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1 Projet AFS4FOOD Document de travail n° 18 Le Girofle : poids dans l’économie malgache et place de Madagascar dans le marché mondial Q. Gouzien (1), E. Penot (2), M. Jahiel (3), P. Danthu (4) 1 Ambassade de France à Madagascar, Service de coopération et d’action culturelle. Consultant. 2 CIRAD UMR Innovations, Es - UMR Innovation, Bâtiment 15 - Bureau 223 TA C-85 / 15 - 73, rue Jean-François Breton - 34398 Montpellier Cedex 5 [email protected] : 3 CIRAD Persyst / UPR HORTSYS, CTHT - Cirad-flhor - BP 11 – Tamatave, Madagascar 4 CIRAD, Direction régionale du CIRAD à Madagascar, BP 853, Antananarivo, Madagascar et DGD-RS Campus de Lavalette, 34398, Montpellier cedex 5. Remerciements Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet AFS4FOOD (Améliorer la sécurité alimentaire et le bien-être des ménages ruraux africains à travers une meilleure synergie entre les systèmes agroforestiers et les cultures vivrières) supporté par l’ Union européenne ( EuropAid) et l’Union africaine. Il a été appuyé par le Projet FSP PARRUR (PArtenariat et Recherche dans le secteur RURal) du Ministère des Affaires étrangères français. Les auteurs précisent que son contenu relève de leur seule responsabilité.

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Projet AFS4FOOD

Document de travail n° 18

Le Girofle : poids dans l’économie malgache et place de Madagascar

dans le marché mondial

Q. Gouzien (1), E. Penot (2), M. Jahiel (3), P. Danthu (4)

1 Ambassade de France à Madagascar, Service de coopération et d’action culturelle. Consultant.

2 CIRAD UMR Innovations, Es - UMR Innovation, Bâtiment 15 - Bureau 223 TA C-85 / 15 - 73, rue Jean-François Breton - 34398 Montpellier Cedex 5

[email protected] :

3 CIRAD Persyst / UPR HORTSYS, CTHT - Cirad-flhor - BP 11 – Tamatave, Madagascar

4 CIRAD, Direction régionale du CIRAD à Madagascar, BP 853, Antananarivo, Madagascar et DGD-RS Campus de Lavalette, 34398, Montpellier cedex 5.

Remerciements

Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet AFS4FOOD (Améliorer la sécurité alimentaire et le

bien-être des ménages ruraux africains à travers une meilleure synergie entre les

systèmes agroforestiers et les cultures vivrières) supporté par l’ Union européenne ( EuropAid) et

l’Union africaine. Il a été appuyé par le Projet FSP PARRUR (PArtenariat et Recherche dans le secteur

RURal) du Ministère des Affaires étrangères français. Les auteurs précisent que son contenu relève

de leur seule responsabilité.

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1 Introduction

Le giroflier (Syzygium aromaticum L.) est à l’origine de deux produits ayant une valeur importante dans le commerce international : le clou de girofle (un bouton floral séché) et l’essence de girofle (distillation des feuilles, des griffes ou des clous). Originaire des îles Moluques en Indonésie, le giroflier a été introduit à Madagascar au cours du XIXème siècle, en particulier sur la côte est dans la région Analanjirofo (qui signifie en malgache « forêts de girofles »), où il a trouvé un contexte écologique favorable à son développement (Maistre 1964 ; Danthu et al. 2014). La culture s’y est significativement développée à partir du début du XXème siècle. De la même façon, les îles des Comores (en particulier Anjouan) et de Zanzibar (y compris Pemba) sont devenues au cours du XXème siècle productrices de girofle (Martin 1991 ; Danthu et al. 2014). Mais c’est l’Indonésie qui est le premier producteur et utilisateur mondial, ce pays consomme 90% et produit 75% de l’offre mondiale (Ruf, 2000).

Les usages du girofle sont variés. Le clou est d’abord une épice utilisée dans de nombreuses cuisines orientales ou occidentales/ Le clou est connu pour ses propriétés antiseptiques et anesthésiques, utilisé depuis très longtemps en dentisterie, cosmétique et parfumerie. (Teuscher et al. 2005). La majeure partie de la production mondiale sert à la fabrication des kreteks, cigarettes traditionnelles indonésiennes avec du girofle (Teuscher et al. 2005 ; Duclos 2012). Ruf (2000) estime qu’environ 75% de la production mondiale de clous était, dans les années 1980, destinée à la fabrication des kreteks ;une industrie aujourd’hui le second plus gros employeur d’Indonésie (après la fonction publique) (Arnez 2009). Le pays est le principal consommateur mondial de girofle et aussi le premier importateur.

