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Journal de la Société des Océanistes 122-123 | Année 2006 Spécial Wallis-et-Futuna Présentation Hélène Guiot, Isabelle Leblic et Bernard Vienne Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jso/508 DOI : 10.4000/jso.508 ISSN : 1760-7256 Éditeur Société des océanistes Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2006 Pagination : 1-12 ISSN : 0300-953x Référence électronique Hélène Guiot, Isabelle Leblic et Bernard Vienne, « Présentation », Journal de la Société des Océanistes [En ligne], 122-123 | Année 2006, mis en ligne le 02 juillet 2008, consulté le 02 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/jso/508 ; DOI : 10.4000/jso.508 © Tous droits réservés

Présentation · 2020. 1. 13. · résidentiel (kolo), constitué de parcelles familia-les (’api). Les titres sont hiérarchisés au sein de chaque district. Les chefs de village

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  • Journal de la Société des Océanistes

    122-123 | Année 2006

    Spécial Wallis-et-Futuna

    Présentation

    Hélène Guiot, Isabelle Leblic et Bernard Vienne

    Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/jso/508DOI : 10.4000/jso.508ISSN : 1760-7256

    ÉditeurSociété des océanistes

    Édition impriméeDate de publication : 1 décembre 2006Pagination : 1-12ISSN : 0300-953x

    Référence électroniqueHélène Guiot, Isabelle Leblic et Bernard Vienne, « Présentation », Journal de la Société des Océanistes[En ligne], 122-123 | Année 2006, mis en ligne le 02 juillet 2008, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/jso/508 ; DOI : 10.4000/jso.508

    © Tous droits réservés

    http://journals.openedition.orghttp://journals.openedition.orghttp://journals.openedition.org/jso/508

  • Présentation

    par

    Hélène GUIOT*, Isabelle LEBLIC** et Bernard VIENNE***

    Après un numéro consacré à la Nouvelle-Calédonie (JSO 117 de décembre 2003) et un autreà la Polynésie française (JSO 119 de décembre2004), la publication aujourd’hui d’un SpécialWallis-et-Futuna nous permet de terminer la pré-sentation des derniers territoires français duPacifique Sud. Notre Journal n’y a accordéjusque-là que bien peu de place : seuls vingt-cinqarticles et cinq comptes rendus d’ouvrages enrapport avec Wallis ou Futuna y ont été publiésentre 1960 et 2005, ce qui est fort peu en compa-raison de ceux ayant trait à la Nouvelle-Calédonie (199 articles et comptes rendus) ou àla Polynésie française (181 articles et comptesrendus). Le numéro 51-52 de l’année 1976, bienqu’intitulé Paroles et traditions wallisiennes, necomporte en fait que quatre articles sur ce terri-toire. Cependant, un autre numéro du Journall’avait précédé, le 19 sur Wallis-et-Futuna paruen 1963, qui ne contenait pas moins de vingt-deux articles sur ces deux îles : Wallis y est sur-tout traitée à travers une thématique historiquepost-européenne ¢ l’archéologie y est quasiabsente (une seule page lui est consacrée) ¢ ;Futuna fait l’objet à elle seule de trois articlesethnologiques. Le numéro comporte en outreune présentation de l’environnement naturel et

    un article d’ethnobiologie sur l’agriculturerédigé par Jacques Barrau. Notons qu’il étaitdéjà question, il y a plus de quarante ans, demigrations wallisiennes et du peintre Michou-touchkine, personnalité sur laquelle ChristianCoiffier revient ici. Enfin, le père mariste1

    Patrick O’Reilly, membre éminent de la Sociétédes Océanistes durant de nombreuses années2,rédigea la première bibliographie de ce territoire.Par ailleurs, cinq ouvrages dans la collectionPublications de la Société des Océanistes concer-nent Wallis ou Futuna3.

    Wallis-et-Futuna, trois royaumes qui ont droitde citer au sein de la république ! On pourrait yvoir un anachronisme de l’histoire, à défaut d’unclin d’œil complice envers ces « confettis » del’empire français, ces laissés-pour-compte dumonde moderne. Notre regard de contemporain,habitué à tant d’autres errements, y décèleravolontiers, à tout prendre, comme l’expressiond’une bienveillante tolérance, matinée d’un brinde supériorité, de l’État souverain vis-à-vis de la« coutume », une concession intéressée à unconservatisme de bon aloi, reconduite à chaqueéchéance politique, que justifie suffisamment lemaintien de la société dans son ordre supposé.

    1. Dont la Congrégation envoya les premiers missionnaires à Wallis et à Futuna.2. Il en fut secrétaire général de 1945 à 1971.3. La Publication 9 éditée par Claude Rozier (1960), Les écrits du père Chanel, missionnaire à Futuna aujourd’hui épuisée ; la

    13 du révérend père Patrick O’Reilly (1964), Bibliographie méthodique, analytique et critique des îles Wallis-et-Futuna, égalementépuisée ; la 23 de Mgr Alexandre Poncet (1972), Wallis. Le protectorat ; la 38 de Raymond Mayer (1976), Les transformations dela tradition narrative à l’île Wallis (Uvea) et la 44 de Pierre Chanel Simutoga (1992), Technologie traditionnelle à Wallis.

