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Spécialiste des cultures et littératures des peuples
de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe,
Anne-Victoire Charrin effectue depuis 1978 des missions
auprès des autochtones afin de mieux comprendre
leur situation actuelle. Professeur des universités,
Docteur en anthropologie arctique, elle est l’auteur
d’articles et d’ouvrages sur les mouvements de reviviscence
de ces peuples, sur le renouveau des rituels et le développement des littératures
dont Le petit monde du Grand Corbeau, traduction de récits koriaks
avec introduction ethnohistorique et notes (préface d'Edgar Faure
de l'Académie Française), Paris, P.U.F., 1983, 208 p. Les Sibériens,
De Russie et d'Asie, Une vie, Deux mondes (ed.), Paris, Autrement,
Série Monde, 1994 (octobre), 253 p. Sibérie. Paroles et Mémoires
(ed.), Paris, Inalco, Revue Slovo, 2003, n°28-29, 466 p.
Responsable éditoriale aux éditions Paulsen, elle fait connaître
les écrivains autochtones.
Agrégée et Docteur ès-lettres
Anne Coldefy-Faucard enseigne
la littérature russe à et la traduction
littéraire l’université de Paris
IV – Sorbonne. Elle a créé, en 1993,
les éditions L’Inventaire qui publient
I. Chmeliov, Noël russe, P. Smolar,
Gloubinka, G. Khokhlov, Le voyage de trois cosaques de
l’Oural au royaume des Eaux-Blanches, deux recueils de
nouvelles (bilingue) de Natalia Jouravliova : Saisons et Exils.
Elle dirige, avec Luba Jurgenson, la collection de littérature
et documents russes “Poustiaki”aux éditions Verdier.
Elle a publié une soixantaine de traductions dont :
Les Chemins effacés de B. Pilniak, La Révolution
derrière la porte de I. Annenkov, Chatouny de I. Mamleïev,
Vie et Destin de V. Grossman (avec Alexis Berelowitch),
plusieurs volumes de La Roue rouge d’A. Soljénitsyne
(avec G. et J. Johannet), Moscou heureuse et d’A. Platonov,
l’intégrale de la Correspondance de Dostoïevski (3 volumes),
Le Manteau et Le Nez et Les Âmes mortes de Gogol Anne-VictoireCharrinAnneColdefy-Faucard
Mention Spéciale
Érémeï Aïpin
Érémeï Aïpine est né en 1948 dans
une famille de chasseurs-pêcheurs
et de renniculteurs de l'Agane.
Écrivain dès les années soixante,
il joue également un rôle important
auprès du peuple Khanty
en qualité de député à la Douma de la Fédération de Russie
(1993-1995), puis à la Douma du district autonome
des Khantys-Mansis (2001) et comme second président
de l'Association des peuples minoritaires autochtones
du Nord, de Sibérie et de l'Extrême-Orient russe
(1993-1997). En 2005 il a publié en France
un premier ouvrage L’Étoile de l’aube (éd. du Rocher)
et sa candidature au prix Nobel de littérature a été proposée
par le Congrès des Écrivains finno-ougriens en 2004.
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la fin des années 1970, un tout jeune chercheur français effectuant
un stage d’étude à Moscou se passionne pour les cultures des peuples
de Sibérie. Quelques année plus tard, la rédactrice en chef de la revue
Les espaces du Nord avec laquelle elle travaille lui parlant d’un
ouvrage qu’elle souhaite éditer, elle la met en contact avec un industriel
suédois natif de l’île frisonne de Föhr, entre l’Allemagne et le
Danemark, lui aussi amoureux du grand Nord et ayant participé à plusieurs
expéditions polaires. L’Encyclopédie de la Sibérie et du Nord finit par paraître en 2004
à Moscou, et Frederik Paulsen fonde dans la foulée une maison d’édition.
Les éditions Paulsen sont aujourd’hui l’un des plus sympathiques fleurons de l’édition
française. Depuis 2007, elles nous offrent en petit nombre, mais avec régularité,
romans, essais, contes et nouvelles magnifiquement présentés et intelligemment
documentés consacrés aux régions arctiques, antarctiques et aux espaces sibériens.
“Le futur de la planète se décide dans les régions polaires, et c’est en y posant un regard
sans cesse renouvelé que nous le préserverons” déclare leur directeur.
Anne-Victoire Charrin, elle, docteur en anthropologie et docteur es-lettres, spécialiste des
cultures des peuples autochtones de niveau mondial, est actuellement professeur
à l’INALCO et responsable éditoriale des éditions Paulsen où elle présente, préface
et accompagne d’un appareil de notes riche et rigoureux les textes publiés.