L’intérêt de l’essence de girofle réside dans sa richesse en eugénol (Briand 1996 ; Teuscher et al. 2005) et peut contenir jusqu’à 90% d’eugénol selon l’organe distillé ou le mode de distillation (Gopalakrishanan et Narayanan 1988 ; Srivastava et al. 2005 ; Razafimanonjison et al. 2013, 2014). Cette molécule est connue pour ses propriétés antibactériennes, antiseptiques, anesthésiantes et analgésiques ; utilisée en pharmacie, médecine humaine et vétérinaire et dentaire (Burt 2004 ; Teuscher et al. 2005 ; Milint et Deepa 2011). L’eugénol est aussi la matière première utilisée pour l’hémi-synthèse de vanilline, et une base largement utilisée en parfumerie : Opium d’Yves Saint-Laurent ou Air du Temps de Nina Ricci (Briand 1996). Actuellement, la demande en eugénol sur le marché international est très importante et en constante augmentation (Duclos 2012). Une filière de production d’eugénol par purification de l’essence de girofle s’est développée, en particulier en Indonésie et plus récemment à Madagascar. Comme pour les clous, l’Indonésie domine le marché mondial de l’essence de girofle, étant à la fois producteur et principal importateur.

Clous et essence de girofle sont parmi les principales exportations agricoles en valeur de Madagascar (Danthu et al, 2014). Ils occupent aussi une place importante dans l’économie de nombreux ménages ruraux de la côte est malgache (Andrianirina 2011, Danthu et al. 2014).

Cependant le poids du girofle dans l’économie malgache montre une grande variabilité d’une année à l’autre et le poids respectif des clous et des essences dans les exportations est difficile à cerner. Les filières d’exportation sont peu visibles et semblent avoir évoluées au cours des dernières décennies (Maincent et al., 2014). L’objectif de cet article est de mieux comprendre les déterminants et les évolutions du marché mondial du girofle, de la place que Madagascar y occupe et d’évaluer le poids de cette filière dans l’économie malgache dans un contexte de très faible information globale sur cette filière particulière. Ce panorama économique est soutenu par une analyse rétroactive du marché malgache et international du girofle sur environ un quart de siècle (depuis 1991) afin d’éliminer les artéfacts liés aux variations interannuelles très importantes de production du giroflier liées à sa physiologie et ainsi en mettre en évidence les tendances fortes.

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2 Méthodologie

Notre étude porte sur la période allant de 1991 à 2014. Elle s’appuie sur des statistiques économiques nationales et internationales provenant de plusieurs sources :

- la Banque Centrale de Madagascar, qui consolide les données de l’INSTAT (Institut National de la Statistique, Madagascar) avant 2004 et celles de la Direction Générale des Douanes de Madagascar à partir de 2004. Les valeurs exportées sont rapportées en FOB (Free on Board) et en Ariary (MGA) courant. Les chiffres antérieurs à 2005 ont été convertis du franc malgache à l’Ariary : 1 Ariary (MGA) = 5 francs malgaches (MGF).

- The United Nations Commodity Trade Statistics Database (UN COMTRADE 2015), dont les données ont permis d’évaluer la place des exportations malgaches de clou de girofle dans le marché international. Par commodité, nous utiliserons les termes « clous » pour désigner ces produits. Pour les chiffres d’exportations d’essences de girofle, il est nécessaire d’utiliser le niveau de détail le plus élevé afin de distinguer les essences de girofles des autres (« huile essentielle de girofle autres » et « 33012931 » ou « huile essentielle de girofle fait à la main », à partir des statistiques de la Direction Générale des Douanes de Madagascar).

- FAOSTAT (FAOSTAT 2015) pour accéder à la production de girofle (clous et essence) des différents pays producteurs.

3 Résultats

3.1 Poids du girofle dans les exportations malgaches

Place du secteur agricole dans les exportations malgaches

Les principaux postes d’exportation en valeur de Madagascar sont listés dans le Tableau 1. Les produits agricoles, occupent régulièrement la première, jusqu’en 2011, mais sont en régression relative depuis 25 ans, passant de 42,8 % du total des valeurs des exportations à 13,7%, en 2013, même s’ils progressent en valeur absolue. Les produits textiles ont connu une forte progression entre 1991 et 2001 grâce à la création des zones franches en 1990 et la suppression des quotas et taxes d’importations des Etats-Unis dans le cadre de l’African Growth Opportunity Act (AGOA) en 2000. Ils continuent d’occuper une place importante, malgré une baisse après la suspension de l’AGOA en 2010. La désignation « produits du règne animal » fait essentiellement référence aux crustacées, dont la part chute régulièrement. Enfin il faut signaler la récente importance prise par le nickel à partir de 2013 depuis la mise en exploitation des projets miniers d’Ambatovy (et QMM pour l’ilménite, oxyde de fer et titane).

Girofle, vanille, litchis : principales exportations agricoles malgaches

Parmi les produits du règne végétal objet d’exportations de Madagascar, les trois principaux sont la vanille, le girofle (clous et huile essentielle) et le litchi. La vanille, plante originaire d’Amérique centrale a été introduite à Madagascar à la fin du XIXème siècle par des planteurs réunionnais (Bouriquet, 1954 ; Ramantsoavina, 1971). La région d’Antalaha est devenue le principal bassin de production mondial (Bouriquet, 1954). C’est la filière d’exportation emblématique de Madagascar et certainement la plus ancienne. La Grande Ile est, avec l’Indonésie le premier producteur mondial (Loeillet, 2003). Madagascar fixe les tendances du marché et la vanille a longtemps été le premier poste d’exportation agricole de Madagascar (Loeillet, 2003 ; Danthu et al, 2014). Le litchi, originaire de Chine méridionale, est aussi une plante anciennement introduite à Madagascar, bien avant la colonisation française (Prudhomme, 1902), qui se développe sur la côte est du pays (Everinoff, 1950). La production annuelle malgache est d’environ 100.000 tonnes, classant Madagascar à la quatrième place des producteurs mondiaux et approvisionnr le marché européen au moment des fêtes de fin d’année. Le marché a pris son essor à partir de 1987 quand l’Union Européenne autorisa l’importation de litchis traités à l’anhydride sulfureux afin d’en assurer la préservation (Jahiel et al., 2014). Sur la période allant de 1991 à 2014 la valeur des exportations totales de girofle représente