    * Ethno-archéologue, ArScAn ¢ Nanterre, [email protected]** Ethnologue, ¢ Villejuif, [email protected]*** Ethnologue, 092 , -Nouméa, [email protected]

    Journal de la Société des Océanistes, 122-123, année 2006

  • Panorama en quelques données

    Situé à environ 2 000 km au nord-est de laNouvelle-Calédonie et à 2 800 km de Tahiti, leterritoire des Îles Wallis-et-Futuna, d’environ250 km2, est formé de deux archipels distantsde quelques 230 km, situés entre Samoa, Tongaet Fidji : d’une part, ’Uvea4 (carte 1), une îlebasse entourée de son récif barrière et sesîlots et, d’autre part, Futuna et Alofi, deuxîles hautes d’origine volcanique (carte 2)5. Leclimat est de type dit « sub-équatorial » où alter-nent une saison chaude et humide, propice auxcyclones, et une saison plus fraîche et plus sèchedominée par les alizés du sud-est. Sa zone éco-nomique exclusive () est de 300 000 km2

    (carte 3).Cet ensemble territorial insulaire ne forme une

    entité politique que du fait de la colonisation6 etde la christianisation, depuis la mise sous protec-torat de la France, à la demande de la reineAmelia, ratifiée en 1886 pour ’Uvea et en 1888pour Futuna, et non pas du fait de son histoireancienne. La loi du 29 juillet 1961 conféra auxÎles Wallis-et-Futuna le statut de territoired’outre-mer () transformé en collectivitéd’outre-mer en 2003. L’État y est représenté parun préfet7 et un adjoint délégué pour les îles deFutuna et Alofi. Il est assisté d’un Conseil terri-torial8 qui comprend les chefs des trois « royau-mes » ¢ les trois chefferies traditionnelles de’Uvea, d’Alo et de Sigave9 ¢, ainsi que troismembres nommés par l’Administrateur supé-rieur après accord de l’Assemblée territorialemais hors de celle-ci. L’Assemblée territoriale,composée de vingt membres élus (treize pour’Uvea et sept pour Futuna), exerce ses préroga-tives dans des domaines limités10. Néanmoins,l’assemblée peut émettre des vœux dans des

    domaines qui relèvent de la compétence de l’Étatet délibérer sur le financement des projets établisen conseil territorial. Au niveau national, la col-lectivité territoriale de Wallis-et-Futuna estreprésentée par un sénateur, un député et unconseiller économique et social.

    Le territoire est divisé en trois circonscriptionsdotées d’une personnalité morale, correspon-dant peu ou prou aux trois royaumes dans leursdélimitations telles qu’héritées de l’histoire pré-coloniale. Elles exercent globalement les compé-tences d’une commune. Le conseil de circons-cription est composé du « roi » et des détenteursde titres de chefferie (à l’échelle des districts et/ouvillages).

    La loi du 20 mars 1964 portant organisationdes circonscriptions visait à intégrer la structurepolitique dite « coutumière » à la structureadministrative qu’elle avait pour objet de mettreen place conformément au principe généralqu’évoque son article 3 :

    « La République garantit aux populations du terri-toire des Îles Wallis-et-Futuna le libre exercice de leurreligion, ainsi que le respect de leurs croyances et deleurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contrairesaux principes généraux du droit. »

    Elle prévoyait à l’origine l’élection aux titresdes chefferies de village au suffrage universel, unedisposition inapplicable en pratique et qui futabrogée en 1976 au profit d’un retour à la nomi-nation selon la procédure traditionnelle.

    À Futuna comme à Wallis, les chefferiesactuelles sont le fruit d’une histoire riche d’évé-nements. Les titres sont apparus progressive-ment, certains ont disparu et leur hiérarchie s’estmodifiée. Encore aujourd’hui, de nouveauxtitres émergent et trouvent place dans la struc-ture d’ensemble11. L’organisation du royaume

    4. Pour les Européens, l’île de ’Uvea porte le nom de Samuel Wallis, capitaine du Dolphin qui mouilla dans les eaux de ’Uveaen 1767.

    5. 151 m pour ’Uvea (Mont Lulu Fakahega), 524 m pour Futuna (mont Puke) et 417 m pour Alofi (mont Kolofau).6. Dans cette présentation, nous entendons les termes de « colonisation », « colonial », etc. dans l’acception la plus générale

    de mise sous tutelle politique et administrative d’une population par un État ou une nation étrangère sans préjuger de la naturede la dépendance, de l’attitude réciproque des parties en cause ou des stratégies fondées sur des jugements de valeur. Dans le casqui nous occupe, si la relation coloniale est un fait, elle semble largement plébiscitée par une grande partie de la populationwallisienne et futunienne.

    7. Depuis 1987, dénommé administrateur supérieur.8. Le conseil territorial est destiné à associer l’autorité coutumière à la gestion du territoire. Présidé par l’administrateur

    supérieur, le conseil territorial est en effet composé des trois chefs traditionnels de l’île, vice-présidents de droit (ou de leurssuppléants nommés par l’administrateur supérieur sur proposition des titulaires). Il n’exerce cependant qu’une fonctionconsultative sur la gestion des affaires locales.

    9. Le roi de ’Uvea porte le titre de Lavelua, celui d’Alo de Tu’i Agaifo (anciennement Fakavelikeke), celui de Sigave deKeletaona, Vanai ou Tu’i Sigave, selon la « lignée » kūtuga à laquelle appartient le porteur désigné.

    10. Ces domaines sont les suivants : le statut général des agents territoriaux, le statut civil coutumier, le territoire domanial,le régime local des droits et biens fonciers, le commerce extérieur et l’artisanat, l’agriculture, la forêt, les eaux non maritimes etl’environnement, l’élevage, la pêche, les transports intérieurs, l’hygiène et la santé publique, la protection de l’enfance et desaliénés, le tourisme, la chasse, l’urbanisme et l’habitat, l’aide sociale, la protection des monuments et des sites.

