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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Procédés d'invention d'un sobriquet par saint Jérôme Author(s): Jean-g. Préaux Source: Latomus, T. 17, Fasc. 4 (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1958), pp. 659-664 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41521563 . Accessed: 13/06/2014 09:59 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.69 on Fri, 13 Jun 2014 09:59:27 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Procédés d'invention d'un sobriquet par saint Jérôme

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Procédés d'invention d'un sobriquet par saint JérômeAuthor(s): Jean-g. PréauxSource: Latomus, T. 17, Fasc. 4 (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1958), pp. 659-664Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41521563 .

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Procedes d'invention d'un sobriquet

par saint Jerome

Au cours de son sejour romain, de fin 382 au mois d'aout 385, saint Jerdme deploya une intense activite et marqua de l'empreinte de sa parole et de ses ecrits les milieux de l'aristocratie : les femmes surtout furent sensibles aux appels lances par Jerome en faveur d'une vie ascetique et meme monastique. On connait la lettre 22 qui est en fait un libellus redige au printemps de 384 a l'intention d'Eustochium, l'une de ces aristocrates : Jerome y fait le plaidoyer de la virginite (!). Peu avant, vers la fin de 383, il avait deja defendu celle de le vierge Marie dans un pamphlet contre Helvidius. Je- r6me prend nettement position dans ce milieu romain et il le fait en ne menageant pas ses adversaires : sa plume est terrible. Aussi s'attire-t-il des inimities : l'un de ses adversaires, qui devait etre influent, le poursuit par d'acerbes critiques, que suscitent certaines des affirmations de la lettre k Eustochium : excede par ces coups d'epingles, Jerdme lance a Marcella, une aristocrate du meme milieu dans lequel evoluent k la fois le mysterieux adversaire de Jer6me et Jerdme lui-meme, une lettre qui est un chef-d'oeuvre d'humour satirique, de ferocite litteraire et sans doute aussi de courage, si Ton en croit Jerdme, qui dans une lettre precedente ( Epistula 27) s'etait deja dechaine contre ces adversaires au point de faire froncer les sourcils de sa douce correspondante, apeuree et inquiete de ne

pouvoir de son doigt fermer la bouche de Jer6me I La seule precau- tion dont celui-ci s'entoure dans la lettre 40 k Marcella est de re- courir au sobriquet Onasus : numquid solus Onasus Segestanus caua uerba et in uesicarum modum tumentia buccis trutinatur inflatis? Le portrait qu'il trace de sa victime montre que ce sobriquet est

(1) Avec ce traits J6rdme s'inscrit dans la tradition de saint Jean Chrysos- tome, dont le livre II ax; del (pvMrreiv rijv naqQeviav combattait vers 382- 383, k Antioche, des errements pareils k ceux de Rome.

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d'abord suggere par une disgrace physique, un appendice nasal demesure, qui enlaidit le visage : Jerdme se gausse en faisant appel soit a un vers virgilien (En., VI, 497), numquid unus in orbe Romano est , qui habeat « truncas inhonesto uulnere nares » ?, soit a un passage de Perse (II, 37-38), qu'il adapte a son propos : quodsi in descrip- tion foedorum semper irasceris , iam te cumPersio cantabo formosum :

te op tent generum rex et regina , puellae te rapiant : quicquid calcaueris tu , rosa fiat !

Le choix de ces vers est revelateur du fond du proces : Onasus s'est reconnu dans les descriptions de la lettre a Eustochium, ou Jerdme fustige ces pretres qui « briguent le sacerdoce et le diaconat pour avoir plus aisement acces aupres des femmes », et dont l'un d'eux est depeint en des notations si feroces et si precises que les inities ont pu a coup sur mettre un nom sur le portrait, qui est la caricature de celui que Jerdme presente comme le maitre de tous ces religieux dont « a les voir, on croirait des fiances plutdt que des clercs ! ». Jerdme est resolu dans la lettre 40 a « couper un nez ma- lodorant : gare, dit-il, a qui se sent morveux ! ». La pointe de sa lettre contient un conseil a Onasus : « Si tu cachais certaines choses, tu pourrais sembler encore plus beau. Que ton nez ne se voie plus sur ton visage, que ton langage ne resonne plus pour perorer ; ainsi pourras-tu paraitre et beau et eloquent ! » : atque ita et formosus uideri poteris et disertus. Ces deux traits sont done importants pour Jerome : Onasus veut faire le beau, mais aussi user d'une elo- quence persuasive pour acceder aux hautes charges. Bien sur, re- connait ironiquement Jerdme, ce n'est pas d 'Onasus qu'il s'est moque lorsqu'il a pris pour cible un « avocat qui aurait besoin d'un patron » : Jerdme plaisantait la une eloquence de quatre sous, non pas celle d 'Onasus, qui n'a pas a s'en soucier puisqu'il est, assure-t- on, si disert! Toutefois Jerdme prend son adversaire au serieux lorsqu'il laisse echapper ceci : in quodcumque uitium stili mei mucro contorquetur, te clamitas designari, conserta manu in ius uocas, et satiricum scriptorem in prosa stulte arguis. Onasus a du se plaindre et, meme si Texpression de Jerdme est metaphorique, elle laisse assez entendre que la victime influente de Jerdme ne s'est pas con- tentee d'accuser les coups. A vrai dire elle use d'un motif d'accusa- tion bien etrange : Jerdme est un satiricus scriptor in prosa . A l'analyse toutefois il parait pouvoir etre justifie par Tetonnante vi- tality des traditions bien latines de la satire et de la caricature dans