En 2007 un premier livre khanty Les caresses de la civilisation de Tatiana Moldanova
sur les femmes de la Sibérie Occidentale, à la fois témoignage et création littéraire est paru,
très heureusement illustré de somptueuses photographies dues à A-V Charrin.
Cette année, c’est un roman de Erémeï Aïpine dont le lecteur français connaît déjà
L’étoile de l’aube ed. Du Rocher 2005 que nous présente la maison d’édition.
L oeuvre, vue par le Jury...La Mère de Dieu dans les neiges de sang de Erémeï Aïpine
,
AOn le sait bien, les grandes réalisations naissent toujours de rencontres.
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Représentant du peuple Khanty, que l’on appelait avant la révolution d’Octobre
les Ostiaks et qui appartient à la famille finno-ougrienne, né en 1948 dans une
famille de chasseurs-pêcheurs et éleveurs de rennes d’un petit village du district
autonome des khantys-Mansis, dans la taïga Orientale de l’Ob, E. Aïpine est
aujourd’hui la grande figure du monde autochtone sibérien et un ardent défenseur
des peuples minoritaires présents aujourd’hui en Russie.
Très tôt en effet, il a pris une part active à la vie publique. En 1989 déjà il était député
de sa région au dernier Soviet Suprême. A l’heure de la Perestroïka, adhérant pleinement
à la volonté de changement impulsée par Gorbatchev et son équipe, il s’est fait élire
à la première Douma régionale. En 1993 surtout il a succédé à Vladimir Sangui,
un écrivain nivkh originaire de l’île de Sakhaline, à la tête de l’Association des peuples
du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe qui avait été créée en 1990,
poste qu’il a occupé jusqu’en 1997.
Aujourd’hui les 45 peuples autochtones du cercle polaire qui ont été recensés en
2000 et dont 17 comptent moins de 1.500 individus sont plus que jamais menacés
dans leur intégrité par la rapide expansion industrielle liée à l’exploitation des gisements
de gaz et de pétrole ainsi que par les bouleversements politiques, économiques et
climatiques que connaît l’Arctique. E. Aïpine s’est fait leur porte-parole et se bat pour leur survie et pour la préservation de leur espace
vital. C’est à ce titre il a prononcé en 1994 à l’ONU un discours qui a fait date et dont Anne-victoire Charrin donne et commente des extraits.
Mais E. Aïpine est aussi et avant tout un écrivain. Sa jeunesse ayant coïncidé avec l’effervescence du Dégel, il a commencé à publier
à vingt ans nouvelles et romans avant d’être admis à l’Institut littéraire Gorki de Moscou qui avait accueilli quelques années auparavant
un Tchinguiz Aïtmatov. Dans le monde des autochtones sibériens, Aïpine est d’une autre génération que V. Sangui, que Roman Rouguine,
un autre écrivain khanty, que Juri Rythkhéou, l’écrivain tchouktche ou que Juvan Chestalov le Mansi, et il a reçu une formation différente.
Les premiers avaient été accueillis à la Faculté des peuples du Nord de Leningrad, où, au nom de la création d’un homme Soviétique
nouveau, on avait eu tendance à les détacher de leurs traditions nationales. Moins engagé idéologiquement, l’Institut littéraire, lui,
s’est montré plus curieux et plus respectueux des spécificités de ces cultures. Aïpine retournait ainsi chaque année longuement dans
sa “petite patrie”, où, sans cesser d’écrire, il travaillait comme correspondant de la radiotélévision locale, mais également comme
aide-foreur. Aussi ses œuvres sont-elles plus immédiatement tournées vers son pays et vers son passé.
Dans La mère de Dieu dans les neiges de sang, c’est une page particulièrement tragique
et presque oubliée de l’histoire de son peuple qu’il représente : le martyre du peuple
khanty en 1933 - 1934 quand, dans sa volonté de “soviétiser”, l’homme Rouge
a voulu contraindre les éleveurs de rennes au kolkhoze et instaurer l’athéisme et
la sédentarisation. Le récit est conduit à travers l’évocation du destin douloureux
d’une femme attachante qui symbolise le courage du peuple khanty face à l’arrogance,
à la brutalité et à la vulgarité des envoyés de Moscou. Son mari étant massacré par
les Rouges dès leur arrivée, la “Mère des enfants” erre longuement par la taïga
à la recherche d’un abri et de nourriture, découvrant les horreurs de la guerre,
“elle suivait les traces de la guerre, et la guerre se déplaçait sur la terre “. Perdant ses
enfants les uns après les autres, elle finit par mourir elle-même de froid et de faim
dans un état hallucinatoire.