    11. Le titre de Tu’i Toafa, à ’Uvea par exemple, induit par l’intrusion d’un espace résidentiel (fait de ’api) dans un espacefoncier d’usage collectif, le toafa, dévolu à la collecte, anciennement sous la juridiction des assemblées et des chefs de village.

    2 SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

  • de ’Uvea est sensiblement différente de celle desdeux royaumes de Futuna, Alo et Sigave. Lafonction administrative y est plus stratifiée.

    L’ordonnancement du kava royal, le « cercle »’alofi symbolise le royaume de ’Uvea, commeentité politique organisée. Face au tāno’a (« platà kava ») et au tau’a, ceux qui ont la charge depréparer et distribuer la boisson cérémonielle, setient le hau (« roi ») et ses deux assistants céré-moniels, ses mu’a. De part et d’autre se répartis-sent, par ordre de préséance, les ministres quiconstituent le kau ’aliki, parfois accompagnés deleurs mu’a. Derrière se tient la foule suivant unedisposition protocolaire. Cet arrangement etl’ordre selon lequel seront distribuées les coupesde kava lors de la cérémonie reflètent la hiérar-chie des titres du kau ’aliki auxquels sont parfoisattribuées des fonctions spécifiques12 et un réfé-rent territorial : chaque titre est assigné à l’undes trois districts. On aura, dans l’ordre, Kivalu,l’exécutant du pouvoir du hau, sorte de « Pre-mier ministre », suivi de Mahe13 (« ministre desRessources », terres et mer), ’Uluimonua, Kuli-tea (« porte parole » du hau), Muko’ifenua(« ministre de la Guerre ») et Fotu’atamai(« ministre du Territoire », intercesseur auprèsdu hau). Le titre de Pului ’uvea qui suit dansl’ordre hiérarchique, auquel s’attache la fonctionde « chef des armées », sous les ordres duMuko’ifenua, également porte parole du hau,ne fait pas partie, stricto sensu, du kau ’aliki.Dans le contexte de la gestion administrative« moderne », les fonctions se redéfinissent ainsi :Kivalu, Premier ministre en charge de l’Ensei-gnement ; Mahe, Environnement ; ’Uluimonua,Artisanat et tourisme ; Kulitea, Culture et fon-cier ; Fotu’atamai, Santé ; Muko’ifenua, Sports.

    La structure politique du royaume comprendtrois niveaux hiérarchisés d’organisation dirigéspar un responsable assisté d’un conseil. Au som-met se trouve le hau, le roi, qui porte le titre deLavelua assisté des six ministres du kau matu’a’aliki qui avec le Pului ’uvea et les trois faipule14

    forment le kau ’aliki (kau fa’u ou ’aliki fa’u) quise réunit sur convocation du hau lors du fono hau(fono fakalavelua)15. Le faipule16, à la tête dechacun des trois districts de ’Uvea, Hihifo,Hahake et Mu’a, est chargé de la bonne exécu-tion des ordres qui lui sont transmis par le hau etle kau ’aliki et les répercute quand nécessaire auxchefs de villages (pule kolo) de son district. Lesfaipule qui, de par leur fonction, ne sont pasdétenteurs d’un titre, sont nommés par le roi, enprincipe parmi les ’aliki qui appartiennent aumême kūtuga ¢ la même « parentèle » ¢ que lehau, les membres de la famille royale. Ils neprésident pas non plus, en théorie, le fono lahi, leconseil de district, présidé par l’un des ministresdu kau ’aliki. Les chefs de village ¢ pule kolo(matu’a fenua ou ’aliki fenua) ¢ sont eux porteursdu titre de chefferie associé à chaque ensemblerésidentiel (kolo), constitué de parcelles familia-les (’api). Les titres sont hiérarchisés au sein dechaque district. Les chefs de village sont choisisparmi les descendants du fondateur du titre,dans son kūtuga. Ils sont assistés d’un conseil devillage ¢ fono fenua (fono kolo) ¢ qui réunit tousles hommes adultes avec une préséance accordéeaux aînés (’ulu matu’a) des différents lignages(kāiga) ou maisonnées (’api). Ils disposent d’unou plusieurs exécutants. Jusqu’à récemment lesvillages étaient divisés en deux « pôles », deux« équipes » (potu). Aujourd’hui, la populationest partagée en quartiers (kalasi17) regroupantplusieurs ’api.

    Les deux royaumes d’Alo et Sigave à Futunaont une structure d’organisation qui procède del’évolution d’un modèle de « chefferie à titres »,plus proche, mais distinct, de ce que l’on connaîtpar ailleurs à Samoa ou dans le centre Vanuatu18

    que du modèle tongien qui sert de référence auroyaume de ’Uvea. Le déroulement des événe-ments qui ont abouti à la mise en place de deuxroyaumes à Futuna (Frimigacci et al., 1995) tra-duit un processus de formation sensiblement dif-férent de celui qui a présidé à l’émergence de la

    12. Ce sont plus exactement des prérogatives, et tous les titres n’en sont pas pourvus. Une hiérarchie et des fonctions qui ontvarié au cours de l’histoire (cf. Vienne et Frimigacci dans ce numéro).

    13. Prend le titre de Fotu’aika (et les fonctions de « ministre de la Mer ») lors des pêches au « grand filet » de cocotier, faga(et ika ake) qu’il dirige. C’est celui qui avait la charge d’introniser et/ou destituer le hau avant que cette fonction ne soit dévolueau Kivalu.

