 55 minutes du documentaire, les témoignages de pseudo-experts et figures du journalisme éthiopien sont formels. Ces journalistes-là déstabilisent l’État, appellent à la révolte contre les institutions, encouragent le terrorisme... « Indomptés » ! Le message est clair : les journalistes indépendants n’ont pas le droit de cité en Éthiopie, la presse doit être dressée, domptée. Deux films semblables avaient précédé, en juillet, l’annonce de l’ouverture de poursuites judiciaires contre les six médias par le ministère de la Justice éthiopien,

le 5 août 2014. Ce communiqué précipitera le départ d’une vingtaine de journalistes, qui craignent de subir le même sort que les six blogueurs du collectif Zone 9 et leurs trois confrères, détenus depuis six mois en vertu de la loi antiterroriste. Les journalistes « indomptés » avec lesquels nous nous sommes entretenus dans la capitale kenyane en octobre 2014 n’ont pourtant rien de fauves. L’inquiétude qui se lit dans leurs regards est celle de la proie, non du prédateur. Réfugiés à quelques centaines de kilomètres d’Addis-Abeba, au Kenya voisin, les journalistes continuent de craindre pour leur sécurité. « Les deux pays sont amis, nairobi est comme une seconde maison pour le gouvernement éthiopien. Il y a quinze jours, deux opposants politiques qui avaient fui au Kenya ont été expulsés vers Addis », nous confie l’un de ces journalistes.Regroupés entre collègues d’une même rédaction, ils nous reçoivent dans les appartements exigus qu’ils ont pu trouver.

Assis sur des matelas posés à même le sol de la pièce principale qui fait aussi office de chambre, ils nous racontent leur parcours, des mises en garde aux campagnes de dénigrement, du dénigrement aux poursuites judiciaires, des poursuites à l’exil. Le tableau de la liberté de la presse qu’ils nous dépeignent avant notre départ est affligeant. « Il ne reste désormais personne pour offrir à la population un regard critique de la situation dans le pays. Un seul magazine privé subsiste, mais il traite de la mode, pas de l’actualité. D’autres collègues songent à nous rejoindre. Les élections législatives approchant (nDLR : mai 2015), ils savent que le climat va continuer à se dégrader », ajoute l’un d’entre eux. Le 7 octobre 2014, les propriétaires des magazines Addis Guday, Lomi et Fact ont été condamnés par contumace à plus de trois ans d’emprisonnement.

Reporters sans frontières et le Committee to Protect Journalists sont partis du 5 au 10 octobre 2014 à la rencontre de plus de 20 journalistes éthiopiens contraints de fuir la répression pour le Kenya.Nairobi

Addis-AbebaETHIopIE

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ASSISTANcE

c e n T r a f r i Q u e

sécurité sans Frontières

Reporters sans frontières a organisé, du 9 au 12 septembre 2014, une formation à la sécurité physique pour 26 journalistes centrafricains à Bangui. Venus de tout le pays, les journalistes ont été sensibilisés aux mesures à prendre pour se protéger dans l’exercice de leurs fonctions. Une formation essentielle alors que le conflit centrafricain continue de faire rage.

Cléa Kahn-Sriber I Responsable du bureau Afrique

« Bangui la coquette », le panneau au sortir de l’aéroport porte désormais mal son nom. Depuis 2013, la capitale centrafricaine est en proie à un conflit armé entre les milices anti-balaka et celles de la Séléka.

Venue dispenser une formation sur la sécurité physique à des journalistes centrafricains, l’équipe de RSF traverse le quartier musulman PK5 de la capitale. Là, les cicatrices des affrontements communautaires sanglants qui ont déchiré Bangui sont toujours visibles. Intercalés entre les magasins, les trous béants où se trouvaient les maisons appartenant à des musulmans n’abritent plus que des amas de pierres calcinées sur lesquels quelques chèvres paissent. néanmoins, le marché a rouvert. La foule circule entre les étals, les mamans accroupies par terre vendent des mesures d’huile de palme rouge, des hommes en djellaba adossés aux murs regardent les passants. nous ne le savons pas encore mais d’ici quelques semaines, ce calme de surface sera rompu et les affrontements reprendront dans Bangui. La formation sur la sécurité physique des journalistes que nous sommes sur le point d’amorcer est d’actualité. Les journalistes ont payé un lourd tribut à la crise qui a embrasé le pays en décembre 2012. Pris en étau entre les représailles des milices chrétiennes et musulmanes,

au moins trois journalistes ont été tués en raison de leur profession, des dizaines d’autres sont partis en exil. Plusieurs ont simplement cessé de pratiquer leur métier, devenu trop dangereux. C’est à leur demande que Reporters sans frontières a décidé de dispenser cette formation. Venus de tout le pays, les 26 participants n’ont pas hésité à braver des conditions difficiles pour être présents : l’un d’eux est arrivé à l’issue de deux journées entières de moto. L’enthousiasme est palpable et les attentes sont grandes au matin du premier jour. Dans l’enclos de la faculté de théologie où se déroule la formation règne un calme claustral qui permet d’oublier un temps la tension de la ville. Au programme de la journée, un cours dense et concret : comment négocier son passage à un checkpoint ? Comment couvrir une manifestation ? Comment repérer si la

