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PROSPECTIONS ARCHÉOLOGIQUES SOUS-MARINES À LA MARTINIQUE Marc GUILLAUME, Groupe de Recherches en Archéologie Navale INTRODUCTION Depuis 1990, le Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) réalise, à la demande des élus locaux, l’inventaire du patrimoine archéologique sous-marin de la Martinique. Ce travail a pu se développer grâce au soutien du Conseil régional et du Conseil général qui assurent, conjointement avec le Ministère de la culture, le financement de nos travaux. Dans le début des années 1990 se mettait en place dans le domaine de l’archéologie terrestre, le programme de la carte archéologique, gérée par le ministère de la culture et les Services régionaux de l’archéologie. Ce programme n’englobait pas le domaine maritime avant le début de nos travaux en Martinique. Au début des années 1990 se mettait en place en Martinique, à l’image des autres régions fran- çaises, le programme de la carte archéologique. Les travaux du Groupe de Recherche en Archéologie Navale ont conféré à la Martinique un rôle pionnier puisqu’ils ont permis d’inclure le patrimoine sous-marin à ce programme. Lors du début de notre travail, des chasseurs sous-marins et des plongeurs avaient déjà localisé quelques sites et des amateurs passionnés tels Jean-Marie Legay ou Henri Theuvenin avaient effectué des recherches documentaires sur divers épisodes de l’histoire de notre île. Mais l’ensemble de cette information restait dispersé et n’avait pas le caractère systématique nécessaire à l’établissement d’une carte archéologique. L ’ORGANISATION DU TRAVAIL Notre travail a consisté, d’une part à recueillir l’information auprès des plongeurs, marins pêcheurs et connaisseurs locaux et d’autre part à entamer une recherche en Archives, associée à des campagnes de prospection destinées à localiser de nouveaux sites et à expertiser les sites déjà connus. Une dizaine de campagnes de prospection nous ont permis de faire passer de 20 en 1990 à 73 en 1999 le nombre de sites sous-marins connus. Ces sites vont du simple indice de naufrage à des épaves en bon état de conservation (fig. 1). L’ensemble de ces sites se rapporte à la période historique. Un seul site de plage est constitué par le prolongement sous-marin d’un site amérindien. Nos résultats se trouvent consignés dans deux bases de données 1) Le fichier des naufrages qui est issu des recherches historiques. Il reprend et rassemble les don- nées d’Archives disponibles pour chaque mention de naufrage en Martinique. Il nous donne une image du potentiel archéologique au travers des données historiques. Il est également la base servant à l’identification des navires. Il compte à ce jour 96 fiches. 2) Le second fichier est, de manière classique, celui des sites, qui collationne les données de ter- rain et qui, grâce aux précisions topogmphiques, permet de dresser la carte proprement dite. Ces deux fichiers grandissent, bien entendu, au rythme des découvertes. 91

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PROSPECTIONS ARCHÉOLOGIQUES SOUS-MARINES À LA MARTINIQUE

Marc GUILLAUME, Groupe de Recherches en Archéologie Navale

❐ INTRODUCTION

Depuis 1990, le Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) réalise, à la demande desélus locaux, l’inventaire du patrimoine archéologique sous-marin de la Martinique. Ce travail a pu sedévelopper grâce au soutien du Conseil régional et du Conseil général qui assurent, conjointementavec le Ministère de la culture, le financement de nos travaux.

Dans le début des années 1990 se mettait en place dans le domaine de l’archéologie terrestre, leprogramme de la carte archéologique, gérée par le ministère de la culture et les Services régionaux del’archéologie. Ce programme n’englobait pas le domaine maritime avant le début de nos travaux enMartinique.

Au début des années 1990 se mettait en place en Martinique, à l’image des autres régions fran-çaises, le programme de la carte archéologique. Les travaux du Groupe de Recherche en ArchéologieNavale ont conféré à la Martinique un rôle pionnier puisqu’ils ont permis d’inclure le patrimoinesous-marin à ce programme.

Lors du début de notre travail, des chasseurs sous-marins et des plongeurs avaient déjà localiséquelques sites et des amateurs passionnés tels Jean-Marie Legay ou Henri Theuvenin avaient effectuédes recherches documentaires sur divers épisodes de l’histoire de notre île. Mais l’ensemble de cetteinformation restait dispersé et n’avait pas le caractère systématique nécessaire à l’établissement d’unecarte archéologique.