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en moyenne environ 4,5% des exportations totales malgaches, contre 1,9% pour le litchi mais 7,3% pour la vanille. La figure 1 met en évidence que depuis 1991, la première place est occupée alternativement par le girofle et la vanille. Les valeurs des exportations de ces deux produits montrent une augmentation tendancielle régulière au cours de la période et en particulier à partir de 1999 et 2000.

Années

1991 2001 2011 2013

Exportations valeur % valeur % valeur % valeur %

Produits du règne végétal 126 520 42.8 270 070 28.0 277 916 18.9 323 202 13.7

Produits du règne animal 55 506 18.8 116 490 12.3 113 779 7.7 112 243 5.9

Industries alimentaires 18 263 6.2 44 499 4.7 100 961 6.9 112 366 7.4

Minerais, sel, pierres 20 507 6.9 9 708 1.0 120 043 8.2 111 897 7.0

Industries chimiques 8 115 2.7 12 068 1.3 44 335 3.0 46 206 2.1

Textile, coton, cuir et peaux 40 473 13.7 307 378 32.4 432 825 29.4 529 877 26.1

Bois, papier 3 527 1.2 18 649 2.0 24 862 1.7 24 954 1.3

Nickel 0 0 0 0 0 0 586 425 20.3

Combustibles 1 351 0.5 90 558 9.6 93 917 6.4 80 776 4.5

Machines, produits manufacturés 8 807 3.0 26 492 2.8 156 074 10.6 58 370 4.8

Autre 12 308 4.2 51 706 5.5 106 814 7.3 171 741 6.9

Total 295 378 100 947 618 100 1 471 526 100 2 158 057 100

Tableau 1 : Répartitions pour les années 1991, 2001, 2011 et 2013 en valeurs (milliers USD) et en pourcentages des exportations de Madagascar regroupées en grandes catégories.

Réalisé à partir des codes à deux chiffres (niveau le plus agrégé) de UNCOMTRADE (2015) selon la nomenclature suivante : i) Produits agricoles, ii) Produits du règne animal , iii) industries alimentaires , iv) Minerais, v) Industries chimiques, vi) Textile, coton, cuir et peaux, vii) Bois et papier, viii) Machines, produits manufacturés et ix) Autres

Mais au-delà de ces dynamiques de long terme, la figure 1 montre que le poids respectif de ces produits dans les exportations malgaches a fortement évolué récemment en fonction de l’évolution des prix relatifs. La place prépondérante du girofle est récente (2009) avec des variations interannuelles de grande amplitude alors que le litchi apparait beaucoup plus stable.

Concernant la vanille, le pic enregistré en 2000 s’explique par le fait que la zone de production fut touchée en 2000 par deux cyclones de forte puissance, Eline et Hudah induisant une très faible production. Les prix de la vanille naturelle ont donc explosé. Le blocage de toutes les activités économiques pour presque une année, et l’évolution à la baisse des prix internationaux a ramené les prix à une situation « normale » puis très basse, jusqu’à 25 US $ le kilo en 2004. Parallèlement, une partie des utilisateurs se sont détourné de la vanille naturelle pour s’intéresser de plus en plus aux produits de substitution (Loeillet, 2003). Une partie de la vanilline de synthèse, dite « naturelle » est issue de l’eugénol, huile essentielle provenant de la distillation des feuilles de girofle.

Avant 2000, les exportations de girofle occupent une place assez limitée, comparativement à la vanille du fait de prix assez bas pour cette période pour le girofle. Elles s’élèvent en moyenne à 10 milliards MGA de 1991 à 1998 contre le double pour la vanille. Comme pour la vanille, un essor est constaté à partir de 2000, avec un pic à 149 milliards MGA en 2001, mais a été stoppé par la crise de 2002. Depuis, les exportations en valeur ont connu une tendance haussière, passant de 33 milliards

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MGA en 2002 à presque 109 en 2010, et une explosion en 2011 et 2012, période pendant laquelle la valeur des exportations a été multipliée par quatre pour atteindre le pic de 454 milliards MGA en 2012. Les chiffres sont en baisse en 2013 et 2014 en raison d’une diminution de la quantité exportée, mais ils confirment le changement d’échelle opéré, surtout en valeur (exportations supérieures à 200 milliards MGA) et la place de premier produit agricole d’exportation occupée par le girofle devant la vanille.

Figure 1 : Evolution de la valeur des exportations malgaches (FOB) de girofle (clous et essence), de vanille et de litchis de 1991 à 2014 (en millions de MGA courants). Source : Banque centrale de Madagascar (2015).