sécurité d’une arme est enclenchée ou non ?Beaucoup d’entre eux ont déjà de bons réflexes de protection. Le dialogue est aussi l’occasion pour les participants de nous livrer leurs histoires. Le récit de Déogratias est glaçant. Le journaliste nous raconte qu’il a dû se cacher plusieurs heures dans le faux plafond d’une chapelle pendant que des miliciens y massacraient les habitants venus s’y réfugier, après avoir brûlé la radio et tout son équipement. Tous ont subi des menaces, des intimidations. Arrive l’exercice ultime : comment la plume ou le micro d’un journaliste peut-il le protéger ? Les participants doivent écrire sur un affrontement entre deux groupes armés. Le critère de réussite est simple : comment construire un papier équilibré afin que les personnes concernées ne réagissent pas violemment contre l’auteur de l’article ?

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Un véhicule militaire à Bangui.

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DAnSl’AcTU

Reporters sans frontières est fière de s’associer à la revue de la national Geographic Society qui s’est imposée comme une des publications les plus originales au monde. Depuis plus d’un siècle, les scientifiques, photographes, rédacteurs et explorateurs arpentent la planète, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur la vie sauvage. Leurs images toujours plus fortes aident le lecteur à mieux appréhender la complexité des questions environnementales et suscitent le désir et la détermination de préserver la faune et la flore. « La curiosité pour la diversité de la vie est au fondement du journalisme, de tous les journalismes, dans la politique, l’économie, la culture, la science, le sport, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de

Reporters sans frontières. Mais elle ne serait pas complète si elle ne se portait pas aussi aux formes animales et végétales. »Dans cet album, Reporters sans frontières entraîne également le lecteur à la rencontre d’héroïnes comme Sanjuana Martinez, lauréate mexicaine du prix RSF pour la liberté de la presse 2014. L’organisation propose des articles inédits sur la situation de la liberté de la presse en Russie, en Gambie ou au Costa Rica, un hommage de Didier François, grand reporter à Europe 1 et ancien otage en Syrie, à son compagnon de geôle, James Foley, assassiné par le groupe État islamique en août dernier. Le lecteur pourra également découvrir l’hommage que rend l’écrivain et journaliste Franz-Olivier Giesbert au monde animal et le témoignage exclusif du journaliste italien

Roberto Saviano, qui a pris tous les risques pour dénoncer la mafia napolitaine.Distribué en réseaux presse et librairies, l’album est vendu 9,90 euros. Les recettes permettent de financer des actions en faveur de la liberté de la presse, notamment des bourses d’assistance, le prêt de gilets pare-balles pour les journalistes partant en zone de guerre ou encore la mise en place de formations sur la cybersécurité. Le modèle économique de Reporters sans frontières est singulier parmi les OnG : les ventes d’albums représentent plus du tiers des ressources de l’association.100 photos de National Geographic pour la liberté de la presse sera en vente chez votre libraire et marchand de journaux le 4 décembre au prix de 9,90 €.

Les photographes de National Geographic s’engagent auprès de Reporters sans frontières en lui faisant cadeau de 100 images éblouissantes qui révèlent les merveilles de notre planète. De la banquise de l’Antarctique, jusqu’aux profondeurs de l’océan Arctique, en passant par les forêts d’Indonésie l’album 100 photos pour la liberté de la presse embarque le lecteur à la rencontre d’une faune et d’une flore aussi fascinantes que fragiles.

national geographic s’engage auprès de rsF pour son album de noël

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NoUvEAUx MédIASrsF Forme onze Journalistes et

net-citoyens turcs à la sécurité numérique

L’organisation a profité de sa présence au Forum sur la gouvernance d’Internet à Istanbul pour former onze journalistes et net-citoyens turcs à la sécurité numérique. Cette formation, la première du projet Libnet, s’inscrit dans un contexte d’intensification de la censure et de la surveillance du Net en Turquie. 2014 a été marquée par le blocage de Twitter, YouTube et de nombreux sites d’information.