    14. Le Pului ’uvea et les faipule n’ont pas droit à la parole et ne donnent leur avis que sur demande.15. Encore appelé fono fa’u, du terme fa’u qui signifie « lier attacher » et, par extension, « gouverner ».16. La fonction est de création récente, postérieure à la colonisation et la christianisation.17. Le terme kalasi, dérivé du français « classe », aurait désigné à l’origine les équipes de travail constituées pour des tâches

    collectives ou la collation du fatogia, les prestations cérémonielles, une fonction remplie antérieurement par les potu.18. La notion, si ce n’est le concept, fut développée par Jean Guiart (1972, 1973), puis reprise par d’autres (dont Vienne et

    Frimigacci dans ce numéro), pour distinguer des formes d’organisation du politique fondées sur un système de titres assujettisà des territoires dont la transmission est en partie héréditaire, en partie élective, des « royaumes » ou « grandes chefferies »polynésiennes dont Tonga, Hawai’i et Tahiti sont les modèles. Bien que le système des matai de Samoa puisse être considérécomme un archétype de cette forme d’organisation, les « chefferies à titres » semblent bien appartenir tout autant à la Mélanésiequ’à la Polynésie.

    PRÉSENTATION : SPÉCIAL WALLIS-ET-FUTUNA 3

  • royauté à ’Uvea. Par la suite, la christianisationpar la mission catholique des deux archipels etl’histoire coloniale du e siècle marquée par lesrivalités franco-anglaises, ont contribué à rap-procher d’un point de vue culturel les deuxmodèles d’organisation.

    Tous ceux qui exercent une autorité politique,du roi, le sau, aux chefs de village, le font enraison de leur accession à un titre héréditaire(launiu19). Ces titres sont identitaires aux rama-ges ¢ aux kūtuga ¢ qui se les sont arrogés aucours d’événements soigneusement consignéspar la tradition. Chaque titre coïncide avec unespace territorial délimité, renvoie à une histoire,à un corpus de traditions qui fonde sa légitimitéet justifie de sa place dans l’organisation politi-que. Dans le contexte actuel, on s’est efforcé derapprocher la hiérarchie des titres de chefferie dufono lasi, de l’organigramme administratif quireconnaît deux niveaux d’autorité dite coutu-mière : celui du « roi » et de « l’assemblée duroyaume », celui des « chefs de village » et deleurs exécutants. Les titres dans leur ordonnanceconstituent une structure hiérarchisée qui iden-tifie le royaume comme tel sur le plan politique etterritorial. Ici, comme à ’Uvea, la cérémonie dukava incarne et symbolise l’entité politique.L’ordre de préséance nous informe sur l’archi-tecture hiérarchique des titres qui, elle, renvoie àl’histoire événementielle et aux rivalités entrekūtuga (« ramage »).

    Ainsi, la guerre de Vai (1839), avant laquelleles chefs du village de Nuku s’affrontèrent, a fixédans ses grandes lignes l’ordre de préséance destitres de Sigave, ce qui eut pour conséquence depermettre que le sau soit partagé entre troiskūtuga. Le sau prendra le nom de Keletaona,Tamolevai ou Tu’i Sigave. Tout au long de l’his-toire de Futuna, fertile en affrontements entreunités politiques (les villages actuels sont les ves-tiges de ces unités territoriales), l’ordre du kavas’est modifié, les vaincus cédant leur place auprofit des vainqueurs. Quand le sau est le Kele-taona, Sa’akafu boit ensuite pour « laver » lacoupe, c’est le mu’a du sau ; la deuxième coupeva à Kaifaka’ulu dont la fonction est de procéderà l’intronisation du sau. Aujourd’hui, il fait fonc-

    tion de « Premier ministre ». Viennent ensuiteSa’atula, Manafa, Safeitoga, Tu’i Toloke, TuiAsoa, Tu’i Sa’avaka dont la tâche était de lancerla guerre, Safeisau, Sealeu, Moetoto et ’Ufigaki.Entre deux coupes aux porteurs de titres, unmatātagata boit une coupe comme le faitSa’akafu pour le sau. Quand le sau est Tu’iSigave ou Tamolevai, c’est Sa’atula qui estdevant Kaifaka’ulu et qui a la fonction de « Pre-mier ministre ».

    À Alo, deux lignées issues d’un même ancêtrefondateur porte le titre de sau, nommé Tu’iAgaifo. Comme à Sigave, c’est Sa’akafu qui« lave » la coupe du sau. Viennent ensuite Tiafo’i« Premier ministre », Sa’atula, Sa’agogo, Safei-toga, Safeisau, Tu’i Sa’avaka, Tui Asoa, Vaka-lasi, Fainumālafu, Fainuava, Fainuvele et Fainu-maumau qui est le gardien de la frontière entreAlo et Sigave, matérialisée par la rivière Vainifao.

    À Alo comme à Sigave, il semblerait que lestitres n’ont pas toujours de fonctions particuliè-res, même si aujourd’hui on a tendance à leur enattribuer. On note par exemple que Tui Asoa àAlo et Manafa à Sigave s’occupent de la culture.

    La République accorde aux rois une dotationannuelle destinée à couvrir leurs frais. Ministreset chefs coutumiers reçoivent une indemnité.