❐ L’ORGANISATION DU TRAVAIL

Notre travail a consisté, d’une part à recueillir l’information auprès des plongeurs, marinspêcheurs et connaisseurs locaux et d’autre part à entamer une recherche en Archives, associée à descampagnes de prospection destinées à localiser de nouveaux sites et à expertiser les sites déjà connus.

Une dizaine de campagnes de prospection nous ont permis de faire passer de 20 en 1990 à 73 en1999 le nombre de sites sous-marins connus. Ces sites vont du simple indice de naufrage à des épavesen bon état de conservation (fig. 1).

L’ensemble de ces sites se rapporte à la période historique. Un seul site de plage est constitué parle prolongement sous-marin d’un site amérindien.

Nos résultats se trouvent consignés dans deux bases de données

1) Le fichier des naufrages qui est issu des recherches historiques. Il reprend et rassemble les don-nées d’Archives disponibles pour chaque mention de naufrage en Martinique. Il nous donne uneimage du potentiel archéologique au travers des données historiques. Il est également la base servantà l’identification des navires. Il compte à ce jour 96 fiches.

2) Le second fichier est, de manière classique, celui des sites, qui collationne les données de ter-rain et qui, grâce aux précisions topogmphiques, permet de dresser la carte proprement dite.

Ces deux fichiers grandissent, bien entendu, au rythme des découvertes.

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❐ LES RECHERCHES EN ARCHIVES

Les recherches documentaires sont des travaux historiques classiques dans les fonds d’Archivesnationaux et internationaux. Elles sont menées avec la collaboration de chercheurs basés dans diverspays, ce qui nous donne accès, par exemple, à des fonds documentaires en Angleterre, en Espagne ouen Hollande.

❐ LES RECHERCHES DE TERRAIN

Elles sont effectuées selon plusieurs modalités. Lorsque les indications fournies par les sourceshistoriques sont suffisamment précises, elles peuvent suffire à la découverte d’un site.

Mais le plus souvent, les recherches se font de manière systématique dans des zones qui sontsélectionnées en fonction de leur potentiel supposé (courants, récifs, fréquentation). Les zones les plusriches en naufrages sont logiquement celles qui présentent les plus grands dangers pour la navigation.En Martinique, il s’agit de la côte est, qui est frangée par une ligne de récifs affleurants.

Selon la nature des fonds et le type de recherche, les investigations se font soit de manière clas-sique par observation directe par plongeur, soit en utilisant des appareillages plus sophistiqué (magné-tomètre).

Chaque point remarquable est positionné, soit au moyen du système GPS, soit par les méthodesoptiques classiques (cercle hydrographique). Il fait l’objet de plongées diagnostiques et d’un sondagelimité.

Le but de ces investigations est l’identification et la datation des vestiges. Ne sont prélevés que lesobjets ou éléments contribuant à cette caractérisation. Nous avons cependant été amenés à prélever surcertains sites du matériel afin de le soustraire aux risques de pillage.

L’ensemble de ce matériel, après traitement par le laboratoire Archéolyse International, spécialisédans la restauration d’objets provenant de fouilles sous-marines, est déposé au Service Régional del’Archéologie de Martinique.

Nos axes de recherche englobent quatre aspects de la navigation aux Antilles. La navigation mili-taire, liée à la lutte entre les puissances europeennes pour le contrôle de l’espace caraïbe ; la navigationcommerciale, le plus souvent liée à l’économie sucrière la traite négrière, qui est indissolublement liéedans notre région à l’activité commerciale et un aspect, souvent négligé, qui est celui du cabotageautour de l’île et dans l’archipel.

Dans le cadre de cette communication, je vais vous présenter quelques exemples relevant de cesdivers types de navigations.

❐ NAVIRES DE GUERRE

Dans la mesure où les archives militaires sont généralement abondantes et précises, ces sites sontsouvent les mieux documentés. Dans deux cas, les indications fournies par les archives ont suffi à lalocalisation rapide du site. Il s’agit du HMS Raisonable, vaisseau anglais coulé sur la plage des salinesen 1762 lors d’une tentative de débarquement anglais dans le sud de la Martinique et de l’épave duBrick français, le Cygne, navire de la flotte impériale, coulé au Prêcheur en 1808.

