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Prévention de la radicalisation - · PDF fileL’anthropologue Alain Bertho, de même que Gilles Kepel ‐ politologue spécialiste de l'islam et du monde arabe

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SYNTHESE   Depuis  2015,  le  phénomène  de  radicalisation  a  engendré  une  abondante  littérature.  Cette synthèse s’en veut le reflet.  La  radicalisation  gagne  du  terrain :  l’Ile  de  France,  les  Alpes  Maritimes  et  le  Nord,  les agglomérations  lyonnaise  et  toulousaine  font  parties  des  plus  touchées.  Depuis mi  2014,  les signalements font l’objet d’une comptabilité publique par département. En Seine Saint Denis, la radicalisation des jeunes est un sujet sensible. Sur les 156 jeunes français morts  dans  les  rangs  des  djihadistes,  une  trentaine  viendrait  du  93  et  près  d’un  quart  des signalements en  Ile de France émane de  ce département  (420  sur 1700)  selon des  chiffres de l’automne 2015… Les appels au numéro vert, mis en place en novembre 2014 par le Ministère de l’intérieur,  proviennent  le  plus  souvent  des  parents  inquiets  d’un  changement  brutal  de comportement  de  leur  enfant,  converti  dans  la  moitié  des  cas.  Les  jeunes  signalés  sont majoritairement âgés de 15 à 21 ans ; on note aussi une hausse significative des jeunes filles. Ces signalements  arrivent  à  la  préfecture.  La  moitié  environ  est  à  la  main des  services  de renseignements. Selon la gravité de la situation, un suivi peut être proposé : notamment, la mise en relation avec la Sauvegarde de L’Enfance (ADSEA 93) qui expérimente un travail de prévention et d’assistance aux  familles. Aucune  commune ou presque n’est épargnée  (36  sur 40 pour  les alertes) ;  « aucune  alerte »  n’est  pas  synonyme  « d’absence  de  danger »  (source  le  Parisien 15 février 2016).  Cette  problématique  majeure  interroge  avec  force  toute  la  société.  Des  psychologues, psychanalystes, sociologues et anthropologues tentent d’expliquer  le phénomène, des modules de  formations  se mettent  également  en  place  pour  aider  à  Comprendre  (I).  Divers  acteurs réfléchissent et  s’impliquent pour Agir  (II).  Le  gouvernement prend des mesures,  impulse des actions en coordination avec de nombreux acteurs, dont les collectivités, elles‐mêmes porteuses d’initiatives.  La  société  civile  et  les  familles  se mobilisent.  L’école  est  interpellée  aussi.  Des structures médico‐sociales proposent des méthodes de prévention et d’aide à la déradicalisation. Des  recommandations  européennes  émergent  et  des  expériences  d’autres  pays  seront examinées avec intérêt.   

I ‐ Comprendre 

A ‐ Décryptage sociologique et psychologique 

Il y aurait des sympathisants de Daesh dans une centaine de pays, hommes et femmes, de tous âges, avec des positions sociales diverses. 