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les milieux aristocratiques de Rome et dans l'entourage d'Eusto- chium et de Marcella en particulier : c'est a cette vitalite que sont d'ailleurs dues 1' invention et l'efficacite du sobriquet Onasus , sorte de chef-d'oeuvre du genre.

Pour en saisir pleinement toutes les resonances et en savourer la causticite, il ne faut pas perdre de vue que la lettre 40 a Marcella ne peut etre disjointe de la lettre 27 : toutes deux de la fin de 384, elles visent le meme groupe d'adversaires de Jer6me, ceux-la qui, nombreux a Rome, se sont sentis vises par la lettre a Eustochium, dont le theme principal est resume dans la lettre 27 : unum miser locutus sum , quod uirgines saepius deberent cum mulieribus esse quam cum masculis : totius oculos urbis offendi , cunctorum digitis notor , et Jerome rencherit par une citation combinee du Psaume 68, 5 et 12 : « multiplicati sunt super capillos capitis mei qui oderunt me

gratis et factus sum eis in parabolam ». Si Jer6me leur est devenu un objet de sarcasmes, c'est, dit-il a Marcella, que ses adversaires sont tels des anes pour qui chante inutilement la lyre (asino quippe lyra superflue canit ), ce sont des anons bipedes aux oreilles desquels il vaut mieux corner avec la trompette qu'avec la cithare ( reuerti -

mur ad nostros bipedes asellos , et in eorum aurem bucina magis quam cithara concrepamus), que ces gens-la se rejouissent de leurs hongre- ries dignes des Galles, comme traduit malicieusement Jerdme La- bourt (x) : ad extremum illi gaudeant Gallicis canteriis ! Le sobri-

quet Onasus est done composite : onos et nasus . Tout se passe com- me si Jerome a procede en deux temps : d'abord dans la lettre 27, il stigmatise son adversaire en Tenglobant dans la foule de ses de- tracteurs, dont il se moque grace au sobriquet use de Fane, et aussi

grace au dicton dvog Xvqaq. Ensuite, excede par les agissements repetes de ses adversaires, Jerdme s'en prend a l'un d'eux, le plus actif et peut-etre le mieux en cour, et se met a l'ceuvre pour lui

couper le nez : il cree un sobriquet nouveau, Onasus, nom propre dont il n'a pas le merite de Tinvention, mais celui de l'adaptation au cas qui le preoccupe tellement. En effet, en appelant son adver- saire Onasus Segestanus9 Jerdme, grand lecteur de Ciceron, reprend

(1) Cette traduction de la Collection Bud6 esquive le probleme en n'accordant pas au mot canteriis son acception pejorative et satirique et en ne cherchant pas k preciser davantage les raisons du choix de Tadjectif g^ographique Gal- licis, qui ne se limitent pas selon moi k une reminiscence de YAululaire de Plaute (v. 495).

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le nom (Tun personnage, par ailleurs quasi inconnu, qui apparait dans le De suppliciis , V, 45, 120 : Onasum Segestanum , hominem nobilem... uir primarius , homo nobilissimus. On peut soup^onner des lors que l'adversaire vise par Jerdme etait lui aussi un person- nage bien connu, de premier rang. Mais Jerdme avait d'autres rai- sons, d'ordre litteraire celles-la, de jeter son devolu sur le nom du personnage des Verrines. En optant pour Onasus , Jerdme reprend le sobriquet de l'ane sous sa forme grecque onos et lui accouple le sobriquet nasus : ce serait une erreur de se limiter aux plaisanteries sur le nez de la lettre 40 pour mesurer la portee du sobriquet Onasus , il convient de se souvenir de la tradition litteraire et caricaturale qui articule autour du nez les pointes satiriques. Et Jerome en etait conscient, lui le lecteur et l'admirateur des oeuvres de Tullius Cicero et d'Ovidius Naso ! En particulier c'est a Perse qu'il se refere dans la lettre 40, et c'est surtout a cet ecrivain tres prise par Jer6me que je demanderai de nous rappeler comment l'appendice nasal pouvait provoquer la verve des ecrivains et du peuple. Dans sa premiere satire, tres nombreux sont les emplois de ce theme satirique : des le vers 33 Perse moque un individu qui se met a debi- ter avec un begaiement nasal une mechante oeuvrette faisandee,

