6
Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019 197 PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES DES BACTÉRIES ISOLÉES DANS UN SERVICE DE RÉANIMATION DES BRÛLÉS DURANT SEPT ANS BACTERIOLOGICAL PROFILE AND ANTIMICROBIAL SUSCEPTIBILITY OF ISOLAT- ED BACTERIA IN A BURN INTENSIVE CARE UNIT OVER SEVEN YEARS Krir A., * Dhraief S., 1 Messadi A.A., 2 Thabet L. 1 1 Laboratoire de Biologie Médicale et Banque du Sang, Centre de Traumatologie et des Grands Brûlés, Ben Arous, Tunisie 2 Service de Réanimation des Brûlés, Centre de Traumatologie et des Grands Brûlés, Ben Arous, Tunisie RÉSUMÉ. Cette étude, menée rétrospectivement sur sept ans, avait pour objectif d’établir le profil bactériologique et la sensi- bilité aux antibiotiques des germes isolés chez les brûlés hospitalisés dans le service de réanimation des brûlés. L’identification des germes était réalisée selon les méthodes conventionnelles et l’étude de la sensibilité aux antibiotiques était effectuée selon les normes du Comité de l’Antibiogramme de la Société Française de Microbiologie (CASFM). Pseudomonas æruginosa était la principale bactérie isolée, suivie de Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniæ et Acinetobacter baumannii. Ces souches ont été isolées principalement à partir d’hémocultures (37%). La résistance de Pseudomonas æruginosa à la ceftazidime (CAZ) est passée de 9,2% en 2012 à 53,5% en 2018. Celles à l’imipénème (IPM) et à la ciprofloxacine (CIP) étaient de 63,3% et 42,9% respectivement. Quatre souches étaient résistantes à la colistine (CST). La résistance de S. aureus à la méthicilline était en baisse passant de 65,3% en 2012 à 41,6% en 2018. Toutes les souches étaient sensibles aux glycopeptides, à la tigécycline (TGC) et au linézolide (LZD). A. baumannii pose un problème de multi-résistance aux antibiotiques avec 81,8% de résistance à CAZ, 88,9% à l’amikacine (AMK), 90,5% à CIP et 94,5% à IPM. Seize souches étaient résistantes à CST. Concernant K. pneumoniæ, 77,5% des souches étaient résistantes au céfotaxime (CTX) et 5,2% à IPM. Deux souches étaient résistantes à CST. La résistance à la vancomycine (VAN) chez Enterococcus fæcium est passée de 33,4% en 2012 à 72,2% en 2018. La multirésistance aux antibio- tiques chez les brûlés impose une surveillance épidémiologique de l’écologie bactérienne et l’application des mesures d’hygiène. Mots-clés : brûlé, résistance, antibiotiques, bactéries SUMMARY. This study was retrospective, conducted over seven years at the Trauma and Burn Centre. Its purpose was to estab- lish the bacteriological profile and antibiotic resistance of isolated bacteria in patients admitted to the Burn Intensive Care Unit. Identification was carried out according to the conventional methods and antibiotic susceptibility was analyzed according to the standards of the Antibiogram Committee of the French Society of Microbiology. Pseudomonas aeruginosa was the main isolated bacterium, followed by Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae and Acinetobacter baumannii. These strains were isolat- ed mainly from haemocultures (37%). The resistance of Pseudomonas aeruginosa to ceftazidime increased from 9.2% in 2012 to 53.5% in 2018. The resistance to imipenem and ciprofloxacin was 63.3% and 42.9%, respectively. Four strains were resistant to colistin. The resistance of S. aureus to meticillin decreased from 65.3% in 2012 to 41.6% in 2018. All strains were susceptible to glycopeptides, tigecycline and linezolid. A. baumannii was multi-resistant to antibiotics with 81.8% resistance to ceftazidime, 88.9% to amikacin, 90.5% to ciprofloxacin and 94.5% to imipenem. Sixteen strains were resistant to colistin. Concerning K. pneumoniae, 77.5% of strains were resistant to cefotaxime and 5.2% to imipenem. Two strains were resistant to colistin. Vanco- mycin resistance in Enterococcus faecium increased from 33.4% in 2012 to 72.2% in 2018. Multidrug resistance in burn patients calls for an epidemiological surveillance of bacterial ecology and the application of hygiene measures. Keywords: burns, resistance, antibiotics, bacteria Auteure correspondante : Asma Krir, Laboratoire de Biologie Médicale et Banque du Sang, Centre de Traumatologie et des Grands Brûlés, rue du 1er mai, Ben Arous 2013, Tunisie. Tél.: +216 53 918 267 ; fax : +216 71 389 652 ; email : [email protected] Manuscrit : soumis le 23/07/2019, accepté après corrections le 30/07/2019

PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019

197

PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES DES BACTÉRIES ISOLÉES DANS UN SERVICE DE RÉANIMATION DES BRÛLÉS DURANT SEPT ANS

BACTERIOLOGICAL PROFILE AND ANTIMICROBIAL SUSCEPTIBILITY OF ISOLAT-ED BACTERIA IN A BURN INTENSIVE CARE UNIT OVER SEVEN YEARS

Krir A.,* Dhraief S.,1 Messadi A.A.,2 Thabet L.1

1 Laboratoire de Biologie Médicale et Banque du Sang, Centre de Traumatologie et des Grands Brûlés, Ben Arous, Tunisie 2 Service de Réanimation des Brûlés, Centre de Traumatologie et des Grands Brûlés, Ben Arous, Tunisie

RÉSUMÉ. Cette étude, menée rétrospectivement sur sept ans, avait pour objectif d’établir le profil bactériologique et la sensi-bilité aux antibiotiques des germes isolés chez les brûlés hospitalisés dans le service de réanimation des brûlés. L’identification des germes était réalisée selon les méthodes conventionnelles et l’étude de la sensibilité aux antibiotiques était effectuée selon les normes du Comité de l’Antibiogramme de la Société Française de Microbiologie (CASFM). Pseudomonas æruginosa était la principale bactérie isolée, suivie de Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniæ et Acinetobacter baumannii. Ces souches ont été isolées principalement à partir d’hémocultures (37%). La résistance de Pseudomonas æruginosa à la ceftazidime (CAZ) est passée de 9,2% en 2012 à 53,5% en 2018. Celles à l’imipénème (IPM) et à la ciprofloxacine (CIP) étaient de 63,3% et 42,9% respectivement. Quatre souches étaient résistantes à la colistine (CST). La résistance de S. aureus à la méthicilline était en baisse passant de 65,3% en 2012 à 41,6% en 2018. Toutes les souches étaient sensibles aux glycopeptides, à la tigécycline (TGC) et au linézolide (LZD). A. baumannii pose un problème de multi-résistance aux antibiotiques avec 81,8% de résistance à CAZ, 88,9% à l’amikacine (AMK), 90,5% à CIP et 94,5% à IPM. Seize souches étaient résistantes à CST. Concernant K. pneumoniæ, 77,5% des souches étaient résistantes au céfotaxime (CTX) et 5,2% à IPM. Deux souches étaient résistantes à CST. La résistance à la vancomycine (VAN) chez Enterococcus fæcium est passée de 33,4% en 2012 à 72,2% en 2018. La multirésistance aux antibio-tiques chez les brûlés impose une surveillance épidémiologique de l’écologie bactérienne et l’application des mesures d’hygiène.

Mots-clés : brûlé, résistance, antibiotiques, bactéries

SUMMARY. This study was retrospective, conducted over seven years at the Trauma and Burn Centre. Its purpose was to estab-lish the bacteriological profile and antibiotic resistance of isolated bacteria in patients admitted to the Burn Intensive Care Unit. Identification was carried out according to the conventional methods and antibiotic susceptibility was analyzed according to the standards of the Antibiogram Committee of the French Society of Microbiology. Pseudomonas aeruginosa was the main isolated bacterium, followed by Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae and Acinetobacter baumannii. These strains were isolat-ed mainly from haemocultures (37%). The resistance of Pseudomonas aeruginosa to ceftazidime increased from 9.2% in 2012 to 53.5% in 2018. The resistance to imipenem and ciprofloxacin was 63.3% and 42.9%, respectively. Four strains were resistant to colistin. The resistance of S. aureus to meticillin decreased from 65.3% in 2012 to 41.6% in 2018. All strains were susceptible to glycopeptides, tigecycline and linezolid. A. baumannii was multi-resistant to antibiotics with 81.8% resistance to ceftazidime, 88.9% to amikacin, 90.5% to ciprofloxacin and 94.5% to imipenem. Sixteen strains were resistant to colistin. Concerning K. pneumoniae, 77.5% of strains were resistant to cefotaxime and 5.2% to imipenem. Two strains were resistant to colistin. Vanco-mycin resistance in Enterococcus faecium increased from 33.4% in 2012 to 72.2% in 2018. Multidrug resistance in burn patients calls for an epidemiological surveillance of bacterial ecology and the application of hygiene measures.