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L’anthropologue  Scott  Atran  et  le  sociologue  Raphael  Lioger  partagent  cette  conviction :  si l’organisation de  l’état  islamique recrute aussi facilement, c’est qu’elle propose un récit auquel on  peut  croire.  Il  faudrait  donc  proposer  des  mythes  concurrents.  La  focale  de  prévention consiste, ici, à « donner un sens à la vie ». Agir au niveau du groupe est important pour qu’il soit porteur d’une contre‐narration radicale (type discours du Dalaï‐lama). Les recruteurs provoquent l’adhésion, en allant chercher des ressorts intimes et ne ménagent d’ailleurs pas leur temps pour y parvenir.  Pour  Fethi  Benslama,  psychanalyste,  le  concept  de «  surmusulman »  désigne  une  instance psychique qui pousse le sujet à désirer sortir d’un sentiment de honte par un excès de ferveur. Il analyse, chez des jeunes, un « furieux désir de sacrifice » qui les conduit à se donner la mort au nom de l’Islam. Les prédicateurs s’adressent à des adolescents qui sont attirés par la négativité à une période où ils vivent une phase complexe de transition. On leur laisse entrevoir l’accès à une jouissance absolue, héroïque, à un monde meilleur dans  l’au‐delà. On donne du sens à  la mort. Ces  jeunes  qui  se  laissent  prendre  sont  d’abord  à  la  recherche  de  racines,  ils  ont  vécu  des ruptures dans  leur histoire  familiale,  ils manquent d’assurance en eux‐mêmes et perçoivent un avenir  sans horizon…  Il  conseille d’entreprendre un  travail de  reconstruction du  sujet  en  tant qu’individu  responsable  de  lui‐même  et  de  ses  choix.  Pour  F.  Benslama,  qui  a  donné  des consultations en Seine‐Saint‐Denis, c’est parce que la société change que la religion changera et il fait le pari du triomphe de la raison humaine (exemple : l’amorce de résistance chez les femmes tunisiennes lorsqu’on voulait faire apprendre par cœur le Coran aux enfants).  Le  psychologue  et  anthropologue  Richard  Rechtman  dénonce  l’attitude  des  politiques  et  des médias qui nourrissent, selon lui, la stratégie de Daech : « il faut décréter, et le dire haut et fort, que  ces  soldats mourront  ici  dans  l’oubli  le  plus  total,  pour  créer  le  doute  dans  la  tête  des candidats au martyre, et leur faire entrevoir le néant d’une mort anonyme ».  Boris Cyrulnik,  psychologue,  reprend  la  phrase  de Michelet :  « Quand  l’état  est  défaillant,  les sorcières apparaissent », sous entendu les mouvements sectaires. Quand on est en détresse, on est  vulnérable. Des  enfants,  aux  carences  éducatives  et  culturelles  graves,  glorifient  un  héros négatif pour passer du statut de méprisé à celui d’être craint, ce qui est un processus archaïque de  socialisation.  A  contrario,  la  surprotection  des  enfants  peut  induire  l’euphorisation  et l’érotisation de  la peur et pousser à des mises à  l’épreuve pour  se  stimuler,  se prouver qu’ils valent  quelque  chose.  Il  parle  de  la  vitesse  de  la  radicalisation  comme  d’une  « épidémie  de croyance » qui peut se déclencher en quelques jours.  Pour  David  Le  Breton,  anthropologue  et  sociologue,  le  djihadisme  est  l’une  des  formes contemporaines de la disparition de soi, une quête d’identité nouvelle qui sublime la personne et efface tout attachement aux proches. « La force de la propagande radicale à travers internet est de  toucher  les  jeunes qui  au départ ne  fréquentent pas  toujours  les mosquées,  sont  souvent même  étrangers  à  l’Islam,  et  de  radicaliser  de  jeunes musulmans  d’abord  éloignés  de  tout engagement personnel ». Il y a un rejet de  l’Occident et pas de nuance entre  le Bien (eux) et  le Mal (les autres). C’est un prêt à penser.  Farhad  Khodsrovarkhavar  sociologue,  dresse  une  typologie  des  jeunes  djihadistes  français :  le djihadisme  des  jeunes  désaffiliés  animés  par  la  « sacralisation  de  la  haine » ;  les  nouveaux djihadistes de  classe moyenne ;  le martyre  féminin animé par un « post‐féminisme  régressif ». On observe un phénomène prégnant de fratries radicalisées.  