Poids relatif du clou et des essences de girofle

Le clou de girofle, représente entre 66% (en 1995) et 96% (en 2001) de la valeur totale des exportations liées au girofle, le solde correspondant à l’essence de girofle. En moyenne, les essences de girofle ne comptent que pour 20 à 30% de la valeur des exportations malgaches liées au girofle (Figure 2A). Ce poids relatif est assez constant dans le temps (écart-type de 10 points de pourcentage). Ainsi, le clou seul compte pour 4,5% des exportations totales, en moyenne de 1991 à 2014. Il est même devenu le premier produit d’exportation en 2011 et 2012 (avec un maximum à 421,5 milliards de MGA en 2012), représentant plus de 10% des exportations totales tandis que les essences comptent pour environ 1%.

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Figure 2A : Dynamique comparée de l’exportation de clou et d’essence de girofle de Madagascar entre 1991 et 2014 selon trois critères : A : la valeur des exportations en millions de MGA courants. ). Source : Banque Centrale de Madagascar( 2015).

L’essor des exportations d’essences de girofle en valeur est plus limité. La valeur des exportations a augmenté progressivement, passant de moins d’un million MGA au début des années 1990 à 10 milliards en 2005, 42,7 milliards en 2010 et plus de 68,4 en 2011. Après une chute en 2012 due à une baisse de la quantité exportée, elles atteignent 64 milliards en 2013 et dépassent cette valeur en 2014 (64.5 milliards) (Figure 2A). Les exportations sont en constante augmentation depuis les années 2000 avec un prix très rémunérateur depuis 2011. La fluctuation de la valeur des exportations dépend à la fois des quantités de produit et des prix d’achat pratiqués.

Le premier critère (celui de la quantité de produit mis sur le marché) est particulièrement déterminant pour les clous. Comme le montre la figure 2B, la production de clous (et donc la quantité exportées) est très fluctuante d’une année sur l’autre, du fait des phénomènes d’alternance liés à la phénologie particulière de l’arbre, bien connu des biologistes et des agronomes (Maistre, 1955 ; Ramantsoavina, 1971, Razafimamonjison et al , 2011)) qui se caractérise par un cycle de trois ou quatre ans alternant des années de fortes, moyennes et faibles productions. Il entraine de grands écarts entre deux années successives, parfois passant du simple au double (écart-type proche de 5000 tonnes de 1991 à 2013), dans une fourchette située entre 6000 tonnes en 2002 à plus de 22000 tonnes en 2012. Cependant, en tenant compte de cette alternance, on peut constater (Figure 2B) une relative constance de la production de clou à Madagascar si on lisse les données sur une période de quatre ans, avec en moyenne 13000 tonnes de 1991 à 2014 (12000 de 1991 à 2010).

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A : valeur des exportations (en millions MGA)

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Figure 2B : Dynamique comparée de l’exportation de clou et d’essence de girofle de Madagascar entre 1991 et 2014 selon trois critères ! B : les quantités exportés (exprimées en tonnes de produits). . Source : Banque Centrale de Madagascar( 2015).

Le second facteur d’évolution des exportations est celui du prix. Le marché du clou de girofle est principalement contrôlé par l’Indonésie. Le prix unitaire des exportations de clou de girofle à Madagascar dépend donc de la demande internationale et principalement indonésienne. La Figure 2C montre que le prix a régulièrement augmenté depuis 1993, partant de 214 MGA/kg pour atteindre 6761 MGA/kg en 2001. La crise de 2002 a eu pour effet une chute temporaire des prix malgaches à un prix inférieur à celui de 1999 concomitamment à la crise indonésienne de 1998 liée à une demande internationale plus faible sur le girofle. La limite des 6000 MGA/kg est à nouveau dépassée en 2008 pour atteindre près de 19000 MGA/kg en 2012 et plus de 23175 MGA/kg en 2014 (Figure 2C). L’économie malgache n’a pas d’influence sur les prix internationaux. Les taxes sont quasiment inexistantes comme l’a montré la récente analyse de filière faite par Maincent et al. en 2014. Le marché malgache (comme ses voisins Zanzibar, Tanzanie et Comores) est donc directement lié au marché international encore dominé par l’Indonésie mais où émerge petit à petit la forte demande des pays asiatiques (Inde, Moyen orient).

Les chiffres de 2013 et 2014 montrent, par rapport à 2012 une baisse de la production de clous et donc de la quantité exportée mais aussi une augmentation constante du prix unitaire (23175 MGA/kg pour 2014) (Figure 2B et 2C). L’augmentation des valeurs d’exportations (Figure 2A) de clous girofle est donc essentiellement liée à l’envolée des prix. De ces constats, il apparait que la quantité exportée n’est nullement corrélée au prix unitaire. La structuration des prix n’est donc pas en relation avec l’offre. Madagascar n’est pas le « price maker » sur le marché international du girofle : ce rôle est encore tenu par l’Indonésie. On l’explique par le fait que l’Indonésie produit 80 % des besoins et n’achète à l’extérieur que 20 % de ses besoins. L’offre est donc liée à cette demande qui reste résiduelle.