Keywords: burns, resistance, antibiotics, bacteria

Auteure correspondante : Asma Krir, Laboratoire de Biologie Médicale et Banque du Sang, Centre de Traumatologie et des Grands Brûlés, rue du 1er mai, Ben Arous 2013, Tunisie. Tél.: +216 53 918 267 ; fax : +216 71 389 652 ; email : [email protected] : soumis le 23/07/2019, accepté après corrections le 30/07/2019

Page 2: PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019

198

ditionnée de 5% de sang de cheval et 20 mg/l de β-NAD (MH-F) à partir de 2017 pour les bactéries exigeantes. Les données ont été analysées par le système SIR. Les résultats ont été interprétés se-lon les normes du CASFM, annuellement révisées. La résistance à CST a été confi rmée par la mesure de la CMI par microdilution sur des plaques UMIC® (Biocentric, Bandol) à partir de mai 201 7.

Résultats

Durant la période d’étude, 6827 souches bactériennes non répétitives ont été isolées. Les souches provenaient es-sentiellement d’hémocultures (37%) suivies de prélèvements cutanés (26,5%) (Tableau I). Pseudomonas æruginosa était la principale bactérie isolée (15,7%), suivie de Staphylococcus aureus (15%), Klebsiella pneumoniæ (12,6%) et Acinetobac-ter baumannii (12%) (Tableau II). L’évolution de l’écologie bactérienne durant la période d’étude a été marquée par une diminution de la prévalence des souches de S. aureus, qui occupaient la première place durant les trois premières an-nées, parallèlement à une augmentation de la prévalence des

Introduction

Au cours des dernières décennies, le taux de survie des patients brûlés s’est amélioré grâce aux progrès de leur prise en charge et à l’amélioration de l’organisation des centres et des unités des brûlés. Le taux de mortalité reste cependant relativement important, les infections nosocomiales étant la principale cause de décès.1-3 Les brûlés sont particulièrement susceptibles aux infections nosocomiales en raison de la rup-ture de la barrière cutanée, de l’altération de l’immunité innée et acquise et de la fréquence des dispositifs invasifs.3 La maî-trise des phénomènes infectieux chez ces patients est donc un objectif primordial. Dans ce cadre, l’antibiothérapie occupe une place particulière dont l’effi cacité dépend de deux fac-teurs : la précocité du traitement et la sensibilité des germes en cause. La surveillance de l’écologie bactérienne et de la résis-tance aux antibiotiques des principales bactéries isolées chez ces patients optimise le choix de l’antibiothérapie de première intention. Cette évaluation périodique améliore les stratégies thérapeutiques et également préventives et par conséquent le pronostic de ces patients. Une étude du profi l des principales bactéries isolées chez les brûlés hospitalisés a été effectuée dans le service de réanimation des brûlés durant sept ans (Jan-vier 2012-Décembre 2018).

Matériels et méthodes

Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée sur des prélève-ments à visée diagnostique provenant du service de réanimation des brûlés du centre de traumatologie et grands brûlés (CTGB) Ben Arous. L’identifi cation des germes isolés a été réalisée sur la base des caractères morphologiques, culturaux et biochimiques à l’aide des galeries API20E®, APINE®, API STAPH® (BioMé-rieux, Marcy l’Etoile, France), des cartes VITEK® (BioMérieux, Marcy l’Etoile, France) et du test à la coagulase. L’antibiogramme a été réalisé par la méthode de diffusion en milieu solide, sur gé-lose Mueller-Hinton (MH) pour les bactéries non exigeantes, et sur MH additionnée de 5% de sang de mouton (MH-S) et MHad-

Tableau I - Principaux sites de prélèvements bactériologiques chez les brûlés durant la période d’étude

Tableau II - Répartition des germes isolées chez les brûlés durant la période d’étude

*BGN = bacille à gram négatif ; *BGNNF = bacille à gram négatif non fermentaire ; *CGP = Cocci à gram positif ; *SCN = Staphylocoque à coagulase négative

*Examen cytobactériologique des urines, culture de sonde vésicale**Prélèvement trachéal protégé, lavage broncho-alvéolaire, examen cytobactério-logique des crachats

Page 3: PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019

199

Tableau III - Évolution de la résistance aux antibiotiques de P. æruginosa durant la période d’étude