    Sur le plan foncier, malgré quelques timidestentatives, aucune disposition réglementaire sefondant sur des textes législatifs n’a pu être miseen application ; les régulations et la jurispru-dence coutumière sont la référence20. On peutalors distinguer trois niveaux de gestion desterres : celui des espaces gérés à l’échelle deslignages (et/ou familles), celui des espaces gérés àl’échelle des districts (et/ou villages) et enfin celuirelevant de la prérogative des titres royaux aux-quels nous ajouterons pour mémoire, les espacesconcédés à la mission catholique, à l’administra-tion, à l’aménagement du territoire et à des par-ticuliers sous baux privés enregistrés21.

    Au recensement de 2003, le territoire comptait15 301 habitants22, soit une densité de75 hab/km2. En raison d’un fort taux de natalité(21,7 pour 1 000), cette population est très jeune(50 % de la population a moins de 20 ans). Seuls30 % des actifs disposent d’un emploi. Le secteur

    19. L’usage générique de ce terme « fait problème » compte tenu de ses multiples connotations dans la tradition orale à valeurhistorique.

    20. Il faut souligner que les usages et pratiques auxquelles nous faisons référence ne font pas toujours l’objet d’un discourscodifiable et consensuel. À cet égard, ’Uvea et Futuna diffèrent sensiblement. On peut aussi y lire l’influence d’apportshistoriques, postérieurs à l’arrivée des Européens et à la christianisation, notamment ceux dus au tohi fono o’uvea, le « code delois » promulgué par la reine Amelia en 1870.

    21. Ils constituent une aliénation du domaine foncier négligeable. Enregistrés auprès du bureau de l’Administration généraleet des élections, ces baux semblent contrevenir au sentiment dominant que les terres, distribuées à l’origine par des chefferiesterritoriales et transmises de génération en génération, pourraient être louées mais seraient ¢ et devraient rester ¢ inaliénables dedroit.

    22. Dont 10 428 pour ’Uvea et 4 873 pour Futuna.

    4 SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

  • public occupe 65 % des emplois salariés, le sec-teur privé 35 %. Depuis la fin de la DeuxièmeGuerre mondiale, le développement économiquede la Nouvelle-Calédonie a induit une forte émi-gration au point que la population d’origine wal-lisienne et futunienne installée en Nouvelle-Calédonie dépasse en importance la populationdu territoire avec laquelle elle maintient cepen-dant des liens très étroits23.

    En raison de la faible mise en valeur de res-sources naturelles très limitées, l’économie duterritoire de Wallis-et-Futuna est structurelle-ment déséquilibrée. Elle repose sur une agricul-ture d’autosubsistance, faiblement intégrée àl’économie marchande, tournée vers l’autocon-sommation et la production de « biens cérémo-niels ». Les exportations sont quasi inexistantes ;les importations couvrent l’essentiel des produitsalimentaires, des biens d’équipement et desbesoins énergétiques. Sans ressources fiscalessignificatives au regard des coûts, 80 % du bud-get procède de transferts de l’État, le reste detaxes douanières.

    L’éducation primaire est confiée, par déléga-tion, à l’Église catholique, l’État prenant à sacharge l’enseignement secondaire. Récemment,un effort particulier a été fait pour promouvoirl’enseignement des langues vernaculaires.

    Les héritages de l’histoire

    Si les Îles Wallis-et-Futuna ne constituent pasà l’évidence une colonie de peuplement, ellesfurent cependant durant plus d’un siècle, etencore aujourd’hui, administrées selon les arca-nes d’une logique coloniale. Après la découvertede Futuna et Alofi par Lemaire et Shouten en1616 et celle de ’Uvea par Samuel Wallis en 1767,les contacts avec les Européens, d’abord épisodi-ques, se sont intensifiés tout au long du e

    siècle lorsque les baleiniers, les beachcombers etautres trafiquants firent de ces îles des ports derelâche temporaires. Dans le contexte d’uneconcurrence exacerbée entre confessions reli-gieuses pour la conquête des âmes, plus souventmotivées par les intérêts coloniaux des nationsque par des considérations purement théologi-ques, les pères maristes débarquèrent à Wallis età Futuna en novembre 1837. Ils y implantèrentles premières missions catholiques repoussantmême les tentatives d’implantation des missionsprotestantes d’obédience anglo-saxonne. Impul-sée par cette présence française de fait, unedemande de protectorat de la reine Amelia, lar-

    gement inspirée par la mission, fut présentée augouvernement français et ratifiée en 1886. Deuxannées plus tard en 1888, les rois de Futunademandèrent que leur soit également accordé lebénéfice de ce statut. L’installation d’un résidentde France à Wallis officialisa ce protectorat. En1942, pour répondre à l’avancée des troupesjaponaises, l’armée américaine décida d’implan-ter une base arrière à ’Uvea. Comme beaucoupd’autres archipels du Pacifique, les îles Wallis-et-Futuna se trouvèrent alors brutalement plon-gées dans une économie d’abondance, pour-voyeuse de revenus monétaires et de toute sortede biens matériels comme jamais auparavant. Lafermeture de la base et le départ des Américainsen 1943 mirent un terme à cette période éphé-mère de richesse. S’en suivit une période de criseéconomique latente et d’instabilité politiquequi trouva sa résolution dans le référendumde 1959 et l’adoption du statut de territoired’outre-mer24. Dans les années 1970-1980, leterritoire subit le contrecoup du « boom »minier du nickel en Nouvelle-Calédonie dont lapremière conséquence fut d’accroître l’émigra-tion vers ce nouvel Eldorado, un flux migratoirequi ne s’est depuis jamais interrompu, qui abou-tit à l’implantation permanente en Nouvelle-Calédonie d’une population d’abord employéedans le secteur minier puis rapidement dansd’autres secteurs de l’emploi local, qui constitueles fondements de la diaspora actuelle.