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Mathieu  Guidère,  islamologue,  souligne  le  rôle  grandissant  des  femmes  au  sein  de  l’Etat islamique.  Jusqu’à qu’à présent, elles grossissaient  surtout  les  rangs des « migrantes » pour  la Syrie (cloitrées dans des maisons de femmes, occupées à élever les « lionceaux du califat »). Les premières  étaient  parties  avec  des  visées  humanitaires :  soigner  des  blessés,  s’occuper  des enfants… Désormais, elles rencontrent plus d’obstacles pour partir ; mais  il y a aujourd’hui des femmes  idéologisées qui peuvent agir en France,  le cas échéant sans mentor masculin.  Il est à noter  que  les  femmes  n’ont  pas  accès  au  statut  de « martyr »  exclusivement  réservé  aux hommes.   L’anthropologue Alain Bertho, de même que Gilles Kepel ‐ politologue spécialiste de l'islam et du monde  arabe  contemporain  ‐,  fait  le  lien  entre  les  non‐dits  sur  les  émeutes  de  2005  et  le désespoir  qui  frappe  une  partie  de  la  jeunesse,  rendue  plus  vulnérable  aux  séductions  du discours djihadiste.   Le psychanalyste Jean‐Claude Liaudet s’interroge sur les transmissions intergénérationnelles et la construction du moi. Une génération se construit sur la base de la transmission de la génération précédente, celle des parents. Qu’est‐ce que la génération de 1989 a transmis à celle de 2008 ? C’est du côté de  la recherche des  idéaux que  les adolescents sont  le plus démunis. Se trouvant dans  l’impossibilité  d’intégrer  les  « non‐idéaux »  défaillants  de  la  génération  précédente,  les moins structurés d’entre eux adoptent des croyances « prêt‐à‐porter » disponibles sur le marché des idées, dont l’islam intégriste.  Enfin,  l’attrait  qu’exerce  cette  idéologie  doit  aussi  être mis  en  perspective  avec  le  contexte international  et  en  réaction  à  l’implication  de  la  France  dans  les  conflits  en  Syrie  (cf  Partie  3 « Approches  politiques  et  géopolitiques  du  djihadisme »  de  la  bibliographie réalisée  par  la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques).  B ‐  Comprendre par la formation 

Des  formations  se  développent  pour  répondre  à  la  demande  des  associations,  organismes publics. En  Ile de France,  il sera bientôt possible de s’inscrire à une  formation délivrant un diplôme de prévention de la radicalisation (Institut de droit et d’économie de l’Université Paris II Melun).  Au CNFPT, l’offre de services sur la prévention de la radicalisation est en construction. L’association  Via  Voltaire  coordonne  un  réseau  interprofessionnel  sur  les  questions  de radicalisation et assure des formations depuis septembre 2015 avec le département de l’Hérault.  La  mairie  de  Villefontaine,  dans  l’Isère,  a  fait  appel  à  un  cabinet  spécialisé  afin  que  les responsables de  services décryptent  les processus de  radicalisation.  La préfecture de  l’Isère  a permis aux agents de terrain de bénéficier de cette formation par la suite.  La  coordination  «  Ensemble  on  fait  quoi ? »  a  organisé  pour  les  travailleurs  sociaux  du département du Nord une conférence ave le sociologue Farhad Khosrokhavar pour comprendre, puis rechercher des outils de prévention mobilisables sur le terrain.  Enfin, un programme de modules en  ligne est mis à  la disposition des services de  l’état, élus et agents des collectivités territoriales sur le site internet du Centre des hautes études du ministère de l’intérieur.  