Tableau V - Évolution de la résistance aux antibiotiques de S. aureus durant la période d’étude

Tableau VI - Évolution de la résistance aux antibiotiques des principales en-térobactéries durant la période d’étude

GEN = gentamicine ; FOF = fosfomycine

SXT = cotrimoxazole ; ERY = érythromycine ; LIN = lincomycine ; PTN = pristinamycine ; VA = vancomycine ; TEC = teicoplanine

OFX = ofl oxacine P. stuartii et P. mirabilissont naturellement résistants à CST

Tableau IV - Évolution de la résistance aux antibiotiques d’A. baumanii du-rant la période d’étude

TOB = tobramycine ; RIF = rifampicine

térobactéries durant la période d’étude

souches de P. æruginosa (passant de 10,6% en 2012 à 15,8% en 2018). L’étude de la sensibilité aux antibiotiques de l’an-née 2012 à l’année 2018 a montré une évolution variable de la résistance. La résistance de P. æruginosa aux antibiotiques habituellement prescrits a augmenté durant la période d’étude (Tableau III). En effet, la résistance à la CAZ est passée de 9,2% en 2012 à 53,5% en 2018 avec un pic de 61,3% en 2016. Celle à IPM est passée de 46,5% à 68,7% avec un pic de 84%, également en 2016. Les molécules les plus actives étaient la fosfomycine (FOF) et CST. A. baumannii pose le problème de multirésistance aux antibiotiques : 81,8% des souches étaient résistantes à CAZ. La résistance à AMK, CIP et IPM est restée stable mais élevée durant la période d’étude, avec des taux moyens respectifs de 88,9% ; 90,5 % et 94,5% (Tableau IV). Seize souches étaient résistantes à la CST, qui était la molécule

Page 4: PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019

200

la plus active suivie de la tigécycline. La résistance S. aureus à la méthicilline, explorée ici par celle à la céfoxitine (CFX) a diminué passant de 65,3% en 2012 en à 41,6% en 2018. Toutes les souches isolées étaient sensibles aux glycopeptides, au LZD et à TGC (Tableau V). Concernant les entérobacté-ries, 77,5% des souches de K. pneumoniæ étaient résistantes au CTX. La résistance à IPM était de 5,2%. Deux souches résistantes à CST ont été isolées en 2017 et en 2018 (Tableau VI). Le nombre de souches productrices de BLSE a nettement augmenté pendant la période d’étude passant de 22 souches en 2012 à 53 souches en 2018. La résistance à la vancomycine (VA) chez Enterococcus fæcium est passée de 33,4% en 2012 à 72,2% en 2018.

Discussion

Les infections nosocomiales constituent un problème grave chez les brûlés en réanimation, du fait de la mortalité et du coût d’hospitalisation qu’elles engendrent.1-3Au niveau du tissu brûlé remanié et mal vascularisé, les bactéries à Gram positif comme S. aureus, situés en profondeur de la peau, peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi du stade de la colonisation au stade d’infection cutanée.4 Dans les brûlures plus profondes ou après 72 heures, l’évolution naturelle se fait vers le développement des germes commensaux du tube digestif (flore gastro-intestinale) et du tractus respiratoire supérieur, et / ou des germes de l’envi-ronnement hospitalier (bactéries à Gram négatif tels que P. æruginosa).4,5 Le sondage urinaire, le cathétérisme et l’intu-bation trachéale constituent également des facteurs de risque des infections nosocomiales chez le brûlé.6 La connaissance de l’écologie bactérienne locale aide au choix de l’antibio-thérapie de première intention et contribue par conséquent à améliorer le pronostic de ces patients. P. æruginosa était la principale bactérie isolée dans notre étude. Ce germe joue un rôle majeur dans les infections chez le brûlé.7 Sa prolifération étant favorisée par l’environnement humide souvent rencontré dans les centres des brûlés (bains, pansements, solutions d’an-tiseptiques...), P. æruginosa peut survivre longtemps dans ces niches, constituant un risque d’infection chez ces patients.8 Par ailleurs, ce germe secrète un grand nombre de toxines et d’en-zymes responsables de sa virulence, qui s’expriment préféren-tiellement sur le terrain immunodéprimé induit par la brûlure. La capacité de P. æruginosa à former un biofilm est un facteur important associé à la persistance bactérienne et aux infec-tions, car ceci peut entraver l’action des antibiotiques.9 Les infections causées par ce germe sont souvent difficiles à traiter en raison du niveau élevé de résistance aux antibiotiques, et par conséquent la réduction des alternatives thérapeutiques.7 La mortalité associée est ainsi importante. En effet, d’après l’étude de Lari et al. menée dans un centre de brûlés d’Iran, on observait une mortalité de 18,5%, montant à 89% en cas d’hémocultures positives, la plupart l’étant à P. æruginosa.10 S. aureus était le deuxième germe incriminé dans les infections chez le brûlé. Plusieurs auteurs rapportent son isolement fré-quent dans les unités de brûlés.11,12 Ce germe possède plusieurs facteurs de virulence qui contribuent à détruire les cellules hôtes et favorisent ainsi le risque infectieux.11 L’étude de ces