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Figure 2C : Dynamique comparée de l’exportation de clou et d’essence de girofle de Madagascar entre 1991 et 2014 selon trois critères ; C : les prix unitaire FOB (en MGA/kg de produits). Source : Banque Centrale de Madagascar( 2015).

Concernant l’essence de girofle, la quantité produite fluctue depuis vingt ans entre 1 000 et 2 000 tonnes par an alors que les prix unitaires se sont envolés face à une demande en forte augmentation (Figure 2A, 2B, 2C). Le prix des essences de girofle est fortement corrélé avec celui du clou (coefficient de corrélation de 0,94 significatif au seuil de 1%) (Figure 2C), alors que leur utilisation respective est totalement différenciée. Il a cependant augmenté plus vite jusqu’en 2006 et de façon exponentielle depuis 2011, creusant ainsi l’écart de prix entre clous et essences. En 2005, cet écart est inférieur à 2000 MGA/kg (soit un quart du prix unitaire des essences). Entre 2005 et 2009, le prix des essences a doublé alors que celui des clous a peu augmenté. L’écart de prix a donc triplé et représente plus de la moitié du prix unitaire des essences. Le prix des essences a encore triplé entre 2009 et 2011, atteignant presque 40000 MGA/kg, avant de revenir à environ 30000 pour 2012 et 2013. Pour 2014, le prix FOB se situe à 33173 MGA/kg. L’évolution récente de l’évolution des prix respectifs des deux produits pourrait indiquer que les deux prix sont maintenant découplés.

3.2 Les exportations malgaches dans le commerce mondial du girofle

Destination des exportations malgaches

L’agrégation des données rassemblées dans la Figure 3 sur les exportations de clous depuis Madagascar montre que l’Asie (hors Moyen et proche Orient) est le marché majoritaire pesant 73% des exportations malgaches. Les deux principaux importateurs de clous de girofle de Madagascar sont Singapour et l’Inde, tandis que l’Europe en importe 10% et l’Amérique 5%, en moyenne de 2007 à 2014. Les exportations vers les pays du Proche et Moyen Orient et du Maghreb ont été plus élevées que vers l’Europe de 2010 à 2012. Toutefois, la part de l’Europe est passée de 7% en 2012 à 12% en 2013 et 19% en 2014.

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Figure 3 : Valeur des exportations de clous de girofle de Madagascar vers les principales destinations entre 2007 et 2014 (en milliers USD). Source : UNCOMTRADE (2015).

La situation asiatique est complexe. Singapour était, jusqu’à 2012 le principal hub asiatique avec plus de 50% des exportations malgaches de girofle de 2001 à 2006 et 40 à 60% entre 2007 et 2011 en import. Mais depuis 2007, l'Inde vient directement s’approvisionner sur Madagascar. En 2012, Madagascar a exporté ses clous pour 45,6 millions USD vers Singapour et 42,4 millions USD vers l’Inde. En 2013, Singapour importe pour 29,2 millions USD (28% des exportations malgaches) tandis que l’Inde importe pour 24,8 millions USD (24% des exportations). L’Inde est devenue le premier importateur pour la première fois en 2014 (38,9 millions USD, soit 36,5% des exportations malgaches). Les exportations vers Dubaï sont significatives depuis 2012 (4,8 millions USD en 2014) mais loin derrière Singapour et l’Inde. Enfin il faut signaler qu’officiellement, l'importation de clou de girofle est interdite en Indonésie, mais officieusement beaucoup de contrebande existe puisque l’Indonésie importe de façon non officielle 20 % de ses besoins de Singapour. Les importations officielles indonésiennes sont très faibles (Figure 3). La figure 4 montre que l’Asie importe 53% des essences de girofles de Madagascar tandis que l’Europe importe 48% en moyenne de 2009 à 2014, le reste étant importé par les Etats-Unis. A la différence des clous, l’Europe est donc un marché important pour l’essence de girofle. La part de l’Asie a atteint 83% en 2014 en raison des importations record de l’Indonésie et du poids croissant de l’Inde, dont la part passe de 6% en 2012 à 27% en 2014. L’Indonésie, dont la production d’essence de girofle est en moyenne 3 000 tonnes /an, a développé une industrie de transformation de l’eugénol d’où des niveaux d’importation importants. L’essence de girofle est exportée seulement dans une dizaine de pays.

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Figure 4 : Valeur des exportations d’huiles essentielles de Madagascar de 2007 à 2014 vers les principales destinations (en milliers USD). Sources : UNCOMTRADE (2015) et Direction Générales des Douanes de Madagascar.

En 2013, l’Inde est le premier importateur d’essence avec environ 7 millions USD, soit presque un quart des exportations malgaches, devant l’Indonésie (5 millions USD, 18% des exportations). L’Italie et la France importent chacun pour 4,6 millions USD (16% des exportations), suivis de la Chine (2,4 millions USD soit 8% des exportations) et d’autres pays européens (Espagne, Suisse). En 2014, l’Indonésie redevient premier importateur avec 11,8 millions USD soit 45% des exportations comme en 2012, devant l’Inde (7 millions USD, 27% des exportations). La France et l’Italie ont importé respectivement pour 4,1 millions USD et 3,2 millions USD (soit respectivement 16% et 12% des exportations). Viennent ensuite la Chine (2 millions USD, 8% des exportations), la Suisse (1,7 millions USD), l’Allemagne (1,2 millions USD) et Singapour (1,1 millions USD). Les autres pays importateurs ont été, par ordre décroissant, les Etats-Unis, l’Espagne, la Belgique, le Royaume-Uni et le Canada.