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II. Agir 

A ‐  La politique gouvernementale  

La lutte contre la radicalisation est encore en construction. Annoncé au printemps dans le cadre du Plan de lutte contre la radicalisation et le terrorisme, le Conseil scientifique de lutte contre la radicalisation,  rattaché  au  ministère  de  la  Justice,  est  installé  depuis  le  31  août  2016  pour renforcer l’arsenal mis en place depuis 2014. Il dressera des ponts entre la justice et l’université pour « construire de puissants contre‐discours » afin de mieux prendre en charge des personnes radicalisées.  Il  aura  pour mission  d’évaluer,  coordonner  et  harmoniser  les  dispositifs  et  sera composé d’une douzaine d’universitaires venus de divers horizons. Par  ailleurs, Muriel  Domenach,  auparavant  consul  général  de  France  à  Istanbul,  vient  d’être nommée secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), structure pivot sur la question.  Pour rappel, en mai 2016 : publication d’un nouveau plan de 80 mesures touchant entre autres l’éducation,  la  politique  de  la  ville….  Une  partie  traite  de  la  densification  des  dispositifs  de prévention  afin  d’améliorer  leur  efficacité  et  d’assurer  une  prise  en  charge  individualisée  des personnes repérées, ou en voie de radicalisation, comme de leurs familles. Les collectivités sont appelées  à  être  des  acteurs  à  part  entière  (maires,  conseils  départementaux  et  leur  service public).  La prévention de  la  radicalisation est  inscrite aux contrats de ville et dans  les  conseils locaux de prévention de  la délinquance  (CLSPD). Un protocole opérationnel pour protéger  les mineurs et  l’ensemble des  jeunes pris en charge par  l’Aide sociale à  l’enfance est proposé ainsi qu’une montée en charge du service civique, entre autres dans les communes sensibles. Après la mise  en  place  d’une  grille  d’indicateurs  de  basculement,  une  grille  d’indicateurs de  sortie  est mise à l’étude par le CIPDR. Chaque région sera dotée d’ici fin 2017 d’un centre de citoyenneté et de réinsertion. Une  circulaire,  visant  à mobiliser  les  services déconcentrés  de  l’Etat  (désignation  de  référent, incitation à la création de réseaux…), les Conseils départementaux, les CAF, les missions locales, les communes, a été publiée. Un guide de 36 fiches pratiques est mis à disposition des acteurs locaux sur internet (une fiche porte sur la contribution des services sociaux).  Renommé  Fonds  interministériel  de  prévention  de  la  délinquance  et  de  la  radicalisation,  le « FIPD » a été abondé : une centaine de millions supplémentaires vise à subventionner certaines initiatives locales prises par des collectivités.  En juin 2016, lancement de la campagne de communication « On te manipule » afin de prémunir les jeunes contre les théories du complot sur le web.  Dernièrement, le Ministère de la ville, de la jeunesse et des sports a édité un guide à l’intention des acteurs du sport et de l’animation, disponible sur internet.  Enfin,  la  loi « égalité et  citoyenneté »  attendue  à  l’automne  se  veut une  réponse  législative  à l’apartheid territorial, social et ethnique existant en France.   B ‐  Les initiatives au niveau des collectivités  

Les Conseils  régionaux peuvent aider à structurer des  réseaux d’alerte. La  région  Ile‐de‐France souhaite briser  l’isolement des parents, des associations ou des  clubs  sportifs en  formant des référents et des accompagnants. Elle appelle à adhérer à une charte de la laïcité.  Le Conseil national des villes recommande de sous  traiter  la politique de prévention au niveau local. Les acteurs publics et associatifs sont  invités à  investir massivement dans  l’éducation des 

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plus  jeunes,  la  formation des  travailleurs éducatifs et  sociaux,  le  soutien à  la parentalité, ainsi qu’à renforcer leur présence sociale hors des murs des institutions, le soir, le week‐end ainsi que durant les vacances scolaires. Donner un espace de parole aux  jeunes, c’est aussi éveiller à  l’esprit critique  face aux discours radicaux. 400 dispositifs accueillant des publics, de l’enfance aux jeunes actifs, sont déjà déclarés par  les  collectivités  auprès  de  l’Association  nationale  des  conseils  d’enfants  et  de  jeunes (ANACEJ). Des  initiatives  diverses  des  collectivités  territoriales  se  développent  à  travers  la  France. L’éducation aux médias au sein des établissements scolaires est une priorité de longue date pour l’intercommunalité  Val  d’Amboise  en  Indre  et  Loire ;  des  partenariats  avec  l’association  e‐enfance sont mis en place avec des collectivités d’Ile‐de‐France.  La ville de Sarcelles a  lancé un appel d’offres pour animer un programme de prévention de  la radicalisation, élargi à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Les  Alpes‐Maritimes  insistent  sur  la  coordination  des  services  avec  un  protocole  de  partage d’information entre  les différents  intervenants de terrain :  l’Education nationale,  les animateurs sportifs, les éducateurs spécialisés et les familles. Le Val d’Oise a  formé sur  la question un groupe ressources d’une quinzaine de personnes, une centaine d’agents  référents afin qu’ils  répondent aux questions des  travailleurs  sociaux, puis a organisé une journée de sensibilisation pour tous les agents et partenaires.  Le  Loiret,  département  semi‐rural,  a  pris  des  initiatives  face  à  l’augmentation  constante  des signalements …  C ‐  La Société civile 