T u r Q u i e

Venus des quatre coins du pays, les participants sélectionnés par Bianet, l’association partenaire de Reporters sans frontières en Turquie, représentaient un large échantillon de la presse locale : net-citoyens et journalistes d’agences de presse et de médias notamment kurdes et arméniens. Confrontés à la politique de plus en plus répressive des autorités turques, ces journalistes ont appris, à travers cette formation très concrète, à contourner la censure, chiffrer leurs données, protéger leurs sources et choisir des mots de passe robustes… Autant d’outils nécessaires pour protéger ses documents et effacer ses traces en ligne. L’objet de la formation ? Enseigner l’installation et le maniement de logiciels de chiffrement, que ce soit sur ordinateur ou téléphone portable. Reporters sans frontières a ainsi installé sur les postes des journalistes des accès à son serveur VPn, outil permettant de contourner le blocage de sites internet. L’organisation a également distribué des boîtiers qui, une fois branchés sur un réseau informatique, permettent à tous les ordinateurs connectés d’accéder à Internet de manière sécurisée et anonyme. Dans une rédaction, une

centaine d’ordinateurs peuvent ainsi bénéficier de cette connexion sécurisée. « Avant cette formation, nous manquions de connaissances. Désormais, ignorer la nécessité de se protéger en ligne serait de la stupidité », a déclaré l’un des journalistes présents, saluant l’utilité de cette session.

Cascade de mesures liberticidesUne formation plus que nécessaire au vu du contexte actuel en Turquie. Une cascade de mesures liberticides s’est abattue sur le net depuis le début de l’année 2014. Les amendements successifs à la loi sur internet n°5631 ont élargi les motifs de blocages administratifs de sites internet. Pire, les pouvoirs de surveillance des services secrets (MIT) ont été à tel point étendus que toute institution publique ou personne morale (y compris les médias) est désormais tenue de fournir à la MIT toutes les données requises, sur simple demande. Au nom de la « lutte antiterroriste » et de la « sécurité nationale », cette même réforme prévoit la mise en place d’un vaste réseau de surveillance des communications. Quiconque diffuse des documents émanant de la MIT s’exposera à des peines pouvant aller jusqu’à neuf ans de prison.

Pour ajouter à l’ironie de la situation, il convient de préciser que la semaine précédant la formation se tenait à Istanbul un forum mondial sur la gouvernance d’Internet, l’IGF (cf. encadré), dont l’objectif affiché était d’aborder et de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les utilisateurs d’Internet. Plus de 35 000 sites sont bloqués à ce jour en Turquie.En mars 2014, l’actuel président, Recep Tayyip Erdoan, déclarait - quand il était Premier ministre - « nous ne laisserons pas sacrifier notre peuple à Facebook ou YouTube (...) Il ne peut exister une telle conception de liberté (...) S’il y a des pas à franchir, nous sommes déterminés à les franchir ». Quelques temps après cette déclaration choc, les autorités turques bloquaient Twitter et YouTube.

Le Forum sur la gouvernance de l’Internet (IGF) est un espace neutre, sous l’égide des Nations unies, où les états, les entreprises et la société civile discutent des mécanismes de gouvernance d’Internet. Afin de mettre à l’agenda de l’édition 2014 (à Istanbul) l’inquiétante dégradation de la liberté de l’information en Turquie, Reporters sans frontières y a organisé une

conférence de presse le 4 septembre avec Amnesty International, Human Rights Watch, l’association turque des journalistes (TGC) et l’association pour une informatique alternative (Alternatif Bilisim Dernegi).

Plus d’informations sur http://blogs.rsf.org

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Grégoire Pouget, responsable du bureau nouveaux médias et formateur cyber-sécurité pour Reporters sans frontières

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David Henochsberg est directeur général d’étoile Cinéma, un réseau de six salles de cinéma indépendantes à Paris. Il soutient Reporters sans frontières en mettant à disposition ses salles pour accueillir les événements de l’organisation.

quel est votre parcours ?Après des études de commerce et de théâtre, j’ai commencé dans la restauration puis j’ai décidé de reprendre les salles historiques familiales, de développer et de protéger ce circuit indépendant.

pourquoi le réseau étoile cinéma a-t-il choisi de soutenir RSF ?Un réseau de salles de cinéma exprime ses valeurs à travers le choix des films qu’il montre et la qualité de l’accueil que nous réservons à nos spectateurs. Mais il l’exprime aussi à travers le choix de ses partenaires. L’engagement de RSF en faveur de la liberté de la presse nous semble crucial, nous sommes heureux de pouvoir, à notre façon, l’accompagner.

Existe-t-il une forme de censure au cinéma =?En France, nous avons la chance de vivre dans un pays où la censure n’existe pas. Mais les films les moins connus manquent d’exposition. notre rôle de circuit indépendant est de leur donner une place de choix et de les accompagner dans la rencontre avec le public.

quels sont vos films préférés sur le journalisme ?D’abord, il y a bien sûr Profession reporter d’Antonioni. Récemment, j’ai apprécié Paper Boy de Lee Daniels. Je vous recommande aussi Hell and Back Again, un documentaire réalisé par Dennis Danfung, grand reporter, sur les soldats américains de retour d’Afghanistan.

« l’engagement de rsF en Faveur de la liberté de la presse nous semble crucial »

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Propos recueillis par i Morgane Tricheux