Les restes de ce navire ont fait l’objet d’un sondage en 1991. Ce sondage a permis de confirmerl’identification du navire par l’observation des structures de charpente (fig. 2).

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Et également par l’observation de l’artillerie conservée (fig.3). Le sondage a permis de mettre aujour 3 pistolets à platine à silex et un fragment d’octant (ancêtre du sextant) (Fig. 4, 5, 6 et 7).

Ces objets qui attestaient de l’identification et sont la fragilité imposant le prélèvement ont béné-ficié d’un travail de conservation qui a permis de leur restituer un aspect les rendant apte à une pré-sentation publique (Fig. 8 et 9).

L’épave de la caravane, corvette française coulée sur la côte sud-est de la Martinique lors du cyclo-ne d’octobre 1817 a été repérée par des plongeurs amateurs en 1992 (Fig. 10).

Son identification a été confirmée par un détail consign é* dans le rapport de mer du capitaine quisignalait que sous la force de l’ouragan les deux ancres qu’il avait mouillé pour tenter de retenir lenavire qui dérivait vers la côte s’étaient rapprochées et prises l’une dans l’autre au sud est du lieu dunaufrage avant que les câbles ne se brisent (Fig. 11).

❐ NAVIRES DE COMMERCE

En 1845 L’Édouard livrait à la sucrerie Thorp de la Pointe Simon à Fort-de-France, le matériel des-tiné à la construction de la première usine centrale de Martinique lorsqu’il fit naufrage sur les cayes duLoup-Garou, au large du Robert sur la côte est de la Martinique. Une partie du matériel a été récupé-rée dans les mois ayant suivi le naufrage, mais nous avons pu trouver sur le récif une cuve qui n’avaitpu être récupérée (Fig. 12).

Signalé par un pêcheur du Vauclin, le site de naufrage du Cato, sur la côte sud-est de laMartinique, se trouve au pied d’un récif entre les profondeurs de 8 et 11 mètres. Il s’agit d’un voilieren bois dont la cargaison de charbon (estîmée à près de 100 tonnes) s’est répandue en protégeant unepartie des structures de la carène (Fig. 13).

Le sondage diagnostique a mis au jour des éléments de charpente en bois résineux (pinus silves-tris) et en chêne (quercus s.p.). Nous avons -également trouvé de la céramique anglaise et allemande(Fig. 14 et 15), ainsi qu’un thermomètre gradué en degrés centigrades et Fahrenheit (Fig. 16).

Ce matériel indiquait une provenance d’Europe du nord qui s’est trouvée confirmée par la décou-verte, lors du traitement de conservation, d’une inscription gravée sur la longue-vue du bord.

Cette inscription nous a permis d’identifier, par l’intermédiaire du musée de Bergen, ce navireavec le trois-mâts barque Cato, charbonnier norvégien dont le port d’attache était Arendal et qui avaitdisparu aux Antilles dans les années 1895.

Les officiers du bord devaient être mélomanes puisqu’une flûte traversière en bois, un fragmentde support de partition et un cordier de violon ont été retrouvés à proximité de la longue-vue.

❐ LA TRAITE

Jusqu’à présent nous n’avons pu localiser d’épave de navire négrier. Pourtant la découverte d’unedéfense d’éléphant prise dans le corail apporte le témoignage d’un navire provenant d’Afrique. Letype d’encre, à jas de bois, indique une datation au tout début du XIXe siècle et donc très probablementun négrier.

❐ CONCLUSION

Le travail d’inventaire préalable est une phase tout à fait fondamentale pour le développementd’une archéologie sous -marine scientifique dans les Antilles.

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À côté de l’attrait très fort que représente la connaissance du passé amérindien de nos îles, il nefaut pas négliger les aspects historiques dont les -épaves sont un témoin privilégié.

Il faut souligner que le matériel provenant des fouilles sous-marines exige des traitements deconservation longs et relativement coûteux. Cet aspect doit être pris en compte dès le commencementdes travaux afin de ne pas se trouver dans des situations catastrophiques où le manque de crédits oude moyens techniques entrdine la détérioration ou la destruction de ce matériel.