Des mères se mobilisent pour sauver la jeunesse (Marseille, Montpellier…). Elles ont adressé une pétition  au gouvernement pour demander de  l’aide  face à  la  radicalisation. Nadia Remadna a créé en 2014 la Brigade des mères à Sevran pour venir en aide aux familles en difficulté dans les quartiers populaires.  De  nombreuses  initiatives  d’accompagnement  par  les  pairs,  notamment  de  familles  dont  les enfants sont radicalisés, ont vu  le  jour (association Malgré eux). La ministre Laurence Rossignol souhaite leur développement et plaide pour l’émergence d’une association nationale des familles accompagnantes.  Médecins,  avocats,  patrons…  une  nouvelle  génération  de  français musulmans,  pratiquants  ou pas, a décidé de s’impliquer dans la gestion de l’Islam en France, 2ème religion du pays.  Visites sur mesures, ateliers, débats : les musées cherchent à toucher davantage les jeunes issus de  l’immigration  avec  l’idée  que  l’art  favorise  le  dialogue  (Louvre,  musée  national  de l’Immigration à Paris, musée des Confluences à Lyon…) Le député de l’Hérault Patrick Vignal a lancé en 2015 un appel à projets citoyens sur les thèmes « République,  laïcité,  famille,  jeunesse »  par  le  biais  de  sa  réserve  parlementaire.  Son  idée  est d’impliquer toute la société, des collectivités jusqu’aux commerçants  D ‐ L’école  

L’école  est  mise  en  tension  par  des  revendications  à  caractère  religieux.  De  plus  en  plus fréquemment  des  élèves  opposent  leurs  convictions  religieuses  aux  enseignements  universels (enquête CNRS‐Sciences PO de 2015).  Le principal enseignement ?  La  religion est devenue un « marqueur social » en France. Le Ministère de  l’Education nationale a décrété début 2015 une grande  mobilisation  de  l’école  pour  les  valeurs  de  la  République  avec  un  programme  de formations de 300 000 enseignants à  la  laïcité ; mais beaucoup  jugent  la réponse mal adaptée. L’édition d’un livret sur la question a suivi.  

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En  juillet 2015, une circulaire a rappelé  les conditions requises par  la  loi et  les règlements pour l’ouverture et le fonctionnement d’un établissement d’enseignement scolaire privé hors contrat. Des inspections « surprise » après les attentats de 2015 dans des établissements soupçonnés de radicalisation ont eu lieu. Il en est surtout ressorti une interrogation sur la volonté de développer l’esprit  critique de  l’élève  lors des  cours dispensés  en  français. Pour  certains  cours  en  langue arabe, la difficulté d’évaluation est une réalité. Pour Edgar Morin, sociologue et philosophe, il est vital d’intégrer dans notre enseignement, dès le primaire et jusqu’à l’université, la « connaissance de la connaissance » pour aider les jeunes à détecter aux âges adolescents, quand l’esprit se forme, les perversions de la pensée et les risques d’illusion… car nul ne nait fanatique.  E ‐  Déradicalisation et prévention de la radicalisation  