Poids des exportations malgaches dans le commerce mondial du girofle

La figure 5 montre que pendant les années 1990, Madagascar était le second exportateur mondial de girofle, avec 35% des exportations mondiales en moyenne ’40 % pour Singapour). Madagascar reste le second exportateur mondial de girofle sur la période 2000-2010, représentant en moyenne un quart des exportations mondiales, derrière Singapour qui pèse 27% des exportations sur la même période. Cette moyenne cache de fortes fluctuations du poids de Madagascar, qui atteint 44% en 2001 et 13% en 2005. Sri Lanka et l’Indonésie sont les 3ème et 4ème exportateurs, représentant chacun plus de 10% des exportations. Enfin, les exportations du Brésil et de la Tanzanie pèsent chacune environ 7% des exportations mondiales. Les exportations des Comores deviennent significatives à partir de 2008.

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Figure 5 : Evolution de la valeur des exportations de clous de girofle des principaux pays exportateurs de 1990 à 2013 (en millions USD) (Source : UNCOMTRADE (2015).

Madagascar est redevenu premier exportateur mondial en 2012 et 2013 (comme en 2001 et 2009) avec 32% des exportations en 2013, devant Singapour (12%), du fait des prix hauts. Le poids du Sri Lanka et de l’Indonésie a diminué récemment, par rapport aux années 2000, au profit de la Tanzanie qui talonne Singapour en 2013, et des Comores qui pèsent depuis 2009 dans les exportations mondiales : 7,3% en 2013 (données miroir, imputées à partir de la somme des importations de girofle en provenance des Comores, renseignées par tous les autres pays). Les autres pays ayant exporté plus d’un million USD en 2013 sont, par ordre décroissant, les Pays-Bas, l’Inde, l’Allemagne, la France, le Vietnam, les Etats-Unis et la Malaisie (réexportations). En volume, Madagascar est le premier exportateur mondial de girofle dans les années 90 (40% des exportations mondiales en moyenne) comme sur la période 2000-2013 (27% des exportations), devant Singapour (36% des exportations dans les années 90 et 22% depuis 2000).

3.3 Rôle de Singapour et de l’Indonésie dans le marché du girofle

L’Indonésie est à la fois le premier producteur et le premier consommateur mondial de clous de girofle (confection des kreteks). Elle importe le girofle provenant de Madagascar, Tanzanie (et en particulier Zanzibar) et les Comores. Dans la figure 6 qui synthétise la production annuelle de l’Indonésie, Madagascar, des Comores et la Tanzanie, nous observons une corrélation négative (-0,71) significative au seuil de 5% entre la quantité exportée par Madagascar et la production indonésienne de l’année précédente sur la période 1991-2013. Cela semble montrer qu’une partie des exportations malgaches dépend de la production indonésienne : quand cette dernière n’a pas été assez forte pour satisfaire la consommation indonésienne, l’Indonésie importerait plus depuis Madagascar l’année suivante. La production malgache est donc la variable d’ajustement de la consommation indonésienne de clous.

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Figure 6 : Production indonésienne et exportations malgaches, comorienne et tanzanienne de clous de girofles pour la période 1990/2013. Source : FAOSTAT (2015).

Il apparaît nettement (figure 7) que les importations indonésiennes ont été importantes pendant les deux périodes durant lesquelles la production indonésienne était plus faible (1999-2000 et 2011-2012), et que ces périodes correspondent à l’amorce des deux pics d’exportations pour Madagascar et Singapour. Lors de ces deux phases de fortes importations indonésiennes, l’Indonésie importe de 50 à 80% de ses girofles depuis Madagascar.

Figure 7 : Evolution de la production indonésienne, des importations indonésiennes totales, des importations indonésiennes depuis Madagascar et des importations indonésiennes depuis Singapour de 1998 à 2012 (en tonnes). Source : FAOSTAT (2015) (productions), UNCOMTRADE (2015) (importations).

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Singapour est le premier exportateur mondial sur la dernière décennie (jusqu’en 2010). La différence des prix entre les exportations de Madagascar et de Singapour le confirme : la valeur unitaire des exportations singapouriennes en 2013 est de 1908 USD/t, environ 22% plus élevée que celles de Madagascar. En moyenne sur la période 2003-2012 pour laquelle les données d’échanges commerciaux avec l’Indonésie sont disponibles, Singapour importe majoritairement son girofle depuis Madagascar (55,5%), 15% de l’Indonésie (mais très peu depuis 2007), 11,3% depuis la Tanzanie et 10% des Comores. Sur une période plus longue démarrant en 1989, Madagascar représente même 63% des importations singapouriennes, la Tanzanie 18% (les importations depuis la Tanzanie ont chuté dans les années 1990) et les Comores 6%.