facteurs de virulence a montré que les adhésines, essentielles à la formation du biofilm, les entérotoxines et les exotoxines sont les principaux facteurs incriminés dans les infections par S. aureus chez le brûlé.13A.baumannii était aussi incriminé dans une partie importante des infections chez le brûlé dans notre étude. Essayagh et al. rapportent la prédominance de ce germe dans une unité de brûlés au Maroc.4 T. Wong et al. rap-portent également l’isolement fréquent d’A. baumannii dans une unité de réanimation de brûlés à Singapour.14 La capacité de ce germe d’adhérer aux cellules épithéliales et de survivre dans l’environnement rendent difficile son éradication des unités de brûlés. A. baumannii peut être isolé dans divers sites de l’environnement du patient y compris les rideaux, les draps et les meubles.15 Sa transmission se fait par voie aérienne sur de courtes distances, dans des gouttelettes d’eau et dans les squames de patients colonisés. Cependant, le mode de trans-mission le plus fréquent reste le manuportage.4 Cette bactérie possède également la capacité de pouvoir survivre dans des conditions de sécheresse.16

L’étude de la sensibilité aux antibiotiques a montré une évolution variable des résistances selon les germes isolés. La résistance de P. æruginosa aux antibiotiques habituellement prescrits a augmenté durant la période d’étude. Ce constat est partagé par d’autres auteurs tels que Kaushik et Motellabi.16,17 Ceci compromet leur efficacité clinique et rend plus difficile le choix du traitement. Dans notre étude, P. æruginosa présen-tait des résistances élevées aux bêtalactamines. En effet plus du tiers des souches étaient résistantes à CAZ et AZT, ce qui rejoint les résultats d’une série brésilienne.7 Le pourcentage de résistance à IPM (63,2%) était nettement supérieur à ceux rapportés dans d’autres études.7,18 Ceci serait probablement dû à son utilisation importante dans le traitement des infections nosocomiales à P. æruginosa, devant le profil multirésistant de ce germe. Pour les aminosides, nos résultats rejoignent ceux d’autres études avec une augmentation des résistances chez P. æruginosa, qui serait en rapport avec leur utilisation fréquente en association avec les bêtalactamines.7,19 La résis-tance aux fluoroquinolones était cependant moins élevée que celles rapportées dans d’autres études en Amérique Latine, dans lesquelles les fluoroquinolones présentaient les taux les plus élevés de résistances chez P. aeruginosa.7,20 A. bauma-nii présentaient également des résistances élevées à l’imipé-nème, seulement 5,5% des souches étant sensibles. Les car-bapénèmes étant le traitement de choix des infections à A. baumannii, l’emploi accru de ces antibiotiques a entraîné la sélection de souches résistantes. Les résistances aux amino-sides et aux fluoroquinolones étaient aussi élevées, intéressant plus que les deux tiers des souches. La multirésistance aux antibiotiques de ce germe a été également retrouvée dans de nombreuses études.4,6,21 Les études concernant la sensibilité des entérobactéries aux antibiotiques ont constaté un niveau de résistance élevé, atteint pour la majorité des antibiotiques testés.22,23 Ceci serait la conséquence de la pression de sélec-tion due à la prescription massive et l’usage souvent abusif des antibiotiques à large spectre, ainsi qu’à la transmission croisée des résistances acquises à déterminisme plasmidique. Dans notre étude, les entérobactéries étaient résistantes aux cépha-losporines de 3ème génération dans plus que les deux tiers des cas. Des résultats similaires ont été retrouvés dans une étude