« Déradicaliser », est‐ce possible ? Pas au sens où l’on pourrait extraire une idée d’un esprit pour le  reformater. Mais  il  est  possible  de  favoriser  une  prise  de  conscience  individuelle,  qui  peut provoquer  un  « court‐circuit  intérieur »  qui  doit  donc  être  accompagné  (G.  Bronner  ‐ Dounia Bouzar). La  métaphore  de  l’électrochoc  est  récurrente.  L’électrochoc  « médiatique »  avec  le  site  du gouvernement « Stop‐Djihadiste »  qui  diffuse  des  vidéos  chocs...  L’électrochoc  « affectif »  au CPDSI  (Centre de prévention  contre  les dérives  sectaires  liées à  l’Islam) qui aide  les parents à relier  leur  enfant  en  dérive  en mobilisant  les  souvenirs  heureux ;  la  confrontation  avec  des « repentis »  qui  ont  effectué  un  travail  sur  eux‐mêmes  et  qui  peuvent  témoigner  face  aux candidats au djhihad vient ensuite. L’électrochoc « cognitif », utilisé par G. Bronner, fait appel au sens critique des jeunes, force au doute et interroge sur les convictions illusoires.  La maison des adolescents de Strasbourg, lieu soutenu par la ville, l’Eurométropole de Strasbourg et  le  conseil  départemental  du  Bas‐Rhin,  est  hissée  au  rang  d’initiative  exemplaire  pour  son investissement  dans  la  prévention  secondaire  de  la  radicalisation.  Ce  groupe  d’intérêt  public réalise une évaluation psychiatrique de jeunes de 12 à 21 ans en voie de radicalisation et propose à certains d’entre eux un accompagnement médicosocial individualisé. De même  à  Nice,  Patrick  Amoyel  psychanalyste  à  l’Association  Entr’Autres  et  officiellement chargé de déradicaliser les jeunes français placés sous main de justice, vient en aide aux parents et aux jeunes.  Le social contre le djihad : l’ARSEJ, association de réinsertion sociale pour l’enfance et la jeunesse à Saint‐Denis, propose un  travail de  réinsertion professionnelle aux  jeunes du 93  tentés par  le départ en Syrie.  F ‐  Les recommandations de l’Union Européenne et expériences internationales 

En juin 2016, la Commission européenne a proposé une série de mesures destinées à soutenir les états membres dans  leurs efforts pour  lutter contre  le phénomène. La  stratégie appelle à une meilleure collaboration au niveau de l’UE en agissant notamment en milieu carcéral, sur Internet ou  à  l’école  ou  bien  encore  au  niveau  de  la  recherche  et  de  la  collecte  des  données,  de  la coopération  internationale, de  l’inclusion  sociale ou de  la dimension  sécuritaire. Des  fonds du programme  Erasmus  pourront  aider  au  financement  de  projets.  Le  Conseil  de  l’UE  souligne l’importance du rôle de l’animation socio‐éducative.  En  mai  2016,  élus  et  représentants  locaux  en  provenance  d’une  dizaine  de  pays  se  sont rassemblés pour échanger sur  la prévention à  l’initiative de Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux.  

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Depuis 2005, les Anglais travaillent sur le contre‐discours à opposer aux terroristes sur la toile. Ils se  sont  rendu  compte  que  lorsque  celui‐ci  est  porté  par  les  institutions,  il  ne  donne  pas  de résultats.  Ils  sont  donc  passés  par  d’autres  organismes,  notamment  des  associations,  pour démonter les mécanismes d’embrigadement. Ainsi le programme « Prevent » cible les actions de prévention sur des secteurs clés ‐ prison, école ‐ et associe le secteur public avec des acteurs de la société civile. Le  programme  allemand  Hayat  « porte  sur  des  aspects  émotionnels,  idéologiques  et pragmatiques de  la  radicalisation », explique Asem  El Difraoui, politologue et  spécialiste de  la mouvance  djihadiste  internationale.  Il  consiste  en  interventions  auprès  des  familles, déconstruction  des  notions,  interprétations  et  récits  « fondateurs »  des  extrémistes,  en  des modifications  apportées  à  l’environnement  de  l’individu  par  des  démarches  d’insertion professionnelle et d’accompagnement psychologique. Au  Danemark,  fort  des  expériences  des  villes  d’Aarhus  et  de  Copenhague,  le  gouvernement danois  a  lancé  en  2014,  un  plan  de  déradicalisation  au  niveau  national.  A  côté  de mesures répressives, il a annoncé la mise en place de mesures préventives comme la création d’un corps de  « mentors »,  chargés  d’accompagner  « globalement »  le  jeune  dans  sa  réinsertion,  prêts  à intervenir dans tout le pays. A Montréal, l’approche est centrée sur la communauté. La police de proximité est au cœur de la prévention.   Pour conclure 