Le premier client de Singapour est l’Indonésie, absorbant en moyenne 28% des exportations singapouriennes. Les évolutions des importations depuis Madagascar et des exportations vers l’Indonésie sont bien parallèles : Singapour réexporte probablement une partie des girofles malgaches vers l’Indonésie. Toutefois, ces importations sont bien plus élevées que les exportations vers l’Indonésie, donc Singapour consomme et redistribue surtout le girofle malgache vers ses autres clients, notamment la Malaisie, l’Arabie-Saoudite et les Emirats. Les autres pays destinataires (pour plus d’un million USD et plus de 100 tonnes en 2012 et 2013) sont le Pakistan, le Bangladesh, le Japon, la République dominicaine, le Nigéria, le Myanmar et le Vietnam.

4 Discussion

Cette étude replace le rôle des produits agricoles parmi les exportations malgaches. Elle confirme qu’ils constituent un poste important, même si leur poids semble progressivement baisser depuis les années 1990 au profit des textiles et produits miniers. Trois produits ont un poids significatif : la vanille, le litchi et le girofle, tous introduite et développée à Madagascar depuis la période coloniale (Prudhomme, 1902 ; Leroy, 1944 ; Evreinoff, 1950 ; Maistre 1955). Pour les clous de girofle et l’essence de girofle, Madagascar occupe une place particulière : second producteur mondial, mais premier exportateur dans un contexte où le premier producteur et premier consommateur reste l’Indonésie. C’est d’ailleurs ce pays qui contrôle le marché et qui joue le rôle de « price maker » ( clous et essences). Les valeurs à l’exportation des clous malgaches dépendent de la demande indonésienne. Cependant le transfert n’est pas établi directement entre Madagascar et l’Indonésie qui longtemps a interdit les importations de girofle. Les volumes d’exportations officiels malgaches vers l’Indonésie sont faibles voire nuls certaines années. La majorité des exportations à destination de l’Indonésie transitent par le hub de Singapour qui en tant que « hub », assure un stockage qui tamponne les aléas en lissant offre et demande.

Les exportations malgaches (comme celles des autres pays exportateurs : Zanzibar ou les Comores) servent en grande partie de variables d’ajustement à la consommation indonésienne. Mais la concurrence des grands groupes cigarettiers internationaux qui tentent de conquérir l’immense marché indonésien peut être, à moyen terme, une cause de réduction de la demande (et donc des importations) de ce pays (Hanusz 2002 ; Arnez 2009). L’avenir sur la filière clou « CG3 » pourrait être plus problématique si, effectivement la concurrence des cigarettiers américains devenait prégnante sur le marché indonésien.

On constate aussi que les destinations pour les clous sont diversifiées ces dernières années, quoique restant majoritairement asiatiques (Proche et Moyen Orient, Malaisie, Vietnam mais surtout Inde et Emirats Arabes-Unis donc Dubaï). Ces échanges concernent essentiellement l’usage des clous pour sa valeur d’épice (comme ingrédient du massala ou du ras el hanout ), ce que confirme l’ouverture récent d’un marché vers les pays arabes. Ce marché des épices pourrait être l’avenir des clous de girofle malgaches, si la tendance actuelle de développement des ventes dans ces pays se confirme. A Madagascar, il semble que les exportations vers ces pays soient souvent le fait d’exportateurs étrangers venant faire « un coup, une bonne affaire » sans respect pour les acteurs locaux qui, eux, paient une patente pour leurs activités économiques.

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La filière girofle illustre parfaitement la théorie de « l’ignorance politique » développée par Dove en 1983 : l’Etat malgache n’a pas investi dans la filière et en contrepartie, ne la taxe pas à l’export, il ignore la filière qui finalement est en prise directe avec l’économie mondiale dans un contexte capitaliste à très forte concurrence et s’adapte seule sans aides ni taxes. La filière s’est donc développée de façon purement endogène sans aide étatique. Elle est peu structurée, pas ou très peu organisée, avec une atomisation des producteurs. Les exportateurs malgaches sont concurrencés déloyalement par ces exportateurs « sauvages ». Devant cette concurrence, ils ont décidé en 2012 de s’organiser en un « Groupement des Exportateurs de Girofle de Madagascar » (GEGM) afin de contrôler et d’assainir la filière, sur le modèle des groupements existants déjà rassemblant les exportateurs de vanille ou de litchis. Le GEGM, outre une forme de représentation nationale de la filière, a pour intérêt l’élimination des opérateurs « informels » au niveau de l’exportation. Son objectif est de réorganiser la filière et de l’assainir (qualité au niveau collecteurs). Il souhaite aussi avoir une capacité de lobbying auprès du gouvernement pour imposer des normes sur les produits exportés et imposer une limite minimale de qualité à l’export via un cahier des charges pour l’exportation (exigences sanitaire, sécurité, normes sur la qualité) qui donneraient plus de poids aux exportateurs actuels. Si les clous récoltés par le producteur sont généralement de très bonne qualité, ce n’est souvent pas le cas des lots livrés à l’exportateur (ajout de brisures, griffes et autres poussières pour augmenter le tonnage), obligeant de dernier à un tri long et fastidieux.