    La rhétorique de cette histoire pèse sur unesituation économique et sociale où les tensions,pour ne pas dire les blocages, sont évidents. Bienqu’aucune mouvance indépendantiste, déclaréeou non, aucun parti politique ne s’en soient faitl’écho à ce jour, comme ce fut le cas en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, l’affirma-tion d’une identité polynésienne propre et sonexigence d’être reconnue comme telle, la reven-dication d’une plus large autonomie politiqueet administrative sous-tendent insidieusementbeaucoup des conflits de politique locale où l’onse plaît, trop souvent, à voir de simples différendsde personnes ou d’intérêts, volontiers rapportésà des contextes dit « coutumiers » au sens le plusvague.

    L’histoire a donc laissé une forte empreintedans la vie présente des deux archipels à traversdeux institutions influentes : les monarchiescoutumières et l’Église. La découverte par lesnavigateurs européens et les premiers contactscoloniaux ont finalisé le développement enroyaumes, sous la forme où nous les connaissonsaujourd’hui, de chefferies déjà très organisées et

    23. Transfert de fonds, investissements divers, participation à la vie sociale et cérémonielle locale, projet de retour, etc.24. C’est à cette période que s’intéresse Frédéric Angleviel dans ce numéro.

    PRÉSENTATION : SPÉCIAL WALLIS-ET-FUTUNA 5

  • structurées. C’est à cette période charnière deleur histoire que les sociétés wallisienne et futu-nienne ont construit en commun leur enracine-ment identitaire actuel, si manifeste à l’extérieur,et ont donné sens à leur héritage dans une doubleréférence religieuse et coutumière et en a élaboréle discours politique. L’étude de cette périodehistorique, de la nature même des institutions, deleur évolution, de leurs ajustements et transfor-mations sous l’impact de nouvelles dynamiquessociales et rapports de forces induits par la domi-nation et l’idéologie coloniale dans un contextede bouleversements technologiques majeurs estbien trop récente ¢ si ce n’est même à entrepren-dre dans ces deux archipels ¢ pour nous en four-nir les clés.

    Le territoire hérite de son histoire une situa-tion politique complexe, figée sur un statu quo,où comme le soulignait un rapport du Sénat àpropos du statut :

    « La prise en compte des traditions de l’île a sansdoute été le meilleur gage de la pérennité du sta-tut jusqu’à ce jour [...]. Il repose sur un équilibresans autre exemple dans les collectivités françaisesentre la légalité républicaine de droit commun et lareconnaissance du pouvoir coutumier. »

    L’organisation de Wallis-et-Futuna se distin-gue particulièrement par la place qu’elle ménageà la coutume. Du reste, l’influence de celle-cidépasse les cadres institutionnels pour impré-gner des pans entiers de la vie sociale et écono-mique du territoire. Il en résulte aussi, vu sous unautre angle, pour les institutions politiques quenous dirions traditionnelles, confrontées à denouveaux contextes, l’obligation de devoir faireface à un impératif de résultats dans l’exercice dupouvoir décisionnel qui leur est concédé, fautede perdre toute légitimité et tout crédit. Lapérennité institutionnelle et la stabilité du sys-tème sont obtenues au détriment d’une certainecontinuité dans l’exercice du pouvoir qui entraî-nent des blocages, voire une paralysie des proces-sus de décision, dus à la quête de consensus quis’avèrent purement formels ou statutaires, lais-sent les choses en état, génèrent parfois même dela corruption.

    Les défis de demain

    Nous aurions aimé introduire et présenter leterritoire des Îles Wallis-et-Futuna, ses trois« royaumes », son histoire, son économie, sestraditions et ses habitants hors du cadre conven-tionnel habituel en évitant de donner l’imaged’une collectivité territoriale engoncée dans ses

    spécificités coutumières où la référence identi-taire à une tradition sans histoire se trouveraitmise au centre d’une histoire sans devenir pro-pre. C’est sans doute une gageure que de vouloirs’en écarter ¢ et nous sommes sans doute loin d’yêtre parvenu ¢ tant ce point de vue, sous-jacent àbien des discours, à beaucoup d’analyses et dejustification, s’avère somme toute commodepour l’exposé, aussi parce qu’il rejoint le senscommun.

    Conservatrices, les institutions dites « coutu-mières » ? Pourquoi le seraient-elles plus, apriori, que celles surimposées par la dominancecoloniale ? Faut-il continuer à déchiffrer dans cepetit monde insulaire la réalité et le devenir desrapports sociaux, les dynamiques sociales, auseul éclairage d’une opposition entre tradition etmodernité ou bien faut-il constater que cesmicro-sociétés se saisissent elles-mêmes commeproblématiques, selon l’expression de GeorgesBalandier (1971), affirmant leur conformité à uncode de conduite ancestral comme la garantiemême de leur liberté d’innovation ? C’est dire lestensions considérables et la vulnérabilité quisous-tendent la quête ¢ parfois désespérée ¢ d’unéquilibre social et politique, d’un compromisdans un contexte de blocage institutionnel où lescomportements quotidiens, les pratiques socia-les, se voient chaque jour de plus en plus disso-ciés des logiques de légitimité qui leur donnentsens. Où se situe alors le potentiel d’innovationpour faire face aux enjeux de demain ?