Page 5: PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019

201

Camerounaise.24 La majorité de ces souches étaient résistantes par production de BLSE et de céphalosporinases. On a assis-té également à une augmentation des souches productrices de carbapénèmases. Dans cette perspective, une étude du profil moléculaire des entérobactéries de sensibilité diminuée aux carbapénèmes provenant du même service que dans cette étude a été réalisée entre janvier 2017 et juin 2017, à la re-cherche des principaux gènes codant pour les carbapénèmases des entérobactéries.25 Un protocole de dépistage régulier de la colonisation a permis de tracer de façon précise l’appari-tion des EPCs. Quarante-deux souches d’entérobactéries pro-ductrices de carbapénémase (EPCs) ont été isolées parmi les entérobactéries, soit une prévalence de 14,4%. Deux tiers des souches étaient productrices de NDM carbapénémases, alors que c’est l’OXA-48 qui est considérée comme la carbapéné-mase prédominante en Tunisie. K. pneumoniæ était la souche la plus fréquente (57%). Cette bactérie est connue pour être l’espèce prédominante d’entérobactéries en termes de produc-tion de carbapénémase. Dans notre travail, 21,4% des souches de K. pneumoniæ étaient de sensibilité diminuée à l’ertapé-nème, mais la PCR n’était pas faite systématiquement pour toutes les souches, en raison du coût élevée de la technique. La résistance aux carbapénèmes est le plus souvent associée à des résistances à d’autres familles d’antibiotiques. Une fois établie, cette multirésistance ne régresse pas spontanément.26

La résistance de ces germes Gram négatif aux antibiotiques, y compris aux carbapénèmes, a augmenté le recourt à d’autres classes thérapeutiques telles que la colistine. Cet antibiotique polymyxinique, a été abandonné en raison de ses nombreux effets secondaires (neurotoxicité et néphrotoxicité), mais il a été récemment réintroduit parmi les antibiotiques de recours dans le traitement des infections dues à des bactéries à gram négatif.27 L’utilisation intensive de la colistine a alors conduit à l’émergence de souches résistantes. Dans notre étude, quatre souches de P. æruginosa, seize souches d’A. baumannii et deux souches de K. pneumoniæ étaient résistantes à la colistine. Ceci constitue un pas de plus vers une panrésistance. Cette perspec-tive gravissime semble de plus en plus menaçante et proche. Devant l’absence d’alternatives thérapeutiques nouvelles dans un avenir proche, les mesures prophylactiques devraient être renforcées. La résistance de S. aureus à la méthicilline est passée de 65,3% en 2012 à 41,6% en 2018. Ces chiffres restent nettement inférieurs à ceux retrouvés dans les séries de Jiang (92,2%), Song W (98%) et Parhizgari (86,4%).11,28,29 Les services de réanimation des brûlés constituent une source majeure de S. aureus résistant à la méthicilline (SARM).11,17,30 En effet, parmi les facteurs de risque d’acquisition d’une in-fection à SARM, on cite la longue durée d’hospitalisation et l’antibiothérapie à large spectre.16,31 Ces deux facteurs sont re-trouvés chez les brûlés en réanimation. Les SARM sont résis-tants à toutes les bêtalactamines (sauf les céphalosporines de

5ème génération auxquelles les SARM peuvent être sensibles). Cette résistance est généralement associée à celle de la gen-tamicine, macrolides, ciprofloxacine, cotrimoxazole et rifa-mpicine.11,31 Dans notre étude, plus de la moitié des souches étaient résistantes à la gentamicine et à la ciprofloxacine. Ceci rejoint les résultats d’une étude chinoise, dans laquelle les ré-sistances aux aminosides et aux fluoroquinolones dépassaient les 90%.11 Concernant les SARM, les glycopeptides, le liné-zolide et la tigécycline étaient les molécules les plus actives. En effet, les glycopeptides constituent le traitement de choix pour les infections graves à SARM.11 Cependant, l’émergence récente de souches de sensibilité diminuée aux glycopeptides (GISA, VISA, h-GISA, h-VISA) risque de poser de sérieux problèmes thérapeutiques, particulièrement après le premier rapport japonais qui décrit l’isolement d’une souche de S. au-reus résistante à la vancomycine.32 Aucune souche de sensibi-lité diminué aux glycopeptides n’a été isolée dans notre étude. La surveillance régulière de la résistance aux antibiotiques des souches de S. aureus, ainsi que l’application des mesures d’hygiène et l’éducation du personnel soignant, particulière-ment au lavage des mains, ont contribué à diminuer le taux de SARM, qui reste cependant élevé.