La bonne connaissance de ce patrimoine peut de plus aider à sa gestion et ainsi éviter la disper-sion et le pillage d’un matériel qui doit rester, comme tout le patrimoine archéologique, la propriétéinaliénable des territoires sur lesquels ils ont été découverts.

❐ FIGURES

Fig. 1 : cette carte ne reprend que les sites les plus importants ou ayant fait l’objet d’un travail plus pré-cis en raison de leur potentiel archéologique plus élevé.

Fig. 2 : un plongeur dégage le vaigrage et des couples conservés sous une concrétion métallique for-mée de lest et de boulets de fer.

Fig. 3 : on voit ici le bouton d’une caronade avec la vis de réglage de hausse. Il s’agit d’un type decanon,, d’origine anglaise, utilisé par toutes les marines à la fin du XVIIIe siècle et au début duXIXe siècle.

Fig. 4 : vue d’un des pistolets sur le fond.

Fig. 5 : l’octant pris dans le brai ayant fondu lors de l’incendie du navire.

Fig. 6 : un des pistolets prélevés à titre conservatoire. (Cliché manquant : N.D.E.)

Fig. 7 : l’octant prélevé avec la concrétion sur laquelle il était fixé.

Fig. 8 : on voit ici l’octant après traitement.

Fig. 9 : on voit ici le pistolet restauré à côté du moulage de la concrétion dans laquelle il était contenu.

Fig. 10 : le site tel qu’il apparait, reconnaissable aux amas de lest de fer caractéristiques de la marine deguerre à voile.

Fig. 11 : on voit les deux ancres l’une sur l’autre, configuration atypique qui s’explique par lamanœuvre désespérée du capitaine.

Fig. 12 : la cuve retournée dans une cuvette de sable au sommet du récif. L’endroit n’est accessible auxplongeurs que par très beau temps.

Fig. 13 : la vue en volume restitue l’aspect du site recouvert de charbon lui donnant l’aspect d’un ébou-lis. Le charbon appamit blanc sur sa face visible à cause des algues encroûtantes qui le recou-vrent d’une pellicule calcaire.

Fig. 14 : assiette de Cardiff.

Fig. 15 : assiette de Dresde.

Fig. 16 : thermomètre avec plaque en os.

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Fig. 1 : cette carte ne reprend que les sites lesplus importants ou ayant fait l’objet d’un tra-

vail plus précis en raison de leur potentielarchéologique plus élevé.

Fig. 2 : un plongeur dégage le vaigrage et descouples conservés sous une concrétion métal-

lique formée de lest et de boulets de fer.

Fig. 3 : on voit ici le bouton d’une caronade avecla vis de réglage de hausse. Il s’agit d’un type decanon,, d’origine anglaise, utilisé par toutes lesmarines à la fin du XVIIIe siècle et au début du

XIXe siècle.

Fig. 4 : vue d’un des pistolets sur le fond.

Fig. 5 : l’octant pris dans le brai ayant fondu lorsde l’incendie du navire.

Fig. 7 : l’octant prélevé avec la concrétion sur laquelle il était fixé.

Fig. 8 : on voit ici l’octant après traitement.

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Fig. 9 : on voit ici le pistolet restauré à côté du moulagede la concrétion dans laquelle il était contenu.

Fig. 10 : le site tel qu’il apparait, reconnaissable auxamas de lest de fer caractéristiques de la marine de

guerre à voile.

Fig. 11 : on voit les deux ancres l’une sur l’autre, confi-guration atypique qui s’explique par la manœuvre

désespérée du capitaine. Fig. 12 : la cuve retournée dans une cuvette de sableau sommet du récif. L’endroit n’est accessible aux

plongeurs que par très beau temps.

Fig. 13 : la vue en volume restitue l’aspect du site recouvertde charbon lui donnant l’aspect d’un éboulis. Le charbon

appamit blanc sur sa face visible à cause des algues encroû-tantes qui le recouvrent d’une pellicule calcaire.

Fig. 14 : assiette de Cardiff.

Fig. 15 : assiette de Dresde. Fig. 16 : thermomètre avec plaque en os.