rancid u I um quiddam balba de nare locutus , tout comme Onasus lui-meme au gre de Jer6me qui dissimule sa reminiscence du satirique latin sous ces mots : uolo corniculae de - trahere garrienti : rancidulam se intellegat cornix ! Plus loin dans sa satire Perse s'inscrit dans la tradition de Lucilius qu'il cite d'ailleurs au vers 114 :

secuit Lucilius urbem te , Lupe, te , Muci , et genuinum f regit in illisf

mais dont il adapte un theme des le vers 109 :

sonat hie de nare canina , liter a

a savoir le theme qui fait du nez le siege de la colere et dont Lucilius avait tire deja parti dans ces vers :

Calpurni saeuam legem Pisonis reprendi , eduxique animam in primoribus oribus naris.

La colere contracte les narines tout comme la lettre canine r exige pour sa prononciation un rictus qui fait ressembler l'homme a un chien pret a aboyer : cette grimace, c'est ce que Perse designe

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par le mot sanna , qu'il utilise au vers 62 de la premiere satire et dont le scoliaste dit : sanna autem dicitur os distortum cum uultu : quod facimus , cum alios deridemus . Ce theme satirique est repris par Perse dans la 5e satire dans un passage (vers 91-95) ou le poete associe a ce theme du nez grima§ant le theme de Fane insensible a la musique, du moins dans une variante a laquelle un connaisseur comme Jerdme n'est pas reste sourd :

Disce , sed ira cadat naso rugosaque sanna, dum ueteres auias tibi de pulmone reuello. Non praetoris erit stultis dare tenuia rerum officia atque usum rapidae permittere uitae : sambucam citius caloni aptaueris alto !

L'association naso rugosaque sanna est chez Perse une imitatio particulierement reussie du tour horatien corrugare nares de l'epitre I, 5, 23, que Quintilien (XI, 3, 80) expliquait a ses eleves : naribus... derisus , contemptus , fastidium significari solet , nam et « corrugare nares », ut Horatius ait , et inflare... indecorum est . Jerdme s'en sou- viendra quand il se moque d'Onasus dans les termes suivants :

quadrante dignam eloquentiam nare subsanno : quid ad te qui disertus es ? (x). En outre le rapprochement naso ... sanna lance per Perse sera retenu par cet autre satirique qu'est Martianus Capella, lorsqu'il ecrit ce vers (V, 566) :

sin sanna typhi naris imum torseris dans un developpement truffe de reminiscences de Perse et d'Horace. Martianus Capella, tres erudit, varie habilement sur le theme en evoquant par les mots naris imum torquere le tour horatien corru- gare nares! Et le choix du terme typhus n'est-il pas dicte par l'en-

seignement de Quintilien des lors que ce mot englobe les trois sen- timents que le professeur d'eloquence decelait dans Texpression d'Horace, la moquerie, le mepris, le degoftt hautain?

G'est le peche d'orgueil, c'est celui qui rend sourds a la musique de la lyre ceux qui, comme Onasus , se butent dans leur science aussi etroite qu'insolente, ou selon la jolie variante de Perse au vers 5, 95 ceux-la qui sont plus refractaires encore qu'un palefrenier aussi fort

que bete pour apprendre Fart de la sambyque, cette sorte de lyre !

(1) Le rapprochement des mots nare subsanno me paralt intentionnel malgr6 le succ&s des mots subsannatio , subsannator dans la Vulgate, et sans doute aussi malgre la tradition restee vivante du personnage de comedie Sannio.

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On le voit : Perse deja combinait dans un meme passage le th&me du nez, siege de la colere et de Torgueil, avec le theme de Y8vog Xvqolq sous la forme originale du vers

sambucam citius caloni aptaueris alto . Jerdme a retenu la legon et a transforme en sobriquet un nom propre Onasus qu'il trouvait sous la plume de Ciceron : ce procede d'inven- tion d'un sobriquet ( titulus ) dut d'autant mieux mettre les rieurs de son cote que la tradition satirique etait restee vivace a Rome, surtout dans les milieux lettres ou evoluaient Jerome et sa victime.

Jean-G. Preaux.

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