Conclusion

L’évolution de l’écologie bactérienne dans le service de réanimation des brûlés durant la période d’étude a été mar-quée par une diminution de la prévalence des souches de S. aureus, qui occupaient la première place jusqu’à 2014, rem-placés par P. æruginosa. L’étude de la sensibilité aux anti-biotiques a montré une augmentation globale de la résistance aux antibiotiques entre 2012 et 2018, sauf pour S. aureus. La résistance à CAZ est passée de 65,8% à 84,5% pour K. pneumoniæ et de 9,2% à 53,5% pour P. æruginosa, celle d’A. baumannii étant stable mais élevée (aux alentours de 80%). Concernant IPM, la résistance de P. æruginosa est passée de 46,5% à 68,7% ; celle d’A. baumannii est restée stable mais élevée (supérieure à 90%). Les molécules les plus actives vis à vis de P. æruginosa étaient FOF et CST. Concernant A. bau-mannii, CST était la molécule la plus active suivie de TGC. Le taux de SARM a diminué passant de 65,3% à 41,6%. Pour les SARM, les glycopeptides, LZD et TGC étaient les molé-cules les plus actives. Les mesures d’hygiène appliquées dans le service de réanimation des brûlés (lavage des mains, dépis-tage des patients colonisés par des BMR et structures adaptées à leur isolement) sont, certes, des mesures importantes pour lutter contre la multirésistance des bactéries. Par ailleurs, le bon usage des antibiotiques constitue également un élément clé dans cette lutte. D’où l’importance d’une surveillance épi-démiologique régulière de l’écologie bactérienne du service.

Page 6: PROFIL BACTÉRIOLOGIQUE ET RÉSISTANCE AUX ......peuvent survivre et se développer rapidement, dans les pre-mières 48 heures. Les concentrations de ces germes peuvent passer ainsi

Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXXII - n. 3 - September 2019

202

BIBLIOGRAPHIE

1 Gomez R, Murray C, Hospenthal D et coll: Causes of mortality by autopsy findings of combat casualties and civilian patients admitted to a burn unit. J Am Coll Surg, 208: 34854, 2009.

2 Zarei MR, Dianat S, Eslami V et coll: Factors associated with mortality in adult hospitalized burn patients in Tehran. Ulus Travma Acil Cerrahi Derg, 17: 615, 2011.

3 Le Floch R, Naux E, Arnould JF: L’infection bactérienne chez le patient brûlé. Ann Burns Fire Disasters, 28: 94104, 2015.

4 Essayagh M, Essayagh T, Essayagh S et coll: Epidemiology of burn wound infection in Rabat, Morocco: Three-year review. Médecine et Santé Tropicales, 24: 15764, 2014.

5 Mohamed H: One year prevalence of critically ill burn wound bacterial infections in surgical ICU in Egypt: retrospective study. Egyptian Journal of Anaesthesia, 32: 4314, 2016.

6 Singh NP, Rani M, Gupta K et coll: Changing trends in anti-microbial susceptibility pattern of bacterial isolates in a burn unit. Burns, 43: 10837, 2017.

7 De Almeida Silva K, Calomino MA, Deutsch G et coll: Mo-lecular characterization of multidrug-resistant (MDR) Pseudo-monas aeruginosa isolated in a burn center. Burns, 43: 13743, 2017.

8 Saaiq M, Zaib S, Ahmad S: Early excision and grafting versus delayed excision and grafting of deep thermal burns up to 40% total body surface area: a comparison of outcome. Ann Burns Fire Disasters, 25: 1437, 2012.

9 Ventre I, Goodman AL, Vallet-Gely I et coll: Multiple sensors control reciprocal expression of Pseudomonas aeruginosa reg-ulatory RNA and virulence genes. Proc Nati Acad Sci USA, 103: 1716, 2006.

10 Lari AR, Alaghehbandan R: Nosocomial infections in an Irani-an burn center. Burns, 26: 737-40, 2000.

11 Jiang B, Yin S, You B et coll: Antimicrobial resistance and vir-ulence genes profiling of methicillin-resistant Staphylococcus aureus isolates in a burn center: A 5-year study. MicrobPathog, 114: 1769, 2018.

12 Diederen B, Wardle C, Krijnen P et coll: Epidemiology of clinically relevant bacterial pathogens in a burn center in the Netherlands between 2005 and 2011. J Burn Care Res, 36: 44653, 2015.