    Quel avenir, on est en droit de se poser laquestion, pour ce petit territoire de l’outre-merfrançais aujourd’hui dans l’obligation de redéfi-nir sa place dans un ensemble régional en pleinemutation, de plus en plus soumis aux contraintesd’une économie de marché mondialisée, quin’échappe ni aux impacts culturels, ni aux aspi-rations plus ou moins bien formulées à plus demodernité, véhiculés par le monde extérieur ?C’est là un défi qui pourrait se décliner enquelques grandes interrogations, celles-là mêmequ’une société, qui en prend de plus en plusconscience en voulant se prendre en charge,impose à l’observateur.

    De par son excentricité, sa faible superficie,sa petite population, ses ressources limitées, leterritoire des Îles Wallis-et-Futuna, dans lecontexte hérité de son histoire, peut-il se défairede ses dépendances objectives et à quel prix ?Entre l’aspiration à un mode de vie plus « cou-tumier » ressenti comme porteur d’authenticité,rêve improbable d’un retour à une société enautarcie refermée sur une identité culturelle sur-valorisée, et celle d’un développement accéléré,voire d’une fuite en avant où ces deux archipels

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  • ne seraient plus que la base arrière d’une dias-pora définitivement implantée en Nouvelle-Calédonie, ou, pourquoi pas, en métropole, lesstratégies d’équilibre peuvent s’avérer difficiles àmettre en œuvre et les marges de manœuvreslimitées. Les jeunes élites intellectuelles expri-ment parfois cette difficulté, voire cette contra-diction, dans leurs discours, leurs écrits et leursproductions artistiques25.

    Est-il possible de réorienter, de restructurer, dereconvertir vers un « développement durable »équilibré une économie qui s’est construite dansun rapport d’étroite dépendance coloniale ?L’ensemble de l’activité économique repose surdes transferts financiers venant de l’extérieur etdes salaires générés par la fonction publique. Laproduction locale dominée par une logiqued’autosubsistance répondant aussi à des besoinsd’échanges cérémoniels, n’est que faiblementorientée vers le marché. Les produits alimen-taires de première nécessité et les biens d’équipe-ment sont pour l’essentiel importés. Les structu-res sociales s’avèrent dans beaucoup de cas unfrein à la création d’entreprises26. Le secteurpublic omnipotent fragilise les potentialités dedéveloppement d’une économie de service inno-vante. Le développement de potentialités nou-velles dans les secteurs de la pêche hauturière, del’agriculture diversifiée à haute valeur ajoutée,ou de nouvelles filières dans le domaine du tou-risme et de l’artisanat appuyé sur des politiquesmieux adaptées en matière d’aménagement, definancement, de promotion et d’éducation pour-raient sans doute être une alternative aux migra-tions de travail pour réguler les flux migratoiresqui constituent toujours la réponse dominanteau dilemme économique et par là même un pro-blème récurrent.

    Ces enjeux pour l’avenir restent aussi, semble-t-il, largement conditionnés par la question poli-tique qui se décline autour de deux grandes ques-tions : d’une part, l’adaptation du statut duterritoire et son évolution pour répondre à desaspirations nouvelles vers plus d’autonomie dedécision, plus d’intégration à la vie politique,plus de responsabilité ; d’autre part, le statut et lasituation politique de la diaspora implantéedurablement en Nouvelle-Calédonie et son inté-gration de fait et non seulement de droit commeacteur reconnu de la construction du « destin

    commun », dans le processus initié par l’accordde Nouméa. On pourrait y ajouter la questiond’une plus grande intégration dans la zone Paci-fique qui permettrait sans doute d’ouvrir de nou-veaux horizons, d’élargir et de diversifier les fluxmigratoires27 et les communications.

    Le dossier Spécial Wallis-et-Futuna que nousprésentons ici, comme les précédents, se veutinterdisciplinaire. Il rassemble des articles ayanttrait tant à l’archéologie de ces îles qu’à leurhistoire, à leur ethnologie ou à leur économie... Ilessaie de refléter l’évolution des recherchesmenées sur ce territoire, en insistant notammentsur l’avancée des connaissances sur le passéancien des deux îles, l’importance des études detradition orale et de linguistique.

    En premier lieu, Christophe Sand, FrédériqueValentin et Daniel Frimigacci nous proposentl’analyse des résultats d’une des seules fouillesarchéologiques de sépulture en caveau (site dePetania). Ce travail, qui pointe l’intérêt d’asso-cier les approches disciplinaires (étude des tradi-tions orales, anthropologie, archéologie),conduit à une conclusion des plus intéressantesur la démographie de Wallis. Bernard Vienne etDaniel Frimigacci quant à eux, présentent, dansune étude ethnohistorique, les fondations duroyaume de ’Uvea. Leur approche fructueusemultidisciplinaire et comparative est ici à noter,comme l’est également la richesse du travail deterrain mené par les deux auteurs depuis de nom-breuses années dans cet archipel. Puis, FrédéricAngleviel revient sur un point récent de l’histoiredu territoire, la période 1942-1961, qui vit sedévelopper le fait migratoire et qui fut celle de latransformation du protectorat en territoired’outre-mer (), à la suite du référendum de1959.