On sait l’importance prise au lendemain du XXe congrès par la dénonciation
des crimes du stalinisme. Les “petits” peuples, eux, étaient restés à l’écart de ce
mouvement de lucidité et ce n’est aujourd’hui qu’un difficile travail de mémoire
commence à se faire en leur sein et qu’ils se réapproprient peu à peu leur culture
et redécouvrent leur histoire.
Dans ce mouvement, la place et le rôle des écrivains est énorme, et c’est à ce
mouvement que participe Aïpine qui s’appuie sur les témoignages des anciens
de son peuple, mais également sur les archives soviétiques désormais accessibles.
Entre fiction et témoignage, entre roman historique et conte, son roman mêle ainsi
des faits réels à l’imaginaire.
Chemin faisant, l’ouvrage consacre une grande place aux mœurs et aux coutumes
des Khantys, évoquant notamment le rite de l’enterrement et de la séparation avec
les morts, les relations entre hommes et femmes, entre parents et enfants. Il donne
également à percevoir la sensibilité particulière de ce peuple, sa cosmogonie faite
d’un mélange de religions traditionnelles et de spiritualité chrétienne. Pour le
Khanty, dans le monde, tout est lié. Il voit la nature et tout ce qui l’entoure comme
vivant, l’eau, l’herbe, le lac, et lui-même se perçoit comme étant une parcelle de cet univers.
On peut s’étonner de l’image idyllique donnée des Russes d’avant 1917. Pour avoir
été peut-être moins systématique et moins organisée, l’exploitation des richesses
du pays, la chasse, les fourrures ainsi que la violence et l’introduction de la
vodka ne datent certainement pas des années 1920.
Comme la plupart de ses compatriotes, Aïpine écrit en russe qui est sa langue de
culture. Il ne l’a appris qu’à 9 ans en allant à l’école, mais c’est par le russe
qu’il a accédé à la culture mondiale et par le russe qu’il s’est fait connaître,
et comme Tchinguiz Gousseïnov, il pourrait ainsi parler de sa “seconde langue
maternelle”.“Aujourd’hui, avant d’écrire, je visualise d’abord en khanty des images
liées à la tradition de mon peuple, puis je les traduis en russe” déclare-t-il.
Bel exemple de ce que nous désignons aujourd’hui comme la littérature russophone.
Un livre pétri de sensibilité, rempli d’émotion servi par une traduction remarquable.
Une page d’histoire importante.
Irène Sokologorsky
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Tout, alentour, fut englouti dans un ouragan de neige. Tout, alentour, fut emporté dans un tourbillon. Au beau milieu
de ce fracas, la Mère des Enfants eut l’impression de sombrer dans le Monde d’En-bas, abandonnant à jamais la Terre des hommes.
Tout disparut. Tout fut plongé dans une obscurité profonde. Le temps, pour elle, s’arrêta. Un silence de mort s’installa…
Puis un voile blanc recouvrit peu à peu l’espace. Elle réussit encore à s’étonner qu’il y eût du blanc dans le Monde d’En-bas,
et non de noires ténèbres. Étrange, c’est étrange… La blancheur se dissipa lentement. La femme vit alors se profiler les contours
des pins aux cimes inclinées, la trace de la route, les iagouchka de ses filles. Machinalement elle se disait : tiens, c’est le manteau
de Maria, avec son motif “Oreilles de lièvre” qu’elle avait elle-même découpé et cousu ; là-bas, c’est le motif “Dos de zibeline” d’Anna.
Elles étaient donc là, tout près, c’était bien… La Mère des Enfants gisait, immobile – comme immatérielle, comme si son corps
avait été réduit par la pierre de feu en minuscules, en fines particules et s’était transformé en poussière blanche.
Ciel muet. Pins mutilés. “Oreilles de lièvre” de Maria. “Dos de zibeline » d’Anna.”
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Extraits russe & fran aisLa Mère de Dieu dans les neiges de sang de Erémeï Aïpine
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Maud Mabillard
Maud Mabillard est née en 1975. Traductrice et interprète,
elle vit à Moscou. Elle a déjà traduit trois ouvrages
de Nicolas Bokov pour les éditions Noir sur Blanc ainsi
qu’ une pièce des frères Presniakov (éd. de l'Arche).
Elle est également l’auteur d'une biographie sur
la révolutionnaire russe Natacha Klimova,
La fleur rouge (aux éditions Noir sur Blanc).
Maud Mabillard
Mention Spéciale