Farhad Khosrokhavar affirme qu’il ne faut pas avoir une peur systématique des jeunes radicalisés revenus en France. Pour certains, cet engagement est l’équivalent d’un « voyage initiatique » qui ne  fait pas obstacle  à un  travail d’élaboration et de  réflexion  sur  leur parcours. On peut être sceptique  mais  l’expérience  menée  dans  d’autres  pays  atteste  de  réussites.  Ces  parcours répondent  aussi  à  une  recherche  d’idéaux.  Qu’elles  soient  politiques,  écologiques  ou humanitaires,  il  y  a  un  besoin  collectif  et  insatisfait  de  nouvelles  utopies  notamment  pour la jeunesse.  Suite aux attentats de Nice,  le mot « folie » a été cité maintes fois. Philippa Motte, consultante en entreprise sur  le handicap psychique et  la santé mentale au travail, constate que « ceux qui commettent des actes de barbarie sont qualifiés de  fous, mais en  les appelant ainsi, on oublie tous  les  autres  fous  inoffensifs ».  Elle  affirme  aussi :  « Ces  événements  nous montrent  toute l'urgence d'arrêter d'avoir peur de  la  folie, de  la dénigrer. Pour parvenir à  faire  reculer  la  folie meurtrière au profit de la folie créatrice. Car si c'est la folie qui détruit le monde, c'est aussi elle qui peut le sauver. Il faut être un peu fou pour avoir la conviction que nous allons venir à bout de la violence à laquelle il faut à présent faire face. Mais nous avons raison de l'être ». 

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 Pour aller plus loin…

Guide interministériel de prévention de la radicalisation Comité interministériel de prévention de la délinquance, mars 2016 

http://www.interieur.gouv.fr/SG‐CIPDR/CIPDR/Actualites/Guide‐interministeriel‐de‐prevention‐de‐la‐radicalisation  

Prévention de la radicalisation : kit de formation 2ème édition Comité interministériel de prévention de la délinquance, septembre 2015 

http://ile‐de‐france.drjscs.gouv.fr/sites/ile‐de‐france.drjscs.gouv.fr/IMG/pdf/kitformv2preventionradicalisationoct151.pdf  

Synthèse des indicateurs de basculements Comité interministériel de prévention de la délinquance, novembre 2015 http://www.interieur.gouv.fr/SG‐CIPDR/Prevenir‐la‐radicalisation/Prevenir‐la‐radicalisation/Indicateurs‐de‐basculement 

Prévention de  la radicalisation : cadre de référence du plan d’actions à annexer au contrat de ville Premier Ministre, avril 2016 

http://i.ville.gouv.fr/index.php/reference/12166  

Manipulation mentale et dérives sectaires : 9 critères pour caractériser l’emprise Philippe‐Jean Parquet, février 2014 

http://secticide.pagesperso‐orange.fr/emprise‐mentale.html  

Qui sont les jeunes jihadistes français ? Farhad Khosrokhavar, avril 2016 

http://www.ch‐le‐vinatier.fr/orspere‐samdarra/rhizome/anciens‐numeros/rhizome‐n59‐les‐adolescents‐et‐ce‐qu‐ils‐ont‐de‐difficiles/qui‐sont‐les‐jeunes‐jihadistes‐francais‐1323.html  

 * Ces documents sont disponibles à la bibliothèque de Picasso (1er étage)    

Ne m’abandonne pas   Xavier Durringer, 2016 https://www.youtube.com/watch?v=ff51JJn77Z8 

Jeunesse et djihadisme David Le Breton, 2016 

  En  complément  de  cette  synthèse,  un  dossier  axé  sur  le  travail  social  et  la  prévention  de  la radicalisation sera mis à votre disposition sur le Portail documentaire courant octobre.  

     

Synthèse réalisée par Corinne Obritin ‐ DSOE ‐ CORPUS  avec la collaboration de la MMPCR  

◘ 01 43 93 84 39 ◘ dsoe‐[email protected]