    Sophie Chave-Dartoen nous plonge ensuitedans l’ethnologie de la société wallisienne. Avecune problématique et des objectifs clairementénoncés, elle reconsidère les rituels qui entourentle mariage28, la grossesse et la naissance. Sansmettre en perspective ces rituels avec ceux desfunérailles29 et en privilégiant les relations ¢entre côtés cérémoniels notamment ¢ plutôt queles personnes, elle nous donne là une nouvelleapproche de ces rituels de passage. Si les ritesfunéraires sont en effet centraux à Wallis, au

    25. Nous aurions aimé être en mesure d’en publier ici même des exemples.26. Voir l’article de Paul Van der Grijp dans ce numéro.27. Déjà quelques étudiants poursuivent leurs études supérieures, soit en Australie, soit à Hawai’i, soit en Nouvelle-Zélande.28. L’importance actuelle du mariage a sans doute à voir avec l’influence des missionnaires qui y voyaient un moyen privilégié

    d’éducation des autochtones.29. La spécificité des rites funéraires qui demandent un examen très détaillé, d’une part, le manque de place dans le cadre d’un

    tel article, de l’autre, sont les seules raisons pour lesquelles ils ne sont pas traités ici.

    PRÉSENTATION : SPÉCIAL WALLIS-ET-FUTUNA 7

  • point que tout le début de la thèse de SophieChave-Dartoen y est consacré, sans en minorerl’intérêt ou l’importance, l’auteur a choisi ici dereconsidérer la question des rites de passage touten développant un pan de l’analyse à partird’une ethnographie encore inédite. Ce travail necontredit en rien les analyses poussées des ritesfunéraires présentés ailleurs (Chave, 2000) et ilpermet d’envisager une analyse incluantl’ensemble du cycle rituel wallisien.

    Les deux articles suivants nous emmènentdans le domaine économique et le développe-ment de Wallis-et-Futuna et nous donnentd’intéressants points de comparaison avec lesdeux autres territoires français du Pacifique Sudoù l’on retrouve les mêmes politiques de déve-loppement et des contextes d’applications trèssimilaires. Ainsi, Paul Van der Grijp donnel’exemple de petits entrepreneurs dans ledomaine de l’agriculture, de la pêche ou du com-merce à Wallis auxquels il applique la perspec-tive analytique du « dilemme du marchand »telle qu’appliquée en Asie du Sud-Est. Il montrecomment il est difficile pour ces entrepreneurspris dans leurs réseaux sociaux insulaires detrouver un juste équilibre entre un « partagegénéreux » et une gestion dite « rationnelle » ¢que l’on pourrait qualifier d’occidentale ¢ detelle entreprise. Gilles Blanchet, quant à lui, pro-pose un bilan économique de l’exploitation desressources de la mer à Wallis, dans lequel appa-raissent les contraintes et les problèmes auxquelsest confrontée la pêche, qui ne diffèrent guère deceux que l’on peut faire pour la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française. Cette pré-sentation, peut-être parfois trop strictement éco-nomique, appelle un complément sur les réalitéssociales et culturelles des pêcheurs de ce terri-toire que nous espérons pouvoir publier prochai-nement. D’ailleurs, cet article nous interroge surles notions de « tradition » et de « coutumier »,sur la pertinence des expressions telle que « lacoutume empêche le développement » ainsi quesur le type de développement à mettre en œuvre,pourquoi et pour qui ? Il serait intéressant quedes recherches ultérieures nous apportent lepoint de vue des Wallisiens et Futuniens sur cesquestions, et bien d’autres !

    Pour finir, trois auteurs présentent des tradi-tions orales en bilingue. Ainsi, Adriano Favoleanalyse des discours de remerciement hautementformalisés qui constituent l’un des moments cen-traux du rituel social des présentations et redis-tributions cérémonielles de vivres (katoaga).Article très innovant car ce type de discours,répandu dans toute la Polynésie occidentale,n’avait jamais fait l’objet d’une publication in

    texto ; celui présenté ici, d’une très grande qua-lité, a été recueilli en octobre 1997 et nous offreune ethnologie de la société futunienne et de seséchanges cérémoniels. Puis, Claire Moyse-Faurie nous propose deux textes de traditionorale wallisienne qui parlent du Pulotu : îled’origine réelle ou mythique, unique ou plu-rielle ? Si la question fait débat, il est essentiel deretenir que la notion de Pulotu et les traditionss’y rapportant sont une des richesses de l’expres-sion culturelle de ces sociétés et de sa vitalité.Enfin, Raymond Mayer, Malino Nau, Éric Pam-brun et Christophe Laurent, en revisitant descorpus recueillis depuis 1971, nous parlent del’art oratoire musical développé par les Walli-siens et les Futuniens depuis des temps anciens,ici en l’occurrence pour relater différents types deconflits. On constate avec eux la faculté toujoursrenouvelée et d’ailleurs commune à l’aire océa-nienne d’intégrer des faits nouveaux, de les assi-miler et de les valoriser au sein du système cultu-rel propre aux auteurs de ces chants.

    Pour finir ce dossier, Christian Coiffier nousparle d’Aloi Pilioko et de Nicolaï Michoutouch-kine, deux artistes qui ont consacré beaucoupd’énergie à promouvoir les arts du Pacifique.

    Suivent deux articles hors dossier ¢ l’un sur lesjeux chantés à Lifou et l’autre sur la Semained’anthropologie visuelle que nous avionsco-organisée en décembre dernier ¢ et les rubri-ques habituelles de notre Journal ¢ les comptesrendus et les actualités.

    Espérons que ce dossier apportera aux lec-teurs du JSO une meilleure connaissance dessociétés et des insulaires wallisiens et futuniens.Tout en exprimant un profond attachementdes habitants de Wallis-et-Futuna à leur modede vie océanien, ces pages nous permettentde remarquer leurs spécificités comme leursressemblances avec les autres sociétés océa-niennes, de même qu’avec les autres territoiresfrançais du Pacifique.

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