La majorité des exportations et de la demande internationale porte sur des clous de girofle « CG3 ». La notion de qualité n’a pas toujours été prise en compte, alors que ce point a été abordé dès la période coloniale. Un arrêté de 1930 propose une classification en deux types afin de différencier les clous de qualité épice (type 1) des clous tout venant (JO, 1930). Aujourd’hui la qualité des clous est établi selon trois catégories (CG1 : « Hand pick », CG2 : « Prima », CG3 : « Courant ») (Schweitzer et Ranaivosoa 2007). Si la majeure partie des exportations malgaches semble de qualité suffisante pour la fabrication des kreteks indonésiennes (Jahiel 2010), de nouveaux marchés pour le clou épice seraient en voie de développement (Russie, Chine, pays émergents) (Maincent et al., 2014), mais cela ne concernerait que des volumes de clous assez limités. De même, le clou « épice » de qualités CG1, CG2 et labellisé biologique et équitable est actuellement exporté dans les pays occidentaux tels que l’Europe, Etats-Unis et Canada, en très petite quantité mais avec un potentiel de prix élevé.

Concernant l’essence de girofle, notre étude montre que Madagascar est l’un des principaux producteurs mondiaux de ce produit à haute valeur technologique. Les alambics, très nombreux dans la région relève d’une technologie très frustre, un rendement matière faible et une empreinte environnementale forte : la production d’un litre d’essence consomme environ 1000 litres d’eau et 100 kg de bois de chauffe (Sandratriniaina, 2014 ; Simanjuntak, 2014). L’avenir de la filière essence de girofle semble prometteuse devant la forte demande du marché mondial en eugénol (vanilline de synthèse), mais relève d’une meilleure prise en compte des notions de rendements matière et énergétique. La seconde voie de valorisation des essences des girofles malgaches pourrait consister à exporter non pas l’essence brute mais l’eugénol purifié (un industriel de Tamatave vient de se doter d’une colonne de purification de l’eugénol afin de donner une plus-value à l’essence de girofle. Une autre installation est cours d’installation, par le groupe suisse Givaudan).

On peut par ailleurs noter que si la filière giroflière est importante pour l’économie malgache, elle est aussi très rémunératrice pour les acteurs de la filière. Celle-ci est très courte et comporte trois niveaux : un producteur souvent aussi collecteur et/ou distille les feuilles ; un ou deux collecteurs intermédiaires (épicier du village, transporteur) ; un exportateur. C’est une filière qui rémunère très bien le producteur (Schweitzer et Ranaivosoa 2007, Danthu et al., 2014). Duault (2008) montre que la rémunération du girofle est importante pour les producteurs : ceux-ci touchent environ 58 % du cours mondial du clou ce qui est globalement très correct par rapport à d’autres cultures de rente, les collecteurs 20 % et les exportateurs 21%. En 2014, Maicent et al. indique que le producteur touche, pour les clous 80 % du prix de vent export avant mise a FOB et 90 % pour l’essence (2013-2014 a été une période de prix très hauts permettant une telle répartition). L’exportateur touche 13

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% pour le clou et 3 % pour l’essence. La répartition de la valeur ajoutée du producteur à l’exportateur dépend beaucoup des prix des marchés mondiaux : en période de prix bas, les exportateurs maintiennent leurs marges et c’est alors le producteur qui voit sa part significativement baisser (58 % en 2008 par exemple pour 85/90 % actuellement). Cette caractéristique explique en partie la résilience de la filière.

5 Conclusion

Notre étude a démontré que le poids de la filière girofle est important et durable dans l’économie malgache, et donc, comme le montre d’autre auteurs, de même que dans l’économie des ménages producteurs locaux (Danthu et al, 2014, Michels et al , 2011, Fourcin et al , 2015). Ceci est expliqué par la prééminence que Madagascar occupe dans le marché mondial des clous et des essences de girofle. Paradoxalement, cette place est bornée par le fait que les exportations malgaches dépendent de la production indonésienne de clous. Le contexte semble cependant en évolution. Le récent Groupement des Exportateurs de Girofles de Madagascar semble voir améliorer la visibilité des acteurs et renforcer le cadre juridique qui empêcherait les exportateurs informels de s’approprier les marchés pour une meilleure valorisation et qualité des exportations. Il pourrait d’ailleurs être souhaitable également que les producteurs soient eux aussi structurés et puisse bénéficier d’une forme de représentation assurant que leurs intérêts puissent être aussi défendus et la qualité de leurs produits rémunérée.

Au-delà du nécessaire renouvèlement de la giroflière malgache (Danthu et al., 2014), d’autres actions sont entreprises (et devraient être soutenues) pour une adaptation de la filière aux contraintes futures du marché. On peut citer le développement de la transformation de l’huile en eugénol de qualité à Madagascar grâce, par exemple, à des partenariats privés entre exportateur, transformateur et parfumeurs. Il semble aussi nécessaire de maintenir la qualité initiale sortie ferme, tout au long de la filière et convaincre les collecteurs de ne pas dégrader la qualité. La part du clou-épice (CG1 ou CG2)à pourrait à terme augmenter. Enfin, il sera important de prendre en compte l’empreinte environnementale dans la production de clou, mais surtout d’essence, ce qui pourrait ouvrir un nouveau champ de valorisation de la giroflière malgache.

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