13 Rodrigues M, Fortaleza C, Riboli D et coll: Molecular epi-demiology of methicillin-resistant Staphylococcus aureus in a burn unit from Brazil. Burns, 39: 12429, 2013.

14 Wong T, Tan B, Ling M et coll: Multi-resistant Acinetobacter baumannii on a burns unit - clinical risk factors and prognosis. Burns, 28: 34957, 2002.

15 Revathi G, Puri J, Jain BK: Bacteriology of burns. Burns, 24: 3479, 1998.

16 Kaushik R, Kumar S, Sharma R et coll: Bacteriology of burn wounds - The first three years in a new burn unit at the Medical College Chandigarh. Burns, 27: 5957, 2001.

17 Motallebi M, Jabalameli F, Asadollahi K et coll: Spreading of genes encoding enterotoxins, haemolysins, adhesin and bio-film among methicillin resistant Staphylococcus aureus strains with staphylococcal cassette chromosome mec type IIIA iso-lated from burn patients. Microb Pathog, 97: 347, 2016.

18 Lucena A, Dalla Costa L, Nogueira K et coll: Nosocomial in-fections with metallo-beta-lactamase-producing Pseudomonas aeruginosa: molecular epidemiology, risk factors, clinical fea-tures and outcomes. J Hosp Infect, 87: 23440, 2014.

19 Yayan J, Ghebremedhin B, Rasche K: Antibiotic resistance of pseudomonas aeruginosa in pneumonia at a single university hospital center in Germany over a 10-year period. PLoS ONE, 10: e0139836, 2015.

20 Sader H, Gales A, Pfaller M et coll: Pathogen frequency and resistance patterns in Brazilian hospitals: summary of results from three years of the SENTRY antimicrobial surveillance program. Braz J Infect Dis, 5: 20014, 2001.

21 Munier A-L, Biard L, Rousseau C et coll: Incidence, risk fac-tors, and outcome of multidrug-resistant Acinetobacter bau-mannii acquisition during an outbreak in a burns unit. J Hosp Infect, 97: 22633, 2017.

22 Guggenheim M, Zbinden R, Handschin A et coll: Changes in bacterial isolates from burn wounds and their antibiograms: a 20-year study (1986-2005). Burns, 35: 55360, 2009.

23 Altoparlak U, Erol S, AkcayM et coll: The time-related chang-es of antimicrobial resistance patterns and predominant bacte-rial profiles of burn wounds and body flora of burned patients. Burns, 30: 6604, 2004.

24 Ebongue C, Tsiazok M, Mefo’o J et coll: Évolution de la ré-sistance aux antibiotiques des entérobactéries isolées à l’Hô-pital Général de Douala de 2005 à 2012. Pan Afr Med J, ecollection 2015: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4482524/.

25 Maamar B, Abdelmalek R, Messadi AA et coll: Étude épidémio-clinique des infections à entérobactéries produc-trices de carbapénémases chez les brûlés. Ann Burns Fire Di-sasters, 32: 106, 2019.

26 Nordmann P : Résistance aux carbapénèmes chez les bacilles à Gram négatif. Med Sci (Paris), 26: 9509, 2010.

27 Wang Y, Beekman J, Hew J et coll: Burn injury: Challenges and advances in burn wound healing, infection, pain and scar-ring. Adv Drug Deliv Rev, 123: 317, 2018.

28 Song W, Lee KM, Kang HJ et coll: Microbiologic aspects of predominant bacteria isolated from the burn patients in Korea. Burns, 27: 1369, 2001.

29 Parhizgari N, Khoramrooz S, Malek Hosseini S et coll: High frequency of multidrug-resistant Staphylococcus aureus with SCCmec type III and Spa types t037 and t631 isolated from burn patients in southwest of Iran. APMIS, 124: 2218, 2016.

30 Elmanama A, Laham N, Tayh G: Antimicrobial susceptibility of bacterial isolates from burn units in Gaza. Burns, 39: 16128, 2013.

31 Sewunet T, Demissie Y, Mihret A et coll: Bacterial profile and antimicrobial susceptibility pattern of isolates among burn pa-tients at Yekatit 12 hospital burn center, Addis Ababa, Ethio-pia. Ethiop J Health Sci, 23: 209-16, 2013.

32 Centers for Disease Control and Prevention (CDC): Reduced susceptibility of Staphylococcus aureus to vancomycin - Ja-pan, 1996. Morb Mortal Wkly Rep, 46: 6246, 1997.